D’un probl` eme de m´ ecanique d’Abel au “probl` eme spectral inverse”
Yves Colin de Verdi`ere Institut Fourier (Grenoble)
ENS, 21 mai 2008
Qu’est ce qu’un probl`eme spectral inverse ?
Retrouver une matrice (sym´etrique, finie ou non) `a partir de son spectre. On suppose que la matrice fait partie d’un ensemble X de matrices.
Exemple simple `a ´enoncer (l’op´erateur de Schr¨odinger discret) : soit X l’ensemble des matrices N × N de la forme
a1 1 0 0 0 · · ·
1 a2 1 0 0 · · ·
0 1 a3 1 0 · · ·
0 0 1 a4 1 · · ·
· · · ·
· · · ·
Plan :
1. Le probl`eme du toboggan (Abel 1826)
2. L’´equation de Schr¨odinger et son spectre
3. Autre probl`eme spectral : fr´equences propres d’une mem- brane vibrante (1 tambour)
4. 2 spectres (Borg-Gelfand-Levitan-Marchenko 1950’)
6. Le probl`eme direct I : la formule de Weyl
7. Le probl`eme direct II : Les conditions de Bohr-Sommerfeld
8. Le th´eor`eme principal
9. La preuve
I. Le probl`eme inverse d’Abel : “Aufl¨osung eine mechanichen Aufgabe” par Niels Abel (1826)
Pb : trouver la forme d’un toboggan connaissant la fonction τ(z)=temps d’arriv´ee `a la hauteur 0 en partant `a vitesse 0 de la hauteur z.
x dx/dt= 0
z
Niels Abel [1802-1829]
Soit z = V (s) la hauteur en fonction de l’abscisse curviligne (suppos´ee monotone) ; on a (avec V (0) = 0) et en utilisant la conservation de l’´energie
E(t) = ˙s2 + z = z0 : τ(z0) =
Z s0 0
√ ds
z0 − z et si s = W(z) est la fonction inverse de V :
τ(z) =
Z z 0
W0(u)du
√z − u .
Probl`eme : retrouver W `a partir de la fonction τ.
Solution : Si
A(f)(z) :=
Z z 0
f(x)dx
√z − x , on a :
A ◦ A(f)(z) := π
Z z
0 f(x)dx . Donc f = π−1(A2f)0 .
Exemple classique : si τ est constante, on trouve une cyclo¨ıde !
La fonction p´eriode :
Du r´esultat d’Abel, on d´eduit que, si V est paire, la fonction p´eriode T(z) = 4τ(z) en fonction de l’´energie d´etermine V . Ce n’est plus vrai si V n’est pas suppos´ee paire, mais cela reste vrai d’un point de vue quantique !
Exercice : toboggan non monotone
z0
z1
τ(z)
z z1
Montrer que la forme du toboggan, en dehors du “puits” ]a, b[, est d´etermin´ee par τ(z) et T(z), (z0 < z < z1), la p´eriode des oscillations pr`es du minimum local de V .
II. L’´equation de Schr¨odinger et son spectre
On consid`ere l’op´erateur de Schr¨odinger ˆHu := −~2u00 + V (x)u avec ~ > 0 et V : R → R+, lisse, et, pour simplifier, limx→∞ V (x) = +∞. On a le:
Th´eor`eme 1 (Th´eor`eme spectral) Il existe une suite
0 < λ1 < λ2 < · · · < λn < · · ·
tendant vers +∞ et une base orthonorm´ee de fonctions φn(x) de L2(R, dx) tels que
Ex : l’oscillateur harmonique.
Hˆ = 1
2 −~2 d2
dx2 + x2
!
.
Son spectre est
σ =
n − 1 2
~ | n = 1,2,· · ·
, et les fonctions propres sont de la forme
φn(x) = Hn x
√
~
!
e−x2/2~
o`u Hn est un polynˆome de degr´e n, le polynˆome d’Hermite.
III. Autre probl`eme spectral : fr´equences propres d’une membrane vibrante (1 tambour)
Ω est un domaine born´e de R2x et on consid`ere le probl`eme:
(?)
( ∆u + λu = 0 u|∂Ω = 0
Il existe une suite (φn, λn) avec 0 < λ1 < λ2 ≤ · · · et φn solution de (?) tels que (φn)n∈
N est une b.o. de L2(Ω, dx).
