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DU MÊME AUTEUR. chez le même éditeur LE BONHEUR A CHEVAL L'ÉQUIPÉE AMAZONIENNE

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COLLECTION « VÉCU »

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DU MÊME AUTEUR chez le même éditeur LE BONHEUR A CHEVAL L'ÉQUIPÉE AMAZONIENNE

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EVELYNE COQUET

UN BERCEAU SUR UN CHEVAL

ÉDITIONS ROBERT LAFFONT PARIS

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COEDITION ROBERT LAFFONT - OPERA MUNDI

Si vous désirez être tenu au courant des publications de l'éditeur de cet ouvrage, il vous suffit d'adresser votre carte de visite aux Editions Robert Laffont, Service « Bulletin », 6, place Saint-Sulpice, 75279 Paris Cedex 06. Vous recevrez régu- lièrement, et sans aucun engagement de votre part, leur bulletin illustré, où, chaque mois, sont présentées les nouveautés que vous trouverez chez votre libraire.

© Opera Mundi, 1978 ISBN 2-221-00156-7

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UN LANDAU HIPPOMOBILE A LA PLACE D'UNE MITRAILLEUSE Nous entrons dans la chambre du nouveau-né, un petit paradis bleu plein de gaieté douce et chaude. Sur les murs, des oiseaux blancs volettent, gracieux, dans un fond bleu ciel tandis qu'un joli berceau orné de dentelles délicates forme le nid de mon petit prince. Tout est blanc et bleu, propre et neuf.

Rien n'est trop beau pour sa majesté mon premier enfant.

Je soulève l'édredon de plumes qui couvre l'oisillon encore chétif et pose mon doigt près de sa petite main fraîche. Il l'ouvre aussitôt et la referme sur mon index. Agréable contact charnel entre la mère et son enfant. Il ouvre avec difficulté ses petits yeux mal fendus qui le font ressembler à un Chinois et il sourit, de ce sourire heureux et pur, empli de béatitude.

Tout habillé de rose au milieu de broderies blanches, il est plus beau que la plus belle des poupées. J'aime surtout sa bouche, si fine et bien dessinée. Je le prends dans mes bras, lui souris et ne résiste pas au plaisir de déposer un léger baiser sur ses lèvres. Florence, une amie d'enfance perdue de vue puis retrouvée par hasard, est toute surprise par cette douceur inhabituelle. Elle hoche la tête et s'exclame :

— Evelyne en mère de famille ! C'est tellement surprenant de te voir ainsi. J'ai suivi toutes tes aventures : ta croisade à cheval jusqu'à Jérusalem... ton mariage... ton voyage de noces en Amazonie. A propos, comment va ton mari ? Il ne lui est resté aucune séquelle de sa malaria ?

— Caddy va le mieux du monde. Il a recouvré sa santé et

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sa bonne humeur. J'aimerais que Philippe lui ressemble, qu'il soit aussi plein de vie, aussi passionné et passionnant. Il est né rond comme une bille et de tout l'hôpital, c'était lui le plus glouton, avouai-je en offrant le sein à mon petit bonhomme de fils.

— Mais dis-moi, maintenant, avec cet adorable chérubin, tu es prise au piège. Plus question de grands voyages à cheval et d'aventures ! Tu ne regrettes rien ?

— Une idée me trotte dans la tête depuis plusieurs semaines, mais je n'ai osé en parler à personne encore. Puisque tu es médecin, tu vas me donner ton avis. Regarde cette photo : c'est une Indienne des Andes qui a voyagé avec nous dans les montagnes désertiques de l'Altiplano. Elle faisait du stop sur une piste et transportait son enfant sur le dos quand nous l'avons rencontrée. Là-bas, on rencontre fréquemment des femmes qui voyagent avec leurs enfants. Elles quittent leur village de montagne pour aller vendre leur récolte de laine d'alpaga. On les voit arriver dans la capitale bolivienne sans argent, sans savoir où elles vont passer la nuit, et elles ne sont pas du tout inquiètes. Elles ont l'esprit d'aventure ces femmes-là. En fait, elles passent souvent la nuit avec leur enfant sur un morceau de trottoir avec un simple poncho comme couverture. Et pourtant, leurs bébés semblaient en parfaite santé. Je n'en ai jamais vu aucun avec la goutte au nez comme cela se voit couramment en France où les enfants sont élevés dans du coton. Pourquoi nous, Européens, serions- nous plus fragiles ? Pourquoi faudrait-il obligatoirement vivre emprisonné dans des murs de pierre ? Regarde bien ces autres photos prises au hasard des rues de La Paz : ces Indiennes rient et leurs enfants aussi. Il n'y a aucune trace d'inconfort et de souffrance dans ces visages. Ils sont grillés par le soleil, avec un sourire éclatant de santé.

— Tu ne peux quand même pas emmener ce nourrisson

fragile dormir sur le pavé de La Paz alors que tu le fais

vivre ici dans une chambre stérilisée à la température

constante et douillette de vingt degrés. Tu le ferais mourir

d'une pneumonie en quelques heures. On dit aussi qu'il est

très mauvais de déplacer les enfants, qu'ils ont besoin de

vivre toujours dans le même cadre pour bien repérer leur

univers et se sentir en sécurité. Avant l'âge de deux ans, un

enfant ne retire rien d'autre d'un grand voyage que la fatigue

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et la peur. Ne pas lui faire mener une vie régulière et stable, c'est l'exposer à être, plus tard, la proie d'inutiles anxiétés.

