• Aucun résultat trouvé

L'expert médical et la causalité

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "L'expert médical et la causalité"

Copied!
39
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

L'expert médical et la causalité

DUCOR, Philippe

DUCOR, Philippe. L'expert médical et la causalité. In: Chappuis, Christine ; Winiger, Bénédict.

Les causes du dommage : Journée de la responsabilité civile 2006 . Genève : Schulthess, 2007. p. 179-216

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41683

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

L’expert médical et la causalité

Philippe Ducor

*

Table des matières

I. Introduction 179

II. Cadre général 181

A. Responsabilité civile et pratique médicale 181

B. Causalité 182

1. Causalité naturelle 183

2. Causalité adéquate 18

III. Examen de la causalité hors faute médicale : accidents 187

A. Accident et séquelles somatiques 187

B. Accident et séquelles douloureuses et/ou psychologiques 190 IV. Examen de la causalité en fonction du type de faute médicale 193

A. Commission 193

B. Défaut de consentement 197

C. Omission ou retard 203

1. D’une mesure d’organisation 204

2. D’un acte médical 20

V. Théorie de la perte d’une chance : une chance ? 210

VI. Conclusion 21

I. Introduction

L’examen de la causalité en responsabilité civile est un exercice contrasté.

Evident lorsque l’état de fait met en œuvre des évènements reliés entre eux par une logique immédiatement perceptible, il peut se révéler épineux dans d’autres cas, notamment lorsque la chaîne causale est longue ou lorsque l’acte prétendument causal précède une évolution défavorable – un préjudice – qui aurait également pu survenir spontanément. Depuis presque un siècle, la doc­

trine et la jurisprudence suisses ont développé la théorie de la causalité natu­

relle et adéquate, visant à distinguer ce qui relève du fait – élément souvent établi par expertise – et ce qui relève du droit, domaine réservé du juge. Ces

* Professeur associé à la Faculté de droit de Genève, avocat, médecin spécialiste FMH en méde- cine interne.

(3)

notions utiles au plan conceptuel et procédural sont parfois difficiles à appli­

quer aux situations de la vie réelle, notamment en cas d’omission ou lorsque la relation entre l’acte générateur de responsabilité et le préjudice subséquent ne repose sur aucun substrat (physique, médical) objectivement démontrable.

Dans les cas de responsabilité pour faute médicale, l’analyse part néces­

sairement du préjudice subi par le patient, pour « remonter » jusqu’au pré­

sumé manquement à la diligence du médecin, ledit manquement étant par définition relié au préjudice par la relation de causalité, voire défini par elle1. Dans ces circonstances, l’analyse de la causalité est le plus souvent menée conjointement avec celle du manquement à la diligence du médecin, et les deux tendent à se confondre : on pense analyser la relation de causalité, et on se surprend à examiner la faute médicale. Eu égard au caractère émi­

nemment technique de la pratique médicale, l’expert médical joue un rôle central dans l’établissement de la faute médicale, mais souvent également dans l’évaluation de la causalité entre la faute médicale et le préjudice subi par le patient.

Après un exposé du cadre général de la responsabilité civile en matière médicale et des notions de causalité naturelle et adéquate telles que déve­

loppées par la doctrine et la jurisprudence suisses (II), la présente contribu­

tion examine le rôle de l’expert médical dans l’évaluation de la causalité en matière de responsabilité civile, au travers de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral. On aborde en premier lieu les situations où un préjudice d’ordre médical est causé par un accident sans relation avec une quelconque intervention médicale, ce qui permet d’éviter l’écueil d’une analyse conjointe de la causalité et de la faute médicale (III). On verra que l’analyse diffère se­

lon que le préjudice est objectivable (atteinte à l’intégrité physique) (A) ou non objectivable (atteinte psychique, états douloureux) (B). L’analyse de la causalité et le rôle de l’expert dans les situations typiques de responsabilité civile médicale sont ensuite discutées (IV), selon que l’acte dommageable est effectué par commission (A), par défaut de consentement à l’acte médical (B) ou par omission (C). Il apparaît en effet que le rôle de l’expert médical et les difficultés rencontrées lors de l’analyse de la causalité varient significative­

ment selon les situations. Une brève discussion de la théorie de la perte d’une chance, que d’aucuns considèrent comme une solution aux problèmes de cau­

salité notamment dans le domaine de la responsabilité civile médicale, clôt le propos (V).

1 Exemple : après une intervention chirurgicale sur la glande thyroïde, le patient constate une mo- dification de sa phonation (voix bitonale). L’analyse consiste à « remonter » du préjudice subi (voix bitonale) jusqu’à l’acte médical présumé fautif susceptible de l’avoir causé (lésion du nerf vague récurrent lors de la chirurgie).

(4)

II. Cadre général

A. Responsabilité civile et pratique médicale

Les règles générales de la responsabilité civile, qu’elle soit contractuelle ou extra­contractuelle, restent pleinement applicables à la pratique médicale. Il en va de même lorsque la relation thérapeutique est régie par le droit public cantonal, par exemple lorsque les soins sont prodigués au sein d’un hôpital public : le droit cantonal renvoie généralement aux règles du Code des Obli­

gations appliquées à titre de droit public cantonal supplétif.

Quelle qu’en soit la source – contractuelle, extra­contractuelle ou de droit public – l’obligation de réparer du médecin naît d’un manquement de ce der­

nier à la diligence objectivement requise par les circonstances.

Lorsque la relation thérapeutique se place dans un cadre contractuel, il s’agit le plus souvent d’un « contrat de soin » soumis aux règles du mandat (art. 394 ss CO). Cette qualification signifie que le médecin s’oblige à déployer toute la diligence objectivement requise par les circonstances pour le traite­

ment du patient. Son obligation est une obligation de moyens et, sauf circons­

tances particulières, non de résultat. Il en découle que le médecin ne viole pas le contrat lorsqu’il n’obtient pas le résultat thérapeutique escompté ; il le viole lorsqu’il ne fait pas preuve de la diligence objectivement requise. Dans ces circonstances, la violation du contrat de soins se confond avec la faute du médecin, car le médecin convaincu d’un manquement à la diligence serait bien emprunté d’apporter la preuve libératoire de l’article 97 CO, à savoir que son manquement à la diligence ne résulte pas d’une faute de sa part2.

Lorsque la relation thérapeutique est régie par les règles de la responsa­

bilité extra­contractuelle, l’acte illicite réside dans le fait pour le médecin de ne pas avoir déployé la diligence objectivement requise par les circonstances.

Ici également, la faute est absorbée par la définition même de l’acte illicite : le médecin peu diligent est également fautif3. Il en va de même lorsque la rela­

tion thérapeutique est régie par les règles du droit public cantonal4.

2 Il s’agit de la faute « objectivée », largement acceptée notamment à l’égard des professions libé- rales. Pour une discussion convaincante des aspects objectifs et subjectifs de la faute, voir Werro Franz, Les fondements de la responsabilité civile : quoi de neuf ? in Quelques questions fondamen- tales du droit de la responsabilité civile : actualités et perspectives, Colloque du droit de la respon- sabilité civile 2001, Université de Fribourg, Berne 2002, p. 15 ss, spéc. p. 22-27. Voir aussi Guillod Olivier, Responsabilité médicale : de la faute objectivée à l’absence de faute, Journée de la res- ponsabilité civile 2002, Université de Genève, Genève 2003, p. 155 ss, et Thévenoz Luc, Commen- taire Romand du Code des Obligations I, Genève, Bâle, Munich 2003, ad art. 41, no 91, p. 287.

