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La responsabilité des autorités administratives indépendantes

TANQUEREL, Thierry

TANQUEREL, Thierry. La responsabilité des autorités administratives indépendantes. In:

Bellanger, François ; Tanquerel, Thierry. Les autorités administratives indépendantes : Journée de droit administratif 2010. Genève : Schulthess, 2011. p. 153-182

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:22906

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La responsabilité des autorités administratives indépendantes

THIERRY TANQuEREL Professeur à rUniversité de Genève

I.

Introduction

A. Délimitation du sujet

1. Une responsabilité d'autorité

Les questions de responsabilité constituenr une source inépuisable de débats juridiques. Pour ne pas se perdre dans la vaste étendue de la doctrine et de la jurisprudence en la matière et donner un fil conducteur clair à une contribution thématique centrée sur les autorités adminis- tratives indépendantes, une stricte délimitation du sujet est nécessaire.

On ne s'intéressera donc ici qu'à la responsabilité d'autorités, à savoir des enrités disposant de la puissance publique dans le cadre d'activités de régulation ou d'arbitrage. Le mode d'action prépondérant de ces en- tités eSt l'acte juridique. Elles rendent, pour la plupart d'entre elles, des décisions administratives. Elles édictent parfois des normes. Il arrive d'ailleurs, dans ce contexte, qu'elles aient le devoir d'intervenir par des actes juridiques, mais s'en abstiennent à tort.

Il résulte ainsi de la nature des autorités examinées une double exclusion pour le sujet de cet exposé.

Il ne traitera ni de la responsabilité de droit privé qui résulterait d'ac- tivités menées par des entités étatiques autonomes agissant comme des acteurs privés - ou autrement dit, «exerçant une industrie» au sens de l'article 61, alinéa 2 CO 1 - ni des responsabilités de droit privé qui

Code des obligations du 30 mars 1911 (RS 220). Sur la distinction entre respon- sabilité étatique de droit public et de droit privé, cf. GROSS (2001) p. 111 55. Pour un exemple récent d'une activité d'une entité étatique (le Haras national suisse) considérée comme relevant de la responsabilité de droit privé, ATAF 2008/59, c. 2, spéc.2.3.3.

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s'appliquent systématiquement aux entités publiques, comme celle du maître de l'ouvrage (art. 58 CO) ou celle du détenteur de véhicule selon l'article 73 de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR)'. La responsabilité dont il est question ici est une responsa- bilité de droit public.

Ne sera pas non plus abordée la responsabilité des établissements pu- blics autonomes ou des entreprises publiques dont l'activité principale est de fournir des services publics, quel que soit leur statut juridique. Il est certes possible que, dans certains cas, ces établissements ou entre- prises disposent de la compétence de rendre des décisions et donc d'agir comme des "autorités". Mais cette compétence ne constitue pas le centre de leur activité, elle est en quelque sorte accessoire à leur mission centrale, qui est de fournir des prestations concrètes à la population.

Ces entités n'entrent donc pas dans le champ des "autorités adminis- tratives indépendantes" qui sont l'objet du présent ouvrage, même s'il existe des cas limites comme la Régie fédérale des alcools' ou le Do- maine des écoles polytechniques fédérales 4.

2. Une responsabilité pour acte illicite

Comme toute entité sociale, l'Etat, sous ses différentes formes et ma- nifestations, est susceptible de causer illicitement un dommage, ce qui ouvre la question de l'indemnisation des victimes de l'acte étatique illi- cite. Mais l'exercice de la puissance publique et, plus largement, l'exer- cice conforme au droit des compétences que lui confèrent la Constitu- tion et la loi peut aussi amener l'Etat, dans certaines circonstances, à causer des dommages de manière parfaitement licite. Le principe d'éga- lité devant les charges publique peut alors exiger qu'un système d'in- demnisation de ces dommages soit mis en place5 On pense bien sûr ici à la problématique de l'indemnisation pour expropriation, formelle

ou matérielle. Mais on peut aussi imaginer d'autres cas, qui ne rentrent ] pas nécessairement dans la notion d'expropriation, mais qui peuvent

résulter de l'activité d'autorités indépendantes, notamment les autorités

RS 741.01.

3 MAYHALL (2008) p. 39.

Id. p. 31.

JAAG (2006) 137 SS; MOOR (2002) p. 734 ss.

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de régulation. La question est ainsi abordée dans la loi sur les télécom- munications du 30 avril 1997 (LTC)6. L'article 24e, alinéa 1 LTC pré- voit que l'autorité concédante, qui selon l'article 24a, alinéa 1 LTC est la Commission de la communication, peut modifier ou révoquer une concession en cas de changement des conditions de fait ou de droit pour préserver des intérêts publics importants. Dans ce cas, un dédomma- gement approprié est dû au concessionnaire si les droits concédés sont révoqués ou réduits de manière substantielle (art. 24e, al. 2 LTC). A l'in- verse, l'article 30 LTC prévoit expressément qu'aucun dédommagement n'est dû en cas de modification des plans de numérotation ou des pres- criptions de gestion des paramètres de communication. On s'en tiendra, sur la question de la responsabilité pour acte licite, à cet exemple et seule la responsabilité pour acte illicite fera l'objet des lignes qui suivent.

B. Les enjeux

Pour en rester à l'essentiel, on peut mettre en évidence, trois enjeux principaux s'agissant de la responsabilité des autorités administratives indépendantes. Le premier est de nature fondamentalement politique, les deux autres se situent sur un plan plus pratique, relevant largement de la technique juridique.

L'enjeu politique central tient au lien entre l'étendue du rôle régulateur de l'Etat et sa responsabilité. Ce n'est pas le lieu d'examiner ici si l'in- tervention de l'Etat est actuellement en expansion, si elle poursuit une tendance au repli - malgré les lacunes de régulation vues par beaucoup comme l'une des causes essentielles de la récente crise financière mon- diale - ou si elle a simplement changé de nature, la délégation et la sur- veillance remplaçant l'action «en régie directe ». Il reste manifeste que l'intervention de l'Etat - seul acteur à disposer de l'arme de la puissance publique - dans la société et l'économie est encore massive. La question qui se pose est dès lors de savoir si cette intervention implique, en raison de son omniprésence et de son caractère potentiellement très incisif, une responsabilité accrue 7, ou si, au contraire, cette responsabilité doit être contenue, pour éviter que l'action étatique ne soit paralysée par la

RS 784.10.

7 En ce sens, critiquant la tendance récente à réduire la responsabilité (Hartung) tout en augmentant le champ d'interventÎon (Verantwortung) de l'Etat, SUTTER (2009).

