• Aucun résultat trouvé

DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR :

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR :"

Copied!
30
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

L'AMOUR HUMILIÉ

(3)

DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR : Le Prince qui m'aimait. 24 mille.

Une lampe sur la marche. 13 mille.

Aube, suivi de le Monsieur de la maison d'en face. 7 mille.

La Fin du voyage. 9 mille.

Les Cinq femmes de la maison. 6 mille.

La Margrave de Bayreuth, ou la Cour pétaudière de Frédéric I de Prusse. 5 mille.

Douce. 19 mille.

Histoire d'un été. 12 mille.

Ma belle-mère l'ogresse. 6e mille.

Caline et son gitan. 5 mille.

Barbara. 6 mille.

Adieu Valentine. 5 mille.

Aux ÉDITIONS DU ROCHER : Joli-Cœur.

La Promenade des Colombes.

(4)

MICHEL DAVET

L'AMOUR HUMILIÉ

roman

P A R I S

LIBRAIRIE PLON

LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT Imprimeurs-Éditeurs - 8, rue Garancière, 6

(5)

© 1957 by Librairie Plon.

Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y compris l'U. R. S. S.

(6)

L'AMOUR HUMILIÉ

CHAPITRE PREMIER

Ce village s'appelle Hohenschwangau, « Le Haut Pays du Cygne », le burg de Parsifal, le Walhall.

En fait, il ne s'agit que d'un village de trois rues.

Dans l'une de ces rues, une façade couleur de til- leul avec cœur et guirlande peints en couleurs tendres au-dessus des volets, et quatre jeunes filles aux cheveux ruisselants contemplant, en bas un petit équipage. — « A qui est ce vieux landau?

Est-ce la Margrave d'Anspach ou la femme du conseiller aulique? » — « Ma chère, c'est le Barbe- rousse qui vient acheter des maultaschen en com- pagnie de sa cousine. C'est la veuve et splendide Gisela. » De la splendide Gisela sortant de la charcu- terie, on ne vit d'en haut qu'une aigrette rose et le pan d'une robe traînant sur le marchepied.

Un personnage à favoris d'or fauve la suivait, genre burgrave en haut-de-forme, tenant sa canne comme un glaive à hauteur du front. Derrière lui le charcutier faisait des courbettes. Les quatre filles du docteur, de plus en plus penchées, béaient de ravissement. L'homme, sur le trottoir, leva la tête, s'arrêta un instant, mais ne salua pas.

Les quatre filles du D Triberg regardèrent

(7)

s'éloigner l'équipage en laissant pleurer leurs che- veux sur le crépi fané de la façade. C'était le jour de lavage des têtes. Elles avaient l'air d'un groupe de jeunes Gorgones sortant de l'eau d'un étang noir. Derrière elles, dans la pénombre, une dame à poitrine altière se précipita pour fermer la fe- nêtre. C'était Mme Louisa. Mme Louisa semblait sortir d'une gravure de la vieille Allemagne du temps de Werther. Elle marchait ventre en avant et disait : « Votre Grâce ! » à certaines dames de la noblesse. Elle fit remarquer qu'il n'était pas décent d'exposer ses cheveux défaits à la fenêtre.

M. Markus pouvait passer et s'étonner devant ces têtes de noyées.

— Mais charmantes noyées, ma bonne ! C'est du moins l'avis de M. le conseiller forestier !

Les quatre sœurs se ressemblaient et ne res- semblaient en rien à leur père, le placide, le lunaire D Triberg. Il était veuf depuis quatre ans. Une Mme Louisa dévote et entendue gouvernait la maison. A cette époque, aux environs de 1900, le village bavarois de Schwangau, entre ses lacs de perle et ses deux châteaux hoffmannesques, était devenu le lieu saint du romantisme et du patrio- tisme bavarois, le terme de la Route Enchante- resse. Les tours gothiques spectracles, inachevées de Neuschwanstein plaquées sur les sapins des Alpes Algoviennes, se dressaient saisissantes au- dessus du gouffre de la Pollatz. Brumes, vols de corneilles, dernier décor des Nibelungen. Depuis le drame de son roi et l'asservissement de la Ba- vière, la station montagnarde devenait le lieu de pèlerinage de l'aristocratie bavaroise humiliée. Les vieux du vieux royaume se résignaient mal à cette déchéante intégration à une Prusse héréditaire-

(8)

ment hostile. Sadowa et la politique de Bismarck avaient marqué l'écroulement de la sainte Bavière en même temps que celui de toutes les joyeuses petites cours de l'État germanique. L'Empire alle- mand se construisait. La violence était en marche.

A la fois hommage, gage de fidélité à un trône ébranlé, pèlerinage romantique aux fantômes tour- mentés du vallon, ces rendez-vous d'Hohenschwan- gau devenaient aussi une mode. L'endroit était splendide. Vienne y envoyait aussi ses fidèles en souvenir d'un cousinage historique et sentimental.

La légende voulait que l'Impératrice d'Autriche se fût baignée nue dans l'Alpsee un soir de clair de lune. Le reste du pays offrait d'ailleurs d'au- thentiques et solides merveilles, comme l'Abbaye d'Ettal, les églises de Wiess et de Fussen, le Châ- teau de Linderhof, les neiges de Garmicht, toutes les symphonies fastueuses du Baroque, des terres et des pierres nourries d'histoire. Dans ce pays de ruines échevelées, le château des Barons de Ra- dolfzell avait l'air d'un dessin de Gavarni. De petite fortune mais de grande morgue, Mainau de Radolfzell ne se montrait guère et ne parlait pas.