3 Dans les situations où le médecin n’a pas recueilli le consentement éclairé du patient à l’acte mé- dical, l’acte illicite est analysé comme le fait de porter atteinte à la personnalité du patient sans motif justificatif. Il s’agit d’un manquement à la diligence particulier, distingué des autres cas surtout en raison des conséquences procédurales – notamment de fardeau de la preuve – qu’il engendre. Voir ci-dessous partie IV B.

4 Voir p. ex. TF, 4P.110/2003, c. 2.1 et 2.2 in fine.

(5)

Il découle de ce qui précède que l’une des distinctions classiques entre responsabilité contractuelle de l’article 97 CO (la faute est alors présumée) et extra­contractuelle de l’article 41 CO (le lésé doit prouver la faute du respon­

sable) est sans portée pratique en matière de responsabilité médicale : la source de l’obligation de réparer du médecin provient invariablement d’un manque­

ment de celui­ci à la diligence objectivement requise par les circonstances, 6. Dans les pages qui suivent, les termes « manquement à la diligence requise » ou

« faute médicale » seront utilisés indifféremment pour décrire le fait générateur de responsabilité en matière médicale, lequel peut consister en une action ou en une omission.

Les deux autres conditions de la responsabilité civile, à savoir le préjudice et la relation de causalité entre ce dernier et le manquement à la diligence requise, sont également communes aux différentes formes de responsabilité.

Conformément à l’article 8 CC, le lésé doit apporter la preuve de ces trois élé­

ments : manquement à la diligence requise, préjudice et relation de causalité naturelle et adéquate entre les deux7.

B. Causalité

L’obligation de réparer ne naît que lorsque la faute médicale (action ou omis­

sion) est en relation de causalité avec le préjudice. La relation de causalité doit exister non seulement sur le plan de la logique (l’acte X est­il la cause sine qua non du préjudice Y ? – causalité naturelle), mais également sur le plan norma­

tif (au vu du but de la norme appliquée, est­il équitable d’imputer le préjudice Y à l’auteur de l’acte X ? – causalité adéquate)8.

5 Voir aussi Guillod Olivier, La responsabilité civile des médecins : un mouvement de pendule, in La responsabilità del medico e del personale sanitario fondata sul diritto pubblico, civile e penale, Lugano 1989, p. 64-65 et Werro Franz, La responsabilité civile médicale : vers une dé- rive à l’américaine ?, in La responsabilité médicale, Cahier no 2 de l’Institut de Droit de la Santé, Neuchâtel 1996.

6 L’autre distinction classique entre responsabilité contractuelle et extra-contractuelle persiste : prescription décennale de l’art. 127 CO dans le premier cas, prescription annale de l’art. 60 CO dans le second.

7 Cette répartition du fardeau est souvent considérée comme défavorable au lésé, qui le plus sou- vent n’a pas de connaissances médicales particulières. Les développements de la doctrine et de la jurisprudence suisses en matière de responsabilité civile médicale de ces deux dernières décennies ont apporté un tempérament à cette situation, notamment par un accès facilité du patient au dossier médical et par une exigence accrue en matière de consentement éclairé, dont la preuve doit être apportée par le médecin. Voir ci-dessous partie IV B.

8 Pour un exposé des notions de causalité naturelle et adéquate avec casuistique correspondante, le lecteur est renvoyé aux ouvrages classiques de deschenaux Henri et Tercier Pierre, La res- ponsabilité civile, 2e édition, Berne 1982, p. 52-65 et de Werro Franz, La responsabilité civile, Berne 2005, p. 45-58.

(6)

1. Causalité naturelle

L’acte X et le préjudice Y sont en relation de causalité naturelle lorsque le pré­

judice Y ne se serait pas produit si l’acte X n’avait pas été commis. En d’autres termes, X et Y sont en relation de causalité naturelle lorsque X est la condi­

tion nécessaire – conditio sine qua non – de Y. Il existe un lien logique entre les deux, X étant la cause efficiente de Y.

Exemple : Un papillon remue ses ailes au Brésil. Il s’ensuit une turbulence locale qui, par le truchement de la mécanique des fluides et de phéno­

mènes météorologiques concomitants, déclenche une réaction en chaîne aboutissant à un ouragan dévastateur en un point éloigné du globe ter­

restre. Le battement d’aile du papillon brésilien est en relation de causa­

lité naturelle avec l’ouragan.

La causalité naturelle est une relation transitive. Dès lors, la longueur d’une chaîne de causalités naturelles n’interrompt pas la causalité naturelle entre le premier évènement et le dernier. Si X est en relation de causalité na­

turelle avec Y et Y est en relation de causalité naturelle avec Z, alors X est également est en relation de causalité naturelle avec Z9.

L’acte causal générateur de responsabilité – la faute médicale – peut consis­

ter en une action ou en une omission. Dans ce dernier cas, le médecin avait l’obligation d’agir et ne l’a pas fait. L’analyse de la causalité revient dès lors à comparer deux scénarios : (a) les évènements tels qu’ils se sont effective­

ment déroulés et (b) les évènements tels qu’ils se seraient déroulés si le mé­

decin avait agi conformément à ses obligations. S’il est établi que l’action du médecin aurait permis d’éviter le préjudice (i.e. les deux scénarios divergent significativement sur ce point), on parle de lien de « causalité hypothétique » entre l’omission du médecin et le préjudice. A l’inverse, s’il est établi que l’ac­

tion du médecin n’aurait pas évité la survenance du préjudice (i.e. les deux scénarios sont identiques ou similaires sur ce point), l’omission du médecin n’a pas causé le préjudice10. Le médecin ayant violé ses obligations sans que le préjudice survenu par la suite ne puisse lui être imputé, on parle de « com­

portement de substitution licite »11.

La causalité naturelle est une question de fait, qui doit être prouvée par le lésé (art. 8 CC). Le degré de preuve de causalité naturelle exigé par le Tri­

bunal fédéral semble varier quelque peu, à tout le moins si l’on en juge par la

9 Voir deschenaux Henri et Tercier Pierre, La responsabilité civile, 2e édition, Berne 1982, p. 54, no 8, et TF, 5C.125/2003, SJ 2004 I 407-413, c. 3.1. Cet arrêt est discuté ci-dessous, partie III A.

10 La causalité d’une omission se prête mal à la distinction entre causalité naturelle et adéquate.

Voir ci-dessous partie IV C 2.

11 Voir dans ce recueil la contribution du professeur Franz Werro consacrée au comportement de substitution licite.

(7)

terminologie fluctuante utilisée. Il apparaît néanmoins qu’un degré de vrai­

semblance prépondérante (supérieure à 0%) est au minimum exigé12 :

« Les exigences quant à la preuve du rapport de causalité naturelle dans le droit de la responsabilité du détenteur d’un véhicule automobile sont les mêmes que celles du reste du droit en matière de réparation du dommage.

Dans ces deux domaines, le lésé n’a pas à prouver avec une exactitude scien­

tifique le lien de causalité entre l’évènement dommageable et l’accident. Le TF a toujours rejeté ce point de vue qui placerait le lésé devant des exigences souvent excessives. On ne peut lui demander de prouver toujours la causa­

lité de manière absolue. La certitude de l’existence d’un évènement dont la preuve doit être rapportée au juge n’équivaut pas à l’exclusion absolue de toute autre possibilité. Il suffit que le juge, dans le cas où, de par la nature des choses, une preuve directe est impossible, ait la conviction qu’une probabi­

lité prépondérante existe en faveur du lien de causalité. Il en va autrement lorsque, en raison des circonstances, il existe d’autres possibilités autant si­

non plus vraisemblables que la cause invoquée. »13

Il en découle que la causalité naturelle est considérée comme prouvée à satisfaction lorsque la cause présumée a causé le préjudice avec une probabi­

lité dépassant les 0%14.

