Ecole Doctorale en Sciences Pharmaceutiques
Etude phytochimique et activité antimicrobienne directe et indirecte de Cordia gilletii De Wild (Boraginaceae)
Philippe OKUSA NDJOLO
Thèse présentée en vue de l’obtention du grade de Docteur en Sciences Biomédicales et Pharmaceutiques
Promoteur et co-promoteur:
Prof. Pierre DUEZ (Pharmacognosie, de Bromatologie et Nutrition Humaine)
Prof. Caroline STEVIGNY (Pharmacognosie, de Bromatologie et Nutrition Humaine) Composition du jury :
Prof. Véronique FONTAINE (Faculté de Pharmacie, Université Libre de Bruxelles) Prof. Jean-Michel KAUFFMANN (Faculté de Pharmacie, Université Libre de Bruxelles) Prof. François DUFRASNE (Faculté de Pharmacie, Université Libre de Bruxelles) Prof. Monique TITS (Jury externe, Faculté de Médecine, Université de Liège)
Prof. Bertrand BLANKERT (Jury externe, Faculté de Médecine et de Pharmacie, Université de Mons)
Octobre 2012
Faculté de Pharmacie
« Ne parlez jamais de vous, ni en bien, car on ne vous croirait pas, ni en mal car on ne vous croirait que trop. »
Confucius .
REMERCIEMENTS
Je suis reconnaissant au Professeur Pierre Duez, promoteur de cette thèse, de m’avoir accueilli dans son laboratoire et de m’avoir offert tant d’opportunités. Merci Monsieur d’avoir consacré autant d’énergie à ce travail.
Ma reconnaissance va aussi à toute l’équipe PlantNut : Professeur Caroline Stévigny (co- promoteur de cette thèse, Merci Caro pour tout !), Marie Faes, Olivier Vaillant ainsi que mes collègues chercheurs et stagiaires (Catherine, Léocadie, Valérian, Jérémie, Jacob et les anciens). A mes collègues de l’Université de Mons (Laetitia, Isabelle, Stéphanie, Antonelle, Amandine, Charline, Maxime et Aurélie), Merci de vos encouragements.
J’exprime également ma gratitude aux Professeurs J.C. Braekman et M. Gelbcke pour l’aide précieuse dans l’identification des composés isolés de Cordia gilletii ; au Professeur V. Fontaine pour le cadre de travail qu’elle a mis à ma disposition. Je ne saurais oublier l’apport du Professeur M. Devleeschouwer dans l’élaboration du protocole pour les différents tests antimicrobiens et du Professeur A. Kumps dans l’utilisation de la GC-MS.
Ma gratitude va aussi à tous les membres du jury (V. Fontaine, J.M. Kauffmann, F. Dufrasne, M.
Tits et B. Blankert) qui, malgré leurs multiples occupations, ont accepté de juger cette thèse.
J’ai pu bénéficier pour réaliser ce travail de l’accueil et de l’aide de certains laboratoires que je remercie de tout cœur : Laboratoire de Microbiologie Pharmaceutique de l’ULB (tests antimicrobiens : Naïma), Laboratoire de RMN de l’ULB (Prises de spectres RMN : M. Luhmer, R. D’Orazio), Laboratoire de Chimie Pharmaceutique Organique de l’ULB (Spectrométrie de masse : P. Van Antwerpen et C. Delporte), Laboratoire de Biotechnologie Végétale de l’ULB (effets sur le quorum sensing : Tsiry, Martin et Olivier), Laboratoire de Pharmacognosie de l’ULg (tests antipaludiques : M. Frédérich et O. Jansen), CHU Charleroi (tests antimicrobiens : G. Larson et D. Fammerée), Laboratoire de Nutrition et des Sciences de la Santé de l’Université de Calabre en Italie (Analyse de l’huile essentielle, M. Bonesi), Laboratoire de Biologie Pharmaceutique de l’Université de Braunschweig en Allemagne (Recherche d’alcaloïdes pyrrolizidiniques : T. Beuerle et C. Theuring).
Que mon collègue et ami Tom Nanga (Faculté de Pharmacie, Université de Kinshasa), Mr Nzeza (Botaniste au Jardin Botanique de Kisantu) et Monsieur Luc Pauwels (Jardin Botanique National de Belgique) trouvent dans ces quelques mots l’expression de ma sincère reconnaissance pour la récolte et l’identification du matériel végétal.
J’ai autour de moi tout un réseau d’amis et de proches qui, de diverses manières, m’ont aidé à aller jusqu’au bout de ce travail. Qu’ils trouvent ici l’expression de ma profonde gratitude.
A mon Papa, qui me sert de modèle dans bien de domaines et à qui je dois tout, je dis Merci.
Last but not least, ma dernière pensée va à mon épouse et à mes enfants.
