• Aucun résultat trouvé

Se fondant encore sur l'article XX du Gatt de 1994, l'Organe d'appel en a déduit que les États membres de I'OMC disposent d'une large autonomie pour déterminer leurs propres politiques en matière d'environnement leurs objectifs environnementaux et la législation environnementale qu'ils adoptent et mettent en œuvre. Et l'Organe de préciser qu'« en ce qui concerne I'OMC, cette autonomie n'est limitée que par

la nécessité de respecter les prescriptions de l'Accord général et des autres accords visés»

2. Il est

intéressant de noter que l'Organe d'appel, en plus de souligner la «large autonomie» des États membres de I'OMC pour déterminer leurs politiques en matière d'environnement, a subtilement précisé (entre paren-thèses) «y compris la

relation entre l'environnement et le commerce

» 3.

Faut-il comprendre par là que chaque État membre de I'OMC jouit d'une autonomie large aux fins de déterminer la relation qui existe entre les accords envi-ronnementaux et les Accords de I'OMC 7 Est-ce à dire qu'un État membre de I'OMC peut décider de donner la priorité aux considérations environnementales, voire de subordonner les considérations commerciales aux considérations environnementales 7

La jurisprudence subséquente de l'Organe d'appel

1. Ibid./ p. 31. 2. .Idem.

3. Idem.

220 B 0 1 S S 0 N D E C HA Z 0 U R N E S E T M B E N G U E

de I'OMC dans l'affaire «Amiante» confirme le droit autonome des États membres de I'OMC

à

déterminer leur niveau approprié de protection environnementale et sanitaire. Si un État décide d'une politique de risque zéro en matière d'amiante, alors cet État est autorisé à interdire toute importation d'amiante ou de produits à base d'amiante sur son territoire. L'autonomie des États membres de I'OMC quant

à

la détermination de la «relation entre l'environnement et le commerce»

telle que perçue par l'Organe d'appel dans l'affaire

«Essence» permet d'admettre que lesdits États peuvent décider d'accorder la primauté aux considéra-tions environnementales. C'est ce qui explique que l'évolution de la jurisprudence

à

I'OMC a coïncidé avec la reconnaissance du statut de droit autonome de l'article XX et non plus de simple exception aux prin-cipes généraux du Gatt-OMC 1. L'idée de droit auto-nome implique qu'un État membre peut invoquer automatiquement un droit d'adopter des mesures res-trictives du commerce

à

des fins de protection de l'environ ne ment.

En revanche, il est difficile de déduire de l'autono-mie des États membres de I'OMC

à

déterminer la

«relation entre l'environnement et le commerce» la faculté pour ces États de faire prévaloir jUridiquement un accord environnemental sur les Accords de I'OMC.

Cela impliquerait un non-sens juridique dans la mesure où un État,

à

partir du moment où il

invoque-1. Voir sur ce point G. Marceau et E. H. A. Diouf, « L'OMC réconcilie commerce et santé: la nouvelle jurisprudence de l'Organe d'appel dans l'affaire "CE. Amiante"», L'Observateur des Nations unies, 2002, 12, p. 49-70.

0 R GAN 1 SA T 1 0 N M 0 ND 1 ALE DU C 0 MME R CE 22 I

rait un ac.cord environnemental, pourrait s'exonérer de ses obligations en vertu du droit de I'OMC. Il est clair qu'une telle position irait

à

l'encontre de la prévi-sibilité du système commercial multilatéral. Ainsi, si la primauté peut être donnée aux valeurs environne-mentales dans le cadre de I'OMC, il n'est pas encore admis qu'un accord environnemental puisse prévaloir sur du droit OMC.

Néanmoins, l'exégèse de l'affirmation de l'Organe d'appel dans l'affaire« Essence» quant

à

l'autonomie des États à déterminer la « relation entre l'environne-ment et le commerce» permet de comprendre la

«neutralité» dans l'intégration du droit international de l'environnement. L'Organe aurait pu se référer à des instruments internationaux de protection de l'envi-ronnement comme la Convention de Vienne pour la protection de la couche d'ozone 1 ou encore comme le Protocole de Montréal sur les substances qui appau-vrissent la couche d'ozone2. L'Organe aurait même pu s'intéresser

à

la Convention sur la pollution atmosphé-rique transfrontière

à

longue distance3.

Mais dans la mesure où les États sont autonomes aux fins de la détermination de la « relation entre l'environnement et le commerce», ce n'est pas à l'Organe d'appel proprio motu de se référer à des

1. Convention pour la protection de la couche d'ozone, Vienne, 22 mars 1985.

2. « Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone », op. cit.

3. Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, Genève, 13 novembre 1979, texte disponible in L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné, M. M. Mbengue et C. Romano,

Protection internationale de l'environnement op. cit., p. 351.