Comme déjà relevé, dans les domaines techniques tels que la médecine le recours à l’expertise est fréquent, non seulement en ce qui concerne l’établis­

sement du manquement à la diligence mais également en ce qui concerne la causalité naturelle. Ce sera notamment le cas lorsqu’il s’agira d’évaluer la cau­

salité d’une faute médicale (qu’il s’agisse d’un acte ou d’une omission) sur un état pathologique donné, dont l’évolution est toujours aléatoire à un certain degré. Le juge pourra toutefois également s’aider d’autres moyens de preuve qui, sans avoir valeur d’expertise, ont une valeur probante intrinsèque. On pense notamment aux témoignages de médecins impliqués à divers degrés dans l’affaire (autre qu’en qualité de défendeur), ainsi qu’aux conclusions d’expertises extrajudiciaires FMH, lesquelles sont rendues préalablement à la procédure judiciaire dans un nombre croissant de cas1. L’expertise FMH se

12 Certains auteurs – dont Franz Werro – considèrent que le degré de vraisemblance exigé varie selon le type de préjudice. Pour les autres, le degré de preuve de la causalité est toujours fixé au niveau de la vraisemblance prépondérante. Pour un recensement des opinions de doctrine, voir Bieri Laurent, La responsabilité du mandataire proportionnelle à la causalité : une perspective économique, Revue de Droit Suisse, Vol. 125 (2006) I, Heft 4, p. 515-530, note 2 p. 515-516.

13 ATF 107 II 269, c. 1b, JdT 1971 I 446, 448, cité et partiellement retraduit dans Thévenoz Luc, La perte d’une chance et sa réparation, in Colloque du droit de la responsabilité civile 2001, Univer- sité de Fribourg, Berne 2002, p. 237, 251.

14 Il convient de relever que l’avant-projet de révision de la responsabilité civile de 1999 permet au juge de se contenter d’une « vraisemblance convaincante », et de fixer l’étendue de la réparation d’après le degré de vraisemblance (art. 56d APRC). Voir ci-dessous partie V.

15 Les expertises extrajudiciaires FMH sont organisées par la Fédération des Médecins Suisses (FMH), organisation médicale faîtière dans notre pays. Elles sont ouvertes à tout patient pré- sumant l’existence d’une faute diagnostique ou thérapeutique, que ce soit en milieu privé ou

(8)

prononçant tant sur l’existence de la faute médicale que sur le lien de causa­

lité, il est intéressant de constater que les questions de causalité sont détermi­

nantes dans un nombre significatif de cas :

« Les cas dans lesquels les experts constatent certes une faute, mais pas de rapport de causalité entre celle­ci et le dommage, sont relativement nom­

breux. … Pour 200, la causalité entre la faute constatée et le dommage a été clairement reconnue, ou reconnue comme étant très probable pour une bonne moitié des dossiers terminés. Dans l’autre petite moitié toutefois, la causalité a été rejetée ou considérée uniquement comme possible. »16

A l’instar des autres questions de fait, la causalité naturelle ne peut être revue par le Tribunal fédéral (qu’il s’agisse du recours en réforme ou du nou­

veau recours en matière civile), sauf lorsque la juridiction inférieure a ignoré le concept même de causalité naturelle, auquel cas on est face à une violation du droit fédéral librement revue par le Tribunal fédéral (cf. art. 97 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral)17.

2. Causalité adéquate

En regard de la multitude des causes et des enchaînements improbables sus­

ceptibles de mener à un préjudice, la causalité naturelle appliquée isolément peut se révéler exagérément sévère pour le responsable. La théorie de la cau­

salité adéquate permet d’apporter un tempérament aux rigueurs de la causa­

lité naturelle, en posant une limite juridique à l’obligation de réparer. Selon la formule consacrée, constitue la cause adéquate d’un préjudice :

« … tout fait qui, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience gé­

nérale de la vie, était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, en sorte que la survenance de ce résultat paraît de façon générale favorisée par le fait en question. »18

Lors de son analyse de la causalité adéquate, le juge doit procéder à un

« pronostic rétrospectif objectif » :

« … se plaçant au terme de la chaîne des causes, il lui appartient de remonter du dommage dont la réparation est demandée au chef de responsabilité invo­

qué et de déterminer si, dans le cours normal des choses et selon l’expérience

public. Tout médecin membre de la FMH est tenu de se soumettre à la procédure d’expertise. Voir le Règlement du bureau d’expertises de la FMH concernant l’expertise extrajudiciaire de cas de responsabilité civile du médecin du 1er février 2002, Bulletin des médecins suisses, 2002 ; 823 : no 4, p. 137-142.

16 Rapport annuel 2005 du Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH, Bulletin des médecins suisses, 2006 ; 87 : Nr. 27/28, p. 1251-1254.

17 Pour un exemple, voir TF, 5C.125/2003, SJ 2004 I 407-413, c. 3.4. Cet arrêt est discuté ci-dessous, partie III A.

18 ATF 123 III 464, c. 3a, JdT 1997, 791-797, ainsi que de nombreuses autres décisions du Tribunal fédéral.

(9)

générale de la vie humaine, une telle conséquence demeure dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles. »19

Peu importe que le préjudice qui s’est effectivement produit ait été sub­

jectivement prévisible par l’auteur : seule est déterminante sa prévisibilité objective.

Exemple : une personne se rafraichit à Genève à l’aide d’un éventail et dé­

clenche un ouragan au Tessin (de la même manière que le papillon de l’exemple précédent). L’acte de cette personne est certes en relation de causalité naturelle avec l’ouragan. Il apparaîtrait pourtant sévère de lui imputer le préjudice résultant de l’ouragan. L’examen de la causalité adé­

quate permet de le confirmer : il n’est pas conforme au cours ordinaire des choses et à l’expérience de la vie qu’un battement d’éventail entraîne un ouragan à distance, ni que les ouragans soient de façon générale favorisés par les battements d’éventail. En d’autres termes, l’ouragan n’entre pas dans le cercle des évènements objectivement prévisibles suite à l’acte de s’éventer. Ce dernier n’est ainsi pas en relation de causalité adéquate avec le préjudice, lequel n’est partant pas juridiquement imputable à l’auteur.

La causalité adéquate est une question de droit, librement revue par le Tribunal fédéral. Elle implique un jugement de valeur opéré par le juge, le­

quel exerce son pouvoir d’appréciation en tenant compte des principes du droit et de l’équité (art. 4 CC). Ce faisant, le juge tient compte du but de la norme applicable au cas concret, et notamment de ses objectifs de politique juridique : est­il encore équitable, en regard du but de la norme, d’imputer le préjudice à l’auteur de l’acte causal ?

Il en découle que le contenu matériel de la notion de causalité adéquate – utilisée dans des domaines juridiques aussi divers que la responsabilité ci­

vile, le droit pénal, l’expropriation ou les assurances sociales20 – peut varier selon le domaine concerné et les objectifs de politique juridique de la norme considérée. En particulier, la notion de causalité adéquate du droit de la res­

ponsabilité civile n’est pas identique à celle utilisée en droit des assurances sociales (notamment LAA), même si la formulation utilisée par le Tribunal fédéral et le Tribunal fédéral des assurances pour la définir est la même. En effet, le droit de la responsabilité civile permet de tenir compte de circons­

tances aboutissant à la diminution de l’indemnité (notamment les articles 42 à 44 CO), ce que ne permet pas le principe du « tout­ou­rien » de l’article 36 al. 2 LAA. Ainsi, un même état de fait peut constituer une cause adéquate en responsabilité civile et être considéré inadéquat au regard de la LAA21.

