RECHERCHES SUR L’EFFICACITÉ ALIMENTAIRE
DES MARCS DE POMME FERMIERS( 1 )
V. —
ÉTUDE
CHEZ LE MOUTON ET LEPORC,
DE LA DIGESTI-BILITÉ
APPARENTE DE CONSTITUANTS DE MARCS DE POMMEFRAIS, ENSILÉ
OUDESHYDRATÉ
G. CHARLET-LERY, A. M. LEROY S. Z. ZELTER Laboratoire de Recherches
Zootechniques,
Institut National
Agronomique,
Paris.L’étude
systématique
concernant l’utilisation des marcs de pomme fermiers comme nourritureanimale, entreprise
par leLaboratoire,
nousa conduit à déterminer la
digestibilité
des constituants de ce sous-pro- duit de cidrerie.Les seules données relatives aux marcs frais et ensilés existantes sont celles
rapportées
par CRASSEMAN(i) ;
elles ne concernent que le mouton et on manque derenseignements
serapportant
au porc. Par contre, de nombreux auteurs ont étudié l’utilisationdigestive
des marcssecs,
dépectinisés
ou non, de fruits àcidre,
chez le mouton, chez le porc et chez la volaille( 2
à7 ).
Nos propres observations
portent
sur l’utilisationdigestive
des marcsde pomme à l’état
frais,
ensilé ou sec, en fonction du tauxd’incorporation
dans le
régime,
tant chez le ruminant(mouton)
que chez le monogas-trique (porc).
Les
techniques expérimentales
etanalytiques appliquées
à cesrecherches sont celles décrites dans des mémoires antérieurs
(8-g).
Pré-cisons seulement que les
périodes expérimentales
ont une durée deio
jours,
tant chez le mouton que chez le porc ; chacune d’elles estpré-
cédée d’une
période d’adaptation
d’au moins lajours
dans le cas dechangement
derégime
et, soit de 6(porcs),
soit de 8(moutons) jours
danscelui de modification du taux
d’incorporation
de l’aliment.( 1
) Recherches poursuivies à la demande du Groupement national interprofessionnel des Fruits à
cidre et avec son concours financier (crédits du Fonds National de Progrès Agricole).
( 1
) Avec l’assistance technique de 31»eC. DUMAYet de J. MARTI.N.
I. - EXPÉRIENCES AVEC MOUTONS
(Novembre
1951àJuillet 1952 )
Ces essais ont été conduits avec 4 brebis adultes de race Ile-de- r
rance d’un
poids
moyen de 52kg.
I,esanimaux,
maintenus en cages individuelles dedigestibilité
ont été nourris ad libitum et le niveau de cou-sommation de matière sèche maintenu constant au cours d’une même
expérience.
I,’aliment de référence est du foin de
luzerne,
dont une réserve sufii-sante a été constituée pour les essais. Sa
composition chimique (tableau I) correspond
à l’aliment telqu’il
a étéingéré,
déduction faite des consti- tuants dosés dans les refus. Ladigestibilité
a été mesurée au cours d’unepériode témoin, qui
a servi de référence pour le calcul des coefficients d’utilisationdigestive
des éléments des marcs, par latechnique
dite de« différence ».
l,es divers
types
de marcsexpérimentés
ont été introduits dans la matière sèche totaleingérée
à un taux limite inférieur d’environ 20p. 100 et à un taux limitesupérieur
d’environ 51 p. 100. Pour cequi
concernele marc sec, une
expérience (I)
a été d’abord tentée en 1047sur 3 brebisavec un
régime
encomportant
100 p. 100. Cerégime
a étéaccepté
diffi-cilement,
de sorte que la consommationquotidienne
de matière sèche n’a atteint que le tiers( 312 g)
du niveau normal(environ
i ooog) ;
des émis-sions fécales
sanguignolentes
ayant été observées à la fin de cetteexpé- rience,
celle-ci a été arrêtée le !ejour,
moment del’apparition
des troubles.Ces constatations nous ont conduit à
n’expérimenter
ultérieurement que dans les limitesprécitées.
I,e marc sec utilisé avait subi une
dépectinisation
industrielle. Lemarc fermier frais sortait d’un
pressoir
à ais et n’ajamais
été stocképlus
de 2
jours ;
le marc ensilé obtenu par pressagehydraulique
a étéemployé
après
4 mois de conservation en silo parsimple compression physique ;
il a servi à la fois à notre étude de
digestibilité
et à uneexpérience
d’ali-mentation sur la vache laitière
( I o) .
