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La mise en récit historique de l'art au Québec dans les synthèses de l'histoire de l'art au Canada, de 1925 à 1973

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© Valérie Fiset, 2019

La mise en récit historique de l'art au Québec dans les

synthèses de l'histoire de l'art au Canada, de 1925 à

1973

Mémoire

Valérie Fiset

Maîtrise en histoire de l'art - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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La mise en récit historique de l’art au Québec dans

les synthèses de l’histoire de l’art au Canada,

de 1925 à 1973

Mémoire

Valérie Fiset

Sous la direction de :

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iii

RÉSUMÉ

Depuis les années 1920, des ouvrages de synthèse sont ponctuellement publiés pour faire état de l’histoire de la production artistique canadienne. À partir de ces récits historiques d’une ampleur nationale, nous nous intéressons à la façon dont l’art produit au Québec est mis en récit. Comment les auteurs tentent-ils (ou non) l’inscription de la production artistique du Québec en tant que partie au sein d’un tout, l’art canadien?

Ce projet de maîtrise pose une réflexion sur l’espace et le rôle accordés aux artistes, aux œuvres et aux institutions artistiques du Québec dans les récits d’histoire des arts canadiens. Une analyse effectuée sur sept ouvrages publiés entre 1925 et 1973 met en évidence la structure narrative sous-jacente aux récits. Nous soutenons que dans ces récits, et ce malgré une volonté manifeste de la part de certains auteurs de reconnaitre la spécificité culturelle des communautés canadienne-française et canadienne-anglaise, la production artistique du Québec se trouve la plupart du temps relayée aux marges de l’histoire de l’art au Canada. Ces recherches concernent, dans une perspective historique, la manière dont fut inscrite une communauté artistique et culturelle spécifique dans les récits nationaux. Ce mémoire fait ainsi la démonstration qu’il ne suffit pas d’inscrire une communauté au récit, encore faut-il penser une structure narrative qui la comprend dans son historicité et ses spécificités.

À la suite des analyses effectuées, deux principaux types de structures narratives furent mis en évidence. Les caractéristiques de ces structures sont traitées en deux chapitres distincts : le chapitre 2. Généalogie artistique linéaire, et le chapitre 3. Généalogie artistique buissonnante. Le premier chapitre, intitulé Le passage de notices biographiques autonomes à une première mise en récit historique, aborde quant à lui la structure narrative mixte caractérisant le premier ouvrage de notre corpus.

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TABLE DES MATIERES

RÉSUMÉ ... III TABLE DES ILLUSTRATIONS - FIGURES ... VI TABLE DES ILLUSTRATIONS - TABLEAUX ... VII REMERCIEMENTS ... VIII INTRODUCTION ... 1 DÉFINITION DU CORPUS ... 5 PROBLÉMATIQUE ... 6 ANALYSE DU DISCOURS ... 8 Structure narrative ... 9 Hétérogénéité intratextuelle ... 10 Intertextualité ... 10

DES TYPES DE STRUCTURE NARRATIVE MIS EN ÉVIDENCE ... 12

CHAPITRE 1. LE PASSAGE DE NOTICES BIOGRAPHIQUES AUTONOMES À UNE PREMIÈRE MISE EN RÉCIT HISTORIQUE ... 13

1.1 LA PARTICIPATION DU CANADA À LA PRODUCTION DE L’ART UNIVERSEL ... 14

1.2 «ART CANADIEN » OU « ART AU CANADA »? ... 17

1.3 L’ÉVEIL D’UN INTÉRÊT POUR LES ARTS AU DÉBUT DU XXE SIÈCLE ... 20

1.3.1 L’importance des institutions artistiques et gouvernementales ... 22

1.3.2 D’un espace à un territoire : l’ancrage d’un art national dans le territoire ... 26

1.4 GÉOGRAPHIE ET RACES ... 29

CHAPITRE 2. GÉNÉALOGIE ARTISTIQUE LINÉAIRE ... 32

2.1. GÉNÉALOGIE ASCENDANTE LINÉAIRE DE L’ART CANADIEN : INSCRIRE LE GROUPE DES SEPT DANS SON HISTORICITÉ ... 32

2.1.1. Combattre le mythe de la génération spontanée du Groupe des Sept ... 34

2.1.2. La recherche des filiations stylistiques ... 37

2.1.2.1. La nature telle que transmuée par l’instinct poétique du peintre ... 40

2.1.2.2. Figures mythiques de l’histoire de l’art au Canada ... 43

2.1.3. Discordance intratextuelle : mise en perspective ou reconduction du mythe du Groupe des Sept? ... 44

2.1.4. L’art au Québec, un microrécit en parallèle du récit principal ... 47

2.1.4.1. Des artistes embourbés dans une « nostalgic historicity » ... 48

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v

2.2. LA CRISTALLISATION DE LA MISE EN RÉCIT D’UNE PÉRIODE DE L’HISTOIRE DES ARTS AU CANADA (1840 À 1930) ... 52

2.3. LA STRUCTURE NARRATIVE LINÉAIRE PORTÉE À SON PAROXYSME ... 58

2.3.1. Saisir l’essence de l’expérience canadienne ... 59

2.3.2. La mise en récit linéaire d’une production picturale « mainstream » ... 63

2.3.3. Discordance intratextuelle : une généalogie artistique descendante problématique ... 75

2.3.4. La peinture comme véhicule de l’expérience canadienne conjointe des « deux nations » ... 79

CHAPITRE 3. GÉNÉALOGIE ARTISTIQUE BUISSONNANTE ... 85

3.1. UN PANORAMA « AUSSI VASTE QUE POSSIBLE » DE LA PRODUCTION PICTURALE EN SOL CANADIEN ... 85

3.2. COEXISTENCE D’UNE DOUBLE TRADITION, LATINE ET NORDIQUE ... 87

3.2.1. La mise en récit de phénomènes particuliers ... 89

3.2.2. Les jalons d’une évolution stylistique ... 90

3.2.2.1. La peinture au Canada français et la création d’un premier style canadien dans l’art du portrait ... 92

3.2.2.2. La peinture au Canada anglais et le style nationaliste du Groupe des Sept ... 102

3.2.2.3. Le récit de la convergence artistique des « deux nations » ... 108

3.3. TEMPÉRAMENTS ET MÉTISSAGE DES STYLES ... 114

3.4. EN CONCLUSION, SUR LA NOTION DE TRADITION AVEC HUBBARD ... 118

LA MISE EN RÉCIT DE L’ART DU QUÉBEC DANS LES SYNTHÈSES DE L’ART AU CANADA : EN SOMME ... 123

BIBLIOGRAPHIE ... 132

I. CORPUS À L’ÉTUDE ... 132

II. FONDS D’ARCHIVES (DOSSIERS D’AUTEURS) ... 132

III. OUVRAGES ... 132

IV. MÉMOIRES ET THÈSES ... 133

V. ARTICLES DE PÉRIODIQUE ... 133

VI. COLLOQUES ET CONFÉRENCES ... 134

VII. RÉFÉRENCES INTERNET ... 135

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vi

TABLE DES ILLUSTRATIONS - FIGURES

Figure 1. Déploiement dans le temps du corpus (éditions originales) ... 137 Figure 2. Déploiement dans le temps du corpus (éditions originales, rééditions et traductions) .... 138 Figure 3. Déploiement sur une ligne du temps de la mise en récit de MacTavish, The Fine Arts in Canada (1925) ... 139 Figure 4. Déploiement sur une ligne du temps de la mise en récit de Colgate, Canadian Art (1943) ... 142 Figure 5. Déploiement sur une ligne du temps de la mise en récit de McInnis, A Short History of Canadian Art (1939) et Canadian Art (1950) ... 144 Figure 6. Déploiement sur une ligne du temps de la mise en récit de Reid, A Concise History of Canadian Painting (2011, 3e édition) ... 146 Figure 7. Déploiement sur une ligne du temps de la mise en récit d’Hubbard, L'évolution de l'art au Canada (1963, trad.) ... 148 Figure 8. Déploiement sur une ligne du temps de la mise en récit de Harper, La peinture au Canada des origines à nos jours (1966, trad.) ... 150 Figure 9. Présentation du déploiement sur une ligne du temps de l'ensemble des ouvrages du corpus ... 150