19 ATF 119 Ib 334, 345.

20 Voir deschenaux Henri et Tercier Pierre, La responsabilité civile, 2e édition, Berne 1982, p. 53, no 4.

21 ATF 123 III 464, JdT 1997, 791-797.

(10)

La causalité adéquate étant une question de droit, elle appartient au do­

maine réservé du juge. Le Tribunal fédéral le répète de façon presque incanta­

toire : « L’existence d’un rapport de causalité adéquate doit être appréciée sous l’angle juridique ; elle doit être tranchée par le juge seul, et non par les experts médicaux. »22 Il tance parfois les experts médicaux (ou les juridictions inférieures les ayant suivis) lorsqu’ils s’aventurent trop loin sur le terrain juridique : « … le tribu- nal ne saurait se fonder sur l’opinion exprimée par un expert lorsqu’elle répond à une question de droit. »23 Il n’en reste pas moins que selon la formule consa­

crée par le Tribunal fédéral, la causalité adéquate est appréciée en se fondant sur le « cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie ». Lorsque cette expérience se réfère à des évènements de la vie courante ou à des ressorts psychologiques communs de l’espèce humaine, le juge peut exercer « seul » son jugement de valeur et trancher la question de la causalité adéquate. Il en va toutefois différemment lorsque le « cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie » se réfère à des processus pathologiques complexes se dérou­

lant au sein l’organisme du lésé, ainsi qu’il sera exposé ci­dessous.

III. Examen de la causalité hors faute médicale : accidents

Les accidents ayant entraîné une atteinte à sa santé (lésion corporelle ou psy­

chique) méritent d’être traités à part, car l’analyse de la causalité est alors ef­

fectuée indépendamment de toute analyse de la faute médicale. Il est dès lors plus aisé de circonscrire les questions relatives à la causalité sur lesquelles l’expert est sollicité.

A. Accident et séquelles somatiques

Les accidents ayant provoqué directement des lésions corporelles ne posent habituellement pas de difficultés particulières en matière de causalité, que ce soit en droit de la responsabilité civile ou des assurances sociales (notam­

ment LAA). La mécanique et la biomécanique de l’accident permettent le plus souvent de le mettre en relation logique avec les lésions constatées.

Lorsque la chaîne causale se rallonge, la relation entre l’accident et la lé­

sion corporelle subséquente devient plus ténue, et l’analyse de la causalité

22 TF, 5C. 156/2003, c. 3.2.

23 ATF 130 I 337, c. 5.4.1, JdT 2005 I 95, 103.

(11)

peut devenir plus difficile. Une décision du Tribunal fédéral de 2003 l’illustre bien24 :

Lors d’un accident de la circulation survenu en 1990, Monsieur K. su­

bit une fracture compliquée de la jambe gauche. En 1998, il subit une inter­

vention chirurgicale visant à lui implanter une prothèse totale du genou gauche, rendue nécessaire en raison des séquelles fonctionnelles importantes de l’accident de 1990. Dans les suites de l’intervention chirurgicale de 1998, Monsieur K. subit un accident vasculaire au nerf optique de l’œil droit, com­

plication peu fréquente mais bien décrite des interventions chirurgicales orthopédiques. Se basant essentiellement sur les déclarations de médecins témoins dans la procédure, la Cour de justice du canton de Genève avait considéré que l’accident de 1990 était en relation de causalité naturelle avec l’intervention chirurgicale de 1998, et que cette dernière était également en relation de causalité naturelle avec l’accident vasculaire. Toutefois, la Cour avait nié qu’il existait une relation de causalité naturelle entre l’accident de 1990 et l’accident vasculaire : selon elle, l’intervention chirurgicale de 1998 constituait une cause dépassante par rapport à l’accident de 1990, lequel re­

présentait une cause dépassée. Dans sa décision sur recours en réforme, le Tribunal fédéral a rejeté cette thèse, affirmant qu’il s’agissait non pas d’un cas de causalité dépassée, mais de causalité indirecte (où le fait initial ne pro­

duit pas lui­même le dommage, mais donne naissance aux conditions dont le dommage est le résultat final). La Cour de justice avait dès lors méconnu le concept même de causalité naturelle, et partant violé le droit fédéral. Le Tri­

bunal fédéral a rappelé le caractère transitif de la causalité naturelle, à savoir que s’il était établi que l’accident de 1990 était la cause naturelle de l’inter­

vention chirurgicale de 1998, et que cette dernière était la cause naturelle de l’accident vasculaire, alors l’accident de 1990 était nécessairement en relation de causalité naturelle avec l’accident vasculaire2.

Relativement à la causalité adéquate, le Tribunal fédéral rappelle que

« … pour qu’une cause soit généralement propre à avoir des effets du genre de ceux qui se sont produits, il n’est pas nécessaire qu’un tel résultat doive se produire régulièrement ou fréquemment. … Si un évènement est en soi propre à provoquer un effet du genre de celui qui s’est produit, même des conséquences singulières, c’est­à­dire extraordinaires peuvent constituer des conséquences adéquates de l’accident. »26

Les termes « régulièrement » et « extraordinaires » utilisés par le Tribunal fé­

déral méritent d’être précisés. En effet, si la cause est propre à entraîner les

24 TF, 5C.125/2003, SJ 2004 I 407-413.

25 Sur la transitivité de la causalité naturelle, voir ci-dessus partie II B 1 et les références men- tionnées.

26 Ibid., c. 4.2.

(12)

effets considérés, ces derniers – mêmes rares – doivent nécessairement surve­

nir avec une certaine régularité ; le terme « régulièrement » doit ainsi être com­

pris comme synonyme de « fréquemment ». Le même raisonnement s’applique au terme « extraordinaire », lequel doit être compris comme « extraordinaire » aux yeux du profane, mais non à ceux de l’expert27.

En l’espèce, fort des éléments de fait apportés par un témoin médecin, le Tribunal fédéral conclut qu’il existait un rapport de causalité adéquate entre l’accident de 1990 et l’accident vasculaire cérébral :

« En l’espèce, la cour cantonale a retenu, suivant le témoignage du Dr Y., que le genre d’accident vasculaire subi par la demanderesse, bien que rare, était tout à fait explicable en chirurgie orthopédique, les opérations de chirurgie orthopédique étant souvent la cause de thromboses. Cela étant, on ne saurait dire que l’accident vasculaire subi par la demanderesse au nerf optique de son œil droit présentait un caractère si exceptionnel qu’il sortait du champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles : il n’était au contraire pas hautement improbable, d’après le cours ordinaire des choses et l’expé­

rience de la vie, qu’un tel accident se produise par suite de l’opération de chirurgie orthopédique qui était la conséquence directe et objectivement prévisible de l’accident de la circulation de 1990. »28

On peut ainsi constater que dans cette affaire de causalité « pure », les professionnels de la médecine29 ont joué un rôle tant dans l’établissement de la causalité naturelle (à l’exception de la transitivité, caractéristique juridique rappelée par le juge) que dans l’établissement des faits permettant d’apprécier la causalité adéquate. Les juges ont néanmoins joué le rôle principal pour ce dernier élément, estimant qu’il était encore approprié, en regard du but de la norme, d’imputer l’accident vasculaire consécutif à la chirurgie de 1998 au responsable de l’accident30 survenu huit ans plus tôt, lequel a rendu ladite chirurgie nécessaire31.

En raison du caractère cumulatif des conditions de causalité naturelle et adéquate, l’expert médical (au sens large) joue un rôle primordial lorsque la causalité naturelle n’est pas donnée, car l’examen par le juge de la causalité

27 Le Tribunal fédéral l’énonce lui-même dans l’affaire du barrage de Zeuzier, ATF 119 Ib 334, c.

5b : « … le Tribunal fédéral admet que la causalité adéquate peut aussi s’étendre à des ‹ consé- quences extraordinaires ›, c’est-à-dire à des conséquences qui apparaissent comme telles au yeux du profane, mais non pas à ceux de l’expert ; il en va de même des conséquences ‹ rares › ». Voir aussi deschenaux Henri et Tercier Pierre, La responsabilité civile, 2e édition, Berne 1982, p. 58, no 37.

