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Etude expérimentale sur l’acquisition de l'ordre des mots chez les enfants de 19 mois

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Academic year: 2022

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Master

Reference

Etude expérimentale sur l'acquisition de l'ordre des mots chez les enfants de 19 mois

HYZARD, Laura

Abstract

La question de l'acquisition du langage chez le jeune enfant et plus particulièrement de la nature de la représentation de l'ordre des mots fait débat depuis de nombreuses années dans le domaine de la psycholinguistique. Il s'agit du thème de ce travail de mémoire. Deux grandes théories s'opposent. D'un côté, l'hypothèse grammaticale, qui veut que l'enfant acquiert très tôt une représentation abstraite de l'ordre des mots de sa langue maternelle, sur la base de la fixation du paramètre tête-complément. De l'autre côté, l'hypothèse lexicale voudrait que l'enfant ait une représentation lexicalisée, c'est-à-dire spécifique à chaque verbe.

Ce n'est qu'après une généralisation progressive que l'enfant aurait une représentation abstraite de l'ordre des mots, aux alentours de 3 ;6 ans. Pour répondre à cette question, nous avons mis au point une expérience utilisant le paradigme du regard préférentiel auprès de très jeunes enfants francophones de 19 mois...

HYZARD, Laura. Etude expérimentale sur l'acquisition de l'ordre des mots chez les enfants de 19 mois. Master : Univ. Genève, 2012

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:23422

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1 Maîtrise Universitaire en Logopédie

Etude expérimentale sur l’acquisition de l'ordre des mots chez les enfants de 19 mois

Laura Hyzard

Sous la direction de Dr. Julie Franck Jury : Anamaria Benta, Romy Lassotta

Août 2012

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Remerciements

Un grand merci à tous les participants, adultes et enfants, ainsi qu’aux parents de ces derniers pour leur participation et leur patience. Merci également à Julie Franck, Romy Lassotta et Akira Omaki pour leur aide précieuse tout au long de ce travail, à Milena collègue de mémoire, à toutes les personnes qui ont collaboré à cette recherche (matériel, création des vidéos).

Enfin, je tiens à adresser un grand merci à mes parents qui m’ont toujours soutenu, mon frère Pierrick, toute ma famille et à Chantal pour les nombreuses sollicitations et relectures.

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Table des matières

Abréviations ... 4

Résumé ... 5

1. Introduction ... 6

2. Partie théorique ... 7

2.1. Cadre théorique ... 7

2.1.1. Hypothèse grammaticale ... 7

2.1.2. Revue de littérature en faveur de l’hypothèse grammaticale ... 9

2.1.3. Hypothèse lexicale ... 19

2.1.4. Revue de littérature en faveur de l’hypothèse lexicale ... 20

2.2. Objectifs et pertinence de la recherche ... 30

3. Partie expérimentale ... 31

3.1. Hypothèses opérationnelles ... 31

3.2. Méthode ... 32

3.2.1. Expérience I ... 32

3.2.1.1. Participants ... 32

3.2.1.2. Matériel ... 34

3.2.1.3. Variables ... 35

3.2.1.4. Procédure ... 36

3.2.1.5. Résultats ... 40

3.2.2. Expérience II ... 41

3.2.2.1. Participants ... 41

3.2.2.2. Matériel ... 43

3.2.2.3. Variables ... 43

3.2.2.4. Procédure ... 44

3.2.2.5. Résultats ... 46

4. Discussion générale ... 48

4.1. Une représentation abstraite de l’ordre des mots ... 48

4.2. Confrontation des résultats à d’autres données empiriques ... 50

4.3. Critiques de notre expérience ... 53

4.4. Perspectives futures ... 54

5. Conclusion ... 55

6. Bibliographie ... 57

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Abréviations

S : Syntagme nominal sujet O : Syntagme nominal objet V : Syntagme verbal

SN : Syntagme nominal

WWO : Weird Word Order, paradigme de l’ordre des mots bizarre

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Résumé

La question de l’acquisition du langage chez le jeune enfant et plus particulièrement de la nature de la représentation de l’ordre des mots fait débat depuis de nombreuses années dans le domaine de la psycholinguistique. Il s’agit du thème de ce travail de mémoire. Deux grandes théories s’opposent. D’un côté, l’hypothèse grammaticale, qui veut que l’enfant acquiert très tôt une représentation abstraite de l’ordre des mots de sa langue maternelle, sur la base de la fixation du paramètre tête-complément. De l’autre côté, l’hypothèse lexicale voudrait que l’enfant ait une représentation lexicalisée, c'est-à-dire spécifique à chaque verbe. Ce n’est qu’après une généralisation progressive que l’enfant aurait une représentation abstraite de l’ordre des mots, aux alentours de 3 ;6 ans.

Pour répondre à cette question, nous avons mis au point une expérience utilisant le paradigme du regard préférentiel auprès de très jeunes enfants francophones de 19 mois.

Les enfants entendaient des phrases grammaticales (Nom Verbe Nom) ou agrammaticales (Nom Nom Verbe) dans lesquelles étaient insérés des pseudo-verbes. L’enfant était assis face à deux écrans qui diffusaient deux vidéos, l’une d’elle montrait un agent faire une action sur un patient alors que l’autre illustrait la même action avec une inversion des rôles (le patient agissait sur l’agent), pendant qu’il entendait une phrase avec un ordre des mots grammatical ou agrammatical. Les temps de regard des enfants et la direction dans laquelle ils regardaient étaient mesurés par un Eye tracker. Deux expériences ont été réalisées, dans la première les enfants étaient exposés aux deux structures (grammaticales et agrammaticales) alors que dans la seconde expérience, seule la structure grammaticale était testée, et des modifications au niveau de la procédure ont été apportées, notamment au niveau de la durée des vidéos et de la prosodie, rendue plus expressive.

Les résultats obtenus semblent montrer que les petits francophones de 19 mois ont une sensibilité à l’ordre des mots. En effet, si la première expérience n’a pas donné de résultats concluants car aucune préférence n’a été observée dans aucune des deux conditions (grammaticale ou agrammaticale), la seconde a montré que les enfants avaient une préférence pour la vidéo match dans la condition grammaticale. Ces résultats soutiennent l’hypothèse d’une représentation abstraite de l’ordre des mots à 19 mois, malgré tout ils sont à prendre avec précaution puisque la seconde expérience ne testait que

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6 la condition grammaticale, nous n’avons donc pas de comparaison avec la condition agrammaticale disponible.

1. Introduction

Ce travail de mémoire est sur l’acquisition du langage chez le jeune enfant, et plus précisément sur la représentation de l’ordre des mots et sa nature. En effet, cette question est largement débattue depuis de nombreuses années parmi les chercheurs en psycholinguistique.

Ce débat sur l’acquisition du langage voit s’opposer deux hypothèses principales. La première étant l’hypothèse grammaticale, qui veut que l’enfant acquiert très tôt une représentation grammaticale abstraite de l’ordre des mots de sa langue maternelle, basée sur la fixation du paramètre tête-complément. Ce Paramètre, qui détermine l’ordre des mots change d’une langue à l’autre mais reste stable à travers les différents constituants au sein d’une même langue. Il y a donc des langues dont l’ordre des mots est tête-complément (par exemple Verbe-Objet) comme le français et d’autres qui suivent un ordre complément- tête (par exemple Objet-Verbe) comme le japonais. Une fois ce paramètre fixé, l’enfant aurait une représentation abstraite de l’ordre des mots de sa langue maternelle. Par abstraite, nous voulons dire indépendante des items lexicaux eux-mêmes. La seconde hypothèse, qui s’oppose à cette dernière, est l’hypothèse lexicale, selon laquelle l’apprentissage initial de l’ordre des mots se met en place en se basant sur les propriétés lexicales spécifiques à chaque verbe. On observerait ensuite une généralisation progressive qui aboutirait à une représentation abstraite de l’ordre des mots plus tardive, aux alentours de 3;6 ans.

