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La bible, le synopsis et le format à la frontière entre idée et œuvre

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Academic year: 2021

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La bible, le synopsis et le format à la frontière entre

idée et œuvre

Mémoire

Maîtrise en droit

Florian Pedenaud

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL.M.)

et

Université de Paris-Sud

Orsay, France

Master (M.)

© Florian Pedenaud, 2018

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Résumé

La frontière entre l’idée et la forme est un élément fondamental du droit d’auteur, les idées ne sont pas en principe protégeables par le droit d’auteur. À l’inverse la forme va être un critère essentiel pour accéder à la protection par le droit d’auteur. Mais cette frontière est difficile à tracer et parfois certains éléments ne vont pas avoir une forme clairement définie ou bien une œuvre sera très proche de l’idée.

Les bibles, les formats et le synopsis font partie de ces éléments qui n’ont pas une place définie, ils peuvent être des œuvres comme ils peuvent être de simple idée. Il s’agit alors de définir un point de bascule, l’élément qui permet de passer de la simple idée à la forme, donc à l’œuvre. Pour ces documents préliminaires on va en trouver deux, d’abord celui de la précision, qui est le critère que l’on retrouve de manière classique pour la plupart des œuvres, plus les documents sont précis et plus la forme pourra être caractérisée. Mais pour ces documents on retrouve un autre point de bascule, c’est la structure constante, qui va être propre à ces œuvres-là.

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Table des matières

Résumé ... iii

Remerciements ... v

Introduction ... 1

I. La difficile détermination de la frontière entre idée et œuvre ... 8

A. Le principe de l’idée non protégeable discutée ... 8

1. L’absence de protection des idées en principe ... 10

2. La remise en cause du principe de la non protection des idées ... 18

B. La forme, critère essentiel et incertain de l’œuvre ... 25

1. La forme originale comme critère essentiel et remis en cause de l’œuvre ... 26

2. L’identification de l’idée ou de la forme ... 37

II. Le passage de l’idée à l’œuvre pour les bibles, synopsis et formats ... 45

A. Les bibles, synopsis et formats protégés en tant qu’œuvre audiovisuelle ... 46

B. Les critères permettant de basculer d’une simple idée à une œuvre ... 61

1. Un critère classique : la précision ... 61

2. Un critère nouveau : la structure constante ... 70

Conclusion ... 76

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Remerciements

Je tiens à remercier Messieurs les Professeurs Georges Azzaria et Jean Lapousterle pour avoir accepté de diriger ce mémoire et de m’avoir aiguillé, aidé et conseillé pour ce travail.

Je tiens également à remercier Madame le Professeur Alexandra Bensamoun pour m’avoir donné l’opportunité d’intégrer ce programme très enrichissant.

Enfin, je voulais remercier ma famille et mes amis, notamment ceux pour qui cette année se concluait également par un mémoire, pour leur soutien.

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Introduction

« Le jeu se déroule autour d'une série de questions dont les gains associés augmentent à chaque échelon, pour atteindre une valeur maximale symbolique en fin de parcours. L'animateur pose, pour chaque échelon de la colonne, une question et propose quatre réponses possibles. La difficulté des questions s'accroît avec la somme proposée. Une fois la question posée, le joueur a toutefois le choix d'abandonner ou non le jeu sans répondre et repartir avec les gains de l'échelon précédent. Une fois sa réponse annoncée et validée (« c'est mon dernier mot » à partir de la troisième question), le joueur monte à l'échelon supérieur de la pyramide des gains si sa réponse est bonne. Si le candidat répond faux à une question, il quitte le jeu avec le montant du dernier palier atteint »1.

Lorsque sont exposées les règles de ce jeu, le lien est automatique avec le jeu de TF1 « Qui veut gagner des millions ? » or cette citation est un extrait de la présentation du jeu britannique « Who Wants to Be a Millionaire ? » de Wikipédia. En effet, en 2000, TF1 décide d’acheter le concept du jeu pour l’adapter en France.

Ces achats de formats sont monnaie courante dans notre économie mondiale que ce soit pour des jeux télévisés comme « La roue de la fortune » adapté du jeu américain « Wheel of Fortune ». Cela concerne également les télé-réalités comme « Koh-Lanta », qui reprend le concept de l’émission américaine « Survivor ». Le groupe Fremantle a acheté le concept de l’émission « Britain’s Got Talent » pour l’adapter en France sous le nom de « La France à un incroyable talent ». Ce même télé-crochet a également été adapté par les États-Unis sous le nom de « America’s Got Talent » ou encore au Canada sous le nom « Canada’s Got Talent ». Ces achats de formats peuvent également concerner des séries télés comme « Broadchurch », série britannique dont le concept a été repris en France sous le nom de « Malaterra » ou encore aux États-Unis sous le nom de « Gracepoint ». Certaines séries américaines vont également s’exporter comme par exemple la Colombie qui achète le concept de « Breaking Bad » pour faire la série « Metástasis ».

Cette courte liste d’exemple d’achat et de vente de format montre l’importance aujourd’hui du marché pour les entreprises de production et les chaînes de télévision. Les

1 Wikipédia, « Who Wants to Be a Millionaire? », en ligne : Wikipédia

<https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Who_Wants_to_Be_a_Millionaire%3F&oldid=148 193206> (consulté le 10 mai 2018).

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échanges sont nombreux, beaucoup de pays exportent et importent des concepts. Pourtant une question peut se poser : ont-ils vraiment besoin d’acheter ces formats ?

En effet, la question va être de savoir si tous ces formats, bibles ou encore synopsis sont des œuvres à part entière ou bien de simples idées. C’est-à-dire, savoir s’ils sont protégés par le droit d’auteur. Le droit d’auteur offrant une exclusivité, si ce sont des œuvres alors l’achat est obligatoire pour pouvoir les utiliser. À l’inverse, si ce sont de simples idées alors l’achat ne sera pas obligatoire puisque les créateurs n’auront pas de droit d’exclusivité.

Tâchons, avant toutes choses, d’expliquer ce que sont les formats, les bibles et les synopsis. Ces éléments sont des documents préparatoires ou préliminaires à la création d’une œuvre audiovisuelle. En effet, l’œuvre audiovisuelle a comme particularité que les personnes qui ont les idées pour une œuvre n’ont pas forcément les moyens financiers de réaliser cette œuvre. Pour cela, il est nécessaire de présenter ces idées à des producteurs, à des chaînes de télévision dans le but d’obtenir un financement et la possibilité de réaliser son œuvre « l’œuvre audiovisuelle se différencie donc des autres œuvres par le fait que sa création est conditionnée par la divulgation de l’“idée” à des tiers »2.

Pour présenter ces idées, elles vont être transposées par écrit dans les documents que sont les formats, les bibles et les synopsis. Commençons par définir ce dernier. Le synopsis est défini par le Larousse du cinéma comme étant un « bref exposé d'un sujet de film, comportant typiquement une dizaine de pages, qui constitue l'ébauche ou le résumé d'un scénario »3.

La bible a, en France, une définition légale très complète donnée par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (ci-après SACD). Celle-ci nous dit :

La bible est le document de référence original et fondateur d'une série ; elle détermine et décrit les éléments nécessaires à l'écriture, par des auteurs différents, des épisodes d'une œuvre télévisuelle. C'est l'outil qui donne aux auteurs qui collaborent ou collaboreront à l'œuvre les clés de son fonctionnement et de sa cohérence.

La bible ne doit pas être confondue avec une simple idée de série, un concept général, un projet destiné à séduire un organisme acheteur, ou bien avec le cahier des charges défini par un producteur ou un diffuseur.

2Carine Bernault, La propriété littéraire et artistique appliquée à l’audiovisuel, coll Bibliothèque

de droit privé, n°396, LGDJ, 2003 à la p 65.

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La bible doit donner l'ensemble des éléments permanents indispensables au développement de la série : elle est le document écrit décrivant de façon détaillée le cadre général dans lequel évolueront les personnages principaux de la série : les éléments dramatiques communs, les lieux, les thèmes, la progression dramatique, la description détaillée des personnages principaux et de leurs relations. La bible doit également contenir des exemples de sujets à développer, ainsi que les synopsis de quelques épisodes.

