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Organisation mondiale du commerce et environnement: quelles solutions?

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Organisation mondiale du commerce et environnement: quelles solutions?

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, MBENGUE, Makane Moïse

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, MBENGUE, Makane Moïse. Organisation mondiale du commerce et environnement: quelles solutions? In: D. Bourg & A. Papaux. Vers une société sobre et désirable. PUF, 2010. p. 198-242

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42618

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Organisation mondiale du commerce et environnement: quelles solutions?

Par Laurence Boisson de Chazournes et Makane Moïse Mbengue

Derrière tout ensemble de normes juridiques, il y a des valeurs ou des considérations qui concourent à donner à la règle de droit une teneur et une portée particulières. Le système des accords environnemen- ta'ux et celui des Accords de I'OMC (Organisation mondiale du commerce) ne sont pas en reste et sont conditionnés par leurs objectifs respectifs. Néan- moins, ces deux corps de normes appellent à la mise en place d'une balance entre intérêts certes distincts mais conciliables. De ce fait, les relations entre consi- dérations environnementales et Accords de I'OMC sont caractérisées par une dialectique ouverte, c'est- à-dire que tant des points d'achoppement ou de contradiction que des points de similitude ou de cohérence gouvernent ces relations lorsque des mesures commerciales appliquées à des fins de pro- tection de l'environnement sont en cause (1).

La Décision sur le commerce et l'environnement 1 adoptée à l'occasion de la signature de l'Acte final reprenant les résultats des Négociations commerciales multilatérales du Cycle d'Uruguay (1994) sert de

1. Décision sur le commerce et l'environnement, Marrakech, 15 avril 1994, texte disponible sur www.wto.org.

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0 R G A N 1 S A T 1 0 N M 0 N D 1 A L E D U C 0 M M E R C E r 99

réceptacle à ladite dialectique. Les ministres représen- tant les États ayant participé aux négociations ont, en effet, reconnu,

«qu'il ne devrait pas y avoir, et qu'il n'y a pas nécessairement,

de contradiction au plan des politiques entre la préseNation et la sauvegarde d'un système commercial multilatéral ouvert, non discrimi- natoire et équitable d'une part et les actions visant à protéger If environnement et

à

promouvoir le dévelop- pement durable d'autre part» 1. Si une telle affirma- tion reflète l'existence d'une sorte de consensus sur la nécessité de promouvoir la cohérence entre commerce et environnement, certains obstacles persistent dans l'intégration des considérations environnementales à

I'OMC (Il). .

Des solutions sont-elles envisageables pour per- mettre une prise en compte plus effective des considé- rations environnementales à I'OMC 7 Il ne faut pas oublier de mentionner que la Décision précitée sur le commerce et l'environnement envisageait que la coor- dination des politiques dans le domaine du commerce et de l'environnement ne pourrait pas «dépasser

le cadre du système commercial multilatéral,

qui est limité aux politiques commerciales et aux aspects des politiques environnementales qui touchent au commerce et qui peuvent avoir des effets notables sur les échanges de ses membres» 2. Cette approche, bien que légitime, n'est pas

à

même de favoriser pleine- ment la préseNation de l'environnement

à

I'OMC, car elle induit subtilement une primauté du commerce sur l'environnement. La solution devrait être celle de pro-

1. Idem.

2. Idem.

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200 B 0 1 S S 0 N D E C HA Z 0 U R N E S ET M B E N G U E

mouvoir un soutien mutuel (mutual supportiveness) entre considérations environnementales et Accords de I'OMC (Ill), c'est-à-dire une prise en compte pleine et entière par les Accords de I'OMC des considérations environnementales, et vice versa.

La dialectique juridique du commerce et de l'environnement: une dialectique ouverte

La dialectique juridique du commerce et de l'envi- ronnement est une dialectique ouverte. Elle est axée sur des convergences et des divergencès et met en avant différents types de relations. Trois d'entre elles présentent une pertinence particulière pour tenter de saisir les contours, limites et portées respectifs de l'éthique environnementale 1 et ceux du régime du commerce international. La première relation concerne la fin et les moyens présidant à chacun de ces deux pans. La deuxième, la perspective et les pro- cessus sur lesquels se fondent l'éthique environne- mentale et le régime du commerce international.

Enfin/ la troisième relation couvre la dynamique entre le postulat et les principes qui gouvernent respective- ment l'éthique environnementale et le régime du commerce international.

1. Sur l'éthique environnementale, voir L. Boisson de Chazournes,

«Éthique environnementale et droit international», in Nerina Boschiero (a cura di), Ordine lnternanzionale e Va!ori Etici, Societa ltaliana di Diritto, Vil Conveçjno, Vérone, 2003, Naples, Editoriale Scientifica, 2004, p. 269-294.

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ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 20r

La fin et les moyens ...

L'éthique environnementale et le régime du commerce international se rejoignent et s'entrecroisent sur la

fin

mais pas sur les

moyens.

Qu'on le veuille ou non, la fin visant à préserver les ressources naturelles mondiales est inhérente tant aux considérations envi- ronnementales qu'aux considérations commerciales.

Sans une gestion durable des ressources naturelles, le commerce international n'est pas viable, ce dernier dépendant en grande partie de biens produits grâce aux ressources naturelles. Là où commerce et environne- ment divergent, c'est sur les moyens devant permettre de parvenir aux fins. La logique environneme0tale légi- time l'adoption des mesures commerciales

plus ou moins

restrictives pour protéger les ressources animales, végétales et les autres ressources naturelles. L'approche généralement préconisée est celle d'une interdiction d'importation

(import ban) 1,

voire d'une interdiction totale ou partielle d'exportation

2

des biens et services préjudiciables à l'environnement.

La logique commerciale s:articule autour de l'élimi- nation des barrières tarifaires et non tarifaires (obs-

1. Voir par exemple «Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone», 16 septembre 1987, article 4.1, texte disponible in L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné, M. M. Mbengue et C. Romano, Protection internationale de l'envi- ronnement, Paris, Pedone, 2005, p. 380.