Nous nous demanderons donc si le jeune enfant de 19 mois dispose déjà d’une représentation abstraite de l’ordre des mots de sa langue maternelle. Pour ce faire, nous utiliserons le paradigme du regard préférentiel à l’aide d’un Eye Tracker (une caméra infrarouge permettant de suivre le parcours oculaire d’un sujet) qui permet de tester des enfants jeunes et qui ne nécessite pas de productions orales, associé au paradigme de l’ordre des mots bizarre (« Weird Word Order » ou WWO). Nous utiliserons des pseudo- verbes, afin de nous assurer que l’enfant n’ait aucune connaissance lexicale préalable des

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7 verbes présentés lors de l’expérience. Nous confronterons ensuite nos résultats aux deux hypothèses, afin de voir laquelle peut le mieux expliquer nos résultats et donc la nature de la représentation de l’ordre des mots chez le jeune enfant.

2. Partie théorique

2.1. Cadre théorique

L’acquisition du langage chez l’enfant se fait rapidement et sans nécessiter d’apprentissage formel. Dès la naissance, le nouveau-né a la capacité de distinguer sa langue maternelle d’une autre, à l’aide de la prosodie. A 4 mois, il est capable de reconnaitre son prénom parmi d’autres contenant le même nombre de syllabes et à 6 mois, il peut utiliser son prénom et quelques mots comme « maman » pour segmenter les mots venant après.

Aux alentours de 12 mois, il produit ses premiers mots. A partir de 15 mois, il exploite l’ordre des mots pour comprendre les phrases qu’il entend (Diop, Bernal, Margules & Christophe, 2005). Puis vers 18 mois, lorsque son lexique est composé d’une cinquantaine de mots (principalement des noms), se produit le phénomène d’explosion lexicale. Vers 24 mois, l’enfant commence à faire ses premières combinaisons de mots. En l’espace de 3 ans,

« l’enfant est un génie en grammaire » : il utilise correctement de nombreuses constructions, respecte bien souvent la plupart des règles de grammaire, ainsi que les universaux du langage et lorsqu’il se trompe, ses erreurs respectent un grand nombre de contraintes structurales de sa langue (Pinker, 1999). Pour arriver à de telles performances en si peu de temps, l’enfant doit pouvoir déceler et exploiter des indices stables et universaux de sa langue maternelle (Christophe, Nespor, Guasti & Van Ooyen, 2003).

L’ordre des mots joue un rôle primordial dans l’acquisition du langage par l’enfant.

Cependant, la nature de cette représentation soulève de nombreuses questions dans la recherche en psycholinguistique, et deux hypothèses principales proposent des prédictions divergentes présentées ci-après.

2.1.1. Hypothèse grammaticale

Selon l’hypothèse grammaticale, l’enfant aurait acquis très précocement une représentation grammaticale abstraite de l’ordre des mots de sa langue maternelle. La théorie des Principes et des Paramètres de Chomsky (1980, cité dans Rizzi, 2007) explique

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8 que la Grammaire Universelle est organisée selon un ensemble de Principes et de Paramètres. Les Principes peuvent être définis comme les propriétés invariantes des langues, et les Paramètres comme des interrupteurs fonctionnant sur un mode binaire (« marche »/ « arrêt»), qui peuvent avoir différentes variations d’une langue à l’autre. Les Principes sont communs à toutes les langues, alors que les Paramètres doivent être fixés.

Ainsi, lorsque l’enfant apprend une langue, il lui suffit de fixer les Paramètres spécifiques à sa langue maternelle sur la base des inputs qu’il reçoit de son environnement. L’ordre des mots, qui détermine la position des mots dans une phrase, fait partie de ces Paramètres. On distingue deux ordres, soit l’ordre tête-complément, comme en français, anglais et espagnol, où la tête (Verbe) précède le complément (Objet), par exemple « Le chat mange la souris » (SVO) et l’ordre complément-tête, comme en japonais ou en turc, où la tête (Verbe) suit le complément (Objet), comme par exemple « John-ga Mary-o butta » (John Marie frappa) (Rizzi, 2007). Le Paramètre de direction de la tête reste stable au sein d’une même langue à travers tous les constituants de la phrase, donc dans une langue comme le français où le verbe précède l’objet, on observe que la préposition précède le nom, qui lui-même précède son complément (Franck et al., in press). Cet ordre est totalement inversé dans les langues complément-tête.

Ce Paramètre serait fixé précocement, avant même la constitution du lexique et les premières productions des enfants. En effet, plusieurs études qui seront détaillées dans la section suivante montrent que les bébés sont sensibles aux phrases qui respectent l’ordre des mots de leur langue maternelle, sur la base d’indices prosodiques, phonologiques et de régularité. L’enfant doit donc pouvoir se reposer sur des indices stables lui permettant d’identifier l’ordre des mots de sa langue maternelle, la prosodie et la régularité distributionnelle des mots font partie de ces indices. Une fois que l’enfant a fixé ce paramètre de sa langue maternelle, il dispose d’une représentation abstraite de l’ordre des mots qui lui permet d’interpréter les phrases qu’il entend dans son environnement. En ayant fixé le paramètre de l’ordre de la tête, l’enfant francophone sait que dans sa langue l’objet suit le verbe, en conséquence, lorsqu’il entend : « Le garçon embrasse la fille » l’enfant comprend que la fille est l’objet du verbe et donc le patient de l’action.

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9 2.1.2. Revue de littérature en faveur de l’hypothèse grammaticale

De nombreuses études dans le domaine de la psycholinguistique, apportent des évidences empiriques en faveur de l’hypothèse grammaticale.

Christophe et al. (2003) montrent que des bébés de 6 à 12 semaines seulement, semblent avoir une représentation abstraite de l’ordre des mots basée sur les indices prosodiques qu’ils perçoivent dans le signal de la parole. En effet, on observe que le paramètre de direction de la tête corrèle avec ces indices prosodiques, en l’occurrence que le complément est plus proéminent que la tête, ainsi dans les langues complément-tête comme le turc, on a une proéminence prosodique du complément à gauche, alors que dans les langues tête-complément comme le français, cette proéminence prosodique du complément est à droite. Les auteurs se sont donc demandé si les bébés étaient capables d’utiliser ces informations. Pour réaliser cette expérience, ils ont utilisé le paradigme de succion non nutritive avec des bébés francophones, à qui ils ont fait écouter des phrases resynthétisées respectant les caractéristiques prosodiques du français et du turc. Ces deux langues ayant un ordre tête-complément inversé, mais toutes les autres caractéristiques prosodiques identiques (l’accentuation sur le mot final, la même structure syllabique). Les auteurs ont construit 40 paires de phrases en turc et en français en contrôlant toutes les variables phonologiques de manière à ce que le seul élément qui diffère soit la proéminence.

Pour éliminer toute autre indication phonémique, les phrases crées ont été resynthétisées avec des phonèmes du hollandais afin que toutes les phrases turques et françaises contiennent exactement les mêmes phonèmes. Avant la phase test avec les bébés, ils ont testé ces phrases auprès d’adultes francophones pour s’assurer qu’une différence était bien perçue. La tâche a été réalisée avec succès, ce qui montre que les indices prosodiques sont perceptibles par l’adulte. L’expérience a ensuite été faite avec les bébés, pendant la phase de familiarisation les bébés entendent des phrases resynthétisées en français ou en turc, puis pendant la phase test chaque bébé entend deux changements, un changement expérimental et un changement contrôle. Le changement expérimental est un changement de langue (les bébés ayant entendu le français en premier entendaient ensuite le turc et inversement) et le changement contrôle est un changement de phrases dans la même langue que la précédente. Deux scores de déshabituation sont calculés, un score de déshabituation pour la condition expérimentale, qui correspond au taux moyen de succion

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10 deux minutes après le changement moins le taux moyen de succion deux minutes avant le changement. Le même calcul est effectué pour la condition contrôle. Les résultats montrent que le taux de succion du groupe expérimental augmente plus que celui du groupe contrôle.