Le cas d’un rectangle (Joseph Fourier [1768-1830]):
Soit Ω = [0, l] × [0, L].
σ =
(
4π2
m l
2
+
n L
2!
| m, n = 1,2,· · ·
)
, et
φm,n(x1, x2) = 2
√lL sin 2πmx1
l sin 2πnx2 L .
Probl`eme spectral inverse de Mark Kac (1966) : “Can one hear the shape of a drum?”
Mark Kac [1914-1984]
Autrement dit, est ce que la suite des λn d´etermine Ω ?
Kac a montr´e que le spectre d´etermine l’aire et la longueur du bord et introduit la m´ethode de l’´equation de la chaleur :
∞ X n=1
e−tλn = 1
4πt aire(Ω) +
√πt
2 longueur(∂Ω) + 0(t)
!
.
En particulier, les domaines circulaires sont caract´eris´es par leur spectre (A = L2/4π).
La m´ethode de l’´equation de la chaleur :
Fourier nous a appris comment r´esoudre l’´equation de la chaleur dans une barre 1D ou un rectangle `a l’aide de ses s´eries. La mˆeme m´ethode s’applique pour un domaine quelconque en utilisant la d´ecomposition spectrale de son laplacien :
∂u
∂t = ∆u avec u(0) = u0 ,
u0 = X anϕn, u(t) = X ane−λntϕn . Donc
Z(t) = Trace(et∆) = X e−tλn ,
et aussi
[et∆](x,y) = 1
4πte−|x−y|2/4t(a0(x,y) + · · ·)
Puis on calcule la trace Z(t) = RΩ[et∆](x,x)dx. On trouve le d.a. :
Z(t) == 1
4πt (α0 + α1t + · · ·) , o`u les αj sont d´etermin´es par le spectre.
J’ai montr´e dans ma th`ese (1973), en m’inspirant des travaux des physiciens Balian & Bloch, que le spectre d´etermine l’ensemble des longueurs des trajectoires p´eriodiques du billard associ´e :
On sait aujourd’hui (Gordon-Webb-Wolpert, 1992) que la r´eponse
`
a la question de Kac est NON : ces auteurs ont trouv´e des con- trexemples o`u Ω est un polygˆone non convexe.
IV. R´esultats de Borg-Gelfand-Levitan-Marchenko :
Pour l’´equation de Schr¨odinger, avec ~ = 1, sur une intervalle born´e [a, b], B-G-L-M ont montr´e, dans les ann´ees 1950, que V est d´etermin´e par la donn´ee de 2 spectres, par ex:
(?1) : Huˆ = λu, u(a) = 0, u(b) = 0 (?2) : Huˆ = λu, u(a) = 0, u0(b) = 0 . La m´ethode est assez compliqu´ee.
V. La limite semi-classique ~ tend vers 0”:
Le principe dit de correspondance affirme que la m´ecanique clas- sique est la limite (en un certain sens) de la m´ecanique quantique quand ~ → 0.
On va voir que le probl`eme inverse semi-classique conduit `a un probl`eme du type de celui r´esolu par Abel !
Qu’est ce que le pb inverse semi-classique ? On consid`ere les valeurs propres d’un op´erateur de Schr¨odinger comme des fonc- tions ~ → λn(~).
Est ce que V (x) est d´etermin´e par la comportement asymp-
Motivation : m´ethode d’imagerie passive en sismologie.
La fonction de corr´elation CA,B(T) du bruit sismique permet de connaitre la vitesse des ondes de surfaces en fonction de leur fr´equence. M´ethode d´evelopp´ee par le groupe de Michel Campillo
`
a Grenoble.
La croˆute terrestre agit comme un guide d’ondes, car la vitesse des ondes augmente avec la profondeur. Un mod`ele acad´emique simple est donn´e par l’´equation des ondes acoustiques
utt − div N(x, z
ε) gradu = 0 . Si λn(x, ξ) est une valeur propre de
Lx,ξ = − d
dZN(x, Z) d
dZ + N(x, Z)kξk2
la fonction λn(x, ξ) est un Hamiltonien effectif pour les ondes de surface de fr´equence ω = ε
q
λn(x, ξ). ~ = kξk−1 est une constante de Planck effective et on esp`ere retrouver N par un
VI. Le probl`eme direct I : la formule de Weyl
#{λn(~) ≤ E} ∼ 1 2π~
Aire{ξ2 + V (x) ≤ E}
Chaque ´etat quantique occupe une aire 2π~ dans l’espace des phases.