Philippe
TABLE DES MATIERES
Titres Pages
Remerciements……… iii
Liste des abréviations……… ix
Résumé / Summary………... 1
Avant propos……… 5
1. Introduction……….. 7
1.1. Les maladies infectieuses………... 9
1.1.1. Généralités………. 9
1.1.2. Agents infectieux : Microbes et Parasites………. 10
1.1.2.1. Les virus………. 11
1.1.2.2. Les bactéries……….. 12
1.1.2.3. Les champignons parasites………. 18
1.1.2.4. Les protozoaires………. 19
1.1.3. Relation Hôte – microorganismes……….. 23
1.2. Le traitement des maladies infectieuses……….. 25
1.2.1. Traitement d’infections bactériennes : les antibiotiques……….. 26
1.2.1.1. Définition……….. 26
1.2.1.2. Principales classes d’antibiotiques……… 27
1.2.1.3. Nouvelles stratégies pour la recherche de nouveaux antibiotiques……….. 30
1.2.2. Traitement d’autres infections………. 35
1.2.2.1. Traitements des infections virales………. 35
1.2.2.2. Traitement des infections fongiques………. 36
1.2.2.3. Traitement du paludisme……….. 36
1.3. Les résistances aux antibiotiques……… 39
1.3.1. Définition………. 39
1.3.2. Déterminisme génétique de la résistance………. 39
1.3.2.1. Mutations chromosomiques……….. 39
1.3.2.2. Acquisition des gènes de résistance……….. 39
1.3.2.3. Mutation des gènes acquis……… 40
1.3.3. Mécanismes biochimiques de résistances………... 40
1.3.3.1. Modification de l’antibiotique………. 40
1.3.3.2. Modification de la cible………. 40
1.3.3.3. Accessibilité réduite de la cible……… 41
1.3.3.4. Pompes à efflux……….. 41
1.3.4. Mécanismes de résistances de différentes classes d’antibiotiques………. 42
1.4. Place des plantes médicinales dans la lutte contre les résistances aux antibiotiques…… 45
1.5. Cordia gilletii De Wild………. 63
1.5.1. La famille des Boraginaceae………... 63
1.5.2. Le genre Cordia……….. 63
1.5.3. L’espèce Cordia gilletii De Wild ……….. 67
1.5.3.1. Description botanique………. 68
1.5.3.2. Répartition géographique……… 68
1.5.3.3. Caractères microscopiques………. 68
1.5.3.4. Usages médico-traditionnels……… 71
1.6. Les alcaloïdes pyrrolizidiniques……… 72
2. Objectif du travail………. 75
3. Matériel et méthodes……… 79
3.1. Matériel………. 81
3.1.1. Matériel végétal………. 81
3.1.2. Solvants, réactifs et milieux de culture……….. 81
3.1.3. Microorganismes et parasites………. 81
3.1.4. Chromatographie……… 82
3.2. Méthode………. 82
3.2.1. Extraction et criblage phytochimique préliminaire……… 82
3.2.2. Activité antimicrobienne directe……… 82
3.2.3. Activité antimicrobienne indirecte………. 83
3.2.4. CCM-bioautographie………. 84
3.2.5. Activité antioxydante………. 84
3.2.6. Activité antiplasmodiale………. 85
3.2.7. Etude préliminaire de l’effet sur le quorum sensing……….. 86
3.2.8. Fractionnements et isolements……….. 87
3.2.9. Méthodes spectroscopiques……… 89
3.2.10. Recherche d’alcaloïdes pyrrolizidiniques……… 90
3.2.11. Extraction de l’huile essentielle……….. 91
3.2.12. Evaluation de l’effet anticholinestérase……….. 92
4. Résultats et discussion……….. 93
4.1. Etude de l’effet antimicrobien direct et indirect ainsi que de l’activité antioxydante de Cordia gilletii De Wild (Boraginaceae)………. 97
4.2. Optimisation du milieu de culture utilisé pour la CCM-bioautographie. Application à la détection des composés antimicrobiens de Cordia gilletii De wild (Boraginaceae)………… 105
4.3. Férulaldéhyde et Lupéol : composés antimicrobiens direct et indirect de Cordia gilletii De Wild (Boraginaceae)……….. 111
4.4. Autres activités biologiques de Cordia gilletii De Wild (Boraginaceae)……….. 127
4.5. Composition chimique, propriétés antioxydantes et anticholinestérase de l’huile essentielle de feuilles de Cordia gilletii De Wild (Boraginaceae)……… 139
4.6. Absence d’alcaloïdes pyrrolizidiniques dans Cordia gilletii De Wild (Boraginaceae)…. 145 5. Conclusion générale ……… 155
Références bibliographiques………. 163 Annexes.
LISTE DES ABBREVIATIONS
- ADN : Acide desoxyribonucléique - AHL : Acyl homosérine lactone - ARN : Acide ribonucléique - AB : Antibiotique
- ACE : Extrait acétate d’éthyle - AP : Alcaloïde pyrrolizidinique - AQ : Extrait aqueux
- ATCC : American Type Culture Collection - CCM : Chromatographie sur Couche Mince - CFU : Colonies Forming Units
- CMB: Concentration Minimale Bactéricide - CMI: Concentration Minimale Inhibitrice - COX : Cyclooxygénase
- D.H.F.R : Dihydrofolate réductase - D.P.P.H : Diphénylpicrylhydrazyl - DCM : Extrait dichlorométhanique - DE
50: Dose efficace 50%
- DMSO : Diméthylsulfoxyde
- E.G.C.G : Epigallocatechine gallate - EP : Extrait de plante
- F.B.C : Fractional Bactericidal Concentration - F.I.C : Fractional Inhibitory Concentration - HEX : Extrait hexanique
- IC
50: Inhibitory concentration 50%
- M.H : Mueller Hinton
- MIC : Minimum Inhibitory Concentration
- MRSA: Methicillino-Resistant Staphylococcus aureus - MET : Extrait méthanolique
- MTT : Méthyltétrazolium
- OMS : Organisation Mondiale de la Santé - PBP : Penicillin Binding Protein
- PG : Peptidoglycane
- PEG : Polyéthykèneglycol - PEN : Pénicilline G - QS: Quorum sensing
- R.D.C : République Démocratique du Congo - R.O.S : Reactive Oxygen Species
- STR : Streptomycine - TET : Tétracycline - UV : Ultraviolet
- WHO : World Health Organization
RESUME / SUMMARY
RESUME
Les maladies infectieuses constituent un sérieux problème de santé publique aussi bien dans les pays en développement où elles sont la principale cause de taux de mortalité élevés, que dans les pays industrialisés où les résistances aux antibiotiques existants se développent de façon alarmante. Cette situation engendre un besoin sans cesse croissant de trouver de nouveaux composés antimicrobiens et/ou inhibiteurs de mécanismes de résistances aux antibiotiques. Les plantes médicinales, notamment celles utilisées de façon traditionnelle dans les pays en développement, constituent une source potentielle de ce type de composés. C’est dans ce cadre que l’espèce Cordia gilletii De Wild (Boraginaceae), une plante dont les écorces de racines et les feuilles sont traditionnellement utilisées en République Démocratique du Congo pour combattre les maladies infectieuses, a été étudiée sur le plan tant de ses activités biologiques que de sa composition chimique. Les extraits obtenus à partir des écorces de racines de cette plante ont montré d’intéressantes activités biologiques, (i) un effet antimicrobien direct (bactéricide pour les bactéries gram positif et bactériostatique pour les gram négatif) et indirect (augmentation ou restauration de l’activité des antibiotiques vis-à-vis des souches résistantes); (ii) un effet inhibiteur sur deux des gènes impliqués dans le quorum sensing de Pseudomonas aeruginosa, lasB and rhlA; (iii) un effet antiplasmodial sur une souche chloroquino-sensible de Plasmodium falciparum; (iv) un effet antioxydant mis en évidence par réaction avec le radical libre DPPH. Pour les extraits de feuilles, seule l’activité antiplasmodiale a été observée.
Les extraits d’écorces de racines, doués d’activité antimicrobienne directe (extrait méthanolique) et indirecte (extrait n-hexanique) ont été soumis à une série de fractionnements dans le but d’isoler et d’identifier les composés actifs. Pour suivre l’activité lors des fractionnements, le milieu de culture utilisé pour la détection des composés actifs sur une plaque chromatographique (CCM-bioautographie) a été optimisé. Le composé férulaldéhyde, isolé de l’extrait méthanolique, a montré des propriétés antimicrobiennes, antioxydantes et antiplasmodiales. De l’extrait n-hexanique ont été isolés deux composés, l’un actif, le lupéol et l’autre inactif, la friedéline. Le lupéol a montré un effet antimicrobien indirect en réduisant la CMI de certains antibiotiques vis-à- vis d’une souche de MRSA. Ces trois composés, s’ils ont déjà été identifiés dans d’autres plantes, sont décrits pour la première fois dans l’espèce Cordia gilletii ; et ce travail constitue le premier rapport de l’effet antimicrobien indirect du lupéol.