— Autrefois on mettait les enfants dans des langes et on les serrait très fort pour supprimer tout mouvement. On les allaitait le plus longtemps possible. Maintenant on leur laisse les jambes libres dès la naissance et on leur donne des biftecks à quatre mois. Qui nous dit que les partisans de la stabilité ont définitivement raison ? Pourquoi élever un enfant dans un univers statique et douillet quand le monde dans lequel il va vivre est sans cesse en mouvement ? Pourquoi ne pas lui donner tout de suite la notion du changement, d'une vie qui bouge ? Ainsi nous ferons peut-être de notre enfant un être particulièrement dynamique, doué d'une grande facilité d'adap- tation. Les fils d'émigrants ne se sont jamais révélés plus instables que les autres, mais souvent plus débrouillards, plus ouverts et plus intelligents. Pourquoi faudrait-il forcément tou- jours rassurer l'enfant au lieu de l'ouvrir à la vie tout de suite ? Tu me trouves folle, n'est-ce pas ?

— Je te signale seulement que ton fils chéri risque de ne pas apprécier la différence entre un berceau melliflue et la rude épreuve d'un voyage en poncho. Il va sans cesse pleurer pour marquer son désaccord. Cela gâchera votre agrément et plus tard, au lieu de t'étonner par son dynamisme, ton fils te surprendra par son amour du confort et de la tranquillité.

— En aucun cas, je ne voudrais faire souffrir mon enfant, ni prendre de risque. Je ne vais donc pas l'emmener dans les Andes en poncho, mais il y a d'autres lieux plus hospitaliers et d'autres façons de le faire voyager. Ecoute : il y a quelque temps, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, j'ai vu une famille de Gitans circulant à cheval. Ils avaient un cheval de bât qui portait deux paniers de chaque côté et dans l'un d'eux se trouvait, assis, un enfant de deux ans environ. Philippe étant plus petit, il aurait d'autant plus de place pour être confor- tablement installé et allongé exactement comme dans un couffin où il pourrait dormir tout à son aise bercé par le pas du cheval.

Florence éclate de rire :

— Evidemment, les chevaux, toujours les chevaux, j'aurais pu le deviner. Et ton fils s'appelle Philippe, bien sûr : l'ami des chevaux. Tu veux sans doute en faire un grand cavalier.

Soit... mais cela ne doit pas être aussi simple. Quand je vois

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tout le barda qu'une jeune maman peut entasser dans une voiture pour aller passer un simple week-end dans une villa confortable au bord de la mer : jouets, berceau, poussette, biberons, stérilisateur, paquets de couches innombrables, linge de rechange, et j'en passe ! Sois réaliste ! Comment mettras-tu tout cela sur ton cheval ! Quand tu es allée à Jérusalem, tu ne pouvais même pas emporter un mini-camping- gaz ni un blue-jean de rechange. Tu ne peux pas laisser ton enfant avec des vêtements sales et mouillés.

— Il y a des gens qui ont besoin de trois grandes valises pour aller huit jours sur la Côte d'Azur et d'autres qui passent plusieurs années de leur vie à faire le tour du monde avec une simple sacoche sur le dos. Nos ancêtres n'avaient ni chauffe- biberon ni stérilisateur. Tous ces objets ne sont que des gadgets qui rendent la vie pratique, soit, mais ne sont pas nécessaires.

Il suffit d'avoir deux immenses paniers. Dans l'un, j'allonge Philippe confortablement sur une balle d'avoine. Dans l'autre, j'entasse ses bagages : couches, petits pots, lait en poudre et vêtements. Je pourrai mettre suffisamment de vêtements pour tenir mon enfant propre et quand je n'en aurai plus, je m'arrêterai pour les laver. — Et tu les feras sécher sur une corde tendue entre les deux chevaux, pouffe-t-elle.

Repu, Philippe lâche mon sein et s'endort satisfait. Son visage exprime une totale quiétude. Je le couvre de baisers pour ajouter encore plus de douceur à son bien-être et j'essaye de me rappeler si les petits Indiens offraient l'image d'une telle béatitude quand ils venaient d'assouvir leur faim dans le vent glacial de l'Altiplano. Le contraire ne m'a pas frappée en tout cas.

Après un moment de réflexion, Florence déclare :

— Les hommes des cavernes faisaient naître leurs enfants au fond des grottes pour que l'atmosphère extérieure soit aussi noire que le ventre de leur mère. Chaque jour ils rappro- chaient d'un pas l'enfant vers la sortie. Ainsi le nourrisson s'habituait très progressivement à la lumière et au froid.

Mais dès qu'il était sorti de la grotte, on ne prenait plus

aucune précaution particulière pour lui. Il est évident que la

plus grande aventure d'un nouveau-né consiste à sortir du

ventre de sa mère pour se retrouver à l'air libre sous une

lumière aveuglante. Ensuite, qu'il respire l'air de la Nièvre

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ou celui de l'Altiplano, le changement ne sera jamais aussi bru- tal. Tu peux toujours essayer. L'expérience sera intéressante.

Il faut vous organiser pour que l'enfant puisse dormir à l'abri du vent et de la pluie et avoir toujours une quantité d'eau et de nourriture suffisante. Si malgré cela votre enfant vous pose trop de problèmes, s'il pleure trop, s'il maigrit ou s'il est malade, vous rentrerez, c'est tout. Soyez seulement assez rai- sonnables pour ne pas vous trouver au milieu d'un désert à ce moment-là. Il y a bien des gens qui font le tour du monde à la voile avec de jeunes enfants, pourquoi pas à cheval ? Le bateau semble cependant plus facile pour trans- porter les bagages et organiser la vie de l'enfant qui conserve un habitacle relativement confortable et stable.

