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Un conflit des interprétations? Vérité judiciaire et expertise médicale

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19 | 2020

Vérité Judiciaire

Un conflit des interprétations ? Vérité judiciaire et expertise médicale ( XIII -

XIV  siècles)

Remarques sur le statut et les effets de la parole médicale chez Jacques de Beauvoir, Guillaume Durand, Bartole et Balde

Corinne Leveleux-Teixeira

https://publications-prairial.fr/cliothemis/index.php?id=166

DOI : 10.35562/cliothemis.166 Référence électronique

Corinne Leveleux-Teixeira, « Un conflit des interprétations ? Vérité judiciaire et expertise médicale (XIII -XIV  siècles) », Clio@Themis [En ligne], 19 | 2020, mis en ligne le 07 décembre 2020, consulté le 29 mars 2021. URL : https://publications- prairial.fr/cliothemis/index.php?id=166

Droits d'auteur CC BY-NC-SA

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XIV  siècles)

Remarques sur le statut et les effets de la parole médicale chez Jacques de Beauvoir, Guillaume Durand, Bartole et Balde

Corinne Leveleux-Teixeira

PLAN

I. La sollicitation de l’expertise. Du diagnostic au témoignage A. Le recours à la parole médicale

B. Le statut de la parole médicale. Entre croyance et vérité

II. La mise en forme de l’expertise. Du témoignage à la sentence : produire la vérité par le droit

A. La singularisation des faits pertinents : La vérité judiciaire, entre diagnostic médical et présomption de la loi

B. La recherche d’une causalité efficiente : de l’éventualité à la cause avérée

TEXTE e

La dis tinc tion du droit et du fait struc ture l’ordre ju ri dique au moins dans les tra di tions ro ma nistes, soit parce que les faits sont les ob jets de la nor ma ti vi té, soit plus fon da men ta le ment, parce qu’ils per‐

mettent de dé fi nir ce qu’est la nor ma ti vi té1. Dans ce cadre, si les faits forment «  l’en semble des ré fé rents des énon cés vrais ou l’en semble des en ti tés qui rendent vrais les énon cés vrais »2, on convien dra que la ques tion de la vé ri té – quelle que soit, à ce stade, la dé fi ni tion qu’on en donne – est cen trale pour qui veut com prendre la sin gu la ri té de l’ac tion ju ri dique et sa pré ten tion à sai sir le réel.

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Ce qui vaut pour le droit en gé né ral vaut en core plus pour la jus tice et le pro cès en par ti cu lier qui, aux dires d’Ul pien, ont pour fonc tion de

« rendre à cha cun son dû »3. Pour être at teint, un tel ob jec tif sup pose en effet d’exa mi ner l’exis tence, la na ture et l’éten due de la dette de droit in vo quée par cha cune des par ties, c’est à dire d’éva luer la sin cé ‐

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ri té de leurs pré ten tions, la cré di bi li té de leurs as ser tions et l’exac ti‐

tude des si tua tions qu’elles dé crivent. Sous l’em pire des concep tions phi lo so phiques hé ri tées du droit ro main, le lien entre vé ri té et jus tice peut donc être consi dé ré comme sub stan tiel. Il n’est dès lors pas éton nant que la re dé cou verte des com pi la tions jus ti niennes à par tir de la se conde moi tié du XI siècle se soit tra duite par un re gain d’in té‐

rêt pour le sujet de la vé ri té, avec en par ti cu lier la struc tu ra tion des ré flexions sur le sys tème pro ba toire4. De façon conco mi tante, l’une des consé quences de la ré forme gré go rienne fut de pro duire une forme d’« ab so lu ti sa tion de la vé ri té »5. Dans la fou lée de ces bou le‐

ver se ments in tel lec tuels et po li tiques, sous les ef fets conju gués du dé ve lop pe ment de la science ju ri dique, de l’émer gence de la pro cé‐

dure in qui si toire, du dé clin des or da lies et de la pro mo tion de la confes sion sa cra men telle6, la re cherche de la vé ri té est de ve nue cen‐

trale dans la dy na mique ju di ciaire, et cela dès la fin du XII siècle. Ces trans for ma tions en traî nèrent au de meu rant une ré éla bo ra tion pro‐

fonde de la no tion de vé ri té, de plus en plus «  ju di cia ri sée  »7  : construite par l’en quête, nour rie par l’aveu, for ma li sée par le droit8 et va li dée par la pro cé dure9.

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À ce titre, le re cours crois sant à des pra tiques d’ex per tise concou rut sans doute à ren for cer non seule ment l’au to ri té ins ti tu tion nelle des dé ci sions ju di ciaires mais aussi leur cré di bi li té in trin sèque. Le phé no‐

mène fut gé né ral et tou cha l’en semble des do maines de l’ac ti vi té hu‐

maine, des plus théo riques aux plus ma té riels, des plus rares aux plus tri viaux, dès lors qu’ils étaient im pli qués dans une ac tion en jus tice10 et que, mo bi li sant une cer taine tech ni ci té, ils re qué raient d’être ex pli‐

ci tés à la cour. Ainsi par exemple, au début du XIV siècle, «  à Ma‐

nosque, lors qu’il [fal lait] éta blir si deux pièces de toile [avaient] été confec tion nées à par tir du même fil, on [in vi tait] tout na tu rel le ment Fal co na, veuve de Ber trand Basil, tis se rand, ainsi qu’un dé nom mé Hugo, tis se rand lui aussi, à of frir leur avis d’ex perts »11.

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Cette ir ré sis tible mon tée du re cours à l’ex per tise ac com pa gna éga le‐

ment l’af fir ma tion du droit comme science et non plus seule ment comme art et comme tech nique12. Une telle pro mo tion épis té mo lo‐

gique sanc tua ri sait d’au tant plus son rap port à la vé ri té qu’elle le confron tait à une in jonc tion d’exac ti tude. De cette confi gu ra tion re‐

nou ve lée qui pla çait la vé ri té au cœur du droit, no tam ment pro ces‐

suel, et l’ex per tise au ser vice de la vé ri té, le champ de l’ex per tise mé

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di cale offre un bon poste d’ob ser va tion et cela pour plu sieurs rai sons.

En pre mier lieu, les in ter ac tions furent très fortes entre ces deux champs du sa voir em por tés dans une même dy na mique. À par tir du

XII  siècle, droit et mé de cine furent en ga gés dans une pro fonde trans‐

for ma tion, liée à la re dé cou verte des sources ro maines pour l’un, aux cor pus grecs et arabes pour l’autre. Par sur croît, si les consul ta tions de mé de cins vinrent en ri chir l’en quête ju di ciaire et étayer la vé ri té du pro cès, en re tour, l’ex per tise mé di cale fut lar ge ment pro duite et in‐

for mée par les sol li ci ta tions pro ces suelles. L’in jonc tion adres sée aux pra ti ciens par les juges de four nir des avis fiables sur des cas dou teux a pu contri buer à l’«  in ven tion  »13 ju ri dique de l’ex per tise mé di cale, tout comme le dé ploie ment de l’ex per tise mé di cale ser vit à orien ter et à jus ti fier la prise de dé ci sion ju di ciaire ca no ni sée en suite par l’au‐

to ri té de la chose jugée. Le « vrai » d’une pa role mé di cale confi gu rée à la pro cé dure ap pa raît en quelque sorte comme une mo lé cule de syn‐

thèse dont le pro cès fut la ma trice.

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En se cond lieu, nous dis po sons, pour étu dier ces échanges d’au moins trois types de sources com plé men taires : des textes de la pra tique, en l’oc cur rence des consul ta tions mé di cales14 re quises dans le cadre d’une en quête de po lice, voire d’un vé ri table pro cès  ; des pres crip‐

tions édic tées par des ins ti tu tions pu bliques, no tam ment les villes, et ré gle men tant l’ac ti vi té mé di cale ; des écrits de ju ristes, ré di gés dans le cadre de consul ta tions ou de trai tés pré ci sant le rôle at ten du des mé de cins dans l’ad mi nis tra tion de la vé ri té. Fait re mar quable : en de‐

hors de quelques tra vaux15, le sujet ne peut se pré va loir d’une bi blio‐

gra phie sur abon dante et il n’a guère sus ci té l’in té rêt des his to riens du droit en de hors de la pé nin sule ita lique. Il y a là un champ à in ves tir, croi sant les com pé tences des his to riens de la mé de cine et celles des ju ristes. La pré ten tion du pré sent ar ticle sera pour sa part beau coup plus mo deste. Il s’agira pour nous d’ana ly ser les at tentes des au to ri tés ci viques et des ju ristes des XIII -XIV  siècles à l’égard des mé de cins et des chi rur giens dans la fa brique des dé ci sions de jus tice.

