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Un critère nouveau : la structure constante

B. Les critères permettant de basculer d’une simple idée à une œuvre

2. Un critère nouveau : la structure constante

Dans l’arrêt Universal Motion Pictures Ltd v Endemol Shine Group Ltd & Anor de 2017, la Haute Cour de Justice donne un critère en plus de la précision pour que les formats puissent accéder à la protection « (ii) that those distinguishing features are connected with each other in a coherent framework which can be repeatedly applied so as to enable the show to be reproduced in recognisable form ». Ce que la Haute Cour exige en l’espèce c’est que le tout soit cohérent et que surtout ce tout cohérent puisse être répété dans chaque émission de manière que cette émission soit reconnaissable. Qu’elle puisse être identifiée par ces composantes qui sont les mêmes d’une émission à l’autre.

En l’espèce, c’est d’ailleurs en partie sur ce critère que la protection fut refusée. En effet, la Haute Cour de Justice nous dit dans son arrêt que le format « did not identify or prescribe anything resembling a coherent framework or structure which could be relied upon to reproduce a distinctive game show in a recognisable form ».

On peut alors se demander si cette exigence apportée par la jurisprudence anglaise se retrouve dans le droit français pour la protection des formats, des bibles ou encore des synopsis ?

En 1999, Bernard Edelman écrivait alors qu’effectivement il fallait une structure constante pour que les bibles et les formats puissent être protégés par le droit d’auteur :

Pour obtenir une fabrication “à la chaîne”, le format doit être conçu sous une forme qui, par nature, permet la répétition - ce qui le distingue, d'ailleurs, d'une œuvre de droit commun dont la spécificité est d'être unique. Cette forme peut s'apparenter soit à une “règle de jeu” suffisamment souple pour laisser place à un élément humain et donc variable (candidats, présentateur, public) - et c'est le propre des jeux -, soit à une constante de l'identité des personnages et situations - et c'est le propre des séries218.

L’objectif de ces œuvres étant de préparer une œuvre qui devra être diffusée en plusieurs épisodes pendant plusieurs semaines voire plusieurs années. Cet élément est une particularité des œuvres télévisuelles, c’est-à-dire qu’elles ont un schéma qu’elles vont

217 Castelain et Caron, supra note 158. 218 Edelman, supra note 197.

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devoir répéter. Il est donc normal que lorsque pour protéger un format ou une bible on exige de pouvoir se faire une idée de l’œuvre future, qu’on puisse avoir une idée claire, non pas simplement d’un épisode, mais bien comment cette émission va pouvoir fonctionner semaine après semaine.

Il va y avoir une différence de structure entre les formats et les bibles. En ce qui concerne les formats, cette structure va être constituée des règles du jeu, du découpage des séquences, des segments qu’il va y avoir dans cette émission. C’est finalement une mécanique, c’est par cette structure que le téléspectateur va être attiré, et également qu’il va vouloir revenir regarder l’émission. Enfin, c’est cette structure qui va permettre à l’émission d’être adaptée de manière identique à l’étranger, la structure va souvent être reprise pour chaque variante étrangère qu’il y a de l’émission219.

On retrouve ce critère dans la jurisprudence. En effet, dans l’affaire « Le Code de la route : le grand examen », le tribunal de grande instance de Paris a donné sa première définition du format. Il nous dit alors que le format en plus d’être précis doit présenter une « structure constante permettant la répétition ». On doit pouvoir voir dans le format quels sont les éléments qui vont pouvoir être répétés dans l’émission.

En ce qui concerne les bibles, ce n’est pas temps le déroulement de la série qui va constituer la structure, mais plutôt les personnages, leurs personnalités, leurs caractéristiques etc. Bernard Edelman, pour démontrer son propos cite alors l’affaire « Voisins, voisines » dans laquelle la protection de la bible avait été reconnue, car « les auteurs des scénarios ont repris les personnages de base préexistants, qu'ils ont écrit leur texte en reprenant leurs traits de caractère, psychologie, habitudes, milieu social, etc., qu'ils ne se sont pas totalement évadés de ces antécédents nécessaires pour donner aux personnages principaux des personnalités différentes ». Ainsi, la personnalité des personnages a été conservée tout le long de la série, ce qui fait l’auteur de la bible a été reconnu comme coauteur de l’œuvre. C’est cette permanence des personnages qui symbolisent la structure d’une série. C’est cet élément qui attire les téléspectateurs220.