Si on note A(E) l’aire pr´ec´edente, on v´erifie que A0(E) = T(E) est la p´eriode des oscillations d’´energie E. Donc, d’apr`es Abel, si le potentiel est pair, il est d´etermin´e par l’asymptotique de Weyl !
C’est le mˆeme argument que celui utilis´e par Kac pour d´eterminer
Dans TOUTE la suite, on suppose pour simplifier que
• V atteint son minimum en un seul point x0 et V 00(x0) > 0
• V 0(x) > 0 si x > x0
• V 0(x) < 0 si x < x0
VII. Le probl`eme direct II : Les conditions de Bohr-Sommerfeld
En fait, on peut d´ecrire de fa¸con beaucoup plus pr´ecise le c.a. des vp de Schr¨odinger : ce sont les fameuses r`egles de quantification de Bohr-Sommerfeld connues par Bohr (mˆeme avant l’´ecriture de l’´equation de Schr¨odinger) pour le spectre de l’atome d’hydrog`ene.
Ces r`egles de BS ne s’appliquent qu’aux syst`emes dits int´egrables, et donc pas au pb de Kac.
Les conditions de BS et une formule de trace :
l’espace des phases
(x, ξ) ∈ R2 ,
l’hamiltonien H = ξ2 + V (x) et la dynamique XH = 2ξ ∂
∂x − V 0(x) ∂
∂ξ .
V(x)
E
x
x ξ
x0
x− x+
x− x+
γE :={ξ2 +V(x) = E}
Les conditions de BS usuelles s’´ecrivent A(En0) =
Z γE0
n
ξdx = 2π~
n − 1 2
et
λn = En0 + O(~2) .
Pour l’oscillateur harmonique, cela donne les valeurs propres ex- actes.
A(E)
En fait on peut avoir le d´eveloppement asymptotique `a tous les ordres : il existe une s´erie formelle
S(E) ≡ A(E) + ~π +
∞ X j=1
Sj(E)~2j telle que, si En∞ est d´efinie par
S(En∞) = 2π~n , on ait
λn = En∞ + O(~∞) . De plus
(?) S1(E) = − 1 12
d dE
Z γE
V 00|dt| .
Comment le spectre d´etermine-t’il les Sj ? On utilise une formule de trace (analogue de la m´ethode de l’´equation de la chaleur) qui permet de lire clairement les Sj et aussi de les cal- culer (formule (?)).
Soit F ∈ C∞(R) telle que
( F(E) = F(Emin) si E < Emin + ε F(E) = 0 si E est assez grand.
F(E)
Le formule de trace (T) : TraceF( ˆH) ≡ 1
2π~
Z Z R2
F(H)dxdξ − ~2
Z R
F0(E)S1(E)dE + ~4 · · ·
Preuve de la formule (T) :
On utilise le calcul pseudo-diff´erentiel :
• Quantification de Weyl
• Formule de Moyal
• Calcul fonctionnel
Quantification de Weyl :
Formellement, un op´erateur pseudo-diff´erentiel operator ( ΨDO ) dans Rd est donn´e par la formule (Weyl) :
OpWeyl(a)(u)(x) = 1 (2π~)d
Z Z
eihx−y|ξi/~a
x + y 2 , ξ
u(y)|dydξ| , o`u a est le symbole de Weyl de A = OpWeyl(a). On note aW = OpWeyl(a).
Exemples:
• (xξ)W = ~
i
xdxd + 12
• (kξk2 + V (x))W = −~2∆ + V (x)
Formule de Moyal
aW ◦ bW = (a ? b)W o`u a ? b est donn´e par la formule de Moyal :
a ? b ≡
∞ X j=0
1 j!
~ 2i
!j
a
d X p=1
←
∂ξp ∂~xp− ←∂ xp ∂~ξp
j
b
a ? b = ab + ~
2i{a, b} + · · · .