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TABLE DES ILLUSTRATIONS - TABLEAUX

Tableau 1. Présentation synthétique du corpus ... 136 Tableau 2. Structure narrative par chapitre de MacTavish, The Fine Arts in Canada (1925) ... 140 Tableau 3. Structure narrative par chapitres de Colgate, Canadian Art (1943) ... 141 Tableau 4. Structure narrative par chapitre de McInnis, A Short History of Canadian Art (1939) 143 Tableau 5. Structure narrative par chapitre de McInnis, Canadian Art (1950) ... 143 Tableau 6. Structure narrative par chapitre de Reid, A Concise History of Canadian Painting (1973, 1988, 2011) ... 145 Tableau 7. Structure narrative par chapitres de Hubbard, L'évolution de l'art au Canada (1963, trad.) ... 147 Tableau 8. Structure narrative par chapitres de Harper, La peinture au Canada des origines à nos jours (1966, trad.) ... 149

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viii

REMERCIEMENTS

La réalisation de ce mémoire n’aurait pu être possible sans l’intervention d’un grand nombre de personnes. Je souhaite ici les en remercier.

Au terme de ce projet, j’exprime ma profonde reconnaissance à mon directeur de recherche, monsieur Didier Prioul,

pour l’aide compétente que vous m’avez apportée, pour votre patience, votre disponibilité et votre soutien, en particulier lorsque le chemin se faisait plus sinueux.

Votre œil critique me fut très précieux et vos commentaires, éclairants ; ce fut un vrai plaisir, intellectuel comme personnel, d’accomplir ce projet sous votre direction.

Mes remerciements s’étendent au corps professoral du Département des sciences historiques de l’Université Laval pour la richesse et la qualité de leur enseignement. Qu’il me soit également permis de remercier toute ma famille pour leur amour et leur soutien constant :

À mes amours, Patrick et Mathilde,

pour m’avoir épaulée jour après jour dans cette aventure. À mes parents, Françoise et Patrick,

Et mon frère, Maxime, pour vos précieux conseils,

votre soutien indéfectible et, surtout,

pour m’avoir encouragée à suivre ma passion. À Nicholas,

pour ton écoute, tes précieux conseils et ta présence ces longs soirs de rédaction. Sans vous, je n’en serais pas là. Je vous dédie ce mémoire.

Enfin, à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, contribuèrent à la réussite de ce projet et qui n’ont pas pu être cités ici, je présente mes remerciements, mon respect et ma gratitude.

Un grand merci à Esther Trépanier et Laurier Lacroix qui acceptèrent d’exercer leur œil averti et leur grande expertise à l’évaluation de ce projet de mémoire.

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« Il serait parfaitement vain de chercher à démontrer que l’histoire de l’art fut – ou est encore – une discipline raciste. Elle ne l’aura été ni plus ni moins que les autres sciences sociales qui, toutes, furent touchées ou orientées par la pensée raciale de manière à classer et hiérarchiser les hommes en fonction de certains traits somatiques et psychologiques qui leur étaient attribués. Mais s’il reste important de comprendre la nature des liens qu’elle a tissés entre les hommes et leurs objets artistiques, c’est parce que ces liens ne sont pas encore tranchés, parce que nous leur conférons un semblant de réalité chaque fois que nous scrutons ces objets pour y trouver les signes de leur origine « ethnique », c’est-à-dire collective.

Parce que l’opinion qui demeure la plus commune sur l’art est qu’il incarne au mieux le génie des peuples ».

Éric Michaud « Introduction » Les invasions barbares. Une généalogie de l’histoire de l’art (2015)

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1

INTRODUCTION

Ce projet de recherche aborde un pan encore inexploré de l’histoire de l’art au Québec et au Canada. Depuis les années 1920, des ouvrages de synthèse sont ponctuellement publiés pour faire état de l’histoire de la production artistique canadienne. Ceux-ci n’ont jusqu’à maintenant pas fait l’objet d’une analyse approfondie1. S’il est vrai que des chercheurs se sont penchés sur les écrits d’auteurs spécifiques de la première moitié du XXe siècle2, le sujet de l’écriture de l’histoire de l’art au Canada d’un point de vue d’ensemble ne fut qu’effleuré. À notre connaissance, seul l’historien de l’art québécois Laurier Lacroix aborda la question.

Ce dernier dressa un premier état de la problématique en avril 1988 dans le cadre d’une conférence tenue à Edmonton. L’intitulé du colloque, The Arts in Canada during the Age of Laurier, s’offre à Lacroix comme un prétexte pour aborder la problématique posée par la périodisation. En ouverture du propos, l’historien observe déjà qu’« [i]l est courant dans la conception et l’écriture de l’histoire de la peinture au Canada de subordonner le développement de l’art au développement politique »3. S’adressant à l’auditoire, il poursuit :

Vous connaissez sans doute le découpage qui présente l’art canadien selon les périodes suivantes : l’art sous le régime français, sous le régime anglais avant la Confédération, après la Confédération. Voilà qu’il nous est proposé d’examiner l’art sous le régime de Laurier. Autant il est aberrant d’affirmer que les facteurs sociopolitiques n’influencent pas la production artistique, autant il me parait artificiel de concevoir l’histoire de la peinture à partir d’une périodisation politique. Étant donné que nous sommes toujours

1 Les récits historiques de l’art au Canada ont ainsi pour l’heure fait l’objet de bien peu de réflexions, si ce n’est par le

biais de comptes rendus critiques ou d’articles parus lors de la publication. En vérité, on a principalement discuté ces récits en ouverture de publications scientifiques subséquentes. En effet, la majorité des réflexions portant sur

l’historiographie figure dans les chapitres d’introduction de la majorité des ouvrages d’histoire de l’art, l’auteur prenant parfois plusieurs pages pour retracer et commenter le travail de ses prédécesseurs. Cette section sert à l’auteur à

positionner sa propre réflexion au sein d’un ensemble ciblé de l’historiographie et ne s’intéresse donc pas à celle-ci en tant qu’objet d’étude.

2 Nous songeons notamment au collectif de 1981, À la découverte du patrimoine avec Gérard Morisset, un travail

principalement à caractère biographique présenté dans le cadre d’une exposition du même nom présentée au Musée du Québec du 4 février au 1er mars 1981. Dans le même ordre d’idée, des bibliographies analytiques des travaux de Marius

Barbeau ainsi que de Ramsay Traquair ont vu le jour. Plus récemment, Didier Prioul procéda à l’analyse du rythme et de la temporalité dans l’ensemble des écrits de Gérard Morisset, mettant au jour la façon par laquelle cet auteur chercha à « réanimer collectivement une identité perdue » à partir du matériau artistique et d’une mise en scène de l’histoire. Musée du Québec et le Groupe de recherche en histoire socioculturelle du Québec, À la découverte du patrimoine avec Gérard Morisset, Québec, Ministère des affaires culturelles, Musée du Québec, 1981, 255 p.; Didier Prioul, « Rythme et

temporalité dans la représentation de l’histoire de l’art chez Gérard Morisset », dans Étienne Berthold et Nathalie Miglioli (dir.), Patrimoine et histoire de l’art au Québec : enjeux et perspectives, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. Chaire Fernand-Dumond sur la culture, 2011, p. 127-144.

