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DU MÊME AUTEUR Chez le même éditeur

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Academic year: 2022

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La Poétesse

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DU MÊME AUTEUR

Chez le même éditeur LARÉSERVE(1984)

« LANUIT» (1985)

DIVAGATION DES CHIENS(1988)

PALLAKSCH, PALLAKSCH, Prix Maupassant de la Nouvelle (1990) FUR(1992)

LES ANIMAUX FONT TOUJOURS LAMOUR DE LA MÊME MANIÈRE(1995) PARKING DES FILLES(1998)

SKER(2002)

LAFIANCÉE DEMAKHNO(2004) GREFFE DE SPECTRES(2005)

Les autres livres de Liliane Giraudon sont répertoriés en fin de volume.

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Liliane Giraudon

P.O.L

33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6

e

La Poétesse

Homobiographie

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© P.O.L éditeur, 2009 ISBN : 978-2-84682-302-9

www.pol-editeur.fr Ouvrage publié avec le concours

du Centre national du Livre

et le soutien du Conseil Général des Bouches-du-Rhone

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« Tout le monde n’est pas poète » Hélène Bessette

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« M

A CHÉRIE JE T

AI FAIT DES PHRASES TROUVÉES PARTOUT

»

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« L’Auteur avait une aversion innée pour les logocrates »

Jean-François Bory

« Fig. de Comédie tragédie pastorale Mystérieuse identité fugitive »

Susan Howe

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La Poète a revêtu en fin de journée une vieille chemise du père mort. Chaude et douce. Il pleuvait. Brusquement froid.

Elle a cueilli les dernières tomates mûres (odeurs aigres et dans les mains cette trace noire un peu colle). Pommes au sol puis les poires jaunes cette fois dans l’arbre. Le fantôme du père dans la cave, puis près des arbres. Combien de temps demeurera-t-il visible. C’est la question qu’elle se pose.

Elle (entendez toujours « La Poète ») note qu’elle a retrouvé un poème d’Adilia Lopez.

Adilia Lopez est un autre poète du même sexe qu’elle et que la poète aime. Ce poème retrouvé est un poème qui parle de roses.

De roses tachées. Les roses tachées de rouille ont longtemps intrigué la poète.

Elle avait l’habitude de prélever les pétales malades et de les mettre à sécher dans des livres.

Avait fait ça pendant des années. La beauté de la maladie. C’est ce charme qui pesait sur elle. Un pétale malade lui semblait plus intéressant que les autres.

Aujourd’hui, une tache de rouille sur du linge l’intrigue et la fait rêver. Elle voudrait garder tous ces linges tachés et faire au mur un tapis de rouille. Ce serait comme une frise, avec des plis. Elle appellerait ça « ruban de rouille ». Ou « Jupe rouillée ».

En bas du tapis un flacon. Posé au sol. Eau écarlate. (Enlève les taches de rouille sur tous les tissus. Sans les abîmer.)

La Poète s’est levée à cinq heures. C’était horrible. Elle a traversé la ville dans le noir,

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complètement désespérée à la simple idée d’avoir à « gagner sa vie ». Dans le feu des phares elle se répétait : « Tu es lâche. Tu n’as aucun courage. » Pour se consoler la Poète chante

« Charlotte cocotte / Qu’est-ce que tu fais là ? / Je cire les bottes / De mon petit chat »

Encore la même, La Poète a enfin terminé la première version du film. Les 12 minutes.

Relu aujourd’hui, un peu sceptique. Mais n’aura pas le temps de refaire. A terminé aussi la première grande série des numéros dessinés. Maintenant commence celle avec l’encre et les craies épaisses. Elle dit : « Je me suis mouchée au moins cinquante fois. »

La Poète vérifie que Méthode signifie bien violence faite aux habitudes de relâchement.

Hier elle a décidé d’arrêter sa vie alimentaire le 13 avril. Elle a

compris qu’elle allait être libérée d’un petit bagne.

L’atelier de traduction s’est magnifiquement déroulé.Une soupe aux choux de cadavressera le titre pour le Klebnikhov. La Poète traduit dans des langues qu’elle ne connaît pas. Mais elle ne fait jamais ça seule.

Hier La Poète s’est posé des questions sur son amour du sommeil. L’importance

formidable des rêves où revient Rose la vieille bien-aimée dont elle est seule à guetter le retour.

Elle était assise dans un fauteuil et joyeuse. Le rêve a eu lieu en plein jour, durant les vingt minutes de sieste qu’elle s’était accordées.

La Poète a mangé les premières olives cassées de l’automne. Et ce n’était pas encore l’automne (elle se le disait et ça la rendait joyeuse). Son frère avait préparé une soupe de poisson

absolument fabuleuse et elle avait pensé au père. Il habitait encore la maison de la mère.

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Leur maison. Elle avait vu son fantôme assis sous le chêne, là où il passait des heures.

Hier elle a lu Filmà un fiancé.

Il regardait l’image sur l’écran.

Il a eu envie de pleurer. Plus tard elle a regardé des photos de Walser pour se préparer à son portrait. Repéré dans certains magazines spécialisés des morceaux de buste pour ses anges découpés.

Hier La Femme d’eau. Lenteur, eau et flamme. Et ce visage de femme, si beau. Le personnage de la mendiante folle lui a fait penser à Huguette. Huguette Champroux, écrivain

exemplaire du XXesiècle dont peu de gens se souviendront.

Huguette Champroux en Lambretta dans les rues de Rome rejoignant ce vieux poète au visage de tribun dont, au moment de l’écrire, elle ne retrouve plus le nom…

UNGARETTI. Huguette Champroux dans un film de Godard (rôle de boniche. Je fais

la boniche.) Comme le dit que le faisait Bessette. Hélène Bessette. Huguette Champroux écrivant dans Sorcières…

Huguette Champroux

mangeant du couscous en boîte arrosé de porto et riant riant dans l’appartement pourri de son jeune amant maghrébin.

Pas loin, la Sainte-Victoire et les œufs des dinosaures. La Poète se souvient de tout ça. Mais c’est confus. À la fois très précis et confus.

Hier à Ventabren pour une exposition. Elle expose avec d’autres. Toutes au féminin.

Mais pas toutes poètes. La campagne était si belle. S’est sentie étrangère. Ce n’est pas elle, ce n’est pas ça qui était gênant. C’étaient eux, uniquement eux… « Mes dessins étaient une langue étrangère, du passé. Je me suis sentie très seule, isolée dans mon écriredessiner… » Modeste technique (encre et plumes bientôt aussi désuètes qu’aiguilles et coton perlé).

C’est ce qu’elle dit. Mais elle le

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dit à personne. Elle le dit comme ça, dans sa tête. Elle note dans un carnet le nombre de verres de rhum bus avec quelqu’un qui s’appelle Julien et puis aussi Michèle. Elle note le soleil déclinant, l’avant- automne, le jaune grinçant des colchiques… Ici, il faut préciser que Julien est un Poète (classe sonore).

Hier La Poète s’est demandé qui avait bien pu déclarer que

« le goût de la crème fouettée n’est pas éternel ». C’était quelqu’un de plutôt petit et avec une voix nerveuse.

Légèrement aiguë. Mort à Voronèje. Avec du sang d’Arménie.

Hier on lui a dit : « C’est l’automne. »

Hier La Poète a cueilli des olives et mangé une grenade.

Hier dans le cahier c’est écrit :

« J’ai pleuré. » Au milieu d’une page. C’est sans explication.

Hier le vagin des femmes arméniennes était déchiré (elles y cachaient leurs bijoux, c’était au moment de l’exode, durant le génocide…). C’est ce qu’elle a entendu. Une autre voix disait que deux petites filles de quatorze ans s’étaient balancées dans le vide. Quatre étages.

Un mot : « La vie ne vaut pas la peine d’être vécue. » Pleurer sans raison signe qu’on a tout compris… ça renvoyait au jour précédent.

À cette phrase griffonnée en travers d’une page.

Hier La Poète a dessiné et peint les chiffres du rouleau d’appel (« chacun son tour »). La table était couverte de petits chacals de couleur mis à sécher. Plus efficace qu’un analgésique le simple geste de poser de la couleur a calmé son mal aux dents.

Hier La Poète a corrigé les épreuves d’un livre qui n’est pas d’elle et dont le titre est

Marquise vos beaux yeux.

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Hier elle a consolé Amel qui pleurait (Miloud avait menacé de la violer à la sortie du collège…).

Hier elle a relu deux lettres de Benjamin à Gerhard Scholem.

