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Oncologie : Article pp.246-252 du Vol.6 n°4 (2012)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE

L ’ espace enfants/adolescents, un lieu d ’ accueil pour les enfants et les adolescents dont un parent est atteint d ’ un cancer

Children

s/Teenagers

corner: for children and teenagers with a parent affected by cancer

S. Buyse · L. Al-Salehi · J.-L.Van Laethem · A. Kentos · S. Luce · Z. Mekinda · G. Ena · T. Roumeguère · A. Demols · Y. Sokolow · P. Simon · B. Bailly · M. Marchand · B. Gaspard

Reçu le 15 juillet 2012 ; accepté le 8 octobre 2012

© Springer-Verlag France 2012

RésuméL’espace enfants/adolescents est un lieu d’accueil à l’hôpital, mis en place en collaboration avec les équipes soignant les patients adultes atteints d’un cancer, pour leurs enfants, adolescents, familles et proches venant leur rendre visite. Ce lieu adapté aux enfants maintient le lien familial. Deux psychologues l’animent et favorisent l’expression des émotions via des médias projectifs : des- sin, matériel de bricolage, trousse de docteur, « Playmobil », jeux de société… L’accès est libre tous les mercredis après-midi.

Mots clésEnfants · Cancer · Créativité · Expression · Liens familiaux

Abstract The Children’s/Teenager’s corner is a meeting point at the hospital set up in partnership with the medical oncology teams. It is designed for children, teenagers and their respective families who come to visit a parent or a close one hospitalized for a serious illness. This location, created and suitable for children, helps to maintain the family link and communication. The activities are led by two professio- nal psychologists who encourage personal and emotional expression through the use of tools such as games, drawing, or sharing. Entrance is free and it is open on wednesdays afternoons.

KeywordsChildren · Cancer · Creativity · Expression · Family links

Introduction

L’ASBL « Cancer et psychologie » existe depuis 29 ans.

L’objectif principal est d’accompagner le patient et sa famille tout au long de la maladie mais également après un décès.

Fondé en 1977, l’hôpital Érasme est l’hôpital académique de l’université Libre de Bruxelles. Il s’agit d’un hôpital géné- ral, non confessionnel, comportant 864 lits, dont une centaine est destinée aux soins médicochirurgicaux oncologiques.

Chaque mercredi après-midi, l’« espace enfants/adoles- cents » (EE) de l’hôpital Érasme ouvre ses portes aux enfants qui viennent rendre visite à leur parent atteint d’un cancer.

Ce lieu d’accueil permet les allées et venues entre la chambre du parent malade et l’EE, où se trouvent deux psychologues, psychothérapeutes de l’ASBL Cancer et psychologie. Les enfants peuvent extérioriser leurs émotions et s’exprimer par le biais des jouets, du matériel créatif, des bricolages qu’ils peuvent offrir au parent.

Objectifs et fondements théoriques du projet

« espace enfants/adolescents »

L’objectif visé par l’ASBL « Cancer et psychologie » en collaboration avec le Programme de soins d’oncologie de l’hôpital Érasme est d’offrir aux patients adultes ayant des enfants une prise en charge plus globale en reconnaissant leur statut de parent et en proposant à leurs enfants une écoute et un soutien adaptés à leurs besoins, tout au long de la maladie ou durant la fin de vie d’un parent. Ce projet a pu se développer grâce au soutien du Plan national cancer 2009–2011 (Action 22, projet 005).

Les psychanalystes Sigmund Freud et Melanie Klein ont évoqué les difficultés que l’enfant peut ressentir face à la maladie grave d’un parent. L’enfant peut, dans la toute- puissance de sa pensée magique, se croire à l’origine de la maladie de son parent et se sentir responsable de l’évolution

S. Buyse (*) · L. Al-Salehi (*) · B. Gaspard

ASBL « Cancer et psychologie », 215 avenue de Tervuren, BP 14, B-1150 Bruxelles, Belgique

e-mail : sobuyse@gmail.com, al-salehileyla@hotmail.com J.-L.Van Laethem · A. Kentos · S. Luce · Z. Mekinda · G. Ena · T. Roumeguère · A. Demols · P. Simon · B. Bailly · M. Marchand Université libre de Bruxelles (ULB), C.U.B. Hôpital Erasme, 808 Route de Lennik, B-1070 Bruxelles, Belgique