Il avait hérité le domaine de son grand-père et n'y était installé que depuis peu. On disait qu'il était homme de science et passait ses nuits sur des parchemii is, en fait il écrivait pour se distraire l'histoire embellie et pompeuse de la baronnie de Radolfzell qu'il prétendait apparentée à la Mai- son Royale de Bavière, et, plus loin encore, aux Princes Guelfes de Haute-Souabe. Il devait aussi aimer les jardins car il surveillait attentivement le travail de son jardinier et s'inquiétait de la maladie des rosiers grimpants. Quant à sa cousine, l'altière, l'incomparable Gisela, elle ne venait au

(9)

château qu'en visiteuse. Elle ne descendait de la solitude brumeuse de Radolfzell que pour la messe du dimanche ou pour reprendre, envoilettée de gaze bleue, le train de Munich où elle demeurait.

Très jeune elle avait été mariée à un vieux Géné- ral. Elle avait positivement réussi à le tuer en le persuadant qu'il était le meilleur cavalier d'Alle- magne, capable de tous les exploits. Dès le pre- mier exploit il se brisait les reins. L'intimité du baron Mainau et de cette splendide Gisela, don- nait lieu évidemment à des commérages bien qu'ils fussent cousins germains. Fréda, la cadette des filles du D Triberg se permit à ce sujet une effron- terie déplacée :

— Dans le mandement de l'Évêque d'Ulm que notre Curé a lu à la messe, il était question de l'interdiction de mariage entre cousins germains.

— Qui dira que je fais la chasse aux moustiques à l'heure du prêche? — Mais dites-moi, Louisa, quand le Baron Mainau et la splendide Gisela sont enfermés dans leur repaire, Sa Grandeur l'Arche- vêque d'Ulm ne va pas surveiller leur comporte- ment? L'interdiction du mariage concerne-t-elle aussi les amourettes ? Va te faire lan-laire saint-mi- nistre de Dieu, nous faisons les choses en catimini ! Les quatre sœurs avaient la même drôlerie, la même exubérance de diablesses, le même visage rustique et poupin. L'aînée était franchement laide. L'aînée c'était Laura qui accompagnait son père auprès des femmes et des enfants malades, assistante sociale à une époque où le mot et la situation étaient de très loin inconnus. La seconde était Frédérique. Cette Fréda, moins brune de peau, moins trapue, pouvait passer pour remar- quable à cause de ses yeux. De l'esprit et des yeux

(10)

à faire perdre le souffle à l'interlocuteur le plus gourmé. Et charnue, sensuelle, virevoltante, ja- mais décontenancée. Que la coquetterie des dix- huit ans vînt nuancer ce qu'il y avait de gar- çonnier dans cette réussite, et Fréda pourrait prétendre aux plus enorgueillissantes conquêtes.

Mais Fréda avait eu dix-huit ans à la Chandeleur sans que cette date marquât le moindre change- ment dans sa brusquerie insoucieuse. Elle s'habil- lait comme la fille de vaisselle de l'Auberge Lisl, et servait de cocher à son père. Pour les deux der- nières filles encore enfantines, c'étaient deux bru- gnons sans histoire, grassouillettes dans des robes trop lavées qui boudinaient leurs bras dorés. Elles s'appelaient Ingeborg et Lisbeth. Les quatre sœurs vivaient à leur fenêtre ; leur maison gothique do- minait les vitrines du charcutier.

— Si vous me donniez 5% sur ce que vous rapporte chaque visite, calcula Fréda, le sourcil froncé, je m'achèterais en juin la petite capote brune et rose qui triomphe à la vitrine de Babette Müller. Et ce ne serait que justice. Papa est-ce que vous m'écoutez?

— Non, dit le Docteur, je pense au Baron. Ces Radolfzell sont bien déconcertants.

— La morgue et la brutalité ne sont pas des attitudes qui me déconcertent, dit Fréda en mâ- chant une folle avoine avec la plus grande séré- nité. Il y a du Prussien chez le gros Barberousse.

Ne trouvez-vous pas?

— Je ne lui ai parlé qu'une fois, aux obsèques de son grand-père. Il m'avait paru intelligent et

(11)

sans l'étroitesse d'esprit qu'on lui prête. De plus il aime les rosiers.

— Il pourrait faire empierrer son chemin. L'élé- gante Gisela doit se sentir les os rompus quand elle descend au village. Me donnerez-vous les 5 % ?

— Oui, quand je serai payé.

— Un père de famille ne doit pas oublier de se faire payer. Vous n'avez pas le droit d'être désintéressé et superbe... Voilà le vieux nid des Burgraves. C'est évidemment d'un romantique à faire bêler les poètes. Je vous préviens Papa que je reste à la grille.

— Il est possible que le Baron me raccompagne, dit le Docteur avec une très visible inquiétude. Je voudrais que tu ne sois pas discourtoise.

— Je ne serai pas discourtoise je feindrai d'être sourde et muette. Vous pensez que je ne tiens pas aux salamalecs quand j'ai cette robe déteinte et un rhume de cerveau qui me fait abominablement nasiller. Resterez-vous longtemps?

— J'ignore. La lettre du Baron me signale que sa vieille cuisinière a des étourdissements singu- liers. Je gage qu'elle doit tout simplement avoir de la tension. Chérie ! Regarde devant toi. Il y a le précipice.