Christophe et al. (2003) concluent donc que les bébés français de 6 à 12 semaines font la distinction entre le turc et le français. Sur la base d’indice prosodique, les bébés sont capables de différencier deux langues dont le paramètre tête-complément est différent. Ce dernier serait alors fixé pré-lexicalement, sans aucune connaissance du lexique.

Gervain, Nespor, Mazuka, Horie et Mehler (2008), se sont intéressés à d’autres indices susceptibles d’informer les bébés sur l’ordre des mots de leur langue maternelle. Ils ont étudié la fréquence distributionnelle des mots dans la langue. Les langues contiennent différents types de mots qui varient en terme de fréquence et de position dans la phrase. On a la classe fermée des mots foncteurs (ex. articles, pronoms personnels, prépositions) qui contient peu d’éléments et qui ne tolère pas l’introduction de nouveaux items et la classe ouverte des mots à contenus (ex. noms, verbes, adjectifs) contenant beaucoup d’éléments qui peut être complétée par de nouveaux items. Les mots foncteurs apparaissent plus fréquemment que les mots à contenus. De plus, ces auteurs ont observé une corrélation entre la position des mots foncteurs et des mots à contenus et l’ordre tête-complément des langues. Dans une langue tête-complément comme l’italien, les mots foncteurs sont en position initiale et les mots à contenu en position finale, alors que c’est l’inverse dans les langues complément-tête comme le japonais. Ces indices de fréquence et de position des mots foncteurs et à contenu fourniraient donc à l’enfant des informations statistiques sur l’ordre des mots de sa langue.

Dans le but de voir si les jeunes enfants ont une représentation prélexicale de la distribution des mots foncteurs et des mots à contenus de leur langue maternelle, les auteurs ont utilisé le paradigme d’orientation du regard chez des bébés japonais et italiens de 8 mois, ces deux langues ont été choisies car leur ordre des mots respectifs étant inversé, on devrait observer des préférences opposées entre les deux groupes. Les bébés ont été exposés à une langue artificielle. Les résultats montrent effectivement que les bébés ont une préférence pour la langue artificielle qui correspond à l’ordre de leur langue maternelle. Ces résultats montrent que les bébés sont sensibles à la fréquence de distribution des mots et à

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11 leur ordre, ce qui rend plausible l’hypothèse d’un bootstrap fréquentiel permettant d’acquérir une représentation abstraite de l’ordre des mots qui serait pré-lexicale.

Une autre étude s’est intéressée à l’influence de la prosodie dans l’interprétation de l’ordre des mots chez les jeunes enfants. Une étude menée par Hofmann, Höhle et Weissenborn (2003, cité dans Bion, Höhle et Schmitz, 2007) a montré que des bébés allemands de 14 mois sont sensibles à des ordres de mots différents au sein de phrases contenant un verbe. Les enfants préfèrent des phrases suivant l’ordre Nom-Verbe (NV), par exemple : « Zeitung lesen » à des phrases d’ordre Verbe-Nom (VN), par exemple : « lesen Zeitung ». Une nouvelle recherche vise à étudier le rôle que joue la prosodie dans cette perception de l’ordre des mots chez le jeune enfant. Bion, Höhle et Schmitz (2007) ont donc répliqué l’expérience précédente en apportant quelques modifications dans les phrases présentées. Ils ont créé un conflit entre les informations prosodiques et segmentales. Les phrases NV contenaient les indices prosodiques des phrases VN et inversement, la durée et l’amplitude maximale des syllabes des phrases NV ont été remplacées par la médiane de la durée et de l’amplitude des syllabes des phrases VN. L’inverse a également été fait pour les phrases VN. Les auteurs ont utilisé le paradigme de l’orientation du regard. Le temps moyen d’écoute a été calculé et les résultats ne montrent pas de différence significative entre les phrases NV et VN, alors qu’un résultat significatif avait été trouvé dans l’expérience précédente. Il semble donc que les informations prosodiques jouent un rôle dans la perception des enfants. Cependant, ça ne semble pas être le seul élément, sinon un renversement de la préférence aurait été observé et les enfants auraient préféré l’ordre VN avec la prosodie des phrases NV. Les informations phonologiques auraient donc un rôle important.

L’enfant pourrait également tenir compte des informations morphologiques, comme certaines études l’ont montré. Dans l’expérience de Bion et al. (2007), tous les verbes étaient à l’infinitif et les mots se terminaient par « ung », ces éléments morphologiques pourraient également fournir des informations sur les catégories auxquelles appartiennent les mots de la phrase et ainsi donner des éléments sur l’ordre des mots, en plus des indices fournis par la prosodie.

A la différence des études précédemment citées qui s’intéressaient aux indices de surface (prosodiques, phonologiques, de fréquence distributionnelle, etc) qui reflètent

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12 l’ordre des mots et auxquels les enfants sont sensibles très précocement, d’autres études ont étudié la manière dont les enfants interprétaient les phrases simples.

Hirsh-Pasek & Golinkoff (1996), ont permis de montrer que dès l’âge de 14 mois les enfants sont capables d’interpréter une phrase sur la base d’une analyse en constituants. Ils se sont demandé comment les jeunes enfants interprétaient des phrases simples de quelques mots alors qu’ils ne produisent que quelques mots/des énoncés contenant un seul mot. Est-ce qu’ils se basent sur une analyse de chaque mot de manière isolée ou est-ce qu’ils utilisent une analyse en constituants (verbe-objet). Pour répondre à cette question, ils ont utilisé le paradigme du regard préférentiel intermodal auprès d’enfants anglophones de 14 mois. L’enfant entend une phrase et voit deux vidéos présentées simultanément, l’une d’elle correspond à la phrase entendue et l’autre pas. Il est assis face à un écran diffusant deux vidéos, dans l’une d’elle une femme tient une balle et embrasse des clés, et dans l’autre la femme tient les clés et embrasse la balle et entend la phrase suivante : « Hey, she’s kissing the keys ! ». Les résultats montrent que le temps de regard est significativement supérieur dans la condition où la vidéo correspond à la phrase entendue. Ces résultats montrent que l’enfant fait une analyse en constituants pour interpréter le sens de cette phrase, en effet il interprète le verbe et l’objet comme un tout, ce qui lui permet de trouver l’interprétation correcte. Sachant que dans sa langue l’objet suit le verbe, il regarde la vidéo où les clés sont l’objet du verbe. S’il ne faisait qu’une simple analyse des mots isolés, il ne pourrait pas trouver la vidéo correspondant à la phrase, car les deux vidéos contenaient les mêmes éléments. Hirsh-Pasek & Golinkoff (1996), concluent donc que ces bébés ont une bonne représentation des constituants de leur langue maternelle qui leur permet de comprendre une phrase transitive comprenant des mots familiers.

Hirsh-Pasek & Golinkoff (1996) ont réalisé une autre étude, auprès d’enfants anglophones de 17 mois. Ils se sont demandé si des jeunes enfants qui ne produisaient principalement que les mots isolés dans leur propre discours, pouvaient utiliser leurs connaissances sur l’ordre de mots de leur langue maternelle pour interpréter des phrases de 5-6 mots. Ils ont utilisé le paradigme du regard préférentiel intermodal. Ils ont présenté des phrases transitives réversibles (par exemple « Big Bird’s washing Cookie Monster », Big Bird lave Cookie Monster) aux enfants mettant en scène deux personnages (Big Bird et Cookie Monster). L’expérience débute par une phase de familiarisation, où les personnages sont

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13 présentés aux enfants avec des phrases du type : « Oh, see Cookie Monster ! There’s Cookie Monster » (Oh regarde Cookie Monster! C’est Cookie Monster). Ensuite durant la phase test, l’enfant voit une vidéo comprenant un agent, une action et un patient, seul le rôle joué par les personnages changeait. L’enfant voyait donc une vidéo où Cookie Monster lave Big Bird alors que sur l’autre Big Bird lave Cookie Monster et il entendait la phrase : « Oh ! Big Bird’s washing Cookie Monster! » (Oh! Big Bird lave Cookie Monster). Les résultats font état d’un temps de regard supérieur dans la condition où la phrase et l’image concordent, ce qui permet de dire que l’enfant interprète le syntagme nominal qui suit le verbe comme étant le patient de l’action, il aurait donc une représentation de l’ordre des mots de sa langue maternelle alors même qu’il ne produit pas encore de phrases de ce type. Cependant, lors de cette expérience l’enfant est confronté à des verbes qu’il connait bien, on ne peut dès lors pas conclure à une représentation abstraite de l’ordre des mots de sa langue maternelle comme le voudrait l’hypothèse grammaticale, puisque l’enfant pourrait avoir une représentation spécifique aux verbes présentés dans cette expérience.