Il s’y interroge sur la façon dont l’auteur du Zohar conçoit les articulations phonétiques et les signes graphiques comme dépôts de rapports cosmiques.

Il dit plus loin : « Souvent je rêve de livres éclatés. » Hier La Poète a écrit : « Je me suis cassé une dent. »

Hier elle a marché dans Paris avec son deuxième fiancé. Un autre Le Poète. Au téléphone elle dit : « Nous avons mangé des huîtres. »

Hier elle a lu avec un comédien nommé Thierry un texte de commande. C’était sur un film intitulé Sofia. Dans un théâtre du nom de Montevidéo.

Hier La Poète a pleuré au milieu de la nuit. Elle avait mal

aux dents. Elle se disait que c’est ça qui la faisait pleurer mais elle savait bien au fond d’elle que ce n’était pas vraiment vrai.

Hier elle a appelé son fils. La Poète a un fils. Il lui manquait.

Il lui manque. Ce fils est maintenant un homme. Mais un jour un homme peut être votre fils. C’est ce qui est arrivé à La Poète.

Hier elle a pensé sérieusement que sa vie n’avait pas été assez drôle.

Hier La Poète a vu Mme Robbe- Grillet sur une scène. Elle a trouvé Mme Robbe-Grillet presque pathétique.

(La Maîtresse était déguisée en institutrice.)

Hier, comme elle avait du mal à respirer, La Poète a allumé une cigarette. Tout de suite elle s’est sentie beaucoup mieux.

Hier le Père prend l’enfant juste sorti du ventre de la mère et lui

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tranche les deux mains.

L’enfant devenue Poète aura de jolies mains roses articulées comme sa langue.

Hier La Poète a trouvé un titre pour le petit livre des quatrains fait avec le premier fiancé : Température du langage. Ryoko (autre « la poète ») le traduira en japonais. Kate qui l’a

commandé a été soufflée par la rapidité de son exécution. La poète a plus peur d’un dentiste que d’un quatrain. C’est ce que La Poète se dit en s’endormant.

Hier La Poète a dessiné de nouveaux anges. Ils étaient rayés.

Hier elle a envoyé une lettre d’insultes. C’était très agréable.

Hier, au VAC de Ventabren, aidée par Xavier et Alexandre La Poète a exécuté sa première installation « chacun son tour ».

Charbon de bois et les chiffres peints. La lumière était très belle. Elle a pensé au cadavre de son père (il ne verra plus les

arbres qu’il aimait, ni les vignes).

Hier un entretien avec Hannah Höch. Lu debout dans un couloir. Elle a repensé à la manière dont toutes ces femmes ont été écartées du mouvement dada. Sophie Taeuber, etc.

Hier La Poète a regardé les mains du fiancé (le texte ne dit pas lequel) et les a trouvées très belles.

Hier c’était le soir. La Poète a dessiné au bic rouge un dentiste qui lui fracassait la mâchoire. Le matin elle s’était fait extraire un morceau de dent cassée par un dentiste fou qui criait dans ses oreilles :

« Calmez-vous vous avez mal parce qu’il y a du pus, on arrête je vous mets sous

antibiotiques. » Elle dit : « Je ne veux plus que ce type me touche. » Elle a pensé aux bouches des chevaux et a eu de nouveau envie de pleurer en s’endormant. S’est demandé s’il existait des dentistes pour

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les chevaux. Avant de lui extraire (mal) la dent qu’il avait terminé de lui casser la semaine précédente, le dentiste fou lui disait qu’il avait une vie personnelle nulle. Ce qu’il cherchait c’est « une femme sourde-muette et orpheline ».

Elle lui avait suggéré : « Prenez une poupée gonflable. » Il avait répondu : « Avec la chance que j’ai elle sera trouée. »

Hier La Poète a pensé à Marseille. Marseille, la ville où elle dort. Elle se disait : « Tu dors prés d’un continent liquide dont les berges sont solides et les populations nomades depuis au moins le paléolithique. » Elle trouvait ça plutôt réconfortant.

Hier, en promenade, La Poète a cueilli du thym et photographié le crottin d’un cheval invisible.

Sur le Ventoux au loin, calotte neigeuse. Une meringue dans l’air.

Hier La Poète s’est sentie convaincue que dada était vivant parce qu’il avait été créé

par des artistes qui mangeaient des betteraves.

Hier La Poète a été triste de ne pas avoir son téléphone

quotidien avec l’autre fiancé.

Hier La Poète a appris la mort de son cousin Riri. Fan de Johnny Hallyday puis

aficionado et grand amateur de corridas, Riri avait le même âge que La Poète. Il est mort seul à l’hôpital. Il avait été très amoureux d’une gitane qui s’appelait Violetta. Atteint d’un cancer, quand il téléphonait à son fils gendarme qu’il se sentait mal, l’autre lui disait :

« Arrête ton cinéma. » Ce qu’il a fait au moment où on arrachait une dent à sa cousine La Poète.

Au téléphone la mère de La Poète dit à sa fille que 2005 est une mauvaise année pour les Giraudon. Avec son père, en six mois ça fait déjà cinq morts.

Elle (la mère) elle s’en fout elle se sent Chabert. La Poète s’est dit qu’elle n’avait jamais eu qu’un nom, celui-là où présentement on meurt.

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Hier La Poète a perdu son blouson rouge et fait pleurer une femme voilée en lui parlant du comportement violent de son fils pendant le ramadan. La Poète ne voulait pas faire pleurer la mère mais le fils. Elle se disait que s’il était si violent c’est parce qu’il n’arrivait plus à pleurer.

Hier La Poète a cueilli neuf kakis. Ils mûrissent dans son salon près du gingembre confit.

Hier un dessin crayons couleurs avec eux trois (Le Poète + Le Poète + La Poète) sur une double page de cahier dessin.

C’était assez long et délicat. On pourrait dire incertain.

Hier La Poète s’est posé la question « Violence-

Mélancolie » puisqu’il se trouve qu’elle est invitée à parler de ces deux sujets dans deux espaces différents. Puis elle s’est souvenue d’Ajax. Récrire Ajax.

Un très ancien projet.

Hier La Poète a écrit : « J’ai rêvé d’un livre à manger cru. » Hier elle a reparlé de la poétesse vietnamienne Hô Xuân Huong.

Son insolence. Dans son siècle.

À sa place. Près du grand lac d’Hanoï. En plein XVIIIesiècle.

Sa crudité sexuelle enfouie sous de simples objets (éventail, balançoire, fruit). Comment le fait qu’en vietnamien le verbe

« traduire » signifie aussi

« contaminer ». Ça n’intéressait pas plus le public que la fois précédente.

Hier, en mangeant une huître, La Poète a brusquement pensé :

« LA LOGIQUE C’EST LE LOGOS. » Elle pensait à l’eau de l’huître sur la langue. Tout est lié, donné. Elle se disait :

« Ce qu’il faut c’est trier et recomposer. »

Hier La Poète a vu deux superbes bézoards montés en bijoux (jusqu’à ce jour elle ignorait que ce n’étaient que de simples calculs ayant appartenu à l’appareil digestif de certains

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ruminants). Ceux-là venaient d’une chèvre contemporaine de Marguerite de Navarre… C’est ce qui a plu à La Poète.

Hier La Poète a cherché à se procurer un manuel de broderie. Puis elle a laissé tomber.

Hier entendu parler du « tout à l’anglais » comme d’un « tout à l’égout ».

Hier elle a pensé à un congélateur rempli de livres.

L’été on part au lit avec son livre frais qu’on ouvre sur son ventre ou sur lequel on pose ses fesses.

Hier La Poète a vérifié la domestication de l’artiste par la logique du réseau de

cooptation. Elle a pensé qu’il était temps de se déniaiser (en déliant et en idiote).

Hier La Poète a insulté un type en le traitant de « trou du cul ».

Ce n’était pas un Poète. Un Directeur. Le texte ne dit pas de

quoi mais le lecteur doit comprendre.

Hier La Poète a pensé à Queneau bourreau de Bessette.

Cette manière qu’il avait de tenir quelqu’un en le lâchant.

Elle l’écrit : « Une sorte de tendresse lie les bourreaux. À leur victime. » La place du point renforce grammaticalement la violence du lien. Mais Queneau n’est pas seul. Et les bourreaux sont aussi des hommes

sensibles.

Hier La Poète a appris l’expression italienne « coudre dans le beurre ». Elle s’est dit :

« C’est ce que je fais quand j’écris. »

Hier elle a vérifié qu’un calque n’est pas une copie.