Voir aussi Mo OR (2002) p. 718.

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peur du risque' ou tout simplement que la collectivité, désormais plus délégatrice qu'exécutante, ne soit amenée à payer pour des dommages que l'on peut imputer principalement à d'autres auteurs'. Cette question est d'une actualité brûlante en ce qui concerne les autorités adminis- tratives indépendantes, en particulier l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) 10 et la future Commission de haute surveillance en matière de prévoyance professionnelle 1'.

Sur un plan plus concret, et en prenant en considération l'indépendance des autorités en cause ici, un enjeu important est la détermination de l'entité responsable. Plusieurs modèles sont envisageables, suivant le de- gré d'indépendance juridique et financière de l'entité en considérée. Le choix d'un modèle déterminé peut avoir des conséquences importantes tant pour la collectivité qui a créé une autorité indépendante, en termes de risque financier, que pour les éventuels lésés, sous l'angle de la solva- bilité du responsable et sous celui de la simplicité ou au contraire de la complexité de la procédure d'indemnisation.

Le troisième enjeu est lié aux activités mêmes des autorités indépen- dantes: quelles sont celles de ces activités qui sont susceptibles d'entraÎ- ner une responsabilité étatique? S'agissant, on l'a dit, d'autorités plutôt que de fournisseurs de services publics, les actes matériels passent au second plan, même si le Tribunal fédéral a eu à connaître d'une affaire dans laquelle la Commission fédérale des banques (CFB) avait perdu un dossier12, sous réserve de l'activité d'information des autorités ad- ministrative indépendantes. Dans ce contexte, deux situations méritent quelques développements juridiques particuliers. La première est celle dans laquelle, l'autorité rend une décision ou adopte une norme, dé- cision ou norme qui sont tellement erronées que cette action apparaît comme illicite, et qu'un dommage en résulte pour des entreprises ou des

Sur la sous-évaluation des risques de responsabilité de la Confédération pour les actions d'entités délégataires, voir HUISSOUD (2002). Voir aussi JAAG (2006) n' 233.

9 C'est ce dernier point de vue que semble adopter le Conseil fédéral dans son rap- port sur le gouvernement d'enrreprise, Conseil fédéral (2006b) p. 7839. Dans un sens analogue, SCHAERER (2002) p. 109655.

10 Voir la discussion des arguments pour et concre une protection juridique des au- torités de surveillance in RINI (2008) p. 136 ss.

II Infra notes 24 à 26.

12 ATF du 22 mars 2001 (SA.9/2000).

1

1

l

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particuliers. La question de l'illicéité des actes juridiques étatiques est ici centrale. La deuxième, qui concerne particulièrement les autorités chargées de tâches de surveillance, est celle dans laquelle l'autorité n'agit pas ou tarde à agir, alors qu'une action s'imposait, et que cette carence entraîne un dommage pour des tiers. La question cruciale est ici celle de l'illicéité par omission.

C. Les bases légales

1. Les législations générales sur la responsabilité de l'Etat

On rappellera d'emblée, que, conformément à une application classique du principe de la légalité, une responsabilité de l'Etat n'existe que si une base légale le prévoit"'. Les actions des autorités administratives indépendantes, lorsque celles-ci exercent leurs compétences d'autorité, s'inscrivent dans le cadre du droit public. Elles ne peuvent entraîner une responsabilité de ces autorités ou de la collectivité à laquelle elles sont rattachées que moyennant une base légale. A défaut, seule la res- ponsabilité personnelle des membres des autorités, selon le CO, pour- rait intervenir, à l'exclusion de toute responsabilité publique. Cette ap- proche strictement positiviste a été critiquée, d'aucuns laissant la porte ouverte à des indemnisations de la part de l'Etat fondées directement sur des droits constitutionnels 14. La question est toutefois théorique aujourd'hui, la Confédération et les cantons ayant légiféré en la ma- tière, et la responsabilité de l'Etat faisant d'ailleurs très souvent l'objet d'un ancrage constitutionnel sur le modèle de l'article 146 CstY. C'est

13 WORMLI (2010) nœ 132 et 361; ACHERMANN (2008) p. 275; Bu OB (2008) n" 559;

MAYHALL (2008) p. 207; MOOR (2002) pp. 701-702; MOOR (2001) n" 79; GROSS

(2001) p. 20; TANQUEREL (1997) p. 349; KNAPP (1991) n" 2406.

l' GROSS (2001) pp. 20 et 132 S5; FAjNOR (1987) p. 8255; très catégorique AUBERT

(2003) n" 3.

15 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101). Voir notamment les art. 73 de la Constitution du cancon de Vaud (Cst.lVD - RS/VD 101.01), 90 de la Constitution du canton de Fribourg (Cst.lFR - RS/FR 10.1), 6 de la Constitution de la République et canton de Neuchâtel (Cst.lNE - RS/NE 101),21 de la Constitution du camon du Valais (Cst.lVS - RS/VS 101.1), 57 de la Constitution de la République et cancon du jura (Cst.lJU - RS/jU 101), 71 et 111, al. 2 de la Constitution du canton de Berne (Cst.lBE - RS/BE 101.1) et 46 de la Constitution du canton de Zurich (Cst.lZH - RS/ZH 101). La Constitution de la République et canton de Genève (Cst.lGE - RS/GE A 2 00) ne comporte pour l'instant pas de disposition sur la responsabilité de l'Etat.

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donc d'abord sur la base de la loi fédérale sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires du 14 mars 1958 (LRCF) 16 et des lois cantonales régissant la responsabilité de l'Etat" - pour Genève, il s'agit de la loi sur la responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989 (LREC) " - que la responsabilité des autorités indépendantes s'examine.

2. Les règles spéciales

Les règles de responsabilité spéciales susceptibles de s'appliquer à des autorités administratives indépendantes!9 n'étaient jusqu'ici guère nom- breuses sur le plan fédéra[2O, mais certains signes récents monttent que cette situation pourrait changer.

On peut songer à l'article 78 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA) 2!, qui s'ap- plique aux corporations de droit public, aux organisations fondatrices privées et aux assureurs" en leur qualité de garants de l'activité des or- ganes d'exécution des assurances sociales". Si l'on est bien en présence ici d'administration décentralisée, il est douteux que les institutions vi- sées constituent des autorités indépendantes au sens du présent ouvrage.

Au demeurant, si l'article 78 LPGA comporte des particularités procé- durales sur lesquelles il n'y a pas lieu de s'étendre ici, il renvoie sur le fond aux règles de la LRCF, en particulier à l'article 19 LRCF pour la responsabilité subsidiaire de la Confédération.