28 TF, 5C.125/2003, SJ 2004 I 407-413, c. 4.4.

29 Qui en l’espèce étaient des témoins médecins, et non des experts.

30 La partie en cause était en fait un assureur privé complémentaire couvrant le risque accident.

31 Si l’on en juge par la casuistique en matière de causalité adéquate, la décision du Tribunal fé- déral apparaît plutôt sévère. Voir deschenaux Henri et Tercier Pierre, La responsabilité civile, 2e édition, Berne 1982, p. 59-61, nos 42-43.

(13)

adéquate en devient superflu. Dans de tels cas, le juge se contente pour l’es­

sentiel de prendre acte dans son appréciation des faits de ce que les experts médicaux ont constaté en matière de causalité naturelle32. En outre, lorsque la causalité naturelle est donnée et que les lésions consécutives à l’accident sont objectivables (séquelles somatiques), il sera rare que l’examen de la causa­

lité adéquate joue un rôle quelconque dans la décision finale. Monsieur Jean­

Maurice Frésard, juge au Tribunal fédéral des assurances, le confirme : « En présence d’une atteinte à la santé physique, le problème de la causalité adéquate ne se pose guère, car l’assureur répond aussi des complications les plus singulières et les plus graves qui ne se produisent habituellement pas selon l’expérience médicale. »33 De fait, lorsqu’il existe une explication mécanique ou biomécanique objective à l’atteinte à la santé physique, il n’y pas de raison de limiter, par une analyse normative, les résultats de l’examen de la causalité naturelle. Le raisonnement est également valable en droit de la responsabilité civile. Monsieur Frésard poursuit : « C’est donc essentiellement en présence d’une affection psychique que la causalité adéquate joue un rôle important. » C’est ce que nous allons examiner dans les paragraphes qui suivent.

B. Accident et séquelles douloureuses et/ou psychologiques

A la suite de nombreux accidents, les principales atteintes à la santé de la victime ne sont pas des séquelles somatiques objectivables telles que celles discutées ci­dessus, mais des séquelles psychologiques ou encore des syn­

dromes douloureux dont le substrat physique est difficile, voire impossible à objectiver. On pressent dès lors que la causalité entre l’accident et l’atteinte à la santé peut être difficile à établir dans de tels cas. La jurisprudence rela­

tive à ce type d’accident a été développée essentiellement dans le contexte de l’assurance­accidents obligatoire, et non dans celui de la responsabilité civile.

Bien que la notion de causalité adéquate ne soit pas identique dans ces deux domaines34, il n’y a pas de raison pour que les principes dégagés en LAA rela­

tifs à la causalité de séquelles non objectivées soient complètement étrangers à ceux applicable en responsabilité civile.

L’accident donnant typiquement lieu à des séquelles difficilement objec­

tivables est le traumatisme d’accélération cranio­cervicale, plus connu du pu­

32 Voir par exemple TFA, U354/05, 13 juin 2006. Le raisonnement est également valable en matière de responsabilité civile.

33 Frésard Jean-Maurice, L’assurance-accidents obligatoire, in : Schweizerisches Bundesverwal- tungs- recht [SBVR], Soziale Sicherheit, no 257, p. 16.

34 Voir ci-dessus partie II B 2.

(14)

blic sous le vocable de « coup du lapin »3. Comme déjà mentionné, la princi­

pale difficulté dans ces cas est d’établir la relation de causalité entre l’accident et les séquelles éprouvées par la victime, lesquelles sont parfois invalidantes mais dont le substrat mécanique ou biomécanique est le plus souvent diffi­

cile, voire impossible à mettre en évidence.

A l’instar d’autres cas de responsabilité, l’analyse de la causalité naturelle est effectuée essentiellement par les experts médicaux. Le Tribunal fédéral des assurances le confirme dans un arrêt de 2006 :

« Savoir si l’évènement assuré et l’atteinte à la santé sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait, que l’administration ou, le cas échéant, le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d’ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante, … »36 (mise en évidence par l’auteur)

Le Tribunal poursuit, indiquant que la causalité naturelle est en principe donnée lorsque le tableau clinique est « typique » :

« … en matière de lésions du rachis cervical par accident de type ‹ coup du lapin ›, de traumatisme analogue ou de traumatisme cranio­cérébral, sans preuve d’un déficit fonctionnel organique, l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident et l’incapacité de travail ou de gain doit en principe être reconnue en présence d’un tableau clinique typique présentant de mul­

tiples plaintes (maux de tête diffus, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigabilité, troubles de la vue, irritabilité, dépres­

sion, modification du caractère, etc.). Encore faut­il que l’existence d’un tel traumatisme et de ses suites soit dûment attesté par des renseignements mé­

dicaux fiables. »37 (mise en évidence par l’auteur)

On remarquera ici que si l’établissement de la causalité naturelle re­

pose largement sur les renseignements médicaux, les exigences posées par le Tribunal fédéral des assurances sont relativement vagues : il suffit que le tableau clinique (au demeurant constitué essentiellement – si ce n’est unique­

ment – de plaintes non objectivables) soit « typique ». Comme indiqué par le juge Frésard, l’essentiel du débat en cas de lésions non objectivables a lieu au niveau de la causalité adéquate.

Au fil des décisions, le Tribunal fédéral des assurances a développé une méthode d’analyse de la causalité adéquate, « feuille de route » consistant à exploiter certains éléments objectifs de l’état de fait, témoignant indirecte­

ment de la relation de causalité entre l’accident et la symptomatologie essen­

tiellement subjective de la victime :

35 Voir dans ce recueil les contributions du professeur Vincent Bruhlart et de Me Alexandre Guyaz, spécifiquement dédiées à la problématique du « coup du lapin ».

36 TFA, U.101/05, 12 avril 2006, c. 3.1.

37 Ibid., c. 3.2.

(15)

« La jurisprudence a posé plusieurs critères en vue de juger du caractère adé­

quat du lien de causalité entre un accident et les troubles d’ordre psychique développés ensuite par la victime. Elle a tout d’abord classé les accidents en trois catégories, en fonction de leur déroulement : les accidents insigni­

fiants ou de peu de gravité (par ex. une chute banale) ; les accidents de gra­

vité moyenne et les accidents graves. Pour procéder à cette classification, il convient non pas de s’attacher à la manière dont l’assuré a ressenti et assumé le choc traumatique, mais bien plutôt de se fonder, d’un point de vue objectif, sur l’événement accidentel lui­même. En présence d’un accident de gravité moyenne, il faut prendre en considération un certain nombre de critères, dont les plus importants sont les suivants :

− les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le ca­

ractère particulièrement impressionnant de l’accident ;

− la durée anormalement longue du traitement médical ;

− les douleurs physiques persistantes ;

− les erreurs dans le traitement médical entraînant une aggravation no­

table des séquelles de l’accident ;

− les difficultés apparues au cours de la guérison et des complications im­

portantes ;

− le degré et la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques.

Tous ces critères ne doivent pas être réunis pour que la causalité adéquate soit admise. Un seul d’entre eux peut être suffisant, notamment si l’on se trouve à la limite de la catégorie des accidents graves. Inversement, en pré­

sence d’un accident se situant à la limite des accidents de peu de gravité, les circonstances à prendre en considération doivent se cumuler ou revêtir une intensité particulière pour que le caractère adéquat du lien de causalité soit admis. »38

Nombre de critères mentionnés par le Tribunal fédéral des assurances pour l’appréciation de la causalité adéquate relèvent de renseignements mé­

dicaux. La catégorisation de l’accident (de peu de gravité, de gravité moyenne ou grave) dépend notamment de facteurs mécaniques et biomécaniques, ainsi que des lésions somatiques subies (lesquelles viennent parfois s’ajouter aux lésions non objectivables). Les autres critères mentionnés, à l’exception peut­être du caractère particulièrement dramatique ou impressionnant de l’accident, relèvent essentiellement de l’expertise du médecin. Ce dernier joue ainsi un rôle important dans l’établissement des faits à la base de l’apprécia­

tion de la causalité adéquate par le juge, auquel il ne reste finalement pas une grande marge de manœuvre, eu égard au balisage jurisprudentiel du chemin le menant à l’évaluation de la causalité adéquate.

