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Le rôle des grands sanctuaires dans la vie internationale en Grèce aux Ve et IVe siècles av. J.-C

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Academic year: 2021

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https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01701264

Submitted on 5 Feb 2018

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Le rôle des grands sanctuaires dans la vie internationale en Grèce aux Ve et IVe siècles av. J.-C

Victor Colonge

To cite this version:

Victor Colonge. Le rôle des grands sanctuaires dans la vie internationale en Grèce aux Ve et IVe siècles av. J.-C. Histoire. Université de Lyon, 2017. Français. �NNT : 2017LYSEN096�. �tel-01701264�

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Numéro National de Thèse : 2017LYSEN096

THESE de DOCTORAT DE L’UNIVERSITE DE LYON

opérée par

l’Ecole Normale Supérieure de Lyon

Ecole Doctorale483

Sciences Sociales : Histoire, Géographie, Aménagement, Urbanisme, Archéologie, Science Politique, Sociologie, Anthropologie

Discipline : Histoire ancienne

Soutenue publiquement le 09/12/2017, par :

Victor COLONGE

Le rôle des grands sanctuaires dans la vie internationale en Grèce aux Ve et IVe

siècles av. J.-C.

Devant le jury composé de :

BOUCHET, Christian, professeur des universités (Lyon 3, HISOMA), examinateur ECK, Bernard, professeur des universités (Grenoble), rapporteur

GRANDJEAN, Catherine, professeur des universités (Tours), examinatrice JACQUEMIN, Anne, professeur émérite (Strasbourg), rapporteure

LEFÈVRE, François, professeur des universités (Paris-IV), examinateur

RICHER, Nicolas, professeur des universités (ENS de Lyon, HISOMA), directeur de thèse

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THÈSE de DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE LYON opérée par l’École Normale Supérieure de Lyon

Laboratoire : HiSoMA (Histoire et Société des Mondes Antiques) École doctorale : ED 483 (Sciences Sociales)

Thèse soutenue publiquement le 09/12/2017 par Victor COLONGE

Doctorant en Archéologie et histoire des mondes anciens (Histoire)

Sous la direction de Nicolas RICHER, professeur des universités (ENS de Lyon)

LE RÔLE DES GRANDS SANCTUAIRES DANS LA VIE INTERNATIONALE EN GRÈCE AUX Ve

ET IVe SIÈCLES AVANT JÉSUS-CHRIST VOLUME 1

Devant le jury composé de :

BOUCHET, Christian, professeur des universités (Lyon 3, HISOMA) ECK, Bernard, professeur des universités (Grenoble)

GRANDJEAN, Catherine, professeur des universités (Tours) JACQUEMIN, Anne, professeur émérite (Strasbourg) LEFÈVRE, François, professeur des universités (Paris-IV) RICHER, Nicolas, professeur des universités (ENS de Lyon, HISOMA)

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REMERCIEMENTS

Je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à M. Nicolas Richer, qui avait précédemment dirigé mes mémoires de Master 1 et 2 et qui a bien voulu me soumettre, en 2012, le sujet que vous trouverez traité ci-après. Il fut une aide précieuse et indéfectible au cours de ces recherches.

Ma reconnaissance va aussi à M. Bruno Helly, directeur de recherche émérite au CNRS, qui a accepté, dans le cadre de plusieurs entretiens, de me faire partager ses vastes connaissances sur les Thessaliens, les périèques de ceux-ci et les relations que ces peuples entretinrent avec l’Amphictionie pyléo-delphique.

À tous ceux qui ont eu le courage de relire le texte de cette thèse, pour m’avoir signalé les erreurs que j’avais pu y introduire par inadvertance.

Les cinq années qu’a nécessitées la rédaction de ce travail de recherche ont vu le temps faire son œuvre et nous rappeler notre condition : c’est pourquoi je dédie cet ouvrage à la génération disparue de mes grands-parents, qui m’ont appris le goût du travail et m’ont toujours encouragé dans ma passion pour l’histoire.

Enfin, parce que c’est aussi en partie son œuvre, je dédie également cette thèse à celle dont la curiosité, la sagacité et la patience dont elle a témoigné au cours de mes recherches sont toujours pour moi un sujet d’émerveillement et qui m’a fait le plus beau cadeau qu’un homme puisse attendre de la vie. Τόδε ἀνάθημα σοί.

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INTRODUCTION

DEFINITION : QU’EST-CE QU’UN GRAND SANCTUAIRE ?

Déterminer ce qu’est un grand sanctuaire en Grèce à l’époque classique est en soi problématique. On pourrait certes énumérer les caractéristiques qui permettraient d’estimer quels sanctuaires se distinguaient parmi ceux que connaissaient, que fréquentaient les Grecs, mais une telle démarche présenterait un indéniable défaut : elle risquerait d’aboutir à désigner les grands sanctuaires grecs en fonction de critères anachroniques. Il serait donc plus judicieux de se poser la question de savoir si les Grecs de l’époque classique eux-mêmes ne possédaient pas une « liste » de sanctuaires auxquels ils s’accordaient à reconnaître la prééminence sur les autres, des sanctuaires qu’ils partageaient malgré la fragmentation politique de la Grèce, qu’ils reconnaissaient comme étant « communs » à l’ensemble des Grecs.

Lorsque, durant l’hiver 480/479, les Athéniens voulurent convaincre les Spartiates que, malgré leur évacuation contrainte et forcée de leur cité devant la menace des armées perses, ils ne trahiraient pas la cause des Grecs, ils invoquèrent comme argument leur identité commune hellénique, fondée sur le sang et la langue, mais aussi sur « les temples des dieux et les sacrifices qui leur sont communs » [θεῶν ἱδρύματα τε κοινὰ καὶ θυσίαι]1.

Pour Peter Funke, ces temples des dieux communs aux Grecs sont Delphes, Némée, l’Isthme et Olympie, des sanctuaires se caractérisant par leur ouverture panhellénique, symbolisée par leurs concours et les panégyries les accompagnant, et considérés de ce fait comme formant le patrimoine commun des Hellènes2. De même, selon Emily Kearns, les

« sacrifices communs » désignent sans l’ombre d’un doute ceux qui étaient accomplis lors des grandes fêtes panhelléniques d’Olympie, de Delphes ou de Némée, où « communiaient » des individus issus de l’ensemble du monde grec3.

