• Aucun résultat trouvé

Les grands sanctuaires : des lieux conférant prestige et influence

A. Les concours panhelléniques : les grands sanctuaires, cadre des rivalités agonistiques.

Dans la Grèce de l’époque classique, toutes les compétitions sportives d’envergure panhellénique se déroulaient dans un contexte religieux et, plus précisément, sous le patronage de grands sanctuaires. Autrement dit, les séries d’épreuves dans lesquelles s’affrontaient des athlètes venus de l’ensemble du monde grec s’inscrivaient dans le cadre de cérémonies cultuelles destinées à célébrer une divinité majeure du panthéon hellénique. Ainsi, les quatre concours panhelléniques étaient, dans l’ordre décroissant de leur prestige, les concours olympiques, sous le patronage de Zeus Olympios, les concours pythiques, sous celui d’Apollon Pythien, dieu de Delphes, les concours isthmiques, sur le territoire de Corinthe, sous celui de Poséidon, et les concours néméens, en Argolide, sous celui de Zeus57.

On peut d’ailleurs se poser la question, même si elle nous oblige à remonter à l’époque archaïque, voire mycénienne, et à sortir donc quelque peu de notre sujet, de savoir si l’instauration de ces concours fut à l’origine de l’essor de ces quatre grands sanctuaires ou si, à l’inverse, c’est la renommée de ces lieux sacrés et l’attraction qu’ils exerçaient sur des pèlerins grecs d’origines géographiques très diverses qui permit la naissance de ces compétitions. Plutôt que de chercher une solution globale, il serait sans doute plus prudent d’examiner au cas par cas chacun de ces sanctuaires accueillant des concours panhelléniques. En effet, dans le cas de Delphes, il est largement admis que l’oracle fonctionna et exerça son attraction à l’échelle de la plus grande partie du monde grec bien avant la création des concours pythiques. Dans les cas de Némée et de l’Isthme, l’absence d’oracle en ces lieux laisserait supposer qu’ils durent leur célébrité à leurs concours. Dans le cas d’Olympie, la question est plus complexe : même si, a priori, on serait tenté pour des raisons évidentes d’attribuer l’origine de la renommée du sanctuaire de Zeus à ses compétitions pentétériques, il ne faut pas oublier que ce lieu sacré possédait encore un oracle à l’époque classique58

. Certes, cet oracle était bien moins célèbre que celui de Delphes59, mais la relative déshérence dans

57 N. J. Richardson, 1992, p. 224 et 231 ; A. M. Bowie, 2007, p. 118.

58

Voir p. 678-687.

18

lequel il était tombé à l’époque classique ne permet pas de présumer de sa renommée à l’époque archaïque, de sorte qu’il est difficile de déterminer si les autorités détentrices du sanctuaire d’Olympie profitèrent du succès de leurs concours pour y instaurer un oracle ou si l’affluence de pèlerins venus consulter l’oracle leur permit de créer les concours olympiques, dont le succès ultérieur aurait fini par éclipser celui-ci.

En outre, ce type de raisonnement néglige la possibilité d’une autre solution : ce serait l’ancienneté, réelle ou postulée, de ces grands sanctuaires qui leur aurait valu leur célébrité et, par conséquent, un afflux important de pèlerins à l’occasion des fêtes destinées à honorer la divinité vénérée en ces lieux. Ainsi, il est indéniable que Delphes était un sanctuaire important dès l’époque mycénienne ; de même, le site d’Olympie était déjà occupé durant la même période et le lieu de culte se développa à partir de l’an 1000, donc dès le début des âges obscurs60. Le lieu de culte préexistait donc à la naissance des concours et c’est sans doute sa célébrité croissante et la conséquence de celle-ci, la venue de pèlerins issus non seulement d’États voisins, mais aussi de régions plus éloignées, qui permirent d’envisager la création de concours ou, du moins, leur promotion à l’échelle panhellénique.