DOI 10.1007/s11839-012-0389-8

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ou de la dégradation de cette situation. Les fantasmesœdi- piens surviennent entre trois et cinq ans, période pendant laquelle l’enfant désire son parent pour lui tout seul et espère secrètement se débarrasser de l’autre parent. Si le cancer frappe son « rival », l’enfant est confronté à un conflit inté- rieur fait de culpabilité, de crainte de représailles, d’ambiva- lence d’avoir obtenu satisfaction et d’angoisse que le cercle familial se brise. Pour M. Klein, il s’agirait «d’introjection des parents endommagés ou détruits par l’agressivité de l’enfant» [5]. Elle attribue également la dépression infantile à «la culpabilité de l’enfant et à son sentiment de responsa- bilité vis-à-vis des déficiences des parents» [6].

Freud, dans le manuscrit « Naissance de la pychanalyse », en 1897, parle des impulsions hostiles à l’endroit des parents (désir de mort) ; « dans le deuil, les sentiments de remords se manifestent, alors on se reproche leur mort ou bien l’on se punit soi-même sur le mode hystérique en étant malade comme eux (idée de rachat). L’identification n’est alors, comme on le voit, qu’un mode de pensée, elle ne nous délie pas de l’obligation de chercher les motifs » [1]. Dans ce pas- sage, on trouve un lien avec la culpabilitéœdipienne : « Il semble que chez les fils, les désirs de mort soient dirigés contre le père, et chez les filles contre la mère…» [1] (p. 91-97).

Ce sont ces réflexions qui nous ont donné envie de créer un espace où pourraient être déposés les angoisses, les émo- tions, les questionnements pour qu’ils ne se figent pas dans le processus d’évolution de l’enfant et de sa famille.

Intervention auprès des soignants et des familles

Pendant longtemps, les soignants et les familles ont présenté une forte réticence à amener l’enfant dans la chambre d’un patient cancéreux pendant ses traitements : côté soignants, l’enfant risquant d’être affecté par la vue des perfusions et pouvant être porteur de germes et/ou source de bruit dans le service n’était pas toujours le bienvenu ; côté familles, le désir de mettre l’enfant à l’abri de leur détresse et de le pro- téger en ne l’amenant pas dans les services de chimiothé- rapie ou dans les unités de chambres stériles. Il s’agissait donc, avant toute chose, d’informer et de sensibiliser le per- sonnel hospitalier, ainsi que les patients et leurs proches, de l’intérêt et de la nécessité de maintenir le lien et les échanges émotionnels entre l’enfant et son parent malade. La présence de psychologues de l’ASBL « Cancer et psychologie »aux EE, dans le cadre de ce projet spécifique, a accompli un travail de sensibilisation qui a permis de rassurer tant les familles que le personnel soignant en intégrant à la fois la proximité et la distance avec la chambre du patient. Cette dynamique « entrer–sortir » est semblable à une respiration et permet des échanges entre le dessin ou le bricolage confectionné à l’EE et sa mise en place au chevet du patient,

apposé au mur de la chambre. Ces petites créations laissent une trace du passage de l’enfant. Elles symbolisent le lien et l’attachement qui se maintiennent, malgré la séparation et la maladie.

Les mercredis matins, nous rencontrons les parents et grands-parents, afin de prendre connaissance du contexte familial des enfants, ce qui représente par an une centaine de suivis individuels ou familiaux. Nous donnons également aux familles un feed-back de l’évolution de l’enfant aux ate- liers du mercredi après-midi, tout en respectant la confiden- tialité des entretiens avec ce dernier. Cette intervention per- met également au malade de redevenir parent et pas seulement objet de sa maladie. Il peut alors nous livrer ses inquiétudes par rapport à l’évolution de sa maladie et son impact sur sa famille : le réaménagement du quotidien, le regard changeant des enfants, les peurs, les émotions véhiculées…

Nous travaillons en étroite collaboration avec le service de psychologie de l’hôpital Érasme afin d’assurer une conti- nuité dans la prise en charge globale du patient. Les psycho- logues d’Érasme assurent, en effet, le soutien psychothéra- peutique des patients et des proches adultes.