— Personnellement je ne vois pas quel est l'intérêt pour une femme de s'enfermer avec ses enfants dans une cabine étroite d'où l'on peut à peine sortir et ne voir que des vagues à perte de vue. A chacun ses goûts. Moi j'ai besoin de mouve- ment, besoin de marcher, d'escalader des rochers, de fouler le sable d'un désert. J'aime admirer des paysages variés et rencontrer des gens qui les habitent. Je les écouterais sans lassitude me raconter leur vie pendant des jours et j'ai la chance d'avoir un mari suffisamment curieux pour partager ma passion. Je suis sûre que l'idée d'un voyage à cheval ne lui déplairait pas, s'il n'y avait le problème de Philippe. Tu me parlais de régularité et de sécurité, eh bien, je pense que le voyage à cheval ne contrarie en rien ces deux besoins fonda- mentaux de l'enfant. Le cheval marche au pas à un rythme lent, régulier, tout à fait sécurisant, bien meilleur que le tangage d'un bateau menacé par la mer et ses tempêtes, bien plus agréable aussi que les secousses d'une voiture prise dans les embouteillages sur les routes du week-end. Philippe va prendre la cadence du cheval. Ce sera comme s'il marchait lui-même vers de nouveaux horizons. Il aura toujours le même panier où il se sentira bien, chez lui. Et surtout, nous serons avec lui, tous les jours et toutes les nuits, n'est-ce pas le plus important ? L'amour de ses parents, la présence constante de sa mère ne peuvent-ils compenser un petit changement de climat et de décor ? Parmi toutes les nou- veautés qui lui seront offertes, Philippe aura plusieurs constantes : sa mère, son père, son berceau, ses bagages, ses jouets et les chevaux. C'est déjà beaucoup. Il n'en aurait pas

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autant si nous le laissions ici, abandonné à une grand-mère qui bouleverserait ses habitudes.

Caddy arrive sur ces entrefaites, remarque nos clins d'yeux conspirateurs et demande :

— Qu'est-ce que vous complotez toutes les deux ? Florence m'a donné du courage. Comme elle le disait justement, nous pouvons toujours essayer...

J'en profite pour tout avouer à Caddy qui répond sim- plement :

— Il vaudrait mieux atteler une roulotte. Ce serait plus commode pour emporter les bagages et Philippe y serait mieux à l'abri.

— Ça n'aurait pas l'intérêt du voyage à cheval. La rou- lotte nous obligerait à emprunter les routes. Autrement dit, nous suivrions le même itinéraire que tous les autres touristes et c'est ce que je veux éviter. Je veux aller dans les coins les plus reculés des campagnes et des montagnes. Je veux pou- voir suivre des petits sentiers de forêt, marcher sur la terre, dans l'herbe et sur les pierres qui roulent. Avec une roulotte nous ne ferons qu'avaler lentement des kilomètres de macadam aplati, tout en respirant les gaz d'échappement des voitures qui nous doubleront.

— Je ne te parle pas d'un tombereau mais d'une sorte de sulky très léger qui pourra passer dans de mauvais chemins.

— On ne casera pas plus de bagages sur une voiture légère que, bien répartis dans des sacoches, sur nos trois chevaux. La voiture s'embourbera dans les ornières. L'enfant sera beau- coup plus secoué dans la charrette sans amortisseurs alors qu'il sera bercé par le pas du cheval. Nous aurons tous les inconvénients d'une voiture et peu d'avantages. Les paniers des Gitans sur un cheval de bât me semblent réellement un moyen beaucoup plus commode.

— Et si le cheval de ton enfant se fait piquer par une guêpe et prend le mors aux dents avec Philippe dans le panier ?

— Un cheval de randonnée, qui marche tous les jours avec une lourde charge sur le dos, ne s'emballe pas si faci- lement. Il suffira de faire attention à ne jamais lâcher la longe du cheval de Philippe, quoi qu'il arrive. Nous devrons la tenir en main, prêts à sauter pour retenir son cheval si quelque chose arrivait.

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— Et si le cheval se cabre ou fait du rodéo ? Ton système me paraît bien dangereux. On dit qu'il ne faut jamais secouer la tête d'un enfant.

— Philippe peut être tenu par une sangle de sécurité comme on en met aux enfants afin qu'ils ne sautent pas les barreaux de leur lit. Il faut, évidemment, prendre un cheval calme. Je pense que cela représente plutôt moins de risque qu'une charrette. Même un cheval attelé peut échapper à la main. Et dans ce cas, la voiture peut se fracasser sur un rocher ou se renverser et se faire traîner sur des kilomètres. Te rappelles-tu l'accident spectaculaire de mon vieux Concorda au temps de sa gloire ? Il avait sauté les lisses blanches d'un terrain de course avec son sulky. Le jockey avait été grièvement blessé, alors qu'en selle, il aurait tout simplement suivi le mouvement du cheval. Le point délicat de mon système est de trouver une fixation astucieuse pour que les paniers ne tombent en aucun cas. Ce n'est certainement pas facile mais je connais une personne qui va pouvoir nous aider : Louis Giordanino, spécialiste de randonnées équestres. C'est lui qui a préparé nos harnachements lors de notre premier grand voyage. Son expérience nous a été fort utile et nous n'avons jamais eu le moindre ennui de paquetage. Au contraire, il a fait l'admiration de tous les randonneurs du monde. Giorda- nino a l'esprit inventif et pratique. Je suis sûre qu'il serait capable de mettre au point quelque chose de bien. Ecrivons-

lui tout de suite afin qu'il ait le temps de réfléchir.

— Si je comprends bien, c'est décidé. Quand et où partons- nous ? Je t'interdis formellement d'emmener notre fils en

Amazonie.

— Bien sûr ! D'ailleurs, pour un coup d'essai nous ne sommes pas obligés de partir très loin. L'aventure n'est pas forcément au bout du monde. Restons en Europe, ainsi en quelques heures d'avion nous pourrions être de retour à Paris si quelque chose n'allait pas.

Je me montre sage pour ne pas effrayer Caddy qui garde définitivement ancrées dans sa mémoire toutes les difficultés que nous avons eues pour sortir vivants de l'enfer vert. Caddy en profite pour ironiser :

— J'veux ben monter jusqu'à Arleuf, dit-il en prenant un fort accent morvandiau qui fait rire Florence aux éclats.