Cependant, ces interprétations, même si elles sont probables, ne sont pas assurées, car les temples communs peuvent désigner le modèle architectural respecté par tous les sanctuaires des Grecs, avec une organisation fonctionnelle semblable et une forte ressemblance extérieure, de même que les sacrifices communs peuvent se rapporter à l’idée d’usages cultuels partagés et de la vénération des mêmes divinités. Le fait que les Athéniens

1 Hérodote, VIII, 144.

2 P. Funke, 2003, p. 59.

3 E. Kearns, 2010, p. 314.

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ne citent pas d’exemple de ces sanctuaires communs ne permet pas en effet d’écarter une telle interprétation.

Ce n’est que par comparaison avec des informations plus tardives que l’on peut privilégier l’idée que ces « temples communs » aux Grecs dont parlaient les Athéniens en 480/479 étaient bien des lieux précis et non l’ensemble des lieux sacrés des Hellènes, rassemblés dans une communauté abstraite du fait de leurs fonctions et de leur apparence semblables. En effet, une clause de la paix de Nicias de 421, rapportée par Thucydide, stipule le libre accès de tous, aux fins de consultation oraculaire ou de sacrifice, aux « sanctuaires communs » [τῶν ἱερῶν τῶν κοινῶν]4 ; on voit d’ailleurs que les « sanctuaires communs » ainsi définis sont ceux où se rendaient des délégations (théories) de l’ensemble de la Grèce, soit pour y consulter un oracle, soit pour y accomplir des sacrifices, et dont l’accès était, en principe, garanti à tous les Grecs. Malheureusement, le texte du traité ne fournit pas une liste de ces sanctuaires, mais il est certain que l’on peut y compter Delphes, puisque, dans la trêve de 423, le temple d’Apollon Pythien est seul mentionné comme bénéficiant de cette clause de libre accès5.

Les lieux d’affichage du texte de la paix de Nicias (421) permettent néanmoins de dresser une liste plus complète de ces sanctuaires communs : Delphes, Olympie et l’Isthme6. On pourrait s’étonner de l’absence de Némée, mais, dans le cadre de la paix de Nicias entre, d’un côté, Sparte et ses alliés et, de l’autre, Athènes et ses alliés, il ne faut pas oublier qu’à l’époque, Némée se trouvait dans la sphère d’influence argienne et qu’Argos n’avait pas pris part à la guerre d’Archidamos (431-421), de sorte que l’érection d’une stèle portant le texte de l’accord de paix dans l’enceinte du temple de Zeus Néméen put être jugé superflue.

Cependant, il ne faut pas écarter la possibilité que Némée n’était alors peut-être pas considérée comme un sanctuaire de la même stature que les trois mentionnés comme lieux d’affichage dans le traité7.

Dans sa comédie Lysistrata (411), Aristophane, par la bouche du personnage principal éponyme de la pièce, évoque les Athéniens et les Lacédémoniens, plongés alors en pleine guerre du Péloponnèse, « qui aspergent les autels d’une seule ablution comme des parents à Olympie, aux Pyles et à Pythô (combien en citerais-je d’autres s’il me fallait continuer ?) » [οἳ μιᾶς ἐκ χέρνιβος / βωμοὺς περιρραίνοντες ὥσπερ ξυγγενεῖς / Ὀλυμπίασιν, ἐν Πύλαις, Πυθοῖ

4 Thucydide, V, 18, 2.

5 S. Hornblower, 1996, p. 471 ; P. Funke, 2003, p. 59.

6 Thucydide, V, 18, 10.

7 D. M. Lewis, 1992, p. 107 ; S. Hornblower, 1996, p. 483.

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(πόσους / εἴποιμ᾽ ἂν ἄλλους, εἴ με μηκύνειν δέοι;)]8. De même qu’Hérodote, le poète comique athénien insiste sur cette pratique de sacrifices communs dans certains sanctuaires comme un critère de l’identité grecque et en fait un de ses principaux arguments pour demander la fin des hostilités entre les deux plus grandes cités du monde grec à la fin du Ve siècle.

Néanmoins, les informations données par Aristophane ont une portée assez limitée : il cite en effet trois sanctuaires auxquels on pourrait accoler le qualificatif de « communs », Olympie, le sanctuaire de Déméter aux Pyles et le sanctuaire pythique de Delphes, de sorte que, si l’on considère que les Pyles et Delphes appartiennent à un même complexe cultuel, celui géré par l’Amphictionie pyléo-delphique, Aristophane ne cite finalement que deux grands sanctuaires.

En outre, Aristophane lui-même précise que cette liste est loin d’être exhaustive si bien que l’on peut en déduire que l’ensemble pyléo-delphique et le sanctuaire de Zeus à Olympie ne constituaient que les deux principaux de ces « grands sanctuaires ».

À la rigueur, on pourrait résumer la principale contribution d’Aristophane à la définition des grands sanctuaires ainsi : comme le prouve l’exclamation finale de Lysistrata, les Grecs concevaient l’existence d’un nombre non négligeable de « grands sanctuaires », au point de ne pas ressentir le besoin, que ce fût dans les pièces de théâtre ou dans les œuvres historiques, d’en dresser une liste complète. On pourrait objecter que, de même que l’on retrouve dans ce passage d’Aristophane la composante religieuse de l’identité grecque telle qu’elle était présente dans l’œuvre d’Hérodote, Aristophane entendait peut-être, par l’aspersion des autels par une seule eau lustrale, simplement mettre en évidence la communauté de religion des Grecs par l’évocation d’une pratique cultuelle commune. En ce cas, il aurait effectivement été fastidieux de citer les noms de l’ensemble des temples où cette pratique avait cours, c’est-à-dire l’ensemble des temples grecs ! Cependant, le fait qu’Aristophane ait donné des exemples de ces temples où l’on pratiquait ces sacrifices communs incite à écarter une telle interprétation. En effet, si le poète comique athénien avait seulement souhaité citer des noms de temples, il aurait, en toute logique, commencé par évoquer ceux d’Athènes et, en particulier, de l’Acropole ; au contraire, en préférant citer Olympie, les Thermopyles et Delphes, il démontre qu’il parle non d’une pratique commune aux Grecs, mais de pratiques cultuelles effectuées en commun dans certains temples, c’est-à- dire de sacrifices accomplis au nom de l’ensemble des Grecs ou, du moins, d’une partie des Grecs. En cela, l’auteur athénien oppose les grands sanctuaires, communs à tout ou partie des Grecs, aux sanctuaires poliades, où les sacrifices sont accomplis au nom d’une seule cité9.