Les ateliers du mercredi après-midi sont destinés principalement aux enfants

et aux adolescents, mais aussi à toute la famille

Ressources d’un groupe

Les enfants viennent à l’EE, car ils recherchent le contact avec d’autres enfants confrontés à la maladie d’un proche.

Le groupe solidarise les enfants, et ceux-ci se sentent moins seuls dans leur détresse. Au fil des semaines, parfois le parent retrouve des forces, parfois il est faible ou sa santé décline. L’EE apporte une aide concrète qui accompagne l’enfant durant cette épreuve où se mêlent espoir, peurs, tris- tesse et intimité qu’il exprimera tour à tour, tant dans ses jeux que dans ses paroles. Notre présence hebdomadaire permet une continuité dans le suivi des enfants. Elle leur assure un lieu où déposer leur trop-plein émotionnel, mais aussi un lieu de vie et de joie où ils rencontrent d’autres enfants qui vivent la même situation.

Une jeune fille de 14 ans, Myriam, nous dit que son papa ne restera qu’un seul jour à l’hôpital. À cela, Sébastien, six ans, s’empresse de répondre : «Sa maladie ne doit pas être trop grave, ma tante est hospitalisée depuis plusieurs mois».

Tout au long de l’après-midi, Myriam devient, pour ce petit garçon, un appui, une amie qui peut le soutenir. Elle est devenue son alliée pour les jeux de société, un modèle pen- dant les bricolages. Même si la maladie est « moins grave », ils ont pu échanger leur vécu.

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Richesse du matériel

Bien que l’EE ne soit pas un lieu de psychothérapie, nous utilisons un matériel et des outils qui ne sont pas neutres dans l’approche psychologique du vécu de l’enfant. Dans les jouets, nous avons une trousse de médecin, des poupées faisant office de malade, le corps humain et ses organes et un hôpital Playmobil afin de représenter, de mettre en scène les personnages qui vont jouer la maladie, les médecins et aussi les morts. Ces représentations ludiques permettent d’expri- mer ce que l’enfant ne peut pas nommer, ce qui l’effraye, ce qu’il n’arrive pas à bien comprendre. La répétition de ces séquences de jeux apprivoise peu à peu les peurs de la mala- die et de la mort. Elle déplace et évacue un trop-plein de souffrance sur un matériel symbolisant ce qui se passe dans l’hôpital et qui peut recevoir l’agressivité, la colère et les coups de couteau de l’enfant.

Deux fratries cousines jouent au docteur et soignent une des animatrices mise en position du malade. L’heure est grave, elle a reçu un coup de couteau dans le ventre. Tout est mis enœuvre pour qu’elle s’en sorte : des médicaments, des piqûres et des opérations. Malgré leurs efforts, elle n’est pas guérie. Que rejouent les enfants ? Leur grand-père a une leucémie. Il est actuellement sous chimiothérapie et souffre d’arrêts cardiaques. Après deux passages au service des soins intensifs, le papy est entre la vie et la mort. Par le jeu, les enfants tentent de comprendre et d’être moins impuissants face à la maladie.

Psychologues

La place occupée par les deux psychothérapeutes dans l’EE suscitera toujours de nouvelles interrogations chez l’enfant.

Qui sont-elles, est-ce comme à l’école ou dans une garderie ? Puis, très vite, les enfants testent le lieu, et les participants découvrent peu à peu un espace pour eux, différent de ce qu’ils connaissent déjà. Dans les échanges relationnels avec les enfants, la solidarité et la résistance—tant comme conte- nant psychique que physique —, les thérapeutes seront mises à l’épreuve. À l’image des deux parents dont l’un est souffrant, il n’est pas rare d’observer une répartition des dynamiques familiales, père, mère ou fratrie, avec les anima- trices ou avec d’autres enfants présents. Nous remarquons un investissement différent, actif/passif, maternant ou pater- nant, en fonction des participants, de leur âge et du rôle qu’ils s’attribuent dans la famille.