Hier La Poète a vu sur le trottoir de l’urine fumer.

L’urine dessinait l’image exacte de la botte italienne. Il était six heures quarante-cinq et la nuit était brumeuse malgré le froid

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sec. La Poète a ressenti un curieux sentiment de bonheur.

Le simple fait d’exister.

Hier elle a bu un thé superbe appelé « Baïkal ».

Hier elle s’est efforcée de réfléchir à l’expression « ouvrir son cœur » durant au moins cinq minutes (montre en main).

Il s’agit toujours de La Poète.

Hier La Poète a embrassé son fils. Puis elle a fait cuire un cuissot de chevreuil. C’était Noël. Vraiment.

Hier elle a dessiné avec encore plus de rage que d’habitude.

Mais à sa rage se mêlait un soin de brodeuse.

Enfant, La Poète joue non loin des jupes d’une femme qu’elle prend pour sa mère. Elle veut retourner dans le ventre. La femme l’accepte sous ses jupes.

La Poète traverse un bosquet d’herbes noires et frisées. Elle se hâte. Et dans sa hâte se trompe d’entrée. La galerie où

maintenant elle rampe est tapissée de merde.

Hier La Poète découvre que

« stigmate » est du masculin. Ce mot, elle l’employait toujours au féminin pluriel et pour elle, secrètement, le sexe du mot reste féminin (comme pour anchois et après-midi).

Hier elle note brusquement :

« Compris que tous les sujets sont des objets à tenir, regarder, traiter. »

Hier La Poète pense à des tilleuls polychromes. Ce n’est pas la première fois.

Hier elle a longuement regardé une photo de Sophie Taeuber.

Hier elle écrit et cette fois avec soin : « Je me suis bricolé un grattoir que j’ai rangé avec les gommes. J’appelle l’ensemble

“soustraction additive”. Je gomme et gratte. Le dessin c’est ce qui reste. »

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Écrire ne collabore pas. Hier elle a essayé de réfléchir à ça.

Hier, à propos d’autobiographie, elle a pensé à la formule « faire sur soi », c’est-à-dire se chier dessus (barre fixe de la généalogie).

Hier rêvé un petit dialogue :

« Moi si j’avais pu choisir mon nom, j’aurais dit Carence. Pas Clarence, non, Carence. »

« Bonjour Carence. Moi c’est Inopinée. »

Hier La Poète a pensé : « Mes dessins sont des misologies. Je suis une misologue. » C’était pas la première fois.

Hier La Poète heureuse : elle a obtenu un congé psychiatrique d’un mois. « La carcasse flambe ! » « Je m’en fous, je suis plus là ! » « Mais la carcasse c’est toi ! »

Hier on lui a dit que le tétramètre iambique énervait Pouchkine et qu’il avait une

manière curieuse de placer ses points-virgules.

Hier La Poète a caressé

Ganesh, le dieu-homme-animal civilisé par la joyeuse

prostituée. Celui-là est en bois.

Rapporté d’un voyage en Asie.

La Poète a pas mal voyagé dans un passé récent. Sauf l’Afrique.

Elle dit toujours : « Sauf l’Afrique. »

« Ce matin il gèle. » C’est la phrase qu’hier elle se disait en marchant dans la nuit d’un jour pas encore levé.

Hier Christophe a relevé cette phrase pour elle (en revenant des toilettes hommes) : « Il a été récemment remarqué une tendance de certains à uriner à côté de la cuvette. » Il l’a écrite dans le cahier de La Poète. Sur une page entièrement blanche.

Avec un dessin. Christophe dessine. La Poète est folle des dessins de Christophe.

Hier petites gouaches.

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Hier traductions avec Aaron Chabtaï : « Je frappe ma tête d’œuf pour qu’elle me dise / pourquoi j’aime tellement ton cul /… »

Hier, mes dessins sont mes dessous. Au début c’est ce que je me suis dit se souvient La Poète.

Hier lu dans André Frémon que la chose essentielle pour un artiste c’est de ressembler à soi- même… Son travail doit lui ressembler.

Hier, alternative entre être vomie et être dévorée. (La Poète exagère.)

Hier recopié dans Spinoza cette phrase superbe : « Il n’y a qu’un cœur d’airain qui puisse aimer ce qu’un autre

dédaigne. » En se fatiguant à fabriquer de petits dessins La Poète se forge-t-elle un cœur d’airain ? Et ses livres qu’on pilonne ? Lui donnent-ils un cœur d’airain ?

Hier la neige sur Paris.

Hier Walser mon bien-aimé.

Lui, encore lui. Elle ne lit que lui. C’est pour son portrait.

Hier la rue = la torture (privation de sommeil, de nourriture, hypothermie, isolement, peur…). La Poète regarde ceux qui ont la Rue pour Maison et elle a honte.

Hier ses dessins en

graphorrhées. Oui. Sans aucun doute.

Hier Marina demandant à Pasternak de lui offrir une bible pour Noël. En allemand. Il faut qu’elle soit en caractères gothiques, pas grande mais pas de poche non plus. Courante…

Elle promet : « Je la trimbalerai avec moi toute ma vie. » Hier le beau visage de la baronne Elsa von Freytag- Loringhoven. La Poète est restée longtemps à le regarder.

Comme si elle était vivante.

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Hier normalité, banalité, conformisme et soumission.

Envie de vomir.

Hier soir intéressante

proposition dans la boîte de La Poète : « enlarge your penis up to 10 cm or up to 4 inches (herbal solution 100 % guaranted result !)… » L’ennui c’est qu’ils ne disent pas combien de temps.

Hier c’est lui, c’est elle, c’est demain.

Hier elle a pensé : « Cette bande c’est pas un groupe c’est une crème. » Mais de quelle bande elle a pensé ça impossible de se souvenir. Pour la crème, sûr, sa fonction c’est de tourner.

Hier vérification que l’espace nous dépasse, c’est un tirage et c’est sur nous qu’on tire.

(Silence je suis morte.) Hier au bar, devant son pastis un homme regarde Le Cornet à dés, un recueil de poèmes que La Poète vient de sortir de son

sac. Ayant déchiffré le titre il s’écrie : « Encore un flambeur ! » Tout le comptoir se penche sur le livre et s’esclaffe. « Et en plus il s’appelle Max !! »

Hier elle note, ça bouge. Une idée pour les dessins tremblés à ranger avec ceux faits les yeux fermés. C’est lui, c’est elle. Le frère, c’est sa sœur.

Hier, trier des légumes ça calme.

Hier La Poète a entendu parler un cadavre de perroquet. C’était dans un conte tibétain traitant de l’apprentissage du transfert de conscience dans un mort.

Hier Walser son bien-aimé :

« Écrire et ne jamais corriger ce qu’on écrit c’est justement la totale pénétration d’une absence extrême d’intention et du dessein le plus précis. » Hier quelque chose de brûlant au fond de sa gorge. Du mal à avaler. Sans doute le collège.

(Les enfants deviennent fous.)

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Hier Beckett dégoûté par Bach.

Gonflé par Wagner. Un ami dit à la poète « flatulence » et la chose désigne l’effet Wagner.

Hier La Poète déclarant sa mère seule, cernée par la neige.

Hier elle ouvre son carnet de ponctuation. Elle y rajoute deux pages de points d’interrogation (verts) et d’exclamation (rouges).

Hier la page comme unité de mesure, c’est évident dans le dessin, il se termine quand la page est couverte (ou pas). Pour l’écriture non.

Hier pas la graphie experte, non, griffonné entre lettres et lignes, jusqu’à s’énerver au point de tout déchirer en trois.

La page comme unité ? Détruisons la page.

La Poète pond des œufs par la bouche. Ça se fait la nuit quand tout le monde dort. Elle cache les œufs sous son lit. Mais un

soir les œufs explosent. Le matelas est souillé. La Poète perd un œil.

Hier elle se demande si dans les dessins de nuit un degré d’abêtissement (dû à la fatigue) rendait plus vivantes les lignes.

Hier une série de photos de fonds d’assiettes après la soupe.

Roses bleues avec traces huileuses de tomates.

Hier à peine le jour levé une fois de plus elle essaie d’écrire un rêve. Se souvient que Freud disait que ça ressemble plus à des idéogrammes

(hiéroglyphes ?) qu’à une écriture phonétique.

Hier La Poète note : « Mes carnets se défont. Et moi avec.