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En effet, si la mé de cine lé gale n’est pas vé ri ta ble ment consti tuée comme dis ci pline spé ci fique avant l’époque mo derne, les au teurs sa‐

vants des XIII -XIV que nous avons consul tés sont loin d’en mé con‐

naitre l’im por tance et les en jeux16. Quoi qu’ils ne consacrent pas de dé ve lop pe ments propres à l’ex per tise mé di cale, ils semblent lui ac‐

cor der une place dif fé rente de celle qui est dé vo lue aux autres formes

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de sa voirs tech niques (le cas des consul ta tions ju ri diques étant mis à part)17. Il est vrai que le sujet est gé né ra le ment abor dé au dé tour d’ex po sés por tant sur des ma tières di verses, puisque le re cours aux hommes de l’art consti tue un évé ne ment cou rant de la vie ju di ciaire.

On trouve des re marques sur le rôle des mé de cins et des chi rur giens dans des ru briques consa crées à l’ho mi cide et aux coups et bles sures mais aussi à la res pon sa bi li té des gar diens de pri son18, aux ci ca‐

trices19, aux mo da li tés de conseil20, au sa laire21, aux dis penses et aux ir ré gu la ri tés ca no niques22. Pour au tant, cet épar pille ment ne doit pas oc cul ter le cré dit ac cor dé à la pa role mé di cale lors qu’elle est in sé rée dans le cours d’un pro cès, no tam ment pénal. Nous ana ly se rons sa prise en compte à l’aune de la pro blé ma tique de la construc tion de la vé ri té ju di ciaire en nous ap puyant sur quatre au teurs ma jeurs des

XIII -XIV  siècles : deux spé cia listes de droit pro ces suel, Guillaume Du‐

rand et Ja co po Bel vi sio, et deux « gé né ra listes », Bar tole et Balde. Il convien drait as su ré ment d’élar gir et d’ap pro fon dir l’en quête en éten‐

dant son champ chro no lo gique, en en ri chis sant son panel et en confron tant plus net te ment les dé ve lop pe ments des au teurs sa vants à la réa li té de la pra tique. Comme cela a été sou li gné plus haut, c’est une re cherche qui reste à mener pour le Moyen Age. Consi dé rons qu’il s’agit là d’une pre mière ap proche.

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Moyen nant ces im por tantes ré serves, il ap pa raît que les textes étu‐

diés sont tra ver sés par deux pré oc cu pa tions ma jeures : la cré di bi li té des ex perts et la vé ri té de l’ex per tise. Le pre mier élé ment re lève d’une forme d’ins ti tu tio na li té en par tie an té cé dente à l’af faire jugée elle- même  : pour être ad mise dans le pré toire et s’y trou ver les tée d’un poids suf fi sant pour em por ter la convic tion des juges, la pa role ex perte doit éma ner d’une au to ri té com pé tente, du ment sol li ci tée (I).

D’autre part, une fois l’éva lua tion mé di cale opé rée, il lui faut en core en trer dans le moule de la ri tua li sa tion ju di ciaire et re ce voir du droit la forme qui la rend opé rante aux yeux du tri bu nal (II).

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I. La sol li ci ta tion de l’ex per tise.

Du diag nos tic au té moi gnage

La prise en compte ju ri dique d’un avis mé di cal ne s’opère pas de façon in for melle. Pour être re te nue comme dis cours ef fi cace et ap pa‐

raître cré dible, l’ex per tise sup pose d’une part l’ob ser va tion de règles

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dont la te neur est gé né ra le ment pré ci sée par des textes nor ma tifs –  sta tuts com mu naux no tam ment – (A) et d’autre part une re con nais‐

sance pro fes sion nelle sus cep tible de créer une forte adhé sion au bé‐

né fice de l’avis du pra ti cien (B).

A. Le re cours à la pa role mé di cale

La re quête d’un avis mé di cal par la jus tice peut ré pondre à de très nom breuses hy po thèses, conten tieuses ou non conten tieuses, ci viles ou pé nales. Dans le cadre res treint de la pré sente étude, nous n’en vi‐

sa ge rons que le cas du pro cès pénal, parce que d’une part c’est celui qui est le mieux do cu men té et que, d’autre part, c’est celui qui in ter‐

roge avec le plus d’acui té le sujet de la vé ri té ju di ciaire23.

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Compte tenu de son im por tance pra tique, la co opé ra tion entre les mé de cins et les au to ri tés ju di ciaires, quelles qu’elles soient, était gé‐

né ra le ment ré gle men tée, même si nous n’avons pas tou jours gardé la trace des textes pré ci sant cette ré gle men ta tion –  lorsque tou te fois elle avait été consi gnée par écrit. Là en core, compte tenu de la conser va tion des ar chives et de l’état de l’art, c’est l’es pace ita lien qui est le mieux connu. C’est aussi celui où l’ac cul tu ra tion ju ri dique fut la plus pro fonde et où la vi va ci té des ins ti tu tions mu ni ci pales était la plus grande, tout au moins à l’époque où nous nous si tuons.

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Par- delà la va rié té des cas de fi gures pos sibles, deux ob jec tifs ma jeurs semblent avoir été pour sui vis par les ins tances com mu nales dans leur ré gle men ta tion du re cours à l’ex per tise mé di cale  : un ob jec tif de contrôle so cial, sur le quel nous in sis te rons peu car il n’est pas di rec‐

te ment en rap port avec notre pro pos, et un ob jec tif de cré di bi li sa tion de la pa role mé di cale qui nous re tien dra plus long temps.

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Le pre mier ob jec tif est fort bien illus tré par le cas vé ni tien. Dans la Sé ré nis sime, les sta tuts mu ni ci paux de 1281 pré voyaient que les mé‐

de cins de vaient aler ter les au to ri tés de po lice pour les bles sures qu’ils étaient ame nés à trai ter24. Ce sys tème de dé non cia tion, pra ti qué éga le ment à Vé rone25 ten dait à iden ti fier les cas sus pects en amont même de toute éven tuelle sai sine ju di ciaire. Il ré pon dait vrai sem bla‐

ble ment à un souci de sur veillance mais aussi de pré cons ti tu tion de té moi gnage en vue d’un pos sible conten tieux.

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À Ma nosque, même si aucun texte nor ma tif in té res sant cette ma tière n’a pu être mis en évi dence, la confi gu ra tion est dif fé rente, avec, comme le note J. Shatz mil ler, une forte im pli ca tion des par ti cu liers :

13

Ce sont sou vent les par ties en cause, ou l’une des par ties, qui prennent l’ini tia tive et ré clament une telle ex per tise ; les par ties donc, et pas né ces sai re ment les au to ri tés. […] Les gens, conscients des consé quences de leurs ac tions, em ploient tous les moyens à leur dis po si tion pour ob te nir un do cu ment re ce vable par les tri bu naux […]. Ainsi, quand un dé nom mé Uc de Va chères, aux alen tours d’avril 1292, fut ac cu sé d’avoir in fli gé des bles sures à un conci toyen, Guil ‐ hem Tre mend, ce fut son cou sin, Ri baud Gar nier, che va lier, qui s’adres sa à la cour pour de man der une ex per tise sur l’état de la vic ‐ time26.

La re quête était alors trans mise au tri bu nal (en l’oc cur rence la cour de la com man de rie de l’Hô pi tal de Saint Jean de Jé ru sa lem) qui en joi‐

gnait aux mé de cins qui soi gnaient le bles sé de rendre compte de son état de santé. L’ex per tise se fai sait en pré sence d’un no taire de la cour qui la met tait en forme.

Dans les cas les plus graves, ou lors qu’une ur gence était consta tée les au to ri tés pu bliques pou vaient prendre les choses en mains et dé clen‐

cher elles- mêmes la pro cé dure d’en quête. Dans cette hy po thèse, le bailli de Ma nosque « ac com pa gné par fois par le juge et tou jours par un no taire  » se dé pla çait «  en per sonne pour mener l’en quête sur place » et en re gis trer une ex per tise mé di cale, réa li sée sous ser ment et dû ment consi gnée27. Quelles que soient les cir cons tances, le sta tut des mé de cins re quis n’était pas tou jours pré ci sé. Ils pou vaient soit ap par te nir à un corps ha bi li té d’ex perts, soit être les pra ti ciens ha bi‐

tuel le ment en charge des per sonnes sur l’état des quelles on en quê‐

tait, soit avoir sim ple ment porté les pre miers se cours au bles sé ou au dé funt im pli qué28. La re cons ti tu tion des faits et l’éta blis se ment de la vé ri té pas saient par le for ma lisme de l’ex per tise et sa consi gna tion dans un ins tru ment au then tique plus que par la re con nais sance de mé de cins agréés par la cour.