Résultats
Les tableaux de la
composition
des alimentsingérés
et les données moyennes relatives auxingesta,
aux excréta et à l’utilisationdigestive
des divers constituants des rations pour chacune des
expériences, figurent
aux tablaux I et II.I,es tableaux III, IV et V
ci-après rapportent
les variations indi- viduelles observées dans l’utilisationdigestive
calculée par « différence »,des constituants des divers
types
de marc.Précisons que tous les coefficients de
digestibilité
calculés se rap-portent
à une matière sèche de marcexempte
d’alcool etqu’ils
seraientlégèrement plus
élevés pour la matièresèche,
la matièreorganique
et lesextractifs non azotés s’il avait été tenu
compte
desquantités
d’alcoolingérées
simultanément avec les marcs frais et ensilés.II. - EXPÉRIENCES AVEC PORCS
(Octobre 1953 -Février 1954 )
Les essais ontporté
sur 3sujets
de raceLarge
White dont lepoids
moyen initial était de
2 6, 5 kg
et lepoids
final de88,o kg.
L’un dessujets, ayant
souffert de troublesdigestifs,
a dû être éliminé de certainespé-
riodes
expérimentales.
Ces porcs absorbaient
quotidiennement
deux repas sous forme li-quide
et, bien que nourris selon leurappétit,
la consommationjourna-
lière de matière sèche était maintenue
pratiquement
constante au coursde
chaque période.
I,’aliment de référence dont la
digestibilité
a servi comme base pour le calcul de l’utilisationdigestive
des diverstypes
de marcsexpérimentés
était formé d’un
mélange
renfermant enpourcentage :
son d’avoine 20 ;orge 52 ; farine de viande
6 ;
farine depoisson
5 ; levure de distillerie 5 ; tourteau d’arachide8 ; mélange salin 4 ( 1 ).
I,e son d’avoine a été introduit
expressément
dans cetaliment,
afin d’obtenir une teneur en cellulose brute assezproche
de celleprésente
dans le marc
qui
devait y êtreincorporé,
pour éviter l’interférence de la concentration en cellulose sur ladigestibilité
des diverstypes
derégime.
Chacun des marcs
figurait
dans lesrégimes
mixtes(référence
-
marc)
à des taux avoisinant r4et 22 p. 100de la matière sècheingérée,
et était intimement
mélangé
à l’aliment de référence. Il est à noterqu’une
dose de matière sèche de marc frais
dépassant
25 p. 100 a entrainé des refus et des troublesdigestifs.
I,es marcs frais et ensilés étaient de même provenance ; le dernier
a été mis en silo au fur et à mesure
qu’était prélevé,
aupressoir,
le marcfrais destiné à
l’expérience
et a été utiliséaprès
2 mois et demi de conser-vation,
parsimple compression physique.
I,e marc sec était un marc
industriel, dépectinisé.
Résultats
Les tableaux VI et VII concernent la
composition chimique
des aliments consommés et les
quantités
moyennes descomposants ingé-
rés et
excrétés,
ainsi que les coefficientsrespectifs
d’utilisationdigestive.
l
’
es variations individuelles d’utilisation
digestive
des constituants des diverses formes de marc, calculée par «différence », figurent
auxtableaux VIII, IX et X.
( 1
) Mélange salin en % - poudre d’os dégélatiné : 40- craie lavée: 32-- sel marin : 20- S04 Mg
3
,5 - C03Mg : 4,2- SOIFe : 0,28 - S04Cu : 0,02.
III. -
INTERPRÉTATION
Il se
dégage
del’analyse
des donnéesexpérimentales enregistrées
lesfaits suivants :
A. - Chez le ruminant
(mouton)
’
a)
L’association de marc de pomme,quel
que soit sonétat,
à dufoin de
luzerne,
non seulement n’abaisse pas, maisparfois
même améliore(marc frais)
l’utilisationdigestive
de la matière sèche et de la matièreorganique
de la rationtotale ;
b)
laprésence
de ces marcs, même en faiblequantité,
entraîne unabaissement
important
de ladigestibilité
de la fractionprotidique
durégime.