— Diable de chemin ! Faites-vous payer cher.

Au moins trois fois ce que vous feriez payer au commun des mortels. J'attacherai le cheval à la grille et j'irai en catimini passer la tête dans l'en- trebâillement des fenêtres du rez-de-chaussée.

— Pas d'inconvenance, Fréda. Pour l'amour du ciel sache te tenir.

— Votre jaquette aurait fortement besoin d'être remplacée, dit Fréda.

Elle tendit la canne et la trousse à son Père,

(12)

et, dangereusement penchée sur le marchepied du cabriolet se pencha pour le recoiffer — ou le décoiffer — d'une main attentive et preste.

— L'ébouriffement vous sied, dit-elle. Cela donne un aimable laisser-aller d'homme de science perdu dans d'abstraites, hautaines méditations.

Cependant n'oubliez pas de laisser votre nôte sur un guéridon.

Fréda sauta lestement sur le chemin herbeux, et contempla l'allée trop verte, trop touffue, dé- vorée par les buis qui menait à une terrasse. La façade lui parut d'une grisaille et d'une nudité sévères, le dessin lointain de l'ensemble du bâti- ment, superbement découpé sur un ciel décoloré où se poursuivaient des corneilles. Ce n'était pas féodal, ce n'était que trapu, maussade et ruiné.

La jeune fille fit la grimace et chercha du regard un sentier plus discret d'où elle pourrait contem- pler le rez-de-chaussée sans être aperçue. Là-bas un petit domestique à gilet rouge secouait une cloche du perron. Son tintement n'ébranla pas la sérénité du paysage. Le décor wagnérien ne s'éclaira pas de l'apparition de Brunehilde ou d'un héros au pourpoint cramoisi, mais brusquement une voix d'homme lança un juron. La voix était sonore et le juron énorme. Fréda qui avait trouvé sa brèche dans les framboisiers, pointa une figure inquiète. Elle vit que le cheval entraînant le cabriolet s'était sereinement avancé au milieu du jardin. Le baron Mainau, botté et vêtu de daim comme un reître, faisait tournoyer une carabine. Fréda se sentit frémir devant cette fureur imbé- cile. Son petit cheval mâchait une rose écarlate et c'était un tableau exquis. Décoiffée par les buis, courroucée comme une commère, la jeune fille fit son

(13)

apparition. Mainau surpris laissa retomber son fusil.

— C'est mon cheval. Je l'ai mal attaché. Avouez qu'il n'a pas fait grand ravage : une vieille rose fanée.

— Il se peut que j'aime les roses fanées, dit Mainau.

— Mille regrets ! dit Fréda sans contrition.

Mainau les bras croisés, le regard brumeux avait l'air d'une vieille image d'un chevalier du Saint-Empire germanique. Impressionnant par les épaules et les favoris roux.

— Et constatez qu'il n'en a volé qu'une seule ! Dieu veuille seulement qu'il n'en ait pas avalé les épines. Fanfan-la-Tulipe, rends la rose à ce monsieur qui n'est pas content. D'autant plus qu'elle est déjà vieille. Les roses de chez nous sont moins rustiques et moins échevelées.

— Vous allez tout bonnement vous faire mordre, remarqua le Baron Mainau qui ne semblait pas radouci.

— Avec moi, les chevaux et les messieurs sont ordinairement pleins de gentillesse.

— Je n'en doute pas, cependant je vais faire exception en vous priant de faire reculer votre animal. Il y a des espoirs de pivoines sous son sabot. Je suppose que vous êtes une des filles du Docteur?

— Exactement, dit Fréda. La cadette.

— Et je suppose aussi, à votre air furieux, que je dois m'excuser de n'avoir pas été charmé de la gentillesse de votre cheval?

— Je n'ai pas l'habitude de dissimuler mes impressions, dit Fréda, mais après tout, je recon- nais que vous êtes chez vous.

— Merci, dit le Baron planté avec lourdeur

(14)

et satisfaction dans ses énormes bottes fauves.

Fréda avait l'enfantine impression d'être sous l'ombre d'un chêne au tronc rouge. Sa fureur laissa place à la timidité.

— Notre rencontre n'est pas sous le signe de l'amabilité, dit le Baron.

— Bah ! dit Fréda collée contre le museau de Fanfan-la-Tulipe, je suis impulsive et vous êtes maniaque... Recule mon trésor.

— Drôle de bonne femme ! Puis-je vous inviter à attendre M. le Professeur à l'intérieur de la maison?

— Merci. J'aime toujours mieux les paysages que les salons.

— Je suis le Baron Mainau de Radolfzell, dit le Baron en s'inclinant à la prussienne et se rap- pelant tardivement ses devoirs. Il est temps que je vous présente mes respects.

Fréda impressionnée fit un semblant de révé- rence.

— Eh bien ! au revoir. Si je ne supporte pas qu'on déchiquette mes rosiers, je permets qu'on cueille gracieusement mes framboises.

— Merci, dit Fréda, j'ai déjà commencé sans votre permission.

Le Baron Mainau mit les mains dans ses poches, attendit un instant, et ne trouvant plus rien à dire s'éloigna. L'audace gamine n'était sans doute pas un moyen de le séduire, pas même de l'étonner, car il ne raccompagna pas le Docteur au-delà de la grille ouverte. Fréda en fut secrètement désap- pointée. Sa rencontre avec celui qu'elle appelait le Barberousse, fut pendant trois jours le sujet d'ardents bavardages en famille, mais d'autres distractions, d'autres émotions s'annonçaient.

