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La bilatéralité éclipsée par l'autorité : développements récents en matière d'état des personnes

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La bilatéralité éclipsée par l'autorité : développements récents en matière d'état des personnes

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. La bilatéralité éclipsée par l'autorité : développements récents en matière d'état des personnes. Revue critique de droit international privé (Rev. crit.) , 2006, vol. 457-519

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:46475

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1. - DOCTRINE ET CHRONIQUES

la bilatéralité éclipsée par l'autorité

Développements récents

Résumé

en matière d'état des personnes

Gian Paolo ROMANO

Docteur en droit (1)

Lorsque la constitution d'une situation de droit privé requiert l'in- tervention d'une autorité~ ainsi du partenariat enregistré, du mariage, du divorce et de l'adoption - la pratique tend à négliger la règle de conflit bilatérale classique. Dès qu'il y a un lien suffisant avec le for, la création au for de ce type de situation se place souvent sous l'auto- rité du droit du for; la situation créée à l'étranger selon la loi qui y a cours est de façon croissante reconnue à la même condition du lien suffisant. Recherchées du côté de la faveur à l'établissement de ces situa- tions, ou bien d'un besoin de simplification, ou encore de l'intérêt public ou de la nature procédurale des règles matérielles, les justifica- tions proposées de cette double tendance ne parviennent pas à rendre compte de la totalité du phénomène. Une nouvelle tentative d'expli- cation pourrait s'appuyer, d'une part, sur le constat de la vocation natu- relle de la loi du for à s'appliquer à toutes les espèces ayant avec lui un lien étroit, qui répond au souci du for de ne pas refuser l'accès à sa loi à tous les individus qui sont suffisamment intégrés à son milieu social, et d'autre part, sur l'exigence d'harmonie des solutions qui veut éviter aux individus un conflit de règles, ici de statuts.

(1) Collaborateur scientifique à l'Institut suisse de droit comparé, Lausanne.

Rev. crit. DJP, 95 (3) juillet-septembre 2006

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458 DOCTR1NE ET CHRONIQUES

Summary

When, in arder to create a legal relationship, the presence of a public authority is required - such is mostly the case for registered partner- ship, marriage, divorce and adoption - the practice of private inter- national law reveals thar the traditional multilateral rule tends to be set aside. As saon as a sufftcient link with the forum is present, the creation of such relationship is increasingly placed under forum law's authority. The recognition of the legal relatîonship generated in a foreign country based on the law of this country tends also to be dominated by the" sufftcient connection l> test. Neither the forum's wish to favour the creation of such relationships nor thar to alleviate its authorities'task, neither the public-interest character not the procedural nature of the material rules in question, appear to be sufficient to do justice to the whole of this phenomenon. A new attempt to explain ir might build, on the one side, on the natural scope of application of the law of forum, which encompasses all situations having a close link with it and arguably reflects the forum's concern with granting access to its law to all individuals being sufficiently connected with its social arder, and, on the other side, on the quest for harmony of solutions so as to avoid a conflict of rules for the individuals, here a conflict of status.

MOTS-CLÉS: Règle bihtérale, Méthodes du droit international privé, Condi- tions de fond pour l'établissement d'une situation juridique, Reconnaissance, Conflit de règles ou de statuts.

1. À qui observe sans prévention la pratique du droit internatio- nal privé, il apparaîtra que l'application quasi systématique de la loi du for est largement répandue lorsqu'il s'agit de constituer une si- tuation juridique par l'intermédiaire d'une autorité publique, notam- ment de conférer un nouveau statut à deux individus qui le sollici- tent, tel que celui d'époux, de partenaire enregistré, _,de divorcé et de parent ou d'enfant adoptif. Il n'échappera pas non plus que si un tel état a déjà été obtenu à l'étranger et que se pose la question de son existence dans le for, c'est de façon croissante le procédé de la reconnaissance qui l'emporte (2). Dans un cas comme dans l'autre,

(2) V. P. Lagarde, (( Développements futurs du droit international privé dans une Europe en voie d'unification: quelques conjectures ,, RabelsZ, 2004, p. 225 s.; v. du même auteur\\ Rapport de synthèse)), in: A. Fuchs/H. Muir Watt!E. Pataut (dir.), Les conflits de lois et le système juridique communautaire, Paris, 2004, p. 283 s., spéc. 293-294, et les ii Préfaces )) à M. Scherer, Le nom en droit international privé, Paris, 2004, spéc.

p. VIII (voir aussi p. 270 s. de cet ouvrage) ainsi qu'à G. Ke:>sler, Les partenariats enre- gistrés en droit internationaL privé, Patis, 2004, spéc. p. VII; P. Mayer," Les méthodes

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lA BIIATÉRALITÉ ÉCLIPSÉE PAR L'AUTORITÉ 459

la règle bilatérale classique, qui au moyen du critère de rattachement le plus significatif, rend applicable, du moins en principe, la seule loi de l'État que ce critère désigne, à l'exclusion de toute autre loi - réputée moins étroitement liée à l'espèce - perd du terrain dans le droit international privé contemporain.

Les deux procédés évoqués ont été déjà identifiés; la doctrine les a d'ailleurs érigés en «méthodes », dont elle souligne l'écart par rap- port à la " méthode conflictuelle » (3). La " méthode de la recon- naissance )) a ces derniers temps suscité un assez vif intérêt ( 4). Celui- ci a été précédé par l'attention portée dès les années soixante à la méthode dite tantôt de la « corrélation )) entre la compétence judi- ciaire et la compétence législative (5) - du Gleichlauf entre forum et ius dans la doctrine germanique (6) et du jurisdictional approach en

de la reconnaissance en droit international privé >!, Mélanges P. Lagarde, Paris, 2005, p. 547 s.; D. Henri ch, « Anerkennung statt IPR: Eine Grundsatzfrage », IPrax, 2005, p. 422 s.; D. Coester-Waltjen, « Das Anerkennungsprinzip im Dornrôschenschlaf ,, Festschrift E. ]ayme, München, 2004, p. 121 s.; E. Jayme/Chr. Kahler, << Europaisches Kollisionsrecht 2001 : Anerkennungsprinzip statt IPR? >!, !Prax, 2001, p. 501 s.; dans la doctrine espagnole, P. Orejudo Priera de Los Mozos, La celebraciôn y el reconoci- miento de la validez del matrimonio en derecho internacional privado espafiol, Pamplona, 2002, p. 284, fait allusion au << método del reconocimiento )) (v. également A. Quifiones Escimez, cette Revue, 2005, p. 858); dans la doctrine anglaise, 1. Curry-Sumner, All's welt that ends registered- The Substantive and Private International Law Aspects of Non- Marital Registered Relationships in Europe, Antwerp, 2005, p. 394, parle de (( recogni- tion rules devoid of any choice of law test )>; dans la doctrine italienne, v. T. Balla- rino/L. Mari, << Unîformità e riconoscimento - Vecchi problemi e nuove tendenze della cooperazione giudiziaria nella Comunîtà europea », Riv. dir. internazionale, 2006, p. 12 s.