2. Voir, par exemple, ibid., article 48.1 : «Chacune des Parties met en place et en œuvre, le 1er janvier 2000 au plus tard ou dans un délai de trois mois à compter de la date d'entrée en vigueur du présent article en ce qui la concerne, la date la plus éloignée étant retenue, un système d'autorisation des importations et des exportations de

substances réglementées [ ... ]. »

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202 B 0 1 S S 0 N D E C H A Z 0 U R N E S E T M B E N G U E

tacles techniques) au commerce. Aussi, l'idée insufflée par cette logique consiste-t-elle

à

exiger des États qu'ils adoptent non pas les mesures les plus strictes mais les mesures les

moins

restrictives pour le commerce international afin de parvenir au but de conservation des ressources naturelles 1. La prohibition totale d'importation de même que les restrictions quantitatives aux exportations de biens et services ne sont pas les scénarios prisés par le droit du commerce international.

Cependant, la logique environnementale et celle du commerce international peuvent s'entrecroiser sur les moyens. Un État membre de I'OMC jouit d'un droit souverain de déterminer le niveau approprié de· pro- tection sanitaire et environnementale dans les limites de sa juridiction nationale. Aussi, ledit État est en mesure d'imposer dans certains cas une prohibition totale d'importation de biens nuisibles à l'environne-

ment si la prohibition en question est le seul moyen de parvenir au niveau de protection environnementale prédéterminé2.

1. Par exemple, dans le cadre du test de nécessité en vertu de certains sous-paragraphes de l'article XX du Gatt (Accord général sur le commerce et les tarifs douaniers), l'Organe d'appel a affirmé qu'« une mesure qui a une incidence relativement faible sur les produits importés pourra plus facilement être considérée comme

"nécessaire" qu'une mesure qui a des effets restrictifs profonds ou plus larges». Voir «Corée. Mesures affectant les importations de viande de bœuf fraîche, réfrigérée et congelée», rapport de l'Organe d'appel, 11 décembre 2000, WT/05161/AB/R, WT/DS 169/

AB/R, § 163.

2. Voir, par analogie, «Communautés européennes. Mesures affectant l'amiante et les produits en contenant», rapport de l'Organe d'appel, 12 mars 2001, WT/DS 135/AB/R, § 174. L'Organe d'appel

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0 R GA N 1 SA T 1 0 N M 0 N D 1 A LE D U C 0 MM E R C E 203

La

perspective et les processus ...

L'éthiqùe environnementale et le régime du commerce international peuvent être axés sur une

perspective

similaire tout en s'appuyant sur des

pro- cessus

différents. La perspective en question est celle de la préservation de la vie et de la santé. Autant dans le champ des accords environnementaux que dans celui des accords régissant le commerce international, la préservation de l'environnement et la préservation de la santé se profilent comme des «valeurs impor- tantes et vitales au plus haut point» 1 qu'il est fonda- mental pour tout «gouvernement responsable et représentatif» 2 de sauvegarder.

reconnaît la légalité du Décret français visant la prohibition totale d'importations de produits contenant de l'amiante, arguant qu'« on ne pouvait pas raisonnablement s'attendre à ce que la France emploie une autre mesure·que//e qu'elle soit, si cette mesure suppo- sait la continuation du risque même que le Décret cherchait à

"arrêter". Une telle mesure empêcherait, en fait, la France d'atteindre le niveau voulu de protection de la santé».

1. Voir, par exemple, ibid., § 172. Voir également l'avertissement lancé par l'Organe d'appel dans «Brésil. Mesures visant l'importation de pneumatiques rechapés», rapport de l'Organe d'appel, 3 décembre 2007, WT/DS337/AB/R, § 150 : «lorsqu'une mesure a sur le commerce international des effets restrictifs aussi graves que ceux qui résultent d'une interdiction d'importer, il apparaît, selon nous, qu'il serait difficile pour un groupe spécial de constater que cette mesure est nécessaire, à moins qu'il ne soit convaincu qu'elle est à même d'apporter une contribution importante à la réalisation de son objectif. Ainsi, nous contestons l'affirmation du Brésil selon laquelle, du fait qu'elle vise à réduire l'exposition aux risques dans toute la mesure du possible, une interdiction d'importer qui apporte une contribution marginale ou insignifiante peut néanmoins être consi- dérée nécessaire».

2. Expression tirée du rapport de l'Organe d'appel rendu dans l'affaire

«Mesures communautaires concernant les viandes et les produits

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204 B 0 1 S S 0 N D E C H A Z 0 U RN E S ET M B E N G U E

Cependant, les processus - c'est-à-dire les dyna- miques de protection propres

à

chaque accord - sur lesquels reposent les accords environnementaux et les accords de I'OMC sont distincts. Dans le cadre des accords environnementaux, l'environnement est pro- tégé en tant que tel, abstraction faite de son caractère utilitaire pour l'activité humaine. Au sein du régime des accords de I'OMC, une perspective utilitariste est mise en avant. Ce n'est pas l'environnement perse qui fait l'objet de protection

à

travers les règles mais plutôt la «vie et la santé des personnes, animaux et végétaux» 1. Les animaux et les végétaux sont une composante essentielle de l'environnement mais n'en constituent pas les seuls éléments. Quand les res- sources naturelles sont visées par un accord de I'OMC, en l'occurrence le Gatt de 1994, celui-ci se limite

à

évoquer les «ressources naturelles épuisables» 2. Là encore, on perçoit la dynamique utilitariste de la pro- tection. Il faut protéger les ressources naturelles

«épuisables» car elles sont indispensables à la conti- nuité de l'activité économique. Il convient de remar- quer que ces formules remontent au Gatt de 1947 et que leur sens a pu évoluer. Elles ont néanmoins été maintenues dans le Gatt de 1994 et importées pour

carnés (hormones)», 16 janvier 1998, WT!pS26/AB/R, WT/DS48/AB/

R, § 194.

1. Voir, par exemple, l'article XX b) du Gatt et l'article XIV de I'AGCS (Accord général sur le commerce des se1vices). Le texte de l'article XX du Gatt est disponible in L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné, M. M. Mbengue etC. Romano, Protection internatio- nale de l'environnement, op. cit., p. 591.

2. Voir l'article XX g) du Gatt.

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0 R GA N 1 SA T 1 0 N M 0 N D 1 A LE D U C 0 M M E R C E 205

certaines, par exemple, dans I'AGCS (Accord général sur le commerce des services).