(15)

C'était juin, l'époque où la berline noire de l'au- berge Lisl, déversait les premiers touristes. Tous les ans, ce début d'été jetait les filles du Docteur et toutes les filles de la Vallée, et même celles qu n'étaient plus filles, dans une sorte de délire.

Positivement, le village s'éveillait. Comme un jouet à la mécanique parfaite, les personnages se mettaient en branle dans un décor d'Opéra- Bouffe. La station se peuplait de princes de royaumes ou de petites cours, de grandes dames sous des ombrelles de guipures, de nourrices, de violonistes... Des coupés armoriés traînaient le long du lac. Le spectacle était exaltant. Cette clientèle d'été nourrissait pour l'année entière la famille du Docteur. Certains nobles clients étaient devenus des amis. Les fillettes étaient appelées à faire leur révérence à la portière des coupés où se penchaient des douairières à capotes de peluche. Elles recevaient des pralines dans des bonbonnières enrubannées. Les aimables et nobles décrépitudes avaient des noms prestigieux et des équipages d'enluminures. C'était une Princesse Stéphanie, un Conseiller Wolfgang de Burnaü, un Général de Riedlingen Baron d'Empire... Elles avaient dansé avec François-Joseph, chassé avec le Roi Louis, écouté Lohengrin dirigé par Wagner.

Telle vieille beauté à la lèvre abrutie avait été Lionne scandaleuse, maîtresse entretenue de l'Ar- chiduc Rodolphe. Les hauts chignons, les nez altiers de ces Carabosses sacrées emplissaient les filles de M. le Professeur d'un respect mystérieux qui allait moins à la fortune qu'à la légende. Avec ce siècle neuf finissait ce monde élégant, valsant, gourmé, chamarré, bien fait pour exalter l'imagi- nation des adolescentes candides. Malgré leur per-

(16)

sonnalité très affirmée, très capricante, Laura et Frédérique béaient devant ce livre d'images, ce Gotha illustré qui se feuilletait devant leur per- ron. Dès ces premiers clients d'été, les filles étren- naient une robe neuve et la petite bonne Anna mettait des tabliers à festons.

— Qu'est-ce qu'il y a? dit quelqu'un. N'est-ce pas un rassemblement là-bas? C'est un groupe de gens qui s'avance.

— Demoiselle Laura, cria le charcutier sous la fenêtre. Prévenez M. le Professeur qu'on lui amène un malade : un jeune homme qui s'est évanoui sur le trottoir.

La maison du Docteur était ombreuse et lam- brissée. La tapisserie rouge du salon pendait dou- loureusement par endroits. Fréda, brusquement, eut la révélation de cette décrépitude lorsque le blessé aux joues pâles se redressa et regarda autour de lui, non les visages mais les choses, d'un regard effrayé. C'était un jeune homme très long, très mince, très extraordinaire, du moins pour la jeune fille qui le contemplait. A la fois blême et rayon- nant. Vêtu d'une veste de velours fauve, sur laquelle se détachaient, accrochées aux revers, des mains verdâtres, presque effrayantes d'élégance décharnée. Mains de Greco, jointes sur une bure monastique. Les yeux de l'étranger étaient non moins extraordinaires que ses mains, et sa bouche bouleversante. Fréda absolument figée, égarée in- térieurement dans sa contemplation dévote, reçut le regard du jeune homme avec le sentiment qu'à la même seconde son esprit et son cœur volaient en mille éclats. C'était à coup sûr l'heure la plus intense de son existence. Une révélation, une révo- lution, l'âme foudroyée.

(17)

— Je m'excuse, dit le jeune homme. Je vois que j'épouvante les jeunes filles. La vérité est que j'ai joué du violon toute la nuit et mon évanouis- sement n'a pas d'autre raison qu'une immense fatigue.

— Mon Père va venir, dit Laura. Accepterez- vous un petit verre de Kirshwasser du pays?

Laura chassa résolument le groupe curieux des voisins et fit boire de la liqueur à l'étranger. Fréda un peu en arrière ne bougeait pas, ne tentait pas plus de se rendre utile que d'appeler sur elle de nouveaux regards. Positivement dans un autre monde ! Les curieux s'éloignèrent ; la laideur du salon émergea d'un clair-obscur violet avec les potiches et les longs plumets de roseaux poussié- reux plongés dans un vase chinois, et l'odalisque en bronze noir, les danseuses en porcelaine, et les portraits de Grand-Père et Grand-Mère Triberg, affreux, endeuillés, mais sacrés comme des Dieux Lares sous globe... Triste décor pour la première, la plus brûlante découverte de l'amour que le miracle de l'adolescence puisse un beau matin vous offrir ; Fréda se détourna de ces laideurs, soupira un peu et les oublia.

— Appuyez votre tête aux coussins, disait Laura de sa voix douce.

— Je suis parfaitement bien et même tout heu- reux de cette pénible aventure, répondit le joli garçon. Je m'appelle Siegfried Holfmann. Je suis violoniste dans les villes d'eaux.

— Ah ! comme c'est intéressant ! dit Laura avec politesse.

Elle se détourna vers sa sœur, surprise d'une discrétion qui ne lui était pas habituelle. Fréda parut se débattre et faire un effort pour s'évader

(18)

de sa méditation suspecte. Son sourire trembla.