Lorsqu’il estime que l’état de fait établi par la juridiction inférieure est lacunaire, le Tribunal fédéral des assurances ne se prive pas de faire appel à

38 Ibid., c. 5.1.

(16)

l’expertise médicale pour le compléter, qu’il s’agisse de la causalité naturelle ou de la causalité adéquate :

« Il n’est dès lors pas possible, en l’état du dossier, de trancher selon la règle du degré de vraisemblance prépondérante le point de savoir si l’accident incriminé et les affections en cause de la recourante, qui sont d’ordre phy­

sique, voire également d’ordre psychique, sont liés par un rapport de causa­

lité naturelle. Un complément d’instruction médicale s’impose donc à cet égard, dans le cadre de laquelle une expertise devra être confiée à un spécialiste, à qui il appartiendra de se prononcer sur l’existence d’une lésion post­trauma­

tique ligamentaire au niveau du rachis cervical, en relation avec l’accident du 1 décembre 1981, évoluant vers la chronicité, et sur les troubles qui lui sont imputables. Le cas échéant, un spécialiste en psychiatrie devra être consulté également…

Un complément d’instruction sur le plan médical s’impose aussi pour éclairer le juge dans son appréciation de la causalité adéquate, en lui fournissant les renseigne­

ments médicaux nécessaires à son appréciation sur le point de savoir quel était le degré de prévisibilité de chacune de ces éventuelles conséquences in­

validantes de l’accident, non seulement objectivement sur une personne nor­

malement constituée, mais aussi subjectivement sur la personne de l’assurée, ainsi que sur le point de savoir si un tel accident est propre à provoquer, au moins en partie, de telles conséquences. »39 (mise en évidence par l’auteur) Force est de constater qu’en dépit de la formule incantatoire du Tribunal fédéral selon laquelle le juge décide « seul » de la causalité adéquate, l’expert médical lui apporte une assistance déterminante lorsque le « cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie » qu’il doit évaluer se réfère à des processus pathologiques complexes se déroulant au sein de l’organisme de la victime.

IV. Examen de la causalité en fonction du type de faute médicale

A. Commission

Lorsque la faute médicale consiste en un acte positif (commission), que celui­

ci soit mal exécuté ou non indiqué médicalement, le préjudice en résultant est le plus souvent une lésion corporelle objectivable40. Il est ainsi généralement

39 ATFA du 7 mars 1988, c. 3.a et b, SG no 529.

40 Rien n’empêche toutefois d’imaginer qu’une faute médicale par commission puisse causer une atteinte à la santé non objectivable, à type de séquelles psychologiques et/ou douloureuses.

En pareil cas, l’analyse de la causalité devra s’inspirer de la méthode utilisée en matière d’acci- dents LAA, où la situation est beaucoup plus fréquente. Voir ci-dessus partie III B.

(17)

possible de reconstruire les conséquences logiques de l’acte par commission selon les règles de la mécanique41 ou du métabolisme42, et la relation de cau­

salité entre les deux est généralement évidente. Dès lors, l’attention de l’ex­

pert se concentre avant tout sur la question de la faute médicale.

Ce point est illustré par un arrêt du Tribunal fédéral de 200343. La re­

courante avait subi une intervention chirurgicale visant à traiter une incon­

tinence urinaire invalidante. Bien que l’opération ait pleinement réussi sur le plan urologique, il en est résulté pour la patiente une perte partielle, mais définitive, de l’usage de la jambe droite. Tant l’expertise extra­judiciaire que l’expertise judiciaire diligentées avant la procédure devant le Tribunal fédéral ont conclu que la perte d’usage de la jambe droite provenait d’une lésion du nerf obturateur droit, laquelle résultait de l’intervention chirurgicale. Cette dernière avait toutefois été menée selon les règles de l’art, et aucune faute ne pouvait être imputée aux médecins.

Lors de son examen limité à l’arbitraire, le Tribunal fédéral concentre son attention avant tout sur la faute médicale, la causalité entre l’opération et l’at­

teinte à la santé étant évidente :

« En l’occurrence, il est indéniable que B. a subi un dommage consécutive­

ment à l’intervention chirurgicale pratiquée sur sa personne, le 14 avril 1998, à l’Hôpital de Y. La relation de causalité adéquate entre l’opération et le pré­

judice subséquent est avérée. Seule est dès lors litigieuse, dans le cas concret, la question de l’illicéité. »44

De façon intéressante, le Tribunal fédéral discute en détail la question de la causalité précise, « locale », de la lésion du nerf obturateur survenue pendant l’intervention chirurgicale. Cet examen intervient toutefois dans le contexte de l’analyse de la faute médicale, et non pas de la causalité au sens juridique du terme :

« Examinant la question d’une éventuelle violation des règles de l’art médi­

cal dont aurait à répondre l’intimée, le Tribunal administratif a considéré, en substance, qu’il n’était pas en mesure de déterminer la cause de la lésion du nerf obturateur, imputable principalement et très vraisemblablement au geste chirurgical, c’est­à­dire à un acte accompli au cours de l’opération. En effet, il n’était pas possible d’établir, au dire des experts, à quel acte précis pouvait être imputée la lésion nerveuse (lésion thermique pendant l’hémos­

tase, points de suture inadéquats comprimant le nerf, lames d’un écarteur).

De plus et surtout, les experts n’avaient pas été en mesure de définir les pré­

cautions particulières qu’il y aurait eu lieu de prendre pour éviter la surve­

41 Par exemple en cas d’acte chirurgical lésant une structure anatomique.

42 Par exemple en cas d’administration d’un médicament contre-indiqué, ou à trop forte dose.

43 TF, 4P.110/2003.

44 Ibid., c. 2.1 in fine.

(18)

nance de l’un ou l’autre de ces risques et ils n’avaient pu expliquer en quoi l’intervention aurait comporté une violation des règles de l’art. »4

Au chapitre des fautes médicales par commission, il convient de citer une décision du Tribunal fédéral déjà relativement ancienne et restée isolée, mais souvent invoquée par les patients lors de procès en responsabilité médicale46. En raison de douleurs à l’épaule droite, une patiente avait bénéficié d’injec­

tions intra­articulaires de cortisone par son médecin traitant les 9 juin et 1er juillet 1986. Les douleurs étant toujours vives le août 1986, la patiente est adressée par son médecin traitant à un spécialiste en chirurgie orthopédique.

L’évolution reste défavorable et aboutit, le 6 novembre 1986, à une interven­

tion chirurgicale exploratrice de l’épaule. Il ressort de cette opération que la tête de l’humérus et la cavité glénoïde droite ont été irrémédiablement lésées à la suite d’une infection intra­articulaire à staphylocoques. La patiente reste partiellement invalide.

La patiente ouvre action devant la Cour d’appel du canton de Berne, la­

quelle ordonne une expertise. Celle­ci indique que les complications infec­

tieuses à la suite d’injections intra­articulaires sont connues, et se produisent dans environ un cas sur dix mille. Toutefois, l’expertise ne dit rien quant à l’origine de ces complications : dues à un manquement à la diligence du mé­

decin pratiquant l’injection, ou survenant malgré toutes les précautions pos­

sibles. La Cour d’appel bernoise établit alors une présomption de fait, selon laquelle lorsqu’une infection intra­articulaire se déclare après une injection au même site, l’asepsie n’a pas été respectée et une faute du médecin a été commise47.