(3) Tous les auteurs cités à la note précédente y insistent. Cf. déjà Ch. Pamboukis, L'acte public étranger en droit international privé, Paris, 1993, p. 111 s., spéc. p. 122.

(4) V. ouvrages cités à la note 2.

(5) V. H. Batiffol, <( Observations sur les liens de la compétence judiciaire et de la compétence législative,, Mélanges Kollewijn et 0./Jerhaus, Leyde, 1962, p. 55 s.; P. Hébraud,

<( De la corrélation entre la loi applicable à un litige et le juge compétent pour en

connaître», cette Revue, 1968, p. 205 s.; D. Mayer, Rapports de la compétence judiciaire et de la compétence législative en droit international privé de la famille, thèse Paris, 1972;

J. Gonzilez Campos, « Liens entre compétence judiciaire et compétence législative ,, Rec. cours, 1977-11, p. 229 s.; P. Gan nagé, « Observations sur les liens de la compé- tence législative et de la compétence judiciaire dans un système multi-confessionnel (à propos de l'évolution du droit libanais) >l, Mélanges]. Vincent, Paris, 1981, p. 93 s.

(6) V. déjà F. Swoboda, Das internationale Recht derfreiwilligen Gerichtsbarkeit, Mün- chen, 1934, spéc. p. 35 s.; P. H. Neuhaus, «Internationales Zivilprozessrecht und inter- nationales Privatrecht l), RAbelsZ 1955, p. 201 s. et du même auteur Die Grundbegriffè des internationalen Privatrechts, 2. Aufl., Tübingen, 1976, p. 116 s.; A. Heldrich, Inter- nationale Zustiindigkeit und anwendbares Recht, Berlin-Tübingen, 1969, p. 8 s. Pour un constat récent de la « popularité )> grandissante du Gleù:hlauf dans les matières d'état des personnes, v. P. Volken, in Zürcher Kommentar zum IPR-Gesetz, Zürich, 2004, p. 509;

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droit international privé anglais (7) -tantôt« de l'application géné- ralisée» (8) ou« quasi généralisée» (9) de la loi du for (10).

Il n'est cependant pas exclu qu'une reprise de l'étude de ces pro- cédés ait ses mérites. D'une part, le bilan exact de leur posîtîvité reste à dresser. D'autre part, il ne semble pas que l'on ait eu occa- sion de se livrer à un examen conjoint de l'une et l'autre méthode, de montrer que les domaines matériels où elles s'implantent sont bien souvent les mêmes et qu'on est dès lors, semble-t-il, en pré- sence des deux volets d'un seul et même « diptyque » (11). Enfin, et pour cette raison même, une réflexion globale sur ce que l'on appellera la rationalité - la Zweckrationalitiit - de ce diptyque par rapport à la règle de conflit classique, manque à ce jour.

On décrira tout d'abord les règles positives qui se dégagent du droit commun des principaux pays européens (12) (!); on se consa- crera ensuite à l'interprétation de ces règles (II).

cf. également S. Orhenin Girard, La réserve d'ordre public en droit international privé suisse, Zürich, 1999, p. 347 et T. De Boer,« Forum Preferences in Contcmporary Euro- pean Conflicts Law J>, Festschrift E. }ayme, München, 2004, p. 48.

(7) V. par exemple O. Kahn-Freund, The Growth of lnternationalism in English Pri- vate International Law, Jerusalem 1960, spéc. p. 62 s.; R. Graveson, « Comparative Aspects of the General Principles of Privatc International Law,, Rec. cours, 1963-II, p. 19 s.; R. Cafari Panico, Diritto internazionale privato inglese e « jurisdiction »con par- ticolare riguardo ai rapporti di famiglia, Padova, 1979 (passim); P. Picone, " Merodo dell'applicazione generalizzata della lex fori ,,, in La riforma italiana di diritto interna- zionale privato, Padova, 1998, p. 371 s. L'expression (( jurisdictional approach » est due à R. De Nova, ((Adoption in Comparative Private International law», Rec. coun, 1961-111, t. l 04, p. 75.

(8) V. P. Pico ne, (( Applicazione generalizzata J>, cit., p. 371 s.; pour une présenta- tion en langue française, v. (( Les méthodes de coordination entre ordres juridiques en droit international privé, Cours général», Rec. cours, 1999-11, spéc. p. 143 s.

(9) Ph. Francescakis/P. Gothot, (( Une réglementation inachevée du divorce interna- tional, La loi belge du 27 juin 1960 », cette Revue, 1962, p. 247 s. .,

(10) C'est cette dernière appellation qu'on retiendra ici en principe, même si elle n'est pas tout à fait exacte en elle-même pour des raisons qui apparaîtront plus clairement ensuite; du moins, elle suggère aussitôt que la loi du for est invariablement appliquée, non (seulement) dans ses règles de conflit, de quelque nature qu'elles soient, mais dans ses règles matérielles.

(11) Cet emploi du mot ((diptyque,, ne doit donc pas être confondu avec celui qu'en a fait D. Baden (L'ordre public: limite et condition de la tolérance. Recherches sur le plu- ralisme juridique, th. Paris 1, 2002, pp. 534-543; v. aussi, du même auteur: ((Le plu- ralisme juridique en droit international privé >>, Arch. phil. droit, 2005, t. 49, p. 225- 266) pour désigner les deux volets d'une comparaison prolongée des deux théories que l'auteur désigne sous le nom de monisme-bilatéralisme et de pluralisme-unîlatéralisme.

(12) Toute référence au droit international privé de source conventionnelle, d'une part, et communautaire, d'autre part, a été délibérément négligée. En suivant P. Mayer ((( Les méthodes de la reconnaissance J>, cit., p. 548), on n'aura pas <( céd[é] à l'illusion que parce que l'Europe se fait, le paradigme du droit international privé a changé pour l'univers entier >~. Cependant, c'est le d.i.p. (national) des pays européens qui a retenu notre attention, en raison de son rayonnement et de sa valeur d'exemple en la matière.