Une recherche menée par Naigles en 1990, a montré que des enfants anglophones de 2 ans étaient sensibles à l’ordre des mots pour interpréter le sens de pseudo-verbes dans des phrases de structures différentes. Naigles (1990) a cherché à tester l’hypothèse du bootstrap syntaxique, proposée par Landau et Gleitman (1985). Selon cette hypothèse, les enfants exploiteraient certaines régularités présentes entre le sens d’un verbe et la structure de la phrase dans laquelle il apparait, afin d’en trouver l’interprétation correcte le plus efficacement possible. Par exemple, les verbes transitifs impliquent une relation causale, ces relations entre la syntaxe et le sens des verbes semblent suffisamment stables pour fournir des arguments à cette hypothèse. Elle a utilisé le paradigme du regard préférentiel, auprès de vingt quatre enfants anglophones de 25 mois, auxquels elle a présenté des pseudos- verbes décrivant de nouvelles actions dans des structures de phrase différentes.

L’expérience est divisée en plusieurs étapes, elle débute par une phase de familiarisation avec les personnages et le paradigme expérimental. Ensuite, lors de la phase d’apprentissage, des scènes sont présentées à l’enfant où il voit deux actions combinées avec les mêmes personnages à l’écran. Une action est causative (par exemple le canard force le lapin à pencher la tête) tandis que l’autre est non causative (par exemple le canard et le lapin font chacun le même geste de la main). Ces scènes sont accompagnées des phrases

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14 suivantes : pour la structure transitive « Look! The duck is gorping the bunny » (Regarde, le canard gorpe le lapin), pour la structure intransitive « Look! The duck and the bunny are gorping » (Regarde, le canard et le lapin gorpent). La moitié des enfants sont exposés à la structure transitive et l’autre moitié à la structure intransitive. Par la suite, lors d’une phase contrôle, l’enfant voit sur chaque écran une action différente, accompagnée de la phrase :

« Oh they’re different now » (Oh, maintenant c’est différent). Enfin, au cours de la phase test, l’enfant voit une action unique apparaitre (soit l’action causative, soit l’action non causative) accompagnée d’une phrase lui demandant de trouver l’action « gorping ». Ce pattern est répété pour chacun des 4 pseudo-verbes utilisés.

Les résultats indiquent que lorsque les enfants ont entendu la phrase transitive lors de la phase d’apprentissage ils regardent significativement plus longtemps l’action causative, alors que lorsqu’ils ont entendu la phrase intransitive ils regardent plus longtemps l’action non causative. Les résultats soutiennent l’hypothèse du bootstrap syntaxique, il semblerait en effet que la structure dans laquelle apparaisse un verbe fournisse des informations cruciales sur son sens, ou du moins sur ses référents. Ainsi, les structures transitives de type SN1-V-SN2 impliqueraient que le 1er syntagme nominal soit l’agent qui agisse sur le patient, soit le second syntagme nominal, alors que les structures intransitives de type SN1-SN2-V, impliqueraient une action réflexive des deux agents (SN1 et SN2). Dès l’âge de 25 mois, des enfants anglophones semblent être sensibles à l’ordre des mots pour interpréter le sens des verbes.

Gertner, Fisher et Eisengart (2006), ont quant à eux cherché à voir si les enfants avaient une représentation abstraite de l’ordre des mots de leur langue maternelle. Si l’enfant a une représentation de l’ordre des mots suffisamment efficace, il doit pouvoir en abstraire une représentation qu’il appliquera aux autres verbes. Pour répondre à cette question, ils ont choisi d’utiliser des pseudo-verbes que les enfants n’auront forcément jamais entendus et pour lesquels ils n’ont pas encore de connaissances lexicales préalables.

Ils ont utilisé le paradigme du regard préférentiel intermodal auprès d’enfants de 21 et 25 mois. Les enfants entendent une phrase contenant un pseudo-verbe, par exemple : « The duck is gorping the bunny ! » (Le canard gorpe le lapin) et voient deux vidéos présentées simultanément, sur l’une d’elle un lapin pousse un canard sur une charrette (mismatch), et sur l’autre un canard pousse un lapin assis sur une chaise (match). Les résultats des

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15 différentes expériences réalisées montrent que les enfants regardent plus longtemps la vidéo correspondant à la phrase décrivant la nouvelle action. Il semblerait donc que les jeunes enfants interprètent le premier syntagme nominal qui précède le pseudo-verbe d’une phrase transitive comme étant l’agent de l’action et le second qui suit le verbe comme étant le patient de l’action. Ces résultats montrent que des enfants de 21 et 25 mois ont une représentation abstraite, non spécifique au verbe (puisqu’ils étaient confrontés à des pseudo-verbes) de l’ordre des mots de leur langue maternelle et du rôle thématique des constituants de la phrase.

Dans une expérience menée auprès d’enfants anglophones de 28 et 34 mois, Fernandes, Marcus, Di Nubila et Vouloumanos (2006) ont cherché à voir si ces derniers étaient capables de lier les représentations conceptuelles et sémantiques d’une action à la représentation syntaxique de la phrase de manière générale. Pour tester cette question, ils ont mis au point une tâche de désignation par pointage dans laquelle les enfants étaient amenés à choisir quelle vidéo d’une action causale correspondait au mieux à une phrase transitive ou intransitive contenant un pseudo-verbe. Dans la condition transitive l’enfant entendait « A is kooming B », alors qu’il voyait deux vidéos, dans la première A faisait une action sur B, causant un changement d’état chez B (match), dans l’autre vidéo c’était B qui agissait sur A, causant un changement d’état sur A (mismatch). Dans la condition intransitive, l’enfant entendait « A is kooming », avec les vidéos des mêmes actions avec les mêmes personnages, cependant cette fois les vidéos match et mismatch étaient inversées.

Les résultats montrent que dans les deux conditions les enfants étaient capables de montrer la bonne vidéo. Ainsi dans la condition transitive, ils interprétaient l’agent comme étant celui qui cause un changement sur le patient, alors que dans la condition intransitive, ils interprétaient l’agent comme celui qui change d’état. La conclusion tirée par les auteurs est que les enfants auraient une représentation abstraite des catégories telles qu’agent et patient et pourraient identifier quels personnages d’une nouvelle action font référence à ces catégories. Autrement dit, les enfants sauraient associer la position préverbale à l’agent et la position postverbale au patient dans une phrase transitive. Tout comme ils associeraient la position préverbale au rôle d’agent dans une phrase intransitive. Les enfants auraient donc une représentation abstraite de l’ordre des mots et des rôles thématiques qui ne serait pas lexicalisée et spécifique aux verbes familiers.