Dans le but de s’assurer de l’innocuité des extraits de C. gilletii, une recherche d’alcaloïdes pyrrolizidiniques (APs) a été réalisée par GC-MS. Ces alcaloïdes présentent en effet un réel danger pour la santé humaine et la famille des Boraginaceae, à laquelle appartient l’espèce C. gilletii, est connue comme une des principales sources de ces composés. Aucun AP n’a pu être mis en évidence dans les extraits d’écorces de racines et de feuilles de cette plante jusqu’à une limite de détection de 2 ppm, suggérant ainsi une absence de risque toxicologique en relation avec ces alcaloïdes. Ces résultats rassurants restent à confirmer sur d'autres échantillons obtenus dans des lieux de récolte différents.
Le présent travail montre que C. gilletii peut agir contre les microorganismes pathogènes par : (i) son action antimicrobienne directe (due entre autre au férulaldéhyde); (ii) son effet antimicrobien indirect (dû au lupéol), effet permettant d’augmenter ou de restaurer l’activité des antibiotiques vis-à-vis des souches résistantes ; et (iii) son effet inhibiteur de l’expression des gènes du quorum sensing, effet permettant d’atténuer la virulence d’agents infectieux. Ces actions peuvent permettent de faire face aux infections dues notamment à des microorganismes résistants.
SUMMARY
Infectious diseases remain a serious public health problem both in developing countries, where they are the main cause of the high mortality rates recorded, and in industrialized countries where there is an alarming incidence of antibiotic resistance. There is thus an increasing need for new compounds that can act by a direct antimicrobial effect or by an indirect effect, inhibiting resistance mechanisms of microorganisms. Medicinal plants, particularly those traditionally used against infectious diseases in developing countries, are a probable source for these types of compounds. In this context, Cordia gilletii De Wild (Boraginaceae), a medicinal plant from which root barks and leaves are traditionally used against infectious diseases in Democratic Republic of Congo, was investigated for biological activities and phytochemical composition. Root bark extracts showed interesting biological activities: (i) antimicrobial properties, acting directly (bactericid and bacteriostatic effects against gram positive and gram negative bacteria, respectively) or indirectly (enhancement or restoration of antibiotic activity on resistant strains); (ii) inhibitory effect on the expression of two Pseudomonas aeruginosa QS genes, lasB and rhlA; (iii) antiplasmodial effect against a chloroquine sensitive strain of Plasmodium falciparum; (iv) antioxidant effect determined by the free radical DPPH quenching. Leaves extracts showed only antiplasmodial activity.
Root barks extracts with the highest direct (methanol extract) and indirect (n-hexane extract) antimicrobial properties were fractionated to isolate and to identify the active compounds. To bio-guide the fractionation, the culture medium for the detection of active compounds on chromatographic plates (TLC-bioautography) was optimized. The compound ferulaldehyde, isolated from the methanol extract, showed antimicrobial, antioxidant and antiplasmodial properties. From the n-hexane extract two compounds were isolated, lupeol and friedelin.
Lupeol showed indirect antimicrobial effect by decreasing the MIC of some antibiotics against MRSA; whereas friedelin was inactive. Although these three compounds have already been described in other plant species, this is the first report of their occurence in Cordia gilletii; the indirect antimicrobial effect of lupeol is described for the first time in this work.
As it belongs to the family of Boraginaceae, a family well known as one of the most important sources of pyrrolizidine alkaloids (PAs), Cordia gilletii is susceptible to contain these toxic compounds that were consequently researched. A GC-MS analysis did not reveal the presence of PAs (detection limit, 2 ppm) in root barks and leaves extracts of C. gilletii, suggesting a lack of PA-related toxicity of this plant. This reassuring finding needs to be confirmed with samples harvested at different locations.
This work reveals that C. gilletii may act against pathogenic microorganisms by: (i) a direct antimicrobial effect (partly due to férulaldéhyde); (ii) the enhancement or restoration of antibiotic activity against resistant strains (effect of lupeol); and (iii) an inhibitory effect on the expression of quorum sensing regulator genes, decreasing the virulence of microorganisms. These actions could help to fight infections caused by resistant strains.
AVANT PROPOS
Les maladies infectieuses constituent un sérieux problème de santé publique aussi bien dans
les pays en développement que dans les pays industrialisés. Elles constituent la principale
cause du taux de mortalité élevé enregistré dans les pays en développement ; la population y a
en effet un accès fort limité aux soins de santé adéquats et a recours, pour se soigner, aux
guérisseurs qui offrent des soins de santé alternatifs constitués essentiellement des plantes
médicinales. Dans les pays développés par contre, le principal problème lié aux maladies
infectieuses réside dans le développement alarmant de la résistance des microorganismes aux
antibiotiques ; ce qui engendre une nécessité sans cesse croissante de nouveaux composés
pouvant agir soit directement sur les microorganismes pathogènes, soit indirectement en
inhibant les mécanismes de résistance. Les plantes médicinales, utilisées notamment dans les
pays en développement pour combattre les infections, représentent une source potentielle de
nouveaux composés antimicrobiens et/ou inhibiteurs de la résistance aux antibiotiques. A ce
jour cependant, relativement peu de remèdes traditionnels ont été évalués cliniquement ou ont
fait l’objet d’études chimiques et biologiques afin d’en identifier les substances actives. En
République Démocratique du Congo (RDC), plusieurs enquêtes ethnobotaniques, menées
dans toutes les provinces de la RDC par différentes équipes de chercheurs, ont fourni nombre
de données sur les plantes utilisées traditionnellement pour combattre les maladies
infectieuses. Ces plantes constituent un matériel de travail en pharmacognosie pour la
recherche de nouveaux anti-infectieux non seulement pour les pays en développement, mais
aussi pour les pays développés.
