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La jurisprudence internationale en matière de torture et de traitements inhumains ou dégradants

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La jurisprudence internationale en matière de torture et de traitements inhumains ou dégradants

KOLB, Robert

KOLB, Robert. La jurisprudence internationale en matière de torture et de traitements inhumains ou dégradants. Revue universelle des droits de l'homme , 2003, vol. 15, no. 7-10, p.

254-287

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44890

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La jurisprudence internationale en matière de torture et de traitements inhumains ou dégradants

par Robert KOLB, Genève

I. Introduction ... 254

II. Les concepts juridiques véhiculés dans les Conventions ... 255

III. La topique jurisprudentielle ... 257

A. Les topoi généraux ... 257

1. Les conditions de détention ... 257

2. Les mauvais traitements aux détenus ou aux personnes arrêtées ... 259

3. Les mauvais traitements en général ... 261

B. Les topoi spéciaux ... 266

1. Les retards de la procédure contre une condamnation à mort ... 266

2. La détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ... 266

3. L'extradition, l'expulsion ou le refoulement vers un Etat où il y a un risque objectif de torture ou de prononcé d'une peine capitale ... 266

4. L'enlèvement et la disparition forcée de personnes 270 5. Traitements médicaux forcés ... 270

6. Destruction de maisons ... 271

7. Procès excessivement stressant auquel sont soumis des enfants ... 271

IV. La jurisprudence du Tribunal pénal ad hoc pour l'ex-Yougoslavie ... 271

1. La torture ... 272

2. Le traitement inhumain ... 274

3. Le traitement cruel ... 274

V. Conclusion ... 275

Annexes: Extraits des affaires citées ... 275

-Comité des droits de l'homme (ONU) ... 275

-Comité contre la torture (ONU) ... 277

-Commission interaméricaine des droits de l'homme ... 279

-Cour interaméricaine des droits de l'homme ... 279

-Cour européenne des droits de l'homme ... 280

-Comité européen pour la prévention de la torture ... 283

-Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ... 284

1. Introduction

A l'instar de ce qui a été fait pour les droits relatifs à la liberté et à la sécurité de la personne et au procès équi- table,! cette étude se propose de brosser un tableau de la jurisprudence relative à la notion de torture et aux concepts connexes qui gravitent autour d'elle. Si l'abondance du matériel pertinent avait commandé une restriction tempo- relle dans l'article précité, le caractère plus circonscrit du droit à l'intégrité physique permet d'envisager un compte rendu plus général.

Ce qui vient d'être dit ne s'oppose pas à une certaine sélection des affaires, laissant d'une part de côté celles qui se bornent à une reproduction d'un schéma bien consolidé, sans apport jurisprudentiel d'intérêt. D'autre part, un revi- rement de jurisprudence comme par exemple celui du Comité des droits de l'homme dans l'affaire Judge c.

Canada est décrit en détail (infra p. 267). Non seulement pour faciliter la lecture mais surtout pour permettre de retrouver rapidement les affaires clés, les extraits de cita- tions sont regroupés en annexe (voir pp. 275-287).

Il a déjà été expliqué2 qu'en matière de droits de l'homme la jurisprudence a un rôle particulièrement saillant. Il en est ainsi parce que les normes concernant les droits fondamentaux sont de type « constitutionnel », à la fois très générales et très ouvertes. Elles véhiculent avant tout des valeurs que le législateur s'abstient de concrétiser pour éviter de les pétrifier. Ce rôle de concrétisation revient dès lors au juge, qui doit mesurer ce qu'exigent ces valeurs à l'aune des circonstances changeantes de la vie.

C'est particulièrement vrai du droit à l'intégrité physique qui propose une série de standards juridiques3 (torture ; traitement cruel 1 inhumain 1 dégradant) à la fois très ouverts (et donc potentiellement très dynamiques) et diffi- ciles à délimiter entre eux. Il va sans dire que dans un tel cas le rôle de la jurisprudence dans la clarification et la fixation du contenu normatif des droits devient constitutif.

La jurisprudence dont il sera ici question émane de trois types d'organes. En premier lieu, les juridictions spécialisées en matière de droits de l'homme : la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour interaméricaine des droits de l'homme, avec leurs Commissions respectives (tant qu'elles existent). En second lieu, des organes quasi judiciaires opérant dans le contexte d'une convention particulière rela- tive aux droits de l'homme : le Comité des droits de l'homme de l'ONU (sous le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966) et le Comité contre la torture de l'ONU (selon la Convention contre la torture de 1984). En troisième lieu, il faut mentionner les tribunaux pénaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda, qui dans leur juris- prudence ont abordé des questions relatives à la torture et autres traitements inhumains dans le contexte de conflits armés. La jurisprudence du TPIY fera l'objet d'un chapitre à part (infra p. 271). Il est d'autres organes dont la mission n'est pas à proprement parler judiciaire. C'est le cas par exemple du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants,4 instauré par la Convention européenne pour la prévention de la torture de 1987. La tâche de ce Comité est d'inspecter les lieux de détention dans le territoire des Etats parties et de rédiger un rapport sur la situation constatée, en relation avec la torture ou les traitements inhumains. L'un des rapports célèbres concerne la Turquie (1992),5 mais le CPT en a rédigé

*Robert KOLB, Professeur de droit international aux Universités de Neuchâtel, Berne et Genève (Centre universitaire de droit inter- national humanitaire). Cette étude, rédigée en 2000, reflète la littéra- ture publiée jusque-là. En ce qui concerne les décisions rendues depuis, seule l'affaire Judge c. Canada (infra p. 267) marque un revi- rement de jurisprudence dans le cadre de l'ONU. Une vue d'ensemble, jusqu'en 2002 inclus, des décisions de la CourEDH se trouve dans le Compendium de M. de Salvia (infra note 22).

1 Cf. R. KOLB, << The Jurisprudence of the European Court of Human Rights on Detention and Fair Trial in Criminal Matters from 1992 to the End of 1998 », 21 HRLJ 348 ss. (2000) et i'addendum qui couvre les années 1999/2000,22 HRLJ 351 ss. (2001).

2 Ibid., p. 348.

3 Sur cette notion, cf. R. KOLB, La bonne foi en droit interna- tional public, Paris, 2000, p. 134 ss., avec des renvois.

4 Sur ce Comité, Cf. E. DECAUX, << La Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhu- mains ou dégradants >>, Annuaire français de droit international, vol. 34, 1988, pp. 618-634. G. COHEN-JONATHAN,<< Le Comité européen pour la prévention de la torture et la déclaration publique relative à la Turquie>>, Revue générale de droit international public, vol. 97,1993, pp. 419-427. C. MOTTET (éd.), La mise en œuvre de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants : bilan et perspec- tives après cinq ans d'activités du Comité européen pour la préven- tion de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégra- dants, Genève, 1995, 409 pp. M. KELLY, <<Pre ven ting ill-treatment.

The work of the European Committee for the prevention of torture», European Human Rights Law Review, vol. 3, 1996, pp. 287-303.

5 Déclaration du 15 décembre 1992 = RUDH 1992, 522; extrait infra, p. 284.

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d'autres, parmi lesquels la Grèce (1993),6la France (1996),7 le Royaume-Uni (1998)8 ou le Portugal (1998).9 La pratique de tels organes de contrôle, comme aussi la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, ne sera pas analysée ici.

II. Les concepts juridiques véhiculés dans les Conventions 1. A vaut de tenter une synthèse de la jurisprudence, il est utile de se pencher sur les concepts clés véhiculés par les conventions. L'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 1950) interdit la« torture» et les« peines ou traitements inhumains ou dégradants». Les instruments universels, le Pacte des droits civils et poli- tiques de 1966 (article 7) et la Convention contre la torture de 1984 ajoutent un terme au deuxième volet, mineur, des comportements interdits, en parlant de << peines ou traite- ments cruels, inhumains ou dégradants >>. C'est de ce concept élargi que s'inspire également la Convention interaméricaine des droits de l'homme de 1969 dans son article 5(2).