Plus pertinent pour notre sujet apparaît l'article 80 de la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux du 15 décembre 2000 (loi

16 RS 170.32.

17 Pour un panorama, voir GROSS (2001) p. 55 S5. On remarque que tous les camons ne disposent pas d'une loi spécifique sur la responsabilité de l'Etat, la question étant parfois traitée dans la législation d'application du Code civil ou la législation sur la fonction publique.

" RS/GE A 2 40. Sur cette loi, voir TANQUEREL (1997) passim.

19 Sur les règles de responsabilité applicables à la Confédération en général autres que celles de la LRCF, voir GROSS (2001) p. 24 ss.

20 En ce qui concerne les cantons, nous n'avons pas trouvé de dispositions spéci- fiques concernant la responsabilité d'autorités administrative indépendantes. Une recherche exhaustive n'a cependant pas été possible, compte tenu de la difficulté d'identifier coutes les autorités indépendantes cantonales.

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La responsabilité des autorités administratives indépendantes

SUf les produits thérapeutiques, LPTh)22 en ce qui concerne la respon- sabilité de l'Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic), qui est incontestablement une autorité administrative indépendante. Mais sur le fond, cette disposition ne fait que rappeler des principes qui s'ap- pliqueraient de toute façon en vertu de la LRCF".

En revanche, les innovations introduites à l'arricle 19, alinéa 2 de la loi sur l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (loi sur la surveillance des marchés financiers, LFINMA) 24 et proposées pour la réforme de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 (LPP)" en ce qui concerne la future Commission de haute surveillance sur le système de prévoyance professionnelle" constituent de véritables restrictions de la responsabi- lité qui dérogent au régime de la LRCF. Ces restrictions seront analysées en détail plus loin.

II. La détermination de l'entité responsable

A. Les acteurs concernés et leurs relations

La question de la responsabilité des entités étatiques s'inscrit dans des configurations variables, au sein desquelles les relations entre les diffé- rents acteurs n'ont pas toutes la même importance ni surtout la même per- tinence en ce qui concerne les autorités administratives indépendantes.

Dans la configuration la plus simple de la responsabilité de l'Etat, trois relations doivent être réglées: la relation entre l'Etat - ou plus largement l'entité étatique - et le lésé, la relation entre l'agent auteur de l'acte dom- mageable et le lésé et la relation entre l'Etat et son agent. En pratique, sous réserve des articles 928, alinéas 1 et 3 CO (préposé au registre du commerce et ses autorités de surveillance) et 426 ss CC" (autorités de

21 RS 830.J.

22 RS 812.21-

2.1 Cf. GROSS (2003) p. 14J.

24 RS 956.1.

25 RS 831.40.

26 Voir Conseil fédéral (2007) p. 5418 et l'art. 64, al. 3 du projet de révision de la LPP (PP 2007 5439, 5446).

27 Code civil soisse du 10 décembre 1907 (RS 210).

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tutelle), qui ne concernent pas notre sujet, toutes les législations helvé- tiques sur la responsabilité de l'Etat prévoient aujourd'hui une responsa- bilité exclusive de l'Etat, le lésé n'ayant aucune action contre l'agent (par exemple art. 3, al. 3 LRCF)". Il n'est donc pas nécessaire d'examiner plus avant la relation entre l'agent et le lésé. Quant aux rapports entre l'Etat et l'agent, à savoir la question d'une éventuelle action récursoire de l'Etat contre l'agent, il n'y a pas lieu non plus de s'y attarder, car cette question ne présente pas de particularité pour les autorités administra- tives indépendantes. Dans cette première perspective, seule la relation entre l'Etat et le lésé nous intéresse donc.

Une deuxième configuration concerne plus spécialement les autorités ad- ministratives indépendantes lorsque celles-ci sont chargées de tâches de surveillance, ce qui est fréquent. Dans ce cas, une première question est celle de la légitimité du surveillé à se plaindre de son propre dommage.

Si ce dommage est dû à une action de l'autorité de surveillance, on se trouve dans une hypothèse de responsabilité classique. En revanche, si le dommage a été causé par le surveillé lui-même, celui-ci peut-il réclamer une indemnisation au motif que le dommage aurait pu être évité si la surveillance avait été plus efficace? Une seconde question est celle de la responsabilité de l'autorité de surveillance, lorsque le lésé est un tiers qui se plaint de subir un dommage en raison de la carence de la surveillance.

On est alors en présence d'un dommage indirect. Dans la triple relation qui se présente - entre le surveillant et le surveillé, entre le surveillé et le lésé et entre le surveillant et le lésé - c'est la dernière qui retiendra notre attention. A son propos, les deux questions évoquées ici seront reprises dans l'examen des conditions de la responsabilité.

Reste la configuration résultant spécifiquement de l'indépendance d'une autorité étatique. Cette indépendance doit-elle conduire à reconnaître une responsabilité propre de ladite autorité, distincte de celle de la col- lectivité à laquelle l'autorité est rattachée? Et si la réponse est positive, cette responsabilité propre exclut-elle une responsabilité de la collecti- vité? Dans ce contexte, trois formules sont envisageables: une respon-

28 HAFELIN/MOLLER/UHLMANN (2010) n" 2229; GROSS (2001) pp. 21 ss et 55 ss;

MOOR (2002) p. 714 55; l'exception d'Appenzell Rhodes Intérieures mentionnée par MOOR et GROSS n'est plus d'actualité, cf. art. 26, al. 1 de l'ordonnance sur le personnel (Personalverordmmg) du 30 novembre 1998 (RS/AI 172.310).

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sabiliré exclusive de l'autorité indépendante, une responsabilité exclusive de la collectivité et une responsabilité subsidiaire de la collectivité. A vrai dire, on pourrait aussi envisager une responsabilité solidaire de l'au- torité et de la collectivité, mais un tel système est inconnu en Suisse".

Il convient donc d'examiner d'un peu plus près les trois formules qui viennent d'être évoquées.

B. La responsabilité exclusive de l'autorité indépendante

La responsabilité, si elle est reconnue, aboutit à une obligation du res- ponsable. Pour pouvoir être sujet d'une telle obligation, il est nécessaire d'avoir la personnalité juridiqueJOSeules des autorités disposant d'une personnalité juridique propre, distincte de celle de la collectivité qui les a créées, peuvent donc être recherchées pour elles-mêmes en responsa- bilité. Si une autorité, même fonctionnellement indépendante, n'a pas la personnalité juridique, ses actes ne peuvent engager que la collectivité à laquelle cette autorité est rattachée. L'acte de l'autorité sera un acte de la collectivité.