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16 Une recherche menée par Franck & Lassotta (2012), a réanalysé quatre études (Abbot- Smith, Lieven et Tomasello., 2001 ; Akhtar, 1999 ; Matthews, Lieven, Theakston et Tomasello., 2005,2007) qui utilisaient le paradigme du WWO. Ce paradigme expérimental consiste à présenter à l’enfant une phrase agrammaticale qui décrit une action (par exemple

« Elmo the car gopping », Elmo la voiture goppe), puis à inviter l’enfant à décrire à son tour la même action réalisée par d’autres personnages, dans le but de voir si l’enfant réutilise le modèle agrammatical tel qu’on le lui a présenté ou s’il le corrige. Les résultats de ces études sont généralement interprétés comme favorables à l’hypothèse lexicale, or cette analyse critique de Franck & Lassotta (2012) a montré de manière à montrer qu’une autre interprétation de ces résultats fournissent des arguments forts en faveur de l’hypothèse grammaticale.

Premièrement, les prédictions des recherches supportant l’hypothèse lexicale opposent deux groupes d’enfants (jeunes versus âgés), sur un certain nombre d’éléments, or certaines de ces prédictions sont erronées. Tout d’abord, les auteurs s’attendent à ce que les jeunes enfants réutilisent spontanément les ordres non-SVO et ne les corrigent pas en ordre SVO contrairement aux enfants plus âgés. Le problème de cette prédiction est qu’elle ne prend pas en compte les autres raisons indépendantes de la présence de grammaire qui influencent les enfants à reproduire l’ordre entendu, tels que les facteurs socio- pragmatiques comme l’ont montré d’autres études (Chang, Kobayashi, et Amano, 2009;

Franck, Millotte et Lassotta, 2012). Ensuite, la seconde prédiction concerne l’effet de fréquence : les jeunes enfants devraient reproduire l’ordre agrammatical moins souvent avec des verbes fréquents que rares ou inconnus, puisqu’ils ont des connaissances lexicales plus fortes, alors que cet effet ne devrait pas être observé chez les plus âgés (ou dans une moindre mesure). Encore une fois, cette prédiction omet de prendre en compte les nombreux résultats dans la littérature en psycholinguistique chez les adultes qui montrent l’influence de la fréquence lexicale dans les processus langagiers. Enfin, concernant la grammaticalité, en présence d’un pseudo-verbe les jeunes enfants devraient se comporter de la même manière que le modèle présenté soit grammatical ou agrammatical, à l’inverse les enfants plus âgés devraient reproduire l’ordre grammatical. Comme pour la première prédiction, la présence de représentation grammaticale abstraite n’est pas suffisante pour que l’enfant corrige cet ordre.

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17 Deuxièmement, un autre problème soulevé dans ces études est le grand nombre de données manquantes ou de non-réponses de la part des enfants. Des analyses plus précises montrent que ces données peuvent avoir un effet important sur les résultats, et cela ne peut pas être ignoré. En effet, les effets de fréquence et d’âge dans les réponses sont drastiquement différents suivant que les données soient incluses ou exclues.

Troisièmement, les interprétations des résultats de ces recherches apportent en réalité plus de crédit à l’hypothèse grammaticale que lexicale. Concernant l’effet de l’âge dans les réponses match, il apparait que les jeunes enfants ne reproduisent pas plus l’ordre agrammatical que les plus âgés, et qu’ils ne reproduisent pas plus l’ordre agrammatical qu’ils ne le corrigent. De plus, même si les jeunes enfants modifient l’ordre agrammatical moins souvent que les plus âgés, il leur arrive de le faire, (parfois plus souvent qu’ils ne le reproduisent) et lorsqu’ils modifient cet ordre c’est toujours pour le corriger, ce qui fournit de forts arguments en faveur d’une connaissance de l’ordre des mots chez les jeunes enfants. Les résultats concernant l’effet de lexicalité sont plus irréguliers dans les quatre études, cependant il semblerait qu’il y ait une sensibilité dans les réponses mismatch mais dans les deux groupes d’âge, encore une fois, ces résultats n’illustrent pas une absence de grammaire. Concernant la grammaticalité, les jeunes enfants comme les plus âgés ne se comportent pas de la même manière avec les ordres grammaticaux et agrammaticaux, ils reproduisent plus souvent les ordres grammaticaux qu’agrammaticaux et ne modifient jamais les ordres grammaticaux. Enfin, des marqueurs de productivité sont présents dans leurs phrases grammaticales alors que ce n’est pas le cas lorsqu’ils reproduisent l’ordre agrammatical.

Alors que les résultats de ces études avaient été interprétés comme une preuve d’absence de grammaire, ces nouvelles lectures donnent un support fort à l’hypothèse grammaticale d’une représentation abstraite de l’ordre des mots chez les jeunes enfants.

A la lumière de ces nouvelles interprétations une étude de Franck, Millotte et Lassotta (2011) a cherché à répliquer l’expérience de Matthews et al., (2007), auprès d’enfants francophones, en apportant des modifications. D’une part, elles ont manipulé la grammaticalité en introduisant une condition agrammaticale en plus de la condition grammaticale. D’autre part, les phrases étaient présentées par un ordinateur (et non par l’expérimentateur) et l’enfant avait pour mission d’expliquer la scène à un zèbre en peluche

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18 aux yeux bandés, de manière à donner une pertinence et une motivation supplémentaire à l’enfant et dans le but de réduire les non-réponses. Vingt-quatre enfants francophones, divisés en 2 groupes d’âge de 2;11 et 3;11 ans ont participé à cette expérience. Quatre variables étaient manipulées : l’âge, la lexicalité (4 verbes et 4 pseudo-verbes), la grammaticalité (SVO-WWO), et la nature de l’agrammaticalité (NNV et VNN). Suite à la phase de familiarisation, l’enfant voit des petites vidéos parfois accompagnées d’une voix décrivant l’action. Lorsqu’aucune description n’est fournie, l’enfant est encouragé à expliquer l’action à son tour, pour que le zèbre puisse comprendre ce qu’il se passe.

Les résultats montrent qu’un effet de lexicalité est observé, les enfants reproduisent plus souvent la structure entendue (match) avec les verbes qu’avec les pseudo-verbes, de même qu’ils corrigent (réversions) plus souvent avec les verbes que les pseudo-verbes. Les résultats montrent également une sensibilité à la grammaticalité, les enfants reproduisent plus l’ordre grammatical que l’ordre agrammatical et lorsqu’ils transforment l’ordre agrammatical c’est toujours pour le corriger, ils ne modifient jamais l’ordre grammatical. Par contre, comme attendu, les auteurs trouvent un taux de non-réponse réduit. Il semblerait que le fait de s’adresser à une marionnette ait une influence sur les réponses des enfants. D’ailleurs ces résultats sont concordants avec ceux d’une étude de Chang et al. (2009) qui met en avant l’importance des facteurs psycho-sociaux et pragmatiques dans des tâches utilisant le paradigme WWO. En effet, il semblerait que les attentes des enfants par rapport à leur interlocuteur puissent changer les réponses observées. Chang et al. (2009) ont testé des enfants japonais de 3 et 4 ans, en faisant varier les connaissances qu’ils avaient du langage de leur interlocuteur. Soit ils devaient s’adresser à un robot qui ne comprenait que le WWO, soit il devait s’adresser à un expérimentateur qui parlait japonais et qui avait vu la scène, soit à un robot dont l’enfant savait qu’il comprenait quelques phrases en japonais. Les résultats montrent que les enfants et particulièrement les plus âgés réutilisent plus le WWO avec le robot qui ne comprend que le WWO et pour lequel ils savent qu’ils doivent utiliser cet ordre pour être compris. Les réponses WWO sont donc clairement influencées par les attentes des enfants.

Un autre résultat primordial de cette recherche repose sur le fait qu’on n’observe pas d’effet d’âge entre les deux groupes pour les conditions match et réversions, autrement dit que tous les résultats observés s’appliquent aux enfants des deux groupes d’âge. Le fait que

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19 les enfants plus jeunes se comportent comme les plus âgés (sensés avoir une représentation grammaticale) apporte des preuves importantes en faveur de l’hypothèse grammaticale, et d’une représentation abstraite de l’ordre des mots chez les jeunes enfants.