3 Laurier Lacroix, « Painting », Robert J. Lamb (éd.), The Arts in Canada during the Age of Laurier, conférence tenue à

Edmonton le 9 avril 1988, University of Alberta and Edmonton Art Gallery. Transcription conservée à la bibliothèque du Musée national des beaux-arts du Québec, Québec, p. 1.

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2

au stade exploratoire dans la connaissance de l’art produit et consommé au Canada, il me semble que nos efforts devraient porter sur l’identification des facteurs qui donnent une autonomie à l’art et la création plutôt que de chercher à le comprendre uniquement dans un cadre politique.4

Lacroix signale que ce modèle est calqué sur une conception de l’art européen et ne peut s’appliquer au Canada. L’impossibilité d’articuler les cycles temporels de l’histoire de l’art au Canada aux changements politiques se double d’une impossibilité de recourir à des catégories stylistiques ; « [i]l faut donc chercher d’autres concepts-clés, d’autres moments charnières »5. L’exercice s’impose, car il détermine notre rapport au temps historique. Lacroix propose dès lors, non pas « de faire le procès d’une conception de la périodisation », mais plutôt « un espèce d’état de la question de la production picturale sous forme de panorama des grands éléments qui la compose, des grandes questions qui ont été abordées à cette époque »6, cette dernière entendue comme la période recouvrant les années 1880 à 1914.

La problématique posée par la périodisation revient quelque vingt ans plus tard dans une seconde conférence de Lacroix intitulée « L’historiographie de l’histoire de l’art au Québec et l’échec patrimonial – Quelques remarques intempestives » présentée dans le cadre du colloque Patrimoine et histoire de l’art au Québec : enjeux et perspectives dont les actes furent publiés en 20117. Ce « papier d’humeur », pour reprendre les termes de l’auteur, présente un bilan subjectif de l’histoire de l’art au Québec et témoigne de la faillite des historiens comme agents pour participer à l’identification et à l’appropriation d’un patrimoine artistique. Parmi les causes de cette lacune figure « la façon dont on a fait et on fait toujours l’histoire de l’art au Québec »8 : l’absence de récits historiques faisant en sorte que « [l]es phénomènes sont vus de manière parcellaire et isolée, et ils sont difficilement situés dans la durée longue »9. Le nœud du problème, selon Lacroix, se situe au niveau d’une réflexion encore à faire portant sur la mise en narration de l’histoire : « les historiens d’art qui sont trop peu nombreux, il faut le dire, doivent s’attacher collectivement au projet de définir, de thématiser, de problématiser, de conceptualiser le récit de l’histoire de l’art »10.

4 Idem.

5 L’auteur précise plus loin : « Avant que nous puissions aborder l’histoire des arts visuels au Canada à partir des

questions plus fondamentales, il m’apparait que nous devons passer par l’étape d’une histoire qui lui soit spécifique au plan chronologique, identifiant les points majeurs de son développement en tenant compte des variantes régionales et des différents niveaux et lieux de production et de consommation de l’art ». Ibid., p.1-2.

6 Ibid., p.2-3.

7 Laurier Lacroix, « Historiographie de l’histoire de l’art au Québec et l’échec patrimonial – Quelques remarques

intempestives », dans Berthold et Miglioli (dir.), Patrimoine et histoire de l’art au Québec : enjeux et perspectives, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. Chaire Fernand-Dumond sur la culture, 2011, pp.163-171.

8 Ibid., p.165. 9 Ibid., p.169. 10 Ibid., p. 170-171.

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3

Ce type d’exercice littéraire fut en effet fortement mis à mal au milieu du siècle dernier. La fin des années 1960 est marquée à une échelle globale par l’ébranlement épistémologique de la discipline de l’histoire dont la méthodologie et les modèles théoriques traditionnels sont remis en question. L’histoire de l’art, discipline historique, s’en trouvera fondamentalement bouleversée. Avertis des effets réducteurs et généralistes de ces modes de narration globalisants que sont les métarécits, les historiens s’orientent dès lors vers une pratique centrée sur de petits morceaux de l’histoire, préférant approfondir un artiste, un mouvement ou une œuvre. Au Québec, cette situation produit une conjoncture particulière telle que le souligne Lacroix :

Alors que commencent tout juste à paraitre au Québec les premiers textes synthèses, cette approche est maintenant décriée et il n’est plus possible de penser la discipline sur le modèle des survols qui avaient jusqu’alors constitué la base d’une pensée sur l’évolution des formes, des œuvres et des idées. […] Si ce rejet des outils que constituaient les synthèses avait du sens pour des cultures ayant déjà écrit et approfondit les leurs, était-il nécessaire de décrier l’utilité des synthèses au Québec alors qu’elles commençaient à peine à paraitre? 11

La reconstitution du récit artistique national par le public s’en trouve grandement compliquée. Sans être impossible, l’entreprise nécessite un investissement considérable, le récit ne pouvant prendre son sens global que par accumulation et multiplication des fragments. Comme il existe bel et bien un patrimoine à l’échelle locale, c’est au niveau du patrimoine national que se situent ces lacunes dans la mise en relation des œuvres entre elles et avec leurs contextes. Tel ce promeneur urbain cité par Jameson12, le spectateur québécois disposerait au mieux des quelques repères artistiques lui permettant de se situer dans son parcours quotidien, mais ne dispose pas de cette vision globale lui permettant de dresser une cartographie cognitive du réseau dans lequel il évolue13.

S’il en va ainsi de l’histoire de l’art au Québec14, il en est toutefois autrement ailleurs au Canada où de tels récits existent bel et bien et dont la production se poursuivit au-delà du XXe siècle. Cette

11 Idem.

12 Frederic Jameson, « La logique culturelle du capitalisme tardif », dans Le postmodernisme ou la logique culturelle du

capitalisme tardif, Paris, Les éditions Beaux-arts de Paris, 2007 (1984), p. 33-104.

13 Le travail des historiens de l’art actuel, qui aurait comme objectif l’appropriation de l’art historique par la communauté

québécoise, passerait donc en premier lieu par une articulation et une structuration des fragments du récit. La première étape consisterait alors à l’identification des « points de découpage » et de « nœuds » permettant la structuration du récit. Lacroix insiste sur l’importance primordiale de retrouver une résonnance collective dans les points de repère choisis. Or, l’histoire politique lisse et tranquille de la province pose une difficulté particulière à l’entreprise de périodisation. Pour l’auteur, cette situation oblige à chercher au sein même de l’histoire de l’art les évènements significatifs et le moyen d’en structurer le récit historique.