Je ne sais plus laquelle écrit ni où elle écrit. La Poète veut émouvoir son lecteur. »

Hier Mary Beach Pélieu (1919- 2006) est morte à l’hôpital de Cooperstown.

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Hier elle apprend que le jour des rois Beckett a été poignardé à Paris par un maquereau du nom de Prudence…

Hier La Poète a pensé que sa mère, après s’être déguisée si souvent, se préparait

maintenant son corps de morte. Elle dormait, la bouche ouverte. Ultime

travestissement. (On ferme la bouche des morts.) La Poète avait enterré le dentier de son père dans une allée de fèves. Si on disait pourquoi aucun lecteur ne le croirait.

Hier le soleil sur la tête de la chèvre tibétaine.

Hier grand sommeil à Moscou après un gâteau au pavot et – 25°. (La Poète voyage.) Hier elle a retrouvé dans la même papeterie la même gouache pour enfants qu’il y a deux ans. Elle sait que le godet jaune sera celui qu’elle videra le premier.

Hier Varbara Stepanova. Avec Rodchenko, son mari. Leur adhésion à la révolution puis leur mise à l’écart. Ils ont illustré des livres de Trétiakov.

(Lui est mort en prison.) Hier soir truites en tranches rouges et la vodka au blé près des crayons tchèques.

Hier vers la gare de Kiev les tziganes et son écharpe humide.

Cette Poète-là ne porte des écharpes que lorsque la température l’y oblige.

Hier les cosaques avec leurs dents jaunes. Leur buste horizontal contre le corps des montures, la bouche

tendrement appliquée contre celle du cheval. Ils sautent à travers de petits cerceaux de fer.

Hier Marina et son « On n’écrit pas un livre, un livre s’écrit ».

Hier bière Baltica légèrement caramélisée et bue debout dans le froid sous un portrait de

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Lénine. (Gare de Kiev.) La Poète ne craint pas les clichés.

Hier elle note : « J’ai écouté Radio Datcha dans la cuisine. » Hier décision de boire du kéfir.

Une façon (dedans) de s’accorder avec la neige (dehors).

Hier le garçon et son corbeau. Il lui a coupé les ailes. Il lui donne de petits carrés de viande. Le rouge des morceaux.

Hier les feuilles de l’ibiscus près du radiateur. Elles tremblent alternativement. De l’autre côté de la vitre, les flocons légers et qui s’espacent en tournoyant. Il fait si froid qu’aujourd’hui La Poète reste dedans.

Hier, dans L’Annonciation de Botticelli les lys fleurissent à l’arrière de la tête de l’ange. Il est pieds nus. Seuls les orteils du pied gauche reposent (à peine) sur le sol. La Poète retourne toujours au musée.

Hier douleurs dans les os (tout le corps).

Hier le chant des mésanges.

C’était le matin très tôt et la température était brusquement montée à – 12°.

Hier, c’est-à-dire au XVesiècle, certains croyaient que le cœur des nouveau-nés et des fœtus rendait invisibles les voleurs qui en mangeaient. C’est ce que lit La Poète.

Hier durant la nuit, elle a regardé longuement le ciel bleuté rendu laiteux par la neige du sol.

Hier instrumentalisation de l’art des fous dans un débat qui par définition ne les concerne pas.

Hier, le côté « surrégime » des obérioutes.

Hier réflexion (trois minutes) sur la mise hors service de

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l’écrivain par ceux qui prétendent écrire.

Hier Oleg Koulik. La Poète l’entend encore aboyer.

Où est-il ?

Hier le mot « CONTREPLAN » écrit en gros et posé comme un programme.

Hier caviar rouge sur œufs durs.

Hier revu sur l’Arbat

le garçon au corbeau. Ses yeux sont très écartés et sa bouche fendue par le gel. L’oiseau obéit à sa voix. C’est ce que note La Poète.

Hier, le mot khleb. Ici il ne désigne pas un chien mais à la fois le pain et le blé. Quand le pain est noir comment penser au blé ?

Hier dans le silence de la nuit le bruit de la petite chatte lapant son eau. Rythme régulier, calme. Archaïque.

Hier la nuit. La Poète :

« Je coupe. Je découpe.

J’assemble. Je regarde. » Hier il écoute. Il se penche.

Il se plaint.

Hier retourne-toi. Regarde-moi.

Hier il sort. Il s’en va.

Hier je dors. Je rêve. Je note.

Ça bouge. C’est lui. C’est elle.

C’est demain.

Hier je dis que j’ai ce qu’il faut pour mourir. Il dit qu’il est furieux.

Hier le silence. Les taupes. Le givre. Je veux retourner là-bas.

Hier à nouveau le fantôme du père. Et le plat de poisson.

Hier la langue. J’y pense en regardant les visages dans la rue, la langue est toujours dans le visage, elle ne s’en sépare pas.

C’est le visage qui l’éclaire et c’est lui qui donne à la voix sa couleur. C’est ce que je me

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disais. (C’est encore La Poète qui parle.)

Hier Blanche-Neige : « Si j’étais chez mes nains, tranquille, là-bas je ne gênerais plus. » Hier, diffuser un corps. Refaire inlassablement un dessin de son corps sous forme de phrase.

Une seule. Une seule phrase.

Hier, ce qui s’applique au poème : mal fait + refait + pas fait + défait…

Hier Velimir Khlebnikov parti au Daghestan pour y rencontrer la langue tabarassan.

En tabarassan les suffixes indiquent la position de l’objet dans l’espace et sont parfois doublés par d’autres suffixes traduisant la direction du mouvement.

Pour pouvoir lire en paix des mangas La Poète doit pénétrer dans un couloir dont elle n’a pas la clé ; elle introduit son ongle dans la serrure. La serrure est un taille-crayon. Il

taille l’ongle puis le doigt. La porte s’ouvre. Du sang coule sur les boiseries.

Hier devant la mer. La Poète boit un verre de vin blanc et pense : « Tu habites près de la mer. »

Hier, pourquoi les femmes urbanistes sont quasi inexistantes ? Encore une question posée. Déposée.

Hier, il n’y a pas que les dieux qui meurent sans cesse et de multiples manières.

Hier le mot « verjus ».

À l’origine fait de jus acide d’oseille et plus tard composé de jus de prunes immatures.

Trouvé dans un dictionnaire russe.

Hier les doigts d’une main.

Tranchons-les. Nous aurons cinq récits ou un récit tranché en cinq.

(31)

Hier les poissons vivant en harem. La femelle se transforme en mâle à la mort de celui-ci.

Magnifique pense La Poète.

Mais elle écrit « commode ».

Hier encore une fois je me demande ce qu’écrivait Jésus dans la poussière. C’est

toujours La Poète qui se pose ce genre de question parfaitement inutile.

Hier, écrire a quelque chose de pitoyable.

Hier dans son rêve, elle la voit.

Après toutes ces années. Le temps où elle n’est plus là depuis longtemps palpable comme une brume. Et La Poète debout, penchée ou plutôt tendue vers la revenante. Toutes ces années sans elle. Comme si elle avait encore traversé pour elle ce malheur d’être en vie.

Venue jusqu’à elle (fantôme flottant). Revoir, défigurée, son enfant. La fille de sa fille.

Pire qu’au soleil elle flottait dans le jour.

Hier les crânes. La terre verte.

Le bruit des pas dans les couloirs.

Hier personne ne peut énumérer tous les cas où la consolation est une nécessité.

Quand consoler c’est être consolée.

Hier tête basse La Poète relit une page écrite il y a quelques jours. Ne voit que la merde qui est là et brusquement porte la page à son nez. Renifle.

Hier elle a rêvé qu’elle commençait un portrait de Freud (Cinématon). Elle avait une petite fille qui disait : « Le tue pas ! le tue pas ! »

Hier on a fait un trou dans la gencive de La Poète pour y installer sa première fausse dent.

Hier les feuilles dans les arbres à Paris. Et les larmes du jeune mannequin. Elles coulent

(32)

comme des perles. Il dit qu’en Jamaïque on vient de poignarder son frère. Il est mort à l’hôpital. La Poète le prend dans ses bras et pleure avec lui.

Elle n’a jamais tenu un garçon aussi beau dans ses bras. Mais ça, elle y pense longtemps après.

Hier la petite fille du rêve revient. Elle saute à

la corde et elle chante. Elle se tient dans un coin du rêve comme à l’angle d’une fenêtre.

Hier La Poète pense qu’écrire est une soustraction.

Hier les choses se déplient aveuglément. Le cœur pompe le sang. L’œil regarde.

Hier faire le vide dans la maison que La Poète partage avec un autre Poète.