2.1.3. Hypothèse lexicale

L’hypothèse lexicale (aussi appelée constructiviste) postule que l’apprentissage de l’ordre des mots chez le jeune enfant se met en place sur la base des propriétés lexicales propres à chaque verbe. Certaines données montrent que les jeunes enfants ont tendance à utiliser un verbe particulier dans un seul type de structure. Tomasello (1992, in Tomasello, 2000) a observé dans un recueil d’échantillons de langage spontané d’une enfant que sur les 162 verbes et prédicats utilisés la moitié ne l’était que dans un seul type de construction. De même que d’autres études montrent que les jeunes enfants ne sont pas capables d’utiliser un verbe dans une autre structure que celle dans laquelle ils l’ont entendue. Ce manque de productivité de la part des jeunes enfants suggère qu’ils n’auraient pas de représentation syntaxique abstraite des verbes. Tomasello a alors développé l’hypothèse des îlots verbaux (« Verb island hypothesis »), selon laquelle le langage précoce des jeunes enfants serait organisé et structuré autour des verbes et d’autres termes prédicatifs. Ce qui veut dire que l’enfant ne possèderait pas encore une représentation abstraite de type agent-verbe-patient qu’il pourrait assimiler à tous les verbes qu’il rencontre, mais une représentation spécifique à chaque verbe de son lexique (par exemple pour le verbe « frapper », on aurait « le frappeur » et « le frappé »). Ainsi avant 3 ans, les enfants n’auraient pas de représentations abstraites, celles-ci n’apparaitraient que plus tardivement, aux alentours de 3;6 ou 4 ans, et c’est suivant un processus graduel qu’ils arriveraient à généraliser leurs connaissances verbe après verbe, en s’appuyant sur un usage répété. Tomasello décrit 3 niveaux d’analogie qui permettraient d’arriver à ce niveau de représentations abstraites : un premier niveau d’analogie concernerait le stock d’îlots verbaux. Suite à une exposition répétée d’énoncés contenant un certain verbe, l’enfant construirait une représentation en îlot de ce verbe.

Viendrait ensuite, un second niveau d’analogie qui sur la base d’un grand nombre d’îlots similaires à celui du verbe en question permettrait à l’enfant de se créer une représentation d’une structure transitive simple. Enfin, un troisième et dernier niveau d’analogie, qui sur la base des constructions simples obtenues au second niveau permettrait aux enfants plus âgés de créer des constructions linguistiques abstraites plus complexes et d’un niveau plus élevé.

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20 Ces niveaux d’analogie sont donc permis par une exposition répétée et se mettraient en place progressivement.

En d’autres termes, l’hypothèse lexicale stipule que l’apprentissage de l’ordre des mots se développe en suivant une trajectoire développementale. Partant de représentations spécifique à chaque verbe, l’enfant parviendrait suite à différents processus d’analogie à généraliser ces représentations aux différents verbes qu’il rencontre. Vers 3;6 ans, il aurait donc une représentation abstraite de l’ordre des mots de sa langue maternelle.

2.1.4. Revue de littérature en faveur de l’hypothèse lexicale

La plupart des résultats qui apportent des arguments en faveur de l’hypothèse lexicale ont été obtenus en utilisant le paradigme de l’ordre des mots bizarre (WWO). Généralement, ces études opposent des enfants d’âges différents et font varier la fréquence lexicale du verbe, en utilisant des verbes plus ou moins fréquents et des pseudo-verbes. En effet, selon l’hypothèse lexicale, les enfants plus jeunes devraient réutiliser plus facilement le modèle agrammatical, par rapport aux plus âgés qui eux sont sensés avoir acquis une représentation abstraite de l’ordre des mots de leur langue. De plus, on devrait observer un effet de lexicalité, les jeunes enfants devraient réutiliser le modèle agrammatical avec les pseudo- verbes ou des verbes peu fréquents pour lesquels ils n’ont pas de représentation abstraite, mais pas avec les verbes qui leur sont familiers.

Suivant ce paradigme, Akhtar (1999) s’est intéressée à l’apprentissage de pseudo- verbes par des petits anglophones de 2;8, 3;6 et 4;4 ans. Elle leur a présenté 3 pseudo- verbes décrivant 3 nouvelles actions où un agent animé agissait sur un patient inanimé.

Chaque pseudo-verbe était modelé dans un ordre différent, pour un pseudo-verbe il s’agissait d’un ordre grammatical et canonique de l’anglais (SVO, « Elmo dacking the car », Elmo dack la voiture), pour les deux autres il s’agissait d’un ordre agrammatical et non canonique de l’anglais (SOV, « Elmo the car gopping », Elmo la voiture goppe et VSO,

« Tamming Elmo the car », Tamme Elmo la voiture). Les prédictions en lien avec l’hypothèse lexicale étaient les suivantes : les plus jeunes enfants devraient réutiliser spontanément les ordres non-SVO dans la mesure où ils n’ont pas acquis de représentation abstraite de l’ordre des mots de leur langue maternelle, alors qu’à l’inverse, les enfants plus âgés devraient ignorer ces ordres non-SVO et les corriger par l’ordre grammatical de l’anglais.

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21 Comme attendu, les résultats montrent que lorsque l’ordre SVO est présenté, il est reproduit par tous les enfants. Toujours conformément aux attentes, les enfants de 4 ans produisent l’ordre grammatical SVO de l’anglais, quelque soit l’ordre dans lequel les pseudo- verbes ont été modelés par l’expérimentateur. Les résultats des groupes d’enfants de 2 et 3 ans montrent des tendances qui ne sont pas en adéquation avec l’hypothèse forte des îlots verbaux, en effet, les plus jeunes enfants corrigent les ordres non-SVO en ordre grammatical autant qu’ils les réutilisent. Cependant, une condition contrôle a montré que ces mêmes enfants de 2 et 3 ans corrigeaient systématiquement un ordre agrammatical contenant un verbe familier, en ordre grammatical de leur langue maternelle. Ces résultats supportent l’hypothèse d’une connaissance générale de l’ordre des mots qui se mettrait en place graduellement. Les enfants de 2 et 3 ans n’ont pas suffisamment de connaissances pour corriger des ordres non-SVO avec des verbes inconnus comme les enfants de 4 ans le font, ils peuvent cependant corriger cet ordre agrammatical avec des verbes familiers pour lesquels ils ont acquis une représentation spécifique. Ce n’est que lorsqu’ils auront rencontré suffisamment d’exemples qu’ils pourront généraliser ces patterns.

Abbot-Smith et al. (2001) ont adapté l’expérience d’Akhtar (1999) pour qu’elle puisse être proposée à des enfants plus jeunes, d’une moyenne d’âge de 2;4 ans. A cet âge-là, les enfants produisent des énoncés de deux mots, leur adaptation consistait donc à utiliser des phrases intransitives avec un seul argument. Deux groupes d’enfants anglophones âgés de 2;4 ans et 3;9 ans ont participé à cette expérience qui comportait une condition expérimentale et deux conditions contrôle. Lors de la condition expérimentale les enfants entendaient un pseudo-verbe dans une structure agrammaticale (Verbe-Sujet, « Meeked the duck »). Les auteurs s’attendaient à ce que les enfants de 2 ans ne corrigent pas cet ordre agrammatical en ordre grammatical et canonique de l’anglais (Sujet-Verbe) puisqu’à cet âge- là ils n’ont pas de connaissances suffisamment fortes de l’ordre canonique de leur langue maternelle, contrairement aux enfants de 3 ans qui devraient corriger plus souvent cet ordre. Dans la première condition contrôle, les enfants entendent un pseudo-verbe dans une structure grammaticale (SV, « The cow baffed »). Cette fois, les auteurs s’attendaient à ce que les enfants réutilisent le pseudo-verbe dans la structure dans laquelle ils l’ont entendu, donc dans l’ordre grammatical SV. Enfin, durant la deuxième condition contrôle, les enfants entendent un verbe familier (jump) dans une structure agrammaticale (VS, « Jumped the

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22 horse »). D’après les auteurs, dans cette condition, les enfants de 2 ans devraient corriger l’ordre agrammatical en ordre grammatical, dans la mesure où c’est un verbe qui leur est familier et pour lequel ils devraient avoir une représentation spécifique de ce verbe dans un ordre SV.