Souvent, nous entendons des parents dire « Mon enfant est trop petit, il ne comprend pas ce qui arrive. D’ailleurs, il ne pose pas de questions ». Pourtant, assez rapidement, les enfants nous expliquent ou nous montrent, lorsque la parole fait défaut, qu’ils sentent ce qui se passe. Nous, psycholo- gues et étrangères à la famille, pouvons entendre leur souf- france et répondre à leurs questions sans être éprises par nos

émotions. Les enfants ressentent rapidement qu’ils ne doi- vent pas nous protéger. Alors, ils peuvent se confier.

Vécu de l’enfant

L’observation des enfants durant l’après-midi nous apporte un matériel clinique très précieux. Au-delà du soutien indi- viduel apporté à chacun, elle suscite notre réflexion et ouvre des pistes de recherche visant à améliorer la prise en charge des enfants confrontés à une telle situation. En voici quel- ques exemples.

Julien, six ans, dessine des personnages en danger qui sont poursuivis par des méchants. Il nous dit que pour se sauver « ils doivent encore grandir ». À côté de lui, Anna, sept ans, joue au docteur. Elle soigne une poupée et nous pose beaucoup de questions sur la maladie. Puis, elle s’ex- clame « le matériel ne fonctionne plus ! » comme si quelque chose dans son jeu révélait l’inquiétude qu’un traitement ne fonctionne pas bien.

Thomas, cinq ans, caché sous la table et très en colère, s’empare des dinosaures avec des crocs et des griffes et joue aux attaques des méchantes bêtes entre elles. Il extériorise un peu de sa rage d’avoir un papa immobilisé dans son lit et condamné par le cancer. Lorsque nous l’accompagnons jus- qu’à la chambre de son père avec les bricolages qu’il a réa- lisé, il s’énerve et ne tient pas en place dans la chambre. Son père élève la voix et lui dit d’aller se calmer dans la salle de bain et de n’en sortir qu’une fois qu’il sera content. Le petit garçon proteste et s’exclame « je ne suis jamais content ! ».

Le papa étant tombé malade peu après la naissance de son fils, nous pouvons comprendre sa difficulté à être pleinement content…

Marc, neuf ans, exprime également toute l’agressivité envers la maladie de sa maman. Il veut peindre sa souris en rouge. Elle est en colère, nous dit-il. Après réflexion, il peint une moitié en rouge et l’autre moitié en mauve. Il explique qu’elle n’est qu’à moitié en colère, l’autre moitié est gentille.

Cette mère « suffisamment bonne » nommée par Winnicott [11] devient également celle qui pourrait abandonner son fils. Marc confronté à cette ambivalence préfère la peindre et puis s’en détacher en l’offrant à sa sœur.

Les interactions et le dialogue avec les deux psychothéra- peutes apportent à l’enfant une reconnaissance et une écoute attentive de tout ce qu’il vit, afin notamment de l’aider à ne pas être trop absorbé par la problématique de son parent malade. Il n’est pas rare, en effet, que l’enfant s’identifie au parent et ressente dans son propre corps la douleur d’un traitement ou les dévastations du cancer : nous avons pu observer certains enfants souffrant des mêmes symptômes, tels que la nausée, des maux de tête ou des douleurs au ven- tre. Le processus d’imitation étant primordial dans l’éduca- tion et le développement d’un enfant, il ne faut pas perdre de vue que celui-ci puisse reproduire inconsciemment ce qu’il

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voit, et l’on peut se demander s’il n’y a pas là une tentative de prendre sur lui la douleur afin de sauvegarder son parent ou une forme d’expérience physique éprouvée dans son corps pour essayer de comprendre ce qui se passe dans le corps du parent souffrant.