La bible ne sera reconnue comme telle que si elle est validée par un épisode complet et dialogué, qui exploite l'ensemble des éléments définis ci-dessus et apporte le rythme et le ton, auquel tout auteur appelé ultérieurement à collaborer à la série pourra se référer. Cet épisode sera le premier épisode écrit, et non obligatoirement produit.

Les auteurs de la bible et du premier épisode tel que ci-dessus défini peuvent prétendre, dans la limite de 10 %, à une part de droits sur tous les épisodes de la série.

Dans le cas où le document de référence d'une série serait constitué d'un épisode "pilote", celui-ci sera assimilé à une bible ; les scénaristes de ce "pilote" pourront prétendre, dans la limite de 10 %, à une part de droits sur tous les épisodes de la série.

Enfin, dans le cas où le "pilote" serait lui-même suivi de l'écriture d'une bible, les scénaristes du pilote et de la bible pourront prétendre à une part de droits sur tous les épisodes de la série dans la limite de 10%4.

Le format lui va pouvoir être défini comme :

Le format ou la formule d’émission comprend à la fois l’idée, le titre, mais aussi la configuration d’un programme de télévision. Il peut définir la structure et l’enchaînement des émissions qui composeront une série télévisuelle. Il comprend alors ce que certains auteurs appellent la « composition » de l’œuvre, laquelle « contient sa substance ou sa forme intrinsèque, sans reproduire pour autant son expression formelle »5.

La question de la protection par le droit d’auteur de ces documents va être importante dans deux situations. La première est lorsqu’une personne vient présenter à une chaîne son projet, que celui est refusé puis quelques mois plus tard la chaîne diffuse une émission qui est la copie conforme de ce projet. Est-ce que la chaîne reprend simplement une idée non protégeable ?

On l’a mentionné, la question se pose aussi sur le marché international. Est-ce que les sociétés de productions étrangères doivent impérativement acheter les droits d’un format, d’une bible ou d’un synopsis ? Ou est-ce qu’ils peuvent les reprendre sans se poser de questions ?

4 SACD, Définition et rémunération de la bible, 2013.

5 André Bertrand, Le droit d’auteur et les droits voisins, 2e éd, Paris, Editions Dalloz - Sirey, 1999

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En effet, « il ne s’agit pas tant de protéger l’idée reprise par un tiers alors qu’elle a déjà été exploitée sous une certaine forme, mais plutôt de s’interroger sur la protection avant même qu’elle ait été traduite en une œuvre audiovisuelle. Il semble en effet que seule l’industrie audiovisuelle et plus précisément télévisuelle se livre à un véritable commerce de ces idées “à l’état brut” »6.

Aujourd’hui il y a un véritable marché des formats, tous les pays vendent leurs formats à d’autres pays. Ainsi, selon une étude de la Commission paritaire nationale emploi et formation de l’audiovisuel (ci-après CPNEF audiovisuel) concoctée en 2016, « TF1 et M6 diffusent principalement des adaptations de formats étrangers. Sur les 47 formats diffusés hebdomadairement sur les chaînes du Groupe TF1, 30 sont des adaptations de formats étrangers. De même, M6 diffuse 28 adaptations sur les 34 formats présents sur ses antennes »7.

Ces formats étrangers représentent un grand avantage puisque leur succès est d’abord essayé sur d’autres chaînes. Si les audiences sont bonnes alors une chaîne a tout intérêt à acheter ce format et c’est pour ça qu’elles sont prêtes à mettre le prix fort. Cette étude reproche d’ailleurs la faible créativité des formats français et donc d’une faible exportation. À l’inverse, la Grande-Bretagne, elle, exporte énormément ces formats au point d’être le leader en la matière en Europe8.

Le marché est donc un marché très prolifique, encore très récemment la société de production Metro Goldwyn Mayer a acheté les droits du format de l’émission française de groupe M6 « Audition secrète ». Le site Deadline précise d’ailleurs que cet achat s’est fait « in a highly competitive bid »9. Il est donc important d’un point de vue pratique, mais également d’un point de vue juridique de savoir s’ils sont protégés par le droit d’auteur. Est-ce que ce sont des œuvres ou de simples idées ?

Tâchons d’expliquer ce qu’est une œuvre. En droit français, la notion d’œuvre n’est pas définie par le législateur, elle est simplement mentionnée à l’article L 111-1 du Code de propriété intellectuelle « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre

6 Bernault, supra note 2 à la p 66.

7Etude d’opportunité portant sur la création d’une certification sur le développement des formats

audiovisuels, CPNEF audiovisuel, 2016 à la p 8.

8 Ibid à la p 10.

9Dino-Ray Ramos, « MGM Acquires Rights To French Singing Series ‘Secret Audition’, Mark

Burnett To Produce » (30 juillet 2018), en ligne : Deadline <https://deadline.com/2018/07/mgm-groupe-m6-secret-audition-mark-burnett-1202436295/> (consulté le 31 juillet 2018).

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[…] ». Le fait qu’il n’y ait pas de définition permet à la notion d’évoluer et c’est ce qui peut permettre à certains éléments de rentrer dans la catégorie d’œuvre alors que ceux-là n’avaient pas été prévus par le législateur. Ce qui peut être le cas par exemple des bibles ou formats, mais on y reviendra plus tard.

Pour que l’on puisse parler d’œuvre il faut remplir plusieurs critères. Le premier élément nécessaire est une intervention d’une personne10 puis en deuxième lieu on va rechercher la réalisation d’une forme. En ce qui concerne l’intervention de l’homme c’est simple, il faut qu’un être humain ait eu un rôle actif dans la création. La propriété intellectuelle offrant un droit de propriété, celui-ci ne peut bien sûr être accordé qu’à un être humain.

La réalisation d’une forme va également être exigée. C’est ce que nous dit l’article L 112-1 du Code de propriété intellectuelle « protègent le droit des auteurs sur toutes les œuvres, quels qu’en soient […] la forme d’expression ». Il faut ainsi que l’œuvre soit matérialisée, qu’elle soit perceptible. Cela veut dire que les idées sont exclues. La dichotomie entre la forme et l’idée sera discutée plus précisément par la suite.

Enfin, pour être protégée, l’œuvre doit être originale. C’est-à-dire que l’œuvre doit avoir l’empreinte de la personnalité de son auteur11. Ainsi, l’œuvre doit être propre à son auteur, elle doit provenir de lui et pas provenir de quelqu’un d’autre, ce qui serait un cas de contrefaçon.

Avec tous ces éléments, Pierre-Yves Gautier en vient à une définition de l’œuvre qui est « tout effort d’innovation de l’esprit humain, conduisant à une production intellectuelle, qui peut tendre vers un but pratique, mais doit comporter un minimum d’effet esthétique ou culturel, la rattachant d’une quelconque façon à l’ordre des beaux-arts »12.

Par opposition aux œuvres on trouve les idées, qui elles ne sont pas protégeables par le droit d’auteur. S’ils elles ne sont pas protégeable c’est tout simplement parce qu’elles n’ont pas d’originalités, ni de formes. Le problème est que la frontière entre les

10 Michel Vivant et Jean-Michel Bruguière, Droit d’auteur et droits voisins, Édition 2016, Paris,

Dalloz, 2015 à la p 140.

11 Pierre-Yves Gautier, Propriété littéraire et artistique, 10e édition revue et augmentée, Presses

Universitaires de France - PUF, 2017 à la p 48.

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deux est mal établie et que de ce fait, il va être difficile de placer dans l’une ou l’autre catégorie certains éléments comme par exemple les bibles, les synopsis ou les formats.

Les bibles, les synopsis et les formats sont donc à un carrefour entre les œuvres et les idées. En effet, ils ont pour but de présenter une idée, mais leur développement peut parfois être vraiment poussé qu’il est possible de savoir ce que sera l’émission, à quoi elle va ressembler, au point où on peut se demander si on n’est pas plus dans un commencement de l’œuvre.