De ces deux volets, seul le premier a reçu une définition dans les textes. A cet égard, l'article 1 de la Convention contre la torture de l'ONU de 1984 dispose:

<<Aux fins de la présente Convention, le terme "torture" désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle mi une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ».

Comme la jurisprudence l'a remarqué,10 la définition juridique de la torture contient donc trois éléments: (1) un acte ou une omission intentionnelle par lesquels une douleur ou une souffrance aiguë, physique ou mentale, est infligée à un individu ; (2) cet acte ou cette omission doit avoir un but, par exemple l'obtention d'informations, la confession, la punition, l'intimidation, l'humiliation, la coercition de la victime ou d'un tiers, ou une discrimination ; (3) au moins l'une des personnes prenant part à l'infliction des souffrances doit être un agent de l'Etat ou agir sous couvert d'organes de l'Etat.l1

Cette définition appelle trois commentaires. En premier lieu, on notera le caractère purement quantitatif (et donc ouvert) de l'acte matériel qui doit procurer « une douleur ou une souffrance aiguë, physique ou mentale ». Il s'agit donc d'un palier plutôt que d'une catégorie, d'un palier de surcroît susceptible de s'interpénétrer avec les notions voisines qui le jouxtent par en bas (<< traitement inhu- main >> )_12 C'est d'autant plus visible que la << douleur aiguë » est une notion contextuelle, où joue un rôle impor- tant l'aspect subjectif de la personnalité de la victime. En tout cas, la torture est l'acte le plus grave dans la hiérarchie des atteintes à l'intégrité physique. En second lieu, on remarquera que le but exigé sous (2) est tellement large que pratiquement tout comportement est couvert. Dès lors, le critère est plus descriptif que normatif : l'essentiel est que l'acte soit intentionnel; s'ill'est, on voit mal un juge ne pas le rattacher à l'une des finalités énumérées. Le critère de la finalité a donc surtout une portée négative. Il exclut des actes non intentionnels, ayant cependant la gravité des

effets requis en matière de torture. La situation peut se présenter surtout en cas d'oubli ou d'ignorance de fait.

L'exemple type en est celui d'un individu autrichien arrêté par les autorités et oublié pendant vingt jours dans sa cellule, sans eau ni nourriture, en angoisse permanente de mourir de privation.13 Il faut ajouter qu'on a soutenu dans la doctrine qu'en cas de négligence grave, la norme interdi- sant la torture pourrait s'appliquer.l4

En troisième lieu, la torture (comme le traitement cruel ou inhumain) est en principe limitée à des actes commis par des agents de droit ou de fait d'un Etat. C'est la mise en œuvre de l'appareil étatique pour pratiquer ces actes qui justifie leur gravité et la nécessité d'une répression interna- tionale. Ce n'est pas dire qu'un individu privé ne puisse pas commettre des actes de torture. Mais dans un tel cas, il s'agit d'un crime de droit commun, soumis au droit interne.

Il faut toutefois ajouter que le Comité des droits de l'homme sous le Pacte II de 1966 a toujours reconnu que les autorités de l'Etat ont une obligation de protéger les indi- vidus sur leur territoire contre des atteintes à l'intégrité physique dont ils font l'objet, par menaces ou actes, de la part de personnes dépourvues d'autorité étatique.15 En cas d'inaction, il peut y avoir violation de la norme interdisant la torture, i.e. une torture par voie indirecte.

Si la notion de << torture >> a ainsi été définie, l'autre volet constitutif d'une atteinte à l'intégrité physique (« traite- ment cruel, inhumain, dégradant ») n'a pas fait l'objet d'une définition dans les textes. C'est par voie casuistique que la jurisprudence a tenté d'en éclairer les contenus. De manière générale, deux observations peuvent être faites.

En premier lieu, dans l'optique du dégradé des paliers, le traitement cruel et/ou inhumain jouxte la torture par le bas.

Il s'agit d'actes causant de vives souffrances, physiques ou mentales, mais moins intenses que la torture. Le traitement dégradant constitue un troisième palier, fermant par le bas le traitement cruel et/ou inhumain. Ici, ce ne sont plus des souffrances (vives) qui sont en jeu, mais des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à humilier et à avilir. La constellation relative à la protection de l'intégrité physique se présente donc comme une triade: (1) torture- (2) traitement cruel/inhumain - (3) traitement dégradant, avec un dégradé de gravité allant de (1) à (3).

En second lieu, les traitements cruels ou inhumains peuvent également trouver à s'appliquer en lieu et place de la torture non pas eu égard à l'intensité des souffrances

6 Rapport du 29 novembre 1994 (CPT/ Inf (94) 20), extrait infra, p. 284.

7 Rapport du 14 mai 1998 (CPT/ Inf (98) 7), extrait infra, p. 283.

8 Rapport du 3 mai 2001 (CPT/ Inf (01) 6), extrait infra, p. 284.

9 Rapport du 13 janvier 1998 (CPT/ Inf (98) 1), extrait infra, p. 284.

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Cf. Furundzija (1998), TPIY, § 162, extrait infra, p. 285. R.

Mejia (1996), aff. no 10.970 (ComiADH), extrait infra, p. 279.

11 Selon la formule de M. NOWAK, United Nations Covenant on Civil and Political Rights, CCPR Commentary, Kehl 1 Stras- bourg 1 Arlington, 1993, p. 129 : « Torture is understood as acts of public officiais that intentionally inflict severe physical or mental pain or suffering in arder to fulfil a certain purpose, such as the extortion of information or confessions or the punishment, intimi- dation or discrimination of a persan ».

12 Voir infra, 3, p. 256.

13 Cf. EuGRZ 1981, p. 571, arrêt de la Cour suprême du 20 mai 1981.

14 Cf. P. SALADIN, "Begriff der Folter", dans : A. RIKLIN (éd.), Internationale Konvention gegen die Folter, Berne 1 Stutt- gart, 1979, pp. 132-133.

15 Cf. les Observations générales nos 7/16 et 20/44 et NOWAK, op.cit., note 11, p. 136.

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causées, mais à cause de l'absence d'un élément constitutif de la torture, par exemple l'intentionnalité de l'acte.16 Ainsi, le cas précité17 de l'individu oublié dans sa cellule pendant vingt jours par les autorités autrichiennes s'analyse sans doute en un traitement cruel ou inhumain, même s'il ne s'agit pas de torture. Dès lors, le traitement cruel/inhu- main est doublement subsidiaire par rapport à la torture. Il l'est d'abord du point de vue hiérarchique, au vu de la gravité matérielle des actes. Il l'est ensuite du point de vue technique, constituant une catégorie par défaut avec son filet de sécurité autour du sommet de la torture.

