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DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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LES ANGES DE PIGALLE

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D U M Ê M E A U T E U R

C H E Z L E M Ê M E É D I T E U R

1 : LE M O N S T R E D ' O R G E V A L

2 : LE C A R R O U S E L DE LA PLEINE L U N E 3 : L ' A B O M I N A B L E B L O C K H A U S 4 : LES S É M I N A I R E S D ' A M O U R 5 : LE M A R C H É A U X O R P H E L I N E S 6 : L ' H É R O Ï N E EN O R MASSIF 7 : UN C H A N T A G E TRÈS SPÉCIAL 8 : LES R E Q U I N S DE L'ÎLE D ' A M O U R 9 : LA C I T É DES D I S P A R U E S

N° 1 0 : LE C Y G N E DE B A N G K O K N° 11 : LA M A N T E R E L I G I E U S E N° 1 2 : LE JEU DU C A V A L I E R N° 1 3 : LA C R O I S I È R E I N T E R D I T E N° 1 4 : LE H A R E M DE M A R R A K E C H N° 1 5 : LA MAISON DES M A U D I T E S N° 1 6 : LA PERMISSION DE MINUIT N° 1 7 : LES C A P R I C E S DE VANESSA N° 1 8 : LA V I P È R E DES C A R A Ï B E S N° 1 9 : LE V O Y O U DE M O N T P A R N A S S E N° 2 0 : LES FILLES DE M O N S E I G N E U R N° 2 1 : LA NUIT A R A B E DE M O N A C O N° 2 2 : LA F E R M I È R E DU V I C O M T E N° 2 3 : LA PUNITION DE L ' A M B A S S A D E U R N° 2 4 : LA SECTE DES A M A Z O N E S

N° 2 5 : LES SIRÈNES DE L ' A U T O R O U T E N° 2 6 : LE B O U D D H A V I V A N T

N° 2 7 : LA P L A N C H E T T E B U L G A R E N° 2 8 : LE P R I S O N N I E R DE B E A U B O U R G N° 2 9 : LES ESCLAVES DE LA NUIT N° 3 0 : LES P O U P É E S CHINOISES N° 3 1 : LES SACRIFIÉES DU SOLEIL N° 3 2 : L ' E X É C U T R I C E

N° 3 3 : LA P R Ê T R E S S E DU P H A R A O N N° 3 4 : UN C A N A L ROSE P O U R CIBISTES N° 3 5 : LES F A N A T I Q U E S DE LA V I D É O

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MICHEL BRICE

B R I G A D E M O N D A I N E

LES ANGES DE PIGALLE

PLON

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Les dossiers Brigade mondaine de cette collection sont basés sur des éléments absolument authentiques.

Toutefois, pour les révéler au public, nous avons dû modifier les notions de temps et de lieu ainsi que les noms des personnages.

Par conséquent, toute ressemblance avec des person- nes existantes ou ayant existé serait totalement invo- lontaire et ne relèverait que du hasard.

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© L I B R A I R I E P L O N / G E C E P , 1981.

ISBN : 2-259-00850-X

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CHAPITRE PREMIER

Avec un gémissement étouffé, François-Régis de Lubac rejeta la tête en arrière. Ce bruit de déchirure qui venait de lui monter aux tympans, c'était sa veste ivoire de chez Smalto. Le craquement avait été sec, impitoyable. Elle était ouverte de haut en bas dans le dos. Irréparable.

Une imperceptible mousse blanche de bave appa- rut aux commissures de ses lèvres quand il comprit que son pantalon allait également y passer. De fait, il sentit une paire de ciseaux remonter le long de sa jambe droite. Ensuite, ce fut la gauche ; les pulsa- tions de son cœur se mirent en dépassement de vitesse caractérisé. Il gigota un peu, les jambes à quelques centimètres du sol. « On » était en train de le débarrasser de ce qui était encore, quelques minutes plus tôt, le superbe costume d'un patron de presse de cinquante-quatre ans dans le vent, avec chauffeur, appartement de quatre cents mètres carrés boulevard Malesherbes et courbes de vente s'obsti- nant à triompher régulièrement du bras de fer permanent imposé par la crise au journalisme en général et aux directeurs de journaux en particulier.

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— Par pitié, gémit-il en secouant ses cheveux aux ondulations beaucoup trop parfaitement blanches vu son âge, pour ne pas lui avoir valu le surnom secret de « Tête de Neige » parmi ses employés. Par pitié, laissez-moi voir. Retirez-moi ça !