Cette problématique va être l’objectif de ce mémoire, déterminer le point de bascule entre l’idée et l’œuvre dans le milieu audiovisuel. À partir de quel moment peut-on parler d’une œuvre ? Qu’est-ce qui va faire que l’peut-on est plus dans l’idée, mais qu’peut-on passe dans l’œuvre elle-même ? Ce mémoire va avoir pour but de rechercher le moment où l’idée est suffisamment formée ou exprimée pour devenir une œuvre, de trouver l’élément qui fait que l’on passe de l’un à l’autre, d’une idée à une œuvre.

Les questions soulevées par ce mémoire sont des plus pertinentes. Et pour apporter une réponse à ces questions, on va procéder à un travail d’interprétation de texte juridique, que ce soit les lois ou encore les solutions jurisprudentielles. En effet, nous allons revenir sur différentes notions et les interpréter tout en l’appliquant au domaine de recherche. Il va être également question de procéder à de l’analyse doctrinale pour recueillir un certain nombre d’informations et d’interprétations pour enrichir la réflexion.

Pour illustrer le propos, certaines affaires provenant d’autres pays vont être étudiées, notamment du Canada et du Royaume-Uni. Ces inclusions seront utilisées pour démontrer que la France n’est pas le seul pays où la question est posée et que même si les régimes sont différents, les réponses vont souvent être les mêmes. L’objectif est donc plus une recherche des similarités.

Pour tenter de répondre à la question posée, nous allons effectuer la réflexion en deux parties. Dans la première partie nous allons aborder de manière générale la dichotomie entre idée et forme. C’est-à-dire revenir sur cette problématique et expliquer en quoi les différentes notions sont en crises en raison de la constante évolution du droit d’auteur. La frontière est de plus en plus difficile à tracer (I).

Puis, dans la deuxième partie il va être question de reprendre les éléments de la partie précédente et de les mettre en application. Comprendre comment se positionnent

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ces documents préparatoires dans cette problématique. Mais également rechercher s’il y a bien une protection ? Sur quels critères ? Quel va être le point de bascule qui permet de passer de l’œuvre à l’idée pour les formats, les bibles et les synopsis ? Cette partie est plus une étude concrète des éléments théoriques vus lors de la première partie (II).

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I. La difficile détermination de la frontière entre idée et

œuvre

« C’est bien parce qu’il n’est pas sans frontière que le monopole peut être fondé »13. Pour que la protection par le droit d’auteur ait un réel intérêt il faut qu’elle connaisse des limites, tous ne peuvent pas être protégés. Alors il y a une nécessité de poser des frontières, délimiter ce qui va et ce qui ne va pas être protégé. Pour cela, des conditions sont posées pour accéder à la protection. L’une des conditions principales de protection est l’exigence d’une mise en forme. Cette exigence va permettre d’exclure un certain nombre d’éléments de la protection.

Le problème est que cette condition de forme n’est pas définie, ce qui rend la notion assez vague. Ce qui fait que les délimitations de la forme ne vont pas toujours être faciles à identifier. Cela entraîne alors le fait que ce qui est censé être exclu de la protection de manière radicale, ne l’est plus forcément. Ainsi des œuvres d’art contemporain, les logiciels voire même les documents préparatoires, n’ont pas forcément une forme ou une originalité classique, ou alors ils vont être plus proches de l’idée que d’une œuvre, mais ils vont quand même bénéficier d’une protection. C’est ainsi que, bien que les idées ne soient pas protégées par principe, celui-ci se retrouve discuté, critiqué et remis en cause par moment (A). C’est pour cela qu’il est important de revenir sur la notion de forme pour par la suite essayer de déterminer ce qu’elle recoupe et de trouver où est la frontière entre l’idée et la forme, quel est le point de bascule qui fait passer l’un dans la catégorie de l’autre (B).

A. Le principe de l’idée non protégeable discutée

L’accès à la protection par le droit d’auteur est limité et il existe plusieurs catégories d’éléments qui vont être exclues de cette protection. On retrouve bien évidemment les idées, mais également tout ce qui est le style, les procédés, les méthodes

13 Alexandra Bensamoun, « Création et données : différence de notions = différence de régime ? »

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et les savoir-faire. Tous ces éléments relèvent de la pensée, ils vont être immatériels, ils ne sont pas mis en forme, donc ils ne sont pas appropriables.

Le style « recouvre ce qui caractérise la “marque” d’un artiste dans ses œuvres »14. Même si c’est la marque de l’artiste, le style n’est pas protégé, car il ne représente pas l’empreinte de sa personnalité, ce n’est pas dans son style que l’on va trouver l’originalité de l’œuvre. Ce n’est pas le style qui représente la forme où qui va individualiser l’œuvre. C’est ainsi que le style va pouvoir être copié par d’autres auteurs, il n’est pas un élément propre à un seul auteur.

Les procédés vont également être laissés en dehors de la protection. Un certain nombre d’affaires concernant Pablo Picasso ont mis en évidence que les procédés comme le cubisme par exemple ne pouvaient pas être protégés par le droit d’auteur15. La protection des méthodes est refusée aussi, que ce soit une méthode de solfège16 ou bien une recette de cuisine17, il n’y a pas de protection pour ces éléments.

C’est également le cas pour les savoir-faire. Un savoir-faire mis en œuvre ne donnera pas prise au droit d’auteur. André Lucas, Henri-Jacques Lucas et Agnès Lucas-Schloetter relèvent un grand nombre de décisions démontrant la non protection de ce savoir-faire18. On retrouve ainsi une protection refusée pour un catalogue19, un travail de compilation d’informations20 ou encore une coupe de cheveux21. Le savoir-faire reste cependant important pour la création dans le sens où il est nécessaire à la création de certaines œuvres malgré le fait qu’en lui-même il ne relève pas d’une activité créatrice protégeable par le droit d’auteur. C’est d’ailleurs sur ce fondement que la Cour de cassation exclut les fragrances de la protection par le droit d’auteur.

Enfin, le dernier élément qu’on retrouve dans le processus créatif, mais qui n’est pas protégé est l’idée. C’est sur cet élément que va se concentrer notre propos puisque c’est l’élément le plus discuté. En effet, il existe un principe fort qui est la non protection

14 Nadia Walravens, L’œuvre d’art en droit d’auteur, Paris, Economica, 2005 à la p 41.

15CA Paris, 5 déc. 1997, Gaz. Pal., mercredi 25, jeudi 26 novembre 1998, p. 26 ; TGI Paris, 3

juin 1998, Gaz. Pal., 2e semaine 1998, somm., p. 689-690.

16Cass. Com. 29 nov. 1960, RIDA n° XXXI, avril 1961, p. 78. 17TGI Paris, 30 sept. 1997, Légipresse, n° 150, avril 1998, p. 43.

18 Agnès Lucas-Schloëtter, Henri-Jacques Lucas et André Lucas, Traité de la propriété littéraire

et artistique, 5e éd, Paris, LexisNexis, 2017 à la p 68.

19Cass. 1re civ., 15 janv. 1974 :D. 1974, p. 267.

20Cass. 1re civ., 2 mai 1989, Coprosa : RIDA 1/1990, p. 309 ; JCP G 1990, II, 21392, note Lucas.

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des idées (1), mais ce principe peut ne pas être respecté, il peut être critiqué et même atténué par la doctrine ou la jurisprudence (2).

1. L’absence de protection des idées en principe

« Les idées sont de libre parcours »22, est l’expression qui revient le plus souvent lorsque l’on parle des idées en droit d’auteur. Cette phrase de Henri Desbois explique à elle seule, de manière simple et efficace, le régime concernant l’idée en droit d’auteur. Le principe est donc qu’il n’y a pas de protection des idées en droit d’auteur. Une idée ne peut donc faire l’objet d’aucun titre de propriété. Tâchons alors d’expliquer dans cette partie les raisons de cette absence de protection.