C'était un sourire nouveau, un peu inquiet et ravissant. Elle dénoua ses mains qui paraissaient liées au dos, les laissa pendre bêtement, les remit au dos. Laura étonnée lui tendit le flacon de liqueur.

— Qu'est-ce qui t'arrive? dit l'aînée. Tu as l'air d'être en coton.

Fréda vit le jeune homme lui sourire, et tout en gardant ce sourire, renverser légèrement le front et de nouveau perdre conscience. Fréda cria de peur. Ses mains se mirent à trembler sur le flacon.

— Qu'est-ce qu'il a? Qu'est-ce qu'il peut avoir?

questionna Laura dont l'expérience et le sang- froid paraissaient cette fois dépassés.

Louisa découverte au grenier en discussion avec la cardeuse de matelas, tapota les mains de l'in- connu blême et trouva aussitôt le remède qu'il lui fallait : un bol de lait et des tartines au miel.

Fréda se sentit bouleversée ; inondée d'amour comme on peut l'être de parfum. Elle restait toujours à deux pas du fauteuil, encombrée du flacon de Kirshwasser. Laura la bouscula en lui chuchotant quelque chose à l'oreille. Que disait- elle?... « Oui, bien sûr. Non, je ne renverserai pas le flacon et je ne suis pas sur le point de m'éva- nouir. Qu'est-ce que j'ai? Un air d'inquiétante stupidité? Stupeur, stupidité, oui je deviens une autre. Il ne m'a pas fallu une heure pour me transformer. » Elle se laissa entraîner dans la pièce à côté. Elle vit Mme Louisa passer, ventre en avant, avec une dignité satisfaite, chargée d'un chocolat et d'une pile de tartines blondes.

N'avait-elle pas comme chaque fois économisé le

(19)

miel sur le beurre? Laura jeta un coup d'œil sur le plateau, puis revint à sa sœur.

— Tu as une figure de... je n'ose pas dire ce que je pense. On croirait qu'une cheminée t'est tombée sur la tête.

Fréda sourit bêtement, et faisant un effort vînt s'appuyer à la fenêtre.

— Le Prince Luitpol est enrhumé, dit-elle d'une voix étrange.

Elle abandonna la fenêtre, traversa la pièce et, n'y tenant plus, poussa la porte du salon. Le bel évanoui n'y était plus. Un bol vide était aban- donné sur le guéridon. On avait raflé les tar- tines.

— Eh bien, où est-il passé? chuchota Fréda alarmée.

— Parti ! dit la gouvernante en ouvrant les bras. Il avait certes plus besoin des tartines que du Docteur.

— Il aurait pu nous remercier, nous saluer poli- ment, dit l'aînée.

— Parti comme un voleur, dit la vieille. Mais il a crié au revoir et merci.

— Naturellement ! dit Fréda.

Elle contemplait bras ballants, la laideur du salon. Son cœur habituellement joyeux devenait cendres et grisailles, couleur de la banalité et de la modestie de leur vie quotidienne. Mais cette modestie s'éclairait d'une image : celle d'un ar- change vêtu de fauve faisant au revoir de la main.

Un au revoir pressé et désinvolte. Sur la porte il cligna de l'œil.

(20)

CHAPITRE II

Fréda amoureuse, mais amoureuse solitaire de- venait lugubre. Jusqu'au jour où elle se trans- forma à nouveau, se mit à chanter, à dévaster ses tiroirs et à piaffer devant la glace ovale de sa chambre en cherchant une autre coiffure que l'habituel, l'honnête enroulement de ses tresses à la Brunehaut. Elle avait croisé le maigre violoniste au détour d'une rue. Il s'était arrêté, il l'avait saluée, il l'avait assurée avec une câline persua- sion qu'il n'oublierait jamais les soins charmants qu'elle lui avait prodigués. Fréda, en bafouillant, mais sans perdre tout à fait le sens des réalités indiscutables lui avait fait remarquer que sa sœur Laura et leur gouvernante avaient seules droit à quelque gratitude. Pour sa part, elle n'avait fait que regarder. Le violoniste jura que c'était juste- ment ce regard-là qui l'avait sauvé. Il n'oublierait jamais l'éclat, la sollicitude de ce regard. C'était presque de la tendresse. N'était-ce pas déjà un peu de la tendresse? Fréda détourna son visage troublé.

— Il fait une journée divine, ne trouvez-vous pas?

— Peut-être pourrions-nous en profiter et faire un tour sur les bords de l'Alpsee ?

Fréda faillit en perdre la respiration. Elle jeta

(21)

un regard derrière elle, du côté du jardin des demoiselles Rothenaüer. Son indépendance n'allait pas jusqu'à un tel mépris de l'opinion. En fait, jamais pareille proposition ne lui avait été faite.

Elle aperçut très loin, dans un joli soleil un équi- page bleu, traînant, solennel qu'elle crut recon- naître.

— Je regrette, ce n'est pas possible. Mon Père...

Nous sommes trop connus dans le pays... Mon Dieu, voilà le coupé d'une vieille dame qui... Je vous dis au revoir, très vite.

— Écoutez, dit-il précipitamment, je vous at- tendrai tous les jours sur un banc de la Prome- nade autour du lac. Nous donnerons du pain aux cygnes.