La supplique n'avait aucune chance d'être prise en considération, il le savait. Il ne fut donc pas étonné de la réponse, aussi brutale que catégorique :

— Pas question, tu te souviens du contrat, non?

Tu as signé.

La voix lui parvenait, curieusement étouffée.

Comme si un bâillon filtrait les mots. De plus, le timbre était contrefait, il l'aurait juré.

Pour bien montrer qu'on ne plaisantait pas avec le contrat, « on » vérifia au contraire une fois de plus la parfaite adhésion du sparadrap collé sur ses paupiè- res. Cet examen terminé, « on » donna à son corps, suspendu par les mains au plafond, dans le genre sac de sable pour boxeurs à l'entraînement, une légère rotation.

— Ça ne te suffit pas, d'être en loques, hein ? grinça la voix. Tu voudrais te voir, en plus, mon salaud !

François-Régis de Lubac avoua un « oui » imper- ceptible, menton appuyé sur la soie imprimée du nœud de cravate. Depuis combien de temps était-il là, dans cet appartement inconnu, enfermé dans cette pièce qu'il n'avait pu voir en entrant, les poignets liés au plafond par une corde, et suspendu dans le vide, avec juste le bout des pieds touchant le sol ? Il aurait été incapable de répondre à ces questions et d'ail- leurs s'en fichait pas mal. Peu importait le nombre de minutes ou d'heures écoulées depuis qu'on s'achar-

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nait savamment sur son costume d'ancien jeune loup de la presse qui a su rentabiliser le moindre franc investi. Peu importait même l'identité de cette femme avec qui il avait passé, au terme de transac- tions compliquées et tortueuses, un contrat dont il connaissait les phrases clé par coeur, tant il les avait lues et relues avec délectation avant d'apposer sa signature en bas et d'expédier le tout à une poste restante du X I V arrondissement : Je serai entre vos mains un instrument aveugle, disait par exemple le texte. On ne pouvait être plus précis. Aveugle, il l'était doublement, avec cette bande adhésive sur les paupières qui commençait à le brûler. Au cas où j'oublierais que je suis votre esclave, vous auriez le droit de me punir selon votre bon plaisir, sans que je puisse oser me plaindre. Là aussi, c'était la règle du jeu. Rien à dire. François-Régis de Lubac était un vieux routier de ce genre de pacte avec le diable.

Quelque chose cependant lui disait que, cette fois-ci, ce ne serait pas tout à fait comme avec les autres

« dominatrices » auxquelles il s'était naguère adressé. Il les connaissait presque toutes, au bout de vingt ans de pratique assidue. La plupart abritaient leurs cuisantes « consultations » sous des façades parfaitement respectables de cabinets de soins esthé- tiques. Drôles d'esthéticiennes, entre parenthèses, de chez qui il ressortait généralement avec une tête que sa propre mère n'aurait pas reconnue.

La plus grande cruauté sera permise à mon égard, et si on me mutile je le supporterai sans plainte, poursui- vait le texte du contrat, qui s'achevait sur ces mots : Je ne suis plus rien et vous êtes tout. Ma vie et mon avenir vous appartiennent. C'est au bas de cette

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dernière phrase que François-Régis de Lubac avait déposé son paraphe de patron d'un empire de presse modeste mais juteux, puisqu'il comportait quatre journaux dont le moindre tirait chaque semaine à deux cent cinquante mille exemplaires : Zodiac, Téléspots, Cravache (un hebdomadaire de turf bap- tisé ainsi pour raison de fantasmes personnels) et enfin Pulsions, le premier périodique français de faits divers criminels à faire appel — disait la pub — à des psychanalystes pour dévoiler les tréfonds ténébreux du cœur humain.

Le contact glacé de la paire de ciseaux sur son cou le tira de sa rêverie. Il n'eut pas le temps d'avoir peur, déjà les deux lames sectionnaient sa cravate.

Puis elles s'attaquèrent à la chemise dont le coton s'ouvrit en gémissant. Il était maintenant torse nu.

Pas un instant, depuis qu'il était pendu au plafond, il n'avait songé à l'étau pourtant féroce qui lui arrachait la peau des poignets.