Livres, objets, vêtements. La Poète dit au Le Poète qu’il faut travailler la soustraction.

Un espace pour dessiner. Elle dit : « Je veux un espace pour dessiner. Tu entends ? » Elle

crie. Quand « écriredessiner » ne trouve pas encore sa cabane.

Il dit : « Encore tes histoires de cabane. »

Hier reprendre en défaisant (l’arrière-garde de l’avant- garde).

Hier la baignoire et le coquelicot.

Hier les voix. La Poète pense :

« Il ne faut pas se nettoyer les oreilles. » Elle se demande si elles entrent dans les oreilles où si elles sont déjà dedans (quelque part dans l’arrière de la tête). Elle pense :

« Mes voix sont acousmates.

Souvent pressées (dans tous les sens). »

Hier vidange. Parfois sur les mains la graisse du moteur.

Hier « MesAnges ». Ils pourraient s’appeler

« Abstraction des Bêtes ». C’est ce qu’elle pense, brusquement, et ça l’illumine.

(33)

Hier l’article sur Marquise» ou la pratique de la poésie « comme- quand-on-feuillette-un ouvrage- dont-on-ne-saisit-pas-l’usage »…

Ce livre sera notre enfant bâtard, il n’en finira pas de nous faire des enfants dans le dos (chic !). La Poète croit pas si bien penser. Cette bande-là et son pas de quatre tourneront (comme une crème).

Hier l’iris blanc.

Hier la vérification de l’essor implacable de l’animation et du divertissement. Godard a raison :

« La culture c’est la règle et l’art l’exception. » Alors, vite et chaque matin « écriredessiner », pense La Poète.

Hier Rilke écrivant à Marina :

« Le plus difficile continue à me réussir. » Bientôt il meurt.

Hier la douceur de l’air et les premières fraises.

Hier La Poète : « J’ai rêvé d’un coït entre l’Angelus Novus de Benjamin et le Goofus Bird de

Borges. Ce dernier construit son nid à l’envers et vole à reculons.

Il ne se soucie pas de là où il va mais d’où il vient. L’Angelus Novus est triste. On peut dire effrayé. Le Goofus, lui, est joyeux bien que sur ses gardes.

Le coït avait des allures de viol. » La Poète rêve beaucoup.

La Poète cache un oiseau dans sa culotte. L’oiseau dort. Elle l’introduit au réfectoire.

Pendant qu’elle mange une tranche de cake l’oiseau réveillé remonte jusqu’au sein. D’un coup de bec il lui tranche le téton.

Hier dans une chambre d’hôtel prés d’Alger, après avoir posé trois petites figues vertes et une fleur de bougainvillier sur la table La Poète a pensé (pourquoi à cet instant) au soldat allemand basé à Gdansk et devenu fou parce qu’on lui avait raconté que le savon avec lequel il se lavait depuis une semaine venait sans doute de sa jeune maîtresse juive…

(34)

Hier, toujours La Poète :

« J’écris, c’est-à-dire de plus en plus je traduis et je commente et ce qui s’appelle mon texte j’y pense comme à un sous- produit, une soupe qui passe et où je dois piocher et ce n’est même pas certain que ça repasse, c’est comme donné brutalement et à contrecœur mais où bat le cœur ? à qui est- il ? Comme un philologue malade je ne fais que fixer puis établir quelque chose qui circule. C’est ce geste, c’est écrire… et ce corps pèse et se déplace, parfois il est penché et il tombe. » C’est ce qu’a écrit La Poète. À Alger.

Hier les clics. La Poète apprend que ce sont des consonnes prononcées avec succion. Le bruit du baiser est un clic labial. Mais rien à voir avec la prépalatisation de certaines liquides proches des consonnes mouillées.

Hier ni fait ni à faire.

Hier la canicule dont le nom vient d’une étoile portant un nom de chien.

Hier (La Poète est à la

montagne, c’est l’été). Dans sa chambre une petite chouette.

Et au matin, devant la porte, l’estomac d’un loir déposé par les chats.

Hier dans un vieux carnet la formule tracée hâtivement au crayon et oubliée : « Quoi que tu fasses fais autre chose. » Hier la confiture d’abricots tournée lentement avec une cuillère de bois retrouvée au fond d’une boîte.

Hier l’oiseau au cui parfait.

Le dessiner sans l’avoir vu.

C’est ce que projette La Poète.

Son chant est palpable (sans doute perfectible).

Hier le langage (supposé être une réalité dernière inexplicable et mystique). À ne contempler que dans son déploiement.

(35)

Hier l’aspect érotique et artisanal du temps qu’il fait.

Hier maman est morte. C’est ce qu’a écrit tout simplement La Poète. Au milieu de la page.

En plein milieu. Et non daté.

Hier quiconque domine est toujours héritier de tous les vainqueurs.

Hier deux mois que maman est morte. Je ne supporte pas sa perte. Je ne savais pas que ce serait si dur cette idée : elle est morte et c’est pour toujours.

Ma vie à moi n’a plus le même sens. Vivante, sa folie me protégeait. Qui maintenant me protégera ? Dans la lignée des folles je suis la dernière. C’est ce qu’écrit La Poète.

Que va-t-il arriver ? Dire qu’on l’est fait reculer la chose (cf. celui qui le dit c’est lui qui l’est).

Hier, objets sans chambre.

C’est-à-dire quelques objets

que La Poète a traînés puis abandonnés comme ces crayons ou carnets, ces foulards découpés et enfermés dans des enveloppes.

En vue de quoi ? Elle dit : « Je les ai abandonnés dans un mouvement de violence (rejet d’une époque comme d’un souvenir précis). Une façon de vivre dans son corps. Le chemin devient le corps. Les objets des cadavres. Un moi meurtrière.

Sans apparence. Un repos par effacement. »

Hier des sonnets queeret des quatrains fermentés. Voilà le bilan qu’elle fait de sa récente production. Et cette dispersion à laquelle elle s’est en tout point appliquée (tandis que d’autres s’assuraient une gestion).

Hier, comme Blanche-Neige, elle se murmure à elle-même :

« Si j’étais chez mes nains, tranquille, là-bas je ne gênerais plus. »

Mais pour elle il n’y a jamais eu de nain. La Poète ressasse.

(36)

Hier, encore les hétérogènes.

Cette association de

malfaitrices. Poètes (c’est à voir puisque additionner un féminin ne donne pas un masculin) malfaitrices de la bio ? entendez

« biographie ». Pas de quatre (ça ne fait pas une chorégraphie).

Le but était d’organiser un choc et de produire un continuum.

L’absence de rapport entre les éléments associés révélant le caractère de l’association.

Alliage n’est pas alliance.

Exercitation.

Hier, mal fait + refait + pas fait + défait…

Sa grand-mère disait : « Ni fait ni à faire. » C’est précisément là où elle se trouve. Devant cet ouvrage-là.

Hier le fait que ce sont toujours les mêmes qui expliquent (analysent). Et les mêmes qui sont objet d’explication. La Poète lâche le problème des banlieues (ça flambe) pour réfléchir au fait que les hommes ont 317 muscles (deux fois).

Hier Vasilick Gnedov (1890- 1978). Poète égofuturiste originaire du Don. Auteur de Mort à l’artpréfacé par Ignatiev et célèbre par son POÈME À LA FIN

(uniquement dit par des gestes).

La Poète pense que ce serait beau de finir ainsi. Vieillarde muette. Délabrée. Non sonore.

Ignatiev s’est ouvert la gorge au rasoir dans la soirée du

21 janvier 1914, le lendemain de son mariage. Il dédie son livre à ses amants Gnedov et Meyerhold.

Hier elle note que « s’est ouvert la gorge au rasoir le lendemain de son mariage » est étrange quand le sujet est un homme.

À La Poète on dit qu’elle est née le jour où on a supprimé les bordels. Elle se demande quel rôle cette décision a eu sur sa vie. La sienne. Ce fait : chacun a quelque chose à voir avec la prostitution.

Masculin ou féminin on est tous des putes.

(37)

Travailler l’insulte. Celle qu’on reçoit. Dire. Taire. Ne pas se laisser tuer. Lorca. La Poète relit Lorca en le traduisant. Les photos couleurs qu’il prend sur la plage catalane unie jaune et que Dalí reproduit dans ses toiles. La beauté de ces deux-là.

Leurs cuisses dans le soleil.

Voici l’homme qui voit à l’aide d’un mètre jaune. Les

coquillages qu’il dessine sont l’anus de son amant.