14 Dans la présentation de son projet Histoire de l’art au Québec. État des lieux (1600-1960), l’Équipe de recherche en

histoire de l’art au Québec (ÉRHAQ) souligne que « le premier et dernier grand chantier de compilation, de documentation et d’écriture sur l’art au Québec remonte aux efforts déployés, entre 1937 et 1960, dans le cadre de la constitution de l’Inventaire des œuvres d’art. Depuis les années 1960, des travaux ont permis d’analyser plusieurs phénomènes artistiques et de réévaluer les assises de l’histoire de l’art au Québec. Si certains projets ont bien cerné des phénomènes artistiques distincts (architecture, peinture, sculpture, estampe et images imprimées, arts décoratifs) sur une

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4

différenciation culturelle au niveau de la tradition académique est davantage détaillée par Lacroix dans le chapitre « Writing Art History in the Twentieth Century » concluant l’ouvrage The Visual Arts in Canada : the Twentieth Century (2010).15 Ce chapitre constitue à ce jour l’étude la plus exhaustive de l’historiographie de l’art au Canada. Se déployant sur à peine dix pages, ce dernier atteste de la complexité des dynamiques caractérisant l’historiographie de l’art au Canada et témoigne de la nécessité d’en approfondir nos connaissances.

Notre projet est né d’une conviction partagée avec Lacroix que les récits synthèses participent à « l’identification et la reconnaissance des œuvres et des objets qui contribuent, dans la durée, à l’identité dans laquelle se reconnait une communauté et qui signe la singularité de sa façon d’être au monde »16. Constatant l’absence d’ouvrages synthèses faisant état de l’histoire de la production artistique au Québec, nous avons souhaité éprouver la façon dont ceux relatant l’histoire de l’art au Canada intègrent (ou non) la production artistique du Québec. Notre démarche prend appui au plan méthodologique sur de précédentes recherches portant sur les modes de narration de l’histoire de l’art présents dans d’autres cultures17, en particulier celles menées par Éric Michaud (Les invasions barbares. Une généalogie de l’histoire de l’art, 2015; Histoire de l’art. Une discipline à ses frontières, 2005) et Myriam Métayer (Panoramas de l’art moderne. Manuels et synthèses en Italie et en France (1950-1970), 2012).

période significative (par exemple, des projets précis ont porté sur les arts de la période de la Nouvelle-France; sur la sculpture et l’orfèvrerie de la période du Baroque et du Néo-classique ; sur la peinture des décennies 1820-1850 et 1919-1939), ils n’ont pas fait l’objet d’un croisement (ou d’une synthèse historique) qui viserait à mieux comprendre la manière dont se sont développés, au Québec, les arts visuels dans toute leur complexité, sur une succession de périodes, dont chacune est à comprendre à partir de son propre régime d’historicité ». Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoise (CRILCQ). « Histoire de l’art au Québec. État des lieux (1600-1960) », Programmation scientifique. [En ligne], http://www.crilcq.org/projet/histoire-de-lart-au-quebec-etat-des-lieux-1600-1960 (Page consultée le 10 mai 2016).

15 « Also during the last two decades of the twentieth century the social sciences have consolidated their presence in art

history. Whereas anthropology […], post-colonial theories […], and gender studies […] have been of interest to English-speaking historians, numerous researchers in French Quebec have been involved with semiology […] and with the sociology of art […]. This methodological divide has been due in part to the specificities of the different theoretical sources and models in two distinct academic traditions, Anglo-Saxon and French ». Laurier Lacroix, « Writing Art History in the Twentieth Century », Whitelaw, Foss et Paikowsky (dir.), The Visual Arts in Canada : the Twentieth Century, Don Mills, Ont., Oxford University Press, 2010, p. 421.

16 Lacroix, « Historiographie de l’histoire de l’art au Québec et l’échec patrimonial – Quelques remarques intempestives

», op. cit., p.171.

17 Signalons qu’au Québec, l’historienne de l’art Carol Doyon déposa au tournant des années 1990 un mémoire

s’intéressant aux histoires générales de l’art « faciles à trouver sur les tablettes des librairies montréalaises et qui sont celles qui circulent le plus dans les milieux académiques et culturels nord-américains ». Ces histoires, considérées par Doyon comme des « manuels », furent envisagées « non pas sous l’angle de son contenu documentaire, mais plutôt comme une organisation elle-même génératrice de contenu ». Si le projet s’apparente au nôtre, la méthodologie, le corpus et la problématique sont fondamentalement différents. Carol Doyon, Les histoires générales de l’art. Quelle histoire!, Laval, Éditions Trois, 1991, 241 p.

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Définition du corpus

Différant des encyclopédies, des dictionnaires et des catalogues, les récits synthèsesrelèvent d’une ambition d’appréhension globale, intelligible et accessible de l’art canadien et s’adressent tant aux non-initiés qu’aux acteurs du milieu savant. La publication du premier ouvrage synthèse faisant état de l’histoire de la production artistique canadienne remonte au milieu des années 1920 avec The Fine Arts in Canada par Newton MacTavish. Entre ce moment et l’impression en 2011 de la troisième édition révisée et augmentée de A Concise History of Canadian Painting par Dennis Reid, nous recensons sept ouvrages correspondant à nos critères18.

Le déploiement dans le temps de ces ouvrages permet d’apprécier l’étalement temporel couvert par le corpus19. À ce premier déploiement, il convient d’adjoindre les rééditions de ces ouvrages20. Quatre ouvrages de notre corpus connurent un second passage sous presse, et dans certains cas sous une version révisée et augmentée. Ainsi, l’année 1977 voit la publication d’une seconde édition révisée de Painting in Canada: A History qui fit la renommée de John Russell Harper en 1966. A Concise History of Canadian Painting par Dennis Reid présente pour sa part un cas de figure intéressant. Produit une première fois en 1973, cet ouvrage est non seulement révisé par l’auteur à deux reprises pour des éditions postérieures – soit en 1988 et 2011 –, mais il est à chaque fois augmenté d’un chapitre.

Ces rééditions sont d’un grand intérêt pour notre analyse en raison des écarts qu’elles présentent avec les éditions originales et ce que ces écarts peuvent nous apprendre sur les changements de conceptions des auteurs par rapport à leur objet d’étude. Pour cette raison, nous ne retenons pas la réimpression de 1967 de Canadian Art: It’s Origin & Development par William Colgate, de même que celle de

18 Le choix fut fait de travailler sur un type de discours écrit. Nous excluons de ce fait de notre analyse les expositions, les

catalogues, les articles de périodique et de magazines, de même que les écrits d’artistes, chacun de ces objets relevant d’une forme de discours différente. Signalons à ce propos que bien que nous souhaiterions ardemment étendre notre réflexion à l’ensemble des types de discours sur l’art au Québec, cela demanderait l’élaboration d’un outillage méthodologique spécifique aux particularités de chacun de ces discours.

Afin de rendre compte du discours savant sur l’art, tous les ouvrages sélectionnés sont le fruit d’une démarche historique rigoureuse menée par des historiens de l’art professionnels.

Enfin, notre troisième critère touche plus spécifiquement au type de récit favorisé, soit le récit historique. La notion de « récit historique » que nous employons se rapporte à une caractéristique présente dans un nombre plutôt restreint de textes portant sur l’art canadien, soit la mise en récit articulée et suivie d’un phénomène dans la durée. Se virent dès lors écartées les synthèses partielles portant notamment sur la sculpture ou l’architecture, de même que les ouvrages s’attardant à une période ou un groupe spécifique. À titre d’exemples, Picturing the Land: Narrating Territories in Canadian Landscape Art, 1500-1950 (2011) par Marilyn J. McKay ne figure pas au corpus puisque la production artistique s’y trouve abordée sous l’angle d’une thématique particulière ; The Visual Arts in Canada: the Twentieth Century (2010), réalisé sous la direction de Whitelaw, Foss et Paikowsky, se consacre à un siècle spécifique ; alors que, pour sa part, l’ouvrage de Barry Lord, The History of Painting in Canada : Toward a People's Art (1974), est un bouquin trop polémique. Seule Sculpture in Canada : A History (2017) par Maria Tippett aurait probablement enrichi notre corpus ; malheureusement, ce dernier fut publié au moment où nous entamions déjà la rédaction.