Ces concours panhelléniques se déroulaient suivant des périodicités différentes : les concours olympiques et pythiques se déroulaient tous les quatre ans et étaient de ce fait appelés pentétériques (c’est-à-dire, littéralement, « chaque cinquième année ») tandis que les concours isthmiques et néméens étaient bisannuels (tous les deux ans). Pour faciliter la compréhension de cette périodicité, le tableau ci-dessous décrit la succession de ces compétitions au cours de l’olympiade 480-47661

.

480 - avril-mai : concours isthmiques - juillet-août : concours olympiques 479 - juillet-août : concours néméens 478 - avril-mai : concours isthmiques - juillet-août : concours pythiques 477 - juillet-août : concours néméens 476 - avril-mai : concours isthmiques

- juillet-août : concours olympiques

Comme on peut le voir, les concours panhelléniques, à l’époque classique, se succédaient sans guère se chevaucher et ce, « malgré l’absence d’une autorité politique ou ecclésiastique centrale en Grèce »62. En fait, les autorités gérant ces concours durent concevoir différentes stratégies. En premier lieu, elles durent chercher à faire en sorte que leurs propres épreuves ne se déroulent pas au même moment que des concours plus anciens et

60 M. Finley et H. W. Pleket, 2004, p. 37 ; U. Sinn, 2004, p. 84.

61

A. E. Samuel, 1972, p. 95-97 et 189-194 ; S. Miller, 2004, p. 12-13 ; S. Hornblower, 2011, p. 26.

19

donc plus prestigieux afin d’éviter la concurrence de ces derniers : les intendants du temple pouvaient en effet se douter que, s’ils avaient à faire un choix, les athlètes du monde grec préféreraient se rendre à des concours plus réputés qu’à des concours plus récemment créés. En second lieu, les organisateurs des concours pouvaient aussi utiliser la fréquence de ceux-ci pour développer au mieux le lieu sacré dont ils avaient la charge : une périodicité bisannuelle permettait ainsi d’offrir davantage de récompenses et d’honneurs aux concurrents et de voir ces derniers et les pèlerins venir plus fréquemment. Au contraire, les concours pentétériques misaient plutôt sur leur relative rareté, donc sur le plus grand prestige des récompenses obtenues par les vainqueurs : c’était en effet un honneur bien plus grand de remporter une épreuve dans un concours qui se déroulait tous les quatre ans que dans un concours bisannuel. Autrement dit, il était bien plus valorisant, pour un Grec, d’être olympionique qu’isthmionique ! Enfin, il ne faut pas oublier qu’un olympionique pouvait jouir de sa victoire pendant quatre ans alors qu’un isthmionique devait remettre son titre en jeu tous les deux ans. De plus, « l’agôn olympien [sic] […] n’était pas seulement de nature athlétique, littéraire ou musicale ; il y avait en même temps une dimension d’exhibitionnisme politique et diplomatique, à couvert de la trêve sacrée »63.

1) Qui étaient les vainqueurs ? a) Les États victorieux :

LIEUX ET PERIODES

Les concours olympiques sont ceux sur lesquels nous sommes le mieux renseignés alors que, dans le cas des autres concours de la périodos, nous dépendons davantage de sources circonstancielles (inscriptions, épinicies) qui biaisent les résultats que nous pouvons tirer de leur analyse. C’est pourquoi nous nous concentrerons surtout sur les Olympia.

Alors qu’à l’époque archaïque, les olympioniques étaient d’abord majoritairement originaires d’Élide, puis du Péloponnèse, à partir de l’époque classique, on assiste à une diversification des origines des athlètes vainqueurs à Olympie64. En effet, Argos ne remporta pas alors de succès olympique avant 480 et Rhodes avant 464 tandis que les cités périphériques (Asie Mineure et Libye) firent à la même époque leur entrée dans le palmarès olympique (Cyrène en 484, Magnésie du Méandre en 424 et Éphèse seulement en 368)65.