2. Ce qui vient d'être dit sur le triptyque des trois paliers conceptuels peut être systématisé comme suit.

a) Torture. Les conventions ont voulu marquer par ce terme l'infamie spéciale des traitements inhumains déli- bérés provoquant de fort graves et cruelles souffrances.l8 La torture suppose un élément intentionnel. Elle se mesure tant objectivement à la nature et à la gravité apparentes des actes, que subjectivement aux mauvais sentiments, à l'intention d'infliger des souffrances. La définition juri- dique de la torture se compose de trois éléments, à savoir des actes intentionnels causant une douleur ou une souf- france aiguë, physique ou mentale, une finalité, et la qualité officielle du perpétrateur.19

b) Traitement cruel 1 inhumain. C'est la catégorie inter- médiaire qui se définit surtout négativement par rapport à la torture et aux traitements dégradants : elle n'a pas la gravité de la première, mais elle constitue une qualification par rapport à la dernière. Elle ressemble dès lors un peu à la catégorie de l'homicide, encastré entre l'assassinat (en haut) et le meurtre passionnel (en bas). Il s'agit matérielle- ment d'actes ou omissions causant de vives souffrances physiques ou mentales.20 Y a-t-il une différence entre l'épithète« cruel» et l'épithète<< inhumain»? Comme l'on sait, les conventions universelle et interaméricaine contien- nent les deux termes, alors que la Convention européenne ne contient que le second. L'adjonction du terme « cruel » ne semble pas avoir eu de visée normative ; il s'ajoute au terme inhumain en tentant d'en éclairer la portée. Dès lors, les deux termes peuvent être considérés comme synonymes du point de vue normatif. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle est arrivée le TPIY en l'affaire Delalic (1998), où il est dit que le traitt;ment cruel prévu par l'article 3 de son Statut (crimes de guerre) correspond au traitement inhu- main prévu par l'article 2 du même Statut (infractions graves aux Conventions de Genève de 1949).21

c) Traitement dégradant. C'est la catégorie la moins grave, au-dessous de laquelle on ne peut plus parler d'atteinte répréhensible à l'intégrité physique de la part des autorités étatiques. Elle couvre les traitements de nature à créer chez les victimes des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à les humilier et à les avilir.22

La pratique illustre les trois catégories.

Pour ce qui est de la torture, on peut mentionner les affaires uruguayennes, l'affaire grecque, les affaires turques et les nombreuses affaires de détention traitées par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies. Elles concernent des passages à tabac systématiques, des électro- chocs, des brûlures, des pendaisons palestiniennes, des simulacres d'exécution ou d'amputations, l'obligation de se tenir debout pendant des périodes prolongées, l'immersion dans une mixture de sang, d'urine, de vomissements et d'excréments ( « submarino >> ), etc.23 L'affaire grecque concerne l'époque des colonels (1967) et confronte la Commission européenne à des allégations de coups violents, de falaka (coups sur la base du pied), électrochocs, simulacres d'exécution ou menaces de mort, coups sur les parties génitales, compression de crânes dans des étaux,

etc.24 Les affaires turques, depuis 1995, ont très fréquem- ment occupé la Cour européenne des droits de l'homme.

Elles concernent des cas de coups violents, d'électrochocs sur les parties génitales, de pendaisons palestiniennes, des immersions pendant des heures dans de l'eau froide, des simulacres d'exécution, etc.25 Des traces sont souvent trou- vées sur les cadavres des personnes torturées. Enfin, une série d'affaires concernent la détention dans des conditions particulièrement déplorables (la détention dans une cellule de 2 mètres sur 2, souterraine, sans lumière, et infestée par des rats et des blattes; absence de soins, etc.).26

Pour ce qui est du traitement inhumain (ou cruel), les cinq techniques d'interrogation de la police militaire britan- nique en Irlande du Nord pendant les années 70 fournissent un exemple:

- obligation de rester pendant des heures debout contre un mur,

- encapuchonnement,

soumission à un sifflement bruyant et continu, - privation de sommeil,

- privation de boisson et de nourriture.27

Un autre exemple classique est celui de mauvais traite- ments et d'insultes dans des commissariats de police.28

Pour ce qui est du traitement dégradant, l'exemple type est celui des punitions corporelles relativement légères, par exemple des coups de verge à un adolescent condamné29 ou des coups sur la main administrés avec une lanière en cuir.30 3. Comme il ressort de ce qui précède, aucun des paliers ne peut être délimité de manière absolue ou même abstraite, car ils sont essentiellement quantitatifs et non qualitatifs. L'appréciation devient dès lors contextuelle ou

16 Cf. NOWAK, op.cit., (supra, note 11), p. 131 : « These two terms include ali forms of imposition of severe suffering that are unable to be qualified as torture for lack of one of its essential elements >>. Cf. aussi L. E. PETTITI 1 E. DECAUX 1 P. H.

IMBERT (éds.), La Convention européenne des droits de l'homme, Commentaire, 2e éd., Paris, 1999, pp. 157-163. D. J.

HARRIS, 1 M. O'BOYLE 1 C. WARBRICK, Law of the Euro- pean Convention on Human Rights, Londres 1 Dublin 1 Edinburgh, 1995, p. 55 ss. J. A. FROWEIN 1 W. PEUKERT, Europiüsche Menschenrechtskonvention, EMRK-Kommentar, 2" éd., Kehl 1 Strasbourg 1 Arlington, 1996, pp. 40-47. Voir aussi J. H.

BURGERS 1 H. DANELIUS, The United Nations Convention Against Torture, Dordrecht 1 Boston 1 Londres, 1988.

17 Supra, note 13.

18 Cf. Irlande c. Royaume-Uni (1978), CourEDH, Série A no 25,

§ 167, extrait infra, p. 281. La Cour conclut que le recours aux cinq techniques (voir note 27) s'analysait en une pratique de tïaite- ments inhumains et dégradants contraire à l'article 3 (cf. § 168).

19 Voir supra, 1, p. 255.

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Cf. affaire grecque, Rapport de la Commission du 5.11.1969, Annuaire de la Convention européenne des droits de l'homme, vol. 12, 1969 ; CourEDH, Tyrer c. Royaume-Uni, 1978, Série A 26, § 29.

21 Delalic et autres (Celebici), jugement du 16.11.1998, § 551.

22 Irlande c. Royaume-Uni, 1978, Série A no 25, § 167. ; Tyrer c.

Royaume-Uni, 1978, précité ; affaire Raninen c. Finlande, 1997,

§ 55, Rec. 1997-VIII, p. 2804 ss. Cf. aussi M. DE SALVIA, Compendium de la CEDH, Jurisprudence 1960 à 2002, Kehl/

Strasbourg/Arlington, 2003, Article 3: pp. 81-117.

23 Cf. NOWAK, op.cit., note 11, p. 133 ss.

24 Cf. le Rapport de la Commission, loc. cit. note 20.

25 Voir infra, III, A. 3. e, p. 263.

26 Voir infra, III. A. 1. a (note 43).

27 Cf. Irlande c. Royaume-Uni, précité (note 18) § 162 ss.

28 Voir infra, III. A. 2. b (note 92), p. 260.

29 Tyrer c. Royaume-Uni, 1978, précité (note 20).

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Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, 1982, Série A no 48.

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Kolb -Jurisprudence internationale en matière de torture- RUDH 2003/page 257

relative31 ; elle dépend, comme dit la Cour européenne, de l'ensemble des données de la cause, « notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modalités d'exécution, de sa durée, de ses effets physiques et mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, et de l'état de santé de la victime >>.32 Il faut souligner aussi que la Cour prend en compte l'évolution des conceptions sociales et des valeurs, car des standards comme ceux ici en cause se prêtent et exigent tout particulièrement une inter- prétation dynamique, susceptible de mettre en phase le droit avec les données sociales.33 C'est par conséquent vers la jurisprudence qu'il faut se tourner pour enrichir le sque- lette de ces aspects généraux de la chair vive et traversée de flux capillaires, propre à la matière.

III. La topique jurisprudentielle

A bien regarder, la jurisprudence relative à la protection de l'intégrité physique de la personne se coagule autour d'une série de <<topai>>, de catégories typiques, qui révèlent régulièrement des violations des droits protégés. On distingue quelques catégories générales (A) et quelques catégories plus spécifiques (B).