14

À Bo logne, cette pro cé dure d’en re gis tre ment était dou blée par une pré cau tion sys té ma tique  : l’ha bi li ta tion préa lable des mé de cins ex‐

perts. La ré gle men ta tion de la ville obéis sait sur ce point à plu sieurs ob jec tifs, ju ri diques et po li tiques : per mettre aux ju ri dic tions de dis‐

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po ser d’un col lège de pro fes sion nels ai sé ment mo bi li sables en cas de be soin ; as su rer une fia bi li té mi ni mum des ex per tises pro duites par l’exi gence de cri tères de com pé tence au près des pra ti ciens ; pré ve nir les fraudes éven tuelles et les soup çons de diag nos tic par ti san, mais aussi en ca drer la pro cé dure d’ex per tise et même poser un cer tain nombre règles de fond re la tives à celle- ci.

Les sta tuts mu ni ci paux va lo ri saient par ti cu liè re ment la qua li té des ex perts, ap pré ciée d’un double point de vue, pro fes sion nel et dé on to‐

lo gique29. Leur ré dac tion suc ces sive en 1265, 1288 et 1292 in sis tait sur l’ho no ra bi li té, la cré di bi li té30 et le savoir- faire des in té res sés : les mé de cins re quis pour ap por ter leur avis sont pré sen tés comme in arte me di can di per iti31 ou ex per tos in arte ci rexie et me di cine32. Mais il n’est pas tou jours aisé de dé ter mi ner en quoi consiste leur com pé‐

tence et sur tout en quoi elle les sin gu la rise par rap port à leurs confrères, puisque, par exemple, l’exis tence éven tuelle de titres uni‐

ver si taires n’est pas men tion née. En re vanche, les do cu ments sta tu‐

taires sont pro lixes lors qu’il s’agit de dé ter mi ner des condi tions d’âge33, de ré si dence 34ou de ri chesse35 des in té res sés. Plus qu’une com pé tence aca dé mique, ce qui semble ac cré di ter la pa role mé di cale et donc sa pro bable vé ra ci té, c’est l’ho no ra bi li té, la no to rié té, la sta bi‐

li té de son au teur, sa sur face so ciale, bref sa fama. C’est elle qui, en der nier res sort, semble être le prin ci pal fon de ment de son au to ri té comme ex pert. On peut d’ailleurs conjec tu rer que l’ha bi li ta tion ju di‐

ciaire de vait ali men ter la ré pu ta tion des mé de cins ré gu liè re ment sol‐

li ci tés par les tri bu naux, qui ont pu y voir un moyen d’ac croître leur cré dit (et sans doute leur ré mu né ra tion). L’agré ment de l’ex pert s’ins‐

cri vait dans une dy na mique de va li da tion où cha cun des ac teurs ap‐

por tait aux autres le ren fort de sa propre cré di bi li té : l’art des mé de‐

cins ap pe lait le man de ment du tri bu nal et la re con nais sance ju di ciaire ren for çait la ré pu ta tion des mé de cins.

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Le sta tut bo lo gnais de 1292 in tro duit une va riable sup plé men taire dans les choix, avec le ti rage au sort dans un sac des noms des mé de‐

cins char gés de réa li ser une ex per tise. Il s’agis sait de pré ve nir tout risque de ma ni pu la tion ou de fraude, dans un contexte po li tique tendu. Avant même de s’ex pri mer dans un pré toire, l’ex per tise mé di‐

cale était pro té gée de façon à ga ran tir son in té gri té et donc sa fia bi li‐

té. Dans le cadre du pro cès, enfin, les pra ti ciens étaient as treints à l’obli ga tion de prê ter ser ment36.

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Par- delà les va ria tions af fec tant ces dis po si tifs d’ha bi li ta tion par la com mune, ce qu’il im porte sur tout de sou li gner ici, c’est la force de leurs ef fets ju ri diques. Ces «  té moins da tifs  » comme les ap pelle Balde37 sont dou ble ment fiables, en vertu de leur com pé tence propre et du fait de leur agré ment par les au to ri tés pu bliques. D’une cer taine ma nière, la qua li fi ca tion com mu nale agit comme une sorte de pré- constitution de preuve, la pa role mé di cale re cueillant de l’onc tion ins ti tu tion nelle une vé ri table va leur dé ci sive.

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La ré gle men ta tion com mu nale ne s’en tient pas à ces élé ments, déjà im por tants. Elle pres crit éga le ment des points de pro cé dure, al lant de l’obli ga tion de sai sine des mé de cins ex perts ou des dé lais à res pec ter pour l’exa men des bles sures (en cas d’ho mi cide) à la consi gna tion de leur consul ta tion. Ainsi, à Pé rouse, l’obli ga tion sta tu taire de mon trer les bles sures oc ca sion nées par une per sonne aux mé de cins agréés consti tue une for ma li té sub stan tielle qui, si elle n’est pas res pec tée, prive de la plu part de ses ef fets l’ac tion en jus tice qui sera éven tuel le‐

ment in ten tée. Dans une consul ta tion déjà citée, Balde pré cise que, si, pour une rai son ou pour une autre, les deux mé de cins jurés re quis par la loi pour consta ter et éva luer les bles sures cau sées vo lon tai re‐

ment, ne peuvent ef fec tuer va la ble ment leurs ob ser va tions, le juge est dans l’in ca pa ci té de pro cé der. Dans cette hy po thèse, la pu ni tion pour ra être pro non cée pour bles sure et non pour meurtre38. Le dé‐

faut de té moi gnage mé di cal en traine par consé quent une re qua li fi ca‐

tion des faits et une mi no ra tion de la sanc tion en cou rue. C’est là re‐

con naître que le mé de cin juré joue un rôle dé ter mi nant dans le pro‐

ces sus de qua li fi ca tion ju ri dic tion nelle, qui consti tue le cœur du pro‐

cès. Plus qu’un auxi liaire or di naire de la jus tice, il est, par son ex per‐

tise ju ri di que ment ha bi li tée, un ac teur ma jeur de la vie ju di ciaire.

D’une cer taine ma nière, il pro cède de l’ordre ju di ciaire au moins au‐

tant qu’il y col la bore de l’ex té rieur.

19

En se cond lieu, la re la tion de l’ex per tise mé di cale doit être as su rée par des no taires de puis la ré vi sion des sta tuts de Bo logne in ter ve nue en 1335. Or, ces comptes ren dus no ta riés, fia bi lisent les constats ef‐

fec tués (en vue de leur exa men par le tri bu nal, voire dans la pers pec‐

tive d’un éven tuel re cours), «  as soient le sé rieux du tra vail des ex‐

perts » et vont même jusqu’à « en le ver au juge toute vel léi té d’ap pré‐

cier per son nel le ment et tout à fait spon ta né ment ce qu’il voit de ses propres yeux  »39. Sur tout, par leur forme même, ils contri buent

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gran de ment à ju ri di ci ser la pa role mé di cale. Comme le notent M. Ni‐

coud et J. Chan de lier, « ils per mettent à la fois d’ini tier la pro cé dure et de qua li fier le fait. Ainsi, les mé de cins opèrent- ils pour l’es sen tiel sur la base d’un mode clas si fi ca toire em prun té au droit »40. Les at‐

tentes créées par la jus tice in fluent di rec te ment sur la struc tu ra tion de l’ex per tise mé di cale.

Une der nière illus tra tion de l’in ter pé né tra tion des champs ju ri dique et mé di cal peut être four nie par un trai té at tri bué à Bar tole et por tant sur les ci ca trices41. Il s’agit en fait d’un com men taire d’une dis po si‐

tion d’un sta tut de la ville de Flo rence qui in cri mine de ma nière spé‐

ciale les bles sures oc ca sion nant des ci ca trices ap pa rentes et du‐

rables. Si l’on suit le maître de Sas so fer ra to, il est clair que les mé de‐

cins man dés pour ef fec tuer l’éva lua tion de ces dom mages cor po rels spé ci fiques n’ont qu’une marge d’ap pré cia tion li mi tée. Le texte est en effet d’une telle pré ci sion quant à la lo ca li sa tion (la face), l’im por tance (dé fi gu ra tion), la per ma nence (après trai te ment) et la cause (les coups reçus) des ci ca trices qui font l’objet de l’ex per tise di li gen tée qu’il peut être as si mi lé à un ques tion naire au quel les pra ti ciens doivent se conten ter de ré pondre.