Le principe de la non protection des idées remonte bien avant la loi de 1957. On trouve différents auteurs qui vont expliquer que les idées ne doivent pas être l’objet de titre de propriété. C’est le cas par exemple de Augustin-Charles Renouard qui nous dit dans son ouvrage « l’émission de la pensée ne saurait avoir lieu que par sa réalisation sous une forme matérielle quelconque, la parole, la peinture, l’écriture. Si l’auteur veut faire connaître sa pensée, il faut absolument qu’il la livre […] En résumé, la pensée est, par son essence, inappropriable ; la faculté de copier et de reproduire la pensée ne l’est pas moins »23. On retrouve le même principe chez Édouard Calmels « la pensée, c’est le domaine de tous, parce que le droit de penser est la propriété de chacun »24. Enfin, c’est ce que disait également Eugène Pouillet « La pensée elle-même échappe à toute appropriation ; elle reste dans le domaine inviolable des idées, dont le privilège est d’être éternellement libre »25.

Ces auteurs associent les idées à la pensée. C’est cela qui fonde ce principe : les idées sont seulement le contenu de la pensée des auteurs. Cette pensée est alors

22 " Qu’elle qu’en soit l’ingéniosité et même si elles sont marquées au coin du génie, la

propagation et l’exploitation des idées exprimées par autrui ne peut être contrariée par les servitudes inhérentes aux droits d’auteur : elles sont par essence et par destination de libre parcours " Henri Desbois, Le droit d’auteur en france, 3e éd, Dalloz, 1978 à la p 22.

23 Augustin-Charles Renouard, Traité des droits d’auteur, dans la littérature, les sciences et les

beaux-arts., J Renouard et Cie, 1838 à la p 454, en ligne : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5739469p> (consulté le 23 juin 2018).

24 Édouard Calmels, De la Propriété et de la contre-façon des oeuvres de l’intelligence, 3e ed.,

1856 à la p 29, en ligne : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58585097> (consulté le 26 juin 2018).

25 Eugène Pouillet, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique et du droit

de représentation, 3e édition, ILGJ, 1908 à la p 45, en ligne : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63972572> (consulté le 23 juin 2018).

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immatérielle, ce qui fait qu’aucun titre de propriété ne peut être accordé sur celle-ci. Elle est en dehors du champ de ce qui peut être approprié26.

La loi du 11 mars 1957 ne nous dit rien concernant les idées. Il n’y a, évidemment, aucun régime de protection, mais la loi ne nous dit pas expressément qu’elles ne sont pas protégeables non plus. Cela étant dit, lorsque l’on regarde l’article 2 de la loi, aujourd’hui l’article L 112-1 du Code la propriété intellectuelle, celui-ci nous dit que les œuvres de l’esprit sont protégées par le droit d’auteur « quelle que soit la forme d’expression ». Avec cet article on comprend de manière implicite qu’une forme d’expression est nécessaire à la protection par le droit d’auteur. Ainsi, seule cette forme d’expression peut donner accès à la propriété. Par conséquent, une idée qui relève de la pensée, ne peut être formée, ce qui la rend inappropriable et donc pas susceptible d’une emprise par le droit d’auteur27.

Selon Nadia Walravens, l’article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, exclut également de manière implicite les idées de la sphère de protection par le droit d’auteur28. En effet, l’article nous dit que l’auteur d’une œuvre dispose d’un droit de propriété sur cette œuvre « du seul fait de sa création ». Si l’on suit Eugène Pouillet, le « droit d’auteur prend sa source dans la création »29, donc seule cette création peut être l’objet du droit d’auteur. Par opposition, l’idée elle n’est pas une création, elle sert à celle-ci, elle n’est qu’une simple fondation sur laquelle une œuvre va pouvoir être créée. Il y a alors création au seul moment où l’idée est concrétisée dans une forme30. Ce développement explique finalement l’essence du principe de l’exclusion des idées de la protection par le droit d’auteur.

Plus récemment, le principe de l’exclusion des idées a été reconnu expressément dans un certain nombre de textes européens et internationaux. On retrouve alors ce principe dans la directive de l’Union européenne du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, dans son article 1.231, ainsi que dans l’article 9-2 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au

26 Walravens, supra note 14 à la p 32. 27 Desbois, supra note 22 à la p 22. 28 Walravens, supra note 14 à la p 34. 29 Pouillet, supra note 25 à la p 36. 30 Walravens, supra note 14 à la p 35.

31 " Les idées et principes qui sont à la base de quelque élément que ce soit d’un programme

d’ordinateur, y compris ceux qui sont à la base de ses interfaces, ne sont pas protégés par le droit d’auteur en vertu de la présente directive " Conseil, Directive 91 / 150 / CEE, concernant la

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commerce (ci-après accords ADPIC) du 15 avril 199432 et l’article 2 du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (ci-après OMPI) du 20 décembre 199633.

Cette liste d’exemple montre que l’exclusion des idées de la protection par le droit d’auteur est donc un principe répandu, la plupart des États et des organismes internationaux s’entendent sur le sujet. L’exclusion des idées du champ de protection est un principe fondamental du droit d’auteur. En effet, on retrouve ce principe en droit canadien par exemple. L’arrêt de principe en la matière est une décision de 1950, Moreau v. St. Vincent, qui nous explique que « an elementary principle of copyright law [is] that an author has no copyright in ideas but only in his expression of them […] The ideas are public property »34.

On retrouve le même principe également au Royaume-Uni « it is widely recognised that the law does not protect the copying of general ideas »35. Ainsi, le principe

est exactement le même qu’en droit français, les idées ne sont pas protégeables, elles appartiennent au public peu importe le pays.

On l’a vu, les idées ne sont pas protégées par le droit d’auteur. Abordons maintenant les conséquences de cette absence de protection. L’une des premières conséquences va être le critère d’originalité. En effet, « un critère est appelé, dans l’avenir comme dans le passé, à jouer un rôle primordial : l’originalité de la forme. Cette locution implique tout d’abord que les idées, comme telles, prises en elles-mêmes, indépendamment de la forme dont elles ont été revêtues, échappent à toute appropriation. Seule, la forme sous laquelle l’idée a été présentée, donne prise à une exclusivité, à condition d’être originale »36. Ainsi, seule la forme peut être originale, et non l’idée. Pour

32 " La protection du droit d’auteur s’étendra aux expressions et non aux idées, procédures,

méthodes de fonctionnement ou concepts mathématiques en tant que tels " OMC, Aspects des

droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, 15 avril 1994 [Accords ADPIC].

33 " La protection au titre du droit d’auteur s’étend aux expressions et non aux idées, procédures,

méthodes de fonctionnement ou concepts mathématiques en tant que tels " OMPI, Traité de

l’OMPI, 20 décembre 1996.

34 Moreau v. St. Vincent, 10 Fox Pat. C. 194, [1950] Ex. C.R. 198 at 203, 12 C.P.R. 32, [1950] 3

D.L.R. 713.

35 Charlotte Hinton, « Can I protect my TV format? » [2006] 17 (3) Ent LR 91.

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justifier cette affirmation, Ivan Cherpillod va revenir sur les deux acceptions de l’originalité, l’une « subjective » et l’autre « objective »37.

L’acception subjective de l’originalité renvoie à la personnalité de l’auteur, c’est ce dont on parle lorsque l’on dit qu’une œuvre doit avoir l’empreinte de la personnalité de l’auteur pour être protégée, alors que l’acception objective renvoie plus à la notion de nouveauté38. Pour illustrer cette différence, Henri Desbois donne l’exemple de deux peintres qui « fixent l’un après l’autre, sur leurs toiles, le même site, dans la même perspective et sous le même éclairage »39. Il explique alors que la peinture du deuxième peintre ne sera pas nouvelle puisque la première existe, mais que chacun des peintres va avoir sa propre vision et son style, ils ont chacun eu une activité créatrice indépendante de l’autre. Ce qui fait que les deux peintures vont avoir l’empreinte de la personnalité de leur auteur respectif, donc elles seront toutes les deux originales40.