1. INTRODUCTION
Dans ce chapitre, les différents aspects bibliographiques de notre sujet de recherche sont
traités. Dans un premier temps, les maladies infectieuses sont abordées sur plusieurs points,
notamment les différents agents pathogènes (virus, bactéries, champignons et protozoaires)
ainsi que les conditions pour le développement d’une infection. Dans une seconde section, le
traitement et les différentes stratégies de lutte contre les maladies infectieuses sont présentés ;
dans la foulée, la section suivante traite des résistances des microorganismes aux
antibiotiques. L’objet de notre travail étant essentiellement l’étude des propriétés
antimicrobiennes d’une plante médicinale (Cordia gilletii De Wild), une revue
bibliographique traite de la place des plantes médicinales dans la lutte contre les résistances
aux antibiotiques ; cette section aborde aussi bien les techniques d’évaluation des propriétés
antimicrobiennes des plantes, que les composés doués d’activité antimicrobienne directe et/ou
indirecte isolés des plantes médicinales. Une dernière section présente l’espèce C. gilletii De
Wild, la description de sa famille botanique (Boraginaceae), les données sur la phytochimie et
les propriétés biologiques de son genre (Cordia), sa description botanique et ses usages en
médecine traditionnelle.
1.1. MALADIES INFECTIEUSES 1.1.1. Généralités
Il y a quelques décennies, les maladies infectieuses semblaient maîtrisées grâce à la généralisation des mesures d’hygiène et à l’utilisation des antibiotiques et des vaccins. Les progrès scientifiques et technologiques laissaient même croire à une possible éradication de nombreuses pathologies ; celle de la variole à la fin des années 1970 par la vaccination généralisée en a été le symbole (Sansonetti and Orth, 2006). La résurgence des maladies infectieuses et des parasitoses et l’émergence régulière de nouveaux agents infectieux ont démenti ce pronostic optimiste. Les faits sont éloquents : (i) la permanence d’endémies dans les pays en développement et leurs corollaires, le risque de pathologies d’importation dues à l’explosion des voyages intercontinentaux et à la globalisation du commerce ; (ii) la résistance des microbes aux antibiotiques et antiparasitaires ; (iii) le sida et les hépatites B et C devenus endémiques ; (iv) les toxi-infections d’origine alimentaire ; (v) les infections acquises en milieu hospitalier ; (vi) la menace de catastrophes économiques dues à la résurgence d’épizooties avec le risque croissant de transmission à l’homme ; (vii) les risques plausibles du bioterrorisme ; sans oublier l’impact du réchauffement global de la planète sur les agents infectieux, leurs réservoirs et leurs vecteurs (Connolly et al., 2004; Desenclos and De Valk, 2005).
Avec une mortalité de près de 15 millions chaque année, les maladies infectieuses et
parasitaires sont responsables de 26,3 % des décès causes par l’ensemble des maladies et des
traumas survenant sur la planète (OMS, 2002a). Les principaux types d’infections responsables
de décès sont les infections respiratoires aigues (3,9 millions par an), le sida (2,9 millions par
an), les maladies diarrhéiques (2 millions par an), la tuberculose (1,6 million par an) et le
paludisme (1,1 million par an). La rougeole cause encore 745 000 décès en dépit de l’existence
d’un vaccin efficace, bien toléré et abordable (Sansonetti and Orth, 2006). Plus de 90 % des
maladies infectieuses humaines surviennent dans les pays en voie de développement,
particulièrement chez les enfants, dans les régions les plus déshéritées, où l’hygiène générale et
individuelle est insuffisante et où les politiques de prévention sont inexistantes, inadaptées ou
insuffisamment financées (McMichael, 2004). Cependant, le développement industriel génère
aussi dans les pays industrialisés de nouvelles conditions d’émergence infectieuse, comme les
infections alimentaires par des agents prenant avantage de la chaîne du froid ou de
l’industrialisation de la chaine alimentaire, les infections nosocomiales survenant dans un
environnement hospitalier de plus en plus complexe, alors que la multi-résistance va croissant,
les infections opportunistes chez les patients immuno-compromis et les infections des
voyageurs (McMichael and Butler, 2004b); par exemple en France environ 7 000 cas annuels de paludisme sont enregistrés (Desenclos, 2005). Bien que de moindre prévalence dans les pays industrialisés, les maladies infectieuses y sont encore responsables d’une mortalité non négligeable (Péquignot et al, 2002). Il est également important de signaler qu’un pourcentage important de cancers (de 15 a 20 %) sont probablement causés par un agent infectieux, viral ou bactérien (Sansonetti and Orth, 2006). Les cancers du foie, du col utérin et de l’estomac pourraient être quasi éradiqués par la mise au point ou l’utilisation (lorsque disponibles) de vaccins, respectivement contre les virus des hépatites B (vaccin disponible) et C, certains papillomavirus (vaccins en partie disponibles) et Helicobacter pylori. Il est par ailleurs probable que des infections constituent un facteur de risque dans l’étiologie de maladies touchant une large fraction de la population du globe, telles que l’athérosclérose avec Chlamydia pneumoniae (Yamashita et al., 1998) et le diabète avec Helicobacter pylori (Jeon et al., 2012).
Les décès et la morbidité liés aux maladies infectieuses et parasitaires humaines ont un coût économique et social considérable et un effet sur la croissance qui peuvent être évalués globalement en incorporant les coûts directs imputables aux soins médicaux et les coûts indirects imputables à la réduction d’années d’espérance de vie et de productivité dus à des morts prématurées ou à des complications chroniques. Ce poids porte essentiellement sur les populations les plus défavorisées de la planète (McMichael and Butler, 2004). Grâce à l’index Daly (Disability adjusted life years) qui intègre le nombre annuel de vies perdues à cause d’une maladie donnée, multiplié par un coefficient de ressources par individu, les pertes économiques subies peuvent être évaluées. Avec un Daly de 30 %, les maladies infectieuses représentent la fraction la plus élevée du poids socio-économique total des maladies, largement devant les maladies neuropsychiatriques (12,9 %), la traumatologie (12,2 %), la pathologie maternelle périnatale (11 %), les maladies cardio-vasculaires (9,9 %) et le cancer (5,1 %) (Sansonetti and Orth, 2006). Les simulations montrent, particulièrement dans le cas de la tuberculose, du sida et du paludisme, que la prévention et le contrôle des maladies infectieuses dans les régions endémiques représente une approche socio-économique rentable autant qu’humaniste (Sansonetti and Orth, 2006; OMS, 2002b).
1.1.2. Agents infectieux : Microbes et Parasites
Les organismes causant les infections chez l’homme appartiennent à une très large gamme de
groupes taxonomiques et vont des virus aux vers, une variété considérable en termes de taille
et de niveau d’organisation (figure 1.1.1).
Figure 1.1.1. Principaux groupes d’agents pathogènes (Playfair and Bancroft, 2008)
1.1.2.1. Les virus
Les virus infectent toutes les formes de vie, des bactéries à l’homme en passant par les champignons, les plantes et les animaux (Mims et al., 1993). Ils portent l’information génétique dans leur ADN ou ARN, mais étant métaboliquement inertes par eux-mêmes, ils ne peuvent se répliquer qu’après avoir infecté un hôte, parasitant ainsi l’habilité de l’hôte à transcrire l’information génétique (Kayser et al., 2008).