La minute d'après, la femme commençait à déchi- queter son slip. Car c'était une femme, ça au moins il en était sûr : pendant qu'elle l'élevait dans les airs, tout à l'heure, en tirant sur la corde, sans doute à l'aide d'une poulie, il avait senti furtivement ses seins frôler sa poitrine. Des seins durs et pleins, probable- ment nus puisqu'il avait nettement perçu le contact des bouts en état de turgescence caractérisée. Un contact, d'ailleurs, qui ne lui avait fait ni chaud ni froid. A la limite, elle aurait pu être aussi bien un homme — dont elle avait d'ailleurs un peu, sinon la voix, du moins les intonations faites pour le comman- dement — il s'en moquait. Ce qui lui fallait, c'était un bourreau. Ou une « bourrelle », comme on disait en

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ancien français. A u choix. L'important pour lui n'était pas dans la différence de sexe.

Le slip tomba à terre en petits morceaux. Ce qu'il y avait en-dessous faisait vaguement penser à une soufrière en état d'éruption imminente.

— Tu prends ton pied, mon cochon, s'exclama la voix rauque en constatant l'état avancé d'excitation où se trouvait le pendu journalistique. Ça te plaît, hein, d'avoir quatre mille francs de fringues partis en lambeaux !

François-Régis de Lubac, qui n'avait plus que ses chaussettes et se moquait pas mal du ridicule, secoua la tête avec un rictus d'extase. Sa ressemblance avec Jean Cocteau, le célèbre poète français mort le même jour qu'Edith Piaf, était extraordinaire. Même nez fort, même visage émacié en lame de couteau, mêmes ondulations blanches encadrant un front démesuré. Même figure de martyr euphorique en train de mijoter au septième ciel d'un sabbat pas très catholique. Il sentit que la fille le saisissait par les narines, entre le pouce et l'index, et pinçait d'une façon qui était tout sauf affectueuse.

— Tu as bien fait de penser à apporter un costume de rechange comme je te l'avais dit, mumura-t-elle, tu en auras besoin, quand tu sortiras d'ici. Si je te laisse sortir, bien entendu.

Le torse maigre de Lubac, couvert de poils blancs, répondit par un frisson. Les règles du jeu étaient respectées au-delà de ses espérances. Plus elle lui ferait peur, meilleur ce serait.

— Finis les hors-d'œuvres, grogna alors la voix.

On attaque les choses sérieuses, maintenant.

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Calmement, souriant d'un sourire inquiétant que François-Régis de Lubac ne verrait jamais, elle recula de quelques pas pour jouir d'un spectacle que les employés de France-Editeurs (la raison sociale du groupe de presse de Lubac régulièrement déformé en

« Souffrance-Editeurs » par ceux qui s'estimaient brimés ou sous-payés par leur patron) seraient éter- nellement à mille lieues de soupçonner.

Au milieu d'une vaste pièce ronde presque intégra- lement vitrée, Lubac dont les pieds touchaient à peine la couverture de caoutchouc protégeant le sol moquetté gris souris, tournait très lentement comme une vis d'Archimède, les poignets solidement noués par une corde attachée à un crochet qui dépassait, au centre d'une rosace des vitraux compliqués — la seule véritable décoration du salon vitré, hormis quelques meubles de Majorelle en acajou qui, dans la journée, avaient l'air de flotter dans un aquarium en plein ciel : le salon au vitrail couronnait un immeuble de neuf étages et s'ouvrait sur une terrasse gravillo- née d'où on dominait tout Paris. La nuit, la vue était saisissante : des vagues de lumières orangées en contrebas roulant jusqu'à l'horizon sous un ciel immense, des stratifications de toits de zinc à n'en plus finir avec, çà et là, les dômes des monuments qui se répondaient, Panthéon, Académie française, Val- de-Grâce, ainsi que le long parallélépipède noir de la Tour Montparnasse, et les HLM de luxe du Front de Seine en rang de bataille. Autre détail capital : d'en bas, de la rue, l'espèce de rendez-vous de chasse aérien était parfaitement invisible. Le salon vitré

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plein ciel n'était d'ailleurs que le couronnement suprême d'un duplex dont les pièces principales se situaient à l'étage au-dessous, au neuvième par conséquent.