A. Les topai généraux 1. Les conditions de détention

a) Sur l'appréciation des conditions de détention au regard de l'article 3 CEDH, la jurisprudence de la Cour européenne est clairsemée.34 Il en va de même pour l'appréciation des conditions de détention à la lumière de l'article 5 dans le système interaméricain.35 En revanche, la jurisprudence du Comité des droits de l'homme des Nations Unies est des plus denses. Le Comité se réfère à l'article 7 du Pacte, qui a trait à la torture et aux autres mauvais traitements, mais également à une disposition plus spéciale, l'article 10, qui prévoit en son paragraphe 1 que

<< toute personne privée de sa liberté est traitée avec huma- nité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine >>.36

Dans une longue série d'affaires, le Comité de l'ONU a pu constater une violation conjointe des deux articles précités. Ainsi, dans A. Massiotti et Baritussio c. Uruguay (1982), la requérante dut purger sa peine dans des cellules surpeuplées (par exemple 100 détenues dans un baraque- ment de 5 rn sur 10), remplies de 5 à 10 cm d'eau à la saison des pluies, sous lumière artificielle, avec des sanitaires insuffisants, et était astreinte à des travaux forcés, sans alimentation suffisante.37 Dans Marais c. Madagascar (1983), le requérant fut détenu au secret dans une cellule de 2 mètres sur 1 pendant plus de 21 mois.38 Dans Conteris c.

Uruguay (1985), le requérant était incarcéré dans la partie la plus froide de la prison, alors qu'il souffrait de graves rhumatismes lombaires, qui l'empêchaient de se lever (violation de l'article 10).39 Dans Martinez Portorreal c.

République Dominicaine (1988), l'auteur était enfermé dans une cellule où s'entassaient environ 125 personnes alors qu'elle ne mesurait que 20 mètres sur 5, et où, faute de place, certains détenus devaient s'asseoir sur des excré- ments.40 Dans Birindwa et Tshisekedi c. Zaïre (1990), des opposants politiques étaient détenus dans des conditions sanitaires déplorables et sans nourriture ni boisson pendant quatre jours (traitement inhumain, violation de l'article 7).41 Dans Henry et Douglas c. Jamaïque (1996), le premier requérant fut détenu dans une cellule sans chauf- fage alors que les autorités pénitentiaires avaient été infor- mées qu'il était au stade terminal d'un cancer. Ceci et l'absence de soins médicaux constituent des violations des articles 7 et 10.42 Dans Espinoza de Po lay c. Pérou (1998), le

requérant était détenu dans une cellule de 2 mètres sur 2, sans lumière naturelle, pendant 23 heures par jour ; pendant une année, il a subi un isolement total.43 Dans Yasseen et Thomas c. Jamaïque (1998), c'est l'absence de lumière naturelle sauf pendant la promenade quotidienne d'une heure qui fut condamnée.44 Dans Deidrick c.

Jamaïque (1988), le requérant était enfermé dans sa cellule 23 heures par jour, sans matelas ni literie, sans éclairage ni installations sanitaires. Les services médicaux étaient insuf- fisants, la nourriture infecte. Il n'y avait aucune possibilité d'activité ou de loisirs.45 Dans Shaw c. Jamaïque (1998), le requérant était détenu dans une cellule surpeuplée Qusqu'à 21 personnes s'y entassaient), dans l'obscurité. Il dormait à même le sol humide. Il ne recevait pas de visites des membres de sa famille. 46

Plus récemment, une violation desdits articles a été constatée dans les conditions suivantes : détention dans une cellule sombre et humide, sans lumière naturelle et sans matelas pour dormir ;47 détention en isolement dans une cellule sombre de deux mètres carrés ;48 détention sans mesures hygiéniques, absence de médicaments, peu de nourriture et d'eau ;49 détention dans une cellule non ventilée, absence de matelas, de lumière et de soins médi- caux ;50 détention dans une cellule avec des aliénés mentaux, pleine d'odeurs produites par des tuyaux d'eau sale, absence de soins médicaux ;51 détention dans une petite cellule surpeuplée ;52 détention dans une cellule souterraine, infestée de rats et de blattes, sans lit ; absence de toilettes ; absence de soins médicaux ;53 détention dans une cellule sale, infestée de fourmis et d'autres insectes, conditions sanitaires déplorables, sortie de la cellule seule- ment pendant 15 minutes par jour ;54 détention dans une

31 Cf. F. SUDRE, dans : PEITITI 1 DECAUX 1 IMBERT, op.cit., note 16, pp. 159-161. FROWEIN 1 PEUKERT, op.cit., note 16, p. 42. HARRIS 1 O'BOYLE 1 WARBRICK, op.cit., note 16, pp. 56, 59 ss.

32 Cf. par exemple Soering c. Royaume-Uni, 1989, Série A no 161, § 100 = RUDH 1989, 99.

33 Cf. Tyrer, Série A n° 26, § 31 (note 20). Cf. également F.

SUD RE, op.cit., note 31, p. 160.

34 Cf. PEITITI 1 DECAUX 1 IMBERT, op.cit., note 16, pp. 169- 172.

35 Cf. D. J. HARRIS 1 S. LIVINGSTONE (éds.), The Inter- American System of Human Rights, Oxford, 1998, p. 226 ss.

36 Cf. NOWAK, op.cit., note 11, p. 183 ss.

37 W 25/1978, A/37/40, § 11.

38 W 49/1979, A/38/40, Annexe XI= RUDH 1989, 70.

39 W 139/1983, N40140, Annexe XI, §§ 1, 6 et iO.

40 W 188/1984, N43/40, Annexe VII, D, § 9.2.

41 N° 241 e 242/1987, A/45/40, Annexe IX, I.

42 N° 571/1994, A/51140, Annexe VIII, U.

43 W 577/1994, A/53/40, Annexe XI, F, §§ 8.6-8.7

44 W 676/1996, A/53/40, Annexe XI, R., § 7.6.

45 W 619/1995, A/53/40, Annexe SXI, L., § 9.3. Cf. aussi McLeod c. Jamaïque (1998), no 743/1997, ibid., X,§ 6.4.

46 No 704/1996, A/53/40, Annexe XI, S, §§ 7.1-7.2. Cf. aussi Magana c. Zaïre (1983), no 90/1981, A/38/40, Annexe XIX (viola- tion de l'article 10).

47 Thompson c. Saint Vincent et Grenadines (2000), no 806/1998,

§ 8.4.

48 Freemantle c. Jamaïque (2000), no 625/1995, § 7.3.

49 Robinson c. Jamaïque (2000), no 731/1996, § 10.1 ; Smith et Stewart c. Jamaïque (1999), no 668/1995, § 7.5.

50 Brown c. Jamaïque (1999), no 775/1997, § 6.13.

51 Bennett c. Jamaïque (1999), no 540/1994, § 10.8.

52 Henry c. Trinité-et-Tobago (1999), no 752/1997, § 7.4.

53 Phillip c. Trinité-et-Tobago (1998), no 594/1992, § 7.4.

54 Pennant c. Jamaïque (1998), n° 647/1995, § 8.4.

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RUDH 2003/page 258 -Doctrine- Kolb

cellule petite (6 x 9 pieds), absence de lumière, de matelas et de sanitaires ;55 détention dans une cellule obscure, sans lumière ni ventilation, infestée de rats et de blattes, absence de matelas ;56 détention dans une cellule obscure avec absence d'occupation ;57 détention dans une cellule surpeu- plée, absence de matelas ;58 détention dans une cellule sans ventilation, ni sanitaire ni literie. 59