Les résultats étaient conformes aux attentes des auteurs. En effet, les enfants de 2 ans ont corrigé plus souvent l’ordre agrammatical avec un verbe familier, qu’avec un verbe inconnu. Ce qui veut dire que les enfants de 2 ans ont une représentation spécifique de l’ordre grammatical d’un verbe présent dans leur lexique et qu’ils ont rencontré un grand nombre de fois, alors que ce n’est pas le cas pour un verbe qu’ils n’ont jamais rencontré auparavant. Lorsque les enfants de 2 ans sont exposés à un pseudo-verbe ils ont tendance à le réutiliser dans la structure dans laquelle ils l’ont entendue, qu’elle soit grammaticale ou agrammaticale. Les enfants de 3 ans, quant à eux corrigent plus souvent l’ordre non canonique (que ça soit avec un verbe familier ou inconnu) en ordre canonique et grammatical SV de l’anglais.

A la lumière de ces résultats, qui montrent que les enfants de 3;9 ans corrigent un ordre non canonique en ordre canonique en moyenne 66% du temps, alors que ce résultat chute à 21% pour les enfants de 2;4 ans, et en tenant compte des résultats de l’étude d’Akhtar (1999) dans laquelle les enfants de 2;8 ans corrigent un ordre agrammatical en ordre grammatical dans 50% des cas, alors que les enfants de 4;4 ans corrigent ce même ordre agrammatical en ordre SVO dans 96% des cas, les auteurs concluent à un développement graduel des représentations de l’ordre des mots chez l’enfant entre 2;4 ans et 4;4 ans. Ces résultats ne veulent pas dire que les enfants de 2 ans n’ont aucune connaissance de l’ordre canonique de l’anglais, mais simplement que ces connaissances ne sont pas assez fortes pour surpasser leur tendance à reproduire un énoncé contenant un verbe inconnu dans la même construction que celle dans laquelle ils l’ont entendue.

En partant des observations d’Akhtar (1999) et d’Abbot-Smith et al. (2001) qui montraient que les enfants se comportaient différemment en fonction de la fréquence lexicale des verbes, dans le paradigme du WWO. En l’occurrence que les enfants corrigent plus facilement un ordre agrammatical en ordre grammatical avec des verbes familiers qu’avec des verbes inconnus, Matthews et al. (2005) ont voulu tester l’influence de la fréquence des verbes sur l’acquisition (et l’utilisation) de l’ordre des mots en anglais auprès

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23 d’enfants anglophones de 2;9 ans et 3;9. Les enfants étaient exposés à trois groupes de verbes de fréquences différentes : des verbes de haute fréquence (push, pull, throw, wipe), des verbes de moyenne fréquence (shove, drag, flip, rub) et des verbes de basse fréquence (ram, tug, hud, dab). Les verbes de haute fréquence étaient considérés comme des verbes familiers des enfants alors que les verbes de basse fréquence se rapprochaient des verbes inconnus des expériences précédentes utilisant des pseudo-verbes. Ces verbes étaient insérés dans des phrases agrammaticales de type SOV. Matthews et al. (2005), ont émis l’hypothèse que les jeunes enfants devraient reproduire l’ordre SOV plus souvent avec les verbes de basse fréquence et corriger en ordre grammatical SVO plus souvent avec des verbes de haute fréquence. Les enfants de 3 ans de leur côté, devraient corriger plus souvent l’ordre agrammatical quelque soit la fréquence des verbes. L’expérience s’est déroulé en suivant le paradigme du WWO.

Les résultats ont montré que les enfants de 2 ans reproduisaient l’ordre des mots agrammatical (SOV) en fonction de la fréquence des verbes. Ainsi, les petits réutilisaient l’ordre modelé plus souvent avec les verbes de basse fréquence (47% des réponses) qu’avec les verbes de haute fréquence (0% des réponses). Ils ont observé que cet effet de fréquence était considérablement réduit chez les enfants de 3 ans, bien que plus efficaces avec les verbes de haute fréquence, ils avaient tendance à corriger l’ordre agrammatical en ordre grammatical indépendamment de la fréquence des verbes présentés. Les réponses des jeunes enfants ont également montré des différences en fonction du nombre d’arguments utilisé avec les verbes. En effet, les résultats ont montré qu’avec des verbes de basse fréquence les enfants reproduisaient l’ordre agrammatical ou le corrigeaient avec un à deux arguments, alors qu’avec ceux de moyenne fréquence ils corrigeaient l’ordre agrammatical avec un seul argument (souvent le sujet) et qu’avec ceux de haute fréquence ils corrigeaient l’ordre agrammatical et utilisaient 2 arguments (sujet et objet).

Pour les auteurs ces résultats sont consistants avec l’hypothèse lexicale, qui voudrait que l’acquisition de l’ordre des mots soit graduelle et renforcée par l’expérience. L’effet de fréquence observé chez les jeunes enfants montrerait qu’ils n’ont pas de représentation abstraite des verbes qu’ils pourraient assimiler à chaque verbe rencontré comme le font les enfants de 3 ans, mais une connaissance spécifique aux verbes présents dans leur lexique et qu’ils ont rencontré un grand nombre de fois. Le résultat observé sur l’usage des arguments renforce ce point de vue, en effet en fonction de la fréquence des verbes les enfants ont une

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24 représentation plus précise de la construction de la phrase transitive qui à force d’expérience deviendra une représentation abstraite.

Olguin et Tomasello (1993) ont étudié la nature et le développement de la productivité des structures grammaticales employées par les enfants, et plus particulièrement par rapport à la structure transitive. Un groupe d’enfant de 25 mois a été exposé à huit nouveaux verbes insérés dans des phrases transitives selon quatre types de structure, soit le verbe était présenté seul, sans argument (ex. « Oh look ! Gaffing ! »), soit il était accompagné d’un seul argument, l’agent (ex. « See that ? Ernie’s chamming !») ou le patient (« Look ! Mibbing Cookie Monster ! »), soit il était présenté avec les deux arguments (ex. « See ? Ernie’s kooging Cookie Monster »). Ces huit pseudo-verbes illustraient tous des actions transitives et réversibles, dans lesquelles un personnage (l’agent) faisait quelque chose à un autre personnage (le patient). L’intérêt des chercheurs était de voir comment les enfants allaient se comporter dans leurs productions spontanées avec ces verbes et dans quelle configuration ils allaient devenir productifs. Leurs attentes allaient dans le sens de l’hypothèse lexicale qui avance que les enfants de cet âge ont tendance à être conservateurs, par conséquent ils s’attendaient à ce que chaque enfant utilise les différents verbes dans la structure dans laquelle ils l’avaient entendue et ne fassent pas de généralisation. Les enfants ont été exposés à ces différentes structures contenant des pseudo-verbes lors de sessions de jeu durant plusieurs semaines. L’enfant était exposé aux différents types de phrases pour commencer, puis durant la phase test, l’expérimentateur plaçait deux personnages devant l’enfant et lui demandait de réaliser l’action cible. La phrase était modelé deux fois, d’abord sous forme de question, puis sous forme d’ordre (ex.

« Can you make Mickey Mouse gorp Ernie ? Make Mickey Mouse gorp Ernie »).