Elle n'avait dit ni oui ni non, s'était enfuie, aveuglée, et non pas seulement parce qu'elle avait le soleil dans l'œil. Aveuglée, embrasée, lèvres entrouvertes, portée sur des rayons vers un but inconnu, elle se trouva, un grand moment après, devant un mur. Une petite porte de jardin s'en- trouvrit à quelques pas d'elle sur deux dames se faisant des salamalecs au bord d'une plate-bande d'iris. C'était Mme la Générale Reütter raccom- pagnant de toute évidence Splendide Gisela jus- qu'au chemin. Celle-ci en amazone bleu-canard balançait avec nonchalance une branche de cy- thise d'or. Contre sa robe à plis se pressait timi- dement sa levrette. Splendide Gisela se détourna pour regarder passer la fille du Docteur qu'elle avait l'air de reconnaître. Fréda fit un salut et continua sa route enchanteresse entre des murs noircis qu'elle ne voyait pas : droit au soleil qui était son royaume. Elle dépassa les vilaines mai- sons de bois des jardiniers et se trouva surprise,

(22)

face à la forêt fermée par la muraille rose et brune des troncs de sapins. A droite et à gauche la route filait vers des capitales. Au-dessus du village les deux châteaux royaux plaquaient leur blan- cheur insolite, sur les nuages qui se poursui- vaient. L'un trapu, restauré, faussement mé- diéval, l'autre surgi d'un roc violet, bizarre, et gracieux, dernier rêve d'un Roi lunaire et drama- tique. Un étendard noir flottait sur une tour très blanche. Fréda se rappela que ce jour enchan- teur était le jour anniversaire de la mort du Roi Louis II. Ce matin le Docteur avait mis sa ja- quette pour assister au service religieux et saluer avec le groupe de notables, le Prince Luitpold, Régent du Royaume. Il était arrivé la veille avec une suite médiocre. C'était un Bavarois ventru aux favoris frisés qui traversait modestement l'His- toire de Bavière dans les conditions les plus diffi- ciles. Le faste et la folie de ses neveux avaient ruiné l'État. Le Prince Othon vivait toujours mais sa démence était inguérissable. Ils avaient été de si fiers, de si magnifiques garçons !... A vivre entre deux châteaux royaux, des forêts hantées par la Lorelei et des archiduchesses aux nez altiers, l'imagination prend le mors aux dents.

Étouffée par des exaltations diverses, Fréda reprit sa promenade enivrée mais sans but. Elle fut dépassée par quelques voitures et soudain, par deux cavaliers. C'était Mainau de Radolfzell, immense et très Chevalier Teutonique sur son cheval noir, en compagnie de sa cousine Gisela.

La jeune femme renversait la tête et riait très fort. Sa levrette couleur de souris trottait contre les sabots du cheval. Ils ne saluèrent pas au pas- sage mais Gisela se retourna.

(23)

A la maison, Fréda trouva la gouvernante mé- contente. Où avaient disparu les deux filles aînées?

Quand se broderait leur trousseau? L'une passait sa vie au grenier à se gaver de la littérature par- fois douteuse, même scandaleuse, de la biblio- thèque d'étudiant de son Père, l'autre courait la prétentaine. Fréda fit sa corvée de raccommodage et ensuite de pétrissage des maultaschen avec une anormale gracieuseté. Ses yeux et ses lèvres riaient aux anges. Au repas du soir, le Docteur parla de l'arrivée du Prince-Régent et du branle-bas que ce royal séjour ne manquait pas d'entraîner au village, depuis la cabane du jardinier du Château jusqu'à la dernière des boutiques de charcutier.

Les tavernes ne désemplissaient pas et les hôtels faisaient coucher des millionnaires sur des canapés.

Le jeune Prince Louis n'avait pas suivi son Père. Il visitait la France et l'Italie. Chacun trouvait que le médecin du Prince était vraiment décrépi pour l'importance de sa charge, et Son Altesse n'avait pas bon teint. Son valet de chambre décré- tait qu'Elle buvait trop de lait, et le Général Von Kaulbach, Grand Intendant, qu'Elle n'en buvait pas assez. De même pour la bière et de même pour le tabac... Les quatre filles levaient sur leur Père le même regard brun, luisant, intel- ligent. Au sang français elles devaient probable- ment leur teint et leur malice. Les deux dernières étaient poupines, avec de jolies petites bouches en coeur ; leurs collerettes et leurs manchettes em- pesées leur donnaient un air de petites diaco- nesses-enfants. Fréda fixait son Père mais ne l'entendait ni ne le voyait. Une seule raison d'in- térêt au monde : « Irai-je au bord de l'Alpsee ou n'irai-je pas? Et si j'y vais demain, quelle

(24)

raison donner pour mettre ma robe à pois bleus? » Pour couper court à son indécision, le lende- main il y eut au déjeuner la visite malencontreuse d'une Tante Augusta avec ses trois garçons. Elle avait une belle Maison de vacances à Fussen.

L'après-midi passa, lourde comme une porte de cachot sur le rêve de la jeune fille qui tenait compagnie à la Tante Augusta sous le poirier sans ombre du petit jardin. La Tante la trouva bizarre.

« A dix-huit ans toutes les filles devaient être mariées. Le bon Docteur se préoccupait-il de ces choses? D'autant que Méridionales par leur Mère, ces petites semblaient particulièrement avancées.