Cette longue liste de descriptifs, un peu répétitive et rébarbative, révèle cependant que la jurisprudence s'est fixée sur une série de critères assez précis pour donner corps aux conditions de détention contraires à l'intégrité physique (article 7) ou à la dignité humaine (article 10). Il s'agit notamment (1) de l'exiguïté des cellules ; (2) du surpeuplement ; (3) des conditions de la cellule (eau, odeurs, insectes, rats, etc.) ; (4) des conditions de lumière dans la cellule ; (5) des possibilités de sortir de la cellule et de s'occuper; (6) des conditions sanitaires (propreté, salle de bains, etc.) ; (7) des soins médicaux disponibles ; (8) de la qualité des codétenus (aliénés mentaux, etc.) ; (9) de la situation du détenu (dépression, maladies, etc.) ; (10) de la nourriture et des boissons; (11) de la présence de matelas et de literie. Dans Mukong c. Cameroun (1994), le Comité a saisi l'occasion de résumer les exigences minima d'une détention conforme au Pacte :

« Le Comité doit déterminer, conformément au para- graphe 1 de l'article 3, s'il y a des motifs sérieux de croire que M. Mutombo risque d'être soumis à la torture. Le Comité doit pour ce faire tenir compte de toutes les considérations pertinentes, comme il est stipulé dans le paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes et massives. Le but de cet exercice est toutefois de déterminer si l'intéressé risque- rait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays dans lequel il serait renvoyé. Il s'ensuit que l'exis- tence, dans un pays, d'un ensemble de violations systé- matiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas un motif suffisant en soi pour affirmer qu'une personne risquerait d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l'intéressé serait personnellement en danger. De même l'absence d'un ensemble de violations systématiques et flagrantes des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans sa situation particulière ».60

Par opposition, on peut mentionner l'affaire Vuolanne c.

Finlande (1989), où le Comité n'a pas estimé que les articles 7 ou 10 avaient été violés. Un soldat qui avait quitté sa garnison sans permission fut emprisonné pendant 10 jours dans une cellule de 2 mètres sur 3, peu éclairée et peu meublée. Il était autorisé à en sortir pour aller aux toilettes, prendre des repas et prendre l'air pendant une demi-heure par jour.

Le Comité saisit l'occasion d'émettre quelques considé- rations générales. Le CDH commence par rappeler que« la détermination de ce qui constitue un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 7 dépend de toutes les circonstances, par exemple la durée et les modalités du trai- tement considéré, ses conséquences physiques ou mentales ainsi que le sexe, l'âge et l'état de santé de la victime». En particulier, il considère « qu'une peine n'est dégradante que si l'humiliation ou l'abaissement qui en résulte dépasse un certain seuil et, en tout état de cause, si elle comporte des éléments qui dépassent le simple fait d'être privé de liberté >>.61 En l'espèce, le Comité constate que le requérant n'a pas subi de graves souffrances, ni même d'humiliation particulière ou d'atteinte à sa dignité. Les contraintes subies n'atteignaient pas le seuil des articles 7 et 10.62 Si l'on

compare cette affaire aux précédentes, on constate aisé- ment la moindre gravité des conditions de détention en cause. La conclusion du Comité semble par conséquent justifiée.

b) Parmi les conditions de détention, deux problèmes particuliers peuvent être mentionnés. Le premier concerne la détention au secret, c'est-à-dire la détention en isolement complète du monde extérieur. Le Comité a ici régulière- ment conclu à une violation de l'article 10 du Pacte,63 dès qu'une détention au secret (ou incommunicado) atteint les 15 jours. Ont ainsi été condamnés, dans une série d'affaires uruguayennes, des détentions au secret pendant 15 jours,64 6 semaines,65 3 mois,66 4 mois,67 plus de 3 mois,68 «plusieurs >>

mois.69 La Cour européenne des droits de l'homme a eu à se pencher sur le problème en 1998, de l'affaire Kurt c.

Turquie. Le fils de la requérante fut arrêté et mis au secret ; aucune information sur son sort ne fut transmise. La Cour conclut à une violation de l'article 3 CEDH parce que la requérante avait été laissée dans l'angoisse sur le sort de son fils. Cette angoisse perdure depuis longtemps.7° La mise au secret fut tellement radicale que l'intéressé ne put exercer aucun recours. La Cour dut donc recourir à une construction indirecte, considérant l'angoisse d'un tiers en rapport avec la mise au secret.

La mise au secret est souvent liée à la disparition forcée.

La Commission interaméricaine des droits de l'homme s'est penchée sur ce problème dans l'affaireR. Morales Zegarra et autres c. Pérou (1999). Divers individus furent arrêtés par des membres de forces armées péruviennes ; ils disparurent de manière forcée et furent détenus en complet isolement.

La Commission s'exprime à cet égard comme suit:

« In this regard, the Court has stated that "prolonged isolation and deprivation of communication are in them- selves cruel and inhuman treatment, harmful to the psychological and moral integrity of the persan and a violation of the right of any detainee to respect for his inherent dignity as a human being. Such treatment, there- fore, violates Article 5 of the Convention, which recog- nizes the right to the integrity of the persan .... ". Accord-

55 Johnson c. Jamaïque (1998), no 653/1995, § 8.2. Cf. aussi Morgan et Williams c. Jamaïque (1998), no 720/1996, § 7.2; Levy c.

Jamaïque (1998), no 719/1996, § 7.4 ; Forbes c. Jamaïque (1998), n° 649/1995, § 7.5.

56 Campbell c. Jamaïque (1998), no 618/1995, § 7.2.

57 Finn. c. Jamaïque (1998), n°617/1995, § 9.3.

58 Whyte c. Jamaïque (1998), no 732/1997, § 9.3.

59 Daley c. Jamaïque (1998), no 750/1997, § 7.6.

60 No 458/1991, A/49/40, Annexe IV, AA, § 9.3.

61 W 265/1987, A/44/40, Annexe X, J, § 9.2.

62 Ibid.

63 Cf. NOWAK, op.cit., note 11, p. 187.

64 Gilboa c. Uruguay (1986), no 147/1983, AJ41/40, Annexe VIII, B.

65 Drescher Caldas c. Uruguay (1983), no 43/1979, A/38/40, Annexe XVIII.

66 Cubas Simones c. Uruguay (1982), no 70/1980, A/37/40, Annexe XVI.

67 Celiberti de Casariego c. Uruguay (1981), no 56/1979, A/36/40, Annexe XX.

68 Conteris c. Uruguay (1985), no 139/1983, A/40/40, Annexe XI.

69 Altesor c. Uruguay (1982), no 10/1977, AJ37/40, Annexe IX ; Romero c. Uruguay (1984), no 85/1981, A/39/40, Annexe IX. Cf.

plus récemment des cas de détention en isolement, par exempie Arredondo c. Pérou (2000), no 688/1996, §§ 3.1, 10.4; Freemantle c.

Jamaïque (2000), n° 625/1995, § 7.3.

70 Rec., 1998-III, no 74, p. 1152 ss., §§ 133-134. Voir aussi Villa- grân Morales e. a. (the Street Children Case), Cour interaméri- caine des droits de l'homme, Série C, no 63 (1999), §§ 174-177.