19 Voir la Figure 1. Déploiement dans le temps du corpus (éditions originales) en annexe, p. 137.

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1973 de l’ouvrage de MacTavish, publié à l’origine en 1925. Ce dernier étant décédé en 1941, il s’agit simplement d’une réimpression du texte original sans actualisation de la part de l’auteur. Néanmoins, il est intéressant de prendre note de l’intérêt que dénote la remise sous presse de ces ouvrages au tournant des années 1970, par des maisons d’édition différentes de surcroit.

Le corpus ainsi établi compte douze titres répartis sur une période de 86 ans21. Il apparait comme une suite de témoignages ponctuels de différentes façons de concevoir l’art au Canada et son histoire dans sa globalité, et ce sur près d’un siècle. La notoriété des auteurs ainsi que la fortune critique et commerciale de ces ouvrages témoignent de leur importance au sein de l’historiographie. En se présentant comme des outils d’introduction à l’histoire de l’art, la structure narrative qui organise ces récits influence fortement la structure de base sur laquelle le néophyte ordonne sa représentation de la discipline ainsi que l’acquisition du contenu et du vocabulaire. Une analyse de ces récits contribue donc non seulement à une meilleure connaissance de l’historiographie, mais ouvre également un angle de réflexion sur la réception passée et actuelle de l’art canadien.

Problématique

À partir de ces récits historiques d’une ampleur nationale, nous nous intéressons à la façon dont l’art produit au Québec22 est mis en récit. Comment les auteurs tentent-ils (ou non) l’inscription de la production artistique du Québec en tant que partie au sein d’un tout, l’art canadien?

Notre problématique ainsi formulée cherche à mettre en évidence le caractère construit du récit historique. Car, bien que l’histoire se veuille écrite à partir de faits historiques, il n’en demeure pas moins que ceux-ci sont articulés au sein d’une trame narrative construite à partir de mots et sur la base de conceptions propres à une époque et à une culture. Ainsi, l’enquête n’a pas comme objectif d’évaluer la « qualité » de ces récits historiques en procédant à une validation des informations qui y sont colligées en regard de nos connaissances actuelles. Il n’est nullement question de relever les erreurs factuelles contenues dans ces ouvrages ou de porter un jugement de véracité sur leurs énoncés, ce qui reviendrait à « appliquer les catégories du vrai ou du faux aux idées anciennes »23. Notre enquête, menée sur un échantillonnage de discours écrits découlant de structures narratives élaborées

21 Voir le Tableau 1. Présentation synthétique du corpus en annexe, p. 136.

22 L’expression « art produit au Québec » témoigne de notre volonté d’adopter une perspective inclusive prenant en

compte l’ensemble des productions artistiques de la province, renvoyant à une approche territoriale plutôt que culturelle du Québec. Cette posture nous laisse la liberté de porter notre attention, le cas échéant, sur l’ensemble des communautés culturelles de la province suivant ce qui émerge de l’analyse des ouvrages de notre corpus. D’ailleurs, notre corpus se déployant dans le temps entre 1925 et 2011, l’étalement géographique de notre étude ne connait pas de variations puisque les frontières du Québec n’ont guère fluctué durant cette période. Les paramètres géographiques de l’analyse

correspondent donc aux frontières actuelles de la province.

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a priori entre les décennies 192024 et 1970, témoigne de la représentation que se font les historiens professionnels de l’époque, à propos de l’histoire de l’art au Canada, lorsqu’envisagée dans son ensemble.

Si ces représentations s’inscrivent effectivement dans les conceptions socialement partagées de l’époque dont elles sont issues, nous contestons cependant le caractère « adapté » de ces mêmes représentations lorsque transposées à notre époque. La réflexion s’impose lorsque se présente des cas de figure tels que A Concise History of Canadian Painting qui, publié en 1973 sous la plume de Dennis Reid, connait depuis maintenant 45 ans un important succès éditorial. Dans ce récit vendu à des milliers d’exemplaires25, commercialisé sous une troisième édition pas plus tard qu’en 2011 et qui est présenté sur le site de l’éditeur comme « the standard text used in Art History courses »26, quelles sont les opinions idéologiques véhiculées par la narration, la structure sémantique, la syntaxe, le lexique? Quel portrait dresse ce récit de la production artistique du Québec? Tel qu’en fait état notre analyse, la mise en récit élaborée par Reid dans les années 1970 n’a guère connu de modifications significatives depuis. Ceci pose, à notre avis, un problème potentiel au niveau de l’actualisation des représentations véhiculées et nécessite un travail de réflexion critique à propos de ce qu’il est de nos jours acceptable ou non de produire en termes de discours historiques sur les arts au Québec.

Nous nous intéressons à ce que la Critical Discourse Analysis nomme « idéologies » en référence aux « systèmes sociocognitifs des représentations mentales socialement partagées qui contrôlent d’autres représentations mentales telles que les attitudes des groupes sociaux (y compris les préjugés) et les modèles mentaux »27. Cette forme d’analyse sociopolitique du discours se donne comme objectif non seulement de redéfinir ce que sont les idéologies28, mais cherche également, « de façon systématique,

24 À ce propos, nous tenons à souligner l’ambiguïté volontaire de cette périodisation. Il ne nous est en effet pas possible de

déterminer à quelle époque précisément ces auteurs élaborèrent leurs récits, celle-ci pouvant découler d’une réflexion menée sur plusieurs décennies. Nous supposons cependant que la décision d’une maison d’édition de publier un ouvrage, et à plus forte raison lorsque l’ouvrage fait l’objet d’un second passage sous presses, témoigne d’un certain partage des conceptions défendues par l’ouvrage par une part de la communauté à une époque donnée. D’ailleurs, le croisement des récits révèle rapidement une parenté entre ceux-ci, confirmant l’existence de représentations socialement partagées à propos de l’art canadien.

25 La préface de la troisième édition souligne que les ventes des deux premières éditions dépassent à ce moment-là les

60 000 exemplaires. Dennis Reid, « Preface to the Third Edition », A Concise History of Canadian Painting, Toronto, Oxford University Press, 2011, p. XIX.

26 « Considered the definitive volume on Canadian art, this is the standard text used in Art History courses ». Oxford

University Press. « A Concise History of Canadian Painting » [En ligne],

https://www.oupcanada.com/catalog/9780195444568.html (Page consultée le 16 octobre 2017).

27 Dominique Maingueneau et Patrick Charaudeau (éds.). Dictionnaire d’analyse du discours. Paris, Seuil, 2002, p. 303 28 Le terme « idéologie » fit l’objet de nombreuses définitions au cours des décennies, tel que l’illustre ce résumé par

Maingueneau et Charaudeau : « Malgré des différences notables, un consensus se dégage dans les années 60-70 pour définir l’idéologie comme "un système global d’interprétation du monde social" (Aron 1968) […]. Depuis les années 80, le terme d’"idéologie" a perdu du terrain au profit d’autres expressions comme doxa ou représentation ». Plus loin, les

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par quelles structures sémantiques (les sujets, la cohérence), la syntaxe (l’ordre des mots, etc.), le lexique, les actes de langage, etc., les opinions idéologiques se manifestent dans le texte et la parole »29. La perspective que nous adoptons est donc celle de la réception de ces discours par le destinataire en considérant que la structure narrative qui organise ces récits a le potentiel d’influencer la structure à partir de laquelle le lecteur ordonne sa propre représentation mentale de l’art au Québec. Ainsi, si un récit historique présente la production artistique en sol québécois comme secondaire à une autre, cela risque d’influencer négativement l’appréciation de cette même production par le destinataire du discours.