63 V. A. Troncoso, 2013, p. 217.

64

P. de Carbonnières, 2005, p. 75.

20

Cette diversification n’empêcha cependant pas certaines cités de davantage se distinguer que les autres. Ainsi, au Ve siècle, sur 185 olympioniques identifiés dans diverses épreuves, on recense 10 victoires éléennes (5,5 %), même si ce furent les Spartiates qui accumulèrent le plus grand nombre de succès (12 olympioniques, soit 6,5 %). Au IVe siècle, ce furent les Éléens qui furent les plus victorieux (23 victoires sur 143 olympioniques identifiés, soit 16 %)66. D’ailleurs, sur ces deux siècles, Élis n’enregistra pas moins de 33 victoires olympiques entre 488 et 300, auxquelles on peut ajouter les huit victoires des périèques lépréates entre 460 et 36067, ce qui en faisait la cité la plus victorieuse aux concours olympiques.

Dans une moindre mesure, entre 479 et 368, Olympie connut une certaine forme de domination arcadienne, avec 26 olympioniques arcadiens contre 3 achéens, 19 éléens, 16 lacédémoniens, 12 d’Argolide (en y incluant Sicyone), 2 béotiens et 20 siciliens68.

Le Ve siècle fut également la période la plus faste pour les Spartiates, qui, avec quinze victoires olympiques, furent la cité la plus victorieuse de cette période, devançant même Élis69. Une analyse plus fine montre même que c’est entre 448 et 420 que la proportion de Spartiates parmi les olympioniques fut la plus importante (18 % des victoires connues), uniquement grâce aux épreuves équestres, et, selon Stephen Hodkinson, cette période de victoires aurait sans doute été plus longue si Sparte n’avait pas été exclue des concours olympiques en 420. En effet, dès leur réintégration et malgré une interruption d’une vingtaine d’années, les Lacédémoniens remportèrent à nouveau l’épreuve du quadrige en 396 et en 39270.

Cependant, même si deux Spartiates, Polyclès71 et Xénarque72, en plus de leurs succès olympiques, se distinguèrent dans les épreuves équestres des concours pythiques, isthmiques et néméens, ce qui leur valut le titre convoité de périodoniques73, il faut remarquer que les Lacédémoniens n’y exercèrent guère de domination, ce qui pourrait conduire à penser qu’ils se focalisaient sur les concours olympiques, les plus prestigieux, et manifestaient, en contrepartie, un certain désintérêt pour les autres concours panhelléniques. En effet, durant la

66 N. B. Crowther, 2004, p. 101. 67 N. B. Crowther, 2004, p. 103. 68 T. H. Nielsen, 2002, p. 401 ; B. Forsén, 2013, p. 270. 69 N. B. Crowther, 2004, p. 101. 70 S. Hodkinson, 2000, p. 307-309 (tableau 12) et 311. 71

Pausanias, VI, 1, 7. Voir L. Moretti, 1959, p. (n° 315) ; E. Maróti, 2000, p. 52 (n° 50) ; G. P. Kostouros, 2008, p. 152 (n° 162).

72 Pausanias, VI, 2, 1-2. Voir L. Moretti, 1959, p. (n° 386) ; E. Maróti, 2000, p. 61-62 (n° 63) ; G. P. Kostouros, 2008, p. 144-145 (n° 151).

21

période classique, il n’y eut que deux succès spartiates à Némée et deux autres à Delphes et tous sont à mettre à l’actif de Polyclès et de Xénarque. Il est néanmoins vrai que ces deux Spartiates ne nous sont connus que parce qu’ils étaient périodoniques et il est donc possible que certains de leur concitoyens aient triomphé dans les concours néméens, isthmiques et pythiques sans que leurs noms aient été transmis à la postérité.

Les athlètes originaires de Grande-Grèce accumulèrent les victoires durant la première moitié du Ve siècle, en particulier pendant le premier tiers de ce siècle. Ainsi, la seule Crotone vit ses coureurs Tisicrate (double vainqueur) et Astylos remporter trois fois de suite le stade de 496 à 488, Astylos y ajoutant le diaulos en 488. De même, Tarente bénéficia de quatre victoires : le pentathle en 476, en 468 et en 444 et la lutte des enfants en 472. Grâce à Parménide, Poseidonia remporta le stade et le diaulos en 468. Enfin, Locres Épizéphyrienne accumula pas moins de six victoires avec le pugilat des enfants en 476 et le pentathle en 488 (plutôt qu’en 464), grâce à Euthyclès74, et en 448, mais surtout grâce à Euthymos, trois fois vainqueur du pugilat (en 484, 476 et 472)75. Cette période d’exceptionnelle réussite des athlètes de Grande-Grèce est assez difficile à expliquer, si ce n’est peut-être par le fait que ces cités connurent à l’époque leur apogée, notion qu’on peut d’ailleurs juger discutable76

.