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LA BILATÉRALTTf~ ÉCLIPSÉE PAR L'AUTORITÉ 461

I. - LE DROIT POSITIF

2. Les domaines qui nous intéressent sont ceux où l'interven- tion d'une autorité du for est une condition nécessaire pour créer une situation juridique par la modification du statut des intéres- sés (13): il s'agit de l'enregistrement d'un partenariat, de la célé- bration d'un mariage, de la dissolution de celui-ci et de l'établis- sement d'un rapport d'adoption. La finalité de cette intervention est constitutive, en ce sens que l'autorité concourt à l'établissement d'une situation juridique auparavant inexistante (14), et non pas déclarative, puisqu'elle ne vise pas à « déclarer » l'existence ou l'in- existence d'un état de droit supposé déjà établi. Les seules condi- tions de fond que les intéressés doivent remplir pour obtenir la modification du statut recherchée nous retiendront ici, les condi- tions de forme et les effets demeurant en dehors de notre champ d'investigation. Chacun des domaines évoqués sera examiné d'abord sous l'angle de l'établissement de la situation juridique dans le for (§ 1), ensuite sous celui de la reconnaissance dans le for d'une situation juridique établie à l'étranger (§ 2).

§ 1. - LÉTABLISSEMENT D'UNE SITUATION DANS LE FOR:

LAFPLICATION GÉNÉRALISÉE OU QUASI GÉNÉRALISÉE DE LA LEX PORI

3. On abordera successivement l'enregistrement d'un partenariat (B), la célébration d'un mariage (C), la dissolution de celui-ci (D) et l'établissement d'un rapport d'adoption (E). Deux précisions limi- naires s'imposent (A).

(13) Cf. P. Calté, L'acte public en droit international privé, Paris, 2004, p. 20, 78 (où l'auteur parle de <i condition de fond,,), 177 et 357; cf. également Y. Lequette, Pro- tectionfomiliale et protection étatique des incapables, Paris, 1976, p. 111, P. H. Neuhaus, Die Grundbegriffe des internationalen Privatrechts, Tübingen, 1. Aufl., 1962, p. 245 et A V. M. Struycken, <i Quelques réflexions sur la juridiction gracieuse en droit interna- tional privé,,, Trav. com. fr. dr. int. pr., 1986-1987, p. 117.

(14) Selon l'expression de H. Motulsky ((<Les actes de juridictions gracieuse en droit international privé,, Trav. com. fr. dr. int. pr., 1948-1952, p. 13), <(elle concour[t] à l'élaboration [ ... ] des rapports juridiques». Ch. Pamboukîs, L'acte publù~ cit., p. 188, parle de (( création d'un état de droit nouveau ».

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462 DOCTRINE ET CHRONIQUES

A. -

Deux précisions liminaires

4. La première précision concerne les termes « autorité >> et « loi du for >> figurant dans les expressions << intervention d'une autorité >•

et « application généralisée de la loi du for >>. Dans les domaines qui ont inspiré à la doctrine cette appellation c'étaient les autorités judiciaires qui étaient saisies (15). Il est dès lors apparu normal que l'on parle de « for ». Il ne semble cependant pas y avoir de raison de ne pas employer le même terme lorsque ces autorités sont admi- nistratives (16). En premier lieu, si elle est du ressort des juges dans un pays, l'activité du type constitutif ici envisagée peut relever de la compétence des officiers de l'état civil dans un autre (17). Or l'iden- tité structurelle et téléologique de cette activité (18) justifie le recours à une identité de terminologie. En deuxième lieu, le contraste entre le caractère non définitif de l'acte public et la nature définitive de

(15) Pour Ph. Francescakis et P. Gothot, «Une réglementation inachevée)), cit., c'est le divorce dans le droit international privé belge de l'époque; pour R. Cafari Panico, D.i.p. inglese, cit., et P. Picone, « Applicazione generalîzzata ))' cit., ce sont le divorce et l'adoption en Angleterre.

(16) C'est d'ailleurs ce à quoi aboutit assez spontanément une doctrine de plus en plus abondante: v. p. ex. P. Volken, ZürcherKommentar, cit., p. 533, S. Othenin Girard, La réserve d'ordre public, cit., p. 347, K. Siehr, Das schweizerische internationale Priva- trecht, Zürich 2002, p. 18, lesquels parlent du Gleichlauf entre forum et ius ou de l'ap- plication de la « inlandische lex fori )) à l'égard de la règle suisse en matière de loi appli- cable aux conditions de fond du mariage; pour la règle analogue qu'a dégagée une partie de la doctrine espagnole, v. J. Gonzilez Campos (dir.), Derecho internacional privado, Parte especial, 6. ed., Madrid 1995, p. 298, A. Calvo Caravaca/]. Carrascosa Gonzilez, Derecho internacional privado, 5. ed., Granada 2005, p. 73, et P. Orejudo Prieto de los Mozos, La celebraci6n, cit., p. 71, pour lesquels la lex fori n'est ici rien d'autre que la lex loci celebrationis ou la lex auctoritatis; cf. également en la matière,.,dans la doctrine anglo-américaine, D. Bradshaw, (( Capacity ta Marry and the Relevance of the Lex Loci Celebrationis >~, 15 Anglo-American L. Rev. 112 (1986), spéc. 127 s. et C. M. V. Clark- son, (( Marriage in England: Favouring the Lex Fori >l, 10 Legal Stud. 80 (1990), p. 88, et, dans la doctrine italienne, A. Miele, Il matrimonio dello straniero in !tafia, Padova, 1972, p. 13. Pour M. }interi-Jareborg, ((Foreign Law in National Courts>>, Rec. cours, 2003, t. 304, p. 212, forum law est, du point de vue des autorités suédoises, la loi sué- doise du lieu de célébration d'un mariage. En matière de partenariats enregistrés, v. J. Erauw/J. Verhellen, i< Het conflictenrecht van de wettelijke samenwoning interna- tionaal a.~pecten van de niet-juwelijkse samenwoningsvorm >~, Echtscheidingsjournaal, 1999, p. 154, pour lesquels la ((loi de l'enregistrement>> d'un partenariat signifie la lex fori;

cf. aussi G. Kessler, cit., p. 141.

(17) V. p. ex. P. Callé, cit., p. 13, 228 et 285 pour des exemples tirées de la juris- prudence française.

(18) Cf. P. Callé, cit., p. 177, lequel stigmatise la (( dualité de régimes [en matière de réception d'actes publics étrangers, selon qu'ils sont judiciaires ou non] pour des déci- sions de structure identique, mais organiquement différentes >~; cf. également Y. Lequette, Protection familiale, cit., p. 148, qui parle de " prérogatives du même ordre >>.