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Kolb -Jurisprudence internationale en matière de torture- RUDH 2003/page 259

ingly, the Commission, on the basis of the facts presented, is convinced, by way of presumptive evidence, that the detainees were tortured. The circumstances in which the victims were detained, kept hidden, isolated, and in solitary confinement, and their defenselessness as a result of being denied and prevented from exercising any form of protection or safeguards of their rights make it perfectly feasible for the armed forces to have tortured the victims with a view to extracting information about subversive groups or units. Accordingly, the Commission concludes that the Peruvian State violated the rights guaranteed to the victims under Article 5 of the Conven- tion. >>71

Deux choses peuvent être retenues : (1) la détention au secret est en soi un traitement cruel et inhumain ; (2) elle génère de surcroît une présomption de torture (renverse- ment de la charge de la preuve).

c) Un autre aspect qui a un poids propre concerne l'absence de traitement médical. Une chose est l'absence de médecins ou de soins en général ; elle entre en ligne de compte pour apprécier la licéité des conditions de déten- tion.72 Une autre chose est l'absence de traitements pour des détenus notoirement malades ou souffrants. Elle conduit eo ipso à un constat de violation. Ainsi, dans l'affaire Williams c. Jamaïque (1998), le requérant souffrait de troubles psychiques graves dans le quartier des condamnés à mort ; le traitement, longtemps absent, fut par la suite absolument inadéquat, d'où une violation conjointe des articles 7 et 10 § 1 du Pacte II.73 Dans Gallimore c.

Jamaïque (1999), le requérant ne fut pas traité médicale- ment après avoir été battu et blessé par des gardes.74

Pour ce qui est de la Cour européenne des droits de l'homme, on peut mentionner l'affaire Kudla c. Pologne (2000). Le requérant, notoirement dépressif, se plaint de ne pas avoir reçu un traitement psychiatrique adéquat pendant sa détention. La Cour estime que l'article 3 de la CEDH n'a pas été violé, parce qu'en général les conditions de détention étaient compatibles avec l'état de santé du requérant et que le seuil de gravité des « mauvais traite- ments » mentionnés audit article n'était pas atteint, le requérant ayant bénéficié d'un suivi médical. La Cour ajoute quelques considérations générales sur les conditions de détention requises dans de tels cas :

«Néanmoins, l'article 3 de la Convention impose à l'Etat de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévi- table de souffrance inhérent à la détention et qüe, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l'administration des soins médicaux requis (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Aerts c. Belgique du 30 juillet 1998, Recueil 1998-V, p. 1966, §§ 64 et suiv.) ».75

2. Les mauvais traitements aux détenus ou aux personnes arrêtées

a) Il s'agit ici du cas classique de personnes arrêtées ou détenues qui sont battues, maltraitées, ou encore insultées.

La jurisprudence la plus dense à ce point de vue est encore celle du Comité des droits de l'homme des Nations Unies.

Voici un florilège des affaires.

Dans Collins c. Jamaïque (1992) les gardiens de prison rouèrent le requérant de coups de matraque et de poings.

Le Comité applique la règle procédurale habituelle : faute de réponse (suffisante) de l'Etat partie, il retient les conclu- sions du requérant. Dès lors il y a eu violation des articles 7

et 10 du Pacte.76 Dans Téran Jijôn c. Equateur (1992), le requérant subit des mauvais traitements avec le but de lui extorquer des aveux. Il fut notamment maintenu enchaîné et les yeux bandés pendant 5 jours. Un rapport médical atteste des séquelles. Il y a eu violation de l'article 7 du Pacte.77 Dans Linton c. Jamaïque (1993), le requérant subit des simulacres d'exécution et le refus de soins pour des blessures subies lors d'une tentative d'évasion (violation des articles 7 et 10 du pacte).78 Dans Francis c. Jamai'que (1993), les faits étaient les suivants : coups, bousculades, menaces avec une baïonnette, renversement d'un seau d'urine sur la tête, etc. (violation des articles 7 et 10 du Pacte).79 Dans Rodriguez c. Uruguay (1994), le requérant fut notamment ligoté à une chaise, menottes aux poignets et capuchon sur la tête pendant des heures ; tenu debout nu, mains attachées, pendant qu'on lui jetait des seaux d'eau froide ; soumis à des décharges électriques sur les paupières, le nez et les parties génitales pendant qu'il était attaché sur un lit de métal sans matelas ; soumis à des décharges électriques dans les doigts ; soumis au traitement qui consistait à lui enrouler les doigts et le pénis d'un fil métallique dans lequel passait un courant électrique ; suspendu par les bras ; soumis au versement de seaux d'eau sale.8

°

Ces faits révèlent une violation de l'article 7 du Pacte.81 Le Comité ajoute que les lois d'amnistie pour de tels actes sont incompatibles avec les obligations issues du Pacte.82 Dans Bailey c. Jamaïque (1993) le requérant reçut de la part des gardiens de prison des coups de matraque, de tuyau en fer et de gourdin ; les soins médicaux pour les bles- sures causées lui furent refusés. Il y a eu traitement cruel et inhumain, contraire à l'article 7.83 Les faits sont similaires dans ZeZaya Blanco c. Nicaragua (1994) : coups répétés et violents, simulacre d'exécution, suspension au plafond à l'aide d'une chaîne, les mains menottées. Il y a eu violation de l'article 7 du Pacte.84 On peut noter que ces faits remon- tent à l'époque du gouvernement sandiniste. Dans Kantana Tshiongo a Minanga c. Zaïre (1994), le requérant fut attaché au sol en ciment de sa cellule pendant 4 heures ; il fut violemment frappé avec des barres en métal dont les extrémités avaient été entourées de fil de fer barbelé ; il reçut des décharges électriques sur les organes génitaux.

Des preuves photographiques ont été fournies au Comité.

Il y a eu violation des articles 7 et 10 du Pacte.85 Dans Essono Mika Miha c. Guinée équatoriale (1994), le requé- rant fut privé d'eau et de nourriture pendant plusieurs jours et privé de soins médicaux (violation des articles 7 et 10 du

71 No 10.827 et 11.984, Rapport 57/99 du 13 avril1999, OEA/Ser.

LNIII.95, Doc. 7 rev, p. 1013, §§ 71-72. Cf. aussi Vehisquez Rodri- guez c. Honduras (1988), arrêt de la Cour, Série C, no 4, § 156 = RUDH 1992, 146 ; Godînez Cruz c. Honduras (1989), arrêt de la Cour, Série C, no 5, § 164.

72 Voir supra, a), p. 257.

73 N° 609/1995, N53!40, Annexe XI, I, § 6.5.

74 No 680/1996, § 7.1. Cf. aussi infra, 2.a., texte et note 83.

75 Arrêt du 26 octobre 2000, § 94 = RUDH 2000, 269.

76 W 240/1987, A/47/40, Annexe IX, C., §§ 8.6-8.7.

77 W 277/1988, A/47/40, Annexe IX, I, § 5.2.

78 N° 255/1987, N48140, Annexe XII, B.

79 W 320/1988, A/48/40, Annexe XII, K, § 12.4.

80 W 322/1988, A/48/40, Annexe IX, B, § 2.1.

81 Ibid., § 12.1

82 Ibid., § 12.4, extrait infra, p. 277.

83 N° 334/1988, A/48/40, Annexe XII, M, § 9.3. Cf. aussi Thomas c. Jamaïque (1994), no 321/1988, A/49/40, Annexe IX, A,§ 9.2.

84 W 328/1988, N49!40, Annexe IX, C., §§ 6.5, 10.5.

85 N° 366/1989, N49/40, Annexe IX, J., § 5.3.

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Pacte).86 Dans Mukong c. Cameroun (1994), le requérant fut détenu au secret, privé de nourriture, enfermé nu dans une cellule, sans possibilité de promenade pendant plusieurs jours et menacé de tortures et de mort. Selon le Comité, il y a eu traitement cruel, inhumain et dégradant, d'où la violation de l'article 7 du Pacte.87 Dans Leslie c.