D'un mouvement du cou, qu'elle avait étrange- ment puissant et musclé, Diane rejeta en arrière ses boucles blond cendré qui cascadaient bien au-dessous de ses omoplates. Par l'un des panneaux coulissants, la rumeur de Paris montait, bruit de fureur lointaine permanente et contenue, roulement d'émeute perpé- tuelle qui n'était que le mixage confus des milliers et des milliers de moteurs renvoyés stéréophonique- ment vers les hauteurs. De temps en temps, beau- coup plus proches dans l'espace, montaient des bouffées d'accords de guitare qui détonnaient dans le concert automobilistique. Comme un jamboree scout au milieu du circuit d'Indianapolis.

Il y avait aussi, à intervalles réguliers, toutes les dix minutes environ, un autre ensemble de bruits venus du dehors, et ceux-ci tout proches : des cliquetis métalliques suivis d'un long chuintement, sur lequel enchaînait aussitôt un ronflement plus sourd.

Tous ces bruits, Diane les connaissait parfaite- ment. Ils lui étaient devenus familiers depuis quel- ques mois qu'elle régnait sur cet appartement dont un ami lui avait laissé les clés avant de quitter Paris.

Aucun danger qu'il ne revienne avant longtemps : l'ami en question faisait partie de ces privilégiés de la jet society qui collectionnent les adresses comme d'autres les valeurs, les voitures ou les femmes. Il

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possédait une dizaine de résidences, appartements luxueux, châteaux, chalets ou villas, éparpillés un peu partout dans le monde des affaires ou des loisirs.

Un père américain lui avait laissé assez de sociétés florissantes implantées du Canada au Zaïre et tou- chant à tous les domaines, de la sidérurgie au nucléaire, pour qu'il puisse se permettre de consacrer pas mal de temps libre à son hobby favori : la décoration. D'où ces vitraux modern'style en plein ciel, ces fauteuils et ces canapés de Majorelle, ainsi qu'une impressionnante collection de tableaux modernes, à l'étage inférieur.

Depuis quelques instants, Diane se mordait les lèvres, les narines incommodées par une odeur qu'elle connaissait bien. Seul inconvénient de l'ap- partement, dû à sa situation géographique : un remugle âcre, genre mazout sur les côtes bretonnes en pleine tempête d'équinoxe, qui arrivait par vagues et prenait à la gorge.

Elle traversa la pièce en trois enjambées de ses longues cuissardes noires et referma la porte à glissière. Tant pis pour la chaleur qui allait transfor- mer le salon en étuve. On était au mois de juin, un mois de juin pourri d'orages comme tous les mois de juin depuis une génération.

Pour chasser l'odeur de naufrage de pétrolier qui flottait, maintenant prisonnière, elle alluma une cigarette à base de plantes sauvages, sa dernière découverte : un nouveau mélange de tussilage et de noyer. Ça avait le goût du hasch, ça avait l'odeur du hasch, mais ce n'était pas du hasch. Ni d'ailleurs du tabac. Pas une trace de nicotine dans cette longue

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cigarette à bout filtre dont elle absorba quelques bouffées avec volupté.

Lorsqu'elle en eut terminé avec sa cigarette au goût étrange venu d'ailleurs, elle se réintéressa à

« Tête de Neige », le Cocteau de la presse à sensa- tion qui pendait toujours au milieu de la pièce comme un quartier de viande blafarde et congelée. A l'heure qu'il était, il ne devait plus sentir aucune douleur dans les muscles, tant il était étiré sur toute sa longueur efflanquée. Il fallait le réveiller. Elle se rapprocha, cambrée dans son costume habituel des

« soirées délire », comme elle se disait à elle-même : un collant, recouvert de mille paillettes plastique passées à la bombe or, moulait ses longues cuisses, ses fesses rondes et hautes. Elle avait des hanches étonnamment étroites pour une femme. Au-dessus, elle était nue, une poitrine généreuse et drue qui dardait ses pointes roses de blonde comme deux obus miniature. Un spectacle dont elle était seule à jouir, dans les reflets des vitres où les ténèbres du ciel parisien formaient tain, puisque Lubac, pour des raisons de prudence élémentaire, avait les yeux recouverts d'un large sparadrap. Une précaution qui faisait partie du contrat négocié par téléphone pen- dant trois longues semaines depuis le jour où elle l'avait « ferré » par l'envoi anonyme d'un certain paquet qui contenait en germe, pour le patron de France-Editeurs, de futurs assouvissements de fantas- mes dont seuls quelques intimes triés sur le volet — frères en masochisme — connaissaient le secret. Et comme deux précautions valent toujours mieux qu'une, elle avait enfilé une sorte de masque en cuir

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noir qui lui cachait la totalité du visage, tout en laissant ses cheveux flotter librement.

