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Confrontation des résultats à d’autres données empiriques

4. Discussion générale

4.2. Confrontation des résultats à d’autres données empiriques

Une expérience menée par Gertner et al. (2006) a permis de montrer que des petits anglophones de 21 et 25 mois avaient une représentation abstraite de l’ordre des mots de leur langue maternelle. Pour rappel, en utilisant le paradigme du regard préférentiel, les enfants entendaient une phrase contenant un pseudo-verbe (ex. « The duck is gorping the bunny », le canard gorpe le lapin) et voyaient deux vidéos présentées simultanément, sur l’une d’elle le lapin poussait le canard et sur l’autre le canard poussait le lapin. Les résultats ont montré que les enfants regardaient plus longtemps la vidéo cible et donc interprétaient le premier syntagme nominal qui précède le pseudo-verbe comme étant l’agent, et le second postverbal comme étant le patient.

Lors de notre première expérience, nous ne répliquons pas ces résultats auprès d’enfants francophones de 19 mois. Cependant la vidéo de notre première expérience était plus courte que celle de Gertner et al. (2006), les enfants n’ont peut-être pas disposé de suffisamment de temps pour exprimer une préférence vers l’une ou l’autre des vidéos, d’autant plus qu’ils étaient plus jeunes. Lors de notre seconde expérience, avec un allongement du temps de présentation des vidéos et des amorces temporelles nous obtenons une sensibilité à la vidéo cible dans la condition grammaticale. Il semblerait donc

51 qu’à 19 mois les enfants aient une représentation abstraite de l’ordre des mots de leur langue maternelle qui nécessite plus de temps pour s’exprimer.

Une précédente étude menée auprès d’enfants francophones de 19 mois et utilisant le paradigme du regard préférentiel avec un eye tracker a montré que des enfants de cet âge, avaient une représentation abstraite de l’ordre des mots. Dans cette expérience menée par Franck, Millotte, Posada et Rizzi (in press), les enfants étaient exposés à des phrases grammaticales de type NVN contenant un pseudo-verbe (ex. « Le chien poune l’âne ») et des phrases agrammaticales de type NNV (ex. « Le chien l’âne poune ») alors qu’ils voyaient des vidéos d’une action causative, où un chien mettait une passoire sur la tête d’un âne, ou d’une d’action non causative, où le chien et l’âne se mettaient une passoire sur la tête.

Les résultats ont montré que les enfants préféraient regarder la vidéo illustrant une action causative lorsqu’ils entendaient une phrase transitive. Ces résultats vont dans le sens de l’hypothèse grammaticale, et fournissent des arguments qui permettent de dire que des enfants si jeunes ont tendance à interpréter le 2ème syntagme nominal lorsqu’il est en position postverbale dans une structure NVN comme étant le patient de l’action mais également que le 2ème syntagme nominal lorsqu’il est en position préverbale dans une structure NNV n’est pas interprété comme le patient de l’action.

Notre première expérience menée sur une population d’enfants similaire avec une modification au niveau des vidéos présentées (causative versus causative renversée) ne réplique pas les résultats obtenus par Franck et al. (in press). Une interprétation pourrait être que les enfants de 19 mois ont une représentation abstraite de la structure d’un verbe transitif et sauraient que ça implique une action causative où un agent fait une action sur un patient cependant lorsque les deux vidéos illustrent une action causative la décision serait plus difficile et nécessiterait plus de temps ou des représentations plus fines de l’ordre des mots que des enfants de 19 mois n’auraient pas totalement acquises. En effet, si Gertner et al. (2006) obtiennent des résultats significatifs d’une préférence vers la vidéo cible c’est avec des enfants légèrement plus âgés (21 et 25 mois). Lors de notre seconde expérience, avec un allongement du temps de présentation des vidéos nous obtenons une sensibilité à la vidéo cible dans la condition grammaticale. Il semblerait donc qu’à 19 mois les enfants aient une représentation abstraite de l’ordre des mots de leur langue maternelle qui s’exprime plus ou

52 moins facilement en fonction de divers paramètres liés à la procédure expérimentale. Ainsi, lorsqu’ils disposent d’un peu plus de temps, d’amorces temporelles permettant d’anticiper ce qu’ils vont voir et de phrases avec une prosodie plus stimulante, les enfants dès 19 mois montrent qu’ils ont une représentation abstraite de l’ordre des mots.

Dans une étude testant des enfants germanophones de 21 mois, Dittmar et al. (2008) ont cherché à voir si ces enfants avaient les mêmes performances que celles observées par Gertner et al. (2006). Dittmar et al. (2008) ont en effet, remis en cause les résultats obtenus par ces auteurs et plus spécifiquement le rôle joué par la phase de familiarisation qu’ils ne jugeaient pas suffisamment neutre et qui selon eux, aurait pu influencer les résultats en fournissant des informations syntaxiques sur le rôle thématique des personnages et la position argumentale des syntagmes nominaux dans la phrase. En effet dans cette expérience, durant la phase d’entrainement les enfants entendaient une phrase transitive, mettant en scène les mêmes personnages et dans les mêmes positions que durant la phase test qui suivait. Selon ces auteurs, les enfants n’auraient donc pas de représentation abstraite de l’ordre des mots comme le soutient l’hypothèse grammaticale mais bel et bien une représentation lexicalisée des verbes, acquise au cours de la phase de familiarisation.

Dittmar et al. (2008) ont donc répliqué l’expérience de Gertner et al. (2006) en apportant des modifications dans la phase de familiarisation pour la rendre plus neutre. Les résultats ont montré qu’avec la phase de familiarisation neutre les enfants ne montraient pas de préférence pour la condition grammaticale par rapport à la condition agrammaticale.

De plus, même avec la phase de familiarisation semblable à celle de Gertner et al. (2006), seul le second pseudo-verbe dans la dernière fenêtre temporelle montrait des résultats significatifs. Les auteurs ont donc conclu à une représentation lexicalisée du verbe grâce à la phase de familiarisation, en insistant sur le fait que les enfants avaient besoin d’une phase d’apprentissage pour obtenir des résultats dans cette expérience.

Dans notre expérience, comme dans celle de Dittmar et al. (2008) la phase de familiarisation était neutre (ex. « Tu as vu? Qu’est-ce qui se passe ? »). Les résultats de la première expérience répliquent ceux de Dittmar. Cependant, la seconde expérience ne confirme pas cette tendance et semble montrer une préférence pour la vidéo où l’agent fait une action sur le patient dans la condition grammaticale, dès la 11ème seconde du premier

53 pseudo-verbe sur une durée de 2 secondes. Ces résultats vont donc contre l’hypothèse d’apprentissage avancée par Dittmar et al. (2008). De plus, toujours contrairement à leurs résultats nous observons tout de même une préférence dans la condition grammaticale avec une phase de familiarisation neutre. Par conséquent nos résultats montrent que ce n’est pas la phase de familiarisation qui fait office de phase d’apprentissage et permettrait aux enfants d’obtenir des indices qui leur permet de créer une représentation lexicalisée du verbe, puisqu’ils sont capables en l’absence de ces indices de montrer une préférence pour la vidéo cible et ce, dès les premiers items. Les enfants arrivent à des performances sur la base d’une représentation abstraite de l’ordre des mots.

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