Enfin vous saisissez ce que j'entends par là!... » A six heures, après le thé, Fréda partit comme une flèche vers l'Alpsee. C'était le lac le plus poétique du monde. Mais le bel affamé ne s'y trouvait plus. Un vent perfide passait en courant d'air dans les sapins, dévalant des montagnes ; l'eau se couvrait d'ombre et de friselis, perdait sa transparence ; quelques dames anglaises fai- saient les cent pas mais les vieilles grandes mon- daines se hâtaient en boitant vers leurs coupés.

Ce bel après-midi finissait en rafales. Fréda se demandait si c'était un présage. Elle marchait en traînant les pieds.

Fréda répondit qu'elle pouvait mettre sa robe à pois bleus étant donné que Hohenschwangaü était à cette époque un parterre de Ducs, l'Opéra des Opéras. Elle ne pouvait faire la révérence en petite robe de tous les jours. Elle traversa le cor- ridor, tête haute et robe flottante, comme une

(25)

figure de proue. Mme Louisa en resta médusée.

La porte se ferma sur son indignation. Fréda prit un chemin entre les potagers, où elle s'arrêta un assez long moment pour faire bouffer ses cheveux.

Sur la place des grands hôtels, il y avait foule. Les élégants prenaient le thé à la terrasse d'Alpen- rose ; des cavaliers laissaient brouter les passiflores du perron par leurs montures arrêtées, et trois chars à bancs de campagne déversaient des pay- sans des provinces de Franconie venus pour baiser la main du Prince-Régent. L'éclat des costumes, la gaucherie des attitudes leur donnaient des airs de jouets. « D'ailleurs, mon ravissant village est un jouet, le sujet animé d'une vieille boîte à mu- sique... » Fréda s'éloigna de la foule. Un orchestre entonna l'ouverture d'une opérette, ce fut dans le déchaînement des cuivres et des violons qu'elle entendit derrière elle, presque dans ses cheveux, le premier compliment, la première tentation du Malin. C'était sa première expérience. Elle feignit la désinvolture, mais c'était une désinvolture à faire sourire ou à émouvoir. Le musicien préféra le sourire.

— Vous avez une taille ravissante, dit-il bana- lement. J'aimerais danser avec vous. On danse presque tous les soirs à l'Auberge de la Couronne.

— Est-ce là que vous jouez?

— Naturellement, non. C'est une auberge sim- plette et je fais partie d'un assez bon orchestre...

Je vous ai attendue hier.

— Je suis épouvantée, avoua Fréda en mar- chant tête basse. Je vois des figures connues de tous les côtés.

— Eh bien ! donnons-nous un rendez-vous par là-haut, au plus noir de la forêt. Je vais passer le

(26)

premier et, mine de rien, vous me suivrez. Il doit bien y avoir quelque refuge abandonné, quelque petite maison de garde accueillante?

Fréda lui jeta un regard troublé. Avec ces épaules et cette blondeur il était sûr de toutes les réponses. Elle retint un petit gémissement qui était à la fois terreur et délices. Ils étaient arrêtés au bord du lac. Dans les allées et venues autour d'eux on pouvait croire à un rapprochement for- tuit, une conversation banale. D'ailleurs le trouble de Fréda ne lui permettait déjà plus de se rap- peler la prudence.

— Joli petit coin ! dit le garçon du bout des lèvres.

— Joli petit coin ! Mais c'est un des plus magni- fiques coins de la terre, à n'en pas douter !

— Disons que c'est un des plus romantiques, mais c'est petit. Je préfère le lac de Constance.

Me suivez-vous dans les sapins?

Fréda fit oui de la tête sans le regarder. Elle l'entendit rire doucement, le vit lancer un caillou dans le lac et paisiblement s'éloigner. « C'est le moment le plus important de mon existence » pensa Fréda toujours tête penchée et bras bal- lants au bord du lac. Sans qu'elle se l'avouât, l'aventure ne suivait pas le cours charmant qu'elle espérait. C'était probablement plus bouleversant, mais... Elle hésita encore une minute et, brusque- ment, tourna sur elle-même. Le garçon s'éloignait en flânant à travers les groupes de promeneurs.

Fréda se vit saluée par le petit couple le plus gourmé et le plus médisant du village, celui de M. et Mme Ribbe qui avaient un magasin d'anti- quités en face de l'église. Elle répondit au salut avec un respect inaccoutumé et feignit de flâner,

(27)

le nez en l'air, désœuvrée. La veste de velours feuille morte du musicien dépassa les groupes, atteignit la lisière violette des premiers sapins et s'engagea dans le sentier. Fréda se mit enfantine- ment à prier le ciel de la soutenir dans la première aventure, la première grave inconvenance de sa jeunesse. Ses genoux tremblaient. Elle atteignit à son tour la forêt, se détourna pour regarder le lac et la petite ville délicieusement enfouie, puis s'engagea dans le chemin. Un groupe d'Anglais gravissait la pente. Il y avait peu à redouter de rencontrer des bourgeois familiers dans ce coin de forêt. Après dix minutes de marche Fréda se dé- cida à rejoindre son inconnu. Siegfried à demi étendu souriait mais haletait un peu.

— Je ne suis guère habitué à ce genre de sport, avoua-t-il. Voyez dans cet acharnement le désir que j'ai de me trouver seul avec vous. N'allez- vous pas vous asseoir? — Oui, bien sûr, dit Fréda en fixant la mousse avec une secrète appréhension.

— Nous sommes parfaitement seuls, parfaite- ment dissimulés.