C'est une vieille plaisanterie de chez nous qui remonte au

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temps lointain où les galvachers du Morvan s'expatriaient jusqu'en « Picarderie » pour mener leurs attelages à six bœufs labourer les terres à betteraves de la plaine. Au-delà d'Arleuf, nos bouviers considéraient qu'ils n'étaient plus chez eux et que l'avenir devenait bien incertain.

Caddy prend mon projet à la rigolade, très bien, profitons de sa bonne humeur. Nous abandonnons Philippe à ses rêveries enfantines et j'emmène Caddy et Florence dans la bibliothèque dont un pan de mur est recouvert d'une immense carte du monde. Nos trois regards fouillent la carte et nos doigts se promènent allégrement à travers le monde mais dépassent largement et très vite les frontières européennes que nous nous sommes fixées. C'est fascinant, une carte de géographie ! On peut s'évader si loin en si peu de temps. J'ai la mienne depuis l'âge de douze ans. Je l'ai soigneusement enroulée à chaque déménagement et chaque fois elle a retrouvé sa place d'honneur en face de mon fauteuil préféré. Elle est vieille, passée d'actualité, râpée et déchirée. Il faut la lire avec de sérieuses connaissances du monde pour y voir clair, mais les voyages que l'on fait avec elle sont d'autant plus romanesques qu'ils ne connaissent aucune frontière.

Soyons sérieux, ne nous emballons pas et restons dans le tout petit triangle que forme notre Europe. Il faut un pays tempéré, un pays de montagnes qui ne dépassent pas mille mètres car la haute altitude, paraît-il, provoque des troubles chez les petits enfants et il faut un pays où l'on puisse encore circuler agréablement à cheval. Ensemble, Caddy et moi posons nos doigts sur l'extrême pointe nord des îles Britan- niques : les Highlands et les îles Hébrides. Est-ce le souvenir d'une lointaine discussion avec un ami qui rentrait d'Ecosse ? D'un seul coup nous sentons que nous devons aller là et pas ailleurs. Des paysages magnifiques, complètement sauvages dès que l'on a quitté le grand axe routier, un peuple encore folklorique qui colporte ses légendes à travers les siècles, des habitants qui ont la réputation d'être accueillants, un climat froid dû à la proximité du cercle polaire mais relativement tempéré en été, c'est exactement ce qu'il nous faut.

Caddy frappe gaiement dans ses mains. Mon idée est acceptée. Je n'aurais jamais imaginé cela il y a une heure mais les événements nous bousculent parfois. Nous sommes déjà à moitié partis. Nous n'avons plus qu'un pied dans notre

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confortable maison. L'autre est sur la carte et gambade dans les moors écossais. Je bondis sur les épaules de Caddy et exécute un saut périlleux en arrière qui fait frémir Florence.

Mon amie écarquille les yeux. Elle n'a jamais vu préparer un voyage de cette façon. Dans les agences de tourisme, les questions sont plutôt : « Les repas sont-ils compris dans le prix ? » ou bien « Y a-t-il une baignoire dans la salle de bains ? » A plus forte raison quand il s'agit d'un couple avec un enfant.

Nous sommes maintenant plongés dans un atlas, étudiant les cartes physique, géologique, économique, agricole et clima- tique avec températures, pluies et vents d'Ecosse. Nous appre- nons ainsi que la pointe nord de l'Ecosse effleure le 60 paral- lèle et correspond à la même latitude que le sud du Groenland.

Eh !...

— Tu ferais bien de baisser tout de suite le chauffage de sa chambre pour habituer Philippe à un climat plus rude, dit Caddy.

— Comment feras-tu pour le changer et lui donner ses biberons pendant la journée, dans le froid, le vent et sous la pluie ? A cheval, vous ne rejoindrez pas un village toutes les trois heures, intervient Florence.

— Eh bien ! Euh... (Je lui lance un clin d'œil pour qu'elle ne me pose plus ce genre de question qui pourrait encore tout remettre en cause.) Nous trouverons bien des abris de bergers.

— Et si vous n'en trouvez pas, où passerez-vous la nuit ? Oh, comme je n'aimerais pas faire ce genre de voyage avec mes enfants ! s'exclame-t-elle.

Quelle idiote ! Décidément, elle n'a pas compris qu'il fallait tout faire pour encourager Caddy.

En fait, Caddy se frotte les mains. Il doit penser qu'il s'en tire à bon compte. Il a eu chaud, sa femme aurait pu avoir une idée pire. L'Ecosse, ma foi, ce n'est pas bien loin. S'il n'y a que cela pour lui faire plaisir !

— Pour vivre les jours les plus longs, il faudrait être là-bas au mois de juin, déclare-t-il.

— En juin, Philippe aura cinq mois, répondis-je en réflé- chissant et en me plongeant dans un livre de pédiatrie. Il mesurera environ soixante-dix centimètres et pèsera une dizaine de kilos au maximum. Il commencera à manger des œufs, du fromage, des légumes écrasés, de la viande et pourra

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boire du lait de vache, ce que l'on peut trouver dans n'importe quelle ferme. Il aura eu ses principaux vaccins contre polio, diphtérie, tétanos, tuberculose, typhoïde. Nous sommes donc à l'abri des plus graves maladies. Le seul inconvénient est qu'il peut percer des dents mais si on part plus tard il sera plus éveillé, il aura envie de bouger et acceptera moins bien de passer la journée dans un couffin. A cinq mois, il dormira encore deux bonnes heures entre chaque biberon. Nous pour- rons donc marcher pendant six heures tous les jours. O.K. pour juin et juillet, ce sont en effet les meilleurs mois pour sillonner les Highlands avec lui.

— Et mon jardin ? s'écrie Caddy qui avait oublié, momen- tanément, ce détail important. J'aurais labouré, hersé, semé et planté pour tout laisser tomber au moment des récoltes ! J'ai repiqué avec amour toute une planche de fraises pour que mon petit Philippe mange les fruits naturels de notre jardin,

et tout cela serait perdu ? Je ne suis pas d'accord !