La classification des virus en grands groupes (familles) est basée sur quelques critères simples
incluant le type d’acide nucléique du génome, le nombre de brins et la polarité des chaînes
d’acides nucléiques, le mode de réplication, la taille, la structure et la symétrie des particules
virales (Tableau 1.1.1) (Mims et al., 1993 ; Kayser et al., 2008).
Tableau 1.1.1. Caractéristiques et importance médicale des virus
Famille Enveloppe Symétrie capside
Taille (nm)
PM AN (x106)
Structure AN Importance médicale
Virus à ADN
Parvoviridae Non Icosahédral 22 2 SB linéaire B19 virus
Papovaviridae Non Icosahédral 55 3 - 5 DB circulaire Polyomavirus
Adenoviridae Non Icosahédral 75 23 DB linéaire Adénovirus
Hepadnaviridae Oui Icosahédral 42 1,5 DB circulaire, incomplète Virus hépatite B
Herpesviridae Oui Icosahédral 100 100 - 150 DB linéaire Herpex simplex virus,
varicella-zoster virus, cytomegalovirus, Epstein- Barr virus
Papillomaviridae Non Icosahédral 55 3 - 5 DB circulaire Papillomavirus
Poxviridae Oui Complexe 250x400 125-185 DB linéaire Virus de la variole, virus de
la vaccine Virus à ARN
Picornaviridae Non Icosahédral 28 2 – 3 SB linéaire, non segmenté, sens +
Polyovirus, rhinovirus, virus hépatite A, enterovirus Reoviridae Non Icosahédral 75 15 DB linéaire, 10 segments Réovirus, rotavirus Togaviridae Oui Icosahédral 40 – 70 4 SB linéaire, non segmenté,
sens +
Rubéole, fièvre jaune
Retroviridae Oui Icosahédral 100 7 SB linéaire, 2 segments,
sens +
Virus du sida
Coronaviridae Oui Hélical 100 5 SB linéaire, non segmenté,
sens +
Coronavirus
Calciviridae Non Icosahédral 35 – 40 2,6 SB linéaire, sens + Orthomyxoviridae Oui Hélical 80 – 120 4 SB linéaire, 8 segments,
sens -
Grippe
Paramyxoviridae Oui Hélical 150 6 SB linéaire, non segmenté,
sens -
Rougeole, oreillons, parainfluenza Rhabdoviridae Oui Hélical 75 x 180 3 – 4 SB linéaire, non segmenté,
sens -
Rage
Arenaviridae Oui Hélical 80 – 130 5 SB circulaire, 2 segments,
sens -
Bunyaviridae Oui Hélical 100 5 SB circulaire, 3 segments,
sens -
Filoviridae Oui Complexe 80 x 800 4,2 SB, sens - Marburg, Ebola
Légende : SB, simple brin ; DB, double brin ; AN, acide nucléique. (Mims et al., 1993 ; Kayser et al., 2008 ; Mandell et al, 2010)
1.1.2.2. Les bactéries
Les bactéries sont des cellules procaryotes avec une organisation cellulaire caractéristique ;
elles sont ubiquitaires et la plupart ont un effet bénéfique direct ou indirect soit pour leur
potentiel usage commercial, soit pour leur action sur l’organisme humain (flore commensale) ou sur l’environnement dans lequel nous vivons (Mims et al., 1993). Par rapport au grand nombre de bactéries vivant librement, il y en a relativement peu qui causent des pathologies avec un impact important sur le bien-être des humains. Leur importance est telle que les principales ont été bien étudiées et sont actuellement bien connues. Cependant de nouveaux pathogènes continuent à émerger entraînant l’apparition d’infections non encore connues, ainsi des cas d’infections à Photorhabdus asymbiotica, bactérie pourtant entomopathogène, ont été récemment signalés aux Etats-Unis et en Australie (Costa et al., 2010).
Les cellules bactériennes ont une petite taille (0,3 à 0,5 µm). Elles peuvent avoir deux formes de base : la coque et le bacille. D’une façon générale, une bactérie est constituée par (Mims et al., 1993 ; Kayser et al., 2008):
Ø
Le nucléoïde (équivalent du noyau chez les eucaryotes), un filament d’ADN circulaire, très fin et long qui n’est pas entouré par une membrane ; on retrouve aussi des plasmides qui sont des structures génétiques non essentielles.
Ø
Le cytoplasme qui contient un grand nombre de composés solubles de poids moléculaires variables, de l’ARN, et environ 20 000 ribosomes par cellule. Les ribosomes bactériens sont constitués de protéines et d’ARN ribosomal ; ils sont formés à partir des sous-unités 30S et 50S en ribosomes 70S ; ce sont les organelles de la synthèse protéique. Le cytoplasme contient également des substances de réserve comme le glycogène ou les lipides.
Ø
La membrane cytoplasmique qui est une membrane biologique élémentaire typique, constituée par une double couche phospholipidique, dans laquelle sont ancrées de nombreuses protéines comme les perméases, des enzymes notamment pour la synthèse de la paroi cellulaire, des protéines sensorielles et, chez les bactéries aérobies, des protéines de la chaîne respiratoire.
Ø
La paroi cellulaire, fonctionnant comme une armure autour de la membrane, est
constituée essentiellement de la muréine. Chez les bactéries à Gram négatif, la paroi
possède une couche extérieure supplémentaire, appelée « membrane externe »,
parsemée de pores et dans laquelle est inséré un lipopolysaccharide important pour la
pathogénie des infections à Gram négatif. Cette membrane externe est absente chez les
bactéries à Gram positif où la muréine est plus épaisse et contient un acide téichoïque
et des protéines associées à la paroi qui jouent un rôle dans la pathogénie des
infections à Gram positif.
Ø
La capsule est une structure retrouvée chez beaucoup de bactéries ; elle est constituée de polysaccharides et son rôle est de protéger la bactérie de la phagocytose.
Ø
Les flagelles sont constitués de protéines permettant à la bactérie de se déplacer activement en tournant comme une hélice autour d’un axe.