Les synopsis semblent être exclus de cette condition. En effet, la condition ne semble s’appliquer qu’aux formats et aux bibles. Cela semble logique en raison de la nature du synopsis. Le plus souvent celui-ci va concerner un film, c’est-à-dire une œuvre

219 Ibid. 220 Ibid.

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unique qui n’appelle pas à la répétition, il va y avoir qu’un seul film. Ce qui fait qu’aucune répétition de structure n’est nécessaire. C’est donc en raison de la nature même de l’œuvre que le critère n’est pas une obligation.

Christine Caron et Jean Castelain se demandent si le critère de la structure constante est un critère émergent. En effet, ils constatent que la définition posée par le tribunal de grande instance de Paris exige ce critère pour que le format soit protégé. Ils vont alors considérer que « ce critère positif rattaché à la fonction de “modèle” qui apparaît ressortir au format conduit à un rapprochement avec les jurisprudences rendues récemment en matière de concept architectural »221.

Ainsi, ils vont faire le rapprochement entre les formats et les cahiers des charges qui établissent l’aménagement intérieur des magasins d’un réseau de franchise. La question avait alors été posée à la Cour d’appel de Versailles si ces derniers pouvaient être protégés au titre d’œuvres architecturales. En l’espèce, une architecte d’intérieur est l’un des participants à la création du cahier des charges pour Alain Afflelou. La franchise respecte alors le cahier des charges et les magasins sont agencés selon les directives de celui-ci. L’architecte, se considérant auteur d’une œuvre architecturale d’intérieur, décide alors d’assigner en contrefaçon le franchiseur et les franchisés, car ils auraient ouvert des magasins qui n’étaient pas prévus au contrat.

La Cour d’appel explique alors que la demanderesse est « titulaire des droits d’auteur sur l’expression matérielle du concept d’aménagement type du magasin d’optique, tel qu’elle résulte du cahier des charges »222. La Cour d’appel reconnaît donc la possibilité pour les œuvres architecturales d’intérieur d’être protégées, mais elle ne dit rien sur la nature du cahier des charges. Elle précise cependant que la protection n’est pas possible en raison du fait qu’il se présente « sous forme d’énoncé de principes généraux » et que « elles ne peuvent être regardées comme étant le support formel d’une œuvre architecturale […] en l’absence notamment de plan ou de la possibilité d’en déduire un projet type (fût-il virtuel) aux contenus et contours définis, susceptible d’exécution répétée ».

221 Castelain et Caron, supra note 158.

222 CA Versailles, 12e ch., 11 oct. 2001, A. Afflelou et a. c/ Mayell et a., PI. 2002, n° 3, p. 45 ;

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Le cahier des charges n’est en l’espèce pas protégé, car il ne remplit pas deux critères. D’abord le critère classique de la précision n’est pas rempli, car les principes sont trop généraux, comme dans le cas des formats. Mais le cahier ne remplit pas non plus le critère de la structure constante, il faut que lorsque l’on lit le projet, on puisse voir comme celui-ci va pouvoir être reproduit dans chaque magasin et pas seulement dans un seul.

L’affaire est ensuite allée devant la Cour de cassation qui va résumer de manière claire les critères :

La propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts mais seulement la forme originale sous laquelle ils sont exprimés, la Cour d’appel a souverainement estimé […] que les prescriptions et dessins invoqués se réduisaient à des principes généraux exclusifs d’indications suffisamment concrètes et précises, qu’elle a également exposé en quoi la planche d’illustrations de la façade du magasin et la représentation d’un aménagement intérieur étaient l’une exempte d’originalité, l’autre trop imprécise et partielle pour s’assimiler à un projet-type permettant une exécution répétée223.

Les critères de la précision et de la structure constante sont donc repris par la Cour de cassation. Puis ils seront repris par le Cour d’appel en 2005 qui nous dit « que les prescriptions, dessins et plans [...] ne se réduisent pas à l'énonciation de principes généraux exclusifs d'indications suffisamment précises et concrètes […] ; il résulte de ces éléments que la société intimée a créé et formalisé un projet-type permettant une exécution répétée »224. On peut donc remarquer que le critère de la structure constante s’installe de manière durable dans la jurisprudence concernant les œuvres architecturales, qu’il devient un critère nécessaire pour la protection des cahiers des charges.

Si Christine Caron et Jean Castelain font le rapprochement entre les deux œuvres c’est parce qu’il y a des similarités. En somme, les deux sont des documents préparatoires en vue de la création d’une autre œuvre. Les deux doivent suffisamment bien décrire l’œuvre future pour que l’on puisse avoir une image de ce qu’elle sera. Et qu’ils sont voués à être exécutés plusieurs fois.

La question reste à savoir si ce critère de la structure constante est bel et bien appliqué en ce qui concerne les formats.