Ce projet de maîtrise pose une réflexion sur l’espace et le rôle accordés aux artistes, aux œuvres et aux institutions artistiques du Québec dans les récits d’histoire des arts canadiens. Une analyse effectuée sur sept ouvrages publiés entre 1925 et 1973 met en évidence la structure narrative sous-jacente aux récits. L’analyse comparative de leur structure narrative révèle l’inclusion graduelle, mais partielle, de particularités propres à la production artistique du Québec par une complexification du schéma narratif. Néanmoins, nous soutenons que dans ces récits, et ce malgré une volonté manifeste de la part de certains auteurs de reconnaitre la spécificité culturelle des communautés canadienne-française et canadienne-anglaise, la production artistique du Québec se trouve la plupart du temps relayée aux marges de l’histoire de l’art au Canada. Ces recherches concernent, dans une perspective historique, la manière dont fut inscrite une communauté artistique et culturelle spécifique dans les récits nationaux. Ce mémoire fait ainsi la démonstration qu’il ne suffit pas d’inscrire une communauté au récit, encore faut-il penser une structure narrative qui la comprend dans son historicité et ses spécificités.

Analyse du discours

L’analyse du discours se définit comme « l’analyse des modes d’énonciation supportant une structure idéologique »30. Il s’agit d’une pratique critique qui, appliquée à notre sujet d’étude, permet d’étudier méthodiquement l’espace et le rôle accordés aux artistes, aux œuvres et aux institutions artistiques du Québec au sein de différents discours, dans le but de mettre en évidence la structure narrative sous-jacente. Cette structure narrative correspond à la façon dont ces divers éléments sont mis en relation,

auteurs précisent que ce terme, « avec tout ce qu’il véhicule comme idée de "système", de "cohérence" et de "globalité", s’accorde mal avec cette insistance nouvelle sur les phénomènes de contradiction et d’intrication ». Ibid., p. 300-302.

29 Ibid., p. 303.

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ou articulés, à l’intérieur d’un récit. Nous employons le terme « récit » en référence à cette « couche verbale qui prend en charge la mise en texte de l’histoire »31.

Conformément à la définition proposée dans le Dictionnaire d’analyse du discours, nous considérons que « pour qu’il y ait récit, il faut d’abord la représentation d’une succession temporelle d’actions; il faut ensuite qu’une transformation plus ou moins importante de certaines propriétés initiales des actants soit réalisée ou échoue; il faut enfin qu’une mise en intrigue structure et donne sens à cette succession d’actions et d’évènements dans le temps »32. Selon le théoricien littéraire français Gérard Genette, « c’est à ce niveau textuel que l’ordre chronologique de l’histoire racontée est ou non bousculé (ordre), que des faits sont résumés ou, au contraire, développés (vitesse). C’est à ce niveau de la textualisation également que peuvent s’intercaler des descriptions, des dialogues ou des commentaires »33. Transposée au domaine de l’histoire de l’art, cette méthode permet de jeter un regard critique sur la mise en narration d’un volet spécifique de l’histoire artistique nationale à différentes époques telle qu’en témoigne l’historiographie. Nous souhaitons mettre en lumière la charpente idéologique sur laquelle reposent ces divers textes. Des constances et des divergences peuvent dès lors être identifiées par croisement des objets du corpus. Notre outillage méthodologique se compose donc principalement des éléments suivants, empruntés à l’analyse de discours.

Structure narrative

La première étape de notre analyse consiste en une lecture approfondie de chacun des ouvrages, considérés d’abord séparément afin de saisir les modalités du récit. Si l’on s’accorde sur le fait qu’un récit correspond à la mise en relation, par une narration suivie et articulée, de diverses composantes du champ artistique canadien, l’enquête nécessite donc a priori de procéder à l’identification de ces composantes au sein de chacun des objets de notre corpus. Nous cherchons ensuite à comprendre l’articulation de ces unités telle que tissée par l’auteur pour former une trame narrative. Il est ainsi démontré que, bien que le matériau de base soit sensiblement le même, les « récits historiques » qui en résultent diffèrent d’un auteur à l’autre, et ce à divers degrés. Nous nous intéressons également au vocabulaire qui, parfois, révèle une certaine hiérarchie entre les composantes du champ artistique. Cette étape, à la visée essentiellement descriptive, s’attarde aussi à situer les mots et les énoncés anciens dans leur contexte d’énonciation premier en prenant comme postulat que « la simple mention d’un terme d’époque ne garantit aucunement que l’effet produit par ce mot soit aujourd’hui le même

31 Ibid., p. 486. 32 Ibid., p. 484. 33 Ibid., p. 486.

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que ce qu’il était autrefois »34. Enfin, l’objet du livre même est analysé afin, par exemple, de déterminer s’il contient un seul ou plusieurs récits, interconnectés ou non.

Au niveau de l’intégrité physique de l’objet, nous considérons également l’ensemble des illustrations. Le registre que nous avons ainsi produit recense un total de 924 œuvres illustrées, dont seules 77 figurent dans plus d’un ouvrage35. De plus, au-delà de la fréquence d’apparition d’une illustration, nos paramètres considèrent le format de l’image, son positionnement sur la page, sa relation au texte, ainsi que la qualité de la reproduction en couleur ou en nuances de gris. S’attarder aux choix des œuvres reproduites s’avère très révélateur puisque participant parfois, en complément du texte, d’un facteur de mise en valeur d’un artiste ou d’une œuvre spécifique.

Hétérogénéité intratextuelle

Le second volet de l’analyse vise à identifier la présence d’une possible hétérogénéité intratextuelle36 correspondant aux contradictions internes de l’ouvrage. L’analyse du discours nous apprend en effet qu’il y a parfois cohabitation de deux représentations au sein d’un même texte sans être pour autant compatibles. La notion de « polyphonie », un terme emprunté à la musique, peut également être employée en référence « au fait que les textes véhiculent, dans la plupart des cas, beaucoup de points de vue différents »37, ou plus d’une voix.

Intertextualité

Enfin, l’analyse du discours tient pour postulat que « tout discours est traversé par l’interdiscursivité »38 ou, pour le dire autrement, que tout discours « a pour propriété constitutive d’être en relation multiforme avec d’autres discours, d’entrer dans l’interdiscours »39. Pour faire un parallèle avec le champ des études littéraires, l’interdiscours « est au discours ce que l’intertexte40 est

34 Fleck, op. cit., p. 23.

35 L’étude des illustrations fut menée sur les éditions suivantes : la réimpression de 1973 de l’ouvrage de MacTavish; les

éditions originales de chacun des ouvrages de McInnis; la réimpression de 1967 de l’ouvrage de Colgate; l’édition française du récit de Hubbard, parue en 1963; de même que l’édition française de 1966 de l’ouvrage de Harper; et, pour finir, la troisième édition du récit de Reid, parue en 2012. Les résultats viennent appuyer, voir confirmer, certaines observations que nous tirons des textes. Toutefois, l’usage des illustrations aurait pu faire l’objet d’un chapitre en soit : nous avons cependant choisi de concentrer notre réflexion sur le texte. Il n’est pas exclu que nos observations concernant les illustrations fassent un jour l’objet d’une publication.