— Oui, murmura Fréda avec un battement de cœur.

— Vous ressemblez à une petite divinité au visage naïf qui tend un hanap d'or, je ne sais dans quelle antichambre du Neuschwanstein. Au reste, le talent de ces fresques me paraît douteux.

— Je les trouve belles, dit Fréda courageuse- ment. Elles ont charmé mon enfance.

— Non, elles ne le sont pas. L'avenir en déci- dera... Maintenant vous allez gentiment vous as- seoir et me dire au moins votre nom. Je ne sais même pas votre nom.

(28)

Le silence très attentif et très particulier des hautes cimes ensorcelait la forêt à cet endroit déjà très perdu et sans doute, très redoutable. Fréda se laissa prendre par la taille. Elle ne savait plus si l'attente qui la bouleversait était délicieuse ou intolérable. Elle se sentait trembler de tout son corps et même, si cela était possible, au-delà de son corps, dans son esprit même. Elle entendit Siegfried lui murmurer des mots de tendresse d'abord rassurants puis pressés, balbutiants, eux- mêmes affolés. Quand il la renversa sous ses lèvres elle ne se défendit qu'à peine, non déjà conquise mais totalement désarmée. Il lui sembla que la forêt se refermait sur leur étreinte et qu'ils étaient à jamais prisonniers de ses ronces et de son mys- tère. Une odeur balsamique de sapins au soleil se mêlait à l'odeur fauve et puissante de la terre et des roches. Comme si cette odeur, cette présence familière de la forêt lui eût été enfin un encoura- gement, Fréda leva les bras, entoura le cou de son compagnon. Elle entendit qu'il murmurait une question. Elle ne savait trop quoi au juste mais quand il mit sa main sur son corsage elle cria. Ce cri les dégrisa. Siegfried leva la tête. Ce moment des baisers qui avait paru bref devait avoir duré un temps considérable car la forêt s'était remplie de nuit. Une nuit déjà dramatique. Une sorte d'Opéra puissant et muet.

— Je dois partir, dit Siegfried. Avez-vous du regret de notre rendez-vous?

— Non, dit Fréda avec un demi-sourire.

— Alors il faudra revenir.

Fréda trouva qu'il parlait d'une voix trop lé- gère, déjà étrangère. Elle se leva à son tour et timidement se serra contre son épaule. Son émoi

(29)

F RÉDA TRIBERG, fille cadette d'un petit médecin de campagne bavarois est amoureuse d'un violoniste, Siegfried, auquel elle accorde des rendez-vous dans la forêt voisine. Mais Fréda ne tarde pas à connaître son premier désespoir d'amour : une autre femme partage déjà la vie de l'homme qu'elle aime. Par fierté, elle accepte alors d'épouser le hobereau de la petite ville, le baron Mainau de Radolfzell. Étrange mariage vite décidé, vite conclu, dans lequel le jeune mari ne semble par réel- lement épris. Au retour du voyage de noces, Fréda a la surprise de trouver au château la cousine de Mainau, la belle Gisela, qui s'y conduit en maîtresse de maison.

D'autres indices lui révèlent peu à peu que Mainau ne l'a pas épousée sans de curieuses arrière-pensées. Fréda ne peut supporter de voir son amour humilié pour la seconde fois. Mais lorsqu'elle veut fuir elle s'aperçoit que, dans sa vie, tous les ponts sont coupés : Siegfried est très malade, il va mourir ; Mainau subitement dispa- raît. Seule demeure au château, avec Fréda, la vieille tante de Mainau. Cette petite carabosse sera la bonne fée de la jeune femme. Elle lui indiquera le chemin au bout duquel Fréda trouvera un amour clair et sûr, qui porte enfin le visage du bonheur.

Cette histoire d'amour pour laquelle Michel Davet a choisi le décor romantique de la Bavière du début du siècle est racontée sans fard et sans fadeur, avec la déli- catesse, la maîtrise et la poésie qui firent le succès de Barbara et de Adieu Valentine, Ma belle-mère l'ogresse, le Prince qui m'aimait....

(30)

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia

‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

Références

Documents relatifs

En fin de journée, une table ronde permettra aux intervenants de s’interroger sur l’évolution de cette relation si particulière dans la société numérique, à l’heure

Un spectacle dont elle était seule à jouir, dans les reflets des vitres où les ténèbres du ciel parisien formaient tain, puisque Lubac, pour des raisons de

Avant l'avénement de la tonalité classique, divers modes musicaux étaient pratiqués, caractérisés par l'agencement des intervalles à l'intérieur d'une échelle et par

Lancelot posait son livre sur ses cuisses menues et lui faisait remarquer, non sans malice, qu’elle lui avait bien donné le nom d’un chevalier français du xii e siècle et que

Elle a raconté son premier millésime dans un récit paru en 2011, Dans les vignes, chroniques d’une reconversion.. Elle est également l’auteure de Recettes de ma vigne

Philippe étant plus petit, il aurait d'autant plus de place pour être confor- tablement installé et allongé exactement comme dans un couffin où il pourrait dormir tout

« Si la femme algérienne se permet actuelle- ment de porter la mini-jupe, c'est parce qu'il n'y a plus d'honneur et de respect dans notre pays.. » « Cette toilette est

Chez l’enfant de plus de 1 an et l’adulte, le tableau est en règle typique avec un  syndrome  méningé  fébrile  parfois  accompagné