Pour Ivan Cherpillod, si l’on suit la conception objective de l’originalité alors, il n’y a pas de raison d’avoir un régime différent entre la forme et l’idée, car les idées peuvent être nouvelles, elles peuvent être uniques41. Si l’originalité s’apparente seulement à une sorte de nouveauté, les idées peuvent être nouvelles et donc la différence entre elles et la forme n’a pas lieu d’être. Alors que si l’on prend la conception subjective, les idées ne peuvent pas être originales puisque c’est la forme qui à l’empreinte de la personnalité, qui peut être protégée par le droit d’auteur42. L’idée ne dispose pas de l’empreinte de personnalité, ce qui fait qu’elle n’est pas protégeable. C’est finalement la nature même de l’idée qui l’empêche d’accéder à la protection.

Ainsi, c’est en cela qu’une idée peut être protégée par les brevets. Puisque la condition de protection est la nouveauté, qui est un critère objectif, il est considéré qu’une idée peut être nouvelle et donc elle pourra être brevetée. Bien évidemment toutes les idées ne le seront pas, il faut également remplir les autres conditions, comme le fait que l’idée doit être inventive.

37 Ivan Cherpillod, L’objet du droit d’auteur, Lausanne, Centre du Droit de l’Entreprise de

l’Université de Lausanne, 2000 à la p 62.

38 Ibid.

39 Desbois, supra note 22 à la p 5. 40 Ibid.

41 Cherpillod, supra note 37 à la p 63. 42 Ibid.

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Il est vrai que lorsque l’on regarde la production littéraire ou cinématographique par exemple, on retombe souvent sur les mêmes idées d’une œuvre à l’autre. Il existe de grandes idées qui vont être la fondation de nombreux récits, comme l’idée d’un amour impossible ou encore l’idée d’une révolte contre un système. Mais parfois ça va être deux idées plus précises qui vont être les mêmes et pourtant les œuvres vont être différentes. Par exemple, les séries américaines Weeds et Breaking Bad partagent le même point de départ : un parent décide de se lancer dans le commerce de la drogue dans le but de subvenir aux besoins de sa famille. Présenter comme cela, l’idée des deux séries est la même. Pourtant les deux séries sont très différentes, à commencer par le genre, l’une est une comédie et l’autre est un drame. L’idée est certes la même, mais aucune empreinte de personnalité ne peut être déduite de celle-ci. L’originalité va alors trouver sa source dans la forme que va prendre cette idée, c’est la façon dont elle va être traitée qui va démontrer l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Finalement, on peut dire qu’il y a un fond commun des idées, « tous, n’exploitons-nous pas le même fond, notre nature n’est-elle pas la sociabilité, ne vivons-n’exploitons-nous pas dans cet échange continuel de pensées, de sentiments, d’idées, au milieu d’un choc incessant d’opinions diverses »43. Les auteurs vont pouvoir puiser dans celui-ci pour créer leurs propres œuvres, les idées étant libres, chacun peut s’en servir. Ceci favorise donc la création.

En effet, une autre conséquence de la non protection des idées est tout simplement de promouvoir la liberté de création. Comme on l’a dit, les idées ne sont pas non plus inépuisables et certaines reviennent dans beaucoup d’œuvres. Si elles étaient protégées, cela serait une contrainte pour la création. C’est ce qu’explique Nadia Walravens « c’est l’intérêt de la collectivité qu’on cherche à protéger en déterminant un "domaine public" des idées, afin de permettre un renouvellement perpétuel de la création par une libre circulation des idées »44. Chaque créateur peut prendre les idées dont il a besoin de ce fond commun et ensuite la former de la manière qu’il souhaite pour créer sa propre œuvre. Par extension, cette liberté de création, ce fond commun, permet de garantir la liberté d’expression.

43 Calmels, supra note 24 à la p 29. 44 Walravens, supra note 14 à la p 37.

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Ce principe de la non protection des idées est donc fondamental, à la fois pour le créateur ainsi que pour la société. Cette absence de protection permet une création abondante et l’existence d’une économie qui va pouvoir véritablement fonctionner sur cette création. Il serait finalement dans l’intérêt de personne de protéger les idées, tout ce qui découle de la création serait alors bloqué. Alexandra Bensamoun explique ainsi que l’on est à la fois en présence d’une concession et d’une nécessité « Une concession, d'abord, du point de vue de la société, en faveur de l'intérêt général, afin que l'idée puisse librement circuler et être reprise, sans entraver le progrès et la liberté du commerce et de l'industrie. Une nécessité, ensuite, du point de vue des créateurs, car il est évident que ceux-ci puisent leur inspiration dans ce fonds commun de l'humanité »45.

D’autres auteurs vont trouver d’autres conséquences à ce principe qui sont moins importantes, mais qui méritent d’être évoquées. L’une des conséquences que l’on retrouve par exemple va être la théorie des étapes de création qui rejoint un peu les éléments vus précédemment. Il est considéré ainsi qu’il n’y a pas de protection par le droit d’auteur des idées, car les idées ne sont qu’une étape préliminaire à la création « chronologiquement, elles apparaissent avant la conception, elles sont sous-jacentes à la création de la forme. Dès lors, ce n’est pas tant une question de nature, mais d’étapes qui permet de faire le départ entre l’idée non protégée et la conception réservée »46. Cette conséquence est intéressante, elle rejoint un peu ce qui a déjà été dit sur le fait que l’idée vient de la pensée et que cette pensée intervient avant la création.

Certaines autres conséquences ont été avancées comme le fait que le beau ne se trouve que dans la forme. Cette conséquence de Schiller contestée par Ivan Cherpillod47 puisqu’elle reprend le critère du beau alors que l’esthétique est indifférente à la protection. D’autant plus qu’en philosophie le beau est un critère subjectif par rapport, non pas à l’œuvre, mais au spectateur de l’œuvre, c’est lui qui détermine si cela est beau. Or, en droit ce qui est regardé ce n’est pas la beauté de l’œuvre, mais son originalité par rapport à l’auteur et non par rapport au spectateur.

Ivan Cherpillod relève dans le même ouvrage une autre conséquence qui est que « les idées devraient être exclues de la protection légale parce que le travail de l’artiste

45 Bensamoun, supra note 13.

46 Olivier Pignatari, Le support en droit d’auteur, Larcier, 2013 à la p 61.

47 Ivan Cherpillod, « Le droit d’auteur aujourd’hui » dans Le droit d’auteur aujourd’hui, CNRS,

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résiderait essentiellement dans l’expression »48. Ainsi, tout le monde à des idées, mais tout le monde n’est pas capable de les mettre en œuvre. À l’inverse, l’artiste comme c’est son travail, il est capable de créer cette forme et dépasser le stade de l’idée. Mais Ivan Charpillod conteste également cette justification en disant qu’elle « fait la part trop belle à la technique artistique »49. En effet, on retombe sur les critères indifférents de la protection, que ce soit le beau pour la conséquence précédente ou la technique pour celle-ci.

Ce principe est appliqué aujourd’hui depuis un long moment par la jurisprudence. En effet, on retrouve des décisions qui excluent la protection des idées par le droit d’auteur bien avant la loi de 1957. C’est le cas notamment d’une décision du Tribunal civil de la Seine du 19 décembre 1928 qui nous dit « Attendu que dans le domaine de la pensée, l’idée demeure éternellement libre et ne peut jamais devenir l’objet d’une appropriation privative ; que seule est susceptible d’appropriation la forme originale et nouvelle dont l’écriture la revêt »50. On voit que le tribunal reprend les théories d’Eugène Pouillet ou encore Augustin-Charles Renouard en associant l’idée à la pensée. La jurisprudence s’accorde donc avec la doctrine sur le sujet.

Après la loi de 1957, on retrouve une jurisprudence constante autour de la non protection des idées. En effet, Olivier Pignatari va relever une dizaine de décisions en ce sens51, parmi lesquelles l’affaire emblématique en la matière, l’affaire Christo52.