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LA BILATÉRALITÉ ÉCLIPSÉE PAR L'AUTORITÉ 463 la décision judiciaire ne récuse pas à lui seul cette identité (19):

quelles que soient les conséquences qu'il est bon de tirer de cette divergence, sur lesquelles on s'arrêtera plus loin (20), il demeure que ces deux autorités publiques sont également censées appliquer cor- rectement les règles de droit de l'État dont elles tiennent leurs pou- voirs (21). Enfin, la tendance s'affirme de plus en plus à définir la compétence internationale des autorités administratives de la même façorl\ que celle des autorités judiciaires, si bien que se répand l'usage de l'expression « compétence des autorités » (22).

D'autres appellations sont aussi usitées~ notamment lex auctoris (loi de l'auteur) (23) ou lex auctoritatis (loi de l'autorité) (24). La dénomination lex fori sera ici préférée en raison de l'éclairage qu'elle peut projeter sur les développements qui vont suivre. Il convient de préciser que lei< for» n'est ici pas nécessairement le lieu d'un« litige», mais le lieu de la réalisation ii autorisée » du droit, laquelle, pour les institutions ici retenues, est le plus souvent pacifique. La loi du for peut d'ailleurs prendre des noms différents selon le domaine: lex loci registrationis, lex loci celebrationis, lex constitutionis.

La deuxième précision a trait à la technique de mise en œuvre du recours généralisé à la loi du for. Celui-ci peut être organisé d'une triple manière. Le for peut déterminer tout d'abord les chefs de com- pétence internationale de ses autorités, et commander ensuite l' ap- plication systématique par celles-ci de sa propre loi. Mais il peut aussi fixer en premier lieu les critères de compétence internationale de sa loi et calquer ensuite la compétence de ses autorités en ce domaine (25). Il a été dit parfois que dans le premier cas, c'était le forum qui suivait le ius, et que dans le second, c'était le ius qui sui-

(19) Sur ce qu' (( un organe public, à la différence d'un juge, ne crée pas de situation juridique incontestable», v. Ch. Pamboukis, L'acte public, cit., p. 242.

(20)

v.

infra, ll0 42-43.

(21) Cf. H. Bauer, Compétence judiciaire internationale des tribunaux civils français et allemands, Paris, 1965, p. 19.

(22) Cf. par ex. les articles 43 et 65 a de la LDIP suisse et les articles 44 et 59, ali- néa 2 du Code de d.i.p. belge dans les domaines de la célébration du mariage et de l'enregistrement d'un partenariat (ou d'une « relation de vie commune »).

(23) V. p. ex. P. Callé, cit., p. 77 s., quoique pour montrer le caractère fallacieux de la doctrine selon laquelle auctor regit actum (v. à cet égard, infra, no 30); v. également P. Mayer, « Les méthodes de la reconnaissance >>, cit., p. 567 s., et parfois G. Kessler, cit., p. ex. à la p. 255.

(24) V. p. ex. P. Orejudo Prieto de los Mozos, La celehraciôn, cit., p. 71; R. De Nova, << Adoption >>, cit., p. 79, parle de « law of place where proceedings are institu- ted )),

(25) V. p. ex. D. Mayer, &pports, cit., p. 69 s.

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464 DOCTRINE ET CHRONIQUES

vait le forum. Ainsi qu'il apparaîtra bientôt, cette distinction n'est qu'une simple classification pédagogique. Aussi bien faut-il se gar- der d'en déduire une véritable diversité de méthode. Il est enfin une troisième manière de parvenir au même résultat. Elle consiste à pré- server la règle de conflit classique, mais en se repliant sur la loi du for - au moyen d'un usage généralisé ou quasi généralisé de l'ex- ception d'ordre public- à chaque fois que la loi étrangère désignée s'en écarte d'une manière telle que, dans le cas concret, il en résul- terait un règlement différent.

B. - Enregistrement d'un partenariat

5. Puisqu'elle est dénuée d'histoire, l'institution du partenariat enre- gistré est propre à constituer un bon point de départ. Il faut cepen- dant relever d'emblée que la ressemblance matérielle entre le partenariat enregistré et le mariage est, presque partout, très poussée. Tout comme le mariage, le partenariat prend naissance par l'intermédiaire des au- torités publiques. Les conditions de fond sont souvent calquées sur celles du mariage. S'agissant de la loi applicable à ces conditions, l'on constate une assez grande convergence: celles-ci obéissent à la loi du pays de l'autorité, dite souvent loi de l'enregistrement (26). Assez lar- gement favorables à cette solution (27), les auteurs sont hésitants sur le critère de rattachement à cette loi, fort dissemblable des critères traditionnels de rattachement du statut personnel puisqu'il ne ren- seigne guère sur le lien que chacun des intéressés doit entretenir avec le for pour pouvoir demander

r

enregistrement: s'agit-il de la nationalité, du domicile, de la résidence habituelle ou d'une résidence autrement caractérisée? Tous les législateurs n'ont pas discerné ce point capital, et ils n'y ont ainsi pas toujours apporté de réponse directe, mais une solution se dégage généralement de leurs systèmes. "'

6. Les lois spéciales édictées par les pays nordiques englobent le plus souvent une règle qui trace l'étendue des dispositions matérielles.

(26) V. en ce sens 1. Curry-Sumner, All's weil, cit., p. 384.

(27) Presque toutes les monographies sur le sujet en conviennent: v. G. Kessler, cit., p. 120 s.; A Devers, Le concubinage en droit international privé, Paris, 2004, p. 165 s.

(selon lequel, eu égard aux enregistrements par une autorité consulaire ou diplomatique, il est plus opportun de parler de loi nationale de l'autorité qui a procédé à l'enregistre- ment); C. Gonz<ilez Beilfuss, Parejas de hecho en el derecho internacional privado, Bar- cdona-Madrid 2004, p. 34 s.; L Curry-Sumner, All's weil, cit., p. 425-426. Plus mitigé D. Jacob, Die eingetragene Lebenspartnerschaft im lnternationalen Privatrecht, cit., p. 188.

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LA BILATÉRAUTÉ ÉCLIPSÉE PAR L'AUTORITÉ 465 Nationalité et résidence, diversement combinées, sont utilisées à cet effet. Au Danemark, il s'agit de la résidence habituelle et de la natio- nalité de l'une des parties. Deux rattachements alternatifs sont ainsi consacrés (chacun composé d'un cumul de deux contacts) (28), puis- qu'il suffit que l'un des deux partenaires présente ce rattachement suffisant avec le Danemark, pour qu'il puisse invoquer la loi danoise et, comme « par attraction )>, en faire également bénéficier son par- tenaire. À la suite d'une affaire judiciaire (29), on a ajouté la rési- dence bisannuelle des deux partenaires (30). La Suède et la Norvège ont assigné à leur loi respective un champ d'application plus large encore, puisque la résidence bisannuelle d'un seul des partenaires suf- fit (31). Dans tous ces cas, on peut dire que c'est le forum qui suit le ius, car l'octroi par le for du droit d'obtenir le statut de parte- naires enregistrés au regard de sa loi aux couples présentant avec lui les liens évoqués suppose la possibilité pour eux de saisir les autorités du for, faute de quoi le droit dont il est question ne leur serait en réalité pas accordé (32).