Il y a, néanmoins, une sorte de· progrès génération- ne! dans le système des Accords de I'OMC. Le terme environnement apparaît dans le Préambule de l'Accord instituant I'OMC de 1994, accord· qui cha- peaute tous les autres Accords et qui «éclaire, ordonne et nuance les droits et obligations » 1 conte- nus dans les divers Accords de I'OMC. Le Préambule insiste sur l'objectif de «protéger et préserver l'envi- ronnement» 2. En outre, il fait explicitement réfé- rence au principe ou concept du développement durable. Des relents de la dynamique utilitariste se ressentent tout de même, le Préambule faisant men- tion de l'utilisation «optimale » des ressources mon- diales «conformément

à

l'objectif de développement durable». La logique environnementale du début des années 1990 suite

à

la Conférence de Rio sur l'envi- ronnement et le développement (1992) a influencé la négociation du contenu normatif de certains des Accords issus du Cycle d'Uruguay, sans en affecter toutes les caractéristiques utilitaristes.

L'Accord instituant I'OMC n'est pas le seul marqué par l'empreinte du progrès génération ne!. L'Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), dans

1. « États-Unis. Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes», rapport de l'Organe d'appel, 12 octobre 1998, § 153.

2. Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Marrakech, 15 avril 1994, Préambule. Le texte du Préambule de cet Accord est disponible in L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné, M. M. Mbengue et C. Romano, Protection internationale de l'envi- ronnement, op. cit., p. 590.

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206 B 0 1 S S 0 N D E C H A Z 0 U R N E S E T M B E N G U E

son Préambule, dit que «rien ne saurait empêcher un pays de prendre les mesures nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux,

à

la préservation des végétaux,

à

la protection de l'envi- ronnement» 1. L'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) revisite le langage du Gatt de 1947. Il ne vise pas la «santé et la vie» des végétaux mais «la préservation des végétaux» 2. Enfin, il est intéressant de mentionner l'exemple de I'Adpic (Accord sur les aspects des droits de propriété intellec- tuelle qui touchent au commerce) qui prévoit que les États membres de I'OMC «pourront exclure de la bre- vetabilité les inventions dont il est nécessaire d'empê- cher l'exploitation commerciale sur leur territoire ['. .. ] pour éviter de graves atteintes

à

l'environnement» 3.

Il semble donc en définitive que le processus sur lequel s'appuie le régime du commerce international en termes de protection de l'environnement n'est pas totalement antinomique de celui mis en place par les accords environnementaux. Par ailleurs, du fait que les Accords de I'OMC constituent un engagement unique4, une interprétation « harmo-

1. Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), Marrakech, 15 avril 1994, Préambule. Le texte du Préambule de cet Accord est disponible ibid., p. 597.

2. Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), Marrakech, 15 avril 1994, Préambule. Le texte du Préambule de cet Accord est disponible in L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné, M. M. Mbengue et C. Romano, Protection internationale de l'envi- ronnement, op. cit., p. 591.

3. Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (AD PIC), Marrakech, 15 avril1994, article 27,

§ 2. Le texte est disponible sur www.wto.org.

4. Voir, par exemple, «Argentine. Mesures affectant les importations

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0 R GA N 1 SA T 1 0 N M 0 N D 1 A LE D U C 0 MM E R C E 207

nieuse »

1

des différents accords est de règle. La réfé- rence à l'environnement dans d'autres accords implique l'intégration de ce concept même au sein des Accords qui ne couvrent

expressis verbis

que «la vie et la santé des personnes, animaux et végétaux».

Ainsi, le système climatique, en dépit du fait qu'il n'est pas visé par la lettre de l'article XX (b) du Gatt de 1994, peut être protégé

de facto

par cette dispo- sition2.

Le postulat d'action et les principes ...

L'éthique environnementale et le régime du commerce international reposent sur un

postulat

commun d'action mais sont régis par des

principes

dif- férents. Ledit postulat est celui de l'inefficacité, voire de l'illégitimité de l'unilatéralisme en matière de pro- tection de l'environnement global et pour résoudre

«les grands problèmes écologiques au-delà de la juri- diction du pays importateur». Autant le droit interna- tional de l'environnement que le droit de I'OMC encouragent les Ëtats à négocier des cadres juridiques multilatéraux aux fins de la protection de l'environne- ment. Par exemple, le Principe 12 de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement dispose que «toute action unilatérale visant

à

résoudre les

de chaussures, textiles, vêtements et autres articles », rapport de l'Organe d'appel, 27 mars 1998, WT/DS56/AB/R, § 81.

1. Sur la nécessité d'une interprétation harmonieuse, voir par exemple

«États-Unis. Subventions concernant le coton Upland », rapport de l'Organe d'appel, 3 mars 2005, WT/DS267/AB/R, § 549.

2. Voir, par exemple, «Brésil. Mesures visant l'importation de pneuma- tiques rechapés», op. cit., § 151.

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208 B 0 1 S S 0 N D E C H A Z 0 U R N E S E T M B E N G U E

grands problèmes écologiques au-delà de la juridiction du pays importateur devrait être évitée. Les mesures de lutte contre les problèmes écologiques transfron- tières ou mondiaux devraient, autant que possible, être fondées sur un consensus international» 1.

Au sein de I'OMC, l'unilatéralisme en matière de protection de l'environnement sans preuve de négo- ciation préalable avec les autres États membres de la communauté internationale concernés peut être jugé illicite au regard du droit de I'OMC2. Il est ainsi préco- nisé que les États devraient agir« de concert aux plans bilatéral, plurilatéral ou multilatéral, soit dans le cadre de I'OMC, soit dans celui d'autres organismes interna- tionaux» 3, pour protéger les espèces menacées ou protéger d'une autre façon l'environnement.

Lorsqu'un cadre multilatéral de protection de l'envi-

1. Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, Rio de Janeiro, 13 juin 1992, principe 12. Le texte de la Déclaration est disponible in L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné, M. M. Mbengue etC. Romano, Protection internationale de l'envi- ronnement, op. cit., p. 15.

2. Voir sur ce point L. Boisson de Chazournes, «The Use of Unilateral Trade Measures to Protect the Environ ment», in A. Kiss, D. Shelton, K. lshibashi, Economie Globalization and Compliance with Interna- tional Environmental Agreements, La Haye, Kluwer Law Internatio- nal, 2003, p. 181-191.