La première moitié du Ve siècle fut aussi particulièrement favorable aux athlètes grecs de Sicile. Syracuse, à elle seule, remporta cinq victoires olympiques : la course en armes en 476, le char attelé de mules en 468 et, surtout, les trois succès de Hiéron (la course montée en 476 et 472 et le quadrige en 46877). S’y ajoutent les succès olympiques de Géla, avec Gélon dans l’épreuve du quadrige en 48878

, de Camarine, avec la double victoire de Psaumis dans des épreuves de quadrige79 en 456 et 45280, d’Himère (avec la double victoire d’Ergotélès dans le dolichos en 472 et 464, la triple victoire de Crison dans le stade de 448 à 440 et la victoire de Python dans la course montée en 448), de Messine (avec les deux victoires de Léontiscos à la lutte en 456 et 452 et une victoire de Symmachos dans le stade en 424) et d’Agrigente (avec deux victoires en 496 dans la lutte et la course montée, la victoire du tyran Théron dans l’épreuve du quadrige en 476 et les deux succès d’Exainétos dans l’épreuve du stade en 416 et 412). Dans le cas de la Sicile, cette accumulation de victoires peut être interprétée comme une stratégie de légitimation du pouvoir en place dans ces cités, a fortiori

74 L. Moretti, 1959, p. 83-84 (n° 180) ; 1970, p. 296 ; 1992, p. 119 ; A. Hönle, 1968, p. 103 (note 2) ; G. Cuniberti, 2013, p. 92.

75IvO 144.

76

G. Cuniberti, 2013, p. 92.

77 Pausanias, VI, 12, 1 ; VIII, 42, 8.

78 Pausanias, VI, 9, 4.

79

Pindare, Olympiques, IV et V.

22

quand ce pouvoir était de nature tyrannique, comme dans le cas des Deinoménides81. À l’inverse, au IVe

siècle, on observe une plus grande rareté des victoires des Grecs de Sicile et de Grande-Grèce : ils ne remportèrent que neuf victoires, dont trois dues au seul héraut Archias d’Hybla (de 364 à 356) et deux au coureur du stade Damon de Thourioi (en 376 et 372)82.

L’époque classique fut néanmoins une époque de raréfaction des victoires olympiques des Grecs de l’Ouest (Italie et Sicile). Ainsi, entre 588 et 488, Crotone avait remporté vingt succès83, mais, après 488, cette cité ne fournit plus aucun olympionique84.

Les années 364-348 constituèrent l’apogée de la gloire olympique de Cyrène : c’est sur cette courte période que la cité remporta ses cinq succès olympiques du IVe siècle85.

Dix-sept Thessaliens furent vainqueurs à Olympie des origines à la fin du Ve siècle, dont douze au cours du seul Ve siècle. À l’inverse, Olympie ne vit que deux victoires thessaliennes au IVe siècle. Pourtant, il a été soutenu, en s’appuyant sur Bacchylide86 et Pindare87, que les athlètes thessaliens du Ve siècle préféraient participer aux concours locaux, ceux de Poséidon Pétraios ou du héros homérique thessalien Protésilas, plutôt qu’aux concours panhelléniques. Pour le Ve siècle, cette théorie est bien sûr fausse, mais elle pourrait, à la rigueur, expliquer la relative éclipse des athlètes thessaliens à Olympie, mais aussi dans les autres concours panhelléniques, au IVe siècle88.