Faut-il pour qu'une responsabilité exclusive de l'autorité indépendante soit envisageable, que CeS autorités disposent d'une autonome finan- cière? Sous l'angle de l'opportunité d'une telle solution, la réponse est certainement positive. Mais du strict point de vue juridique, il en va au- trement. Si une autorité dispose de la personnalité, donc de la capacité d'avoir des obligations propres, il n'y a pas de raison qu'elle ne puisse pas se voir imposer une obligation d'indemnisation. Il appartiendra, le cas échéant, à la collectivité de lui donner les moyens d'assumer ses obligations3lSi la collectivité ne le fait pas, elle peut s'exposer, comme d'ailleurs pour toutes les obligations de l'autorité indépendante, à la mise en cause de sa propre responsabilité. La situation des créanciers s'en trouvera compliquée. Toutefois, l'hypothèse de la création par une

29 Un cas de responsabilité solidaire pourrait se produire, en cas d'institution d'une responsabilité propre de l'autorité indépendante, si le dommage a aussi été causé par une action ou une omission de la collectivité à laquelle cette autorité est rat- tachée. Mais ce cas de figure, soit celui d'une pluralité de responsables) chacun en raison de leur propre comportement, ne pose pas de problème spécinque en ce qui concerne les autorités indépendantes et sort donc de notre sujet.

30 Ac HERMANN (2008) p. 286.

31 Dans le même sens, mais à propos de l'art. 19 LRCF, JAAG (2006) na 213.

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collectivité publique d'une autorité indépendante dotée de la personna- lité, mais sans garantie financière de sa créatrice et fonctionnant comme

"écran" pour protéger la collectivité contre d'éventuelles réclamations, est hautement improbable. C'est en effet le crédit même de la collectivité qui serait mis à mal par une telle manœuvre.

Cela étant, comme dans tout le domaine de la responsabilité étatique, le principe de la légalité s'applique. L'instauration d'une responsabilité exclusive de l'autorité requiert donc une base légale: une telle respon- sabilité doit donc, d'une part, résulter de la réglementation fédérale ou cantonale et, d'autre part, ne pas être exclue par une règle différente du droit applicable, qui prévoirait par exemple une responsabilité subsi- diaire de la collectivité.

Le modèle de la responsabilité exclusive de l'autorité indépendante est donc exclu en droit fédéral par l'article 19 LRCF, qui prévoit en ce qui concerne les institutions indépendantes de l'administration ordinaire chargées d'exécuter des tâches de droit public pour la Confédération, une responsabilité subsidiaire de cette dernière. Or, on ne voit pas quelles autorités chargées d'appliquer le droit fédéral pourraient n'être visées ni par les articles 1 et 3 LRCF (avec responsabilité directe de la Confédération) ni par l'article 19 LRCF.

En droit cantonal, ce modèle est celui qui résulte, du moins théorique- ment, du droit genevois pour les entités de droit public disposant de la personnalité juridique. L'article 9 LREC prévoit l'application des dispo- sitions de ladite loi aux corporations et établissements de droit public dotés de la personnalité. Ces entités répondent donc directement sur la base de l'article 2 LREC, sans responsabilité subsidiaire du canton ou des communes. Il en est de même en droit zurichois des organismes de droit public visés par l'article 46, alinéa 1 Cst.lZH".

Pour revenir au droit genevois, l'article 9 LREC ne s'applique pas, se- lon sa lettre claire, aux entités de droit privé auxquelles serait délégué l'exercice de la puissance publique. S'il s'agit de personnes physiques, elles doivent être considérées comme des agents au sens de l'article 2 LREC: l'Etat et les communes répondent exclusivement. Si l'entité dé- légataire est une personne morale, la question de savoir si la personne

32 Cf. BuoB (2008) 595.

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physique qui agit en son nom doit être qualifiée d'agent de la collectivité qui a délégué la tâche en cause est plus délicate. Il ne pourrait y être ré- pondu que de cas en cas, par une analyse approfondie de la base légale applicable et de la structure de la relation entre la collectivité et l'entité délégataire. Si la réponse est négative, la personne morale de droit privé répondra exclusivement en vertu du droit privé33

Cela étant la question est, en l'état, théorique. On ne voit pas qu'il existe aujourd'hui à Genève d'autorités administratives indépendantes, au sens du présent ouvrage, disposant de la personnalité juridique, qu'elles soient régies par le droit public ou le droit privé, étant rappelé que les établissements publics qui peuvent être amenés, sans que cela soit leur mission centrale, à rendre des décisions sont exclus de notre sujet.

C. La responsabilité exclusive de la collectivité

Comme nous l'avons relevé plus haut, lorsqu'une autorité administra- tive indépendante ne dispose pas de la personnalité juridique, seule la collectivité à laquelle elle est rattachée peut être sujette à une éventuelle obligation d'indemnisation. Les actes d'une autorité dépourvue de per- sonnalité juridique, même indépendante du point de vue fonctionnel, ne peuvent qu'être imputés à la collectivité qui a créé cette autorité.

Cette solution est évidente lorsque le droit applicable ne comporte pas de règle spécifique relative aux entités indépendantes de l'administration centrale, comme c'est le cas à Genève. Mais elle s'impose aussi dans l'application de l'article 19 LRCF. Comme JAAG l'a justement relevé, cette disposition ne saurait s'appliquer aux entités sans personnalité juridique.

C'était donc manifestement à tort que le Tribunal fédéral avait, dans un premier temps, considéré que l'article 19 LRCF s'appliquait à la CFB, qui ne disposait pourtant pas de la personnalité juridique". Le Tribunal fédéral est revenu ensuite sur cette jurisprudence et a jugé que, s'agissant d'actes de la CFB, c'est la Confédération qui répondait exclusivement sur la base de l'article 3 LRCF. Mais il a justifié ce revirement par le

33 La situation est différente en droit zurichois, cf. infra II, D.

34 ATF 106/1980 lb 357, 361, Banque de crédit international, se référant à l'ATF 93/19671 83, 85, Hug, qui ne traitait pas de la question de l'art. 19 LRCF.

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manque d'indépendance financière de la CFB, alors que le critère de l'absence de personnalité juridique aurait dû être déterminant.l5. Comme nous l'avons déjà relevé plus haut en reprenant l'avis deJAAG", pour ad- mettre une responsabilité propre d'une entité indépendante - que cette responsabilité soit exclusive ou simplement primaire -le critère de l'in- dépendance financière n'est pas pertinent et seul celui de la personnalité juridique est décisif.