La Finlande a adopté la même solution que le Danemark, mais dans son cas c'est plutôt le ius qui suit le forum: une disposition énonce qu'il est possible de demander l'enregistrement en Finlande si les intéressés y sont rattachés par un des liens évoqués plus haut;

une autre prévoit que les conditions sont régies par la loi finlandaise (33).

C'est ce même aménagement que l'on discerne en substance aux Pays-Bas (34). En Suisse, le recours à ce procédé est plus visible

(28) M. Janreù-Jiireborg, (( Regîstered Partnerships in Private International Law: The Scandînavîan Approach J), in: K. Boele-Woelkî/A. Fuchs, Legal Recognition oJSame-Sex Couple in Europe, Antwerp, 2003, p. 150 s.

(29) Hosterets dom 20 August 1993, Ugeskrift for Retsvoesnet, 1993, p. 849, rapporté par L. Heide-]0rgensen, (( An Expansion of Fundamental Right or an Erosion of T ra- ditional Values? A Review Essay)), Maastricht] Eur. Comp. L., 1996, p. 191-192.

(30) Article 2, alinéa 1 de l'Act on Registered Partnership de 1989.

(31) Article 2, alinéa 3 de l'Act on Registered Partnerships de 1993 pour la Norvège et article 2 du Registered Partnership Act de 1994 pour la Suède.

(32) On ne peut affirmer que le for, s'il accorde un droit à un cercle, spatialement délimité, d'individus, pour l'exercice duquel il les oblige à demander l'intervention d'une autorité, n'a pas pour auta~lt besoin de mettre à leur disposition ses autorités à lui, car

« une règle émanant d'un Etat A, qui, dans son présupppsé, prévoit l'intervention d'une autorité, vise nécessairement une autorité relevant de l'Etat A >> (P. Callé, cit., p. 90 s.;

ct. p. 291).

(33) Il s'agit respectivement de l'article 10 et de l'article 11 de l'Act on Registered Partnership de 2001.

(34) Article 1 (2) du Private International Law (Registered Partnerships) Act de 2004 et article 80a, alinéa 4 du Code civil néerlandais.

Rm crit. DJP, 95 (3) juillet-sept=bre 2006

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466 DOCTRINE ET CHRONIQUES

encore: le législateur a tout d'abord fixé la compétence des autori- tés - le domicile en Suisse ou la nationalité suisse de l'un des deux partenaires suffit pour la fonder; ensuite, il a prescrit aux autorités l'application de la loi suisse (35). Voici, dans tous ces cas, la com- pétence des autorités qui commande la compétence de la loi, car la mise en œuvre de celle-ci exigeant la saisine de celles-là, ce n'est que dans les hypothèses où cette saisine est possible que peut avoir lieu l'application de la règle matérielle.

Il est des pays qui n'ont légiféré qu'en partie, voire pas du tout.

En France, si le législateur du PACS ne s'est pas directement pro- noncé sur la question, la résidence habituelle commune (36), qui est le critère de la compétence territoriale interne, fonde également, semble- t-il, la compétence internationale (37). Un deuxième et un troisième critères ont été prévus: la nationalité française de l'un ou l'autre des intéressés. À défaut de précision quant à la loi applicable, la pra- tique s'est en substance orientée vers l'exigence du respect des con- ditions de fond prévues par la loi française, y compris par les étran- gers (38). Il a été préconisé d'élargir davantage le" droit au PACS » en se contentant de la résidence habituelle en France d'un seul des partenaires (39). Inversement, l'Allemagne n'a posé que le principe de l'application de la loi allemande à l'enregistrement d'un partena- riat en Allemagne (40). Si le ius suit le forum, celui-ci n'a pas été déterminé. Déçue par ce silence, la doctrine incline à exiger l' exis- tence d'un lien entre le couple et l'Allemagne, par le domicile ou la nationalité d'un des partenaires (41).

(35) Il s'agit respectivement de l'article 43, alinéa 1 et de l'article 44, alinéa 1 LDIP en matière de mariage, auquel renvoie l'article 65a: v. B. Dutoit, Droit international privé suisse, 4' éd., Genève [etc.], 2005, p. 221 s.; A. Bucher, Le couple en droit inter-

national privé, Bâle [etc.], 2004, p. 188.

(36) Pour une discussion sur la signification de (( résidence habituelle J> dans ce contexte, voir M. Revillard, <( Le pacte civil de solidarité en droit international privé )}, Defténois, 2000, p. 337 s.; M. Mignot, \( Le partenariat enregistré en droit international privé ''•

R!DC, 2001, p. 601 '·

(37) Article 515-3, alinéa 8 C. civ., issu de la loi n° 99-944 du 15 nov. 1999.

(38) V. M. Revillarq, i< Les unions hors mariage - Regards sur la pratique du droit international privé ''• Etudes offertes à J Rubellin-Devichi, Paris, 2002, p. 578 s.

(39) G. Kessler, cit., p. 124 (spéc. p. 146-148).

(40) Article !7b EGBGB.

(41) V. par exemple D. Henrich, « Abschied vom Staatsang!:hürigkeitsprinzip )), Fest- schrift H. Sto/4 Tübingen, 2001, p. 212; R. Hausmann, i< Uberlegungen zum Kolli- sionsrecht Registrierter Partnerschaften ,, Festschrift D. Henrich, Küln, 2000, p. 255.

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LA BILATÉRALITÉ ÉCLIPSÉE PAR L'AUTORITÉ 467

7. Ces règles - on l'a déjà relevé - s'éloignent considérablement de celles que l'on tient généralement pour applicables dans bien des pays aux conditions du mariage (42), car le Gleichlauf revient pour les autorités saisies d'une demande d'enregistrement d'un partenariat à toujours appliquer leur loi, la loi du for, ce en quoi certains auteurs ont vu une négation de la méthode conflictuelle voire du droit inter- national privé tout entier (43). Comment justifier un tel écart? Il est souvent suggéré que c'est parce que l'institution du partenariat n'est pas encore universellement connue, comme l'est en revanche celle du mariage (44). Ainsi à défaut de " communauté juridique universelle ll, chacun des États qui se sont dotés de la nouvelle insti- tution s'estimerait autorisé à en offrir le bénéfice de façon bien plus généreuse que si son champ d'application était délimité par une règle de conflit classique. Il n'exigerait plus que chacun des intéressés lui soit rattaché par le lien qu'il estime << le plus significatif ll, mais, bien moins rigoureusement, il se contenterait de ce que le couple dans son ensemble s'intègre à lui par un lien « significatif l> quelconque parmi d'autres (45).