Jamaïque (1998), le requérant reçut des coups de matraque sur le genou ; il fut menacé avec des couteaux ; un doigt lui fut enfoncé dans l'œil; il reçut des coups de pied alors qu'il était étendu par terre, etc. (violation des articles 7 et 10 du Pacte).88

Cette jurisprudence est assez parlante en soi et il ne semble pas nécessaire d'y ajouter quoi que ce soit : res ipsa loquitur. Ce qui mérite d'être précisé, c'est le standard que le Comité va adopter pour contrôler les constats du juge interne. Le Comité souligne qu'il n'exerce pas l'autorité d'un contrôle plein et entier des faits, comme le ferait une instance d'appel. Sa cognition est limitée à l'arbitraire manifeste ou au déni de justice :

« Il n'appartient pas au Comité de mettre en question l'appréciation des preuves faite par les tribunaux des Etats parties, à moins qu'elle n'ait été manifestement arbitraire ou n'ait représenté un déni de justice ».89 En l'espèce le requérant avait présenté ses allégations de mauvais traitements par la police au juge interne qui, après les avoir examinées avec soin, les avait rejetées. Dès lors, le Comité est lié par son constat des faits.

On peut ajouter que la signification juridique du terme

« arbitraire »est celle d'une décision ou d'actes manifeste- ment injustifiés au regard des faits, ou, par extension, d'une décision ou d'un acte qui ne peut être fondé sur aucun critère légal ou raisonnable.90 II s'agit d'actes dépourvus de tout fondement. L'adverbe « manifestement » ne souligne que davantage encore la réticence du Comité à s'immiscer dans les constats de fait opérés souverainement par le juge interne, tant que les exigences de la justice ont apparem- ment été respectées. Quant au terme « déni de justice >>, il couvre trois aspects: le refus d'accès aux tribunaux (soit en général, soit sur une plainte particulière) ; les irrégularités procédurales graves ; les décisions manifestement injustes quant au fond.91 La cognition du Comité s'étend donc à ces trois aspects, classiquement propres au pouvoir de contrôle d'organes internationaux.

b) La Cour européenne des droits de l'homme a égale- ment cristallisé une jurisprudence sur la question. L'arrêt rendu en l'affaire Tomasi c. France (1992)92 constitue un tournant dans cette jurisprudence. En premier lieu, c'est la première fois que la Cour a qualifié des coups et autres brutalités contre un individu en garde à vue- soupçonné de trafic de stupéfiants- de traitement inhumain et dégradant.

En second lieu, le standard de la preuve a été assoupli : si auparavant la Commission exigeait une preuve des mauvais traitements « au-delà de tout doute raisonnable >>,93la Cour renverse la charge de la preuve, établissant une présomp- tion de mauvais traitements lorsque les séquelles visibles de la victime, auparavant en bonne santé, ne sont pas expli- quées par l'Etat défendeur à la satisfaction de la Cour.94 L'affaire Ribitsch c. Autriche (1995) confirme cette orienta- tion. Il s'agissait toujours de mauvais traitements infligés à une personne pendant la garde à vue policière (coups et insultes). La Cour souligne la vulnérabilité particulière de l'individu détenu par la police. Dès lors, une interprétation large de la portée de l'article 3 s'impose :

« Prenant en compte la vulnérabilité particulière du requérant, illégalement détenu en garde à vue, la Commission est convaincue que ce dernier a été soumis à des violences physiques qui constituaient un traitement inhumain et dégradant. ( ... ) La Cour souligne qu'à

l'égard d'une personne privée de sa liberté, tout usage de la force physique qui n'est pas rendu strictement néces- saire par le propre comportement de ladite personne porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en prin- cipe, une violation du droit garanti par l'article 3. Elle rappelle que les nécessités de l'enquête et les indéniables difficultés de la lutte contre la criminalité ne sauraient conduire à limiter la protection due à l'intégrité physique de la personne (voir l'arrêt Tomasi c. France du 27 août 1992, série A no 241-A, p. 42, par. 115) >>.95

L'affaire Assenov et autres c. Bulgarie (1998) est simi- laire. Selon la Cour, le grief de mauvais traitements pendant la garde à vue policière n'a pas été établi. L'article 3 a cependant été violé par l'absence d'une enquête effec- tive et approfondie sur les allégations de mauvais traite- ments faites par les requérants.96

Dans certains cas, les sévices infligés durant la garde à vue peuvent s'analyser en actes de torture. Le premier arrêt à franchir ce seuil dans les années 90 est rendu dans l'affaire Aksoy c. Turquie (1996). En l'espèce, le requérant avait été soumis entre autres à la pendaison palestinienne : on lui avait ôté tous ses vêtements, on lui avait lié les mains dans le dos, puis on l'avait suspendu par les bras. Selon la Cour, la torture se distingue du traitement inhumain ou dégra- dant à raison de la cruauté et de la gravité des souffrances endurées. La pendaison palestinienne constitue un acte de torture:

« La Cour rappelle que la Commission a constaté, entre autres, que le requérant avait été soumis à la "pendaison palestinienne", ce qui signifie qu'on lui avait ôté tous ses vêtements et lié les mains dans le dos, puis qu'on l'avait suspendu par les bras( ... ). D'après la Cour, ce traitement ne peut avoir été infligé que délibérément ; en effet, sa réalisation exigeait une dose de préparation et d'entraî- nement. Il apparaît avoir été administré dans le but d'obtenir du requérant des aveux ou des informations.

Hormis les graves souffrances qu'il doit avoir causées à l'intéressé à l'époque, les preuves médicales montrent qu'il conduisit à une paralysie des deux bras qui mit un

86 W 414/1990, A/49/40, Annexe IX, 0, § 6.4.

87 No 458/1991, A/49/40, Annexe IX, AA, § 9.4.

88 N° 564/1993, A/53/40, Annexe XI, D, § 9.2. Voir aussi McTag- gart c. Jamaïque (1998), n°749/1997, A/53/40, Annexe XI, Y.

89 Garda Fuenzalida c. Equateur (1996), no 480/1991, A/51140, Annexe VIII, H, § 9.3.

9

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Cf. J.P. MÜLLER, Grundrechte in der Schweiz, 3e éd., Berne, 1999, p. 467 ss. R. KOLB, La bonne foi en droit international public, Païis, 2000, p. 468. J. SALMON (éd.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, 2001, p. 78.

91 Cf. J. SALMON (éd.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, 2001, pp. 320-321.

92 Tomasi c. France, arrêt du 27 août 1992, Série A no 241-A = RUDH 1993, 15.

93 Requête 11° 4220/69, Xc. Royaume-Uni (1971), Annuaire de la Convention européenne des droits de l'homme, vol. 14, p. 251.

94 Affaire Ribitsch c. Autriche (1995), Série A no 336, § 34 = RUDH 1996, 67 : << Il n'est pas contesté que les blessures de M.

Ribitsch sont survenues au cours de sa garde à vue, d'ailleurs illé- gale, alors qu'il se trouvait entièrement sous le contrôle de fonc- tionnaires de police. L'acquittement de l'inspecteur de police Mark! au pénal par un tribunal lié par la présomption d'innocence ne dégage pas l'Etat autrichien de sa responsabilité au regard de la Convention. Il appartenait donc au Gouvernement de fournir une explication plausible sur l'origine des blessures du requérant>>.

95 Idem, §§ 36, 38.

96 Rec., 1998-VIII, pp. 3264 ss., 3287-3291 = RUDH 1998, 293.

Voir aussi Labita c. Italie (arrêt du 6 avril 2000), § 131 = RUDH 2000, 224, Caloc c. France (arrêt du 20 juillet 2000), § 87 ss.