222 B 0 1 S S 0 N D E CH A Z 0 U R N E S ET M B E N G U E

instruments juridiques internationaux de protection de l'environnement pour interpréter le droit de I'OMC. Aucun des États parties au différend

«Essence» (États-Unis, Mexique et Venezuela) n'a invoqué d'accord environnemental pour étayer ses arguments. Dans un tel contexte, l'Organe d'appel a fait le choix de la neutralité, c'est-à-dire de ne pas explorer les voies offertes par le droit international de l'environnement pour déterminer, par exemple, si l'air pur était ou non une ressource naturelle épuisable.

L'Organe s'est limité en la matière au constat factuel émis par le Groupe spécial. Cette approche tranche avec l'approche proactive de l'Organe d'appel qui tend à intégrer « positivement)) le droit international de l'environnement dans le contexte de l'interpréta-tion des Accords de I'OMC.

Le scénario «positif» d'intégration du droit international de l'environnement

à

I'OMC

Il est crucial de noter que l'avènement d'un scéna-rio positif d'intégration du droit international de l'environnement à I'OMC s'est accompagné de l'effondrement d'un mythe (fondateur?) du système commercial multilatéral. En effet il a souvent été considéré, et à tort, que reconnaître aux États membres une autonomie pour déterminer leurs poli-tiques environnementales et les mesures restrictives du commerce international y afférentes, porterait atteinte au système commercial multilatéral. À tel point que le Groupe spécial établi dans l'affaire

«États-Unis. Crevettes)) est allé jusqu'à élaborer un critère de la «menace pour le système commercial

ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 223

multilatéral» 1, critère

à

l'aune duquel il a en partie constaté l'illicéité de la réglementation commerciale des États-Unis visant à préserver les tortues marines.

L'Organe d'appel a contrecarré avec force les velléi-tés du Groupe spécial à introduire ce nouveau critère dans l'appréciation des mesures prises en vertu de l'article XX du Gatt de 1994, parmi lesquelles les mesures commerciales aux fins de protection de l'environnement.

L'Organe a affirmé sans ambages que «la volonté de maintenir le système commercial multilatéral, et non d'y porter atteinte, est forcément un principe fondamental et constant qui sous-tend l'Accord sur 'I'OMC;

mais ce n'est ni un droit ni une obligation, ni une règle d'interprétation

pouvant être utilisée pour évaluer une mesure donnée au regard du texte intro-ductif de l'article XX» 2.

Un tel constat éclaire le fait que les considératio·ns environnementales peuvent trouver droit de cité à I'OMC sans que cela soit perçu comme une atteinte au système commercial multilatéral. Tout au contraire, sur la balance, la protection de l'environnement pèse autant que la préservation du système commercial multilatéral. Les États membres de I'OMC ont un droit autonome de protéger l'environnement en vertu de l'article XX du Gatt de 1994; ils n'ont pas formelle-ment une obligation de ne pas porter atteinte au sys-tème commercial multilatéral, ni un droit à ce qu'une

1. « États-Unis. Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes», op. cit., rapport du Groupe spécial, 15 mai 1998, WT/DS58/R, § 7.61.

2. Ibid., rapport de l'Organe d'appel,§ 116.

224 B 0 1 S S 0 N DE C HA Z 0 U RN E S ET M B E N GU E

atteinte ne soit pas portée au système. En réalité, dans la mesure où le développement durable et la préserva-tion de l'environnement constituent des éléments intrinsèques au système commercial multilatéral, la question de la «menace au système èommercial mul-tilatéral» ne devrait même pas se poser: adopter des mesures commerciales aux fins de protection de l'envi-ronnement fait partie intégrante du système commer-cial multilatéral.

Cela étant, ce qui ressort du constat de l'Organe d'appel, c'est qu'en définitive le système commercial multilatéral n'est pas un système opérant en vase clos.

C'est un système ouvert à d'autres valeurs et l'inter-prétation. des droits ainsi que des obligations des Accords de I'OMC doit tenir compte de cette dyna-mique. Voilà pourquoi l'Organe d'appel a considéré que l'expression «ressources naturelles épuisables»

figurant à l'article XX g) du Gatt de 1994 doit être interprétée à la « lumière des préoccupations actuelles de la communauté des nations en matière de protec-tion et de co"nservaprotec-tion de l'environnement» 1.

C'est dans cette perspective d'ouverture que l'Organe d'appel a pu développer un scénario positif d'intégration du droit international de l'environne-ment dans l'affaire «Crevettes». L'Organe d'appel s'est appuyé explicitement sur des instruments

inter-nationaux de l'environnement pour interpréter le sens ordinaire et contemporain de l'expression «ressources naturelles épuisables» contenue à l'article XX g) du Gatt de 1994. Faisant référence au droit international 1. Ibid., § 129.

ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 225

de l'environnement sous le vocable «conventions et

Documents relatifs