— Nous pouvons offrir notre maison à des amoureux de la nature qui seront enchantés de passer deux mois de vacances dans un moulin à la campagne. Ainsi ils veilleront sur la maison et arroseront le jardin. Ce ne sera pas perdu pour tout le monde. Nous trouverons bien un amateur parmi les écologistes parisiens. Personnellement, entre un panier de fraises et un panier d'aventures je choisis le deuxième. Son goût reste plus longtemps marqué dans la mémoire et à soixante-quinze ans, quand nous nous pencherons sur notre passé, le sentiment de la témérité et de l'effort accompli sera plus satisfaisant que la douceur d'une gourmandise. — Et mon atelier ?

— A ton poste tout de suite, travaille d'arrache-pied pour honorer tes commandes avant de partir, je m'occupe du reste.

Je réalise soudain que plus les années passent, plus cela devient compliqué de partir pour longtemps. Jeune fille, il me suffisait de dire « Ciao tout le monde »... Maintenant il faut d'abord convaincre Caddy et ce n'est pas toujours le plus facile, puis il faut penser à tout : à Philippe notre enfant, à l'ébénisterie de Caddy qu'on ne peut pas abandonner trop longtemps, à la maison et son jardin, etc. Que de soucis ! Je comprends que beaucoup de gens se découragent en face de ce puzzle compliqué et tout cela n'est rien, il faut aussi pré- parer l'expédition. Mais je ne veux pas être accaparée par la

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vie de tous les jours. Je veux rester libre et montrer que malgré les êtres bien-aimés et l'agrément de ma vie actuelle, je ne me laisse pas étouffer et endormir par le doux train-train quotidien, que je suis encore capable de partir... partir pour rompre avec la routine aussi plaisante et facile soit-elle, partir pour voir autre chose, partir pour faire quelque chose.

Choisissons le strict minimum de bagages mais n'en oublions aucun qui soit nécessaire. Cette fois nous ferions bien d'emporter une tente... J'ai l'intention de dormir chez l'habi- tant car c'est un moyen très efficace de mieux connaître un pays mais avec un enfant on ne peut prendre le risque de passer la nuit à la belle étoile sous une averse torrentielle.

Et pour Philippe, je dois confectionner un sac de couchage spécial en plume d'oie afin qu'il ait bien chaud.

La chose la plus difficile à réaliser reste certainement le panier de Philippe. Il faudrait qu'il soit long de quatre-vingt- dix centimètres, large de trente environ et suffisamment pro- fond, avec une armature de fer qui protégerait l'enfant en cas de choc, une doublure en plastique et une capote contre la pluie. Autrement dit, pour que l'enfant voyage en première classe, il me faut une caisse de landau.

Un peu plus tard, quand je demande à Caddy de me donner un coup de main pour hisser la caisse contre les flancs du cheval, je me rends compte de l'absurdité de mon idée.

C'est tellement lourd et encombrant qu'il est impensable de songer à fixer une chose pareille sur un tel animal.

— Attends... à moins qu'on essaye sur le dos, à la place de la selle.

Caddy bougonne mais s'exécute gentiment. Le landau empêche le cheval de relever l'encolure et gêne ses mouve- ments de reins.

— Arrête avec tes idées farfelues, tu vois bien que c'est impossible. Personne n'a jamais mis un landau sur un cheval.

Les femmes qui voyagent avec des enfants les portent sur leur dos et marchent à pied, comme les Noires et les Indiennes.

Les autres restent chez elles, dit Caddy qui n'aime pas beau- coup les complications.

Mais voilà, dès qu'on me dit que c'est impossible, j'ai envie de prouver le contraire. Au Proche-Orient, j'ai vu des che- vaux disparaître sous un chargement plus volumineux qu'un landau. Il doit bien y avoir un moyen de fixer un berceau

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pour Philippe. Relançons Giordanino. Lui saura bien trouver une idée lumineuse pour fabriquer notre landau hippomo- bile.

— Oh ! Sainte Marie, me répond-il au téléphone avec son joyeux accent du Midi. Depuis que j'ai reçu ta lettre je ne pense plus qu'à ça et j'ai fait travailler mes méninges, je te prie de me croire. Ça n'a l'air de rien, mais pour que ton petit soit bien et que le berceau ne verse pas, c'était pas facile à faire. Quand c'est fini, posé sur le cheval, ça paraît tout simple, tout bête. Mais je me suis tellement creusé la cervelle à cause de ce machin que j'en avais mal à la tête tous les soirs. Tu peux demander à ma femme. Si j'ai continué à chercher, c'est bien pour toi. Finalement j'ai trouvé quelque chose de génial : un bât de l'armée italienne qui transportait une mitrailleuse. Il est parfait ; j'ai soudé deux tubes dessus dans lequel tu emboîteras un berceau que j'ai fait forger par un copain ferronnier, un grand artiste provençal ; c'est très solide et très beau, tu verras. Et pour les côtés, j'ai confec- tionné deux immenses sacoches dans. lesquelles tu pourras mettre un maximum de bagages. Fallait pas le mettre sur le côté ton pitchoun car il aurait tapé dans les arbres... eh oui, les chevaux ça s'occupe pas toujours de savoir si ça a la place de passer... tandis que sur le dos du cheval, le berceau est moins exposé aux coups. Et grâce à la capote protectrice que j'ai fait monter, ton enfant ne risque absolument rien.

Viens dans quinze jours, tout sera prêt.

Mars. Nous partons pour le club Tournebride à Saint- Estève-Janson en Provence chercher le fameux berceau. Phi- lippe entre dans son quatrième mois. Il sommeille dans un moïse capitonné de peaux de moutons, un peu abruti par la ventilation chaude de la voiture. Une pluie épaisse et lourde tambourine sur le toit métallique et rebondit en gerbes magni- fiques jusqu'aux rigoles latérales de l'autoroute.