3. Voir« États-Unis. Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes», op. cit., § 185. Voir également le discours du 21 décembre 2009 du directeur général de I'OMC, Pascal Lamy, suite à la 15e Conférence des parties (COP 15) à la Convention cadre des Nations unies sur les change- ments climatiques : «Durant la Conférence [de Copenhague], la question des mesures à la frontière a été soulevée. Les Membres de I'OMC, comme les Membres de l'Onu à Copenhague, sont divisés sur ce point mais ce que je peux dire, c'est que plus nous avançons vers un cadre multilatéral sur le changement climatique, plus les

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0 R GAN 1 SA T 1 0 N M 0 N D 1 ALE D U C 0 MM E R C E 209

ronnement a été négocié et conclu, l'éthique environ- nementale et le régime du commerce international dif- fèrent quant aux principes

à

mettre en œuvre pour réaliser l'objectif environnemental. Les accords envi- ronnementaux n'interdisent pas formellement la dis- cfi.mination entre États aux fins de la protection de l'environnement. Un État partie

à

un accord environ- nemental, s'il adopte des mesures restrictives du commerce international qui impliquent une discrimi- nation entre deux ou plusieurs États se trouvant dans la même situation, ne sera pas considéré ipso jure comme agissant en violation de l'accord environne- mental. Autrement dit, ledit État n'est pas tenu d'appliquer concomitamment des mesures restrictives du commerce international identiques

à

tous les États qui ne respecteraient pas l'objectif environnemental fixé par l'accord environnemental1. De même, un État

mesures commerciales unilatérales seront difficiles à expliquer. » Le texte du discours est disponible sur www.wto.org.

1. Voir, par exemple, article 24 du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques qui prévoit que « les mou- vements transfrontières d'organismes vivants modifiés entre Parties et non-Parties doivent être compatibles avec l'objectif du Protocole.

Les Parties peuvent conclure des accords et arrangements bilatéraux, régionaux ou multilatéraux de ces mouvements transfrontières ».

Selon le Guide explicatif du Protocole de Cartagena, «le mouve- ment transfrontière doit être compatible avec l'objectif du Protocole.

Un accord distinct avec I'Ëtat non partie est possible mais non obligatoire». Ainsi il est tout à fait possible pour un État partie au Protocole de Cartagena de ne pas soumettre un État non partie à la procédure d'accord préalable en connaissance de cause (qui est une mesure restrictive du commerce) sans étendre cette exemption à un autre État partie au Protocole ou à un autre État non partie. C'est là que réside la possibilité de· discrimination. Voir sur ce point R. Mackenzie et al., Guide explicatif du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, Gland, UICN, 2003,

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210 BOISSON DE CHAZOURNES ET MBENGUE

partie à un accord environnemental pourrait en prin~

cipe appliquer une politique de subvention au béné- fice d'entreprises privées nationales actives dans la lutte contre la réduction des émissions de gaz à effet de serre sans conférer le même avantage à des entre- prises étrangères sises sur son territoire et au demeu- rant également actives en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ladite politique ne constituerait pas nécessairement une violation de l'accord environnemental.

Les Accords de I'OMC mettent en avant une autre approche juridique. Les États membres de I'OMC sont libres d'adopter leurs propres politiques visant à pro- téger l'environnement pour autant que, ce faisant, ils s'acquittent de leurs obligations et respectent les droits que les autres États membres tiennent des Accords de I'OMC. Le système commercial multilaté- ral- autre mode de désignation de I'OMC- est fondé sur un principal cardinal de non-discrimination. Deux aspects du principe de non-discrimination posent par- ticulièrement problème dès que des enjeux environne- mentaux sont en cause: la clause de la nation la plus favorisée et le traitement national.

La clause de la nation la plus favorisée requiert qu'un État membre de I'OMC accorde les mêmes avantages sans distinction à tous les États membres de I'OMC. lmagin_ons qu'un État A interdise l'importation sur son territoire de thon et de produits à base de thon provenant d'un État 8 car celui-ci serait pêché en por- tant atteinte aux dauphins. L'État A n'impose pas de

p. 167, § 600, disponible sur: http://bch.cbd.int/resources/down loads/iucn_guide_fr.pdf.

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ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 211

telles restrictions

à

l'importation de thon originaire d'un État C dans la mesure où les pêcheurs sous la juridiction de C utilisent des méthodes et techniques de pêche préservant les dauphins. L'État A poursuit bel et bien et de bonne foi un objectif environnemen- tal. Toutefois, les mesures commerciales mises en place (prohibition

à

l'importation) par l'État A aux fins de la réalisation de l'objectif environnemental contre- viennent

à

la clause de la nation la plus favorisée. Une discrimination entre le thon de l'État B et celui de l'État C est interdite de principe par le droit de I'OMC.

La discrimination

à

1/0MC ne se limite pas

à

la dis- crimination entre produits provenant de différents pays. Elle couvre aussi la discrimination entre produits importés et produits d/origine nationale. Imaginons qu'un État A procède

à

une politique de subvention de !/essence produite par les entreprises sises sur son territoire du fait de la qualité de cette essence et de sa propension à réduire les émissions de gaz

à

effet de serre. Toutefois/ 1/État A refuse

dl

accorder de telles subventions à l'essence provenant d/un État B et importée sur le territoire de 1/État A en tirant prétexte du fait que les entreprises sises sur le territoire de B ne respectent pas les objectifs de réduction des gaz

à

effet de serre pour lutter contre le phénomène des changements climatiques. L/objectif environnemental poursuivi par l'État A (lutter contre les changements climatiques) est licite; néanmoins/ les mesures de subvention adoptées par 1/État A sont contraires au traitement national car elles induisent a priori une discrimination entre produits importés et produits locaux. Elles violent purement et simplement le droit de 1/0MC/ et notamment le Gatt de 1994/ et ce en

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212 BOISSON DE CHAZOURNES ET MBENGUE

dépit du fait que la violation peut être «excusée» par le biais de certaines exceptions générales.