Le calcul par différence fait ressortir un coefficient d’utilisationdigestive
nettementnégatif
pour la matière azotée des marcsindépen-
damment de leur état ou de leur taux
d’incorporation ;
c)
la cellulose Weende des marcs sembleposséder
unedigestibilité plus
élevée que celle du foin deluzerne ;
-1d)
le calcul par différence àpartir
d’un faible tauxd’incorporation (environ
20p.100 )
de ladigestibilité
des constituants de marc esterroné,
parce que toutes les erreurs
expérimentales
se trouventreportées
surune faible dose de
principes
de l’aliment étudié.Les valeurs nutritives de la matière sèche de marc calculées à par- tir des coefficients de
digestibilité
obtenus avec un tel taux sont :0 ,
419 ±
0 , 17 6
u.f.(expérience
VII - marcensilé)
eto,8q. 7
±0 , 01 8 (expérience
VI — marcsec) ;
ellesparaissent
d’autantplus
aberrantesqu’elles
diffèrent nettement de celle obtenue pardigestibilité
directe àpartir
d’unrégime
exclusif de marc sec :o,6oi
± 0,022u.f.(expérience I),
valeur très
proche
de celles calculées pour un marc sec utilisé à un taux de46
p. 100 : 0,555 ± 0,035 u.f.(expérience VII),
pour un marc ensiléincorporé
à unpourcentage
de 51,1 p. 100 :0 ,5 9 6
±0 ,026
u.f.(expé-
rience
IV),
et pour un marc frais introduit à la dose de 45,4 p. 100 :o,61
7
± 0,092 u.f.(expérience III). ;
e)
lacomparaison
entre les données trouvées àpartir
des tauxavoisinant 50 p. 100, données
qui statistiquement
ne sont passigni-
ficativement différentes
(pour
les valeurs extrêmes t=i)
démontre que, chez le mouton, l’état de l’aliment(frais,
ensilé ousec)
n’exercepas d’in-
fluence sur la valeur nutritive de la matière sèche de marc calculé
d’après
son utilisation
digestive,
valeurqui
est en moyenne sur les bases des données enquestion
de : 0,592 ± 0,013u.f.Il est intéressant de confronter ce résultat avec celui observé à
partir
de mesures
biologiques
au cours desexpériences
d’alimentation survaches en lactation
(io)
chezlesquelles
la valeur nutritive de la matière sèche de marc non alcoolisé s’élève à0 ,588
± 0,122.u.f. ;
f )
il est enfin utile designaler
des essaisqui
nous ont montré que lesparticules
fines de marc sec obtenuaprès
passage sur tamis ? io ont la mêmedigestibilité
que le résidugrossier
dutamisage (digestibi-
lités
respectives
de la matièreorganique : 45 ,8
!’0 ,8
et 44,4 ±2,9).
Letriage
de marc sec partamisage
n’offre donc aucunavantage pratique.
B. - Chez le
monogastrique(porc)
a)
I,es résultats trèsdispersés
dontl’interprétation
nepeut
êtrefaite sans
réserves, indiqueraient
que chez le porc, l’utilisationdigestive
d’un aliment aussi
cellulosique
que le marc de pommedépend
fortementde l’individualité du
sujet ;
b) l’objection
soulevée dans le cas du mouton, ausujet
des erreursqui
entachent le calcul dedigestibilité
pardifférence, opéré
àpartir
d’unfaible taux de marc
incorporé
dans lerégime,
reste valable dans celui du porc ; eneffet,
les valeurs nutritives moyennes(u.f.
parkg
dem.s.)
calculées à
partir
desexpériences IX,
XI et XIII, effectuées avec unrégime comportant
i3 p. 100environ de matière sèche de marc, semblent anormales :1 , 0 8 (marc frais),
0,525(marc sec), o,6 97 (marc ensilé)
etles variations individuelles observées sont très
fortes. ( 1 )
Par contre, lesvaleurs trouvées à
partir
des rations à 22p. 100environ,
utilisées au cours desexpériences
X, XII et XIVpraissent beaucoup plus
vraisemblables o,5i5(marc frais), 0 ,6 03 (marc sec),
0,505(marc ensilé).
Ces données
indiquent,
en outre, que le marc à l’état sec est mieux utilisé chez le porc que les 2 autresformes ;
c)
ladigestibilité
de la cellulose Weende de marc calculée par diffé-rence se révèle relativement élevée. Ceci
surprend
chez un monogas-trique qui
est maladapté
à l’utilisation de ceglucide.
Les coefficients élevéss’expliqueraient peut-être
par le fait que la fractioncellulosique
de l’aliment de
référence,
constituée essentiellement par du sond’avoine,
a une
digestibilité
extrêmement basse(exp.
VIII : y,o p.100 ) ;
il sepourrait
donc que le calcul par différence ait conduit à des valeurspéchant
par excès ;d)
ladépression
dedigestibilité
de la matière sèche et de la matièreorganique
observée consécutivement àl’incorporation
de matière sèche demarc
(soit
z3 soit 22 p.100 ) quelle
que soit sa nature,dépression qui
estde l’ordre de 4 p. 100, semble corroborer
l’explication suggérée
dans leprécédent paragraphe.
Fait à
souligner,
bien que le marc soit un alimentcellulosique,
le( 1
) Le nombre des sujets d’expérience n’étant que de 2 ou de 3 au maximum, nous avons jugé inopportun le calcul de l’erreur-type.
coefficient d’utilisation de sa matière
organique
est sensiblement le même chez lemonogastrique (porc) :
54,3 p. 100 que chez le ruminant(mouton) : 56,
1p. 100 ;e)
chez le porcplus
encore que chez le mouton, ladigestibilité néga-
tive de la fraction
protidique
est nettementmarquée.