Au premier abord, cette justification peut surprendre. Puisque l'ins- tîtution n'est pas généralement acceptée, ne serait-il pas plus judi- cieux, pourrait-on penser, de limiter son domaine d'efficacité inter- national, du fait que - et c'est là un point fondamental sur lequel on reviendra -les États qui l'ignorent risquent de ne pas reconnaître le statut du nouveau type? Or, pour les partenariats enregistrés, il n'en est rien. Aucun des États en question ne paraît s'être alarmé des réactions que son attitude libérale pourrait déclencher dans les ordres juridiques étrangers. Cela est d'autant plus frappant que le souci d'éviter de donner naissance à des partenariats boiteux a été parfois évoqué lors des travaux législatifs ( 46), ce qui oblige à tenir

(42) 1. Curry-Sumner, All's weil, cit., p. 145

(43) R. De Nova, <( La IX. Conferenza dell' Aja >>, Dir. int., 1969, p. 305 s., p. 311 cité par P. Picone, (( Applicazione generalizzata >l, cit., p. 375; sur ce que la <( sépara- tion >> entre compétence des autorités et compétence législative forme (( le fondement même de la conception actuelle du droit international privé >>, H. Batiffol!P. Lagarde, Droit internationaL privé, t. II, 7" éd., Paris, 1983, n. 668.

(44) V. par exemple R. Wagner, <( Das neue Imernarion'ale Privat- und Verfahrens- recht zur eingetragenen Lebenspartnerschaft )), IP!Wx, 2001, p. 289; A. Devers, Le concu- binage, cit., p. 191.

(45) Cf. G. Khairallah, « Les partenariats organisés en droit international privé >>, cette Revue, 2000, p. 324.

(46) Pour la Belgique, v. Sénat, session 2003-2004, doc. no 3-27/7, 24 avril 2004, RApport fait au nom de la Commission de la justice par Mme Nyssen et M. Willems, spéc.

l'intervention de Mme Cl. Nyssen, p. lOO et l'objection de Mme L. Onkelinx, p. 301.

Rev. crit. DIP, 95 (3) juillet-septembre 2006

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468 DOCTIUNE ET CHRONIQUES

pour délibéré le refus de le prendre en compte qui a prévalu par- tout.

8. En réalité, plus simplement, un défaut si flagrant de commu- nauté universelle rendait immédiatement évident que la règle de conflit classique, si elle avait été appliquée sans faiblesse, aurait conduit le for à refuser l'enregistrement à plusieurs catégories de couples, dont les législateurs et les juges ont pensé qu'en dépit de l'ignorance de l'institution au sein de l'ordre juridique estimé le plus proche par leur règle de conflit en matière de mariage, ils étaient néanmoins trop étroitement rattachés, dans leur ensemble, à leur milieu social pour être privés des bienfaits de leur loi. Bref, la règle de conflit classique s'est révélée injuste aux yeux de ces législateurs. Faut-il alors présager qu'à mesure que s'accroîtra le nombre des _États qui admet- tent cette institution, le domaine d'application attribué à celle-ci se rétrécira progressivement, processus entraînant alors un retour à une règle de conflit classique, dont le rattachement sera vraisemblablement le même que pour le mariage? Il convient plutôt de se demander si ce n'est pas l'inverse qui se produira: la solution actuellement consa- crée en la matière pourrait fort bien non seulement résister au temps, mais développer en outre une force d'entraînement à l'égard de celle que l'on tient généralement pour ayant cours en matière de ma- riage (47). On est alors conduit à dresser un état des lieux du droit en ce domaine.

C. -

Célébration du mariage

9. Il est généralement admis que les conditions de fond du mariage relèvent du statut personnel. Ces conditions sont dès lors en prin- cipe celles de la loi nationale, dans certains pays, ou de la loi du domicile, dans d'autres pays, appliquées distributivement. La consé- quence est implacable: lorsque la loi nationale, que l'on prendra comme exemple, estime que la personne qui y ressortit peut se marier- même lorsqu'elle ne le pourrait pas d'après la loi du for, qui est sou- vent la loi nationale de l'autre époux ou celle du domicile ou de la résidence habituelle d'au moins l'un d'entre eux-, les autorités du for se doivent de célébrer le mariage; et lorsque la loi nationale d'un des époux lui interdit le mariage, les autorités du for doivent en refu-

(47) En ce sens également G. Kessler, cit., p. 149.

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lJ\ BllJ\Tlc~RAllTÉ f':CLIPSÉE PAR L'AUTORITÉ 469 ser la célébration, sans qu'il importe que la loi du for lui permette de se marier ou que cette loi, désignée comme applicable à l'autre époux, considère celui-ci comme parfaitement capable. Or il semble que ce schéma ne rende que très imparfaitement compte du droit positif (48).

1 O. Le législateur suédois a récemment posé que lorsque la célé- bration est demandée en Suède, la loi suédoise est applicable à tout couple de personnes dont l'une a la nationalité suédoise ou réside habituellement en Suède (49). Il est sans doute permis dans ces cas de tenir la compétence des autorités suédoises pour certaine. Le ius entraîne donc le forum. En Finlande et aux Pays-Bas, le champ d' ap- plication des règles du for est en substance le même et tel est pra- tiquement le cas également au Danemark et en Norvège (50). En Suisse, le résultat est fort semblable, bien que ce soit plut6t le forum qui attire le ius: on détermine d'abord quels sont les couples qui peuvent demander en Suisse la célébration de leur mariage - il s'agit là encore des couples de personnes dont l'une est ressortissante suisse ou domiciliée en Suisse (51); et l'on précise ensuite que les condi- tions sont régies par le droit suisse (52). En Espagne, s'il y a contra-

(48) Pour le constat que l'application de la lex loci celebrationis a« sérieusement gagné en attractivité ,, v. A. Bucher, ii La famille en droit international privé )), Rec. cours, 2000, t. 283, p. 64; f. Boulanger, Droit international de !a famille, t. 1, Aspects internes et internationaux, 3. éd., Paris, 1997, n. 169 s. De ce constat on rapprochera la pré- sentation du droit positif sous un jour nouveau, appuyée sur des arguments de théorie et de jurisprudence, qu'a esquissée D. Baden, L'ordre public, cit., note 1429.