223 Cass. 1re civ., 17 juin 2003, Mme Bounaix et a. c/ Sté Afflelou et a., Bull. civ., n° 1, n° 148, p.

116, D. 2003, AJ p. 2014 et les obs., RIDA janv. 2004, p. 223

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Lorsque l’on regarde la dernière affaire en date concernant les formats, on peut penser que la réponse est oui. En l’espèce, une société de production anglaise poursuit en contrefaçon le producteur et diffuseur français de l’émission « Météo à la carte » sous prétexte que son format avait été repris illégalement d’une émission qu’elle diffusait. La société anglaise invoquait notamment le fait qu’elle avait un « élément substantiel » dans l’interactivité avec le public.

Le tribunal de grande instance de Paris considère la requête de la société anglaise irrecevable, sous prétexte que le document n’était pas assez précis pour détailler la forme des futures émissions. Que l’interactivité avec le public est usuelle et donc une idée de libre parcours. Mais ce qui est le plus intéressant dans cette décision c’est le fait que le tribunal rappelle la définition du format comme ceci « doit être entendu comme étant une sorte de mode d'emploi qui décrit un déroulement formel, toujours le même, consistant en une succession de séquences dont le découpage est préétabli »225.

Le tribunal en précisant « toujours le même », affirme la nécessité d’avoir une structure constante. Et lorsque qu’il refuse la protection de ce format parce qu’il n’est pas assez précis pour voir les futures émissions, cela veut dire qu’également que ce n’est pas assez précis pour voir justement cette structure, comment tous les épisodes vont pouvoir fonctionner sur le même modèle. À noter que Benjamin Montels associe, dans son commentaire sur l’affaire, la définition du format à une bible, démontrant ainsi que cette structure est également nécessaire pour cette dernière226.

L’affaire a été envoyée devant la Cour d’appel, mais celle-ci n’a fait que confirmer le jugement du tribunal. La Cour d’appel reprend d’ailleurs la définition énoncée par le tribunal de grande instance227. On peut alors en conclure que le critère de la structure constante est bien un critère nécessaire pour faire passer le format de la simple idée à une œuvre. Cela étant dit, il est vrai que le critère est moins mis en avant que dans les affaires concernant les cahiers des charges des œuvres architecturales. Que bien qu’il semble nécessaire dans le cadre des formats et des bibles, il était légitime pour Christine Caron et Jean Castelain de se poser la question. En l’espèce, nous ne pensons pas que ce soit un

225TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 17 nov. 2016, n° 14/03954, Stés Love Productions LTD et Can't

Stop Media LLP c/ Sté Enibas Productions et SA France Télévisions.

226 Benjamin Montels, « Un an de droit de l’audiovisuel » [2017] 6 CCE chron. 8. 227 CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 1er juin 2018, n° 17/00610.

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critère émergent, qu’il a toujours été un critère pour la protection des bibles et des formats, comme l’avait souligné Bernard Edelman.

Il fonctionne ainsi de pair avec le critère de la précision pour permettre aux formats et aux bibles d’être protégés. Ce sont les deux éléments qui vont constituer le point de bascule pour les documents préliminaires.

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Conclusion

La frontière entre l’idée et la forme n’est pas définie clairement. De manière générale, il est difficile de déterminer ce qu’est fondamentalement une idée ou une œuvre. L’évolution de ce que peut être un œuvre rend cette frontière encore plus floue, au point que les notions doivent être élargies pour pouvoir s’adapter aux œuvres nouvelles.

Ce qui fait qu’il est difficile de trouver un point de bascule, l’élément qui va faire que l’on passe de l’idée à l’œuvre. De manière générale, le critère de la précision semble être le critère principal, celui qui fonctionne le mieux, pour le plus d’œuvres. C’est lui qui va rendre l’idée formée et originale. Par cette précision, l’idée n’est plus toute simple, elle s’enrichit au point où on finit par déceler le résultat matériel d’un travail créatif, une originalité permettant ainsi de rejoindre la catégorie des œuvres de l’esprit et donc de bénéficier de la protection par le droit d’auteur.

C’est ce critère-là qui va également être le point de bascule pour les œuvres particulières que sont les formats, les bibles et les synopsis. Ces documents préliminaires qui ressemblent plus à des idées exprimées, à des idées posées sur papier, vont alors parfois être suffisamment descriptifs, suffisamment précis pour considérer que ce sont des œuvres de l’esprit. Cette précision encore une fois permet d’entrevoir l’œuvre future, d’entrevoir l’originalité de celle-ci et donc d’accéder à la protection par le droit d’auteur. Ce passage de l’idée à la forme grâce au critère de la précision pour les formats, les bibles et les synopsis démontrent alors que ce sont des œuvres comme les autres, elles obéissent aux mêmes règles du droit d’auteur, il n’y a pas de protection spéciale. Le seul élément qui va leur être propre c’est le critère de la structure constante. Ce critère va être propre à ces documents préliminaires, voire même aux bibles et aux formats, les synopsis n’étant pas concernés. Ce critère va être une exigence de la protection des bibles et des formats, en raison de leur nature, démontrer une structure constante est indispensable. C’est un élément qui, accompagné de la précision, va faire basculer le document de la simple idée à une œuvre de l’esprit.