Ø
Les fimbriae et les pili sont des structures retrouvées à l’extérieur de la paroi cellulaire ; leur rôle est de permettre l’adhésion des bactéries aux cellules hôtes. Ils peuvent également jouer un rôle dans le transfert d’éléments génétiques d’une bactérie à l’autre (pili sexuels)
Ø
Le biofilm est un ensemble structuré de cellules bactériennes, enveloppé dans une matrice de polymère autoproduite, qui s’amarre sur des surfaces inertes ou sur des tissus vivants. Le biofilm peut atteindre une épaisseur conséquente (quelques millimètres) et les bactéries situées dans sa profondeur sont largement protégées contre les cellules immunitaires, les anticorps et les antibiotiques. Les polymères secrétés sont souvent des monosaccharides glucidiques en réseaux appelés glycocalyx (« coquille de glycosides »).
Ø
Les spores bactériennes sont des formes persistantes issues d’une cellule
« végétative » ; elles sont de forme sphérique à ovale, possèdent une paroi épaisse et ont une résistance élevée vis-à-vis d’agents nocifs chimiques ou physiques. Parmi les bactéries pathogènes pour l’homme, seuls les genres Clostridium et Bacillus forment des spores. L’importance des spores en médecine réside principalement dans leur résistance à la chaleur, nécessitant ainsi des températures très élevées au cours de la stérilisation.
Ø
Les bactéries pathogènes pour l’homme puisent leur énergie de la dégradation de composés nutritifs organiques pour de nouvelles synthèses et des activités secondaires.
L’oxydation des substrats énergétiques résulte d’une voie respiratoire (l’accepteur d’électrons et de protons est l’O
2) ou de fermentation (l’accepteur est une molécule organique). En fonction de leur comportement vis-à-vis de l’O
2, les bactéries pathogènes peuvent être classées en anaérobies facultatives (utilisent les substrats énergétiques aussi bien par la chaîne respiratoire que par la fermentation), aérobies strictes (ne se multiplient qu’en présence d’oxygène), anaérobies strictes (meurent en présence d’oxygène) et anaérobies aérotolérantes (Murray et al., 2009).
Ø
Les bactéries causant des infections chez l’homme peuvent être classées suivant leurs
familles et genres taxonomiques ou suivant leurs plus importantes caractéristiques de
diagnostic. La deuxième classification est la plus intéressante car elle reflète des
caractéristiques pertinentes en clinique, notamment la coloration de Gram, la forme et les voies de respiration (Figure 1.1.3).
Figure 1.1.2. Structure d’une bactérie (http://micro.magnet.fsu.edu/cells/bacteriacell.html)
Figure 1.1.3. Grandes familles de bactéries d’intérêt médical (Mims et al., 1993)
Comportement social des bactéries : le quorum sensing
De nombreuses bactéries pathogènes produisant des facteurs de virulence sous le contrôle du quorum sensing (QS), inhiber celui-ci pourrait constituer un moyen efficace d’atténuer la virulence des agents infectieux (Ruimy and Andremont, 2004). Comme, dans notre travail, l’effet de C. gilletii sur l’expression de certains gènes impliqués dans le QS et sur la bioluminescence de Vibrio fischerii a été évalué, cette mini-section présente ce phénomène.
Le QS est un mécanisme de régulation qui permet aux bactéries de détecter la densité d’une population et de mettre en place une réponse communautaire (organisation multicellulaire).
Le QS utilise de petites molécules pouvant diffuser à travers les membranes cellulaires ; ces molécules appartiennent à différentes familles parmi lesquelles on retrouve les AHLs (acylhomosérine lactones), des dérivés d’acides gras, des quinolones, des furanones et des oligopeptides (Ruimy and Andremont, 2004). Certaines bactéries en produisent plusieurs types. Les AHLs constituent la famille la plus étudiée, elles sont utilisées par des bactéries à Gram négatif et peuvent être ou non spécifiques à certaines espèces. Elles sont constituées d’une chaîne acyl de 4 à 14 carbones comportant divers substituants liés à l’homosérine lactone par une liaison peptidique (Figure 1.1.4) (Pesci et al., 1997).
Figure 1.1.4. Structure des acylhomosérines lactones (AHLs)
Le principe de fonctionnement du QS repose sur le fait que chaque cellule de la population produit l’AHL à un niveau de base ; la concentration en cette molécule signal augmente donc avec la population. Quand celle-ci atteint un certain seuil (quorum), l’AHL se lie à une protéine réceptrice, lui permettant d’exercer un rôle de régulation au niveau de la transcription de l’expression de certains gènes regroupés en opéron. Cette expression peut résulter en production de biofilm, de facteurs de virulence, ou de luminescence (Ruimy and Andremont, 2004).
Le premier système de QS, identifié dans les années 1970, a été la bioluminescence produite
par la bactérie Vibrio fischerii. Cette bactérie peut être retrouvée dans la mer soit à l’état libre
soit en symbiose dans des organes particuliers de l’espèce de calamar, Euprymna scolopes. A
l’état libre (concentration de l’ordre de 10
2cellules/ml), la bactérie n’émet pas de lumière, mais concentrée dans ces organismes (forte densité de l’ordre de 10
10cellules/ml) elle est luminescente (Kaplan and Greenberg, 1983). Cette symbiose fournit un environnement riche en nutriments pour les bactéries et permet aux hôtes d’échapper à leurs prédateurs. En effet, les calamars sont repérés par leurs prédateurs situés en dessous d’eux grâce à l’ombre qu’ils provoquent en passant devant la lumière de la lune. Devenant lumineux grâce à la bactérie, les calamars ne provoquent plus d’ombre et peuvent se nourrir en toute tranquillité. Le terme
« quorum sensing » a été utilisé pour décrire ce phénomène car la population doit atteindre un certain niveau (quorum) pour que la lumière soit émise (Ruimy and Andremont, 2004). Dans les années 1990, des mécanismes similaires ont été découverts chez d’autres bacilles à Gram négatif comme le Pseudomonas aeruginosa, une bactérie opportuniste responsable de diverses infections nosocomiales. Ses biofilms constituent la cause principale de persistance de pneumopathie chez les patients souffrant de mucoviscidose et d’infection oculaire chez les porteurs de lentilles de contact (Driscoll et al., 2007). Pour déclencher une infection, la bactérie doit orchestrer un groupe de molécules qui déterminent la pathogénicité (facteurs de virulence) ; il s’agit d’une étape cruciale pour la survie du pathogène et le succès de l’invasion de l’hôte (Passador et al, 1993).
Figure 1.1.5. Mécanisme moléculaire du Quorum sensing chez P. aeruginosa (Ruimy and
Andremont, 2004).