Ça parle de l’amour au-delà de l’ardeur. Et ça parle des cœurs.

Ils font cuire les cœurs. C’est une forme neuve du

commentaire. Plus tard La Poète rencontre Eulalie. Son corps dépecé sur la neige. Ou celui-là pendu par les pouces et que les oiseaux dévorent.

Retour aux anges. Leurs corps dévoilent l’abstraction des bêtes. La Poète dit : « Mes anges dessinés ne sont pas écrits. Ils sont légendés. L’appareil est changeant. Il leur machine un sexe plus commode que les nôtres. Mes anges sont des

créatures insouciantes des preuves de leur existence.

Abstraction des bêtes pourrait être leur nom. »

Un gros lézard s’approche souvent de la bouche de La Poète quand elle dort. Elle écarte ses lèvres, laisse pénétrer la tête du petit batracien et d’un brusque coup de dents la lui tranche. Le lendemain, après avoir chié, elle remue les excréments pour vérifier que la tête a bien été avalée dans son sommeil. Lavées à l’eau tiède les têtes sont mises à sécher sur le bord de la fenêtre.

Particules d’eau le poème est une écluse. Retour à l’air pur.

« Allumons nos cigarettes », dit La Poète. Et elle ajoute : « Le poème comme pied-à-terre provisoire. Puisqu’il est

antérieur à la composition bien que la composition soit

intérieure au poème. Une conduite. »

Réussir contre le poème, longtemps elle a cru qu’il

(38)

suffisait de le noyer. Poisson il nage (chargé d’arêtes). Les boutons sans la rose éclatent (ça fait un bruit de pet) et dans leur friture les rougets se retournent.

D’ailleurs on a donné à la masse à sucer ce berlingot secret : l’érotisme des perceptions de plus en plus sexualisées du corps humain.

C’est ce dont il est question au téléphone et plutôt longuement.

Dehors la pluie chaque jour.

Elle fait grandir les pissenlits.

Ouvrir les violettes.

Le lecteur aura compris que cette année La Poète fait de fréquents séjours à la

campagne. Une nuit elle se pose la question : « Qui a tué la femme de Meyerhold ? » « Mais il n’y a pas besoin de mourir pour être mort », répond la femme morte.

Et Niobé, à la descendance féminine, détruite par cet autre chasseur, autrement féroce…

l’arrière-garde de l’avant-garde.

La Poète se situe donc dans

cette descendance-là. Écrire, une sous-action. Le cœur pompe le sang que l’œil regarde. Action immobile : pisser.

Il lui dit : « Il y a ceux qui pillent et il y a ceux qui cherchent. » Mais elle pense que piller c’est aussi chercher.

La Poète reconnaît ici son manque total d’originalité.

Les lectures, ah les lectures.

Avec certains cette impression de messe. Avec cependant un soupçon de rire. Un zeste pas plus. Dosage du lait dans la cup of tea. Un nuage. Comment brusquement là-dedans (cette crèche) elle se sent « truie ».

Cette non-appartenance.

Retour en Hongrie. La Poète écoute tétanisée, en terrasse du grand café Gerbaud à Budapest La Veuve joyeuseau violon. Ce qui se jouait sur le quai de gare des camps.

Et cette fille trop grosse. Elle dit qu’elle mange des images. Son

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mari est taxidermiste.

Spécialiste en corps d’oiseaux.

Surtout les cygnes. Préparateur il sépare le corps-viande du cygne de son plumage. Idem pour les flamants (roses). La Poète regarde les mains du préparateur. Rêve une seconde de les voir sur elle.Y séparer le corps-viande des plumes. Mais où sont mes plumes ? (Aisselles, pubis, très vite il remplace les poils par des plumes.) Qu’est-ce qu’on peut faire ? Quoi que tu fasses fais autre chose. L’art se fait là où on habite. Merci Robert. Ici c’est vert c’est frais. Lui, il ne voulait pas laisser le champ libre aux proxénètes. (Ils transforment tout le monde en putes. Ils récupèrent tout. De chaque protestation authentique ils font une source de profit.) Mais alors Robert pourquoi tu finis au musée ? Parle à mes héritiers moi je suis mort.

Ici La Poète se souvient d’Ernst Weiss qui se tranche les veines dans sa salle de bains au

moment où les troupes allemandes entrent dans Paris.

Carl Einstein, lui, ne se les ouvrira que le 5 juillet 1940 avant de se balancer dans le Gave, à Pau.

La connaissance du mal en tant que méditation est une

connaissance primaire. Relève de la simple observation. La Poète se souvient et puis oublie.

Aussi sec.

Sous la Voie lactée il accumule durant l’été 600 citations.

L’usage insolite qu’il en fera, les organisant selon un modèle allégorique qui sans cesse se déplie. Une mosaïque complètement folle.

Elle lui explique que les anges disparaissent comme l’étincelle sur le charbon.

Lui, il s’en fout.

Hier, après une brève sieste et sous la pluie qui bat les feuillages, La Poète rêve d’un Organe Central Pour Petits Livres. OCPL.

Pense à cette drogue terrible (à

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savoir soi-même) que chacun absorbe dès qu’il est seul.

Sur un carton à dessin La Poète a inscrit en gros au feutre ANGÉLOGRAPHIE

(dessous en plus petit « et leurs légendes »). C’est noir et rouge.

Dans la nuit, des bêtes l’ont piquée. Sur le corps de petites boursouflures (bras, épaule).

Des oiseaux passent dans le ciel. En bas, trois espèces de basilic. Au loin la Durance par plaques.

La femme du roi de Sparte. Le Cygne (encore lui ! s’écrie La Poète) ou Croix du nord. Une des plus belles constellations boréales. Vingt-six étoiles dans le lit de la Voie lactée.

Succession de phrases

(sensiblement non arbitraires).

Esprit des lacs et des nœuds. Le roi des ténèbres connaît toutes les langues du monde. Elle dit au deuxième fiancé que ce sont les anges qui ont enseigné aux hommes l’art de peindre le tour

des paupières à l’antimoine.

Le deuxième fiancé ricane et va répéter au premier fiancé. À la rivière ils l’arrosent et se moquent d’elle.

« Aujourd’hui j’ai assassiné un champignon », déclare La Poète. C’était à 1 800 mètres, avec un couteau. Un superbe rosé des prés d’une blancheur marmolée. Elle a pris soin de ne pas toucher à ceux que viennent grignoter dans la fraîcheur de l’aube, les marmottes et les loutres.

À chacun sa mangeoire.

Le pince-oreilles pénètre dans l’oreille de La Poète. Il cherche un vers mais tombe dans le cœur. Déçu, il la pince. Du sang coule. Malgré le mouvement de ses pattes le pince-oreilles se noie. La Poète prétend qu’elle n’a rien senti.

La Poète relit Spicer. Elle a relu Spicer. Elle aime relire Spicer.

Depuis vingt ans elle aime Spicer. Spicer rêvait que Rimbaud reviendrait et qu’il

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l’embrasserait. La poète a écrit :

« mais lui il est venu / et lui a volé sa bicyclette / puis La Poète a écrit une variante Mais lui il est venu / et lui a mis un doigt dans le cul ».

« Impossible de retrouver ce livre sur la Vierge », se plaint La Poète (trop bordélique). Alors elle pense à tous ces ventres ouverts dans les peintures primitives et à ce bras troisième sortant des entrailles.

Enfant, La Poète participait au fleurissement de la Vierge (lys et roses blanches formant grappes vivantes et nuages charnels).

L’Assomption ne montrait pas une Vierge vieillissante mais une jeune-fille-femme indécise quant à la forme même de son corps.

Dans une soirée très chrétienne, comme il n’y avait que des femmes mariées on avait choisi un jeune garçon pour tenir le rôle de la Vierge.

Une amie de La Poète avait

maquillé le garçon. Il portait une robe bleue.

La Poète a parlé d’une autre.

Une romancière. Hélène Bessette. Qui avait fondé le Gang du Roman Poétique.

Ça se passait dans un théâtre.

La poète a pris un train. Elle a cité une phrase de la romancière.

Une des plus belles. La phrase ici, comme un corps : « Les plus calmes prenaient leur température avec un bâton. »

La Poète a un ami qui s’appelle Bite-Bleue. C’est un chat à tête d’homme. Il grimpe sur ses genoux et lui rapporte des mulots. Elle les trempe dans l’huile et les avale d’un coup.

Elle les trempe dans l’eau et il en sort deux corbeaux (Edgar Poe en devient malade).