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B. Le sta tut de la pa role mé di cale. Entre croyance et vé ri té

Si les ins ti tu tions pu bliques confèrent aux mé de cins ha bi li tés une fia‐

bi li té gé né rale, qu’en est- il de la cré di bi li té des diag nos tics par ti cu‐

liers qu’ils sont ame nés à por ter ? L’in ter pré ta tion qu’ils font des faits est- elle consi dé rée comme juste  ? La pa role des ex perts mé di caux est- elle es ti mée comme vraie  ? Les ju ristes se posent très lo gi que‐

ment ces ques tions. Les ré ponses qu’ils leur ap portent va rient selon la com pé tence des ex perts.

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Nous pas se rons ra pi de ment sur l’hy po thèse de l’im pé ri tie to tale des mé de cins jurés, car, par construc tion, elle ruine le fon de ment même du pro ces sus pro ba toire. Plus in té res sante est le cas de l’ab sence d’una ni mi té entre des pra ti ciens a prio ri com pé tents, dont Guillaume Du rand donne un exemple fic tion nel et to pique. L’af faire, qui évoque un peu Le crime de l’Orient Ex press, concerne un ho mi cide consé cu tif à des coups por tés par plu sieurs per sonnes, au nombre des quelles un dé nom mé Ti tius. Le juge, sur la foi des pa roles d’un mé de cin es ti mant

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que la bles sure oc ca sion née par Ti tius avait été mor telle, condamne celui- ci pour meurtre. Mais l’ac cu sé,

pré ten dant que le mé de cin avait dit faux, de man da, avant l’in hu ma ‐ tion, à ce que des mé de cins plus ex pé ri men tés soient convo qués. Ce qui fut fait. Or ceux- ci dé cla rèrent que la bles sure n’avait pas été mor telle. La sen tence fut rap por tée, au motif qu’elle avait été dé ter ‐ mi née par de faux té moins et de faux ins tru ments42.

Il est dé li cat de dé ter mi ner de ma nière cer taine ce qui est en jeu ici : le mé de cin qui a porté le pre mier diag nos tic était- il sim ple ment mau‐

vais ? Ou a- t-il dé li bé ré ment al té ré son diag nos tic pour ac ca bler Ti‐

tius ? Le faux est- il lié ici à une er reur ou à une trom pe rie ? Il est im‐

pos sible de le dé ter mi ner au vu des as ser tions du Spe cu la tor. Pour au tant, son exem plum lie clai re ment l’éta blis se ment des faits et la com pé tence : la contre- expertise, dé ci sive, est as su rée par des mé de‐

cins per itiores. La vé ri té est donc, au moins pour par tie, af faire de sa‐

voir et d’ex pé rience.

24

Un autre pas sage de Guillaume Du rand pré cise mieux sa pen sée. Là en core, il s’agit d’un cas d’école :

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A a bles sé B, qui est dé cé dé d’une fièvre ul té rieure. A est ac cu sé de mort. Il af firme que B est mort de la fièvre, ce que confirment plu ‐ sieurs té moins laïcs. Mais des mé de cins, moins nom breux, af firment que la bles sure a été la cause de la fièvre. A cela je ré ponds que l’on doit croire les mé de cins en plus petit nombre, parce qu’ils ont une meilleure connais sance du fait (quia fac tum me lius nos cunt) 43.

Dans un dé ve lop pe ment re la tif cette fois aux modes de preuve, l’évêque de Mende note sur le même re gistre

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que l’on croit le mé de cin sur sa mé de cine […] le na tu ra liste sur la na ‐ ture, le doc teur sur son dis ciple […] le ta bel lion sur son of fice […] et en gé né ral, on doit croire qui conque est ex pert dans son art […] ce qui est par ti cu liè re ment utile à pro pos des té moins : on doit croire da van tage celui qui té moigne à pro pos de son art44.

Ja co bus de Bel vi sio (mort en 1338), ori gi naire de Bo logne puis pro fes‐

seur à Naples conclut dans le même sens. Dans sa Prac ti ca ju di cia ria in ci mi na li bus, il note, à pro pos de la mort d’un pri son nier, que l’on

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(12)

doit man der « de bons mé de cins chi rur giens jurés et prou vés », qui fe ront une dé po si tion consi gnée dans un ins tru ment pu blic, pour dé‐

ter mi ner si le dé funt por tait des traces de lé sion ou de bles sure45. Et Ja co bus d’ajou ter « l’on doit croire les mé de cins agréés et s’en tenir à leur dé po si tion »46.

Les té moins ont rap por té sur ce qu’ils ont vu47, les mé de cins sur ce qu’ils savent et ce sa voir, fon da men ta le ment pra tique car por tant sur des faits, les érige en spé cia listes du réel, dont la pa role qua li fiée porte plus que celle, quan ti fiée, du plus grand nombre. La for mule rap por tée plus haut de Guillaume Du rand est frap pante, parce que, pour fon der la force du té moi gnage mé di cal, elle ne fait ré fé rence ni à la connais sance de l’ana to mie, ni à celle de la phy sio lo gie, ni à celle des livres mais à la seule ex per tise du fait.

28

L’art mé di cal consiste à lire le réel et de cette lec ture il est pos sible d’in fé rer un cer tain nombre de consé quences. Ju ri diques bien sûr –  on l’a vu plus haut – mais aussi épis té mo lo giques. La ques tion est ici celle du pas sage du croire au sa voir, de la cré di bi li té à la vé ri té. Si l’on doit « croire » les mé de cins pour leur ex per tise, doit- on consi dé rer cette croyance comme une opi nion rai son nable, fon dée sur une pro‐

ba bi li té forte, ou comme une voie d’accès pos sible à la vé ri té ? L’ex‐

per tise mé di cale définit- elle une vé ri té par dé faut, une vé ri té ac cep‐

table faute de mieux ou donne- t-elle plei ne ment accès à la vé ri té phy sique, la vé ri té du réel dont les ma gis trats ont à connaitre ?

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Cette der nière pro po si tion est sou te nue par Balde, dans une consul‐

ta tion re la tive à une af faire de coups et bles sures. Il y af firme que son point de vue est fondé sur « la vé ri té elle- même » et que celle- ci peut être connue grâce à une ac cu mu la tion d’ex pé riences.

30

À l’op po sé [des cir cons tances ag gra vantes re te nues dans le cas d’es ‐ pèce], il y a la vé ri té elle- même, qui peut être prou vée par l’ex pé ‐ rience gé né rale, par les règles de l’art de la mé de cine que les lois sa ‐ crées ne dé daignent pas d’imi ter, ff. de sta. ho mi num, l. sep ti mo mense [D, 1, 5, 12], par un té moin vi vant et ex pert dans l’art et par la qua li té du point du corps qui a été tou ché, à sa voir le bras48.

Et Balde d’in sis ter :

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Pour ce qui concerne le pre mier point, on doit sa voir que l’ex pé ‐ rience construit l’art. En effet, la connais sance de la vé ri té se fait jour à la suite de nom breuses ex pé riences (…). Or, il est cer tain par ex pé ‐ rience qu’une bles sure non mor telle peut de ve nir mor telle si elle n’est pas soi gnée (…), de même qu’il ap pert des ca nons de la mé de ‐ cine que la vie est abré gée si la ma la die n’est pas soi gnée49.

L’ex per tise mé di cale, somme d’une mul ti tude d’ex pé riences, se voit qua li fiée de vé ri té. Certes, il s’agit d’une vé ri té va cillante, issue des choses elles- mêmes, une vé ri té cir cons crite à un champ ma té riel assez étroit. Mais c’est une vé ri té tout de même, une vé ri té suf fi sam‐

ment ferme pour être af fir mée dans un pré toire, contre ba lan cer les cir cons tances ag gra vantes d’une af faire et em por ter fi na le ment la dé‐

ci sion du juge. Mieux même, cer taines vé ri tés mé di cales sont ap pa‐

rues si re mar quables qu’elles ont pu ser vir de fon de ment à l’éta blis se‐

ment d’une règle de droit et ac qué rir ainsi la va leur nor ma tive gé né‐

rale dont leur na ture ex pé ri men tale sem blait a prio ri les pri ver50.

32

Il y a donc une po ro si té re la tive entre droit et mé de cine, une po ro si té qui ne tient pas seule ment à la com mu nau té des ob jets sai sis par ces deux dis ci plines, mais aussi à une ho mo lo gie par tielle de leur fonc‐

tion, à la fois her mé neu tique et pré dic tive. C’est sans doute ce qui ex‐

plique la large prise en compte de la pa role mé di cale de vant le for ju‐

di ciaire, par- delà la co opé ra tion médico- légale or ga ni sée par les sta‐

tuts ur bains.