Le Tribunal fédéral reprend cette thèse, indiquant qu’en présence d’une telle présomption de fait – laquelle ne peut être revue dans le cadre d’un recours en réforme –, il appartient au médecin d’apporter la contre­preuve

« … en prouvant que dans l’état actuel de la science médicale un risque résiduel im- parable subsistait quand bien même toute la diligence requise aurait été intégralement observée »48. Le médecin n’ayant pas argumenté en ce sens en procédure can­

tonale, la déduction de la Cour d’appel selon laquelle le médecin a commis une faute d’asepsie est admise telle quelle par le Tribunal fédéral.

Cette décision a été à juste titre critiquée par la doctrine49. Bien qu’il s’en défende, le Tribunal fédéral opère de facto un renversement du fardeau de

45 Ibid. c. 4.2. Un arrêt très récent basé sur un état de fait similaire (lésion du nerf crural lors de la pose d’une prothèse de hanche) procède de la même manière. Le propos se concentre sur la faute professionnelle alléguée alors que la causalité, évidente, n’y est pas discutée. TF, 4C.366/2006.

46 ATF 120 II 248, JdT 1995 I 559-602.

47 Cette construction équivaut à la « res ipsa loquitur » du droit anglo-saxon.

48 ATF 120 II 248, JdT 1995 I 559-602, c. 2.c.

49 Honsell Heinrich, AJP 2/1995, p. 227-229.

(19)

la preuve, exigeant du médecin qu’il prouve qu’il n’a pas commis de faute d’asepsie0. Ce faisant, il impose une obligation de résultat au médecin lors­

que celui­ci pratique une injection intra­articulaire : en cas d’infection dans les suites, la faute médicale est donnée (sous réserve d’une contre­preuve im­

possible à apporter en pratique). Pressentant que sa décision pourrait donner lieu à des généralisations malvenues, le Tribunal fédéral a jugé utile de préci­

ser « … que la présomption de fait utilisée ici ne saurait s’appliquer sans restriction dans des cas d’infections liées à d’autres traitements médicaux. »1.

Le malaise lié à cette décision provient du fait que l’instruction de la cause n’a probablement pas été optimale. La faute médicale est ici évidente, mais elle n’est pas imputable à l’injection elle­même, tant il apparaît impossible d’exclure tout risque d’infection à la suite d’une injection intra­articulaire. La faute est davantage liée au retard apporté au diagnostic de l’infection intra­

articulaire, lequel est intervenu plus de trois mois après l’infection et n’est pas entièrement imputable au médecin condamné. C’est bien ce retard qui a causé la destruction de l’articulation, car un traitement antibiotique voire un lavage articulaire plus précoce aurait sans doute permis de limiter, voire d’exclure les séquelles de l’infection.

Qu’en est­il de la causalité ? Le Tribunal fédéral ne la mentionne pas dans son raisonnement, tout entier concentré sur la faute médicale. Cette dernière est, au final, définie par la causalité, à tel point que la causalité n’est pas dis­

cutée pour elle­même. Depuis Louis Pasteur et le rejet de la théorie de la génération spontanée, on sait que les infections bactériennes doivent avoir une source, une cause ; compte tenu de la faible probabilité des autres causes d’infections intra­articulaires, l’injection intra­articulaire est, logiquement, apparue comme la cause la plus vraisemblable de l’infection. En ce qu’il a trait à la causalité entre l’injection incriminée et l’infection, le raisonnement

50 Ibid. Le professeur Wiegand a parlé de « probatio diabolica ». Wiegand Wolfgang, Die privatrecht- liche Rechsprechung des Bundesgeruichts im Jahre 1994, [131/1995], Zeitschrift des bernischen Juristenvereins (ZBJV), 330 ss, cité dans Hausheer Heinz, Switzerland in Cases on Medical Mal- practice in a Comparative Perspective, Vienne New-York 2001, p. 217.

51 Le professeur Hausheer indique que cette décision ne saurait tenir lieu de précédent jurispruden- tiel au sens de l’art. 1 al. 3 CC. Hausheer Heinz, Switzerland in Cases on Medical Malpractice in a Comparative Perspective, Vienne New-York 2001, p. 217. Le Tribunal fédéral a rappelé le caractère spécifique de l’arrêt 120 II 248 dans la décision 4C.53/2000, c. 2.b : « Der Kläger misst BGE 120 II 248 eine Bedeutung zu, die ihm nicht zukommt. Das Bundesgericht hat darin namentlich nicht entschieden, dass bei jeglicher Verschlechterung des Gesundheitszustandes während einer ärzt- lichen Behandlung eine natürliche Vermutung für eine Sorgfaltswidrigkeit spreche. Vielmehr hat es die Tragweite des Entscheides ausdrücklich auf die in Frage stehende konkrete Art der Injek- tion beschränkt und ausgeführt, die natürliche Vermutung dürfe selbst auf Infektionsfälle, die mit einer anders gearteten ärztlichen Behandlung zusammenhängen, nicht ohne weiteres übertragen werden (BGE 120 II 248 E. 2c S. 251). In der Lehre wurde der Entscheid denn auch dahingehend in- terpretiert, dass die darin entwickelten Grundsätze nicht für Nachteile aus anderen medizinischen Behandlungen gelten (Honsell, AJP 2/1995 S. 229). »

(20)

opéré par le Tribunal fédéral est correct. C’est le raccourci emprunté pour aboutir au caractère fautif de l’acte qui pose problème. Le caractère intriqué des questions relatives à la faute médicale et à la causalité ressort directement du dernier passage de la décision citée :

« La juridiction précédente a vu dans les injections de cortisone la cause de l’infection qui a atteint l’épaule droite. Elle en a déduit une violation du devoir de diligence à la charge du défendeur. On ne saurait lui reprocher d’avoir retenu une notion inexacte de la violation de contrat. »2

En conclusion, lorsque l’acte médical incriminé est un acte positif (com­

mission), l’atteinte à la santé est dans la plupart des cas objectivable. La causa­

lité ne pose le plus souvent pas de problème particulier, l’attention des experts étant davantage mobilisée à déterminer le caractère fautif de l’acte médical ayant causé l’atteinte.

B. Défaut de consentement

Les dernières décennies ont vu la disparition – ou à tout le moins la forte at­

ténuation – d’un certain paternalisme médical par lequel le médecin, omnis­

cient, décidait trop souvent en lieu et place du patient. Dans le même temps sont apparues les notions d’autonomie et d’autodétermination du patient, dont un corollaire important est l’exigence du consentement éclairé3.

Avant de procéder à un acte médical quel qu’il soit, le médecin doit ainsi recueillir le consentement éclairé de son patient. A défaut, il viole son obli­

gation de diligence, et répond de tout préjudice résultant dudit acte médical, même si celui­ci est, sur le plan technique, exécuté conformément aux règles de l’art :

« L’exigence d’un consentement éclairé se déduit directement du droit du patient à la liberté personnelle et à l’intégrité corporelle, qui est un bien protégé par un droit absolu. Le médecin qui fait une opération sans infor­

mer son patient ni en obtenir l’accord commet un acte contraire au droit et répond du dommage causé, que l’on voie dans son attitude la violation de ses obligations de mandataire ou une atteinte à des droits absolus et, par­

tant, un délit civil. L’illicéité d’un tel comportement affecte l’ensemble de l’intervention et rejaillit de la sorte sur chacun des gestes qu’elle comporte, même s’ils ont été exécutés conformément aux règles de l’art. Une atteinte à l’intégrité corporelle, à l’exemple d’une intervention chirurgicale, est ainsi illicite à moins qu’il n’existe un fait justificatif. Dans le domaine médical,

52 ATF 120 II 248, JdT 1995 I 559-602, c. 2c in fine.

53 Pour une analyse approfondie de la notion de consentement éclairé, voir Guillod Olivier, Le consentement éclairé du patient, Neuchâtel 1986.