8 Aristophane, Lysistrata, 1128-1132.

9 A. Paradiso, 2013, p. 584.

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Un traité de rhétorique anonyme du début du IVe siècle, produit de l’école sophistique, évoque lui aussi les sanctuaires communs et en dresse une liste assez proche de celle d’Aristophane : « Je mets de côté les biens particuliers des cités, mais les biens communs de la Grèce, ceux de Delphes et d’Olympie [τὰ δὲ κοινὰ τᾶς Ἑλλάδος, τὰ ἐκ Δελφῶν καὶ τὰ ἐξ Ὀλυμπίας], au cas où le Barbare serait sur le point de s’emparer de la Grèce et où le salut reposerait sur les richesses, ne serait-il pas juste de les prendre et de les utiliser pour la guerre ? »10. Comme Aristophane, l’auteur compte Olympie et Delphes parmi les sanctuaires communs, l’absence des Pyles, c’est-à-dire du temple de Déméter Amphictyonis à Anthéla, s’expliquant par son « rattachement » à Delphes dans le cadre de l’Amphictionie pyléo- delphique. L’absence de l’Isthme et de Némée est cependant plus difficile à justifier : selon Peter Funke, ces deux lieux sacrés seraient « implicitement associés » à Delphes et Olympie, le sophiste à l’origine du texte ayant choisi, à l’instar d’Aristophane, de ne citer que les deux sanctuaires les plus emblématiques des κοινὰ τᾶς Ἑλλάδος11.

De l’étude de ces différents témoignages, Peter Funke tire la conclusion que le concept de « sanctuaires communs » [τὰ ἱερὰ τὰ κοινὰ] « ne se fondait pas simplement sur une vague perception émotionnelle, mais, au contraire, désignait toujours, de manière très concrète, des sanctuaires déterminés », en l’occurrence les quatre qui organisaient des concours panhelléniques : Delphes, l’Isthme, Némée et Olympie. Il reconnaît malgré tout que, dans cette liste, Delphes et Olympie étaient toujours citées avant l’Isthme et Némée, ce qui inciterait à penser que ces deux sanctuaires occupaient une place à part12.

En fait, il est bien plus probable que la liste des « sanctuaires communs » des Grecs était assez malléable suivant l’époque ou la personne qui l’énonçait. Si Aristophane n’en cite que trois (Olympie et les deux sanctuaires de l’Amphictionie pyléo-delphique) tout en précisant qu’il y en avait bien d’autres, dont le nombre était trop grand pour qu’il les citât tous sans ennuyer son public, il faut sans doute entendre que ce qualificatif pouvait être attribué à d’autres temples que les quatre de la liste canonique. En outre, il faut constater que, parmi les sanctuaires communs, deux se distinguaient particulièrement : Delphes et Olympie. Cela n’est en aucun cas dû à la présence d’un oracle, qui les aurait différenciés de Némée et de l’Isthme, car, dans ce cas, on aurait été en droit de s’attendre à voir mentionnés Dodone ou le temple de Zeus Ammon parmi les lieux sacrés appartenant au patrimoine commun des Grecs. La raison de cette distinction réside plutôt dans la célébrité qu’ils avaient acquise dans leur spécialité :

10 Dissoi Logoi, III, 8.

11 P. Funke, 2003, p. 59-60.

12 P. Funke, 2003, p. 60.

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Delphes était l’oracle le plus fameux et apparemment le plus fiable dont disposaient les Grecs de l’époque classique pour connaître la volonté des dieux tandis qu’une victoire aux concours olympiques était le couronnement de la carrière d’un athlète grec, sans commune mesure avec les succès remportés dans les autres concours panhelléniques13. C’est pourquoi le temple de Zeus à Olympie et celui d’Apollon Pythien à Delphes incarnaient l’élite des sanctuaires communs dans ce que les Hellènes des Ve et IVe siècles venaient y chercher : la gloire d’une victoire sportive, synonyme d’excellence, sur des concurrents venus des quatre coins du monde grec et les conseils des divinités, préalable sinon indispensable, du moins rassurant, avant toute action importante. Ces deux sanctuaires à eux seuls représentaient la quintessence de ces deux fonctions, d’où leur présence dans toutes les listes de « sanctuaires communs ».

En fait, quatre lieux sacrés peuvent être qualifiés de sanctuaires panhelléniques : Delphes, l’Isthme, Némée et Olympie. Or, ce caractère panhellénique est dû au fait que s’y tenaient des concours auxquels tous les Grecs étaient invités à participer ; il n’est donc pas étonnant que cette liste recoupe celle des odes chantées par Pindare (Olympiques, Pythiques, Néméennes et Isthmiques). Ces sanctuaires de la périodos constituent donc une première catégorie de grands sanctuaires.

Il serait néanmoins réducteur d’affirmer que ces quatre sanctuaires avaient un statut international qui les distinguait des autres temples du monde grec uniquement parce qu’ils organisaient des concours panhelléniques. En effet, ces concours, par l’affluence d’athlètes, de pèlerins et autres spectateurs qu’ils entraînaient, avaient fini, depuis l’époque archaïque et, en particulier, les régimes tyranniques des VIIe et VIe siècles, par faire revêtir aux lieux sacrés où ils se tenaient de nouvelles dimensions, plus politiques : non seulement ils devinrent des dépôts d’offrandes, offertes ainsi à une audience internationale, car visibles par des Grecs potentiellement issus de tous les États, mais ils devinrent aussi des enjeux surtout en ce qui concerne la détention de la présidence des concours, qui devenait une source de prestige considérable14.

Olympie était sans conteste le sanctuaire qui organisait les concours panhelléniques les plus prestigieux. « Seule des quatre grands fêtes panhelléniques, Delphes pouvait rivaliser avec la cité d’Élide », mais, malgré le renommée de ses épreuves athlétiques et lyriques, Delphes devait surtout sa renommée à son oracle apollinien15, qui dut précéder l’apparition des Pythia.

13 A. Giovannini, 2007, p. 47.

14 S. Hornblower, 1996, p. 472 ; 2011, p. 26.

15 P. de Carbonnières, 2005, p. 6.

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Même si Delphes et Olympie étaient à part16, la périodos comprenait deux autres grands sanctuaires : l’Isthme et Némée. L’aura panhellénique du sanctuaire de Poséidon sur l’isthme de Corinthe semble d’ailleurs avoir reposé essentiellement sur ses concours sportifs bisannuels, qui attiraient un grand nombre de Grecs17.

Cette fixation de la liste canonique des quatre grands sanctuaires panhelléniques se réalisa au cours de l’âge archaïque, ce qui lui conféra la « patine » de l’ancienneté et le prestige inhérent, de sorte qu’à l’époque classique, d’après Simon Hornblower, aucun sanctuaire grec ne pouvait plus espérer accéder à un statut panhellénique18.

La deuxième catégorie de grands sanctuaires est constituée par les oracles.