— Tu as vraiment l'intention de nous faire pique-niquer sous ces hallebardes ? s'inquiète Caddy.

— Il faut bien s'entraîner. En Ecosse aussi il risque de pleuvoir quand nous serons seuls avec nos chevaux, sans abri, au milieu d'une lande déserte.

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— Comment ferons-nous déjeuner Philippe dans ces condi- tions ? Sous la pluie ?

— En Ecosse nous monterons un abri avec les ponchos.

— Profitons donc de ce qu'il nous reste un minimum de confort pour déjeuner au sec dans la voiture.

Caddy s'arrête dans une aire de repos. La pluie redouble de violence. J'ose à peine baisser la glace. Philippe est éveillé.

Il faut pourtant bien sortir de dessous cette carrosserie pour aller chercher les couches et les petits pots qui sont au fond du coffre. Me voyant grimacer, Caddy jubile, et ne fait rien pour m'aider. Il se moque de moi, peu importe ! Même si c'est un avertissement aux difficultés que nous allons connaître, cet orage de printemps ne me rebutera pas. La pluie me frappe les reins et dégouline dans mes bottes tandis que sous l'auvent du coffre, je cherche ce diable de petit pot légume-viande qui a pris la fuite au fond du sac. Mais non, je n'incriminerai pas ce temps poisseux. Mais non je ne me plaindrai pas que j'ai froid. Je ferai déjeuner mon enfant, comme d'habitude...

avec le sourire. J'aime tellement les voyages que je dois bien en supporter les incommodités. Le petit pot, la casserole remplie d'eau, le camping-gaz, la banane, une assiette, une fourchette pour écraser la banane, une cuillère pour la lui faire manger, le biberon de jus d'orange, une couche, un gant pour le laver, une serviette pour l'essuyer, le talc, je ne dois rien avoir oublié. J'ai les bras tellement chargés que je ne peux même plus fermer la portière. J'étale tout le barda sur mon siège à l'avant droit de la voiture, m'assieds sur le petit coin disponible que je me suis réservé et entreprends de faire chauffer le petit pot au bain-marie sur le camping-gaz posé entre mes jambes. Quand j'essaye d'allumer le mini-réchaud secoué par le transport, une flamme démesurément longue en jaillit avec une puissance telle que je prends peur et lâche tout, réussissant seulement à brûler la boîte à gants et ren- verser la casserole d'eau. Caddy rit aux éclats :

— En Ecosse nous allons connaître pendant deux mois ce même temps pourri tellement agréable pour les pique-niques en plein air ; tu es toujours décidée à partir avec ton enfant, à cheval ?

— L'an passé, l'Ecosse était le seul pays d'Europe a être épargné par la sécheresse, n'est-ce pas ? Eh bien, l'été prochain, elle sera le seul pays à ne pas être noyé par les déluges.

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C'est tout ce que je trouve à répondre.

— J'aimerais bien en être aussi sûr que toi, réplique Caddy en réparant calmement mes catastrophes.

En attendant que le petit pot soit chaud, j'essaie de chan- ger Philippe. Il est couché sur le siège arrière et je dois faire une gymnastique invraisemblable pour l'atteindre. Attention toutefois à ne pas renverser à nouveau la casserole d'eau qui bout sous mes pieds. Oh ! ciel, Philippe est mouillé jusqu'au gilet de laine. Il faut que je le change entièrement et pour cela je dois retourner farfouiller dans le coffre. La pluie frappe les vitres avec une vigueur redoutable. J'ai déjà rapporté un tombereau d'eau tout à l'heure, je vais faire la même chose ; et puis, à force d'ouvrir ces portières, mon enfant va finir par prendre froid. Dieu que c'est compliqué de faire voyager un bébé ! Je commence à avoir des doutes et me demande si notre voyage à cheval sera réellement une partie d'agrément.

Cependant, il ne faut pas que j'aie l'air contrarié en face de Caddy, sinon il sauterait sur l'occasion pour annuler notre départ.

J'ai la chance d'avoir un enfant facile ; nous roulons depuis plus de cinq heures et il n'a pas manifesté la moindre désapprobation. Nous lui donnons son déjeuner avec deux heures de retard et il ne dit rien. Il attend patiemment dans ses vêtements mouillés et ses couches sales. C'est un enfant doué pour la vie d'aventures. Il ne faut pas que je me laisse décourager par les premiers inconvénients. Quand nous serons rodés et que chaque chose aura sa place sur nos chevaux, tout ira bien, j'en suis sûre.

Nous arrivons enfin chez Giordanino qui nous reçoit à bras ouverts et à peine s'est-il rapidement extasié sur le ravis- sant petit pitchoun qu'il nous conduit aussitôt à son atelier.

Notre trésor trône au milieu de la pièce, recouvert d'un drap de toile foncée, Giordanino explique :

— Vous savez, ça paraît simple maintenant que tout est en place mais il m'en a coûté des nuits blanches, votre appareil. D'ailleurs je ne pensais même pas pouvoir y arriver, j'ai failli abandonner. Et puis, j'ai trouvé ça. Une aubaine, vous pouvez le dire.

Giordanino nous fait bouillir d'impatience. Je me demande bien à quoi va ressembler notre berceau et par quelle astuce il va tenir sur le cheval.

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Il soulève l'étoffe avec une précaution minutieuse comme s'il allait découvrir une œuvre d'art qui risque de s'altérer au contact de la lumière.

C'est vrai qu'il est joli. Pour l'instant il n'y a encore que l'armature de fer et cela ressemble à une jardinière pour mettre des fleurs.

— C'est un alliage spécial, ajoute Giordanino, avec la fierté d'un ingénieur qui vient de mettre au point un engin de grande importance, très léger mais solide !