En se rapprochant de Lubac, elle saisit au passage, sur une table à jeu 1900 en acajou, une longue cravache de cuir tressé qui se terminait par cinq minuscules crochets d'acier.

Elle le gifla à toute volée.

— Réveille-toi, siffla-t-elle, tu es là pour dormir ou quoi ?

Le pendu à la Cocteau, qui ne pouvait pas jouir du spectacle de la blonde à tête d'Ange de la Mort dans Orphée (le film de son sosie disparu), redressa son visage de torturé aveugle.

Diane se passa la langue sur les lèvres.

— Tu te souviens du nombre d'étages que tu as montés, en venant ici ?

Il fit un effort de mémoire désespéré. Ses derniers souvenirs étaient lointains. L'arrivée, à l'heure fixée, chez lui, boulevard Malesherbes, d'un inconnu her- culéen à face de Tarass Boulba qui lui avait immédia- tement bandé les yeux. Sans prononcer un mot : inutile puisque les moindres détails du rituel avaient été arrangés à l'avance. Quelques instants plus tard, l'installation à l'arrière d'une voiture et une intermi- nable traversée de Paris, où « Tarass Boulba » avait probablement pris soin de tourner en rond et de faire des détours pour le décourager d'essayer de deviner la direction prise. Enfin, la montée à tâtons des innombrables marches d'un escalier qui sentait le chou-fleur — certainement l'escalier de service. Sur les derniers mètres, « Tarass Boulba » l'avait littéra- lement porté dans ses bras.

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— Non, soupira-t-il d'une toute petite voix trem- blante. Je ne me souviens plus, je ne sais pas...

Les lèvres de Diane s'ouvrirent sur une rangée de dents éblouissantes.

— Alors, je vais te rafraîchir la mémoire, grinça- t-elle.

Dans les fentes du masque de cuir, ses yeux prirent une teinte mauve sombre. Ses doigts se nouèrent autour du manche du fouet comme s'ils voulaient l'écraser. Une dernière fois, elle regarda la nudité de Lubac, sa toison blanchie avant l'âge qui bouclait sur sa poitrine maigre et moussait au-dessus d'une virilité qui recommençait à s'agiter à la perspective du supplice proche. Elle eut un haut-le-cœur de dégoût.

Comme à chaque fois qu'elle voyait un corps mascu- lin, un très ancien souvenir d'enfance lui revenait en mémoire : une petite fille de huit ans aperçue par la porte entrouverte d'une cabine de bain, sur la plage de La Baule, en train de soulever lentement sa jupe sous les yeux de trois garçons de son âge. Petit à petit, le ventre était apparu, lisse et rose. Si propre, si doux, si net et pur...

Elle souleva le fouet, comme pour chasser cette vision. Au moment où elle abattit la lanière de cuir sur les chevilles de Lubac, ses seins n'eurent pas le moindre soubresaut.

— Premier étage, annonça-t-elle, les yeux fous.

Le directeur de Cravache ouvrit convulsivement une bouche hagarde d'où aucun son ne sortit. La sueur commença à couler de ride en ride sur son visage émacié.

— Tu te souviens de ce qui est convenu ? rappela Diane. Pas de cris, pas de gémissements.

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Un cercle rouge foncé commençait à apparaître au- dessus des pieds du patron de presse. Avec des gouttelettes de sang : les crochets d'acier.

— Tu as intérêt à serrer les dents, reprit-elle sourdement.

Une seconde fois, la lanière claqua. Cette fois contre les mollets de Lubac.

— Deuxième étage, fit Diane d'une voix hallu- cinée.

Le troisième coup de fouet déchira les genoux. Le quatrième imprima sa trace écarlate entre les poils blancs des cuisses.

Pour le cinquième, Diane recula afin de prendre de l'élan. Cette fois, elle allait frapper la chose érigée, cet amas de veines roses et violettes qui palpitait de plus en plus fébrilement.

Lubac ne put retenir un hurlement. Il avait été cravaché diagonalement, de sorte que le cuir et les crochets avaient entamé également les testicules et la verge, où le sang commençait à perler.

— Imbécile, gronda-t-elle. Je t'avais pourtant averti. Tu vas avoir droit à une double ration.