Delphes est sans conteste le principal de ces grands sanctuaires oraculaires. Non seulement c’est, parmi les oracles, celui qui fut, à l’époque classique, le plus souvent consulté par les États, en particulier par Sparte et Athènes, mais il bénéficiait aussi d’une ancienneté qui accroissait son prestige. En effet, il aurait déjà été consulté par Agamemnon19 et, comme le montre l’Hymne homérique à Apollon, il bénéficiait d’une audience panhellénique au moins dès la fin du VIIe siècle20. D’ailleurs, c’est à Delphes que se trouvait le centre du monde selon les Grecs, l’omphalos, ce qui reflétait la position centrale que l’oracle delphique occupait dans leur géographie et leur esprit21.

Cependant, Delphes n’était pas le seul sanctuaire oraculaire du monde grec antique : Dodone jouait aussi ce rôle. En effet, ce sanctuaire épirote pouvait non seulement se vanter d’être cité, à deux reprises, par Homère22, mais il revendiquait aussi l’honneur d’être le plus ancien oracle en terre grecque23. Certes, il n’exerça pas la même influence que l’oracle de Delphes, sans doute du fait de sa situation géographique périphérique, mais, par ses prophéties, il n’en joua pas moins un rôle certain dans les relations internationales de l’époque classique de sorte qu’il doit être compté au nombre des grands sanctuaires et même des sanctuaires communs aux Grecs24.

En outre, il existait d’autres oracles. Certains avaient une envergue plus régionale, comme ceux d’Amphiaraos à Oropos25 ou de Trophonios à Lébadée26. D’autres, enfin,

16 A. Jackson, 1991, p. 244 ; S. Hornblower, 1996, p. 12.

17 Tite-Live, XXXIII, 32, 1.

18 S. Hornblower, 2011, p. 27.

19 Homère, Odyssée, VIII, 79-82.

20 Hymne homérique à Apollon, 287-293 et 536-544.

21 Pausanias, X, 16, 2.

22 Homère, Odyssée, XIV, 327-330 ; XIX, 296-299.

23 Hérodote, II, 52.

24 A. Giovannini, 2007, p. 47-48.

25 P. Sineux, 2007.

26 P. Bonnechère, 2003.

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jouissaient d’une grande renommée, même si diverses raisons expliquent pourquoi ils n’atteignirent jamais la faveur dont jouirent Delphes ou Dodone. L’histoire de l’oracle des Branchides à Didymes, près de Milet, fut ainsi brutalement interrompue par son sac par les Perses en 494. Quant à l’oracle d’Ammon à Siwa, il était gêné par son éloignement par rapport à la Grèce égéenne et par sa situation aux marges du monde hellénique. Enfin, l’oracle olympique fut en partie éclipsé par les concours qui se tenaient dans ce sanctuaire, connaissant ainsi la situation inverse de Delphes, où l’oracle était plus important que les Pythia.

Aux deux catégories des sanctuaires de la périodos (ceux des concours panhelléniques) et des oracles, il faut enfin ajouter les sanctuaires communs à une partie des Grecs, parmi lesquels nous pouvons distinguer deux subdivisions.

D’une part, les sanctuaires confédéraux ou sanctuaires ethniques étaient des centres à la fois religieux et identitaires, qui exerçaient souvent aussi une fonction politique. Lieux de rassemblement pour un ethnos, en général organisé dans le cadre politique d’un koinon, ils accueillaient des délégués des différents membres d’un « peuple » grec et des sacrifices en l’honneur de la divinité patronnant cette organisation et avaient, de ce fait, un statut de

« sanctuaires communs » à l’ensemble de l’ethnos27. Délos jouait ce rôle pour les Ioniens des Cyclades, le Panionion pour leurs congénères d’Asie Mineure, le sanctuaire apollinien du cap Triopion pour les Doriens d’Asie, les sanctuaires d’Athéna Itônia pour les Béotiens et les Thessaliens, le Phokikon pour les Phocidiens, Thermos et Calydon pour les Étoliens et Dodone pour le royaume molosse d’Épire.

D’autre part, certains sanctuaires, situés sur les marges de plusieurs cités ou ethnè28, possédaient aussi par défaut un statut de « sanctuaires communs », dans le sens où ils étaient convoités par différents États grecs qui estimaient avoir des droits sur ces temples et qui, parfois, s’y rassemblaient dans le cadre d’une gestion commune, qui pouvait prendre la forme d’une organisation interétatique, comme l’Amphictionie pyléo-delphique. La juxtaposition de ces droits pouvait aussi se traduire par un partage des fonctions, qui pouvait aboutir à une mise sous tutelle de la cité détentrice de la prostasie par un État plus puissant, voire par une annexion pure et simple. C’était le cas de l’Héraion, du sanctuaire d’Apollon Pythaieus et, dans une moindre mesure, de Némée en Argolide, ainsi que de l’Amphiaraion d’Oropos, entre la Béotie et l’Attique.

27 P. Funke, 2013, p. 9-12.

28 Voir F. de Polignac, 1984.

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Enfin, avant d’aborder les sources utilisées, il convient d’éclaircir ce concept de prostasie, révélateur du statut que les États grecs reconnaissaient à un sanctuaire. En effet, celui-ci était la propriété du dieu auquel il était consacré, mais, en l’ « absence » de ce propriétaire, l’État sur le territoire duquel se trouvait ce lieu sacré exerçait l’administration de celui-ci et des biens qui y étaient attachés (trésors monétaires, offrandes, terres), en principe dans l’intérêt de la divinité : c’est cette fonction qui s’appelait la prostasie29. Elle conférait néanmoins certains droits au prostate, de sorte qu’on pourrait presque assimiler celui-ci à un usufruitier des biens du dieu.

LES SOURCES

Les sources pour notre sujet sont nombreuses et variées, mais les sources littéraires, en particulier les historiens, en constituent la part la plus importante. Les Enquêtes d’Hérodote, l’Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide et les Helléniques de Xénophon sont ainsi les sources les plus fiables sur la période considérée.

Pour ce qui est des guerres médiques, nous disposons, en la personne d’Hérodote, d’un historien manifestant un réel intérêt pour les grands sanctuaires, en particulier celui de Delphes, et ayant puisé à des sources de première main sur ceux-ci.