Et son système de berceau à pieds qui s'emboîte sur ce bât militaire à la place d'une mitrailleuse est tout simplement génial. On ne pouvait espérer une fixation plus simple, plus commode et plus sûre. De ce côté-là, c'est parfait.

— Vous ne bondissez pas de joie ! s'étonne Giordanino, vous ne vous rendez pas compte, mais il m'a fallu beaucoup chercher, vraiment beaucoup.

Je me rends bien compte car, pendant six mois, j'ai aussi beaucoup cherché, vraiment beaucoup, sans rien trouver. Si je n'exprime pas mon enthousiasme avec plus de gaieté, c'est parce qu'une chose me chiffonne : j'ai bien peur que mon fils ne tienne jamais dans le berceau. J'avais pourtant bien précisé que Philippe mesurerait soixante-dix centimètres mais une plus grande longueur ne devait pas coller avec la longueur du dos du cheval. Giordanino est plus cavalier que maternel et il a pensé au bien-être du cheval avant de penser à celui de mon enfant.

Quand nous mettons Philippe dans le berceau, Giordanino doit se rendre à l'évidence : quand on aura ajouté une inate- lassure de protection et toute la literie nécessaire il manquera au moins vingt centimètres pour que Philippe y soit à l'aise.

Il faut aussi tenir compte du fait que Philippe va grandir pendant ses deux mois de voyage.

— Je ne peux pas changer les pieds de place mais je peux peut-être souder une tige métallique qui allongerait la car- casse. Allons voir sur le cheval si c'est possible.

Giordanino s'en va quérir sa plus belle jument. Il est un peu déçu lui aussi mais il reste fier de sa création. Juché sur le cheval, le berceau a l'air de tenir tout à fait par l'opération du Saint-Esprit. En aucun point il ne touche le dos de l'animal, ce qui est bien en un sens car ainsi il ne le blessera pas, mais

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cela fait un drôle d'effet. Giordanino nous voyant sceptiques, s'exclame :

— Oh ! n'ayez pas peur, il est stable. Regardez, je peux me suspendre dessus de toutes mes forces ou lui envoyer des coups, il ne bouge pas. D'ailleurs, pour qu'il n'y ait vraiment aucun danger, je vais vous ajouter une manette de sécurité.

Essayez vous-même. Montez dedans. Le berceau ne peut pas tomber, ni même pencher d'un côté ou de l'autre.

Caddy me fait la courte échelle pour me hisser dans la nacelle miniature hippomobile. Le point intéressant de cette expérience est de constater que malgré mon poids, l'arrière du berceau ne touche pas les reins du cheval, et si on prolonge sa ligne d'inclinaison, on se rend compte qu'on peut allonger l'armature de vingt centimètres sans que celle-ci gêne les mouvements du dos et de la croupe. C'est un bon point.

Je me balance et gesticule autant que je peux, bien plus qu'un enfant de cinq mois ne le fera jamais et Caddy sourit :

— C'est bon, ça ne bouge pas. Essayons maintenant à des allures plus vives.

Caddy prend le cheval en main, le fait trotter, galoper et même sauter des fossés.

Brr... j'ai un peu peur et j'ai le mal de l'air là-haut. Dès que le cheval s'apprête à sauter un fossé, mes habitudes de cavalière me font serrer les jambes, mais assise dans cette nacelle, ça n'a rigoureusement aucun effet. J'espère que mon fils n'aura pas peur et que le mouvement constant du cheval au pas ne lui donnera pas la nausée.

Constatant à nouveau mon inquiétude, Giordanino reprend :

— C'est dommage que le berceau ne soit pas garni, sinon nous aurions fait tout de suite l'expérience. Mais on peut faire un essai avec mes petits neveux. Tristan, Johan, venez là.

Les enfants ne se font pas prier et se laissent hisser dans la nacelle, à tour de rôle, absolument ravis. Ils ont trois et quatre ans. Ils s'y tiennent assis, réclament à grands cris un peu plus de galop et rient aux éclats à chaque secousse.

— Un enfant, ce n'est pas comme un adulte. Il ne connaît pas la peur. Et si vous ne marchez qu'au pas, je suis sûr que le vôtre sera content d'être bercé par le mouve- ment du cheval, conclut Giordanino.

C'est probablement vrai. Cette fois nous sommes conquis.

Il n'y a plus qu'à retourner chez le ferronnier faire allonger

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le squelette du berceau, coudre une épaisse matelassure de mousse pour protéger l'enfant en cas de choc et habiller le tout d'une enveloppe de toile parfaitement imperméable. Je choisis une bâche de store qui, selon le marchand, résistera à toutes les pluies, même les plus drues.

Encore une fois, ce n'est pas aussi simple que ça en a l'air. Caddy, une amie venue nous aider et moi-même y cassons plusieurs aiguilles, mais finalement nous parvenons à coudre un tablier et une jolie capote qui se rabat très en avant, de telle façon que la pluie devrait tomber horizontale- ment pour mouiller la tête de Philippe. Il faut aussi penser au soleil qui fera de l'œil au bébé.

— Et n'oubliez pas d'emporter une moustiquaire, ajoute Giordanino, sinon les mouches vont nous le manger, votre pitchoun.

Sacré Giordanino, j'ai l'impression que si je lui demandais de trouver un système pour que j'aille me promener à cheval sur la lune, il le trouverait.

Le problème essentiel étant résolu, il ne reste plus qu'à trouver les chevaux : les perles qui auront une résistance exceptionnelle pour porter nos bagages et nous-mêmes à travers les montagnes des Highlands, ceux qui auront suffi- samment de sang pour avoir un pas dynamique et rapide sans jamais s 'offrir la moindre fantaisie de ruades ou croupades.