A côté d’une décharge émotionnelle, où il sera utile pour lui d’exprimer sa rage en détruisant la tour qu’il vient de construire ou en déchirant un dessin car dans son cœur tout s’effondre, il existe également une richesse inépuisable d’es- poir, de ressources, de créativité où s’élaborent sa pensée, son énergie de vie, sa capacité à réparer et à produire de beaux objets à offrir. Les enfants savent qu’ils peuvent dépo- ser à l’EE leurs éléments destructeurs sans que cela ne nous menace et sans risque d’attaquer leur parent pour au contraire emporter avec eux dans la chambre leurs plus bel- les et généreuses créations. Ainsi, ils dissocient les parts abî- mées de leur être, ces zones fragiles et dangereuses, car plei- nes de tristesse et de colère, de celles qui survivent aux événements bouleversants, leurs noyaux de résilience, le fond d’amour reçu depuis la naissance et qui ne disparaît ni pendant la maladie ni après un décès.

Durant l’après-midi, un même enfant peut traverser des périodes de grosse agitation motrice et/ou verbale pour s’apaiser ensuite, trouver le calme dans une activité qui l’aide à se rassembler, réunifier ses parties divisées et contra- dictoires comme par exemple en collant des petites pièces sur un bricolage ou en assemblant des perles sur un fil pour qu’elles deviennent un collier pour maman.

Les états explosifs du monde intérieur de l’enfant qui est pris dans la tourmente de l’hôpital, la maison, l’école et les différentes personnes qui se relayent pour apporter un sou- tien familial, se retrouvent également dans la difficulté qu’auront certains enfants à poursuivre une tâche commen- cée. Il n’est pas rare qu’ils n’arrivent pas à terminer ni signer uneœuvre, car précisément pour eux la vie s’est interrompue avec la maladie. Les repères sont bouleversés, et la famille leur demande aussi de contenir leur agitation et leurs « capri- ces » pour ne pas ajouter de nouveaux stress à la maison.

Ces enfants qui doivent être « sages » et obéissants pen- dant la maladie pour préserver l’équilibre familial ont le droit de se lâcher aux EE. Ils peuvent s’autoriser des jeux d’at- taque et de violence avec les animaux féroces en plastique ou les marionnettes. Ils peuvent régresser et jouer au bébé, à

« pipi, caca » avec l’eau, la terre, la pâte à modeler et la peinture qui coule hors de la feuille, car cela peut avoir du sens pour eux en ce moment précis d’évacuer un trop plein émotionnel. Cependant, nous maintenons la limite entre le jeu qui représente et le jeu qui nourrit la violence au lieu de l’évacuer.

La grande sœur ou le frère aîné se vivent fréquemment comme la figure soutenante et protectrice, parentifiée face aux plus jeunes. Ceux-ci peuvent alors bénéficier d’une écoute personnalisée qui tiendra compte de leur propre

détresse, de leur droit d’être entendus comme enfant, y com- pris dans leur vulnérabilité. N’oublions pas qu’un enfant

« adultifié » risque d’occuper à la maison la place du parent malade et fantasmatiquement devenir « époux ou épouse » de l’autre parent, position culpabilisante et menaçante, car elle renverse les rôles dans la famille. Il arrive aussi que les enfants plus petits régressent durant la maladie d’un parent.

Ils semblent vouloir remonter le temps d’avant le surgisse- ment de la maladie, ne veulent plus s’habiller seuls, fusion- nent avec la maman, ils ont des cauchemars et refont pipi au lit. Par cette régression, l’enfant permet au malade de repren- dre également sa fonction parentale. Malgré la maladie, il est toujours son papa ou sa maman.

Les adolescents ont leur propre manière d’appréhender le cancer. Ils peuvent s’informer sur Internet, ils essayent peut- être de garder le contrôle sur quelque chose qui les dépasse.

Ainsi, la maman de Jeanne, 14 ans, nous raconte que sa fille a été voir ce que l’on dit de son cancer sur Internet et puis lui a dit : « Maman, c’est une grave maladie, tu peux en mou- rir ». Cette jeune fille a ses deux parents malades, et depuis la leucémie de sa mère, elle croit qu’elle va aussi tomber malade, alors elle développe une phobie contre les microbes et désinfecte avec des lingettes tout ce qu’elle touche (plan- che des toilettes à l’école, etc.).