36 « […] la mise à jour de représentations qui s’opposent les unes aux autres et qu’on peut pourtant inférer à partir de

l’analyse d’un même texte ». Patricia Von Munchow, « Analyse du discours approches critiques et hétérogénéités », dans Johannes Angermuller et Gilles Philippe (dir.). Analyse du discours et dispositifs d’énonciation. Autour des travaux de Dominique Maingueneau. Limoges, Lambert-Lucas, 2015, p.24.

37 Maingueneau et Charaudeau (éds.), op. cit., p. 444. 38 Ibid., p. 324.

39 Idem.

40 La notion d’intertextualité, développée par Julia Kristeva, réfère à une « propriété constitutive de tout texte et ensemble

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au texte »41. C’est notamment à l’intérieur de cette catégorie du discours social qu’entrent les stéréotypes et les clichés, ces « expression[s] figée[s] qui renvoie[nt] à l’opinion publique, à un savoir qui circule dans une communauté à un moment donné de son histoire »42.

L’intertextualité, troisième volet de notre outillage méthodologique, correspond à « l’ensemble des relations explicites ou implicites qu’un texte ou un groupe de textes déterminé entretient avec d’autres textes »43. Il s’agit de cette part de notre projet visant à faire l’étude contrastée d’un corpus en apparence homogène, mais dont la lecture attentive fait émerger des subtilités du discours et permet d’en identifier les éléments qui persistent dans le temps. Cette méthode met en évidence des « couches » plus ou moins anciennes du discours. Car si des changements sont effectivement observables, ceux-ci sont rarement draconiens puisque, pour reprendre les termes de Patricia von Munchow, « Il y a hybridité et changement, mais le changement est-il jamais complet ? »44

Le croisement de ces récits de l’histoire de l’art au Canada permet de plus d’émettre des hypothèses quant aux causes de décalages observés au niveau de l’hétérogénéité intratextuelle. Une approche sociocognitive du discours préconise une conception souple de « l’articulation entre ce qui est individuel et ce qui est collectif dans le discours - [permettant] ainsi d’attribuer une place au sujet sans surestimer sa maîtrise – mais aussi de penser les différences de cultures en évitant l’écueil du déterminisme et de l’essentialisme »45. Il s’agit en effet non pas d’en nier l’existence, mais d’adopter une vision dynamique des cultures dont l’existence effective se trouve confirmée par les cas d’hétérogénéité46.

Ainsi, nous sommes en mesure de nous interroger sur une possible opposition entre le discours individuel et le discours collectif, c’est-à-dire entre les représentations de l’auteur et celles du discours « à tenir », en référence à une « culture discursive » circulant dans la société à laquelle il appartient. L’analyse du discours nous apprend notamment qu’il est possible qu’un auteur recoure à une argumentation relevant de positions inverses, et ce « même si elles peuvent être considérées comme allant à l’encontre de la thèse défendue, dans le but d’augmenter ses chances de convaincre son public »47. Dans le même ordre d’idée, il est également possible que les cas d’hétérogénéité relèvent

reprendre la définition proposée dans Maingueneau et Charaudeau en page 327. Cette notion peut également être

rapprochée du concept de « transtextualité » développée par Gérard Genette dans son ouvrage Palimpsestes : la littérature au second degré (Paris, Éditions du Seuil, 1982).

41 Maingueneau et Charaudeau (éds.), op. cit., p. 324. 42 Ibid., p. 545.

43 Ibid., p. 327.

44 Von Munchow, op. cit., p.26-27. 45 Ibid., p.27.

46 Idem. 47 Ibid., p.25.

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de ce que Von Munchow nomme une « synchronisation difficile des représentations » : « Ainsi l’hétérogénéité peut être due à la coexistence de représentations contradictoires à l’intérieur d’une même société – autrement dit, à une forme d’hybridité culturelle – ou encore à la juxtaposition de différents niveaux de référence ou d’appartenance pour un locuteur (français ou européen, par exemple) »48. C’est à ce niveau que le croisement intertextuel de ces récits met en relief la coexistence de conceptions différentes au sein de la société qu’il est par la suite possible d’inférer à un phénomène de « synchronisation non aboutie » au niveau temporel ou sur le plan spatial49. L’application de ce cadre théorique à notre corpus permet de faire émerger des textes différentes notions, centrales dans la pensée des auteurs. Celles-ci seront explicitées au moment opportun au fil des chapitres, suivant leur émergence des textes.

Des types de structure narrative mis en évidence

Notre propos s’articule en trois chapitres témoignant des principaux types de structures narratives mis en évidence au cours de nos analyses. Les caractéristiques de ces structures sont traitées en deux chapitres distincts, soit le chapitre 2. Généalogie artistique linéaire, et le chapitre 3. Généalogie artistique buissonnante. Le premier chapitre, intitulé Le passage de notices biographiques autonomes à une première mise en récit historique, aborde quant à lui la structure narrative mixte caractérisant le premier ouvrage de notre corpus.

Ces intitulés réfèrent à une typologie que nous proposons pour qualifier les principales particularités récurrentes dans la mise en narration de l’histoire de l’art au Canada telles qu’observable au sein de notre corpus. Bien que nous empruntions en partie la notion de « généalogie artistique » à l’historien de l’art français Éric Michaud, il convient de signaler que nous en redéfinissons les paramètres en fonction de notre objet d’étude. Cette notion étant le reflet de nos observations à la suite des analyses, nous assurons le lecteur qu’elle prendra toute sa consistance au fil des chapitres.

Nous devons reconnaitre qu’un plein usage des ressources offertes par l’analyse du discours nécessiterait d’inclure l’ensemble des discours de tous types produits par chacun des auteurs. N’ayant malheureusement pas les ressources nécessaires pour entreprendre une telle entreprise dans le cadre d’un mémoire de maîtrise, nous espérons que ce projet convaincra d’autres chercheurs de la pertinence de poursuivre dans cette voie et contribuera à stimuler des recherches postérieures.

48 Idem.

49 Une synchronisation temporelle non aboutie correspond, selon Von Munchow, à la coexistence de représentations

anciennes et contemporaines à l’auteur. À l’inverse, une synchronisation spatiale non aboutie découle possiblement de l’appartenance d’un auteur à la fois à un niveau canadien (national), ontarien (provincial) ou même torontois (à l’échelle d’une ville).

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Chapitre 1. Le passage de notices biographiques autonomes à

une première mise en récit historique

Contrairement à ce que pourrait laisser croire l’intitulé de notre projet de recherche, l’historiographie de l’art au Canada remonte bien au-delà des années 192050. Tel que le démontrent les travaux de Nathalie Miglioli réalisés dans le cadre d’un projet de maîtrise, une écriture sur l’art est déjà présente sous forme de microrécits sur l’art au Québec au sein de monographies paroissiales rédigées entre 1854 et 192651. Pour leur part, les auteures à l’origine de l’ouvrage Art et architecture au Canada : bibliographie et guide de la documentation jusqu’en 1981 signalent que divers articles publiés au début du XIXe siècle témoignent de l’intérêt que portent les contemporains envers les artistes de l’époque et des décennies antérieures : « Un des plus anciens documents cités dans Art et architecture au Canada est un article de cinq pages paru dans Bibliothèque canadienne en 1825 (no. 1300) et intitulé “Arts libéraux et mécaniques” »52. Plus loin, nous apprenons que « Les premiers “livres d’art” au Canada furent des livrets descriptifs publiés au Québec à partir des années 1830. En règle générale, ils renferment la liste et la description des bâtiments historiques ainsi que des collections d’objets d’art retrouvés dans les églises et les collèges anciens »53. Selon ces mêmes auteures, « La série des longs essais sur la peinture, la sculpture et l’architecture rédigés par un certain nombre d’auteurs et d’artistes pour l’ouvrage encyclopédique Canada and Its Provinces (1914) représente le premier apport d’importance à des écrits sur l’art au sens moderne du terme »54.