Un nouveau coup. Diagonale en sens inverse.

Cette fois, le sexe se recroquevilla légèrement. Les gouttes rouges commençaient à tomber sur la couver- ture de caoutchouc. Mais Lubac ne criait plus. La tête en arrière, il avait l'air de dériver dans un coma heureux.

— Bravo, grinça Diane. Tu comprends vite, au moins.

Elle reprit sa progression en hauteur. Sixième étage, le ventre ; septième étage, le sternum ; hui-

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tième étage, les épaules. A chaque fois, un spasme convulsif cambrait le corps de Lubac.

— Neuvième étage, cria-t-elle enfin. Le dernier ! Tourne la tête vers moi.

Il obéit, se guidant au son. La sueur lui ruisselait du front, coulait sur le sparadrap, s'accumulait au bout de son nez busqué. Sa lèvre inférieure pendait, décrochée par un plaisir venu du fond de sa sexualité détraquée qui ne pouvait plus envisager aucune jouissance hors des mises en scène compliquées et des raffinements de souffrance. Cette fois, il était servi. Dire qu'il avait craint d'être déçu, une fois de plus, de tomber sur une de ces professionnelles du sadisme comme il en connaissait tant, qui font leur métier avec autant d'indifférence que la plupart des prostituées offrant l'un des orifices de leur corps en priant le bon Dieu que ça ne s'éternise pas ! Cette fille qu'il n'avait jamais vue, qu'il ne verrait proba- blement jamais, dont il ne saurait sans doute jamais ni le nom ni le prénom, s'acharnait à le faire souffrir scientifiquement, progressivement, comme si pour elle aussi ça avait été une question de vie et de mort.

Il est vrai que le prix de la séance était à la hauteur du

« traitement » : deux mille cinq cents francs. Payés d'avance. En liquide.

— Neuvième étage, répéta-t-elle d'une voix trem- blante où revenaient curieusement des sons rauques et graves.

La cravache cingla Lubac en pleine figure, lui ouvrant le nez et faisant éclater la pommette droite.

Il était à présent complètement ensanglanté. Le caoutchouc protecteur recevait les gouttes rouges qui tombaient en auréole à ses pieds.

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— On redescend maintenant, décida Diane.

Elle refit le trajet en sens inverse, en attaquant Lubac par-derrière, cette fois, du crâne aux talons.

Quand ce fut terminé, il avait l'air d'un de ces Chinois écorchés vifs du temps de la guerre des Boxers qu'elle avait vus en photos dans son enfance et qui lui avaient laissé des souvenirs indélébiles. Elle jeta la cravache sanguinolente sur la table à jeu, sans ménagement pour l'acajou de ce meuble rarissime, trouvaille de son propriétaire chez un antiquaire monégasque. Un instant, elle eut la tentation d'arra- cher son masque : la sueur lui brûlait les paupières, sous le cuir noir. Mais la prudence l'emporta. Le sparadrap sur les yeux de Lubac était large et solide, bien sûr, mais ce n'était pas une raison pour oublier les plus élémentaires précautions.

Elle vira de nouveau vers le directeur de Pulsions.

— On continue, dit-elle, d'une voix de plus en plus altérée d'excitation. Je vais te détacher et tu vas te conduire comme un grand. Pas question de te laisser tomber à terre et de t'endormir. Tu en veux, tu en auras ! Et tu te souviendras de moi longtemps, je te le jure !

Le premier réflexe de Lubac, quand ses pieds reposèrent de nouveau à plat, fut de se laisser couler vers le sol. Ses jambes ne le portaient plus. Il ne sentait plus ses muscles. Il n'était plus qu'une immense ankylose figée n'aspirant qu'à plonger dans le plus profond sommeil.

— Debout, murmura la voix de la fille, glaciale.

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Du fond de sa douleur cotonneuse, le patron de France-Editeurs entendit l'ordre et obéit. Rassem- blant ses dernières forces, il commanda à ses jambes de se raidir. Peu à peu, le miracle s'opéra, il fut de nouveau vertical au milieu du salon de navette spatiale.

— Je vais te réveiller, grogna Diane, menaçante.

Elle pivota sur ses cuissardes.

— Et d'abord, musique !

Du fond de sa nuit visuelle, les quatre autres sens de François-Régis de Lubac étaient restés en éveil.