Quel que soit le degré d'indépendance d'une autorité dans l'exercice de ses fonctions ou même dans son organisation, ses acres devront être imputés à la collectivité à laquelle elle est rattachée si cette autorité ne dispose pas de la personnalité juridique. Dans ce cas, seule une respon- sabilité exclusive de la collectivité peut entrer en ligne de compte. Une telle responsabilité pourra aussi être prévue par une base légale expresse pour les actes d'une autorité indépendante qui disposerait de la person- nalité juridique. Mais nous n'avons pas rencontré d'exemple d'une telle formule en droit suisse.

D. La responsabilité subsidiaire de la collectivité

C'est le système de l'article 19 LRCF. L'institution indépendante ré- pond en premier lieu. Si celle-ci n'est pas en mesure de réparer, alors la Confédération est responsable. Les institutions visées peuvent être aussi bien de droit public que de droit privé. L'élément déterminant est qu'elles soient chargées d'exécuter des tâches de droit public par la Confédération.

Il s'agit ici d'une véritable responsabilité «en cascade", qui découle sim- plement de l'éventuelle impossibilité pour l'institution responsable en premier lieu de faire face à ses obligations d'indemnisation. Le compor- tement propre de la Confédération - par exemple dans la manière dont elle a ou non encadré, par des directives ou une surveillance, l'institu- t!on en cause - est sans pertinenceJ7

Nous avons déjà vu, en examinant l'alternative de la responsabilité exclusive de la collectivité, que le critère principal d'indépendance au

3S ATF 116/190 lb 193, 195, Z. und Konsorten.

36 Supra II, B, spéc. note 3I.

37 GROSS (2003) pp. 141-142.

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sens de l'article 19 LRCF est la jouissance de la personnalité juridique.

Le Tribunal fédéral y ajoute celui de l'autonomie financière. Certes, il n'est pas, à la lettre, exclu d'interpréter les termes « institution indépen- dante ", qui figurent à l'article 19, alinéa 1 LRCF comme comprenant non seulement l'indépendance juridique - à savoir la jouissance de la personnalité juridique - mais aussi l'autonomie financière. Mais, si le fait que ce dernier critère n'est pas rempli conduit à exclure l'application de l'article 19 LRCF, il faudra, pour imputer directement à la Confédé- ration les actes d'une entité qui a une existence juridique distincte mais pas d'autonomie financière, recourir à la figure de l'abus de droit, en ignorant la forme juridique choisie pour ne retenir que le contrôle réel de la Confédération sur l'autorité eu cause. Comme l'application de l'ar- ticle 19 LRCF réserve l'intervention de la Confédération, ce qui garantit en définitive au lésé un débiteur solvable, il paraît préférable de s'en tenir au critère simple et pratique de la personnalité juridique.

Le modèle de l'article 19 LRCF a été repris dans certains cantons, mais avec des nuances. A Zurich, il s'applique aux délégataires privés de tâches publiques conformément à l'article 46, alinéa 2 Cst./ZH 38. A Aarau, il ne s'applique qu'aux entités indépendantes de droit public".

Pour limiter les risques de responsabilité de la Confédération, la sup- pression de la règle générale de l'article 19 LRCF a été proposée au profit de règlementations ad hoc, adaptées à chaque situation"'. Cette idée peut se comprendre dans la mesure où l'exécution de tâches de la Confédération est une notion protéiforme qui dépasse largement l'exer- cice de la puissance publique. Mais, en ce qui concerne les «autorités administratives indépendantes ", détentrices de la puissance publique, un système consistant à leur faire supporter seules les risques de res- ponsabilité pour actes illicites n'est pas adéquat. Il ne serait en effet pas admissible, selon les conceptions modernes de l'Etat de droit, qu'une collectivité disposant de la puissance publique puisse se décharger de la responsabilité liée à l'exercice de celle-ci, en fragmentant simplement la

JI! SCHWARZENBACH (2007) nO 1 .

.19 Art. 1, al. 2 de la loi argovienne sur la responsabilité du 24 mars 2009 (RS/AG 150.200), en relation avec l'art. 75, al. 2 de la Constitution du canton d'Argovie (Cst./AG - RS/AG 110.000). Cf. RÜSSLI (2009) pp. 679-680.

40 SCHAERER (2002) pp. 1098-1099.

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compétence de disposer du droit d'adopter des actes de souveraineté4' . L'argument selon lequel la Confédération ne devrait pas supporter une responsabilité dépassant le cadre de son influence sur l'autorité indé- pendante" n'est nullement déterminant, puisque ce cadre a toujours été librement défini par la législation fédérale. Dès lors, une éventuelle suppression de la responsabilité directe ou subsidiaire de la Confédé- ration - ou d'une autre collectivité - pour les actes illicites d'autorités administratives indépendantes ne pourrait se concevoir que moyennant la garantie absolue que ces autorités disposeront, le cas échéant, des moyens de faire face à leurs obligations, étant souligné que pour des entités qui assument des tâches de souveraineté, une mise en faillite n'est pas imaginable43. Il ne s'agirait alors que d'une modification de façade par rapport au régime de l'article 19 LRCF.

III. Les conditions de la responsabilité

A. Le dommage

A propos des dommages que les actions des autorités administratives in- dépendantes sont susceptibles de causer, on peut souligner trois éléments.

Compte tenu de l'activité essentiellement régulatrice et prescriptive des autorités administratives indépendantes, qui se distinguent en cela des entités chargées de l'exécution d'un service public, les dommages pou- vant en résulter sont avant tout d'ordre économique. Ce n'est guère que dans le cas de Swissmedic que l'on peut aussi imaginer des atteintes à l'intégrité.

Les dommages susceptibles d'être indemnisés en vertu de la responsa- bilité des autorités indépendantes sont directs, lorsqu'une action d'une de ces autorités vis-à-vis d'un acteur économique cause à celui-ci une perte ou un manque à gagner. Ils sont indirects, notamment dans le cas des autorités de surveillance, lorsque des tiers subissent une perte en 'raison d'une action ou, plus souvent, d'une inaction de l'autorité de surveillance à l'égard d'un acteur économique.

41 Cf. JAAG (2006) nO 232.

42 On trouve notamment cet argument chez GROSS (2003) p. 142.

43 JAAG (2006) 245.

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La responsabilité des autorités administratives indépendantes

Ces dommages peuvent se révéler extrêmement importants, à la mesure de la portée considérable que les décisions des autorités indépendantes peuvent avoir. Il suffit ici de mentionner le retrait d'autorisation d'exer- cer d'une banque ou l'autorisation de mise sur le marché d'un nouveau médicament. L'enjeu concrer de la responsabilité des autorités indépen- dantes n'est donc pas négligeable.