(21)

la justification de l’atteinte réside le plus souvent dans le consentement du patient… »4 (Réf. omises)

Pour être valable et constituer un fait justificatif efficace, le consentement doit être « éclairé », c’est­à­dire couvrir tous les éléments nécessaires afin que le patient donne son accord en connaissance de cause :

« Le médecin doit donner au patient, en termes clairs, intelligibles et aussi complets que possible, une information sur le diagnostic, la thérapie, le pro­

nostic, les alternatives au traitement proposé, les risques de l’opération, les chances de guérison, éventuellement sur l’évolution spontanée de la maladie et les questions financières, notamment relatives à l’assurance. »

La construction juridique selon laquelle l’acte médical6 constitue un acte a priori illicite, dont l’illicéité n’est levée que par le consentement éclairé, a une conséquence procédurale majeure : il appartient au médecin d’établir qu’il a suffisamment renseigné son patient, et obtenu le consentement préa­

lable de ce dernier (art. 8 CC). La répartition du fardeau de la preuve du consentement, l’illicéité de l’ensemble des gestes médicaux subséquents en cas de défaut de consentement7, ainsi que la technicité moindre de ce type d’allégation ont fait du défaut de consentement un grief privilégié des plai­

gnants et de leurs conseils.

L’affirmation du Tribunal fédéral, selon laquelle le défaut de consente­

ment affecte l’ensemble des gestes médicaux concernés, n’est pas absolue.

Encore faut­il que le défaut de consentement soit en relation de causalité na­

turelle et adéquate avec le préjudice subi par le patient :

« Faute d’un tel consentement, l’intervention est illicite dans son ensemble ; le médecin ou, le cas échéant, la personne qui répond à sa place, devra réparer tout dommage en lien de causalité adéquate avec l’intervention, quand bien même aucune règle de l’art n’aurait été violée. »8

La concrétisation de cette exigence de causalité entre le défaut de consen­

tement et le préjudice est l’admission, par le Tribunal fédéral à la suite de la Cour fédérale allemande, de la théorie du « consentement hypothétique »9 :

54 TF, 4P.265/2002, SJ 2004 I 117-128, c. 4.1.

55 Ibid, c. 4.2.

56 Au sens d’atteinte à l’intégrité corporelle du patient.

57 « Celui qui agit pour violation [technique] des règles de l’art se voit certes imposer une preuve plus stricte, puisqu’il doit démontrer que l’erreur même de diagnostic ou de traitement, et non pas seulement l’acte médical dans son ensemble, est la condition ‹ sine qua non › de son préjudice. Ces exigences différentes tiennent au fondement même de la responsabilité dans l’un et l’autre cas.

Car si l’absence de consentement entraîne l’illicéité de toute l’opération, la violation des règles de l’art ne rend contraire au droit que le geste diagnostique ou thérapeutique erroné. » ATF 108 II 59, 63, c. 3.

58 TF, 4P.110/2003, c. 2.2.

59 ATF 108 II 59 ; ATF 117 Ib 197, JdT 1992 I 214-221 ; 4P.265/2002, SJ 2004 I 117-128.

(22)

« La jurisprudence et la doctrine majoritaire reconnaissent au médecin, res­

pectivement à celui qui répond de lui, la faculté de soulever le moyen du consentement hypothétique du patient. Si le médecin parvient à établir que le malade concerné se serait tout de même décidé en faveur de l’intervention proposée à supposer qu’il ait reçu une information complète et appropriée, l’illicéité de l’intervention, et par conséquent l’obligation de réparer, dispa­

raissent ipso facto. »60

Etablir que le malade concerné se serait tout de même décidé en faveur de l’intervention revient à nier le lien de causalité naturelle et adéquat entre le défaut de consentement éclairé et l’intervention. En d’autres termes, la théo­

rie du consentement hypothétique n’est qu’un cas d’application, en matière de responsabilité médicale, de la notion de « comportement de substitution licite », ou « rechtmässige Alternativverhalten », applicable plus largement en res­

ponsabilité civile61.

La preuve du consentement hypothétique est à la charge du médecin, de la même manière que la preuve du consentement éclairé :

« Le fardeau de la preuve du consentement hypothétique incombe au méde­

cin, à charge pour le patient de collaborer à cette preuve en rendant vraisem­

blable ou au moins en alléguant les motifs personnels qui l’auraient incité à refuser l’opération s’il en avait notamment connu les risques. »62

Le consentement hypothétique ne doit pas être évalué par rapport à un patient­type raisonnable, mais par rapport au patient en question. Il suffit ainsi à ce dernier de rendre vraisemblable qu’il aurait refusé l’intervention :

« Selon la jurisprudence, il ne faut pas se baser sur le modèle abstrait d’un

‹ patient raisonnable ›, mais sur la situation personnelle et concrète du pa­

tient dont il s’agit. Ce n’est que dans l’hypothèse où le patient ne fait pas état de motifs personnels qui l’auraient conduit à refuser l’intervention proposée qu’il convient de considérer objectivement s’il serait compréhensible, pour un patient sensé, de s’opposer à l’opération. »63

Dans les affaires de responsabilité médicale où la question du consente­

ment est soulevée, le Tribunal fédéral a souvent recours aux experts médi­

caux (au sens large) afin de déterminer l’étendue de l’obligation d’information du médecin en vue d’obtenir le consentement éclairé. Ces questions relèvent toutefois de l’examen de la faute médicale, et non de la causalité.

L’examen de la causalité entre le défaut de consentement et le préjudice résultant d’une intervention médicale – à savoir l’analyse du consentement

60 TF, 4P.265/2002, SJ 2004 I 117-128, c. 6.1.

61 ATF 122 III 229. Voir aussi Werro Franz, La responsabilité civile, Berne 2005, p. 49-50, nos 191- 194, ainsi que sa contribution consacrée au comportement de substitution licite dans le présent recueil.

62 TF, 4P.265/2002, SJ 2004 I 117-128, c. 6.1.

63 TF, 4P.110/2003, c. 3.1.2.

Références

Documents relatifs

Objet : Expertise Ifremer sur la « Contamination significative historique en milieu marin en Méditerranée, en particulier par des métaux toxiques tels que le mercure

Ainsi nous pensons qu’il serait pertinent à la suite de notre travail de mettre en place un atelier de réflexion avec les membres de l’ICD sur la gestion

Enfin, le Wildemteù1 InSlÎtute lui aussi a été l'objet d'attaques et de procédures 12. Cet institut est éditeur, à Paris, de nombreux catalogues raisonnés. Actuelle-

Elle doit tendre à faciliter le travail de l’expert psychiatre, par sa posture, tout d’abord, à savoir une pré- sence non interférente qui ne vise pas à confondre l’examiné

L’apprentissage est sans doute le dispositif le plus adapté ainsi que la formation pour adulte pour mieux articuler au mieux formation et emploi, pour mieux faire acquérir

Désormais, pour bien décider en justice, il faut que l’œil de l’expert fasse parler le corps du délit - le corps violenté, les pièces à conviction - et que l’observation

Suivant une longue tradition de réflexion sociologique, elle est aujourd’hui placée au centre des nouvelles études sociales et historiques des sciences et des techniques, ou STS

Rap por tés à la ques tion de la vé ri té ju di ciaire, les dé ve lop pe ments sur l’ex per tise mé di cale font le lien entre l’af fir ma tion ins ti tu tion nelle