Cependant, pour la période suivante, surtout en ce qui concerne la Pentécontaétie, nos informations deviennent plus rares et même Thucydide est plus difficile à exploiter dans la mesure où ce dernier est un historien d’un genre différent de celui d’Hérodote30. En effet, comme l’a montré Simon Hornblower, Thucydide a une nette tendance à minimiser le fait religieux dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse : pour l’historien athénien, les faits militaires et diplomatiques primaient largement sur les phénomènes religieux31. Il est vrai que la religion scandait tellement la vie des Grecs qu’on peut comprendre que Thucydide n’ait pas explicité la composante religieuse de certaines décisions de nature politique, mais il ne faut pas pour autant tomber dans le travers qui consisterait à voir derrière chaque action politique de l’époque classique une motivation religieuse, travers auquel semble parfois succomber S.Hornblower. D’ailleurs, lorsque la religion est un facteur d’explication inévitable, Thucydide n’hésite pas à en faire état32, comme dans le cas de l’olympiade de 42033. Néanmoins, si ces événements athlético-religieux n’avaient pas d’incidences politiques

29 Xénophon, Helléniques, III, 2, 31 ; Strabon, VIII, 3, 30. Voir S. Hornblower, 1996, p. 483 ; M. Piérart, 2014, p. 222-223 ; A. Kirchhoff, 2017, p. 32 et 65.

30 H. W. Parke et D. E. W. Wormell, 1956a, p. 180.

31 S. Hornblower, 1996, p. 422 et 483 ; 2011, p. 27.

32 A. Paradiso, 2013, p. 583.

33 Thucydide, V, 49-50.

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évidentes, il est vrai que l’historien athénien ne les évoquait pas : il ne fait ainsi aucune allusion aux concours néméens et il n’évoque que fugitivement les concours olympiques34, pythiques35 et isthmiques36.

Au contraire, Xénophon est moins réticent à avancer des causes religieuses à des décisions et actions politiques et sa croyance dans la véracité des oracles est indéniable37, renouant ainsi d’une certaine manière avec Hérodote.

Certes, d’autres historiens, comme Hellanicos, Éphore ou Théopompe, pour ne citer que les plus célèbres, firent le récit des événements des Ve et IVe siècles avant notre ère, mais leurs ouvrages ne nous sont parvenus que par des citations plus ou moins étendues, de sorte qu’il faut se tourner, pour connaître ce qu’ils en disaient, vers des auteurs bien postérieurs.

C’est pourquoi, par exemple, le livre XVI de Diodore de Sicile, historien du Ier siècle avant notre ère, est notre principale source pour l’histoire de la troisième guerre sacrée38.

Plutarque, biographe et moraliste du Ier siècle de notre ère, est aussi un auteur très utile : en plus de citer des historiens antérieurs, il était un bon connaisseur de Delphes pour y avoir passé une grande partie de son temps, en tant que prêtre et administrateur. Cette familiarité s’est d’ailleurs traduite par la rédaction de quatre Dialogues pythiques (Sur l’E de Delphes, Sur les oracles de la Pythie, Sur la disparition des oracles et Des délais de la justice divine) et par de fréquentes références à Delphes et à ses monuments tout au long de ses écrits. Pour ces travaux qui mettaient en valeur le glorieux passé du sanctuaire, Delphes le récompensa même par l’érection d’un buste et d’une inscription élogieuse39.

Enfin, Strabon et Pausanias le Périégète, par leurs descriptions historico- géographiques, puisèrent eux aussi abondamment leurs informations chez des auteurs antérieurs, même si leur travail de compilation rend parfois compliqué d’identifier ceux-ci.

D’autres sources sont plus spécifiques, comme celles consacrées aux concours. Ainsi, vers 400, le philosophe Hippias d’Élis rédigea le premier catalogue des olympioniques depuis l’origine (776)40. Un siècle après, Aristote reprit ce travail et le révisa. Selon Moses Finley et Henry Pleket, ces deux historiens durent exploiter les « archives fiables » dont disposait Olympie. Néanmoins, l’Ὀλυμπιονικῶν ἀναγραφή d’Hippias doit être exploitée avec précaution, car elle se voulait apparemment une œuvre à la gloire d’Élis, cité d’origine de

34 Thucydide, I, 6, 5 ; 126, 3 et 5 ; III, 8, 1 ; V, 47, 10-11 ; VI, 16, 2.

35 Thucydide, V, 1.

36 Thucydide, VIII, 9, 1 ; 10, 1.

37 S. Hornblower, 2011, p. 213.

38 S. Hornblower, 2011, p. 275-276.

39 P. A. Stadter, 1989, p. XXII-XXIV.

40 A. E. Samuel, 1972, p. 189.

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l’auteur et État en charge de l’organisation des concours liés au sanctuaire de Zeus Olympien.

Le fait que cet ouvrage fut fortement influencé par les événements de l’époque de sa rédaction n’est cependant pas forcément un obstacle à son exploitation. En effet, Hipias ne put que prendre en compte, dans la rédaction de son œuvre, la guerre éléo-spartiate des environs de 400, qui fut d’ailleurs peut-être à l’origine de son travail41.

On peut cependant se demander si le Stagirite se contenta de mettre à jour la liste d’Hippas en y ajoutant les noms de ceux qui remportèrent des épreuves lors des concours olympiques postérieurs à la publication de l’ouvrage de l’Éléen ou s’il corrigea certains points de cette œuvre, croyant y avoir détecté des erreurs. Dans ce dernier cas, où aurait-il trouvé les informations contredisant Hippias et, selon lui, plus dignes de créance que celles ayant servi de base au travail de l’Éléen ?

Les odes triomphales commandées par des vainqueurs issus de la meilleure aristocratie grecque constituent aussi une source importante sur les athlètes s’étant distingués au cours des quatre grands concours panhelléniques (Olympie, Delphes, Isthme et Némée), d’autant plus qu’ils furent souvent l’œuvre de poètes majeurs de l’époque classique et, plus particulièrement, du Ve siècle. Les Kéiens Simonide et Bacchylide, neveu du premier, ainsi que le Thébain Pindare (vers 518-vers 438) firent ainsi l’éloge aussi bien des puissants tyrans siciliens Théron d’Agrigente et Hiéron de Syracuse que de citoyens des cités d’Athènes, de Rhodes, de Cyrène ou d’Himère42.

Cependant, ces auteurs se focalisaient avant tout sur la figure du vainqueur et sur son lignage. En dehors de quelques allusions à caractère mythologique, les liens entre les concours panhelléniques et la situation internationale de l’époque classique ne sont guère évoqués. Ces épinicies permettent surtout de compléter la liste des vainqueurs d’épreuves à l’occasion de ces concours et ainsi de pallier la perte des catalogues de vainqueurs de l’époque classique. Elles seront avant tout utilisées, dans le cadre de cette thèse, afin d’établir ces listes, préalable à un traitement statistique43.