En l’espèce, l’artiste Christo avait emballé le Pont-Neuf de Paris. Deux sociétés avaient alors décidé de vendre des photos et de faire des films sur cette œuvre sans

48 Ibid à la p 30. 49 Ibid.

50 T. civ. Seine, 19 déc. 1928, DH 1929, p. 76, Ann. propr. ind. 1929, p. 181.

51 « Cass. com., 29 nov. 1960, Bull. civ. IV, n°389, Ann. propr. ind. 1961, p. 309, note Blaustein ;

Paris, 9 mars, 1967, D. 1967, p. 664 ; Paris, 13 déc. 1973, RIDA n°81, juil. 1974, p. 129 (sur le refus de protéger une méthode de gestion de budget familial ; Paris 29 juin 1977, Ann. propr. ind. 1978, p. 219 [à propos d’une protection de l’idée d’organiser un concours de beauté] ; Cass. civ. 1re, 6 oct. 1981, Ann. 1981, p. 163 [refus de protéger l’idée d’un jeu] ; Cass. civ. 1re, 8 nov. 1983, Bull. civ. I, n° 260, p. 233 ; Paris, 22 février 1984, D. 1984, somm. p. 285, obs. Colombet [l’idée publicitaire consistant à montrer dans un spot une petite voiture passant sous un gros camion] ; TGI Paris, 26 mai 1987, aff. Christo, D. 1988, somm. p. 201, obs Colombet [l’idée d’emballer des monuments] ; Cass. civ. 1re, 25 mai 1992, Bull. civ. I, n° 161, p. 111 ; RIDA n° 154, oct. 1992, p. 156 ; D. 1993, p. 184, note X. Daverat ; C.A. Paris, 27 mars 1998, D. 1999, p. 417, note B. Edelman ; Cass. civ. Are, 17 juin 2003, Bull. civ. I, n° 148, p. 116 » Pignatari, supra note 46 à la p 60.

52 TGI Paris, 13 mars 1986, Christo, D. 1987. Somm. 150, obs. Colombet ; Gaz. Pal. 1986. 1.

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l’autorisation de l’artiste. La Cour d’appel de Paris a alors donné raison à Christo en expliquant que « l’idée de mettre en relief la pureté des lignes d’un pont et de ses lampadaires au moyen d’une toile et de cordage mettant en évidence le relief lié à la pureté des lignes de ce pont constitue une œuvre originale ». L’œuvre de Christo est donc bien originale, donc protégée par le droit d’auteur.

Cela dit lorsque l’on regarde ce que nous dit la Cour d’appel, on remarque que sa formulation interpelle. En effet, elle semble indiquer que c’est l’idée de l’emballage qui est originale et donc protégée. Cette formulation interroge finalement sur ce qui est vraiment protégé en l’espèce.

Cette formulation sera d’ailleurs corrigée puisque l’année suivante une autre affaire Christo fait son apparition53. En l’espèce, une agence de publicité faisait sa publicité avec des photographies d’objets recouverts de toile. Christo les poursuit en contrefaçon et le Tribunal de grande instance de Paris le déboute au titre que bien que son œuvre soit protégée par le droit d’auteur, le fait d’emballer des objets ou des monuments n’est qu’une simple idée et donc qu’elle ne donne pas prise au droit d’auteur.

Avec ces deux décisions, on a une réelle mise en application de ce qui va être protégé en droit d’auteur et ce qui ne va pas être protégé. Pour reprendre le cas de l’œuvre de Christo, le fait d’emballer un pont constitue une œuvre, car c’est original, il y a bien une empreinte de la personnalité de l’auteur et il y a bien une forme, l’œuvre est exécutée. Ce qui fait qu’il y a une protection par le droit d’auteur empêchant une reproduction sans l’autorisation de l’auteur. En revanche, le simple fait d’emballer quelque chose n’est qu’une idée. Ce qui fera que l’œuvre sera originale et formée est la façon dont sera réalisé l’emballage, l’objet qui sera emballé, ce sont ces éléments qui seront témoins de l’expression de la personnalité de l’auteur.

Pour résumer, la non protection des idées est donc un principe fondamental en droit d’auteur. On retrouve un grand nombre de justifications, certaines légales, d’autres doctrinales. C’est un principe que l’on retrouve dans la grande majorité des pays et qui est peu contesté de manière générale. C’est en raison de ce principe que l’on pourrait penser que les documents préparatoires ne sont pas protégeables. Cela dit on trouve quand même des zones d’ombres dans lesquelles le principe est difficile à mettre en place. On

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retrouve également des critiques à ce principe qu’il est nécessaire d’aborder dans une seconde partie.

2. La remise en cause du principe de la non protection des idées

Bien qu’il soit globalement accepté que les idées ne soient pas protégées, il est parfois difficile de déterminer à quel moment on dépasse le stade de l’idée pour passer au stade de la forme et donc de l’œuvre. La frontière entre l’idée et l’œuvre est floue ce qui entraîne par moment des questionnements quant à la place de certaines idées. En effet, certaines idées ne vont pas être totalement étanches à la protection, celle-ci va alors pouvoir être discutée.

Ainsi, Ivan Cherllipod se pose la question de savoir qu’est-ce qu’une idée finalement54. Il prend l’exemple de la musique et soulève que la mélodie aujourd’hui est protégée. Si elle est protégée alors qu’est-ce que l’idée en musique ? En effet, si on regarde les étapes de la production d’une musique, rien ne vient avant la mélodie. Si celle-ci est protégée alors en musique « il semble qu’il n’y a pas d’idée, en tout cas par rapport à une forme qui serait seule protégée »55. Il soulève la même question pour les œuvres artistiques.

Il est donc difficile de déterminer ce qu’est une idée, alors qu’on aurait pu penser que la mélodie était l’idée dans la musique, le fait est qu’elle peut être originale et donc protégée. La frontière est donc dure à définir ce qui fait que les débats sont nombreux sur le sujet.

On retrouve d’ailleurs quelques décisions où la protection des idées a pu être prononcée permettant la création d’un courant d’opinion contraire. Dans son ouvrage Henri Desbois en relève quelques-unes56 comme par exemple une décision du Tribunal civil de Marseille du 11 avril 195757. En l’espèce, les hypothèses d’un archéologue avaient été reprises par l’auteur d’un roman. Henri Desbois relève alors que le tribunal avait décidé que « dans le domaine de la science archéologique, les règles et méthodes de recherche et de connaissance, les données matérielles résultant de fouilles, de découvertes, doivent être considérées comme acquises au fonds commun, mais chaque

54 Cherpillod, supra note 47 à la p 28. 55 Ibid.

56 Desbois, supra note 22 à la p 22.

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savant est en mesure de construire des hypothèses, des explications ou reconstitutions qui lui demeurent personnellement acquises. En tel domaine, la création consiste dans un rapprochement original de donnée matérielle et intellectuelle, et non dans la forme littéraire, orale, ou graphique, donnée à ses constructions de l’esprit ».

Pour le tribunal, ce qui peut être protégé ici c’est les hypothèses, alors que les hypothèses relèvent plus de la catégorie des idées. Ce qui est intéressant également ici, c’est que le tribunal va même jusqu’à dissocier la création de la forme. Ainsi, il serait possible de créer une œuvre sans pour autant lui donner une forme. En effet, ce qui ferait la création serait le « rapprochement original de donnée », ce qui ne constitue pas une forme. Alors que cela a été dit précédemment, la création suppose une forme pour permettre une protection par le droit d’auteur. Cette solution est donc totalement contraire au principe fondamental du droit d’auteur.

Une décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 13 janvier 1958 affirme la décision précédente en disant « la protection inhérente aux droits d’auteur appartient aux productions originales aussi bien par le fond que par la forme »58. Henri Desbois en relevant cette phrase insiste sur le fait que la forme n’est plus un critère nécessaire, que les idées peuvent donc maintenant être protégées59. La Cour semble considérer que la forme n’est plus un critère essentiel et qu’une protection par le droit d’auteur peut être possible si le fond est original.

Henri Desbois relève un dernier arrêt qui va dans le même sens, celui du 9 novembre 1959 de la Cour de Paris60. Mais ces décisions sont considérées comme exceptionnelles et une décision de la Cour de cassation va venir tout remettre en ordre61. En effet, bien que l’affaire portait sur un cas de concurrence déloyale, l’un des griefs soulevés concernait le droit d’auteur. De ce fait la Cour suprême a dû se prononcer sur le sujet « une idée ou une méthode d’enseignement n’est pas susceptible en elle-même d’une appropriation privative ». La Cour de cassation prit alors position et détermina que les

58 CA Aix-en-Provence, 13 janv. 1958, D., 1958.142 ; Sem. jur., 1958.II.10412 ; RTD com., 1958,

p. 555 et s., obs. Desbois.