Pour le reste, la législation pertinente ne comporte pas, à l'inverse de ce que l'on rencontre en matière de marchés publics", de dispositions limi- tant l'étendue du dommage dont la réparation peut être demandée. Ce sont donc les règles usuelles de détermination et de calcul du dommage qui s'appliquent".

B. L'acte illicite

1. Les règles ordil1aires a. Les principes généraux

On rappellera d'abord les règles ordinaires relatives à l'illicéiré déve- loppées par le Tribunal fédéral dans le contexte de l'application de la LRCF, règles qui ont éré reprises rant par les juridictions cantonales que par le Tribunal fédéral en ce qui concerne l'application des législations cantonales.

Est considéré comme illicite l'acte comportant une lésion d'un bien pro- tégé par l'ordre juridique, soit qu'un droit absolu du lésé ait été touché, soit, dans le cas d'un préjudice patrimonial, qu'une norme protégeant l'intérêt en cause ait été violée, l'hypothèse de faits justificatifs étant réservée. La lésion d'un droit absolu est donc toujours illicite, sauf en cas de fait justificatif (par exemple une action ordonnée ou permise expressément par la loi, comme l'arrestation d'un malfaiteur)", alors que, pour d'autres dommages, il faut que le comportement de l'agent constitue une violation d'une obligation ou d'une interdiction posée par l'ordre juridique ou une violation d'un devoir de service. En d'autres

44 Voir, par exemple, l'art. 34, al. 2 de la loi fédérale sur les marchés publics du 16 dé- cembre 1994 (LMP -RS 172.056.1)

45 Sur le dommage, cf. GROSS (2001) p. 238 SS; MAYHALL (2008) p. 270 SS; WÜRMLI

(2010) n'" 282 ss et 385 SS.

46 HAFELIN/MüLLER/UHLMANN (2010) n° 2250.

1

(17)

termes, si le fait dommageable consiste en l'atteinte en un droit absolu, l'illicéité est donnée d'emblée, mais s'il consiste en une atteinte à un autre intérêt, comme le patrimoine, l'illicéité suppose que l'auteur de l'acte dommageable ait violé une norme de comportement ayant pour but de protéger l'intérêt juridique lésé".

Il n'y a pas lieu de refaire toute l'analyse de l'illicéiré en matière de res- ponsabilité de l'Etat, mais il convient de s'attarder ci-après sur quelques éléments particulièrement pertinents pour la responsabilité des autorités indépendantes.

b. L'illicéité dans la relation entre surveillant et surveillé

Les dommages potentiels pouvant résulter de l'activité des autorités ad- ministratives indépendantes étant, on l'a vu, essentiellement des préju- dices patrimoniaux, la question du champ de protection de la norme violée est cruciale". Cette question est encore plus déterminante en ce qui concerne les autorités chargées de tâches de surveillance". La juris- prudence a ainsi eu l'occasion de préciser que la surveillance des banques visait la protection des épargnants et des créanciers des banques, mais pas celle des banques elles-mêmes contre les actes de leurs organes'o. Il en résulte logiquement que l'autorité chargée de la surveillance des banques ne saurait causer illicitement un dommage à celles-ci si elle viole ses devoirs de surveillance. Dans un arrêt plus ancien, le Tribunal fédéral avait jugé que le contrôle des installations à courant fort était institué exclusivement dans l'intérêt des utilisateurs et ne visait pas à protéger les concurrents contre la mise sur le marché de produits indû- ment moins chers en raison de l'absence de contrôle".

47 ATF 133/2007 V 14,19, Commune de X; 132/2006 II 305, 318, Département fédéral des finances.

48 Pour un exemple concernant l'Institut suisse de la propriété intellectuelle, voir l'ATF du 5 décembre 2005 (2A.685/2005), c. 2.1.

" Cf. GROSS (2002) p.751.

50 ATF 106/1980 lb 357, 363, Bm'que de crédit international; 116/1990 lb 193, 196, Z. und Konsorten.

51 ATF 94/1968 1 628, 643·644, Perles Elektrowerkzettge; cet arrêt a été critiqué en doctrine au motif qu'il ignorait la violation des droits fondamentaux (liberté économique et égalité de traitement) des concurrents résultant de l'absence illicite de contrôle, cf. JAAG (2006) nO 115 et les références citées; voir aussi BuoB (2008)

n~ 643·644 et GROSS (2001) p. 176 ss. Contra MOOR (2002) p. 723, qui fonde

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La responsabilité des autorités administratives indépendantes

Il ne faudrait cependant pas déduire de la jurisprudence relative aux banques qu'une surveillance n'est jamais instituée dans l'intérêt des sur- veillés. Le Tribunal fédéral a ainsi jugé, en relation avec les difficultés financières qui avaient mis la commune de Loèche dans une situation catastrophique, que la surveillance des communes telle qu'elle existe en Valais vise notamment à protéger les communes elles-mêmes'''. Une responsabilité du canton vis-à-vis de la commune pour défaut de surveillance n'était donc pas a priori exclue". JI convient donc, pour chaque autorité de surveillance de procéder à une analyse ad hoc du but de la surveillance.

c. L'illicéité des décisions

Lorsque les autorités administratives indépendantes agissent en leur qualité d'autorité, leur action passe par des actes juridiques, décisions ou normes. Dans ce cas, la jurisprudence n'admet l'illicéité de l'acte qu'en cas d'illégalité qualifiée. Dans un arrêt qui concernait le canton de Genève, le Tribunal fédéral avait adopté la formule selon laquelle, pour qu'une décision puisse être qualifiée d'illicite, il faut une violation grave du droit, réalisée par exemple lorsque le magistrat ou l'autorité abuse de son pouvoir d'appréciation ou l'excède, lorsqu'il viole un texte clair, mé- connaît un principe général du droit, n'instruit pas un dossier correcte- ment ou agit par malveillance"'. Mais le Tribunal fédéral a aussi utilisé une formulation plus restrictive de la notion d'illicéité, insistant sur le fait qu'une décision n'était pas illicite du seul fait qu'elle se révélait plus tard injustifiée, illégale ou même arbitraire5.,. Le Tribunal fédéral a en outre repris le critère de la violation du devoir primordial de la fonction

son raisonnement sur le caractère indirect du dommage et l'inexistence d'un droit à l'égalité dans l'illégalité.