À la lumière de ces éléments, il apparaît clairement que les accords environnementaux et les Accords de I'OMC n'incorporent pas une approche similaire en termes de non-discrimination dans l'application des mesures restrictives du commerce. Cependant, accords environnementaux et Accords de I'OMC en tant que traités internationaux sont régis dans leur application et leur interprétation par la règle du pacta su nt servanda 1 dont l'un des éléments essentiels est le principe de bonne foi. Cela revient

à

dire que toute discrimination comme,rciale aux fins de protection de l'environnement doit être justifiée et justifiable de bonne foi. La Déclaration de la Conférence ministé- rielle de Do ha 2 cristallise ce principe en indiquant clai- rement« qu'en vertu des règles de I'OMC aucun pays ne devrait être empêché de prendre des mesures pour assurer la protection de la santé et de la vie des per- sonnes et des animaux, la préservation des végétaux, ou la protection de l'environnement, aux niveaux qu'il considère appropriés, sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre des pays où les mêmes conditions existent, soit

1. Voir Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, article 26 : «Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. »

2. Sur cette Déclaration, voir L. Boisson de Chazournes et M. M. Mbengue, «La Déclaration de Doha et sa portée dans les relations commerce et environnement», Revue générale de droit international public, vol. 106, n° 4, 2002, p. 855-892.

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ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 213

une restriction déguisée au commerce internatio- nal» 1.

Avant la Déclaration ministérielle de Doha, la Décla- ration de Rio sur l'environnement et le développement soulignait déjà que« les mesures de politique commer- ciale motivées par des considérations relatives à l'envi- ronnement ne devraient pas constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable, ni une restric- tion déguisée aux échanges internationaux» 2. Cette formule reprend mot à mot le texte introductif de l'article XX du Gatt de 1994. Elle témoigne de l'exis- tence d'un tissu de valeurs communes entre accords environnementaux'et Accords de I'OMC. La plupart des traités n'ont pas «un objet et but unique, mais plutôt une variété d'objectifs et de buts différents, et peut-être divergents» 3. Cela est certainement vrai pour l'Accord instituant I'OMC (l'Accord sur I'OMC).

Ainsi, si le premier considérant du préambule de l'Accord sur I'OMC préconise l'accroissement du commerce de marchandises et de services, ce même considérant reconnaît aussi que les rapports commer- ciaux et économiques internationaux régis par l'Accord sur I'OMC devraient permettre «l'utilisation optimale des ressources mondiales conformément à l'objectif de développement durable>) en vue« de pro- téger et préserver l'environnement».

1. Déclaration ministérielle, Conférence ministérielle, Doha, adoptée le 14 novembre 2001, § 6, disponible sur www.wto.org.

2. Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, op. cit.,

principe 12.

3. «États-Unis. Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes», op. cit., arguments des États- Unis en appel, § 17.

(18)

214 B 0 1 S S 0 N DE CH A Z 0 URNES ET M BEN GUE

La formule de la Déclaration de Rio démontre éga- lement que les droits et obligations contenus respec- tivement dans les accords environnementaux et les Accords de I'OMC ne sont pas nécessairement èn conflit. En d'autres termes, ce ne sont pas des droits et obligations qui «s'excluent mutuellement». Des dénominateurs communs existent entre éthique envi- ronnementale et régime du commerce international :

« Les résultats économiques et les résultats environ- nementaux ne sont pas nécessairement incompa- tibles.» 1 Ces dénominateurs méritent d'être promus plus avant et d'être renforcés. Mais, pour ce faire, il est important qu'une meilleure intégration des accords environnementaux (ou du droit international de l'environnement) se fasse dans le cadre de I,OMC;

Pour l'heure, les scénarios d'intégration sont variables et ne permettent pas de tirer une conclusion défini- tive et absolue quant à la prise en compte par le droit de I'OMC du droit international de l'environnement et des valeurs qu'il promeut.

Les scénarios d'intégration du droit

international de l'environnement

à

I'OMC

Il est intéressant de noter qu'en pratique, à l'heure actuelle, toutes les mesures commerciales prises aux fins de protection de l'environnement qui ont fait l'objet de différends à I'OMC sont des mesures qui en général ont été adoptées unilatéralement par les États membres de I'OMC et non à proprement parler

1. Ibid., arguments des Communautés européennes en appel, § 68.

(19)

ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 215

sur la base d'un accord multilatéral de protection de l'environnement. Cela n'exclut pas l'éventualité de différends entre États membres de I'OMC portant directement ou indirectement sur les droits et obliga- tions incorporés dans un accord de l'environnement, lorsque _lesdits droits et obligations sont susceptibles d'entraîner des violations du droit de I'OMC. L'affaire

«Communautés européennes. Produits biotechnolo- giques » en est une illustration. En effet, la Commu- nauté européenne a tenté de justifier en partie la légalité des directives communautaires relatives à l'approbation et à la commercialisation de produits biotechnologiques sur le marché communautaire à l'aune d'instruments multilatéraux de protection de l'environnement, à savoir la Convention sur la diver- sité ·biologique et son Protocole de Cartagena relatif à la prévention des risques biotechnologiques.

La problématique des relations entre accords envi- ronnementaux multilatéraux et Accords de I'OMC a soulevé et continue de soulever bon nombre de controverses et de débats. L'un des points culminants du débat trouve un reflet dans la décision qui a été prise lors de la Conférence ministérielle de Doha de 2001 de lancer des négociations sur la relation entre Accords de I'OMC et accords environnementaux contenant des obligations commerciales spécifiques (en anglais, « specifie trade obligations ») 1. Les négo- ciations de Doha se trouvent pour l'heure dans une impasse. Toutefois, le système de règlement des diffé- rends de I'OMC a été maintes fois confronté

à

des

1. Déclaration ministérielle, Conférence ministérielle, Doha, § 31.

(20)

2r6 BOISSON DE CHAZOURNES ET MBENGUE

différends touchant de près ou de loin aux relations entre accords de l'OMC et accords environnemen- taux.

Il a déjà été rappelé que le système commercial mul- tilatéral n'est pas imperméable ou hermétique aux considérations environnementales. L'on pourrait même penser qu'étant donné que les considérations environnementales sont prises en compte dans le droit . de I'OMC, <<tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles». Et pourtant, les choses ne sont pas si simples. Ce n'est pas parce que les Accords de I'OMC contiennent ce que l'on pourrait appeler des dispositions à «texture environnementale» que les organes de règlement des différends sont habilités à appliquer du droit' international de l'environnement,

à

savoir du droit non OMC dans le cadre d'une procé- dure de règlement des différends à I'OMC.