* *
*
A notre
avis,
l’insolubilisation des matières azotées de marc par les substancestannoïdes, signalée
par WARCOl<UËR( II ) n’expliquerait
pas à elle seule ce dernier fait invivo, particulièrement frappant.
Eneffet,
uneépreuve
in vitro de ladigestibilité
de l’azote des divers marcs de pomme uti- lisés au cours desexpériences
avec porcs, en milieupepsine-HCI
aupH= 2 ,
nous a donné les résultats
ci-après qui représentent
une moyenne de3 essais pour le marc frais et de 6 pour les marcs ensilé ou sec.
L
’
existence d’une solubilité in
vitro,
bien que relativement peuélevée,
infirme doncpartiellement
l’idée que la très fortedigestibilité négative
de l’azote de marc observé invivo, pourrait
être due à une actionexclusivement
chimique,
car, dans ce cas, l’utilisationdigestive
seraitvoisine de zéro. Il semble dès lors
plus logique
d’admettreégalement
l’éventualité d’une inhibition
enzymatique
exercée par les substances tannoïdes des marcs au niveau du tubedigestif.
Cette dernièrehypothèse
serait
plus
en accord avec l’observation faite par HUISMAN( 12 )
sur lecobaye ;
cet auteur ayantajouté
à unrégime
de base 2,5 à 5 p. 100d’acidetannique,
a constaté une chute dedigestibilité
trèsmarquée
des matières azotéestotales, portant
surtout sur la fractionprotéique.
RÉSUMÉ
ET CONCLUSIONS14
expériences
au coursdesquelles
a été étudiée ladigestibilité apparente
des constituants de marcs de pommefrais,
ensilé ou sec, chez le mouton et le porc par latechnique
dite de« différence )),
montrent que :- l’état du
produit
ne modifie pas l’utilisationdigestive
des marcschez le mouton ; il l’influence peu chez le porc,
qui
semble tirer meilleurparti
du marc sec ;- l’utilisation
digestive
de la matièreorganique
est sensiblement la même chez ces deuxespèces :
mouton56, 1
p. 100, porc : 54,3 p. 100 ;- la valeur nutritive de la matière sèche de marc,
quel
que soitl’état de ce
dernier, exprimée
en unitéfourragère
parkg,
oscille entre0
,55 et
o,62
chez le mouton, et entre o,5i eto,6o
chez le porc ;- la fraction azotée du marc est strictement
indigestible
chez lesdeux
espèces
et laprésence
de marc dans unrégime mixte,
semble mêmedéprimer légèrement
l’utilisationdigestive
de l’azoteglobal
de laration ;
- un taux
d’incorporation
d’environ 50 p. 100 de matière sèche de marc dans la ration totale estparfaitement
toléré par le mouton et n’affecte pas ladigestibilité
de l’ensemble de la ration. Pour le porc, il semble que le seuil de 25 p. 100 ne devrait pas êtredépassé ;
à ce pour-centage,
l’utilisationdigestive
des élémentsorganiques
durégime
n’estque
légèrement déprimée
par laprésence
de marc de pomme.RFFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES (
I
)
CRASEMAN(E.).
- Uber den Futterwert und dieKonservierung
vonObstrestern. Landw. Vers. Stat., 109, p. 49, 1929.
( 2
)
TSCHERNIAK(A.).
- Der Futterwert von Obsttrockentrestern für dasGeflügel,
Sonderd.Gelliigel, N o
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ROTEN(E.).
- in 2.(4)
JUCKER(H.).
- in 2.(5)
CRASEMAN(F,.)
et TSCFIERNIAK(A.).
- in 2.(6)
BACHMANN(F.).
- 2YL 2.(7)
TSCHERNIAK(A.).
- 272 2.(8)
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- Utilisation des déchets de cornehydrolysés
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A gron.,
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1947.(9)
Ir!RO!(A. M.),
I,!RY(G.),
ZELTER(S. Z.).
- Contribution à l’étude de l’utilisationdigestive
despulpes
de betteraves desséchées par les porcs et les ruminants. Ann. Zoot. 1, ? i, p. 29,1952.( 10
)
I,!ROY(A. M.),
ZELTER(S. Z.).
- Effet del’ingestion
de doses crois- santesd’ensilage
de marcs sur le niveau des sécrétions lactées etlipi- diques
de la vache, Ann. Zoot., 4, ? i, p.69,
rg55!(Il)
WARCOI,I,I!R(G.).
- Cidrerie. Baillère, Paris192 8.
(12)
HuiSMAN. — Thèse194 6, Wageningen
in BROUWER($.). Quelques
obser-vations néerlandaises sur les matières