59 Desbois, supra note 22 à la p 23.

60 CA Paris, 9 nov. 1959, R.I.D.A., 1960.XXVII, p. 112 et s. ; RTD com., 1961, p. 83 et s., obs.

Desbois.

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idées n’étaient pas protégeables. Ce principe général ne fut pas remis en cause par la jurisprudence, mais on trouve des décisions qui vont semer le doute.

En 1998, le Tribunal de grande instance de Tarascon a associé l’idée à l’œuvre, l’idée et la forme ne font plus qu’un. En l’espèce, l’œuvre « Fountain » était exposée à Nîmes. Un visiteur entre alors, urine dans l’œuvre et la brise. Pour le visiteur, son action était de l’art, c’était la création d’une nouvelle œuvre.

Nadia Walravens relève62 ainsi que le tribunal affirme « l’œuvre se retrouve tant dans le concept de ready-made que dans l’objet lui-même »63. Le droit d’auteur protégerait alors un tout composé de l’idée et de la forme. Le tribunal reconnaitrait alors la protection de l’idée exprimée, c’est-à-dire de l’idée dans l’œuvre.

Cette décision se situe dans une tendance à l’élargissement de la notion d’œuvre. Dans l’affaire Guino contre Renoir de la Cour de cassation, elle a cette fois-ci reconnu la titularité du droit d’auteur à une personne qui avait seulement apporté l’idée de l’œuvre et la supervision64. En se voyant reconnaître la qualité d’auteur, la Cour oublie de distinguer idée et forme, ce qui fait que l’idée est incluse dans l’œuvre, ce qui la rend susceptible d’appropriation.

Dans la même idée, on retrouve la première affaire Christo qui insinuait que l’idée était bien protégeable. Enfin, Nadia Walravens relève un dernier arrêt de la Cour de cassation65 où selon elle « il nous semble que c’est plutôt l’idée de l’œuvre qui déclencha la protection et non sa forme »66.

Ainsi, même si la jurisprudence est plutôt constante en ce qui s’agit de ne pas protéger les idées, on retrouve quand même des décisions qui vont ébranler ce principe. Ceci est dû à la difficulté, encore une fois, de trouver la réelle frontière entre l’idée et la forme, frontière que même la doctrine ne semble pas trouver.

Des questions vont se poser notamment au niveau de l’idée exprimée. Comme cela a été dit auparavant l’idée non exprimée relève de la pensée et donc ne peut pas être appropriable. Mais qu’en est-il de l’idée exprimée ? De nombreuses questions vont se

62 Walravens, supra note 14 à la p 45.

63 TGI Tarascon, 20 nov. 1998, D., 2000, jurisp. p. 128-129 ; chron. Edelman p. 98-102. 64 Cass., 1re civ. 13 nov. 1973, D., 1974, jurisp. p. 533, note Colombet.

65Cass., 1re civ., 18 oct. 1977, RIDA n° LXXXXVI, avr. 1978, p. 114. 66 Walravens, supra note 14 à la p 47.

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poser à ce sujet, notamment pour établir une distinction entre l’idée simple et l’idée exprimée ou l’idée formée67.

« Se pose la question de savoir si toute idée concernant une œuvre à créer ne devient pas, en la prononçant, protégeable. Est-ce qu’en décrivant une idée à créer une œuvre, l’idée a pris une forme suffisante à être protégée par le droit d’auteur ? Ou faut-il que l’œuvre passe du monde des idées au monde des formes sensibles, mais alors quid des œuvres orales ? »68. En effet, si l’idée est exprimée dans une œuvre, est-elle protégée parce que l’œuvre est protégée ou est-elle exclue de la protection du droit d’auteur parce qu’elle reste qu’une idée ?

Il semblerait qu’une idée exprimée dans une œuvre ait peu de chance d’être protégée puisque comme le soulève André Lucas « notamment il y a beaucoup de décisions qui disent à propos d’œuvres littéraires : oui, il y a des emprunts à l’œuvre première, oui les emprunts vont au-delà de l’idée et portent sur des éléments protégés […], et cependant il n’y a pas de contrefaçon parce que l’œuvre seconde s’inscrit dans un contexte ou une ambiance différente »69. Ainsi, même certains éléments protégés ne vont pas suffire pour retenir la protection. Il y a alors peu de chance que les idées, mêmes exprimées puissent faire l’objet d’une protection.

Si cette idée exprimée n’est pas considérée comme protégée c’est tout simplement parce qu’elle va être considérée comme banale. En effet, Bernard Edelman nous dit « l’idée exprimée dans une œuvre littéraire ou artistique n’est pas protégeable, non point parce que c’est une idée, mais […] parce que c’est une idée banale »70.

Ainsi, l’idée banale relève de l’idée simple, de celle qui est de « libre parcours », « elle ne possède aucune valeur créatrice, dans la mesure où elle n’est que la répétition du fonds commun imaginaire d’une société »71. Comme exemple d’idée banale, on retrouve le mari trompé avec l’amant caché dans le placard72. Ainsi, peu importe que ces idées soient mises en forme, elles ne seront pas protégées. Pierre-Yves Gautier met en

67 Bernard Edelman, « Création et banalité » [1983] n°12 Dalloz 14.

68 Fabienne Brison, « Developpement récent concernant la distinction entre l’idée et l’oeuvre

protégée par le droit d’auteur » dans La protection des idées, Sgae, coll ALAI, journées d’étude Sitges, 1992, 75.

69 André Lucas, La protection des idées, Sgae, coll ALAI, journées d’étude Sitges, 1992, 151. 70 Edelman, supra note 67.

71 Ibid.

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garde de ne pas confondre le fond et la forme « c’est en réalité parce que l’idée est banale qu’on ne la protège pas – serait-elle mise en forme, elle ne connaîtrait pas un meilleur sort »73.

S’il existe des idées banales, c’est qu’il existe d’autres formes d’idée. Ainsi, alors que dans la partie précédente on avait vu que selon Ivan Cherpillod l’idée ne pouvait pas être originale, certains auteurs estiment non seulement que les idées peuvent l’être, mais en plus que cette originalité pourrait permettre l’accès à la protection. « Se pose la question si les idées originales peuvent être protégées par le droit d’auteur pour autant qu’elles ont pris une forme »74.

Bernard Edelman défend cette conception de l’idée protégée si elle est originale, en partant du principe que l’idée peut être un coup de génie. En effet, si l’entièreté de l’originalité de l’œuvre repose sur son idée alors il semblerait que oui, l’idée peut être protégée. Il prend l’exemple d’une œuvre qui n’existe que dans le but de mettre en place un certain retournement de situation, l’originalité repose entièrement sur celui-ci « ainsi, dans ces hypothèses, on peut considérer que l’idée n’est rien d’autre que la forme qu’elle a prise, et que la reprise de cette idée revient à une reprise de la forme »75. Si l’idée est suffisamment originale alors elle contribuera à l’originalité de la forme et donc si l’un est protégé, l’autre l’est forcément.

Fabienne Brison va même plus loin, puisqu’elle considère que concernant certaines œuvres, l’originalité va se trouver non pas dans l’expression, mais dans l’idée elle-même, notamment dans le cadre de l’art conceptuel76.

Pour cela elle cite notamment l’affaire Christo, où notamment la Cour nous dit que c’est l’idée qui est protégée. Or, dans le deuxième arrêt, le Tribunal de grande instance de Paris démontre bien que même si on peut considérer que le fait d’emballer un pont soit une idée originale, le fait est que l’idée n’est pas protégée, c’est bien la forme qui est protégée. Ainsi, pour nous l’idée originale seule ne peut être protégée. La Cour a décidé qu’emballer un autre objet ou monument n’est pas une contrefaçon, pourtant il y

73 Pierre-Yves Gautier, Propriété littéraire et artistique, 10e édition revue et augmentée, Presses

Universitaires de France - PUF, 2017 à la p 55; Egalement en ce sens Edelman, supra note 46 " tous les tribunaux s’accordent sur ce point : une idée banale reste banale, fût-elle exprimée dans une forme ".