Les résultats de cette expérience ont effectivement montré que les enfants avaient tendance à être conservateurs en ce qui concerne la position des arguments, ils plaçaient significativement plus souvent un argument dans la position dans laquelle ils l’avaient entendu modelé pour un verbe particulier. De plus, lorsqu’ils exprimaient un argument dans une position pour laquelle ils n’avaient rien entendu modelé, ils le plaçaient en position préverbale. Les enfants avaient tendance à correctement exprimer les arguments dans leurs propres productions s’ils les avaient entendu modelé pour un verbe particulier (95%), mais pas lorsqu’ils ne les avaient pas entendu modelé, dans ce cas leurs performances ne

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25 dépassaient pas le seuil de la chance (45%). En l’absence d’indice (dans la condition « sans argument ») les enfants préféraient la position préverbale quelque soit l’argument qu’ils voulaient exprimer (agent ou patient), dans ce cas ils exprimaient le patient dans une position non grammaticale de l’anglais. Lorsqu’ils avaient entendu un seul argument modelé par l’expérimentateur (dans les conditions « agent seul » ou « patient seul »), les enfants avaient tendance à suivre la structure modelée. Lorsque les enfants ont entendu un argument modelé dans la même position que celle qu’ils voulaient exprimer ils ont fait des phrases correctes systématiquement. A l’inverse, lorsque les enfants ont entendu modelé un argument qui était différent de celui qu’ils voulaient exprimer, leurs productions n’étaient presque jamais correctes, lorsqu’ils voulaient exprimer l’agent et qu’ils n’avaient entendu que le patient modelé, ils marquaient l’agent de manière incorrecte 7 fois sur 8, alors qu’à l’inverse, quand ils n’avaient entendu modelé que l’agent, ils n’exprimaient jamais le patient que ça soit en position pré ou postverbale. Enfin, lorsque les deux arguments étaient présentés, les enfants marquaient l’agent de manière inconsistante (3 fois en position préverbale, soit 60% du temps et 2 fois en position postverbale, soit 40%) alors qu’ils marquaient correctement le patient (100% en position postverbale). En termes de connaissances syntaxiques de la structure argumentale du verbe, les enfants de 25 mois ne montrent pas de connaissance générale. Pour marquer les arguments les enfants sont largement dépendants de la structure qu’ils ont entendue avec un verbe particulier. Ces résultats suggèrent donc que des enfants de cet âge ont une représentation de la structure des verbes organisée de manière spécifique, rattachée à ce qu’ils entendent.

En reprenant la méthodologie de Matthews et al. (2005), Matthews et al. (2007) se sont intéressés aux connaissances de l’ordre des mots chez les enfants francophones. Le français étant une langue qui contient un certain nombre de caractéristiques qui peuvent avoir une influence sur l’ordre des mots (ex. les objets clitiques ou les dislocations), il serait intéressant de voir si les petits francophones ont les mêmes performances que les petits anglophones ou si ces différences rendent l’acquisition de l’ordre des mots plus longue et difficile. Des enfants de 2;10 ans et 3 ans ont participé à cette expérience. En suivant le paradigme du WWO, les enfants étaient confrontés à quatre verbes de haute fréquence (pousser, tirer, frapper et embrasser) et quatre verbes de basse fréquence (percuter, haler,

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26 tapoter et enlacer) insérés dans des phrases qui suivaient un ordre non canonique du français (soit SOV, soit VSO).

Les résultats montrent un effet de fréquence semblable à celui observé chez les petits anglophones. Les enfants avaient tendance à plus corriger l’ordre agrammatical en ordre grammatical avec des verbes de haute fréquence que de basse fréquence, et ils réutilisaient l’ordre agrammatical plus souvent avec les verbes de basse fréquence.

Autrement dit, à mesure que la fréquence des verbes augmente les enfants sont mieux équipés pour donner une réponse grammaticale contenant les deux arguments. D’autres résultats ont montré une différence dans l’utilisation des objets entre les petits francophones et les petits anglophones, en effet les petits francophones n’expriment généralement pas d’objet quand ils corrigent le WWO, alors que les petits anglophones le font avec un objet lexical et occasionnellement un pronom. Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que les verbes « pousser » et « tirer » peuvent être utilisés de manière intransitive en français. Ces résultats sont consistants avec l’hypothèse que la distribution des objets en français rend leur acquisition plus difficile. Cependant cette étude n’a pas répliqué d’effet d’âge, généralement trouvé dans les autres études, les enfants de 3 ans montrent également une tendance à être influencés par la fréquence des verbes présentés.

Pour les auteurs, ces résultats sont dans la lignée des résultats donnés en faveur de l’hypothèse lexicale, les connaissances grammaticales des petits francophones ne sont pas abstraites et généralisées à tous les verbes, mais spécifiques à chaque item. Ce n’est que sur la base d’un usage répété que les enfants arrivent à créer une représentation abstraite. Le fait que les enfants francophones de 3 ans soient sensibles à la fréquence des verbes dans cette expérience alors qu’à cet âge-là les petits anglophones ne le sont pas, peut être expliqué par le fait que la structure transitive des verbes français est plus complexe. De ce fait, cette structure prendrait plus de temps à être renforcée et la généralisation serait acquise plus tardivement pour les enfants francophones.

Chan, Meints, Lieven et Tomasello (2010) ont étudié la compréhension de l’ordre des mots de l’anglais chez des jeunes enfants. Dans la littérature, deux techniques sont généralement utilisées pour tester la compréhension de l’ordre des mots. D’un côté, on a une tâche dite d’ « act out», utilisée par Akhtar et Tomasello (1997, in Chan et al, 2010) dans laquelle les enfants sont amenés à réaliser une nouvelle action correspondant à un pseudo-

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27 verbe avec des personnages. Les résultats d’Akhtar et Tomasello (1997) ont montré que les enfants plus jeunes (de moins de 3 ans) ont des performances qui ne dépassent pas le seuil de la chance dans ce type de tâche, contrairement aux enfants plus âgés qui sont très performants. L’autre procédé généralement utilisé est le paradigme du regard préférentiel dans lequel les enfants sont installés face à deux écrans qui diffusent chacun une vidéo différente, pendant qu’ils entendent une phrase qui décrit une seule des vidéos, la question est de savoir quel écran sera préféré par l’enfant. Plusieurs résultats décrits dans la section précédente (Hirsch-Pasek & Golinkoff, 1996 ; Naigles, 1990 ; Gertner et al, 2006) suggèrent un âge plus précoce pour la compréhension de l’ordre des mots en anglais.

Les auteurs de la présente étude visent à résoudre les différences entre ces résultats en utilisant les deux méthodes avec les mêmes enfants de 3 âges différents. En utilisant deux méthodes convergentes qui visent à prouver la même compétence les auteurs espèrent déterminer plus précisément les connaissances des enfants sur l’ordre canonique de l’anglais en compréhension. Les enfants ayant participé à cette expérience sont divisés en trois groupes d’âge, de 2 ans, 2;9 ans et 3;5 ans. Deux sets de 3 verbes contenant un verbe familier et deux pseudo-verbes ont été créés pour chacune des expériences, le premier groupe était composé des items : meek, tam et push. Alors que le second groupe d’items comprenait : gorp, pilk et kick.

Chacun de ces enfants a participé aux deux tâches.

La tâche d’act out était composée de 3 phases, une première phase d’introduction des personnages et du verbe, sans indice syntaxique sur l’agent et le patient : « Look ! This is verb-ing ». La seconde phase était un entraînement où l’expérimentateur dit à l’enfant que c’est à son tour de réaliser l’action. Enfin, lors de la phase test, l’enfant était incité à réaliser l’action d’une structure SVO contenant un pseudo-verbe : « Look ! The A is verb-ing the B!

Can you do that? ». Puis la tâche du regard préférentiel, était également composée de 3 phases, constituées de 6 essais. Le verbe était présenté à l’enfant sur l’écran, ensuite la même action était présentée avec la phrase « Look ! verb-ing ! ». Une phrase d’entraînement était ensuite présentée. Et enfin, lors de la phase test l’enfant était invité à regarder l’action qui correspondait à ce qu’il voyait sur un écran « Look ! The X is verb-ing Y ».

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