L’idée du « rachat » évoquée par Freud [1] s’observe notamment dans les subites performances scolaires des enfants dont le parent est malade. Nous avons pu observer qu’à l’inverse du divorce des parents, qui provoque généra- lement une chute dans les résultats scolaires et la concentra- tion des enfants, l’épreuve de la maladie d’un parent amène souvent un surinvestissement de l’école, à la fois, lieu où l’on peut fonctionner « normalement » avec les autres, loin de la maladie et aussi lieu de compensation en produisant de beaux efforts d’apprentissage. La maladie d’un parent est une crise qui peut avoir des effets maturatifs chez l’enfant.

Son regard et son questionnement sur la vie changent.

Les questions que les enfants se posent

L’origine du cancer étant encore dans de nombreux cas sou- vent mystérieuse et inexpliquée, cette réalité est difficile à accepter tant pour le malade que pour son enfant. Pourquoi attrape-t-on le cancer ? D’où vient cette maladie ? Laisser l’enfant sans réponse, sans explication et reconnaître que l’adulte ne sait pas tout et qu’il y a là quelque chose qu’il ne comprend pas lui-même peut être très inquiétant pour l’enfant. C’est parfois la raison pour laquelle certains enfants se créent leurs propres explications, ils s’inventent une cause à la maladie, car c’est trop menaçant de ne pas savoir com- ment et pourquoi elle est arrivée. Ainsi, une petite fille de quatre ans nous racontait que son papa était tombé malade

« à cause du vent », mais aussi que le « premier docteur avait été méchant », car il n’avait pas su guérir son papa.

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Une maman vient nous trouver et dit : «Suite au décès du grand-père paternel, ma fille de huit ans pleure beaucoup, s’accroche à nous, demande énormément d’attention alors que sa sœur cadette de quatre ans n’a pas ce comportement.

Maintenant, mon père est soigné pour un cancer. Je sens que l’aînée est inquiète, comment puis-je l’aider ?». La question de la mort suscite beaucoup de questions et de fantasmes chez l’enfant. Pour aider cette maman et sa famille, nous proposons, notamment, plusieurs livres Grand arbre est malade[9],Alice au pays du cancer [3],On va où quand on est mort? [4] ainsi qu’une brochureJ’ai un cancer, com- ment en parler à mon enfant ? [10]. Ce temps de lecture entre la maman et sa fille sur les thèmes qui la préoccupent a ouvert un espace de parole entre elles et a permis que la petite fille demande : « Et toi maman, tu vas mourir aussi ?».

Conjoint

Qu’en est-il de la place du conjoint ? Il doit bien souvent faire face à toute une réorganisation familiale, s’occuper seul des enfants durant l’hospitalisation de l’autre parent. Il se montre fort pour soutenir le malade et les enfants. Il ne se permet pas de « craquer » de peur que ce soit tout le système familial qui s’effondre. Lorsqu’il amène les enfants à l’EE, il dévoile un peu de cette souffrance. Néanmoins, nous remar- quons que certains conjoints ont un comportement d’évite- ment afin peut-être de ne pas être envahis par leurs émotions.

Ils ont tendance alors à rester sur l’instant présent en faisant le point sur la situation médicale.

Les membres d’une famille croient partager les mêmes émotions face à la maladie, or nous constatons aux EE un vécu différent pour chacun. La parole circule plus facilement en dehors de la maison et de la chambre du malade, là où souvent aucun mot n’était dit. Les enfants captent ce que leur père ou leur mère dit aux animatrices de l’EE et entendent parfois leur détresse de façon plus authentique.

Robert Neuburger, psychothérapeute de famille, fait remarquer que les enfants ont souvent tendance à ne poser aucune question qui mettrait leurs parents en difficultés émo- tionnelles [8]. Et les parents, quant à eux, pensent protéger les enfants en les écartant de la réalité. Pourtant, les enfants sont comme des éponges, ils ressentent toutes les émotions véhiculées dans la famille. Les mots mis sur ce ressenti per- mettent à l’enfant de ne pas être dévasté par un imaginaire qui peut être encore plus destructeur.

Quand la maladie peut séparer les membres d’une famille en raison des nombreuses hospitalisations, de l’isolement émotionnel, l’EE permet de recréer des liens.