Pourquoi 7 Le système de règlement des différends de I'OMC, régi par le Mémorandum d'accord sur le règlement des différends, repose sur un principe . majeur: celui de la prévisibilité des droits et obligations négociés dans le cadre des Accords de I'OMC. Au nom de cette prévisibilité dérive un autre principe,

à

savoir celui de l'interdiction d'accroître ou de diminuer les droits et obligations contenus dans les Accords de I'OMC. De ce fait, les organes ne peuvent en principe appliquer que du droit OMC et non du droit non OMC. C'est dans ce contexte que l'Organe d'appel dans l'affaire «Hormones» avait clairement exclu la possibilité pour le principe de précaution, même

à

concevoir qu'il relevât du «droit international coutu- mier de l'environnement», de prévaloir sur les droits et obligations au titre de l'Accord sur les mesures sa ni-

(21)

ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 217

ta ires et phytosanitaires 1. Si principe de précaution il y a, il ne peut trouver appui que sur une disposition expresse des Accords de I,OMC. ln casu, !,Organe d,appel avait considéré que le principe de précaution

« est effectivement pris en compte » 2 par ,, article 5. 7 de !,Accord SPS. ·

Face

à

cette impossibilité d,appliquer du droit non OMC, les groupes spéciaux et !,Organe d,appel ont développé des scénarios visant à prendre en compte les accords environnementaux multilatéraux

à

titre d,interprétation du droit de I'OMC. Il y a principale- ment trois scénarios: un scénario neutre, un scénario positif et un scénario négatif.

Le scénario <(neutre» d'intégration du droit international de l'environnement

à

/'OMC

Le scénario neutre a en fait été brossé dans la pre- mière affaire dont a eu

à

connaître !,Organe d,appel et qui était une affaire environnementale dans laquelle la préservation de l,air pur en tant que res- source naturelle épuisable était en cause. Il s'agit de l'affaire «États-Unis. Essence». L,Organe d,appel, se référant aux règles coutumières d,interprétation des traités, a indiqué clairement qu'« il ne faut pas ·lire l'Accord général en l'isolant cliniquement du droit international public» 3. C'est un scénario neutre car

1. «Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones)», op. cit., § 123.

2. Ibid., § 124.

3. «États-Unis. Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules», rapport de l'Organe d'appel, 29 avril 1996, Wf/DS2/AB/

R, p. 19.

(22)

218 BOISSON DE CHAZOURNES ET MBENGUE

l'Organe d'appel n'a fait que confirmer implicitement la présomption générale de non-conflit entre les normes du droit international public. L'Organe n'a tiré aucune conséquence pratique du rejet de l'isolation clinique en termes de prise en considération d'accords environnementaux multilatéraux pour déterminer, par exemple, si en vertu de ces accords, l'air pur pouvait être considéré comme une «ressource naturelle épui ..

sable» au sens de l'article XX g) du Gatt de 1994. De même, l'Organe d'appel n'a pas tenté d'analyser si en vertu des accords environnementaux une politique commerciale restrictive afin de lutter contre la pollu- tion atmosphérique était légitime pour le droit inter- national de l'environnement et si à la lumière desdits accords la politique des États-Unis n'était pas manifes- tement unilatérale en l'espèce.

L'approche de l'Organe d'appel a consisté à fonder la légitimité d'une telle politique à l'aune du droit de I'OMC perse sans exclure (scénario négatif) ou incor- porer (scénario positif) des accords environnemen- taux. L'Organe a considéré qu'en' vertu de l'article XX du Gatt de 1994, tout État membre de I'OMC a la capacité de prendre des mesures pour lutter contre la pollution atmosphérique ou, d'une façon plus géné- rale, pour protéger l'environnement. L'absence de mention du droit international de l'environnement (particulièrement développé en matière de lutte contre la pollution atmosphérique et de préservation de la couche d'ozone) s'explique en raison du carac- tère autosuffisant de l'article XX (self-contained provi- sion) en matière de protection de l'environnement.

Ainsi que l'Organe d'appel l'a relevé, l'article XX de l'Accord général contient des «dispositions visant à

(23)

ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 2r9

permettre que

d'importants intérêts des États -

y

compris la protection de la santé des personnes et la conservation des ressources naturelles épuisables -

trouvent leur expression

>> 1.

Se fondant encore sur l'article XX du Gatt de 1994, l'Organe d'appel en a déduit que les États membres de I'OMC disposent d'une large autonomie pour déterminer leurs propres politiques en matière d'environnement leurs objectifs environnementaux et la législation environnementale qu'ils adoptent et mettent en œuvre. Et l'Organe de préciser qu'« en ce qui concerne I'OMC, cette autonomie n'est limitée que par

la nécessité de respecter les prescriptions de l'Accord général et des autres accords visés»

2. Il est

intéressant de noter que l'Organe d'appel, en plus de souligner la «large autonomie» des États membres de I'OMC pour déterminer leurs politiques en matière d'environnement, a subtilement précisé (entre paren- thèses) «y compris la

relation entre l'environnement et le commerce

» 3.

Faut-il comprendre par là que chaque État membre de I'OMC jouit d'une autonomie large aux fins de déterminer la relation qui existe entre les accords envi- ronnementaux et les Accords de I'OMC 7 Est-ce à dire qu'un État membre de I'OMC peut décider de donner la priorité aux considérations environnementales, voire de subordonner les considérations commerciales aux considérations environnementales 7

La jurisprudence subséquente de l'Organe d'appel

1. Ibid./ p. 31. 2. .Idem.

3. Idem.

(24)

220 B 0 1 S S 0 N D E C HA Z 0 U R N E S E T M B E N G U E

de I'OMC dans l'affaire «Amiante» confirme le droit autonome des États membres de I'OMC

à

déterminer leur niveau approprié de protection environnementale et sanitaire. Si un État décide d'une politique de risque zéro en matière d'amiante, alors cet État est autorisé à interdire toute importation d'amiante ou de produits à base d'amiante sur son territoire. L'autonomie des États membres de I'OMC quant

à

la détermination de la «relation entre l'environnement et le commerce»

telle que perçue par l'Organe d'appel dans l'affaire

«Essence» permet d'admettre que lesdits États peuvent décider d'accorder la primauté aux considéra- tions environnementales. C'est ce qui explique que l'évolution de la jurisprudence

à

I'OMC a coïncidé avec la reconnaissance du statut de droit autonome de l'article XX et non plus de simple exception aux prin- cipes généraux du Gatt-OMC 1. L'idée de droit auto- nome implique qu'un État membre peut invoquer automatiquement un droit d'adopter des mesures res- trictives du commerce

à

des fins de protection de l'environ ne ment.