(9)

Kolb -Jurisprudence internationale en matière de torture- RUDH 2003/page 261

certain temps avant de disparaître ( ... ). La Cour estime que ce traitement était d'une nature tellement grave et cruelle que l'on ne peut le qualifier que de torture ».97 Dans Selmouni c. France (1999), un individu en garde à vue fut maltraité par des coups, notamment au visage, et par des insultes.98 Les lésions corporelles furent constatées par le médecin légiste. La Cour précise tout de suite que la charge de la preuve incombe à l'Etat, suivant en cela la jurisprudence établie :

« 87. La Cour considère que lorsqu'un individu est placé en garde à vue alors qu'il se trouve en bonne santé et que l'on constate qu'il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l'Etat de fournir une explication plausible pour l'origine des blessures, à défaut de quoi l'article 3 de la Convention trouve manifestement à s'appliquer (arrêts Tomasi c. France du 27 août 1992, série A no 241- A, pp. 40-41, §§ 108-111, et Ribitsch c. Autriche du 4 décembre 1995, série A no 336, pp. 25-26, § 34). Par ailleurs, la Cour rappelle également que la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. Selmouni vise les policiers mis en cause ( .. ) et que la question de la culpabilité de ces derniers relève de la seule compétence des juridictions, notamment pénales, françaises. Quelle que soit l'issue de la procédure engagée au plan interne, un constat de culpabilité ou non des policiers ne saurait dégager l'Etat défendeur de sa responsabilité au regard de la Convention (arrêt Ribitsch précité) : il lui appar- tient donc de fournir une explication plausible sur l'origine des blessures de M. Selmouni ».

Appliquant ce critère à l'espèce, les allégations du requé- rant paraissent prouvées au-delà de tout doute raison- nable.99 Ensuite, dans une analyse très serrée, la Cour conclut que les actes en question franchissent le seuil de gravité de la torture.100

Cette jurisprudence se recommande, à condition de ne pas baisser excessivement le seuil du traitement inhumain et dégradant- sous l'étoile polaire de la vulnérabilité particu- lière de l'individu gardé à vue -, par exemple pour couvrir une simple gifle, ou une pression psychologique mesurée.

3. Les mauvais traitements en général

a) Par définition, les mauvais traitements sont toujours infligés à des personnes placées sous le pouvoir des auteurs de ces actes, et en ce sens à des personnes << détenues ».

Cependant, il est une série de cas où il ne s'agit pas de détention carcérale régulière, ni de garde à vue formelle, mais de personnes arrêtées en vertu de législations spéciales, gardées par des militaires, enlevées ou simple- ment soumises à l'autorité d'un supérieur. Ce sont ces cas qui nous intéressent ici, étant entendu que les limites par rapport à la détention formelle (supra, § 2, p. 259) ne sont pas toujours nettes. L'accent ne sera ici pas mis sur la situa- tion du détenu, mais sur les actes infligés et sur leur qualifi- cation.

b) Comme pour tous les organes (quasi) judiciaires de droits de l'homme, la jurisprudence du Comité des droits de l'homme des Nations Unies est bien fournie en sévices infligés à des personnes arrêtées en vertu d'une législation d'urgence. Les affaires uruguayennes sont à cet égard parlantes : (1) décharges électriques, en particulier sur les parties génitales ;101 (2) supplice du submarino :la tête de la victime est plongée dans de l'eau souillée de sang, d'urine et de vomissements ;102 (3) supplice du planton : obligation de rester debout pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours ;103 (4) coups violents ;104 (5) privation de nourriture et/ou de vêtements ;105 (6) introduction d'une bouteille ou d'un canon de fusil dans l'anus ;106 (7) simulacres d'exécu- tion ;107 (8) brûlures ;108 (9) suspension par les poignets pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours,109 etc. Ces

affaires, qui auraient pu être mentionnées aussi au para- graphe 2., peuvent être jointes à la jurisprudence du Comité susmentionnée.

c) Le Comité contre la torture de l'ONU établi par la Convention contre la torture de 1984n'a commencé à fonc- tionner que dans les années 90 (en 1991). Jusqu'au 20 février 2002, 200 communications individuelles ont été enregistrées. Ces communications, traitées analogiquement à la pratique du Comité des droits de l'homme, concernent presque toutes des cas d'expulsion ou d'extradition d'un individu vers un Etat où il risque d'être soumis à la torture ou aux mauvais traitements.l1° Dans cette chaîne ininter- rompue et un peu monotone, une affaire fait exception.

Dans M'Barek c. Tunisie (1999), un individu arrêté par la police aurait été suspendu par les bras liés entre deux chaises le long d'une tige métallique dans la position appelée « poulet rôti >>. Il aurait été frappé à plusieurs reprises. L'individu en question, M. Baraket, décéda.

L'autopsie confirma la version de la torture. Quant aux autorités étatiques, elles s'en tinrent à la version d'un acci- dent de circulation routière. Les requérants - membres de la famille du défunt - firent valoir une violation des articles 11 à 14 de la Convention de 1984 parce que les autorités auraient cherché à cacher la vérité et auraient évité d'entre- prendre une enquête effective, susceptible de tirer au clair les faits. Dès lors, la décision du Comité se déplace du fond (les sévices) vers la question de l'enquête. L'Etat partie n'a pas rempli son obligation en vertu de l'article 12 de la Convention d'ordonner « immédiatement >> une enquête impartiale. En effet, plus de 10 mois se sont écoulés entre les accusations portées par les organisations non gouverne- mentales et l'ouverture de l'enquête (et plus de 2 mois entre un rapport officiel et cette même ouverture de l'enquête).l11 De plus, l'enquête n'a pas rempli les condi- tions posées par les articles 12 et 13 de la Convention. En particulier, le magistrat n'a pas consulté les registres des centres de détention ; il n'a pas tenté d'identifier les agents incriminés, de les entendre ou de les confronter aux témoins ou aux requérants; il n'a pas exhumé le cadavre, ce qui pouvait paraître judicieux en l'espèce. Ainsi, le magis-

97 Rec., 1996-VI, p. 2260 ss., § 64 = RUDH 1996, 301.

98 Arrêt du 28 juillet 1999, CEDH 1999-V = RUDH 1999, 140.

Quant aux faits, cf. le § 82.

99 L'ancien standard relatif à l'absence de tout doute raisonnable soutient donc désormais la présomption générale de causalité.

100 Ibid., §§ 99-105, extraits infra p. 281.

101 Grille Motta c. Uruguay, R.2/11, A/35/40, Annexe X. Muteba c. Zaïre, no 124/1982, A/39/40, Annexe XIII. Arzuaga Gilboa c.

Uruguay, no 147/1983, A/41/40, Annexe VIII, B.

102 Torres Ramirez c. Uruguay, R.l/4, A/35/40, Annexe VIII.

Grille Motta c. Uruguay, précité note 101. Affaire Conteris c.

Uruguay, no 139/1983, A/40/40, Annexe Xl.

103 Torres Ramirez c. Uruguay, précité note 102. Grille Motta c.

Uruguay, précité note 101. Sendic Antonaccio c. Uruguay, R.14/63, A/37/40, Annexe VIII.

104 Torres Ramirez c. Uruguay, précité note 102. Muteba c.

Zaïre, précité note 101. Arzuaga Gilboa c. Uruguay, précité note 101; B. Collins c. Jamaïque, no 240/1987, A/47/40, Annexe IX, C.

105 Torres Ramirez c. Uruguay, précité note 102. I. Sendic Anto- naccio c. Uruguay, précité note 103.

106 Grille Motta c. Uruguay, précité note 101.

107 Muteba c. Zaïre, précité note 101.

108 Conteris c. Uruguay, précité note 102.

109 Torres Ramirez c. Uruguay, précité note 102. Conteris c.

Uruguay, précité note 102. Arzuaga Gilboa c. Uruguay, précité note 101.

110 Voir infra, III. B. 3., p. 266.

Ill

w

60/1996, CAT/C/23/D/60/1996, §§ 11.5-11.7.

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