Nicole Landry-Dattée, psychanalyste, et Marie-France Delaigue-Cosset, anesthésiste-réanimateur, animent des groupes de parole réunissant enfants et parents à l’institut

Gustave-Roussy de Paris. Elles décrivent dans « Hôpital Silence » le fruit de leur expérience [7].

« Les parents, parfois, esquivent. Ils détournent la conversation, quand elle apparaît trop douloureuse ou qu’elle risque de mettre à mal les affects. Des attitudes d’évi- tement parfois paradoxales. Lors des groupes de parole, nous observons certains parents inviter leurs enfants à poser toutes les questions qu’ils veulent, les y encourager vive- ment, mais en même temps les empêcher de le faire. Ils par- lent pour couvrir leur intervention, répondent à leur place en interrompant les animateurs ou les laissent dire tout en s’efforçant qu’on ne puisse les entendre. Telle cette maman qui donne à ses enfants, sur le point de prendre la parole, des sandwiches emballés dans du papier crissant…

Les parents disposent de ressorts psychologiquement bien plus complexes pour éviter d’affronter les questions de leurs enfants. Parce qu’elles font peur, ils vont par exemple inciter leurs enfants à ne poser que de fausses questions, de gentilles questions, des questions polies, qui ne dérangent personne. Intuitivement, l’enfant sent qu’il ne doit pas être l’élément perturbateur de la vie familiale en abordant les vrais sentiments, en pointant les vrais pro- blèmes, alors, pour répondre à ce qu’on attend de lui, il se conforme à une image « lisse », ce qui évoque le concept de “faux-self” décrit par Donald Winnicott, soit cette identité fabriquée pour répondre à l’attente supposée d’autrui. ».

Espace multiculturel

L’EE rassemble des enfants de toutes origines sociales et culturelles, et nous observons un investissement particuliè- rement important du lieu par les enfants de familles maghré- bines des environs, qui arrivent toujours en grand nombre pour accompagner un proche (enfants, cousins…). Dans leur tradition culturelle, l’enfant n’est pas écarté lorsqu’un mem- bre de la famille est hospitalisé ou en fin de vie. Cependant, le mot « cancer » est rarement prononcé, et le diagnostic est souvent ressenti comme une « fatalité », voire comme une forme de punition divine. Les psychothérapeutes doivent alors s’adapter aux conceptions musulmanes concernant la vie, la maladie, la mort et respecter celles-ci même si elles présentent parfois pour nous une forme de déni ou de silence quant à l’irréversibilité de la mort.

D

autres activités complémentaires de l’ASBL « Cancer et psychologie » permettent de suivre l

enfant en difficulté dans son milieu de vie propre

Les enfants nous racontent également ce qu’ils vivent et res- sentent à la maison ou à l’école. Damien, 12 ans, nous

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explique qu’il a cassé la figure d’un copain de classe qui lui disait « Ta mère a le cancer, elle va mourir ». Sa maman nous révèle que son fils n’a pas le goût de vivre, « est toujours triste, il vit dans l’ombre de ma maladie et ne se défoule qu’à la danse et au foot ».

Élise, dix ans, termine la lecture du livreAlice au pays du cancer [3] avec sa maman et nous dit que ce serait bien qu’on vienne dans sa classe pour parler de ce qu’a son papa, car les autres enfants ne comprennent pas et sont parfois méchants avec elle.

Chaque année, l’ASBL « Cancer et psychologie » est amenée à créer des animations de groupes dans les écoles où survient le décès d’un parent ou d’un élève, en collabo- ration avec les enseignants. Nous formons également les éducateurs et les travailleurs sociaux à cette problématique de l’enfant confronté à la maladie et à la mort d’un parent.

Dans ce cadre, nous remarquons une évolution des menta- lités. En effet, il y a aujourd’hui moins de réticence à abor- der les thématiques de la maladie et de la mort à l’école qu’il y a quelques années. Le cancer, malheureusement, est devenu si présent dans notre société qu’il est désormais incontournable. Les enseignants demandent des forma- tions, car ils ne veulent plus être pris au dépourvu par le surgissement d’un décès dans la classe et manquer de réponses adaptées à la détresse des enfants dans un contexte si angoissant.