52 AH du 3 juillet 2003 (2CAI2000), c. 604; ATF du 3 juillet 2003 (2C.1I2001), c. 7.3.1; ATF du 3 juiller 2003 (2C.5/1999), c. 7.3.1; ATF du 3 juillet 2003 (2CA/1999), c. 8.3.1.

53 En l'espèce, cette responsabilité a toutefois été niée, car la faute propre de la com~

mune rompait le lien de causalité entre la violation des devoirs de l'autorité canto- nale et les dommages allégués par la commune, ATF du 3 juillet 2003 (2CAI2000), c.8.5A.

54 SJ 198733,44, Société de J'immeuble «Petite Fusterie 2» (TF, 01.07.1986).

55 ATF 120/1994 lb 248, 249, X. Y.; 118/1992 lb 163, 164, 5.; 112/1986 lb 446, 449, K.

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- parlant de «violation d'nne prescription importante des devoirs de fonction" - pour trancher la question de l'illicéité sous l'angle de la LRCP'. Dans ces circonstances, l'illicéité dépend donc de l'importance de la violation du droit 57.

Il faut encore préciser, à propos des décisions, que leur conformité au droit ne peut plus être remise en cause dans une procédure en respon- sabilité, lorsque ces décisions sont entrées en force et que le lésé avait la possibilité de les contester devant un tribunal répondant aux exigences de l'article 6 CEDH". Ce principe résulte, s'agissant de la responsabilité de la Confédération, de l'article 12 LRCF, mais il s'applique aussi dans les cantons, en vertu de différentes dispositions et même d'ailleurs sans règle spéciale".

Ces deux contraintes à la reconnaissance de l'illicéité d'une action de l'Etat ne doivent pas être confondues. La première vise à maintenir la capacité d'action de l'Etat en évitant que ses agents ne soient paralysés par la crainte de mettre en jeu la responsabilité étatique". La seconde est la conséquence logique du principe de la force de chose jugée (ou décidée) ".

d. L'illicéité en cas d'omission

Dans le cas des autorités de surveillance, l'inaction est un motif souvent allégué pour mettre en cause leur responsabilité. La question de leur éventuelle position de garant, ou autrement dit celle de la violation d'un devoir d'agir se pose dès lors avec acuité". Dans ce contexte, la juris- prudence du Tribunal fédéral a donné des signaux variables quant à la gravité exigée de cette violation. Dans les arrêts concernant la commune

56 ATF 132/2006/1 305, 318, Département fédéral des finances.

57. ATF 13312007 V 14, 19, Commune de X.

S8 Sur les exceptions au principe, cf. JAAG (200S) p. 354 S5.

" JAAG (2005) p. 353.

'0

Knapp (1991) n" 2436.

61 JAAG (2006) n" l1S;JAAG (2005) p. 354.

62 WORMLT (2010) n' 327 SS; Buon (200S) n'· 639-640; RINI (2008) p. 131;

MAYHALL (2008) p. 282; JAAG (2006) n" 98; MOOR (2002) p. 723 SS; GROSS (2001) pp. 164 et 175 ss.

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La responsabilité des autorités administratives indépendantes

de Loèche, le Tribunal fédéral avait noté qu'il fallait dans tous les cas,

«une violation essentielle des devoirs» (<< eine wesentliche Plichtverlet- zung»)63. Mais par la suite, le Tribunal fédéral a clairement indiqué qu'il suffit que les prescriptions qui déterminent la nature et l'étendue du devoir d'agir aient été violées et qu'il importe peu que l'acte omis ne constitue pas une violation essentielle d'un devoir de fonction 64.

Cela étant, comme une partie de la doctrine l'a relevé, lorsque les pres- criptions qui déterminent la nature et l'étendue du devoir d'agir laissent une large liberté d'appréciation à l'autorité, le seuil de l'illicéité en est automatiquement relevé", dès lors que seul un excès ou un abus du pou- voir d'appréciation peut être illicite et non une simple erreur d'apprécia- tion (Ermessenfehler) 66. Tel est le plus souvent le cas pour les autorités administratives indépendantes.

2. Le modèle de la LFINMA

L'article 19 LFINMA a introduit en matière de responsabilité des auto- rités une règle particulière qui, selon le Conseil fédéral, revient à «res- treindre de manière décisive les conditions dans lesquelles la respon- sabilité de l'autorité de surveillance peut être engagée »67. Une solution identique est prévue pour la future autorité de haute surveillance en matière de LPP". C'est ainsi que la responsabilité de la FIN MA et des personnes qu'elle a mandatées, qui est en principe régie par la LRCF selon l'article 19, alinéa 1 LFINMA, ne sera engagée que si celles-ci ont violé des devoirs essentiels de fonction (art. 19, al. 2, let. a LFINMA)

63 ATF du 3 juillet 2003 (2C.412000), c. 5.1.4; ATF du 3 juillet 2003 (2C.112001), c. 6.1.4; ATF du 3 juillet 2003 (2C.5/1999), c. 6.1.4; ATF du 3 juillet 2003 (2C.4/1999), c. 7.1.4.

64 ATF 13312007 V 14, ]9 et 22, Commune de X. La remarque figuranr dans les arrêts précités (note 62) ne correspond donc pas à une vraie inflexion de la juris- prudence, contrairement à ce que semblent penser SUTTER (2009) p. 569 et RINI

(2008) p. 131; relativisant à juste titre la portée de cette remarque, MAYHALL

(2008) p. 277.

6S JAAG (2006) n" 108. En matière de surveillance, cf. ACHERMANN (2008) pp. 300- 301.

66 ATF 116/1990 lb 193, 196, Z. und Kansorten.

67 Conseil fédéral (2006a) p. 2757.

6S Conseil fédéral (2007) p. 5418 et FF 2007 5439, 5446.

(21)

et si l'assujetti n'a pas causé les dommages en violant ses obligations (art. 19, al. 2, let. b LFlNMA).

Ces deux conditions sont à l'évidence, selon la logique de l'article 19, alinéa 2 LFINMA, cnmulatives. La seconde sera examinée plus loin à propos de la causalité.