Dans le domaine épigraphique, nous disposons des inscriptions gravées dans les temples à l’époque classique, qui constituent des documents de première main, rapportant les actes accomplis par le personnel en charge du sanctuaire et des biens de la divinité année après année, en général à chaque reddition de comptes des magistrats désignés par la cité, ce qui nous offre de véritables « instantanés » du fonctionnement de ces temples. Ces documents

41 S. Hornblower, 1996, p. 493 ; M. Finley et H. Pleket, 2004, p. 30 ; P. Christesen, 2007, p. 55-56 ; S. Prince, 2010, p. 445 ; P. Valavanis, 2013, p. 26-28 et 37.

42 M. Finley et H. Pleket, 2004, p. 31-32 ; S. Hornblower, 2011, p. 6.

43 L. Moretti, 1959.

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épigraphiques, rassemblés dans des recueils pour Delphes44 et Olympie45, sont souvent jugés plus fiables que les récits des historiens anciens, qui écrivaient parfois longtemps après les faits et qui, en tout cas, retraçaient le déroulement des événements en fonction de leur analyse personnelle. De plus, les documents produits par l’administration des temples sont datés par la mention, entre autres, du magistrat éponyme, même si, malheureusement, cette donnée a souvent disparu, car, figurant au sommet de l’inscription, elle a eu tendance à être victime des mutilations de la pierre.

Cependant, dans le cadre de cette étude, force est de constater que les sources épigraphiques ne sauraient, du fait de leur nature, constituer une ressource documentaire majoritaire. En effet, les inscriptions administratives des sanctuaires ne font guère allusion à la situation internationale : conformément à leur vocation première, il s’agit de textes traitant de questions religieuses ou des intérêts économiques liés aux biens divins, comme dans le cas des baux sacrés de Délos au Ve siècle46. Ils ne sont pas pour autant à négliger : par exemple, les comptes de la reconstruction du sanctuaire d’Apollon à Delphes au IVe siècle, bien qu’ils soient composés de listes des collectes de fonds et des dépenses liées aux travaux47, apportent des renseignements sur les envoyés des différents États grecs ayant contribué à la réédification du temple d’Apollon et permettent, dans une certaine mesure, d’estimer l’intérêt qu’ils portaient à ce lieu sacré. Néanmoins, leur nature de texte religieux ou économique nous contraint à les confronter aux textes des historiens anciens, démarche qui n’est d’ailleurs pas toujours possible : par exemple, pour ce qui est du rôle joué par le sanctuaire qui constituait le siège de la Ligue de Délos au Ve siècle, force est de constater que Thucydide ne parle guère que du temple délien d’Apollon tandis que les Athenian Tribute Lists ne traitent que des richesses perçues par Athènes et entreposées sur l’Acropole, de sorte que nous ne pouvons déterminer avec ces seules sources quand eut lieu le transfert de Délos à Athènes au milieu de ce siècle, ni si les structures de l’alliance, dont la perception et la conservation du tribut, connurent des bouleversements ou pas48.

Quant à l’archéologie, après des décennies de travail acharné, les résultats de plusieurs fouilles à grande échelle, comme celles de Delphes et d’Olympie, commencent à être entièrement publiés, nous fournissant des bases de données inestimables qui peuvent faire

44 Corpus des inscriptions delphiques (CID) ; A. Jacquemin, D. Mulliez et G. Rougemont, 2012.

45 Inschriften von Olympia (IvO) ; S. Minon, 2007 ; P. Siewert et H. Taeuber, 2013.

46 R. Meiggs et D. Lewis, 1989, n° 62 ; C. F. Fornara, 1983, n° 121.

47 CID II, 1-30, 35-35 et 46-66 ; P. J. Rhodes et R. Osborne, n° 45 et 66.

48 P. J. Rhodes, 2010, p. 49.

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l’objet d’analyses dans le cadre de différentes approches comparatives49. Cependant, les données glanées sur le terrain par les archéologues ne sont pas toutes aussi facilement exploitables, en particulier pour ce qui concerne la datation des vestiges. Par exemple, à Dodone, les archéologues ont identifié une période s’étendant de 400 à 219, mais ils peinent à se mettre d’accord sur des dates plus précises à l’intérieur de ce long intervalle de temps50.

De même, les offrandes découvertes par les archéologues dans les grands sanctuaires permettent de vérifier ou de corriger les sources littéraires qui les évoquaient, mais l’identification de ces consécrations est loin d’être toujours aisée. Dans le cas des consécrations d’armes, par exemple, une datation précise est extrêmement compliquée, car les lames d’épée, les pointes de lance et les armures des hoplites sont restées quasi identiques entre 700 et 350 avant notre ère51.

METHODOLOGIE

Le cadre chronologique de cette étude, les Ve et IVe siècles avant notre ère, est assez plastique. En effet, il commence avec l’année 500 avant notre ère et englobe donc la fin de la période archaïque, car le passage de celle-ci à l’époque classique, marqué par la fin des guerres médiques, n’est pas significatif pour cette étude, bon nombre de pratiques archaïques relatives aux grands sanctuaires se poursuivant largement dans la période suivante. À l’inverse, l’époque hellénistique, que nous faisons commencer avec le début du règne d’Alexandre le Grand (336), nous semble avoir été une rupture, avec une unification politique que le monde hellénique n’avait pas encore connue, une perte d’influence des cités au profit des royaumes et des koina et une instrumentalisation plus directe des grands sanctuaires par la puissance hégémonique du moment.

Dans le cadre de notre examen, nous nous focaliserons sur les liens entre les grands sanctuaires et les relations internationales, non seulement sur les conséquences de celles-ci pour les premiers, mais aussi l’influence que ces temples et leur personnel pouvaient exercer sur les relations interétatiques.

De ce fait, les gains personnels que des individus pouvaient attendre de la fréquentation des sanctuaires panhelléniques ne font pas directement partie du sujet. En effet, l’exploitation politique qu’un vainqueur de concours panhelléniques ou un généreux donateur pouvait faire d’une victoire sportive ou d’une offrande consacrée à titre personnel pour

49 B. Forsén, 2010, p. 65.

50 M. Dieterle, 2007, p. 104.

51 I. Kilian-Dirlmeier, 2002, p. 175.

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accéder à des fonctions de pouvoir dans sa cité ne concerne que les affaires internes à un État et non les relations entre États.

