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Économie politique des vaccins

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Images en Dermatologie Vol. IX - n° 1 janvier-février 2016 30

Vie professionnelle

Économie politique des vaccins

Claude Le Pen (Professeur d’économie de la santé à l’université Paris-Dauphine).

Le vaccin est un produit pharmaceutique très particulier, non  seulement sur le plan médical – c’est l’un des très rares médicaments de prévention primaire –, mais aussi sur le plan économique et social, voire sur le plan politique.

Le vaccin est à la fois un produitetun concept ou, plus précisément, c’est la déclinaison d’un concept en produit. Un concept qui remonte à la plus haute Antiquité, même s’il n’est connu en Occident qu’à partir du début du xviiie siècle quand – l’histoire est bien connue –, Lady Mary Wortley Montagu, épouse de l’Ambassadeur britannique auprès de la Sublime Porte, l’a ramené en Europe après en avoir constaté en Turquie les  bienfaits contre la petite vérole (1, 2).

Mais déjà à l’époque la vaccination était entourée d’un halo sulfureux avec une réputation de sorcellerie, de magie, de fausse science, que le concept traîne encore aujourd’hui auprès d’une fraction de l’opinion publique imperméable au progrès des connaissances et aux bénéfices pour la santé publique. L’Europe du xviiie a été secouée par la “querelle de l’inoculation” qui a opposé les meilleurs esprits de l’époque, en France Bernoulli et D’Alembert. Le premier construisit les premières tables de mortalité à l’appui de sa position pro- vaccinale ; le second contesta, d’une part, le fait d’opposer un risque immédiat à un gain de survie future et, d’autre part, celui de justifier un risque individuel par un bénéfice collectif. Le vaccin – et c’est une autre de ses spécificités – est en effet avant tout un médicament individuel administré dans un objectifde santé publique pour diminuer l’incidence populationnelle d’une maladie infectieuse, transmissible ou non. Cet effet peut être statistiquement constaté, mais il est difficile, voire impossible, d’imputer au vaccin le “bénéfice négatif” d’un individu particulier qui n’est pas malade.

En revanche, l’effet indésirable éventuel est bel et bien individualisable.

Face aux vaccins le comportement individuel et rationnel peut être celui du “passager clandestin” de la théorie économique :

“Mon intérêt est que tout le monde se vaccine… sauf moi ! Je serai ainsi parfaitement protégé sans courir le moindre danger.”

Mais si tout le monde tient le même raisonnement, personne ne se vaccine... D’où le fait que le vaccin a longtemps été – et est encore partiellement – un des très rares traitements médicaux obligatoires. De moins en moins d’ailleurs puisque, dans une société gagnée par l’individualisme où le sens de l’intérêt collectif vacille et où l’autorité de l’État et des experts s’effrite, l’obligation fait de plus en plus de place à la “recommandation”.

C’est une bonne chose si cela s’inscrit dans une stratégie d’“empowerment” et de responsabilisation des patients ; c’en est une moins bonne si cela alimente les fantasmes irrationnels et complotistes.

Industriellement le marché du vaccin, qui est petit (un peu plus de 2 % du marché du médicament1) mais dynamique et innovant, connaît depuis plusieurs années un important bouleversement.

Sont ainsi apparus de nouveaux concepts (les vaccins dits

“thérapeutiques”), de nouvelles pathologies avec notamment la découverte de l’étiologie infectieuse de certains cancers, de nouvelles méthodes de production avec les vaccins recombinants.

C’est un monde qui bouge rapidement. Et l’opinion publique, qui n’est pas à une contradiction près, somme les chercheurs de mettre au point des vaccins contre l’infection HIV ou le virus Ebola.

Longtemps considéré comme un secteur à part dans le monde du  médicament, le vaccin a subi depuis plusieurs années un processus de “pharmacisation” qui touche aussi bien la R&D que l’évaluation pré- et post-AMM. Longtemps en effet les critères d’évaluation des vaccins se sont cantonnés à de simples tests in vitro d’immunogénicité et de  sécurité. Aujourd’hui les

“candidats vaccins” font l’objet d’un  développement clinique de type pharmaceutique avec des essais de phase III qui, dans certains cas comme le HPV, ont réuni des milliers de patients.

Longtemps les vaccins ont été produits par de petites entreprises spécialisées, plus ou moins artisanales, plus ou moins liées aux institutions publiques, en marge des grands courants industriels.

Aujourd’hui de grandes firmes internationales comme Sanofi, GSK, Pfizer, en ont fait un axe majeur de développement.

Longtemps le vaccin n’a bénéficié que de minces financements publics, notamment dans les pays en développement ; aujourd’hui ces fonds sont relayés par de grandes “facilities”

internationales, comme l’alliance GAVI, qui mobilisent des fonds privés et publics pour effectuer des campagnes de vaccination de masse contre des pathologies aussi variées que la fièvre jaune, le choléra, la rougeole et les oreillons, l’hépatite B, l’infection à pneumocoque, etc. avec des résultats souvent spectaculaires.

Entre individu et société, entre tradition et modernité, entre méde- cine et politique, le vaccin est à la fois familier et inconnu. Ce n’est pas le moindre paradoxe pour ce qui est sans doute l’acte médical qui a sauvé le plus de vies au cours de l’histoire de l’humanité.

1. En France, 520 millions d’euros en 2014 (prix publics) sur un marché de prescription de 23 milliards d’euros environ.

C. Le Pen déclare ne pas avoir de liens d'intérêts en relation avec cet article.

Références bibliographiques

1. Hervé Bazin. Histoire des vaccinations, John Libbey Eurotext, Paris, 2008.

2. Jean-François de Raymond. Querelle de l’inoculation ou préhistoire de la vaccination, Librairie Philosophique Vrin, Paris, 1982.

© Le Courrier de la Transplantation 2015;15(1):52.

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