74 Brison, supra note 68. 75 Edelman, supra note 67. 76 Brison, supra note 68.

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a bien là une reprise de l’idée originale d’emballage. On en vient au fait que ce n’est pas l’idée originale en elle-même qui est protégée, mais bien la forme, c’est elle qui va être la source de la protection. L’idée originale peut donc être protégée, mais seulement à condition qu’il y ait une forme.

Cela dit, il existe d’autres affaires où encore une fois on peut se poser la question sur ce qui est vraiment protégé. La forme ? L’idée originale formée ? Ou bien simplement l’idée originale non formée ? Alexandra Bensamoun se pose par exemple la question par rapport à l’affaire Paradis77 « Mais qu'est-ce qui a été protégé ici ? L'inscription formalisée en lettres dorées, “combin[ée] à une porte vétuste, à la serrure en forme de croix, encastrée dans des murs décrépis, dont la peinture s'écaille”, sur le fronton des toilettes de l'ancien dortoir des alcooliques d'un asile psychiatrique de Ville-Évrard, ou l'opposition géniale, incongrue, entre un lieu et un mot ? »78.

Une partie de la doctrine propose d’aller encore plus loin en étant pour une protection des idées de manière générale. C’est le cas de Raymond Lindon qui voulait que les idées soient protégées lorsqu’un tiers fournissait l’idée à un auteur en vue de la réalisation artistique. Dans ce cas, si l’idée remplissait la condition d’originalité, alors elle devait pouvoir être appropriée79.

En effet, selon lui, il y a un réel travail par moment sur l’idée et que lorsqu’elle est transmise au créateur, celui qui avait émis l’idée se retrouve sans rien. Selon Raymond Lindon, il y aurait là un « abus de confiance »80. Pour justifier son propos, il prend l’exemple de quelqu’un qui donne toutes les indications à l’artiste et ensuite l’artiste ne fait qu’exécuter. Pour lui, il y a ici clairement une œuvre de collaboration81. Or, c’est bien celui qui exécute qui met en forme et qui donne l’empreinte de sa personnalité, il semble normal que ce soit lui qui soit titulaire des droits d’auteurs.

77Civ. 1re, 13 nov. 2008, n° 06-19.021, Bettina Rheims c/ J. Gautel, D. 2009. 263, obs. Daleau,

note Edelman ; ibid. 266, note Treppoz ; RTD com. 2009. 121, obs. Pollaud-Dulian ; ibid. 140, obs. Pollaud-Dulian ; RIDA n° 219, janvier 2009, p. 195, obs. Sirinelli ; CCE janvier 2009. Comm. 1, note Caron ; Galan, RLDI n° 45, janvier 2009, n° 1473 ; JCP 2008. II. 10204, note Loiseau ; Treppoz, D. 2009. 266. Adde Walravens-Mardarescu, RIDA n° 220, avril 2009, p. 5, et Gaudrat, obs. sur Civ. 1re, 13 nov. 2008, RIDA n° 220, avr. 2009, p. 81.

78 Bensamoun, supra note 13.

79 Raymond Lindon, « L’idée artistique fournie à un tiers en vue de sa réalisation » [1970] JCP

2295.

80 Ibid. 81 Ibid.

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Ces propositions furent entendues par Jacques Godfrain qui en 1992 proposa un projet de loi dans le but de protéger les idées de manière générale82. Mais ce projet n’aboutit pas en raison du fait que cette protection des idées paralyserait un grand nombre de choses.

Dans ce projet de loi on retrouvait l’article 2 qui énonçait « Les créations qui ne sont pas protégées par un des droits de propriété incorporelle relevant des livres 1 (droit d'auteur), 5 (dessins et modèles) et 6 (brevets d'invention) du code de la propriété intellectuelle peuvent, néanmoins, donner naissance à un droit d'exploitation exclusif, temporaire et opposable à tous. Ce droit est cessible à titre onéreux et transmissible à titre gratuit », ce qui par extension offrait une protection similaire à celle offerte par le droit d’auteur aux idées.

En effet, ce n’était pas une protection par le droit d’auteur qui était proposée, mais une protection alternative, qui aurait pour but de protéger de manière plus large. Cette protection serait alors née du seul fait de la « création » – le mot ici ayant un sens différent que son utilisation dans le Code de propriété intellectuelle – et offrirait une protection temporaire sans droit moral83.

Pour accéder à la protection il faudrait alors que la création soit « exploitable à des fins lucratives, qui résulte d'un travail intellectuel accompli avec ou sans l'aide d'un matériel ou d'un logiciel est constitutive d'un intérêt patrimonial susceptible de protection juridique » selon l’article 1. Il faut donc que cette idée puisse être exploitable à des fins lucratives, sûrement pour limiter l’accès à la protection. Cette notion apporte quand même un aspect beaucoup plus économique à la protection, tous comme le fait que l’on parle ici de « travail intellectuel » et non au résultat d’un travail matériel. Encore, une fois on peut sentir l’aspect très économique qui se cache derrière cette proposition de loi. D’ailleurs, on peut remarquer qu’il n’y a aucune mention de l’originalité84.

Cette proposition de loi était finalement la création d’une sorte de « sous-droit d’auteur », dans le but de pouvoir dépasser les limites du droit d’auteur. Or, si ces limites

82 Proposition de loi sur les « créations réservées », enregistrée à l’Assemblée nationale le 20 juin

1992.

83 Christian Le Stanc, « La propriété intellectuelle dans le lit de Procuste : observations sur la

proposition de loi du 30 juin 1992 relative à la protection des « créations réservées » » [1993] 1 Dalloz 4.

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existent c’est justement pour faire en sorte que le droit d’auteur fonctionne. Ce projet aurait finalement été une nuisance pour le droit d’auteur, Pierre Sirinelli relève d’ailleurs un certain nombre de problématiques liées aux idées de cette proposition :

Quelles idées protéger (dans quels domaines et suivant quelles qualités) ? Au profit de qui (comment désigner sans risque d’erreur le concepteur d’une idée) ? Comment réguler la course à la réservation ? Qu’est-ce qu’une idée dérivée d’une autre ? Pour quel statut ? Comment faire circuler l’information relative au champ de la réservation ? Et surtout, comment maîtriser, ou plus modestement mesurer, les conséquences économiques de la création de tels monopoles 85 ?

Avec cette liste de questions, Pierre Sirinelli démontre très bien en quoi la protection des idées serait non seulement un problème pour le droit d’auteur, cela amoindrirait son intérêt. Mais également le fait que la protection des idées serait impossible à mettre en place en pratique. Que malgré les critiques et les questions posées, ce principe de la non protection des idées est essentiel au bon fonctionnement du droit d’auteur.

Ainsi, bien que le principe de la non protection des idées soit un principe essentiel au droit d’auteur, celui-ci se retrouve parfois remis en cause, que ce soit par la doctrine ou bien encore par la jurisprudence. La raison de ces remises en cause et autres critiques est simplement qu’il n’y a pas de réelle séparation entre forme et idée. À certains moments, les deux vont se croiser et il va être difficile d’aller dans un sens ou dans l’autre. En effet, l’absence de définition de la forme, qui est pourtant essentielle à la protection, rend la notion difficile à cerner.

B. La forme, critère essentiel et incertain de l’œuvre

En France, pour accéder à la protection par le droit d’auteur il est essentiel que l’œuvre soit exprimée dans une forme. Cette exigence est une exigence classique pour permettre la protection, en effet on la retrouve dans les pays du Copyright également. Mais la notion va différer quelque peu.

Ainsi, au Royaume-Uni, pour que l’on puisse parler d’œuvre, il faut remplir les conditions édictées par le Copyright, Designs and Patents Act 1988 (ci-après CDPA 1988). Notamment, l’article 3 (2) nous explique qu’il faut remplir la condition de fixation

85 Pierre Sirinelli, « Brèves observations sur le “raisonnable” en droit d’auteur » dans Propriété

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