Il y a bien Mickey et Donald, les deux pinpins qui nous ont emmenés jusqu'à Jérusalem, ils sont en excellente santé, mais nous avons promis qu'en échange de tous leurs efforts pendant ce grand voyage, nous leur assurerions une retraite définitive dans les bons prés nivernais. Non, nous devons tenir notre promesse et les laisser tranquilles. Essayons plutôt de trouver des chevaux sur place. Cela nous évitera les pro- blèmes de transport et de quarantaine à la frontière et c'est une excellente occasion de faire connaissance avec l'élevage écossais. Le hasard nous a fait rencontrer un Britannique venu acheter des charolais dans la Nièvre et celui-ci nous déclare sans l'ombre d'une hésitation :

L 'homme qu'il vous faut, c'est Cameroon Ormeston, à Newtonmore, dans la vallée du Spey, à la porte des Highlands.

Il a plus de cent cinquante poneys. Il est le roi de la randonnée.

Contactez-le de ma part.

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Et comme nous butons sur le mot « poney », notre interlocu- teur renchérit :

— Des poneys de montagne qui ont l'habitude de porter des chasseurs trois fois lourds comme vous et des cerfs qui pèsent au moins deux cents kilos. Suivez mon conseil, vous ne le regretterez pas.

Rendez-vous est pris avec Ormeston pour le 1 juin.

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2

CAMEROON ORMESTON : LE BERGER DES CERFS

Après un voyage en voiture de trois jours, nous arrivons au sud du loch Ness au pied d'une imposante montagne noire, au bord d'un sympathique ruisseau que nous pensons être plein de truites, à l'entrée d'une grande maison blanche abritée du vent par un petit bois de sapins. Des vaches rousses à très longs poils et longues cornes déroulées, beuglent à notre passage comme pour défendre leur territoire. Des béliers et des moutons à la fourrure tellement abondante qu'ils sont de vraies carpettes ambulantes, s'enfuient en sautillant pour mieux nous observer, mais de plus loin. Un troupeau de joyeux poneys ruent et se cabrent dans de vastes prés clos par des murets de pierre. Nous sommes à Strathmashie Lodge, célèbre rendez-vous de chasse, grande bâtisse de brique, peinte en blanc, recouverte d'ardoise. Deux tours polygonales s'avancent, dignes et symétriques, sur le mur de façade.

Un personnage gigantesque vient à nous. Il fait très gentleman sous sa casquette Sherlock Holmes, son immense imperméable râpé qui lui descend jusqu'aux chevilles et laisse apercevoir un kilt à carreaux vert et beige aux tons passés très raffinés. Casquette, veste et kilt ont chacun des carreaux de différents écossais, pourtant le tout s'accorde parfaitement et dégage une subtile harmonie de couleurs. Vu de loin, il se confondait totalement avec le paysage qui l'environnait. De près, sa tenue révèle des audaces insoupçonnées : quel Français pourrait en effet porter à la fois une telle cravate

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couleur saumon et des chaussettes vert olive à pompons rouges sans se couvrir de ridicule ? Eh bien ! chez notre interlocuteur écossais, ce costume montre au contraire un goût certain pour l'élégance et un choix parfait du camaïeu. La cravate sau- mon n'est là que pour ajouter un peu de chaleur et de gaieté à l'ensemble marron-vert de la silhouette.

Cameroon Ormeston se présente, nous serre la main, sourit et nous montre le chemin du manoir. Une immense générosité se dégage de cette haute stature fortement charpentée. Avant de le suivre dans le corridor, Caddy et moi échangeons un regard de satisfaction complice.

« Il est extra, n'est-ce pas ? » disent les yeux de Caddy.

Nous sommes déjà tous les deux tombés sous le charme.

Ormeston fait partie de ces gens qui, par leur seule appari- tion, déclenchent un élan de cœur tel qu'on a tout de suite envie de les mieux connaître et de devenir leur ami.

Ormeston nous conduit à travers une succession de grands et de petits salons, tous séparés les uns des autres par des doubles portes pour les préserver du froid, jusqu'à ce que nous parvenions dans ce qu'il appelle son antre. Tous les murs sont tapissés de livres, de gravures de chevaux, de pein- tures cynégétiques et de bois de cerfs. D'épais tapis garnissent le sol et j'en profite pour y abandonner Philippe. Des fau- teuils de cuir confortables entourent une table basse en acajou et Ormeston nous fait signe de nous asseoir tandis qu'il amuse notre fils. Une double fenêtre nous sépare de la bise glaciale qui sévit à l'extérieur et d'épais doubles rideaux en tiretaine rouge assurent une parfaite protection. D'énormes bûches se consument avec allégresse dans une vaste cheminée de pierre sculptée, dispersent une douce chaleur et une mélodieuse lumière et créent une atmosphère intime qui favorise la rencontre, la passion pour celui qui nous reçoit, que nous ne connaissons pas encore mais que nous aimons déjà.

Ormeston se relève, s'approche d'une étagère garnie d'argenterie rutilante, nous propose un thé au lait fumant. A lui seul, et bien que parlant peu, il remplit la pièce de sa pré- sence. Il se tient debout devant nous, infiniment vivant, puis- sant, tendre et doux sous une force colossale, plein de poésie sous un physique rude. Sa taille phénoménale, ses cheveux roux, son teint basané par l'air vif, ses petits yeux perçants que seul l'éclat fait émerger des sourcils broussailleux, son

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”Le bonheur à cheval"...

Depuis son premier livre et son premier succès, Evelyne Coquet poursuit sa quête personnelle du bonheur avec ses amis les chevaux. Avec son mari aussi, et, cette fois, avec leur fils Philippe qui n'avait pas plus de cinq mois, lorsque Evelyne et Caddy entreprirent cette longue randonnée de mille kilomètres à travers les landes et les montagnes désertes des Highlands d'Ecosse.

Est-ce folie de jeter un bébé dans une telle aventure ? Comment se comporte-t-il ? Quelles leçons tirer de cette expérience ?...

Un récit plein de charme, de beauté et de vie. Un livre de bonheur.

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