Calcul fonctionnel
Si F ∈ Co∞(R) ˆH = HW, on a : F( ˆH) = F?(H)W avec F?(H)(z0) ≡
∞ X k=0
1 k!
F(k)(H(z0))(H − H(z0))?k (z0) ,
F?(H) = F(H)−~2 8
F00(H)det(H00) + 1
3F000(H)H00(XH, XH)
+O(~4) , avec ω(XH, .) = −dH.
VIII. Le th´eor`eme principal.
Th´eor`eme 2 (CdV, 2007) Sous les hypoth`eses pr´ec´edentes et hypoth`ese (S), la donn´ees des valeurs propres λn(~) modulo o(~2) dans l’intervalle ] − ∞, E0] d´etermine V (x) dans {x|V (x) ≤ E0} `a changement V (x) → V (±x + C) pr`es.
Hypoth`ese (S) : d´efaut de parit´e
Si x− < x+ satisfont
∀k = 0,1,· · · , V (k)(x−) = (−1)kV (k)(x+) alors V est pair par rapport `a x+ + x−/2.
(Vrai si V analytique)
2 potentiels avec le mˆeme spectre semi-classique `a tous les ordres
I II III V(x)
x
IX. La preuve.
• L’asymptotique de Weyl d´etermine A(E) et donc T(E) = A0(E) ainsi que Emin := V (x0) et V 00(x0) par A(E) ∼
r 2
V 00(x0)πE quand E → Emin+ .
• Le 2`eme terme dans BS d´etermine l’information manquante, via la transformation d’Abel, sous l’hypoth`ese (S).
y = V(x) y
x
x
y f+(y)
x0
f−(y) x0
Emin
Emin
Soit F = 12(f+ + f−), G = 12(f+ − f−) (V est pair par rapport `a x0 ssi F0 ≡ 0). Exprimons S0(E) et S1(E) en fonction de F et G.
T(E) = d
dES0(E) =
Z f+(E) f−(E)
dx
q
E − V (x)
S1(E) = −1 12
d dE
Z f+(E) f−(E)
V 00(x)dx
q
E − V (x)
= −1 12
d
dEU(E)
Utilisant
Z 00 q
00
On r´e´ecrit T et U `a l’aide des changements de variables x = f±(y), soit:
T(E) = 2
Z E Emin
G0(y)dy
√E − y
U(E) = −2
Z E Emin
d dy
G0
G02 − F02
!
(y) dy
√E − y .
On utilise le r´esultat d’Abel :
de la 1`ere equation, on tire G0, puis de la 2`eme F02 en remarquant que
lim
y→Emin+
G0
G02 − F02
!
(y) = 0 .
Avec l’hypoth`ese (S), on tire G (G(Emin) = 0) et F au signe et `a une constante pr`es. Cela d´etermine V `a des changements
´evidents pr`es (translation et sym´etrie).
X. Perspectives :
• J’ai ´etendu le r´esultat pr´ec´edent au cas d’un potentiel `a plusieurs puits : pour cela, il faut s´eparer les spectres semi- classiques associ´es aux diff´erents puits et utiliser des formules de trace plus compliqu´ees.
• Qu’en est-il `a plusieurs degr´es de libert´e ? Le cas 1D est dit int´egrable, ce qui se traduit par l’existence des condi- tions de BS. Pour D > 1, on n’a plus int´egrabilit´e, mais int´egrabilit´e approch´ee (Birkhoff ). On peut esp´erer trouver le d´eveloppement de Taylor de V pr`es du minimum.
Quelques r´ef´erences ::
1. Sean Bates & Alan Weinstein, Lectures on the Geometry of Quantization. AMS, Berkeley LN 8 (1997).
2. CdV, Bohr Sommerfeld Rules to all orders. AHP 6:925–936 (2005).
3. CdV, Inverse semi-classical problem II: Reconstruction of the potential. ArXiv 2008.
5. Evans & Zworski, Lectures on Semi-classical Analysis.
http://math.berkeley.edu/˜ zworski/semiclassical.pdf.
6. San V˜u Ngo. c, Syst`emes int´egrables semi-classiques : du local au global.SMF, Panoramas et synth`eses no22 (2006).