33

II. La mise en forme de l’ex per ‐ tise. Du té moi gnage à la sen ‐ tence : pro duire la vé ri té par le droit

Dans le pro ces sus d’ex per tise ju di ciaire, l’avis mé di cal ne peut être consi dé ré iso lé ment. Élé ment d’une pro cé dure ju ri dique, il doit être en vi sa gé dans le cadre d’une in ter ac tion dont il n’a qu’une mai trise par tielle. S’il pro duit bien des in for ma tions « cré dibles » par ré fé rence aux conte nus spé ci fiques de la science mé di cale, ces in for ma tions

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sont en quelque sorte en co dées par un pro gramme ju ri dique qui lui donne sens et por tée.

Plus pré ci sé ment, la vé ri té ju di ciaire éla bo rée grâce à l’avis mé di cal re pose sur deux pro ces sus conco mi tants qui concourent à don ner un sens ju ri dique au réel : la sin gu la ri sa tion des faits per ti nents pour éta‐

blir un diag nos tic fiable (A)  ; la re cherche d’une cau sa li té ef fi ciente dans l’en chaî ne ment des évè ne ments qui font l’objet du pro cès (B).

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A. La sin gu la ri sa tion des faits per ti ‐ nents : La vé ri té ju di ciaire, entre diag ‐ nos tic mé di cal et pré somp tion de la loi

L’ex per tise mé di cale est sol li ci tée pour éta blir des faits. Cette sol li ci‐

ta tion peut être sys té ma tique lors qu’elle est im po sée par les sta tuts ou en cas d’en quête cri mi nelle  ; elle peut n’être que fa cul ta tive lorsque la preuve d’une si tua tion ju ri dique est fa cile à rap por ter et ne né ces site au cune com pé tence par ti cu lière. Selon nos sources, il existe en effet un cer tain nombre d’hy po thèses où il n’est pas né ces‐

saire de s’as su rer de la col la bo ra tion d’un mé de cin, soit parce que les cir cons tances sont clai re ment éta blies, soit parce que leurs in cer ti‐

tudes ré si duelles peuvent être ré so lues par des té moi gnages « or di‐

naires » ou la mé dia tion d’un sa voir « com mun ». Le re cours à l’ex per‐

tise consti tue un pro cé dé cou teux (en temps, en ar gent, voire en pro‐

cé dure, puis qu’il est source de com plexi té) dont on ne doit user qu’à bon es cient.

36

Pa ra doxa le ment, dans des do maines qui nous semblent au jourd’hui fort com plexes – les ori gines de la vie, la dé ter mi na tion de la mort – Bar tole es time qu’un simple té moi gnage suf fit pour éta blir la vé ri té. Il doit sim ple ment être pré cis. S’agis sant d’un nouveau- né,

37

Si le té moin a sim ple ment dit qu’il a vécu, parce qu’il l’a vu bou ger, cela ne prouve rien car dans un corps mort, on voit sou vent des ven ‐ to si tés qui le font mou voir. Donc, si le té moin pré cise par quel mou ‐ ve ment il a vu les jambes ou les bras s’étendre ou se contrac ter, cela ren voie as su ré ment à une ac tion ou à une pas sion de l’âme, ou s’il dit qu’il a senti battre le pouls, cela est causé par le cœur qui est la ra ‐ cine de l’es prit vital ; de même s’il dit qu’il a vu ex pi rer et ins pi rer un

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souffle, ou vrir et fer mer les yeux, ce sont là in du bi ta ble ment les signes de quel qu’un de vi vant51.

À pro pos du tré pas, si un mé de cin est re quis pour éta blir les causes du décès, les «  signes de la mort  », eux, re lè ve raient d’un «  sa voir com mun » una ni me ment par ta gé. A ce sujet, nom breuses sont les si‐

tua tions où le décès n’est pas connu tout de suite par les proches, par exemple, lors qu’il a lieu loin de la fa mille. La foi de té moi gnages, ra re‐

ment mé di caux, doit alors per mettre aux hé ri tiers du dé funt de faire en re gis trer le décès et donc d’ou vrir la suc ces sion. En core convient- il de s’as su rer que ces té moi gnages offrent des ga ran ties suf fi santes et men tionnent des in dices in du bi tables :

38

Si un té moin dé clare qu’il a vu quel qu’un de mort, il n’est pas né ces ‐ saire de l’in ter ro ger plus avant […]. Si néan moins il est in ter ro gé et qu’il dit qu’il a vu cette per sonne sans mou ve ment ni res pi ra tion, qu’il lui a pris le pouls et qu’il n’a rien senti, on convien dra que ce sont là des signes cer tains de la mort. S’il dit sim ple ment qu’il a vu cette per ‐ sonne mou rir et ex pi rer, je dis que cela suf fit. Cela est en effet connu com mu né ment et il n’existe pas de mots plus clairs pour ex pri mer la mort. S’il ré pond « parce que j’ai vu que cette per sonne avait tous les signes et tout l’as pect de la mort », c’est suf fi sant. Cet as pect est en effet com mu né ment noté y com pris chez des per sonnes dé cé dées de fraiche date »52.

À côté de ces cas simples, d’autres si tua tions se ré vèlent dif fi ciles à com prendre, parce que les signes cor po rels sont in exis tants ou trop nom breux ou am bi gus et peu li sibles. Le rôle des mé de cins est alors de dé ter mi ner, parmi le désordre des corps et la confu sion des bles‐

sures, les élé ments per ti nents pour sai sir la vé ri té de la si tua tion.

39

Guillaume Du rand en donne un exemple éclai rant, à pro pos d’un conflit qui au rait op po sé un étu diant de Bo logne à un chan geur. Venu ré cla mer son ar gent, l’étu diant a été frap pé avec une faux par le chan geur. Pour se dis cul per, celui- ci pré ten dit que l’étu diant avait été tué par les sa bots d’une mule. Le ma gis trat en charge de l’en quête fit alors exa mi ner le ca davre par des chi rur giens qui af fir mèrent que les bles sures avaient été cau sées par un ins tru ment en forme de faux, ce qui en trai na la condam na tion du chan geur53.

40

(16)

Les corps bles sés, les ca davres al té rés sont d’ir ri tantes énigmes dont les mé de cins ont la clef. Les signes que les corps souf frants ex hibent aux yeux de tous sont ins crits dans une langue que les hommes de l’art sont seuls à pou voir dé chif frer, re te nant les in dices concor dants, dé jouant les fausses pistes, dé rou lant l’éche veau des stig mates contra dic toires. Les mé de cins sont les spé cia listes des faits cor po rels aux quels leur science prête une in tel li gi bi li té né ces saire à leur prise en compte par le droit.

41

Dans cer taines hy po thèses cette lec ture mé di cale n’opère pas de façon au to nome, mais à l’in té rieur d’un cadre posé par les sta tuts, par le biais d’un sys tème de pré somp tions lé gales qui peut être re la ti ve‐

ment pré cis. Rap pe lons qu’en droit, une pré somp tion est un mode de rai son ne ment qui, à par tir de l’éta blis se ment d’un fait «  in duit un autre fait qui n’est pas prou vé »54. En d’autres termes, les pré somp‐

tions consti tuent, à dé faut de preuves, des vé ri tés pro vi soires dont la force re pose sur la vrai sem blance mais dont la per ti nence peut être dé truite ou af fai blie par la pro duc tion d’un fait mieux éta bli.

42

Or les sta tuts qui en cadrent l’ac ti vi té d’ex per tise mé di cale sont rem‐

plis de pré somp tions. Une dis po si tion ré gle men taire dont nous igno‐

rons l’ori gine (Pé rouse ?) pres crit la dé ca pi ta tion pour toute per sonne cou pable d’un ho mi cide vo lon taire. Dans une consul ta tion, Balde ex‐

plique que le ca rac tère dé li bé ré de l’ho mi cide se dé duit de trois pré‐

somp tions lé gales liées les unes aux autres : le type de bles sures re‐

çues, la qua li té de l’ins tru ment uti li sé pour por ter les coups et les ef‐

fets pro duits (en l’oc cur rence la mort)55. L’im por tance des plaies fait pré su mer le type d’arme uti li sé. Le type d’arme per met d’in duire la vo lon té de tuer que vient fi na le ment cor ro bo rer le décès de la vic‐

time.