Cette double exigence d’ailleurs se retrouve dans le droit anglais en ce qui concerne les documents préparatoires alors que seule la précision semble exigée au Canada. Cela démontre que même si les systèmes de droit ne sont pas les mêmes, les similarités sont nombreuses et les critères de protection sont proches.

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Cette double exigence rappelle alors que même s’il n’y a pas de protection spéciale, ces documents préliminaires restent des œuvres particulières, qui ne rentrent pas dans les catégories les plus simples. Que leur protection est déjà un élargissement en quelque sorte du droit d’auteur et que donc doit être mis en place des conditions pour être sûr que la protection par le droit d’auteur ne soit pas donnée trop facilement.

Pour conclure, il est intéressant de sortir du droit d’auteur et de s’interroger sur la protection des idées par le droit de la responsabilité civile. En effet, on l’a mentionné, il est possible de protéger les idées par le droit civil, plus particulièrement par le droit de la concurrence. Ce droit ne se soucie guère de la forme ou bien de l’originalité nécessaire en droit d’auteur, puisque la protection peut concerner des idées. Ainsi, le point de bascule n’a aucune importance en la matière.

Mais la question que l’on peut se poser est finalement celle-ci : est-ce que toutes les idées peuvent être protégées par le droit de la concurrence ? N’y a-t-il pas une frontière ici entre ce qui peut être protégé et ce qui ne peut pas être protégé ?

Pour résumer, il est possible de faire deux actions, une en concurrence déloyale et une sur le parasitisme. La concurrence déloyale va être caractérisée par un acte déloyal qui va être le plus souvent un des comportements parmi quatre possibles : la désorganisation, le dénigrement, la confusion et le parasitisme. L’acte parasitaire est « celui qui tire ou s'efforce de tirer profit, non seulement du renom acquis par un tiers, mais aussi des réalisations personnelles d'autrui ou du travail d'autrui ayant une valeur économique »228. Pour engager l’action, il faut suivre la règle concernant la responsabilité civile, c’est-à-dire démontrer une faute, un dommage et un lien de causalité.

La première affaire à permettre la protection d’un format par rapport à la concurrence déloyale et les agissements parasitaires est l’affaire « La nuit des héros ». En l’espèce, Antenne 2 diffusait l’émission « La nuit des héros » depuis 1991. En 1992, TF1 décide d’engager le présentateur de cette dernière, de collaborer avec son producteur pour créer l’émission « Les marches de la gloire ». L’objectif de TF1 était alors de diffuser cette émission le même jour, à la même heure que « La nuit des héros ». Les deux émissions étaient sensiblement similaires et Antenne 2 assigna TF1 dans le but d’obtenir

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une interdiction de diffusion, car elle estimait qu’il pourrait y avoir une confusion dans l’esprit du public.

Le tribunal de commerce de Nanterre229 ainsi que la Cour d’appel de Versailles constatèrent qu’effectivement il pouvait y avoir une confusion dans l’esprit du public, et donc un détournement de celui-ci. La Cour d’appel nous dit alors :

S’il n’est pas en soi critiquable de produire des émissions, il n’est pas acceptable de plagier l’émission d’un concurrent, en adoptant, outre le thème, la construction, le découpage et la durée, la structure des séquences et le style de présentation. La diffusion par TF1 de l’émission “Les marches de la gloire” à partir de septembre 1992 constitue un acte de concurrence déloyale qui a causé un préjudice tant moral que financier à Antenne 2. D’une part, la confusion entre cette émission et celle “La nuit des héros” présentée sur Antenne 2 jusqu’en juin 1992 est certaine. Outre le même schéma, les mêmes séquences, le même horaire, TF1 a utilisé les mêmes présentateurs et le même cinéaste, alors que ceux-ci n’avaient pas rompu tout lien avec Antenne 2, et, pour les présentateurs, étaient encore tenus de respecter les clauses contractuelles qu’ils avaient signées. D’autre part, le comportement de TF1 caractérise des agissements parasitaires fautifs en ce que la chaîne a profité du travail effectué par Antenne 2, de la réputation et du succès de l’émission.

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