Particulièrement l'ouïe. Il n'avait rien perdu des rumeurs lointaines de Paris, quand la fenêtre était encore ouverte, ni des accords de guitare, ni même ces étranges cliquetis réguliers, sans doute pas très loin de l'appartement. Non plus que l'odeur de mazout qui lui arrivait par bouffées avant que Diane ne décide de « désinfecter » l'atmosphère avec ses cigarettes aux plantes sauvages. On peut être fou masochiste au dernier degré et ne pas perdre le nord sur d'autres plans. Tout cela constituait un ensemble de repères précieux dont il pourrait éventuellement tirer le maximum, plus tard. S'il ressortait vivant. Le risque d'y laisser sa peau faisait partie du jeu. Il l'acceptait. Sans arriver à y croire, bien entendu.

Diane avait saisi un bouton de télécommandes.

Immédiatement, de l'autre côté de la pièce, sur une mini-chaîne slim-line — extra-plate — aux organes nickelés et clignotants avec horloge à affichage digital de couleur verte, un « bras tangentiel » vint effleurer en douceur le disque qui y était posé. Aussitôt, des diaphragmes de haut-parleurs à structure nids d'abeille, s'éleva une musique conquérante et virile.

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Marche militaire. Il y en avait une dizaine sur chaque face du disque.

Le cœur de Lubac se mit à battre plus fort. Elle savait ça aussi ! Chez lui, quand il était seul, il passait son temps à écouter des airs martiaux. En imaginant des bataillons entiers en train de marcher sur lui, de le piétiner, de l'écraser sous les rangers trempés de boue et de sang.

Il ne put pas très longtemps s'abandonner aux délices imaginaires d'une armée crapahutant vers lui en rangs serrés sur la moquette. Une nouvelle douleur, intolérable, cuisante et profonde, lui arra- cha un aboiement suraigu.

— Imbécile, gronda Diane. Tu as ce que tu voulais, non ?

En vieux routier des pratiques sado-maso, il avait tout de suite compris de quoi il retournait : pour le tirer de sa léthargie, Diane venait d'asperger de gros sel chacune de ses blessures. Dilué dans le sang, le sel était immédiatement descendu par capillarité au plus profond du derme à vif.

Cette fois, le supplice fut si cuisant qu'il eut une nausée. Il vomit, courbé sur le caoutchouc proté- geant la moquette, vacilla dans ses élancements irradiants, et s'évanouit.

Quand il reprit conscience, sous l'effet des coups que lui assenait Diane sur le visage, à l'aide du manche de la cravache, il comprit instantanément qu'il avait changé de position. Il était maintenant assis, attaché dans un fauteuil. Ce qui le frappa, ce

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fut une bizarre sensation sur ses genoux. Celle qui le torturait depuis déjà des heures avait inventé un nouveau supplice dont il n'allait probablement pas tarder à comprendre tous les raffinements.

Dans la musique militaire assourdissante qui lui vrillait les tympans et lui faisait galoper à travers l'imagination des hordes de paras triomphants, Lubac réalisa brusquement, au contact, ce qui était posé sur ses cuisses : une planchette de bois, sur laquelle son sexe avait été placé, pour le moment recroquevillé, « au repos ».

Par rafales, les décibels n'arrêtaient pas de faire déferler les vagues soldatesques. Aucun risque de déranger les voisins : le salon vitré était plus près du ciel que des étages inférieurs dont il était séparé par l'appartement qui se trouvait immédiatement au- dessous. Nul, si ce n'est les pigeons, qui de temps en temps venaient frôler les baies et glisser un œil rond ahuri à l'intérieur du salon-bocal, n'aurait pu imagi- ner la scène de cauchemar qui s'y déroulait : un quinquagénaire au poil blanc, les yeux bandés et le corps intégralement sillonné de zébrures ensanglan- tées, se livrait de bon gré aux tortures pleines d'imagination d'une femme-vampire masquée et bot- tée de film d'horreur.

Diane glissa la main sous son masque. Elle transpi- rait de plus en plus. Autant à cause de la moiteur ambiante que pour ce qui lui restait encore à faire, ce soir. Le clou de la séance. Ce pour quoi elle avait tout combiné, arrangé. Le couronnement d'un mois de cogitations et de fantasmes, de tractations pruden- tes et tortueuses avec un gibier qui ne demandait qu'à se laisser capturer et envers lequel elle avait eu une

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