43

Pour sa part, Bar tole sou ligne que lorsque la mort sur vient après des coups, les sta tuts pré sument que ces coups sont la cause de la mort56. En clair, ils fondent une cau sa li té sur une cor ré la tion. Plus pré ci sé ment, la loi pose une pré somp tion simple57. Quelles que soient les bles sures in fli gées, celles- ci sont tou jours pré su mées mor‐

telles, pour peu que le décès in ter vienne dans un délai qui reste à dé‐

fi nir. Selon le texte pris comme ré fé rence, lois ro maines, droit canon, ou sta tuts ur bains, ce délai peut aller de 3 jours à un an entre la com‐

mis sion des vio lences et la mort sen sée en être la consé quence58. En

44

(17)

Lom bar die par exemple, si le décès in ter vient dans l’année qui suit les coups, ceux- ci sont consi dé rés comme la cause dé ter mi nante de la mort.

Dans ce ré seau pré somp tif, le rôle des mé de cins ex perts est de confir mer ou d’in fir mer les pré sup po sés éta blis par les sta tuts, en les confron tant à la vé ri té ir ré fra gable du réel.

45

Au contraire (de ces pré somp tions) on trouve la vé ri té elle- même, qui est prou vée par l’ex pé rience gé né rale et par les règles de l’art mé di ‐ cal que, pour les in dices de ce genre, les lois sa crées elles- mêmes ne dé daignent pas d’imi ter59.

À l’igno rance des faits, le droit op pose la vrai sem blance des pré somp‐

tions et la mé de cine la vé ri té des diag nos tics, la se conde ayant vo ca‐

tion à se sub sti tuer à la pre mière, dès lors qu’elle est fer me ment éta‐

blie. Il n’en de meure pas moins que les af fir ma tions des mé de cins sont lar ge ment dé ter mi nées par les hy po thèses for mu lées par le droit, qu’il s’agisse de les ren for cer ou de les dé truire.

46

B. La re cherche d’une cau sa li té ef fi ‐ ciente : de l’éven tua li té à la cause avé ‐ rée

Le champ de la res pon sa bi li té, qu’elle soit dé lic tuelle ou contrac‐

tuelle, consti tue l’un des prin ci paux points de contact (ou en tout cas l’un des mieux do cu men tés) entre mé de cine et droit. Il prend alors la forme d’un dis cours ra tion nel ré tros pec tif, vi sant la re cherche et l’iden ti fi ca tion des causes d’une si tua tion ac tuelle puis à l’éta blis se‐

ment d’éven tuelles re la tions d’im pu ta tion entre ces causes et un au‐

teur dé fi ni. Dans cette pers pec tive, le dis cours ju ri dique sur la mé de‐

cine ap pa raît dou ble ment in sé ré dans une pro blé ma tique cau sa liste, soit parce que le mé de cin est ap pe lé à dis cer ner les causes d’un décès ou d’une in fir mi té, soit parce que sa né gli gence ou son im pé ri tie per‐

mettent de lui im pu ter ce décès ou cette in fir mi té.

47

En ma tière de coups, la dé ter mi na tion de la cau sa li té se dé cline à un double ni veau. En pre mier lieu, le mé de cin, re quis par le juge, exa‐

mine avec soin et « selon son art », « la quan ti té, le lieu et la qua li té

48

(18)

des bles sures »60 pour dé ter mi ner si elles ont été mor telles ou non.

Cet exa men per met alors soit d’in fir mer, soit de confir mer la pré‐

somp tion posée par la loi. En se cond lieu, le mé de cin, par l’exa men des bles sures in fli gées, peut émettre un avis sur l’ani mus oc ci den di et donc le ca rac tère cri mi nel ou non de l’ho mi cide per pé tré61.

Il ar rive aussi que l’on fasse appel à son ex per tise dans des contextes où une plu ra li té des causes rend peu dis cer nable l’éta blis se ment des res pon sa bi li tés. Par fois, l’en chaî ne ment cau sal est tel qu’il est qua si‐

ment im pos sible de sa voir à quoi le décès est vrai ment im pu table.

Ainsi, lors qu’une fièvre en traîne la mort d’une per sonne qui a déjà été vic time de bles sures, doit- on consi dé rer cette fièvre comme la consé quence des coups reçus et donc l’in clure dans une seule et même cau sa li té gé né rique, comme l’ac ces soire du crime, ou constitue- t-elle un élé ment dis tinct de ce der nier ? Si le diag nos tic a éta bli le ca rac tère bénin des bles sures in fli gées, la fièvre ne doit- elle pas être rap pro chée de la faible consti tu tion du ma lade ? Que doit- on conclure, à l’in verse, si les coups ont été éva lués comme mor tels par les mé de cins, mais que le décès est consé cu tif par exemple à un nau‐

frage  62? Les causes pro chaines doivent- elles pri mer sur les causes loin taines63 ?

49

Le même type d’in ter ro ga tion pré vaut lorsque la mé de cine de vient elle- même par tie pre nante du pro ces sus cau sal et que le décès de la vic time semble im pu table à une ac tion ou à une in ac tion du mé de cin dans la conduite des soins. C’est la pro blé ma tique de la né gli gence et de l’im pé ri tie, déjà évo quée, qui doivent être éva luées, là en core, non pas de ma nière ab so lue, mais de ma nière re la tive, en te nant compte, comme le sou ligne Hos tien sis, de «  toutes les cir cons tances  »64. Ainsi, outre des in ves ti ga tions sur la qua li té des soins dis pen sés, le juge et l’ex pert mé di cal qu’il aura man da té pour dé brouiller l’éche veau des res pon sa bi li tés, de vront mener des re cherches sur la qua li té du ma té riel uti li sé65, mais aussi sur la com plexion du ma lade, la confor‐

ma tion de ses membres et même sa vo lon té de gué rir66. Parce qu’elle est es ti mée à l’aune d’une obli ga tion de moyens et non de ré sul tat, la res pon sa bi li té mé di cale se dé ploie dans un champ de pos sibles ex trê‐

me ment com plexes, dont chaque élé ment ne peut être ap pré cié que dans une re la tion d’in ter ac tion avec les autres.

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Enfin, la re cherche des causes n’ex clut pas, bien au contraire, la re‐

con nais sance d’une part lais sée au ha sard, puis qu’en ma tière de santé, l’aléa, fré quent, ne peut être né gli gé. C’est ce qu’ex plique Balde dans le cas, évo qué plus haut, où un décès est sur ve nu 20 jours après que des bles sures eurent été por tées sur une vic time à l’aide d’une ha chette. À ce sujet, le ju ris con sulte rai sonne de la ma nière sui vante :

51

soit (l’évè ne ment mor tel) pro cède de causes proches et im mé diates et il était donc at ten du au re gard de ces mêmes causes, soit ces causes ne sont pas im mé diates et on a plu tôt af faire à une oc ca sion ; dans ce cas, l’évé ne ment (mor tel) ne doit pas être at tri bué à ce prin ‐ cipe éloi gné (dans le temps) mais à ces causes plus proches67.

La va riable tem po relle in tro duit un prin cipe d’in cer ti tude sup plé men‐

taire qui com plique un peu plus la tâche du mé de cin ex pert mais qui doit, en der nière ana lyse, pro fi ter à l’ac cu sé (il s’agit là d’une nou velle pré somp tion).

52

Ainsi, les dé ve lop pe ments consa crés par les ju ristes aux ques tions mé di cales s’ap pa rentent à de longues com bi na toires de causes, parmi les quelles la mé de cine per met d’opé rer des choix ra tion nels et des hié rar chi sa tions par ti cu lières, là où les pré somp tions po sées par la loi four nis saient des prin cipes d’or ga ni sa tion gé né rale. La dis ci pline mé‐

di cale dé crite par les ou vrages de droit ap pa raît comme une zone de re cou vre ment entre deux en sembles sys té miques hé té ro gènes, l’ordre ju ri dique, en glo bant et nor ma tif, et l’ordre mé di cal, cir cons‐

tan ciel et prag ma tique. Ap pré hen dée comme auxi liaire de la jus tice, la mé de cine res semble moins à une dis ci pline de l’ac tion cu ra tive qu’à un ins tru ment de la dé ci sion ju di ciaire. C’est bien une her mé neu tique qu’elle met en œuvre, mais une her mé neu tique pra tique, in cer taine, tâ ton nante, sur la quelle il n’est pas pos sible de tenir de dis cours gé‐

né ra liste. Tout y est af faires de cir cons tances, de par ti cu la ri tés ma té‐

rielles, de fonc tion ne ments or ga niques in dis cer nables va riables d’une per sonne à une autre, d’un temps à un autre.