Néanmoins, prestige personnel et prestige de la cité sont, dans ces cas-là, souvent inextricablement liés au point que, comme nous le verrons dans le cas d’Alcibiade en 416, le bénéficiaire de cette renommée pouvait s’évertuer, face à des accusations d’adversaires politiques, à mêler ces deux dimensions. Par conséquent, nous ne pouvons complètement taire la dimension personnelle d’une victoire lors des grands concours et de l’offrande qui en était souvent la conséquence, mais nous nous concentrerons essentiellement sur l’apport d’une victoire sportive pour l’État du vainqueur et sur la distinction des différentes réceptions que ces États, en fonction de leur régime, réservaient à l’annonce d’un succès de l’un de leurs citoyens. D’un point de vue méthodologique, en dehors de la difficulté de distinguer prestige individuel et prestige collectif retirés d’une victoire dans un concours de la périodos, il faut constater que la notion de prestige ne se prête guère à une évaluation quantitative, ce qui limite forcément les analyses que l’on peut en faire.

Pour en revenir au cœur du sujet, les relations entre les États et les grands sanctuaires, deux concepts empruntés à la géopolitique peuvent s’avérer utiles : ceux de hard power (politique de domination directe, reposant essentiellement sur la puissance militaire) et de soft power (politique de domination indirecte, d’influence, consistant à exploiter des facteurs jugés plus informels, notamment dans les domaines économique et culturel). Les deux premières parties de ce travail recoupent d’ailleurs en grande partie cette distinction. En effet, le soft power correspond à une volonté de démonstration de puissance, illustrée par les victoires d’athlètes dans les concours panhelléniques ou par la consécration d’offrandes dans les grands sanctuaires. Au contraire, le hard power implique le recours à la force, se traduisant par le désir de prise de contrôle de grands sanctuaires, par le recours à la guerre ou par l’exploitation d’une position hégémonique.

Il ne faudrait pas pour autant en déduire que les rapports de force entre les différents États grecs ne trouvaient dans les grands sanctuaires qu’un terrain où ils étaient libres de s’exprimer, ce qui reviendrait à attribuer aux Hellènes de l’époque classique un cynisme qui les aurait indignés. Certes, la civilisation hellénique ne séparait pas politique et religion52, mais cela ne signifie pas pour autant que la seconde se retrouvait subordonnée à la première.

Au contraire, les Grecs ne concevaient pas de politique sans référence aux dieux, de sorte que

52 P. Schmitt-Pantel, 2009, p. 102.

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toute action politique envers un grand sanctuaire était aussi conçue comme un acte à considérer en termes de piété.

Par conséquent, lorsqu’un État grec menait une guerre pour s’emparer d’un sanctuaire, il n’affrontait pas le dieu qui en était le propriétaire, mais agissait au contraire au nom de celui-ci, au nom des droits qu’il prétendait avoir sur la prostasie du temple. Une guerre sacrée, c’est-à-dire un conflit pour la détention de la prostasie d’un sanctuaire, se résumait donc à un affrontement entre des États qui se combattaient en pensant que c’étaient eux que le dieu avait désignés pour administrer son sanctuaire. Cela impliquait évidemment le déploiement préalable d’un argumentaire, de nature historique et mythique, étayant les droits des prétendants. L’absence de celui-ci disqualifiait les autres États, comme le montre l’exemple des Arcadiens, qui, en 365, durent forger la communauté civique des Pisates pour conserver légitimement sous leur contrôle le sanctuaire d’Olympie53.

Deux points du sujet nécessitent une méthode d’analyse plus précise : les offrandes et les oracles. Pour ce qui est des consécrations dans les grands sanctuaires, nous distinguerons une situation absolue et une situation relative. La première désigne la place de l’offrande dans l’enceinte sacrée, les bords de la voie menant de l’entrée principale au temple fournissant les meilleurs emplacements, les plus visibles pour les visiteurs. Plus précisément, les abords immédiats du temple étaient les lieux les plus convoités, puisqu’ils étaient les plus proches du dieu et démontraient davantage la piété du dédicant. Suivait, par ordre d’intérêt, l’entrée dans le téménos, dont les emplacements étaient les premiers à s’offrir aux yeux des pèlerins, garantissant aux offrandes s’y trouvant de fournir à ceux-ci leur première impression du lieu sacré. Quant à la situation relative, elle s’inscrit dans une stratégie frontale, par rapport aux consécrations déjà effectuées : il s’agissait de survaloriser ses propres offrandes en effectuant une comparaison avec une puissance rivale tournant au désavantage de celle-ci. Cela pouvait consister à offrir un monument plus impressionnant, de plus grande valeur, à placer une offrande commémorant une victoire face à une consécration antérieure du vaincu, voire à faire écran entre celle-ci et la voie processionnelle pour la dissimuler aux yeux des visiteurs (cas du monument des Navarques devant la base de Marathon à Delphes).

Pour ce qui est des oracles, nous adopterons une méthode consistant à distinguer deux sens dans leur énoncé : un sens premier et un sens second. Nous définirons ce dernier comment étant celui rendu nécessaire par le rôle oraculaire du texte, celui assez souple, assez plastique pour être capable de se conformer à la réalité à venir : ce sens était indispensable au

53 M. Nafissi, 2003, p. 38 ; P. Christesen, 2007, p. 53 (note 22) ; M. Giangiulio, 2009, p. 79-82 ; J. Roy, 2009, p. 82-83 (note 9) ; L. Thommen, 2013, p. 332 ; P. Valavanis, 2013, p. 26.

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succès, c’est-à-dire à la réalisation, de la prophétie, de sorte qu’il ne contenait aucun sens politique, mais répondait uniquement à une nécessité technique. Le premier sens peut être considéré comme le sens évident de la prophétie et il est celui qui nous intéressera, dans la mesure où il est susceptible d’indiquer les inclinations de l’oracle dans le cas d’une consultation ayant des implications politiques. Évidemment, dans certains cas, la neutralité de l’oracle se traduit par l’absence de sens premier : seule comptait alors pour le prêtre ou la prêtresse la réalisation de ce qu’il ou elle annonçait pour s’assurer la fidélité et la faveur du consultant.

D’ailleurs, ce dernier point de méthodologie nous amène à un dernier aspect du sujet, le plus controversé : les grands sanctuaires étaient-ils des acteurs de la vie internationale en mesure de mener leur propre politique ou ne constituaient-ils que des enjeux pour les puissances helléniques de l’époque classique ?

Trois aspects seront examinés successivement : d’abord, nous étudierons les jeux d’influences pacifiques qui se déroulaient entre les États grecs dans le cadre des grands sanctuaires, que ce fût par la consécration d’offrandes ou lors des concours panhelléniques, avec l’exemple de la démonstration de force de l’Athénien Alcibiade à Olympie en 42054.