En revanche, il est difficile de déduire de l'autono- mie des États membres de I'OMC

à

déterminer la

«relation entre l'environnement et le commerce» la faculté pour ces États de faire prévaloir jUridiquement un accord environnemental sur les Accords de I'OMC.

Cela impliquerait un non-sens juridique dans la mesure où un État,

à

partir du moment où il invoque-

1. Voir sur ce point G. Marceau et E. H. A. Diouf, « L'OMC réconcilie commerce et santé: la nouvelle jurisprudence de l'Organe d'appel dans l'affaire "CE. Amiante"», L'Observateur des Nations unies, 2002, 12, p. 49-70.

(25)

0 R GAN 1 SA T 1 0 N M 0 ND 1 ALE DU C 0 MME R CE 22 I

rait un ac.cord environnemental, pourrait s'exonérer de ses obligations en vertu du droit de I'OMC. Il est clair qu'une telle position irait

à

l'encontre de la prévi- sibilité du système commercial multilatéral. Ainsi, si la primauté peut être donnée aux valeurs environne- mentales dans le cadre de I'OMC, il n'est pas encore admis qu'un accord environnemental puisse prévaloir sur du droit OMC.

Néanmoins, l'exégèse de l'affirmation de l'Organe d'appel dans l'affaire« Essence» quant

à

l'autonomie des États à déterminer la « relation entre l'environne- ment et le commerce» permet de comprendre la

«neutralité» dans l'intégration du droit international de l'environnement. L'Organe aurait pu se référer à des instruments internationaux de protection de l'envi- ronnement comme la Convention de Vienne pour la protection de la couche d'ozone 1 ou encore comme le Protocole de Montréal sur les substances qui appau- vrissent la couche d'ozone2. L'Organe aurait même pu s'intéresser

à

la Convention sur la pollution atmosphé- rique transfrontière

à

longue distance3.

Mais dans la mesure où les États sont autonomes aux fins de la détermination de la « relation entre l'environnement et le commerce», ce n'est pas à l'Organe d'appel proprio motu de se référer à des

1. Convention pour la protection de la couche d'ozone, Vienne, 22 mars 1985.

2. « Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone », op. cit.

3. Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, Genève, 13 novembre 1979, texte disponible in L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné, M. M. Mbengue et C. Romano,

Protection internationale de l'environnement op. cit., p. 351.

(26)

222 B 0 1 S S 0 N D E CH A Z 0 U R N E S ET M B E N G U E

instruments juridiques internationaux de protection de l'environnement pour interpréter le droit de I'OMC. Aucun des États parties au différend

«Essence» (États-Unis, Mexique et Venezuela) n'a invoqué d'accord environnemental pour étayer ses arguments. Dans un tel contexte, l'Organe d'appel a fait le choix de la neutralité, c'est-à-dire de ne pas explorer les voies offertes par le droit international de l'environnement pour déterminer, par exemple, si l'air pur était ou non une ressource naturelle épuisable.

L'Organe s'est limité en la matière au constat factuel émis par le Groupe spécial. Cette approche tranche avec l'approche proactive de l'Organe d'appel qui tend à intégrer « positivement)) le droit international de l'environnement dans le contexte de l'interpréta- tion des Accords de I'OMC.

Le scénario «positif» d'intégration du droit international de l'environnement

à

I'OMC

Il est crucial de noter que l'avènement d'un scéna- rio positif d'intégration du droit international de l'environnement à I'OMC s'est accompagné de l'effondrement d'un mythe (fondateur?) du système commercial multilatéral. En effet il a souvent été considéré, et à tort, que reconnaître aux États membres une autonomie pour déterminer leurs poli- tiques environnementales et les mesures restrictives du commerce international y afférentes, porterait atteinte au système commercial multilatéral. À tel point que le Groupe spécial établi dans l'affaire

«États-Unis. Crevettes)) est allé jusqu'à élaborer un critère de la «menace pour le système commercial

(27)

ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 223

multilatéral» 1, critère

à

l'aune duquel il a en partie constaté l'illicéité de la réglementation commerciale des États-Unis visant à préserver les tortues marines.

L'Organe d'appel a contrecarré avec force les velléi- tés du Groupe spécial à introduire ce nouveau critère dans l'appréciation des mesures prises en vertu de l'article XX du Gatt de 1994, parmi lesquelles les mesures commerciales aux fins de protection de l'environnement.

L'Organe a affirmé sans ambages que «la volonté de maintenir le système commercial multilatéral, et non d'y porter atteinte, est forcément un principe fondamental et constant qui sous-tend l'Accord sur 'I'OMC;

mais ce n'est ni un droit ni une obligation, ni une règle d'interprétation

pouvant être utilisée pour évaluer une mesure donnée au regard du texte intro- ductif de l'article XX» 2.

Un tel constat éclaire le fait que les considératio·ns environnementales peuvent trouver droit de cité à I'OMC sans que cela soit perçu comme une atteinte au système commercial multilatéral. Tout au contraire, sur la balance, la protection de l'environnement pèse autant que la préservation du système commercial multilatéral. Les États membres de I'OMC ont un droit autonome de protéger l'environnement en vertu de l'article XX du Gatt de 1994; ils n'ont pas formelle- ment une obligation de ne pas porter atteinte au sys- tème commercial multilatéral, ni un droit à ce qu'une

1. « États-Unis. Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes», op. cit., rapport du Groupe spécial, 15 mai 1998, WT/DS58/R, § 7.61.