53

Rap por tés à la ques tion de la vé ri té ju di ciaire, les dé ve lop pe ments sur l’ex per tise mé di cale font le lien entre l’af fir ma tion ins ti tu tion nelle d’un vrai sous trait à la dis cus sion – c’est l’hy po thèse de l’au to ri té de la chose jugée  – et la re cherche dif fi cile d’une vé ri té fac tuelle que le droit s’ef force de mai tri ser au prix d’une lec ture uni voque. D’une cer ‐

54

(20)

NOTES

1 Sur cette dis tinc tion, v. O. Pfers mann, art. «  Fait  », Dic tion naire de la culture ju ri dique, dir. D. Al land et S. Rials, Paris, PUF, 2003, p. 695-698. Sur ses im pli ca tions lo giques, l’ar ticle de ré fé rence est celui de Ch. Per el man,

« La dis tinc tion du fait et du droit. Le point de vue du lo gi cien », Dia lec ti ca, 15(3/4  : Dis cus sion sur l’idée d’une phi lo so phie d’ins pi ra tion scien ti fique), 1961, p. 601-610.

2 O. Pfers mann, art. cit., p. 695.

3 C’est la cé lèbre dé fi ni tion d’Ul pien re cueillie au Di geste, I, 1, 10 Ius ti tia est constans et per pe tua vo lun tas ius suum cuique tri buen di.

4 Pour un pa no ra ma gé né ral, on peut en core ren voyer au lu mi neux ou vrage de Jean- Philippe Lévy, La hié rar chie des preuves dans le droit sa vant du moyen- âge de puis la re nais sance du droit ro main jusqu’à la fin du XIV  siècle, Li brai rie du Re cueil Sirey (so cié té ano nyme), 1939. Plus ré cem ment : B. Le‐

mesle (dir.), La preuve en jus tice de l’An ti qui té à nos jours, Rennes, presses uni ver si taires, 2003 ou C. Gau vard (dir.), L’en quête au Moyen Âge, Rome, col‐

lec tion de l’École fran çaise, 2008.

5 F. Mazel, « Vé ri té et au to ri té : y a- t-il un mo ment gré go rien ? », La vé ri té.

Vé ri té et cré di bi li té : construire la vé ri té dans le sys tème de com mu ni ca tion de l’Oc ci dent (XIII -XVII siècle), dir. J.-Ph. Genet, Paris, éd. de la Sor bonne, 2015, p. 284 : « S’agis sant de la concep tion et des usages de la vé ri té, le mo ment gré go rien consti tue bien un mo ment sin gu lier, et cela à deux titres. D’une taine façon, avec la pro cé dure et la qua li fi ca tion, l’ex per tise, no tam‐

ment mé di cale, a sans doute consti tué l’un des ou tils pri vi lé giés uti li‐

sés par les ju ristes pour ar rai son ner le réel. Sa prin ci pale vertu ré si da moins dans la qua li té des sa voirs par ti cu liers pro duits par les mé de‐

cins que dans leur ca pa ci té à ré pondre aux in ter ro ga tions des juges et sur tout dans leur cré di bi li té, elle- même liée à leur res pec ta bi li té pro fes sion nelle et à l’ac cu mu la tion de leur ex pé rience de pra ti ciens. À mi- chemin de la dé mons tra tion lo gique et de la croyance so ciale, la vé ri té issue des dé bats pré to riens et de la pa role des ex perts de vait pou voir s’im po ser à la com mu nau té pu blique d’une façon suf fi sam‐

ment pro bante pour ré duire les contes ta tions éven tuelles. Une fois épui sées les voies de re cours, il ne lui res tait plus qu’à tirer de l’onc‐

tion ju ri dic tion nelle l’au to ri té dé fi ni tive d’une dé ci sion in con tes table.

e

e e

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part parce qu’il pro meut une forme d’ab so lu ti sa tion de la vé ri té […]. D’autre part parce que ce mo ment fa vo rise l’af fir ma tion d’une nou velle vé ri té que je dé si gne rais faute de mieux, au re gard de la for ma li sa tion de ses af fir ma‐

tions, comme idéo lo gique. Jusque- là, le terme ve ri tas pou vait sché ma ti que‐

ment si gni fier deux choses : soit il s’agis sait d’une simple (sic) hy po stase du Christ (la Vé ri té) ou de la re li gion chré tienne (la vera fides), soit il s’agis sait de la mise au jour de la « vé ri té des faits » (ce que l’on te nait pour tel), no‐

tam ment dans les contextes ju di ciaires. Dé sor mais, dans la bouche des Gré‐

go riens, la ve ri tas ren voie avant tout, de ma nière à la fois plus ex pli cite et plus cir cons crite, aux prin cipes, aux lois, à la doc tri na de la pa pau té ré for‐

ma trice et de la sainte Église ro maine […] ».

6 Bon ré su mé de la ques tion chez R. Jacob, La grâce des juges. L’ins ti tu tion ju di ciaire et le sacré en Oc ci dent, Paris, PUF, 2014, no tam ment p. 476-477 :

« En deux dé cen nies, au tour nant des XII et XIII  siècles, ve nait de s’ac com‐

plir le dé cou plage ra di cal du champ des sa cre ments et des modes de pro‐

duc tion de la vé ri té ju di ciaire. Ve nait aussi d’ap pa raître, pour la pre mière fois avec net te té, la dif fé ren cia tion du for in terne […] qui était le jus ti ciable en com mu ni ca tion avec le juge divin par l’oreille de son prêtre et le for ex‐

terne […] d’où Dieu s’était en tout re ti ré. »

7 Pour une syn thèse vi gou reuse de ces trans for ma tions, on consul te ra avec pro fit les tra vaux de M. Val le ra ni, en par ti cu lier « Mo del li di ve ri ta. Le prove nei pro ces si in qui si to ri », L’en quête au Moyen- Age, op. cit., p. 123-142,

« I pro ces si ac cu sa to ri a Bo lo gna fra Due e Tre cen to », So cie tà e Sto ria, 78, 1997, p. 741-788 ; Me die val pu blic jus tice, Wa shing ton, The ca tho lic uni ver si ty of Ame ri ca Press, 2012.

8 Cf. par exemple la dia lec tique du scan dale et de la vé ri té  : C. Nemo- Peckelman, « Scan dale et vé ri té dans la doc trine ca no nique mé dié vale (XII -

XIII   siècles)  », Revue his to rique de droit fran çais et étran ger, 85/4, 2007, p.  491-504  ; C. Leveleux- Teixeira, «  Droit et vé ri té  : le point de vue de la doc trine mé dié vale (XII -XV ) ou la vé ri té entre opi nion et fic tion », Bien dire et bien ap prendre, Revue de mé dié vis tique, 23 [Le vrai et le faux au Moyen Âge], 2005, p. 333-349  ; A. Fos sier, «  Scan dale, vé ri té et gou ver ne ment de l’Église (XII -XIV  siècles) », La vé ri té. Vé ri té et cré di bi li té : construire la vé ri té dans le sys tème de com mu ni ca tion de l’Oc ci dent (XIII -XVII  siècle), dir. J.-Ph.

Genet, Paris, éd. de la Sor bonne, 2015 p. 309-320.

9 C’est par ti cu liè re ment clair en ce qui concerne l’obli ga tion faite au juge de ne se ré fé rer qu’aux al le ga ta et aux pro ba ta pour fon der sa dé ci sion, c’est à dire de bor ner sa fa cul té de ju ge ment aux seuls élé ments pro duits dans le

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cadre du pro cès et confor mé ment à la pro cé dure, sans tenir compte des éven tuelles connais sances fac tuelles qu’il pour rait avoir du cas à titre per‐

son nel, en de hors du pré toire. Sur ce sujet to pique, v. J.-M. Car basse, « Le juge entre la loi et la jus tice : ap proches mé dié vales », La conscience du juge dans la tra di tion ju ri dique eu ro péenne, dir. J.-M. Car basse et L. Depambour- Tarride, Paris, PUF, 1999, p.  67-94 et sur tout A. Padoa- Schioppa, «  Sur la conscience du juge dans le ius com mune eu ro péen », ibid., p. 95-129.

10 Ren voyons sur ce point aux actes du col loque de la SHMESP consa crés à cette ques tion, qui exa mine un grand nombre de si tua tions d’ex per tise, y com pris en de hors du cadre ju di ciaire : Ex perts et ex per tise au Moyen Âge.

Consi lium quae ri tur a per ito, Paris, Pu bli ca tions de la Sor bonne, 2012.

11 A. Cour te manche, Re gard sur la femme mé dié vale : la dé lin quance fé mi‐

nine à Ma nosque au tour nant du xiv  siècle, mé moire de maî trise, Uni ver si té Laval, Que bec, 1981, p. 37-38 citée par J. Shatz mil ler, Mé de cine et jus tice en Pro vence mé dié vale. Do cu ments de Ma nosque, 1262-1348, Aix, Presses de l’Uni ver si té de Pro vence, 1989, p. 31-32.