Deux systèmes de Quorum sensing ont été identifiés chez P. aeuginosa : les systèmes las et rhl. Le système las est constitué d’un gène régulateur lasR codant pour la protéine LasR, d’un gène lasI codant pour une synthase auto-inductrice LasI participant à la synthèse d’une petite molécule de la famille des homosérines lactones (HSL) la 3-oxo-C12-HSL. Le complexe LasR/3-oxo-C12-HSL est activateur transcriptionnel de gènes de virulence (indiqués en bas de la figure) et de lasI. Selon le même modèle, le système rhl est constitué de gènes rhlR, rhlI et basé sur une autre HSL, la C4-HSL. Ce système active des gènes en commun avec le système las et qui lui sont propres comme celui du rhamnolipide.Implications du QS en pathologie
Des expériences menées sur des souris avec P. aeruginosa PAO1, souche chez laquelle le QS a été décrit, ont permis d’étudier l’intensité de l’infection par la mesure de la capacité à déclencher une pneumonie aiguë, une bactériémie et une mortalité. Les lésions pulmonaires obtenues avec PAO1 sont essentiellement de type inflammatoire avec une infiltration de polynucléaires sans destruction des structures alvéolaires. En comparaison, une souche dérivée de PAO1 et rendue déficiente pour le gène lasR déclenche une pneumonie beaucoup moins sévère, peu ou pas de bactériémie, et une mortalité significativement plus basse. De même, une réduction significative de la virulence a été retrouvée avec les souches mutantes pour les autres gènes du QS en lasI, rhlI, ou à la fois en lasI et rhlI. Lorsque ces souches mutées sont respectivement complémentées par un plasmide portant soit lasR, lasI, rlhlI, ou lasI et rhlI, le niveau de virulence est restauré. Ces résultats confirment le rôle prépondérant du QS dans la pneumopathie à P. aeruginosa (Sawa et al., 1998)
1.1.2.3. Les champignons parasites
Les champignons sont des microorganismes eucaryotes dont 200 seulement, parmi plus d’un million d’espèces existantes, ont été décrits jusqu’à présent comme agents infectieux chez l’homme. Seulement une douzaine de ces espèces pathogènes sont responsables de 90 % des mycoses (Kayser et al., 2008). Beaucoup de mycoses sont relativement bénignes, c’est le cas des dermatomycoses (Mims et al., 1993). Cependant, ces dernières années, le nombre de mycoses menaçant le pronostic vital a augmenté, de par notamment l’augmentation du nombre de patients présentant un déficit immunitaire, quelle qu’en soit la cause (Kayser et al., 2008).
Les champignons d’intérêt médical sont généralement classés en levures qui croissent soit comme cellules individuelles, soit en filaments pluricellulaires ou hyphomycètes, champignons dimorphes (se rencontrent sous forme de levure ou de mycelium) et dermatophytes (causent les infections superficielles de la peau) (Murray et al., 2009). La plupart des champignons pathogènes vivent librement ; ils entrent dans l’organisme de l’hôte par inhalation ou à travers les plaies. Certains existent dans la flore normale du corps humain (Candida) et sont inoffensifs à moins qu’il y ait une défaillance des défenses immunitaires (Kayser et al., 2008).
Les infections fongiques peuvent être superficielles ou profondes. Les mycoses superficielles
sont (i) soit cutanées, localisées au niveau de l’épiderme, des ongles, des cheveux ; elles
provoquent des dermatophytoses, des teignes, elles sont dues à plusieurs genres dont
Microsporum, Trichophytum et Malassezia ; (ii) soit sous-cutanées, elles provoquent notamment la sporotrichose et la maduromycose, plusieurs genres en sont responsables parmi lesquels Sporotrix et Madurella (Mims et al., 1993 ; Murray et al., 2009). Les mycoses profondes peuvent être (i) systémiques, elles provoquent de pathologies telles que la coccidioidomycose, la blastomycose et l’histoplasmose dont les genres responsables sont Coccidioides, Blastomyces et Histoplasma respectivement ; ou (ii) opportunistes, elles sont responsables de diverses maladies dont l’aspergillose, la candidose, la cryptococcose et la pneumocystose dues respectivement aux genres Aspergillus, Candida, Cryptococcus et Pneumocystis (Mims et al., 1993 ; Murray et al., 2009).
Les champignons vivant librement peuvent également causer des intoxications de façon indirecte via les toxines (cas des aflatoxines d’Aspergillus ou des alcaloïdes de l’ergot) qu’ils libèrent sur les aliments (Kayser et al, 2008).
1.1.2.4. Les protozoaires
Les protozoaires sont des eucaryotes unicellulaires vivant librement dans l’environnement, mais parasitant l’homme. Ils causent ainsi des infections dont la prévalence est particulièrement importante dans les pays chauds. Ainsi par exemple le paludisme, une des plus grandes maladies infectieuses de notre planète, est-il très fréquent dans les régions tropicales et subtropicales (Mims et al., 1993). La transmission des parasites protozoaires se fait principalement par deux voies, les piqûres d’insectes suceurs de sang et l’ingestion accidentelle d’agents infectieux. La restriction géographique de certaines espèces est due à la distribution des insectes vecteurs et/ou aux conditions climatiques nécessaires pour compléter le développement du parasite dans l’insecte (Sansonetti and Orth, 2006). Les infections acquises par voie orale dépendent peu des conditions climatiques, cependant la transmission oro-fécale est favorisée par de mauvaises conditions sociales et hygiéniques, ainsi que par une augmentation de la survie des agents infectieux dans des conditions chaudes et humides (McMichael, 2004).
Les protozoaires peuvent infecter tous les tissus et organes du corps humain. On les retrouve comme parasites intracellulaires dans une grande variété de cellules et comme parasites extracellulaires dans le sang, l’intestin et le système urogénital (Mims et al., 1993).
Au niveau médical, les protozoaires sont classés en fonction de leur localisation dans l’hôte,
du mode de transmission et de la pathologie causée (Tableau 1.1.2 ; Figure 1.1.6).
Tableau 1.1.2. Classification et importance médicale des protozoaires
Localisation Espèce de parasite Mode de transmission Pathologie
Tractus intestinal
Entamoeba histolytica
Ingestion des kystes dans les aliments
Amibiase
Giardia lamblia Giardiase
Cryptosporidium spp Cryptosporodiose
Tractus urogénital Trichomonas vaginalis Sexuel Trichomoniase
Sang et tissus
Trypanosoma spp
T. cruzi Réduves
Trypanosomiase Maladie de Chagas T. gambiense
Piqûre de mouche tsé-tsé Maladie du sommeil T. rhodesiense
Leishmania spp
Piqûre de phlébotomes
L. donovani Leishmaniose viscérale
L. tropica Leishmaniose cutanée
L. braziliensis Leishmaniose mucocutané
Plamodium spp P. vivax
Piqûre de moustique
anophèle Malaria
P. ovalae P. malariae P. falciparum
Pneumocystis carinii inhalation Pneumonie
(Mims et al., 1993 ; Kayser et al., 2008) Cas du paludisme
Le paludisme ou malaria est une infection parasitaire des hématies, causée par quatre espèces
de Plasmodium (vivax, ovale, malariae et falciparum), transmises à l’homme par un
moustique femelle du genre Anophèle selon le cycle représenté sur la figure 1.1.7. Le
paludisme se manifeste généralement par des accès de fièvre, des maux de tête et des
vomissements (Kayser et al., 2008). La forme la plus virulente et létale est due au
Plasmodium falciparum, espèce que l’on trouve surtout en Afrique subsaharienne, mais qui se
propage à d’autres régions du monde telles que l’Asie du Sud-est et qui réapparaît dans les
zones où il avait été éradiqué. La seconde espèce la plus fréquente, P. vivax, est rarement fatale et se trouve notamment en Asie, dans certaines parties de l’Amérique, dans le Sud de l’Europe et en Afrique du Nord (Murray et al., 2009).