2. Ibid., rapport de l'Organe d'appel,§ 116.

(28)

224 B 0 1 S S 0 N DE C HA Z 0 U RN E S ET M B E N GU E

atteinte ne soit pas portée au système. En réalité, dans la mesure où le développement durable et la préserva- tion de l'environnement constituent des éléments intrinsèques au système commercial multilatéral, la question de la «menace au système èommercial mul- tilatéral» ne devrait même pas se poser: adopter des mesures commerciales aux fins de protection de l'envi- ronnement fait partie intégrante du système commer- cial multilatéral.

Cela étant, ce qui ressort du constat de l'Organe d'appel, c'est qu'en définitive le système commercial multilatéral n'est pas un système opérant en vase clos.

C'est un système ouvert à d'autres valeurs et l'inter- prétation. des droits ainsi que des obligations des Accords de I'OMC doit tenir compte de cette dyna- mique. Voilà pourquoi l'Organe d'appel a considéré que l'expression «ressources naturelles épuisables»

figurant à l'article XX g) du Gatt de 1994 doit être interprétée à la « lumière des préoccupations actuelles de la communauté des nations en matière de protec- tion et de co"nservation de l'environnement» 1.

C'est dans cette perspective d'ouverture que l'Organe d'appel a pu développer un scénario positif d'intégration du droit international de l'environne- ment dans l'affaire «Crevettes». L'Organe d'appel s'est appuyé explicitement sur des instruments inter-

nationaux de l'environnement pour interpréter le sens ordinaire et contemporain de l'expression «ressources naturelles épuisables» contenue à l'article XX g) du Gatt de 1994. Faisant référence au droit international 1. Ibid., § 129.

(29)

ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 225

de l'environnement sous le vocable «conventions et déclarations internationales modernes»

1,

il reconnaît que ces dernières considèrent les ressources naturelles comme étant

à

la fois des ressources biologiques et non biologiques. À ce titre, l'Organe d'appel donne l'exemple de la Convention sur le droit de la mer, de la Convention sur la diversité biologique, de la Conven- tion sur la conservation des espèces migratrices appar- tenant

à

la faune sauvage, du programme Action 21 de la Conférence de Rio sur l'environnement et le développement. Il y a ainsi une incorporation du droit international de l'environnement dans le contexte des Accords de I'OMC, laquelle se fait proprio motu (par l'Organe d'appellui-même) contrairement au scénario

« neutre» d'intégration puisque les parties au diffé- rend n'ont pas invoqué ces divers instruments

2.

Toutefois, ce n'est pas une incorporation du droit international de l'environnement

à

titre de droit mais

à

titre de fait interprétatif. Un tel état de faits ressort clairement de l'analyse de l'Organe d'appel. Ce der- nier ne fait pas de mention expresse du droit interna- tional de l'environnement en tant que tel pour corroborer son interprétation évolutive de la notion de

«ressource naturelle épuisable». Il fait plutôt appel à une situation de fait pour fonder son interprétation.

L'Organe indique, en effet, qu'« étant donné que la

communauté internationale a reconnu récemment l'importance d'une action bilatérale ou multilatérale

concertée pour protéger les ressources na tu relies

1. !bid.,§130.

2. Les parties au différend n'ont invoqué que la CITES et le principe 12 de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement.

(30)

-

226 B 0 1 S S 0 N D E C H A Z 0 U R N E S ET M B E N G U E

vivantes [ ... ], nous estimons qu'il est trop tard à pré- sent pour supposer que l'article XX g) du GAn de

1994 peut être interprété comme visant uniquement la conservation des minéraux ou des autres ressources naturelles non biologiques épuisables» 1.

La démarche de l'Organe d'appel se ressent avec plus d'acuité lorsqu'il traite de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES).

L'Organe constate qu'« il aurait été très difficile de remettre en cause

le

fait que les tortues marines sont épuisables étant donné que les sept espèces de tortues , marines reconnues figurent toutes aujourd'hui dans l'Annexe 1 de la Cohvention sur le commerce interna- tional des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES)» 2.

Il apparaît donc qu'au titre du scénario positif d'inté- gration du droit international de l'environnement à I'OMC, l'Organe d'appel dans l'affaire «Crevettes»

ne recourt pas véritablement aux accords environne- mentaux pour «éclairer, ordonner et nuancer» le sens et la portée juridiques de l'article XX g). Une telle fonc- tion «juridique» est dévolue quasi exclusivement au Préambule de l'Accord sur I'OMC qui reste avant tout du droit OMC même s'il inclut le principe du dévelop- pement durable. Ce ne sont pas les accords environne- mentaux proprement dits qui imposent une lecture évolutive de la notion de «ressource naturelle épui-

1. « États-Unis. Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes», op. cit., rapport de l'Organe d'appel, § 131.

2. Ibid., § 132.

(31)

0 R GA N 1 SA T 1 0 N M 0 N D 1 A LE DU C 0 MM E R C E 227

sable» mais le Préambule de l'Accord sur I'OMC.

Comme l'explique l'Organe d'appel, «si nous nous plaçons dans la perspective du Préambule de l'Accord sur I'OMC, nous observons que le contenu ou la réfé-

rence de l'expression générique "ressources natu- relles" » employée dans l'article XX g) ne sont pas /{statiques" mais plutôt "par définition évolutifs"» 1.

Les accords environnementaux, quant

à

eux, sont du droit non OMC remplissant une fonction «factuelle»

de clarification du sens ordinaire des dispositions des Accords de I'OMC. Autrement dit, ils servent principa- lement

à

fournir des exemples de pratique allant dans un sens ou un autre en matière de protection de l'envi- ronnement. Ce confinement du droit international de l'environnement, en particulier du droit conventionnel,

à

un rôle factuel peut sembler étrange. En effet, les traités environnementaux, en tant que conventions internationales, figurent parmi les sources formelles du droit international public en vertu de l'article 38 du Statut de la CIJ (Cour internationale de justice). Si le droit interne est généralement perçu comme un fait dans l'ordre juridique international2, il n'en va pas de même pour le droit international d'origine convention- nelle. Celui-ci, en vertu des règles coutumières d'inter- prétation du droit international public, a vocation soit à être considéré comme un «accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions» 3, soit comme une

1. Ibid.,§ 130.

2. Voir, par exemple, Différend frontalier (Burkina Faso-République du Mali), arrêt, C/J. Recueil 1986, p. 568, § 30.

3. Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969, article 31.3 (a).

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