L’IMPORTANCE D’UNE VICTOIRE OLYMPIQUE

Voir un de ses athlètes remporter une victoire à Olympie était synonyme de prestige politique, un prestige dont l’ampleur peut se mesurer par la volonté des cités victorieuses grâce à leurs athlètes de commémorer ces succès, déployant pour ce faire une véritable propagande. Par exemple, Élis, la cité organisatrice des concours olympiques, fit figurer la déesse Nikè sur ses monnaies entre 468 et 432 : par l’intermédiaire de ses hellanodices, qui remettaient leurs prix aux olympioniques, elle pouvait en effet légitimement s’identifier à la déesse Victoire, d’autant plus que ses athlètes remportèrent aux Ve

et IVe siècles un grand nombre de victoires, faisant ainsi de leur cité la plus récompensée aux concours olympiques de l’époque classique. De plus, la déesse de la Victoire était fortement représentée à Olympie,

81 L. V. Kurke, 1999, p. 131-142 ; C. Mann, 2001, p. 236-248 ; G. Cuniberti, 2013, p. 93.

82 G. Cuniberti, 2013, p. 94 (note 26).

83 M. Dreher, 2013, p. 257.

84

N. B. Crowther, 2004, p. 100 et 102.

85 S. Hornblower, 2011, p. 64.

86 Bacchylide, Épinicies, XIV.

87

Pindare, Isthmiques, I, 58.

23

haut lieu de la compétition sportive entre Grecs : non seulement elle y était présente sous forme de statues, mais, d’après Pausanias, immédiatement à côté du grand autel, un autel lui était dédié conjointement avec Zeus Purificateur (Catharsios)89. Enfin, parmi les cités victorieuses, certaines, comme Himère après la victoire d’Ergotélès en 464 et peut-être Térina vers 420, se mirent à frapper des monnaies au type d’une nymphe identifiable, dans une certaine mesure, avec Nikè afin de commémorer leurs victoires olympiques, mais aussi de leur assurer la plus grande renommée possible à travers un des emblèmes les plus visibles de l’autorité politique, la monnaie90

.

Dans le cas des particuliers, il faut remarquer qu’Alcibiade, vainqueur à Olympie, mais aussi à Némée et à Delphes, tenta d’exploiter tous ses succès dans les concours de la

périodos91, mais, dans le discours qu’il adressa à ses compatriotes pour les convaincre du bien-fondé d’une expédition en Sicile, il ne mentionnait que sa victoire olympique92, ce qui démontre qu’une victoire olympique était sans commune mesure avec celle remportée dans d’autres concours panhelléniques93

.

Une victoire à Olympie pouvait aussi être célébrée de manière plus explicite, en particulier quand l’olympionique était tyran de sa cité. Ainsi, après avoir remporté l’épreuve du quadrige attelé de mules à Olympie en 48094, Anaxilas, tyran de la cité sicilienne de Rhégion, fit représenter sur les monnaies de sa cité l’attelage qu’il avait conduit95

. Gélon de Syracuse alla même jusqu’à faire figurer, sur les monnaies syracusaines, un quadrige afin de rappeler qu’il avait été vainqueur dans cette épreuve à Olympie en 488, même s’il avait remporté ce succès en tant que citoyen de Géla et non de Syracuse, qu’il ne dominait pas encore96.

Les gains d’un succès athlétique lors d’un concours panhellénique dépassaient la simple question du prestige politique. En effet, lors de l’olympiade de 420, les Spartiates, qui avaient refusé d’acquitter une amende à laquelle ils avaient été soumis par les autorités du sanctuaire, se retrouvèrent exclus des concours par la cité organisatrice, Élis, et tous craignaient que, en représailles, les Lacédémoniens ne montassent une expédition militaire

89 Pausanias, V, 14, 8. 90 A. Jakovidou, 2013, p. 55-57 et 64-66. 91 Athénée, I, 5, 3e ; XII, 47, 534d. 92 Thucydide, VI, 16, 2. 93 S. Hornblower, 2008, p. 345.