La Poète travaille à ses poèmes.

Un livre de 214 poèmes. Ce qu’elle appelle « poème ».

Chaque poème correspond à un os de son corps. Elle envisage

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en fin de livre la reproduction de son squelette avec les flèches renvoyant aux titres des

poèmes. Puisque son livre est son corps.

La Poète rêve qu’elle surphrase.

Cette notion de surphrase rejoint non pas un état de surface mais plutôt une sorte de surchauffe. Pourtant il ne s’agit pas d’introduire un système de refroidissement. Plutôt accepter la désagréable impression d’aller au-delà d’un piège. Une forêt ne convenant ni à ses forces ni…

La Poète allait écrire ce qu’elle cherche mais elle ne cherche rien de précis. Elle cherche.

C’est tout. Une forme. Et elle sait qu’en public elle ne doit jamais donner l’impression de sa faiblesse ni de sa peur. Aussi sec, le mot peur se remplit comme un verre. Déjà elle boit.

Elle est en train de le boire.

Les jours suivants, La Poète lit Chklovski. Chklovski se voulait

petit singe à queue courte. Il souriait et ses yeux devenaient deux fentes.

La Poète se dit que ce qu’elle écrit c’est de la poésie. Du sans vers comme on dit Sans Glaçon. Dry. Secco. Justement.

Une poésie sèche (comme on le dit d’une guitare) et dispersée de livre en livre. Comme la vie de chacun. Celle de la chatte par exemple. Celle tombée du toit. Une nuit la chatte disparaîtra comme elle est venue. Par les toits.

La sous-catégorie. La Poète dit qu’elle est une partie de la sous-catégorie. Sous-catégorie de la sous-classe. Voilà à quoi j’appartiens (elle dit).

Un gaz incolore à odeur forte parvient régulièrement jusqu’à elle. Une odeur de prose.

La prose qui est dans la bouche de tout le monde. À l’usage de tous.

Une version charnière rappelant à tous que la ligne n’est pas une

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ligne ni la forme une forme.

Qui critiquera les critiques ? Pas nous. Ni la mort ni même le temps. Entrant en méditation, Magdalena de Fribourg le savait bien avant nous. La Poète vérifie : charnière n’est pas le féminin de charnier.

La Poète passe son premier Noël d’orpheline. Elle les imagine dans leur cercueil. Papa est sous maman. On dit qu’il y a beaucoup de mouvements et de bruit dans les cercueils, surtout la première année.

Lorsque les cages thoraciques explosent.

Quelle est la couleur de la peur ? Quelle est sa température ? Quel est son sexe ? Et les organes génitaux de la poésie, vous les avez vus, les organes génitaux de la poésie ? Dans un autre carnet La Poète parle aussi de la rage de comprendre, de la rage de voyager, de la rage de

pardonner. Dessiner sans but, sans savoir où on va.

Mes théories sont des filles entrelacées (elle dit). Si les frontières du moi ne sont pas stables, pourquoi les livres le seraient ? L’autre répond que le poème ne parle de rien de précis. Il ne dit rien à personne.

Personne n’y parle. L’essentiel est ailleurs. Le poème n’est pas un objet mais une occasion.

La Poète déclare : « J’écris des poèmes d’occasion. » Un technicien la gifle. « Les poèmes sont des défilés : il faut qu’avec ta vie tu en passes par là. » En réponse et comme Carl Einstein dans le Gave, La Poète se balance dans la prose.

On ne peut pas avoir des fiancés qui font Poète et l’être… ça parait clair…

« L’Invention du Lecteur », c’est le nom d’une librairie (neuf & occasion) que La Poète se promet de tenir dans une autre vie.

(44)

La Poète conduit une voiture minable sur une route assez longue. Elle pense : « J’entre dans une littérature

accidentée. » Il y a quelques années ça s’appelait des fragments. Toi, tu rêvais d’une Littérature de Combat.

Maintenant c’est une Littérature de Poubelle.

Un soir La Poète décide

d’étrangler sa sœur jumelle. Elle achète une corde mais sa sœur est déjà morte.

Si parler une langue c’est produire des phrases qu’on n’a jamais entendues, dessiner c’est tracer des choses qu’on n’a jamais vues. La Poète dessinant dessine ce qu’elle ne sait pas qu’elle va dessiner. Une pratique comportementale.

Entre l’art d’être perdue et celui de cesser d’avoir peur des spécialistes.

La Poète se demande si la rectification par l’expérience

relève d’une action musculaire appropriée. Une voix (toujours la même) : « Travaille donc à la dépossession. »

Dans un comité de rédaction La Poète regarde, ahurie, un jeune poète qui parle d’une fille qu’il admire hénormément et qu’il voudrait recommander.

Il dit : « C’est une tueuse. » Et son visage s’illumine.

La Poète cherche un chien qui aboie dans une nouvelle

d’Ingeborg Bachmann. Au bout de quelques heures elle y renonce.

La Poète se procure deux éditions de poche :La Princesse de Clèveset Histoire d’O. Ciseaux et colle. Passe une nuit à fabriquer un troisième livre avec les morceaux prélevés dans les deux précédents.

Le faux (III) donne, plus que les vrais (I + II), l’impression d’être vrai. Elle se dit c’est impossible.

(45)

La Poète s’adressant la nuit au père mort, lui rappelant qu’il s’est tu dans ses deux langues (la presque morte provençale et l’autre où elle tente d’écrire ce qu’elle doit taire), que c’est pour toujours et que plus jamais sa voix ne sera portée dans l’air, sous les arbres, au fond d’une cave. Ce qui est gardé secret demeure non racontable.

Mais rien de ce qui s’est une fois produit n’est perdu et tout, absolument tout, est quelque part rangé, stocké dans une fraîcheur parfaite. Par exemple une cave.

Celle qui raconte demeure le seul personnage du récit.

Chaque mot dans la bouche, une chair active. Le soir, en faisant la vaisselle, La Poète se coupe (une assiette cassée).

Elle regarde le sang couler doucement dans l’eau savonneuse. Le matin, soleil intermittent. La Poète

écrit dehors, un pansement à la main. Le lecteur doit être attentif au contexte.

Une nuit, La Poète trouve un moyen optique de ralentir la lecture du poème : ce moyen s’appelle La Majuscule Déplacée. Un vieux procédé visuel à revisiter et rafraîchir.

Un garçon dans un bar explique à La Poète qu’à l’époque baroque il existait au théâtre des costumes de nu (collants roses dessinant la nudité et que les comédiens enfilaient sur leurs corps nus).

Au téléphone une fille parle d’un livre où on apprend à calculer la surface réelle d’une pivoine. Toujours cette capacité des images à faire corps.

L’autre nuit, La Poète rêve.

Un rêve très précis. Sa tête roule dans une assiette. Le sang gicle sur la nappe de damas.

Tranchée, la tête parle.

Elle dit comme pour s’excuser :

(46)

« Ma tête est tombée. » On la montre aux dîneurs.

À celui déclarant que les nus qu’elle dessine l’angoissent à cause de leur indétermination sexuelle La Poète rappelle celui que Klee esquissa dans sa période d’apprentissage et qu’il avait pris soin de sous-titrer

« Une Femme-Homme notoire ».

La Poète poursuit sur

ordinateur la fabrication de ses anges. Chaque matin elle chantonne sur un air

d’opérette : « Mes anges sont des créatures infâmes / De simples contrefaçons / Petites pédales accélérantes / Ouvrant toutes / Sur le réservoir

de la chasteté / Réservoir de la chasteté… »

Si l’incarnation est inséparable de l’arrachement, les anges au moins s’en écartent. Excepté ceux qu’elle nomme les anges parturients. Elle explique :

« Ce qu’ils lâchent dans l’air c’est un fœtus angelicus. Ils ne chient pas, ils accouchent par le cul. Besogne terrible.

Ce sont nos contemporains. » La Poète saisit une

embarrassante chose. L’heure de sa naissance ayant tracé la signature graphique dans une configuration astrale, elle y demeurera inscrite sans son accord et sa disparition même n’effacera rien.