Parmi la quarantaine d’espèces d’anophèles transmettant la malaria humaine, l’espèce Anopheles gambiae, la plus compétitive et la plus difficile à combattre, est trouvée exclusivement en Afrique dans les régions où sont réunies les meilleures conditions (pluviosité, température, humidité) pour sa reproduction et sa survie.
Les catégories de population les plus touchées par la malaria sont les enfants de moins de cinq ans, les femmes enceintes et les personnes immuno-déficientes. En 2010, sur les 216 millions de cas de paludisme enregistrés, il y a eu 655 000 décès (WHO, 2010). La plupart de ces décès surviennent chez des enfants vivant en Afrique, où chaque minute un enfant meurt de paludisme et où cette maladie est à l’origine de près 22% de l’ensemble des décès infantiles (WHO, 2010).
Le paludisme constitue une entrave majeure au développement des pays où il sévit par le drame qu’il engendre sur le plan aussi bien humain, sanitaire que socio-économique. Le paludisme est en effet responsable de l’absentéisme des travailleurs, des élèves, et les enfants ayant survécu à des crises de paludisme sévère peuvent en garder des séquelles et connaître des difficultés dans leurs études. Dans les milieux ruraux, les paysans peuvent rater des saisons de culture ou de récolte, exposant ainsi leurs familles à la famine et à un manque de revenus (Holding and Snow, 2001).
On estime que, dans les pays fortement impaludés, les dépenses liées au paludisme
représentent environ 40% du budget alloué au secteur de santé publique ; les familles
dépensent 25 % de leur revenu pour la prévention et le traitement du paludisme (WHO, 2010).
Figure 1.1.6. Grands groupes de protozoaires (Mims et al., 1993)
Figure 1.1.7. Cycle du Plasmodium (CDC, Centers for Disease Control and Prevention)
1.1.3. Relation hôte - bactéries
Certains microorganismes coexistent avec l’hôte dans une relation équilibrée, ils constituent ce qu’on appelle la flore indigène ou flore commensale du corps que l’on retrouve chez des individus bien portants. Certaines de ces espèces sont bénéfiques pour l’hôte, leur importance étant mise à mal par l’antibiothérapie (Murray et al., 2009). Il est difficile de déterminer avec précision la composition de la flore normale car elle dépend de plusieurs facteurs dont l’âge, l’état nutritionnel et les conditions environnementales. Elle est également éminemment variable d’un individu à l’autre (Mims et al, 1993). Les microorganismes de cette flore sont rencontrés au niveau des parties exposées ou en communication avec l’environnement externe, notamment la peau, le nez, la bouche, l’intestin et le tractus uro-génital (Figures 1.1.8 et 1.1.9).
Une infection se développe quand un agent pathogène pénètre dans l’organisme, s’y multiplie et fait apparaître des symptômes de la maladie suite à des lésions cellulaires ou à des réactions immunitaires (Mims et al., 1993). Les vertébrés ont toujours été exposés aux infections microbiennes depuis des centaines de millions d’années. Comme résultat de ce contact constant pouvant engendrer la maladie ou la mort, ils ont développé des systèmes de reconnaissance des invasions étrangères hautement efficaces, avec des réponses immunitaires et inflammatoires pour restreindre la croissance et la propagation des microorganismes ainsi que pour les éliminer du corps. Si ces réponses étaient totalement efficaces, il y aurait très peu d’infections microbiennes, les microorganismes ne pouvant pas persister dans l’organisme de l’hôte (Kayser et al., 2008).
Pour assurer le succès de l’infection chez l’hôte et se maintenir en vie, les microorganismes doivent passer par les étapes suivantes (Mims et al., 1993):
Ø
L’attachement et/ou l’entrée dans l’organisme : surmonter les barrières naturelles de l’organisme de l’hôte (peau, muqueuse, cils, etc.)
Ø
La propagation locale ou générale
Ø
La multiplication : augmentation en nombre
ØL’échappement au système immunitaire de l’hôte
Ø
L’excrétion du corps : étape de transmission permettant aux microorganismes de se propager sur des hôtes frais.
Ø
L’attaque qui cause des dommages chez l’hôte.
Figure 1.1.8. Distribution de la flore normale (Mims et al., 1993)
Figure 1.1.9. Relation Hôte – Parasite (Mims et al., 1993)
1.2. LE TRAITEMENT DES MALADIES INFECTIEUSES
La prise en charge et la prévention des maladies infectieuses se réalise essentiellement par l’usage des médicaments (chimiothérapie), l’utilisation des vaccins (immunisation) et des mesures d’assainissement de l’environnement (meilleures conditions d’hygiène, de nutrition, etc.) (Walsh, 2003). La chimiothérapie et l’immunisation diffèrent sur plusieurs points (Walsh, 2003 ; Geddes, 2005 ; Murray et al., 2009):
Ø
Spécificité : au niveau des antibiotiques, elle constitue leur habilité à détruire les cellules du microbe et non celles de l’hôte, ce qui suppose que l’antibiotique devrait idéalement toucher une cible présente uniquement dans le microbe. La spécificité des vaccins est assez différente, car les cibles spécifiques sur lesquelles ils doivent agir existent déjà chez l’hôte, dans le système immunitaire, et demandent seulement à être activées.
Ø
Résistance : Le développement de la résistance affecte aussi bien les antibiotiques que les vaccins. Ainsi la résistance aux antibiotiques peut être due à la production par les microbes des enzymes qui désactivent l’antibiotique (β-lactamases) ou au développement d’un mécanisme qui diminue la concentration intracellulaire en antibiotique (pompe à efflux). Tandis la résistance aux vaccins est généralement due à une modification des protéines de surface des microbes qui permet d’échapper à la reconnaissance immunitaire.
Ø