94 Simonide, fragment 19 (Diehl) ; Aristote, fragment 568 (Rose).

95 L. Moretti, 1959, p. 89 (n° 208) ; N. Luraghi, 1994, p. 220-221 ; C. Mann, 2001, p. 308 ; G. Cuniberti, 2013, p. 92.

24

contre Olympie afin d’obtenir, par la contrainte des armes, la levée de la sanction97

. Même si cette attaque n’eut pas lieu, le fait que tous les Grecs s’y attendaient démontre bien l’importance que pouvait avoir la participation aux concours olympiques pour une grande puissance comme Sparte puisqu’une exclusion de ces concours pouvait être considérée par l’ensemble des Grecs comme un casus belli. En outre, cette importance de la participation est soulignée par la manœuvre du Spartiate Lichas, qui chercha à contourner la sanction en participant à l’épreuve du quadrige sous les couleurs béotiennes98

.

UNE HIERARCHIE DES EPREUVES

Participer aux concours panhelléniques, comme ceux de Delphes ou d’Olympie, n’était pas à la portée de tous : le voyage, en particulier pour les Grecs de l’Ouest, plus éloignés de ces centres religieux, coûtait cher et nécessitait donc de disposer d’une certaine fortune, ce qui constituait une première sélection des concurrents. C’était encore plus le cas pour les épreuves équestres en raison de l’équipement à amener sur place (chevaux, quadrige, cocher)99.

C’est d’ailleurs pourquoi les compétitions équestres étaient par essence l’apanage des aristocrates, hors de toute considération sur la nature du régime politique de la cité du vainqueur. Seule cette catégorie sociale pouvait en effet dégager les ressources financières nécessaires à l’élevage des chevaux. Stephen Hodkinson a ainsi déterminé que les olympioniques lacédémoniens d’épreuves équestres appartenaient à des lignages aristocratiques de premier rang100. Par exemple, Eurybiade, olympionique en 384 dans l’épreuve du quadrige attelé de poulains, était sans doute le descendant du commandant en chef de la flotte grecque à Salamine en 480. De même, Euryléonis, qui remporta l’épreuve du bige attelé de poulains en 368, descendait probablement d’un compagnon du prince spartiate Dorieus, Euryléon101. Enfin, un homonyme et descendant du vainqueur du quadrige à Olympie en 484, Polypeithès, était prostate des naopes à Delphes à l’automne 352102

.

La présentation d’un attelage lors d’un des concours panhelléniques était conçue comme un investissement, où l’argent dépensé était transformé en prestige, ce même en cas de défaite. En effet, si la victoire dans une épreuve équestre, a fortiori dans celle du quadrige, conférait le prestige dû à tout vainqueur, meilleur des Grecs dans cette discipline, titre dont il

97 Thucydide, V, 49-50. 98 S. Hornblower, 2011, p. 26-27 et 167. 99 S. Hornblower, 2011, p. 54. 100 S. Hodkinson, 2000, p. 414. 101 P. Poralla, 1985, n° 327-328.

25

pouvait se targuer pendant quatre ans, la simple participation était elle-même source de prestige, car elle démontrait la richesse de l’individu en question et, indirectement, de son État d’origine, à plus forte raison quand le même compétiteur avait été capable d’aligner plusieurs attelages lors des mêmes concours103.

De même, c’est la seule épreuve pour laquelle les places d’honneur pouvaient avoir de l’importance104, comme le montre l’exemple des quadriges alignés par Alcibiade à Olympie en 416105, qui finirent soit premier, deuxième et quatrième selon Thucydide106 et Athénée107, soit premier, deuxième et troisième d’après Euripide108 et Isocrate109. Il est tentant de faire confiance à Euripide, qui écrivit l’épinicie immédiatement après la victoire d’Alcibiade, à la demande de celui-ci, d’autant plus que substituer tétarta à trita dans le poème romprait la métrique ; le texte de Thucydide souffrirait alors d’une lacune, qui aurait fait disparaître la troisième place dans la liste des places des sept attelages d’Alcibiade110

. Il est néanmoins plus probable que, afin de rehausser le prestige des attelages athéniens, la rumeur publique finit

Documents relatifs