(49) M. )antera-Jareborg, «Foreign Law in National Courts,,, Rec. cours, 2003, t. 304, p. 212.

(50) V. pour la Finlande, v. les articles 108 ct 115 du Marriage Code, réformés en 2002, cités par M. Janteù-Jareborg, i< Combatting child marriages and forced marriages- the prospects of the Hague Marriage Convention in the Scandinavian "multicultural"

socîeties ,, Essays P. E Njgh, The Hague, 2004, p. 170; pour le Danemark et la Nor- vège, v. ibidem, p. 171; pour les Pays-Bas, voir l'article 2 (litt. a) de la loi sur le droit international privé en matière de mariage du 7 septembre 1989.

(51) Article 43, alinéa 1 LDIP.

(52) Article 44, alinéa 1 LDIP. Une exception est, il est vrai, prévue pour le mariage entre deux ressortissants étrangers (article 44, alinéa 2 LDIP); si ceux-ci peuvent égale- ment se prévaloir des règles suisses permissives, le législateur accepte de renoncer à ses règles prohibitives au profit de la loi nationale d'un d'entre eux lorsque celle-ci est per- missive, mais cela n'est vrai que pour celles des règles suisses qui ne sont pas d'ordre public, à savoir, semble-t-il, aucune hormis peut-être la règle qui prescrit la majorité.

En effet, les « conditions du mariage », prévues aux articles 94, 95 et 96 du Code civil suisse sont, selon la doctrine suisse, toutes d'application impérative (v. P. Volken, Zürcher Kommentar, cit., p. 512; Dutoit, D.i.p. suisse, p. 151); pour A. Bucher, Le couple en droit international privé, cit., p. 46, $eull'âge de 18 ans ne le serait pas.

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470 DOCTRINE ET CHRONIQUES

verse en doctrine (53), une étude récente a montré que la tendance des autorités à appliquer la loi espagnole aux mariages à célébrer en Espagne est « davantage endémique qu'exceptionnelle >> (54); c'est la nationalité espagnole ou le domicile en Espagne de l'un des inté- ressés qui fixe la compétence des autorités (55). Tel semble être en substance le champ d'efficacité de la loi espagnole sur le mariage entre personnes de même sexe tel qu'il découle d'une circulaire admi- nistrative (56), approuvée, en tout cas dans ses résultats, par la doc- trine espagnole (57).

Venons-en à la France. La loi nationale, appliquée distribu- tivement, devrait l'emporter en principe (58). Deux facteurs don- nent à la pratique une autre orientation. Le premier tient à ce que les lois étrangères permissives sont le plus souvent écartées lorsque la loi française, envisagée notamment dans ses dispositions en matière de dispense, l'interdit (59). Le deuxième consiste en ce que, d'après

(53) Certains auteurs optent pour l'application généralisée de la loi du for- de la lex fori inforo proprio- d'autres pour l'application distributive de la loi nationale: v. pour une discussion, ]. Fernandez Rozas/S. Sânchez Lorenzo, Derecho internacional privado, 3< éd., Madrid, 2004, p. 435; ]. Gonzalez Campos (et al.), Derecho internacional pri- vado, Parte especial, 6 ed., Madrid, 1995, p. 296; A Calvo Caravaca!J. Carrascosa Gonza- lez, cit., p. 73; P. Ore judo Prieto de Los Mozos, La celebraciôn, cit., p. 57 s.

(54) P. Orejudo Prieto de Los Mozos, La celebraciôn, cit., p. 64-65.

(55) Jd,m. p. 53.

(56) Arrêté-circulaire de la Direction générale des registres et du notariat du 29 juillet 2005 sur les mariages civils entre personnes du même sexe, signée par Mme le prof.

P. Blanco-Morales Limones, B.O.E., n. 188 du 8 août 2005, n. 27817 s., spéc. 27820- 27821 (v. cette Revue, 2005, p. 855 s.). La circulaire prend soin d'insister sur la limite que fixent à l'offre internationale de la loi espagnole les conditions de compétence des autorités, fondée notamment sur le domicile ou la nationalité d'un seul des époux

(v. point VIII). "

(57) V. A. Quiiiones Escâmez, commentaire de la circulaire mentionnée à la note précédente, cette Revue, 2005, p. 855 s.; S. S:lnchez Lorenzo, note sous Direction géné- rale des registres ct du notariat, décision du 24 janv. 2005, cette Revue, 2005, p. 614 s., spéc. p. 621 s. et p. 627. Camp. article 46, alinéa 2 du Code civil belge, sur lequel v. G.P. Romano/S. Geeroms, ii La loi bdge du 23 février 2003 et le droit internatio- nal privé ))'Aspects de droit international privé des partenariats enregistrés en Europe, Zürich 2004, p. 105, spéc. p. 134.

(58) B. Ancd!Y. Lequette, Grands an'êts de la jurisprudence .française du droit inter- national privé, 3" éd., Paris, 2001, p. 3 s.; P. Mayer/V. Heuzé, Droit international privé, 7" éd., Paris, 2004, p. 365; B. Audit, Droit international privé, 4< éd., Paris, 2006, p. 515; Y. Loussouarn/P. Bourel/P. de Vareilles Sommières, Droit international privé, 8" éd., Paris, 2004, p. 360; D. Holleaux/]. Foyer/G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, Paris, 1987, p. 516; Th. Vignal, Droit international privé, Paris, 2005, p. 144.

(59) V. H. Bariffol/P. Lagarde, cir., t. II, n. 415, p. 40; cf. Y. Loussouarn/P. Bou- rel/P. de Vareilles Sommières, cit., p. 365.

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lA BIIATÉRALITÉ ÉCLIPSÉE PAR L'AUTORITÉ 471

l'Instruction générale relative à l'état civil (IGEC) (60), la loi natio- nale étrangère prohibitive doit être écartée au profit de la loi fran- çaise permissive si l'époux étranger le souhaite (61). Voilà pourquoi il a été observé que l'application de la loi française du lieu de célé- bration est loin d'être absente du droit français (62), solution dont il a été dit il y a cinquante ans qu'elle était une « solution d'ave- nir » (63). Il est vrai qu'il est loisible aux juges d'annuler le mariage que l'IGEC impose pourtant aux officiers de l'état civil de célébrer dans ces cas, mais aucune décision n'est citée, qui aurait annulé un mariage valablement célébré en France sur le fondement de la loi française du fait que le droit prohibitif étranger aurait été méconnu (64).

Quant à la compétence des autorités, qui devient en conséquence décisive, il est certain que suffit la nationalité française ou le domi- cile en France d'un des époux.