12 Sur les rap ports entre science et tech nique, et plus par ti cu liè re ment sur les dé pla ce ments in duits par la re con fi gu ra tion des sa voirs à par tir du XII siècle, on consul te ra avec pro fit Science et tech nique au Moyen Âge (XII -XV siècle), dir. J. Chan de lier, C. Verna et N. Weill- Parot, Paris, Presses uni ver si‐

taires de Vin cennes, 2017, même si le champ ju ri dique n’y est pas di rec te‐

ment abor dé.

13 Au sens pre mier de ce terme : dé cou verte.

14 Cf. J. Agri mi et C. Cris cia ni, Les consi lia mé di caux, Turn hout, Bre pols, 1994.

15 Le titre le plus ré cent est Me di cine and the law in the middle ages, dir. W.

J. Tur ner et S. N. But ler, Leyde, Brill, 2014, qui re groupe plu sieurs études dont l’une de C. Fer ra gud sur « Ex pert exa mi na tion of wounds in the cri mi‐

nal court of jus tice in Co cen tai na (king dom of Va len cia), du ring the late Middle ages » et l’une de J. Car ra way Vi tiel lo, « Fo ren sic evi dence, lay wit‐

nesses and me di cal ex per tise in the cri mi nal courts of late me die val Italy » ; J. Shatz mil ler, « The ju ris pru dence of the dead body : me di cal prac ti tion at the ser vice of civic and legal au tho ri ties », Mi cro lo gus, 7, 1999, p. 223-230 ; M. Asche ri, « Di rit to co mune, pro ces so e is ti tu zio ni : ov ve ro della cre di bi li ta dei giu ris ti (e dei me di ci), Di rit to me die vale e mo der no. Pro ble mi del pro ces so, della cultu ra e delle fonti giu ri diche, dir. M. Asche ri, Ri mi ni, 1991, p. 181-255 ; Id. « Consi lium sa pien tis. Per izia me di ca et res ju di ca ta : di rit to dei dot to ri e

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ins ti tu zio ni com mu na li  », Pro cee dings of the fifth in ter na tio nal congress of me die val canon law, dir. S. Kutt ner et K. Pen ning ton, Citta del Va ti ca no, 1980, p. 533-579 ; Id. Ri me di contro le epi de mie. I consi gli di di rit to eu ro peo dei giu ris ti (se co li XIV- XVI), Can te ra no, Aracne edi tri ci, 2020 (rééd.)  ; E.

Dall’Osso, L’or ga niz za zione medico- legale a Bo lo gna e Ve ne zia nei se co li XII-

XIV, Ce se na, 1956 ; E. Or tal li, « La per izia me di ca a Bo lo gna nei se co li xii e xiv  : nor ma ti va e pra ti ca di un is ti tu to giu di zia rio  », De pu ta zione di sto ria pa tria per le pro vince di Ro ma gna, Atti e me mo rie, Bo logne, 1969 ; A. Si mi li, Sui pri mor di e sulla pro ce du ra della me di ci na le gale in Bo lo gna, Is ti tu to na‐

zio nale me di co far ma co lo gi co Se ro no, 1943 ; Id., « Bar to lo meo da Va ri gna na e una sua per izia giu di zia ria  », La Ri for ma me di ca, 36, 1941, p.  3-12  ; L.

Münster, « La me di ci na le gale in Bo lo gna dai suoi al bo ri fino alla fine del se‐

co lo XIV  », Bol le ti no dell’Aca de mia me di ca Pis toiese Fi lip po Pa ci ni, 1955, p. 258-271 ; Id. « Al cu ni epi so di sco nos ciu ti o poco noti sulla vita e sull’at ti vi‐

ta di Bar to lo meo da Va ri gna na », Cas ta lia, Ri vis ta di Sto ria della Me di ci na, 5- 6, 1954, p. 207-215.

16 Cette im por tance est éga le ment éclai rée par les ar chives ju di ciaires, lorsque celles- ci ont sur vé cu. Ainsi, dans le cas de Ma nosque, pour le quel nous dis po sons de sé ries an ciennes de re gistres no ta riés mais aussi d’en‐

quêtes ju di ciaires, les dé pouille ments de J. Shatz mil ler pour la pé riode 1262- 1348 ont per mis de re pé rer un en semble de 94 actes men tion nant des mé‐

de cins et/ou in té res sant la pra tique mé di cale. Or, sur ce cor pus, 52 textes (soit un peu plus de 55 %) concernent une ex per tise mé di cale.

17 J. Shatz mil ler, Mé de cine et jus tice, op. cit., p. 32.

18 Ja co bus de Bel vi sio, Prac ti ca iu di cia ria, Lyon, J. Rémy, 1521, fol. 72v°, n° 129-131.

19 Bar to lus de Sas so fer ra to, Trac ta tus de ci ca tri ci bus, Ve nise, B. de Tor tis, 1506.

20 Guillel mus Du ran dus, De re qui si tione consi lii, Spe cu lum iuris, II, 2, Bâle, apud Froe nios fratres, 1574, p. 762 suiv.

21 Guillel mus Du ran dus, De sa la riis, Spe cu lum iuris, op. cit., I, 3, p. 350 suiv.

22 Guillel mus Du ran dus, De dis pen sa tio ni bus, Spe cu lum iuris, I, 1, op. cit., p.

63.

23 Sur ce point éga le ment, il se rait in té res sant de pro lon ger l’en quête en com pa rant des af faires ci viles (par exemple ma tri mo niales) à des dos siers cri mi nels pour me su rer d’éven tuels écarts dans la prise en compte de l’ex‐

per tise mé di cale.

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24 G. Rug gie ro «  The co ope ra tion of phy si cians and the State in the controle of vio lence in Re nais sance Ve nice », Jour nal of the his to ry of me di‐

cine and al lied sciences, 33, 1978, p.  155-166  ; E. Dell’Osso, L’or ga niz za zione medico- legale…, op. cit., p. 45-65.

25 Ibid., p. 69-70.

26 AD Bouches du Rhône, 56 H 954, f°159v°-160r°, cité par J. Shatz mil ler, Mé de cine et jus tice… op. cit., p. 34-35.

27 Ibid., p. 38.

28 Ibid., p. 34 et 36-37.

29 E. Dall’Osso, L’or ga niz za zione…, op. cit., p. 34-35 ; A. Si mi li Sui pri mor di et sulla pro ce du ra, op. cit., p. 41-56 ; O. Maz zo ni To sel li, Ra con ti sto ri ci es trat ti dell’ar chi vio cri mi nale di Bo lo gna, t. 3, Bo logne, 1870 ; J. Chan de lier et M. Ni‐

coud, « Entre droit et mé de cine. Les ori gines de la mé de cine lé gale en Ita lie (XIII -XIV   siècles)  », Fron tières des sa voirs en Ita lie à l’époque des pre mières uni ver si tés (XIII -XV  siècles), dir. J. Chan de lier et A. Ro bert, Rome, EFR, 2015, p. 239-293

30 Sta tuts de la ville de Bo logne, 1265, éd. L. Frati, Bo logne, 1877, vol. III, p. 596 : Sine sus pi tione ; Sta tuts de la ville de Bo logne, 1292, éd. G. Fas co li et P. Sella, Cité du Va ti can, 1937, vol. 1, p. 173 : fide di gnos.

31 Sta tuts de la ville de Bo logne, op. cit., 1265, vol. III, p. 596.

32 Sta tuts de la ville de Bo logne, 1292, éd. G. Fas co li et P. Sella, Cité du Va ti‐

can, 1937, vol. 1, p. 173.

33 30 ou 40 ans.

34 Sta tuts de la ville de Bo logne, 1288, op. cit. « et fue rint ha bi ta tores ci vi ta tis Bo no nie per decem annos ad minus » ; 1292 : « Sint ha bi ta tores ci vi ta tis Bo‐

no nie a vi gin tis annis citra ».

35 Sta tuts de la ville de Bo logne, 1288, op. cit. : « et ha beant ex ti mum cen tum li bra rum bo no ni no rum ad minus in co mu ni Bo no nie » ; 1292 : « Ha beant cen‐

tum li bras bo no ni no rum in ex ti mum qui li bet eorum ».

36 Le ser ment peut in ter ve nir à deux mo ments : lors de la dé si gna tion des mé de cins ex perts et lors de leur té moi gnage de vant la cour.

37 Bal dus, Consi lia, Ve nise, 1575, Consi lium 136, fol. 32, n° 4 : « Si consi de ra‐

mus da ti vos testes, da ti vi testes sunt Me di ci in sac cu la ti qui dan tur a sta tu to ».

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