S'agissant de la subordination d'une quelconque responsabilité de la FINMA à l'existence d'une violation des devoirs essentiels de fonction, le Conseil fédéral, dans son rapport sur le gouvernement d'entreprise, présente cette condition comme un simple alignement sur la jurispru- dence du Tribunal fédéral". Cette description anodine n'est pas exacte, et le Conseil fédéral lui-même avait été plus explicite dans le Message à l'appui de la LFINMA70. En effet, si la violation d'un devoir essentiel de fonction était déjà exigée par la jurisprudence pour les actes juridiques adoptés par la FlNMA, tel n'était pas le cas pour les autres comporte- ments potentiellement illicites, comme des actes matériels, des activi- tés informelles ou encore des omissions. L'article 19, alinéa 2, lettre a LFINMA étend donc à toutes les actions de la LFINMA une condition qui n'était auparavant applicable qu'à certaines d'entre elles. Il y a bien ici une restriction de la responsabilité de la FINMA par rapport aux règles générales 71 •

Cependant, la portée pratique de cette nouveauté n'est peut être pas si grande qu'il n'y paraît. En effet, comme la FINMA dispose d'une large liberté d'appréciation dans le choix d'agir ou non, ainsi que dans le choix de l'action à entreprendre, la «simple" violation de son devoir d'agir exige déjà un degré élevé de non-conformité au droit. A elle seule, la règle examinée ici ne bouleverse donc pas le régime de responsabi- lité", tout au plus laisse-t-elle une certaine marge d'erreur à la FINMA avant qu'une action outrepassant sa liberté d'appréciation n'apparaisse comme illicite".

" Conseil fédéral (2006b) p. 7840.

70 Conseil fédéral (2006.) p. 2758.

71 WÜRMLI (2010) n' 177; RINI (2008) p. 123; MAYHALL (2008) pp. 277-278;

EMMENEGGER (2006) p. 49; SUTTER (2009) p. 569; JAAG (2006) n' 119.

72 JAAG (2006) n' 120.

73 WÜRMLI (2010) n' 192 ss.

(22)

La responsabilité des autorités administratives indépendantes

C. La faute?

Il y a peu à dire sur la faute.

D'une part parce que tant la LRCF que la plupart des législations can- tonales instituent une responsabilité causale de l'Etat, indépendante du fait que l'agent ait commis ou non une faute (art. 3, al. 1 in fine LRCF), même s'il en va différemment dans le canton de Genève, qui s'en tient à une responsabilité pour faure (art. 1, al. 1 et 2, al. 1 LREC).

D'autre part, parce que les traits saillants de la notion d'illicéité telle que nous l'avons examinée plus haut tendent à estomper la distinction entre acte simplement illicite et acte illicite fautif". En effet, lorsque l'illicéité exige une violation de devoirs essentiels de fonction, comme dans le cas des décisions ou comme dans celui des toutes les actions de la FINMA, ou lorsqu'elle présuppose, comme dans le cas de l'omission, une viola- tion d'un devoir juridique d'agir comportant un excès ou un abus du pouvoir d'appréciation, on voit mal comment un comportement qui aurait ces caractéristiques pourrait encore être considéré comme non fautif, sous réserve des cas où la violation des règles applicables découle d'une mauvaise organisation qui ne peut être imputée subjectivement à une ou des personnes déterminées (OrganisationshaftungF'.

D. La causalité 1. En général

Il n'y a pas lieu de revenir ici sur tous les aspects de la causalité entre l'acte illicite et le dommage, causalité qui doit être naturelle -l'acte est la condition sine qua non du dommage - et adéquate - selon le cours ordi- naire des choses et l'expérience de la vie, l'acre esr de nature à causer le dommage ou du moins à en favoriser la survenance 76. Mais il convient, avant d'examiner la réglementation spéciale applicable à la FINMA, de mettre en évidence deux éléments plus particulièrement pertinents pour les autorités administratives indépendantes.

14 Pour une tentative de maintenÎr une distinction entre faute et illicéité, cf. WORMLI (2010) n" 297 ss.

7S WORMLI (2010) nO' 145 ss et 300; GROSS (2002) p. 751; GROSS (2001) p. 256 SS.

76 WORMLI (2010) 334 SS; MAYHALL (2008) p. 286 SS; JAAG (2006) n' 143 SS;

GROSS (2001) p. 193 SS.

(23)

Le premier élément est la difficulté posée par l'analyse de causalité en cas d'omission. On ne peut alors utiliser la formule de la condition sine qua non. Il convient de construire une causalité hypothétique consis- tant à se demander si l'accomplissement de l'acte dont on reproche à l'autorité l'omission aurait empêché la survenance du dommage. Cette causalité ne se juge pas selon une preuve stricte, mais selon le critère de la vraisemblance prépondérante". Un exemple de la difficulté de cette analyse est donné par un arrêt de 2001 dans lequel le Tribunal fédéral prend beaucoup de peine à démontrer qu'une intervention de la CFB conforme à toutes les règles n'aurait pas empêché la survenance des pertes des demandeurs 78.

Le deuxième élément se rapporte au cas où le comportement du lésé ou d'un tiers est tellement importaot dans la survenance du dommage qu'il interrompt le lien de causalité entre l'acte illicite de l'autorité et le dommage. Ce principe, qui vaut selon les règles générales sans qu'une précision législative soit nécessaire, peut conduire à exclure la respon- sabilité d'une autorité de surveillance en raison du comportement du surveillé, quand bien même celle-ci aurait violé une obligation d'agir visant à protéger ce surveillé 79. Le Tribunal fédéral en a jugé ainsi dans l'affaire de Loèche déjà évoquée80

2. Le modèle de la LFINMA

Dans le régime de la surveillance des banques et dans celui proposé pour la haute surveillance en matière de LPP, le régime de causalité est fortement altéré par la règle figurant à l'article 19, alinéa 2, lettre b LFINMA": la FINMA n'encourt aucune responsabilité si l'assujetti a causé le dommage en violant ses obligations. Cette règle va plus loin que

77 ATF 13312007 V 14,22, Commune de X.~ et la jurisprudence citée; GROSS (2001) p. 197, qui souligne le lien existant ici entre la question de la causalité et celle de l'iJlicéité sous J'angle du comportement qui pouvait être exigé de l'autorité par rap- port au bien lésé; d'un autre avis, affitmant avec raison, que la question du champ de protection de la norme relève exclusivement de l'illicéité, JAAG (2006) n') 148.

Voir aussi WÜRMLI (2010) n' 339 SS; MAYHALL (2008) pp. 288-289.

" ATF du 22 mars 2001 (5A.9/2000); RINI (2008) p. 187.

79 WORMLI (2010) n' 345 SS; MAYHALL (2008) p. 292 SS; EMMENEGGER (2006) pp. 51-52; JAAG (2006) n' 149 ss.

80 ATF du 3 juillet 2003 (2C.4/2000), c. 8.5.2 à 8.5.4.

81 Voir aussi le futur art. 64, al. 3, let. b LPP (cf. note 26).

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