L’« espace papillon », atelier pour enfants et adolescents endeuillés, permet également aux enfants qui vivent la perte d’un proche de participer à des rencontres mensuelles qui rassemblent cinq à dix enfants dans les locaux de l’ASBL « Cancer et psychologie » où deux psychothéra- peutes les accompagnent dans le lent processus de deuil.

Les activités proposées dans l’espace papillon vont aider l’enfant à traverser les étapes qui vont du vide laissé par la perte à la restauration et la réparation de soi, notamment par la confection d’une boîte à souvenirs, par les rituels et la créativité qui permettent l’extériorisation des émo- tions. Comme un enfant ne peut faire son deuil si son parent survivant ne le fait pas, nous avons mis en place un groupe de parole pour les parents en parallèle au groupe d’enfants.

Autres espaces enfants/adolescents en Belgique

En Belgique, l’ASBL « Cancer et psychologie » a pu déve- lopper huit EE dans différents hôpitaux à Bruxelles, Liège, Charleroi et Namur, dont quatre sont financés par le Plan national cancer. D’autres actions semblables sont menées dans le pays tant en Flandre qu’en Wallonie. Nous travail- lons, par ailleurs, en étroite collaboration avec les psycholo-

gues et oncologues de l’hôpital Gustave-Roussy et l’institut Curie, nos voisins parisiens.

Bilan et expérience à l

hôpital Erasme

Le Plan national cancer a permis la réalisation de cet EE de 2009 à 2012.

Fin juin 2012, nous avions totalisé 225 présences d’en- fants âgés de 2 à 15 ans, la majorité d’entre eux se situant dans la tranche d’âge des 5-8 ans(152 enfants différents et 49 parents atteints d’un cancer, 42 entretiens familiaux). Les suivis se sont accrus d’une année à l’autre dès que la connaissance de l’EE s’est développée au sein de l’hôpital.

Beaucoup d’enfants reviennent chaque semaine et sont pré- sents tout au long de la maladie et des traitements de leur parent.

L’expérience nous montre que la présence de l’enfant auprès d’un parent hospitalisé est bénéfique tant pour le malade que pour son enfant. L’hôpital n’est pas un lieu où l’on soigne exclusivement le corps malade, il reste un lieu de vie où l’on tient compte de la dimension humaine et psycho- logique d’une famille qui demande à rester unie face au cancer.

Nous espérons vivement que cette expérience puisse se pérenniser.

RemerciementsCe projet n’aurait pu se développer sans le soutien financier accordé par le Plan National Cancer 2009- 2011 à l’Hôpital Erasme (Action 22, projet 005).

Nous remercions vivement toutes les personnes qui ont coor- donné et accompagné ce travail à l’Hôpital Erasme : le médecin directeur, le Dr Jean Paul Van Vooren, qui a accueilli ce projet au sein de son hôpital ; les psychologues du service de Psychologie de Madame Nicole Delvaux et ceux de la Fondation Harvey Cushing ; Madame Pascale Javaux, infirmière coordinatrice des trajets de soins en onco- logie ainsi que toutes les familles qui nous ont fait confiance.

Et pour terminer, les responsables de l’ASBL Cancer et Psy- chologie qui ont soutenu le projet, particulièrement Claire Oger et le Dr Françoise Majois.

Conflit d’intérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt

Références

1. Freud S (1969) Naissance de la psychanalyse. PUF, Paris, pp 19395

2. Freud S (1969) La mélancolie. In: Naissance de la psychanalyse.

PUF, Paris, pp 917

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3. Hennuy M, Buyse S (2006) Alice au pays du cancer. Alice Edi- tion, Bruxelles

4. Hennuy M, Buyse S (2010) On va où quand on est mort ? Alice Edition, Bruxelles

5. Klein M (1968) Le deuil et ses rapports avec les états maniaco- dépressifs. Essais de psychanalyse. Gallimard, Paris, pp 34169 6. Klein M (1968) Contribution à létude de la psychogenèse des

états maniacodépressifs, Essais de psychanalyse. Gallimard, Paris, pp 31140

7. Landry-Dattée N, Delaigue-Cosset MF (2001) Hôpital Silence.

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