(47)

K

ARA

W

ALKER N

EST PAS

J

OSÉPHINE

B

AKER

(48)
(49)

« Imagine this as lyric poetry » Jack Spicer

« Do you like Crème in your Coffee and Chocolate in your Milk ? »

Kara Walker

(50)
(51)

1

Ce sont des haltes d’une Nuit les femmes

elles voudront la dispersion du cadavre usage des Oiseaux

une deux tactile dansable l’azote

difficile et qui forme la soupe des Nuages

(52)

2

Élitiste morue poésie Confite

avec le temps chacun souligne un art du Négatif

gingembre on souffre quand les chevilles pourquoi se brisent dans les mains

ce n’est pas de l’eau

non plus la colère en travers de la robe Ville de personne airelles ou biscuits de mer on peut tenir dix jours

(53)

3

Élevage de bolcheviques système thermique assuré ils sucent mieux que les agoutis production de Biens matériels grenier sous la terre

certains repeignent leurs Cuisses

(54)

4

Persuadé l’avoir vue cellule de moelle osseuse sous les branches du néflier

comme dans les contes Battre des ailes une question essentielle

pour chacune des parties

ce massage numérique il est génital

(55)

5

Faiseur de musiques bref royaume

rossignol nul protéine avec ou sans morphologie une chambre

prise en compte du Noir les craintes et les torts

phonologie partage du Système syntaxe électrique Rose iris Afrique Mère tige de haricot

(56)

6

Quelque chose de brûlant

pourriture Céleste ils sont morts ne le savent pas ponctuation sans oiseaux

tracas double face une Apparition sur la neige

nature de la Poésie sans fournitures ni bleus

crachats simples petites couches transgéniques

(57)

7

Échange d’ADN

code génétique toujours inassouvi Lancelot les yeux emplis de Larmes

la bouche pleine (ce mauvais plat semi-vivant sans cesse resservi) ce qui dort sous les Plumes grésille à l’air frais

tandis que leurs yeux posés comme deux Pommes

(58)

8

L’un des nombreux brouillons du texte animaux entrelacés

vivante Mosaïque une inadéquation irréductible aux formes

petit séjour là-Bas (deux siècles en arrière) souvenirs Lanterne Magique

rêves de mise en scène

les silhouettes apprises sont découpées

(59)

9

Recomposition d’une vie si brève pourtant durant ces Années en deux colonnes et sans alinéa absence totale d’intervention postures à tenir

chutes ou séquences une idée d’Objet trouvé

(60)

10

Ronces et feuilles de bananier copie de Copie

on ne peut vivre sans Animalité la langue donnée refaite pas de poème sans lecture le dégoût dans les Caresses ce qui les rend plus profondes

(61)

11

C’est la joie qui est traumatique l’oreille Caverne d’anus

formule littéralement Traduite un trou dans la vie

petites maladies qui s’annoncent le pied frappant chasse les Oiseaux

(62)

12

Broderie sans aiguille ni coton un Travail à la plume

Jack repasse lave repasse un objet temporel Chemise

écoulement de la fonction narrative il la pose dans chaque Phrase dépose chaque jour

(63)

13

Visible par temps clair le style Documentaire une poche sans bouton

je crois l’avoir saisi dans son Ensemble cet art d’exister contre les faits

face ou profil

des Choses arrachées décousues

(64)

14

Une branche d’acacia et qui tremble dans l’air cette Langue

on n’en connaissait pas vingt mots on a tout traduit

lettre par lettre sans savoir ni dire ce qu’il fallait faire le mot Amour par exemple mieux vaut le faire

en silence avec tout le monde pas si difficile le mot Calcul

en tant qu’expression d’une prévoyance base d’une constante

(65)

15

Strictement parlant tout est fortuit autour de nous Manger des œufs le matin trouver

un objet de violence dans une structure donnée prise en compte du Noir

très dessiné le garçon unijambiste copule avec la Morte

« Fils c’est ta mère »

(66)

16

Celui qui veut être dupe c’est celui qui veut avancer l’autre recule sans cesse Le Guide des égares il dit c’est mon chemin de fer Mouvement

c’est-à-dire changement inertie

c’est-à-dire résister au changement une sorte d’excitation dans les Deux sens j’ai fondé ma cause sur rien

fellation une vie

cette roue fermente au Cœur des continents

(67)

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Quelques bières à portée de main réinventant des infogènes

La Vie d’Arthur Rimbaud celle d’Emily Dickinson chacun la sienne (petites putes Une)

nos corps c’est du pudding bouilli il voulait éliminer toute trace de poésie fabrication de gènes conçus

en Significations pour les humains non en protéine par la cellule

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18

Mais alors

mais alors Spicer avait raison

les mots se tournent contre ceux qui les font celui-là est payé pour savoir

tige de haricot Marmelade les papillons qui sont la moisissure

c’est la langue des fondements salive parotidienne aqueuse

sublinguale visqueuse Linguale séreuse pas plus de 0,8 litre par jour

cette honte cachée dans le Noir de la salle beauté de l’Ombre qui se déplace

avec l’Acteur la double vie du marrane c’est celle du porc

(69)

19

Un soleil sanitaire venu de longtemps c’est Lui qui éclaire

toute ma vie existence pour Aujourd’hui lexique de cruauté

partition volatile

tout se perd signifie que la matière disparaît lourd corbeau son Cri

disant maintenant c’est le Soir la lumière tombe des arbres se mettent à flamber

(70)

20

Buée d’argent une intensité variable

le contrôle des sexes Premier Pouvoir Policier produits de circonstance les dessins bougés autant de manières de voir des testicules dans leurs coussins d’Étoffe

ce n’est pas vraiment une promesse Boulevard intérieur nuit et jour ils travaillent en se relayant un projet cybernétique

(71)

21

Pour voir les choses il faut les regarder comme si elles étaient parfaitement dénuées de sens

un rapport circulaire Ulcère infecté genou droit Amputation premier orteil gauche

engelures et qui forment une croûte épaisse 500 ml de vodka Tout ce sang

aux urgences lavage gastrique

(la coke avait détruit la Cloison nasale)

(72)

22

Soleil blanc c’est sans doute une erreur principe d’association

avancer ou reculer parfois reculer entraîne beaucoup plus Loin comme pleurer longtemps

une inadéquation réductible aux formes majoritaires de la Pensée et de la Vie Sociale

justification du geste comme POÈME-PERSONNE le serait de nos vies

ce qui n’aurait de sens que pour quelques-Uns Une parmi d’autres

(73)

23

Trois objets ratés complètement ratés à plat sur cette table

morceaux d’images encombrées de texte l’artiste libre est un Amateur professionnel un poème n’existe jamais seul

« Boudin aux pommes » au menu du jour en nécessite bien plus qu’une seule élément de base point de départ une Compote

ici nous avons fixé

notre résidence pour l’hiver

(74)

24

Pourquoi battre un cheval mort ils ont repris le jour sans lui peut-être neuf ôté de dix Lancelot encore avance cette fois étendu sur l’herbe c’est comme réapprendre le néant une absence totale d’Intention mêlée à la plus haute préméditation Soleil synthétique

le jeune garçon est nécrophile c’est une Fonction

(75)

25

Ce plaisir enfantin faire refaire l’intrigue

un lieu saturé de Couleurs atmosphériques l’œil perdu enveloppé de Linge

on peut voir (Buisson des Corps) ce fourmillement de lumière le casque de Gauvain combien pèse sa masse l’œil a été perdu il continue de l’être c’est un Vide rempli par l’évidence

(76)

26

Couleurs front ou Couleurs poids un feu sensible et qui resplendit tout le pourtour du Visage douze mètres d’envergure pour qu’un ange décolle iris de Sibérie tige de haricot

les photographies sont des copies de copies la sauvagerie de la Mère

Couleur cardinale sa valeur hygiénique

comme la disparition des Mouchoirs

(77)

27

Mise en retrait rhétorique éjaculation faciale qui blanchit mesures d’Angle la vérité est un mensonge en vérité Il ne dit rien

regarde s’éloigner celui qui ne viendra pas La pénétrer c’est la dissoudre

Quelqu’un voudrait nous donner soif confection d’une Existence

celle-ci après d’autres brusque suffocation

le Graal aussi répandu que les algues ou les rats On peut le servir

dans une tasse

(78)

28

Le corps criblé de devinettes le Corps il faut le déposer parfois sans demander la solution Éviter de le faire

ce n’est pas certain pique-nique maigre soleil mes cahiers au bout du compte ne sont que des cahiers d’exercices Quelqu’un voudrait qu’on boive la rivière des Images de ce genre s’en prennent aussi aux Noms des villes

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Ici dans l’ombre La pièce obscure avoir voulu le Calme la pièce obscure Campagne humide

sous une pluie dense Non pas perdus mais égarés

d’autres mutilations Corps articulés la fille mâche un coléoptère

Rouge à l’avant Bleu à l’arrière Moi Toi et le Roi nous faisons Trois

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