Ensuite, nous verrons les tentatives de prise de contrôle des sanctuaires communs, en particulier les deuxième (vers 450), troisième (356-346) et quatrième (vers 340) guerres sacrées liées à Delphes, sans oublier les épisodes militaires concernant des grands sanctuaires dans le cadre de conflits de plus grande ampleur. Ainsi, en 399-398, lors de sa guerre contre les Éléens, le roi lacédémonien Agis entra en vainqueur à Olympie et, à la fin du conflit, envisagea même d’en retirer la prostasie aux Éléens55 ; au cours de la guerre de Corinthe, en 390, les Spartiates et les Argiens, assistés de leurs alliés corinthiens respectifs, s’affrontèrent les armes à la main pour avoir le privilège d’organiser les concours isthmiques qui se tenaient cette année-là56.

Enfin, nous analyserons les éléments qui permettraient de penser que les grands sanctuaires étaient en mesure de jouer un rôle autonome dans la politique internationale, ce qui suposerait l’existence d’un « personnel » attaché à ces lieux sacrés, qui aurait fait passer les intérêts de la divinité à laquelle était consacré le sanctuaire avant ceux de leur communauté civique.

54 Thucydide, VI, 16, 2 ; Plutarque, Alcibiade, 11-12.

55 Xénophon, Helléniques, III, 2, 26 et 31.

56 Xénophon, Helléniques, IV, 5, 1-2 ; Plutarque, Agésilas, 21, 1-3.

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I. Les grands sanctuaires : des lieux conférant prestige et influence.

A. Les concours panhelléniques : les grands sanctuaires, cadre des rivalités agonistiques.

Dans la Grèce de l’époque classique, toutes les compétitions sportives d’envergure panhellénique se déroulaient dans un contexte religieux et, plus précisément, sous le patronage de grands sanctuaires. Autrement dit, les séries d’épreuves dans lesquelles s’affrontaient des athlètes venus de l’ensemble du monde grec s’inscrivaient dans le cadre de cérémonies cultuelles destinées à célébrer une divinité majeure du panthéon hellénique. Ainsi, les quatre concours panhelléniques étaient, dans l’ordre décroissant de leur prestige, les concours olympiques, sous le patronage de Zeus Olympios, les concours pythiques, sous celui d’Apollon Pythien, dieu de Delphes, les concours isthmiques, sur le territoire de Corinthe, sous celui de Poséidon, et les concours néméens, en Argolide, sous celui de Zeus57.

On peut d’ailleurs se poser la question, même si elle nous oblige à remonter à l’époque archaïque, voire mycénienne, et à sortir donc quelque peu de notre sujet, de savoir si l’instauration de ces concours fut à l’origine de l’essor de ces quatre grands sanctuaires ou si, à l’inverse, c’est la renommée de ces lieux sacrés et l’attraction qu’ils exerçaient sur des pèlerins grecs d’origines géographiques très diverses qui permit la naissance de ces compétitions. Plutôt que de chercher une solution globale, il serait sans doute plus prudent d’examiner au cas par cas chacun de ces sanctuaires accueillant des concours panhelléniques.

En effet, dans le cas de Delphes, il est largement admis que l’oracle fonctionna et exerça son attraction à l’échelle de la plus grande partie du monde grec bien avant la création des concours pythiques. Dans les cas de Némée et de l’Isthme, l’absence d’oracle en ces lieux laisserait supposer qu’ils durent leur célébrité à leurs concours. Dans le cas d’Olympie, la question est plus complexe : même si, a priori, on serait tenté pour des raisons évidentes d’attribuer l’origine de la renommée du sanctuaire de Zeus à ses compétitions pentétériques, il ne faut pas oublier que ce lieu sacré possédait encore un oracle à l’époque classique58. Certes, cet oracle était bien moins célèbre que celui de Delphes59, mais la relative déshérence dans

57 N. J. Richardson, 1992, p. 224 et 231 ; A. M. Bowie, 2007, p. 118.

58 Voir p. 678-687.

59 H. W. Parke, 1967, p. 164 et suivantes.

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lequel il était tombé à l’époque classique ne permet pas de présumer de sa renommée à l’époque archaïque, de sorte qu’il est difficile de déterminer si les autorités détentrices du sanctuaire d’Olympie profitèrent du succès de leurs concours pour y instaurer un oracle ou si l’affluence de pèlerins venus consulter l’oracle leur permit de créer les concours olympiques, dont le succès ultérieur aurait fini par éclipser celui-ci.

En outre, ce type de raisonnement néglige la possibilité d’une autre solution : ce serait l’ancienneté, réelle ou postulée, de ces grands sanctuaires qui leur aurait valu leur célébrité et, par conséquent, un afflux important de pèlerins à l’occasion des fêtes destinées à honorer la divinité vénérée en ces lieux. Ainsi, il est indéniable que Delphes était un sanctuaire important dès l’époque mycénienne ; de même, le site d’Olympie était déjà occupé durant la même période et le lieu de culte se développa à partir de l’an 1000, donc dès le début des âges obscurs60. Le lieu de culte préexistait donc à la naissance des concours et c’est sans doute sa célébrité croissante et la conséquence de celle-ci, la venue de pèlerins issus non seulement d’États voisins, mais aussi de régions plus éloignées, qui permirent d’envisager la création de concours ou, du moins, leur promotion à l’échelle panhellénique.

Ces concours panhelléniques se déroulaient suivant des périodicités différentes : les concours olympiques et pythiques se déroulaient tous les quatre ans et étaient de ce fait appelés pentétériques (c’est-à-dire, littéralement, « chaque cinquième année ») tandis que les concours isthmiques et néméens étaient bisannuels (tous les deux ans). Pour faciliter la compréhension de cette périodicité, le tableau ci-dessous décrit la succession de ces compétitions au cours de l’olympiade 480-47661.

480 - avril-mai : concours isthmiques

- juillet-août : concours olympiques

479 - juillet-août : concours néméens

478 - avril-mai : concours isthmiques

- juillet-août : concours pythiques

477 - juillet-août : concours néméens

476 - avril-mai : concours isthmiques

- juillet-août : concours olympiques

Comme on peut le voir, les concours panhelléniques, à l’époque classique, se succédaient sans guère se chevaucher et ce, « malgré l’absence d’une autorité politique ou ecclésiastique centrale en Grèce »62. En fait, les autorités gérant ces concours durent concevoir différentes stratégies. En premier lieu, elles durent chercher à faire en sorte que leurs propres épreuves ne se déroulent pas au même moment que des concours plus anciens et

60 M. Finley et H. W. Pleket, 2004, p. 37 ; U. Sinn, 2004, p. 84.

61 A. E. Samuel, 1972, p. 95-97 et 189-194 ; S. Miller, 2004, p. 12-13 ; S. Hornblower, 2011, p. 26.

62 M. Finley et H. W. Pleket, 2004, p. 52.

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