Le droit italien est lui aussi fidèle, en apparence, à la règle clas- sique (65). Mais lorsque le mariage est célébré en Italie, le législa- teur exige de l'époux étranger l'observation de la très large majorité des conditions fixées par sa loi ( 66). La jurisprudence, pour sa part, lui a imposé également le respect de l'une des peu nombreuses règles

(60) Instruction générale relative à l'état civil du 11 mai 1999,]0, no 172 du 28 juillet 1999, pp. 50001 à 50236, no 546, alinéas 5 et 6.

(61) V. B. Audit, D.i.p., cit., p. 518 et Y. Loussouarn/P. Bourel!P. de Vareilles Som- mières, cit., p. 362, note 4; v. déjà H. Batiffol, ((L'instruction générale sur l'état civil du 21 septembre 1955 et le droit international privé>>, Trav. corn. fr. dr. int. pr., 1955- 1957, p. 41 s., spéc. p. 46 s.

(62)]. Mestre,}urisclasseur Droit International, fasc. 546-A, 1992, no 59; cf. H. Batif- fol, (( Une évolution possible de la conception du stanu personnel dans l'Europe conti- nentale», Mélanges H E. Yntema, Leyden, 1961, p. 299, qui remarque que ((cerre solu- tion [ ... ] rapproche si remarquablement le résuhat de celui qui est admis en principe aux États-Ums ».

(63) G. Holleaux, intervention in Trav. com. fr. dr. int. pr., 1955-1957, p. 58.

(64) Selon J. Fusil, intervention in Trav. com. fr. dr. int. pr., 1955-1957, p. 65, il s'agit d'« un mariage qui sera vraisemblablement considéré comme valable en France ».

(65) Article 27 de la « loi de réforme J) du système de droit international privé ita- lien du 31 mai 1995.

(66) L'article 116, alinéa 2, du Code civil italien soumet l'étranger à l'application des articles 85, 86, 87, n. 1, 2 et 4, 88 et 89 du Code civil italien. La doctrine dit de ces règles qu'elles sont ((d'application néce&~aire )): v. A Bonomi, Le norme imperative nef diritto internazionalc privato, Zürich, 1998, p. 103. En ce qui concerne les conditions de fond, seul l'article 84 et l'article 87, n. 3, 5, 6, 7, 8, 9 ne sont pas mentionnés. Au sujet de l'article 84, v. infra, note suivante; pour ce qui est des empêchements de l'ar- ticle 87, n. 3 et 5, c'est la loi italienne elle-même (v. l'article 87, alinéa 3) qui prévoit la possibilité de dispense, c'est-à-dire qu'elle permet en définitive l'union dans ces cas.

Pour les n. 6 à 9 en matière d'empêchements découlant du lien d'adoption, il est pos- sible qu'un officier de l'état civil refuse de célébrer le mariage en s'appuyant sur les tré- fonds de la conception italienne du lien de filiation adoptive.

Rev. crit. DTP. 95 (3) juîllet-septembrc 2006

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472 DOCTRlNE ET CHRONIQUES

dont il semblait être exonéré (67). Létranger est alors soumis cumula- tivement au droit étranger et à la quasi-totalité des règles italiennes.

Deux récentes affaires permettront peut-être de franchir un pas sup- plémentaire (68). Si elle n'est pas allée jusqu'à déclarer inconstitu- tionnelle la règle classique, la Cour constitutionnelle a néanmoins encouragé en substance les officiers de l'état civil à appliquer la seule loi italienne, lorsque celle-ci permet le mariage et que la loi natio- nale étrangère le prohibe, et ce notamment lorsque, comme c'était le cas dans les deux espèces qui en ont provoqué l'intervention, la loi italienne est celle de la nationalité de l'autre époux ou du domi- cile des deux époux, ou peut-être de l'un d'entre eux seulement (69).

Ces multiples critères sont explicitement prévus par le législateur al- lemand: celui-ci précise en effet que lorsque la loi nationale de l'époux étranger est prohibitive, le mariage peut néanmoins être célébré sur le fondement de la loi allemande permissive dès lors que l'un des époux a la nationalité allemande ou qu'il est domicilié en Alle- magne (70).

En Angleterre, le droit au mariage de chacun des époux devrait être classiquement régi par la loi de son domicile (71). Mais, tout d'abord, il semble qu'aucun mariage ne puisse être célébré en Angle-

(67) Il s'agit de la condition de la majorité, y compris des dispositions sur la possi- bilité d'en être dispensé: v. Trib. minorenni Balogna, 24 juillet 1989, RDIPP, 1991, p. 114 et Trib. minorenni Balogna, 9 février 1990, RDIPP, 1992, p. 997.

(68) RDIPP, 2003, p. 937 et s., note de S. D'Arienzo, p. 925 s.

(69) La Cour constitutionnelle a certes laissé entendre que l'ordre public est un méca- nisme suffisant pour parvenir à la célébration du mariage en Italie (selon la loi italienne) (v. RD !PP, 2003, p. 939 s.); mais il ne semble pas exagéré d'avancer que n'importe quel empêchement posé par la loi nationale étrangère qui n'en est pas un au regard de la loi italienne, laquelle laisse donc la personne en question libre de côhtracter mariage, limite par là même la « liberté de contracter mariage )) découlant des articles 2 et 3 de la Constitution italienne: v. G. P. Romano, (( Is Traditional Multilateral Rule Relating to Capacity to Marry in Line with the Constitution? )J, Yearbook of Private Internatio- nal Law, 2005, p. 205-237, spéc. 225 s.

(70) Article 13, alinéa 2 du EGBGB: v. G. Kegel/K. Schurig, Internationales Priva- trecht, 9. Aufl., München, 2004, p. 802 s.; M. Coester, Münchéner Kommentar zum BGB, Band 10, !PR, München, 1998, p. 660 s. Certes, la règle exige en outre que l'em- pêchement soit i< inconciliable )) avec la liberté du mariage. Mais il est permis de se demander s'il existe des empêchements inconnus de la loi allemande qui soient conci- liables avec la liberté du mariage que celle-ci consacre et, le cas échéant, s'il est judi- cieux qu'ils conduisent à nier le droit au mariage que la loi allemande reconnaît et tel que celle-ci 1' aménage.

(71) Brook v. Brook (1861) 9 HLC 193; v. aussi Sottomayor v. De Barros (No 2) (1879) 5 PD. Voir A. V. Dicey/J. H. C. Morris, Conflict of Laws, vol. II, 13th cd., London, 2000, p. 671; G. C. Cheshire/P. North, Private International Law, 13rh ed., London, 1999, p. 721; A. Briggs, Conjlict of laws, Oxford, 2002, p. 226.

Rev. crit. DIP, 95 (3) juillet-septembre 2006

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