C’est à un même constat qu’arrive Laurier Lacroix : il faut attendre la fin du XIXe siècle pour qu’émerge une prise de conscience à propos de l’historicité de l’art canadien55 et que, par conséquent, se développent les premiers travaux d’histoire de l’art. L’écriture portant sur les arts visuels au Canada acquiert dès lors une certaine consistance à travers la publication de documents d’archives, de mémoires, de guides touristiques et même de monographies. Cela dit, pour citer de nouveau Loren R. Lerner et Mary F. Williamson, « La critique écrite sur l’art et l’architecture de même que l’apparition de l’histoire de l’art au Canada en tant que discipline, sont un phénomène relativement récent, et

50 Pour un résumé exhaustif de l’historiographie de l’art au Canada, nous conseillons au lecteur le chapitre « Writing Art

History in the Twentieth Century » rédigé par Laurier Lacroix pour l’ouvrage The Visual Arts in Canada : the Twentieth Century publié sous la direction d’Anne Whitelaw, Brian Foss et Sandra Paikowsky. Notre résumé repose en majeure partie sur ce chapitre.

51 Nathalie Miglioli, Les monographies paroissiales (1854-1926) : micro récits sur l'art au Québec, Mémoire de maîtrise,

Montréal, Université du Québec à Montréal, 2008. 110 p.

52 Loren R. Lerner et Mary F. Williamson (éd.), « Préface » dans Art et architecture au Canada : bibliographie et guide

de la documentation jusqu’en 1981, Toronto, University of Toronto Press, 1991, p. xxviii.

53 Idem.

54 Ibid., p. xxviii-xxix. 55 Lacroix, op. cit., p. 414

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seulement une poignée d’auteurs bien informés se sont chargés de rédiger la plupart des études critiques valables qui ont paru avant la Deuxième Guerre mondiale »56.

Progressivement, l’écriture sur l’art s’opère dans une perspective de recherche de la spécificité artistique du pays nouvellement créé. Les auteurs sont principalement des membres éminents de la communauté artistique : des collectionneurs et des connaisseurs, certes, mais également des artistes membres de l’Académie Royale des arts du Canada fondée en 1880. Lacroix signale à titre d’exemple que « contributors to volume four of Canada: An Encyclopedia of the Country, published in 1898, included Robert Harris, William A. Sherwood, and Hamilton MacCarthy »57. Dans ce contexte de développement d’une culture nationale, ces premiers écrits adoptent majoritairement la forme de notices biographiques regroupées en catégories suivant le médium d’expression ou le groupe auquel collabore l’artiste. Il faut attendre les années 1920 et la publication de The Fine Arts in Canada par Newton MacTavish pour que paraisse le premier ouvrage adoptant, en partie, la forme d’une mise en récit historique faisant état de l’histoire de la production artistique canadienne.

1.1 La participation du Canada à la production de l’art universel

The Fine Arts in Canada58 publié en 1925 jette le pont entre ces microrécits et une première mise en

récit articulée et suivie de la production artistique canadienne dans la durée. S’il faut en croire l’introduction rédigée par Robert McMichael pour la réimpression en 1973 de l’édition originale, cet ouvrage figure parmi « the first, if not the very first, comprehensive survey of the art scene in Canada »59. Même si le succès de ce premier récit demeure modeste60, son intégration à la présente analyse est primordiale puisqu’il constitue la base des récits postérieurs. Parmi les auteurs des autres ouvrages figurant à notre corpus, nulle n’ignore l’existence de The Fine Arts in Canada. Si ce titre apparait d’ailleurs textuellement dans le corps du texte ou en guise de référence dans l’ensemble des titres de notre corpus, l’analyse du discours permet de mettre en évidence certaines articulations narratives qui, d’abord en usage chez MacTavish, s’observent dans la mise en récit des ouvrages subséquents61. La persistance dans le temps de ces représentations témoigne, à notre avis, d’une

56 Lerner et Williamson (éd.), op. cit., p. xxix. 57 Lacroix, op. cit., p. 415.

58 Newton MacTavish, The Fine Arts in Canada, Toronto, The Macmillan Company of Canada Limited, 1925. 59 McMichael, Robert, D. Litt., « Introduction » dans MacTavish, Ibid, p. III.

60 « Probably limited to less than one thousand copies » s’il faut en croire l’éditeur de la réimpression de 1973. Robert

McMichael, Idem.

61 La présente analyse ne permet pas d’affirmer que MacTavish est à l’origine de l’élaboration de telles formules

narratives. Une étude élargie comprenant l’ensemble des écrits de l’époque et des années précédentes offrirait

possiblement une piste de réponse à cette question. Pour notre part, nous envisageons le texte de MacTavish comme un outil nous permettant de sonder la pensée de l’époque et d’observer la persistance de certaines représentations.

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certaine forme de « cristallisation »62 de certaines conceptions à propos de l’art au Canada lorsqu’abordé dans une perspective d’ensemble. L’analyse du discours jette une part de lumière sur ce phénomène de stratification en jeu dans la construction du savoir historique.

Nous distinguons à l’intérieur des pages rédigées par MacTavish quatre types de structures narratives se succédant. Tout d’abord, les cinq premiers chapitres déploient sur 47 pages un récit linéaire et chronologique des évènements, des artistes et des œuvres marquants depuis « I. The Beginnings of Art in Canada »63 au « V. The Dawn of Promise »64, parcourant ainsi un peu plus de 55 ans en 47 pages.65 La temporalité du récit ralentit ensuite pour se concentrer autour des premières décennies du XXe siècle. Le déroulement dans le temps s’en trouve moins marqué et ne constitue plus le fil conducteur du récit. Divisés par thématiques, les chapitres suivants abordent chacun un aspect différent et significatif du développement des arts en ce début du siècle : « VI. The National Gallery and the Schools of Art », « VII. The Sisters Arts », «VIII. The Canadian Art Club » et « IX. An Awakening Interest ». Cette mise en récit historique prend fin avec le neuvième chapitre, tel qu’en atteste le résumé récapitulatif figurant à la page 81. Malgré l’intégration d’éléments touchant à l’histoire de la littérature, de la poésie et de la musique, ce récit est principalement celui du médium pictural, en accord avec ce qui est annoncé en préface66, ce qui explique notamment la nécessité du chapitre intitulé « The Sisters Arts », consacré à la narration des évènements significatifs du tournant du siècle dans le développement des autres domaines de l’activité artistique67.

À la suite de ce récit, l’auteur effleure la question de la sculpture (X), suivie de l’architecture (XI). Ces deux sections se présentent comme des microrécits autonomes en parallèle du récit principal, adoptant leur rythme particulier et une périodisation distincte.

Les pages subséquentes présentent une suite de huit biographies individuelles, chacun des chapitres 12 à 19 traitant d’un artiste peintre identifié par l’auteur. Ainsi, en ouverture du douzième chapitre, MacTavish explique que « Just here it is enlightening to consider individually the art and

62 Nous utilisons ce terme, « cristallisation », en référence au phénomène de répétition d’une même structure narrative,

incluant les acteurs principaux et les concepts du récit, que l’on retrouve appliquée pour une même période dans plusieurs, sinon l’ensemble des récits de notre corpus. Lorsqu’appliqué à une idée, ce terme revoie à l’action de « se fixer » : dans le cas présent, il référence à la répétition de cette structure narrative dans le temps, via différents ouvrages et auteurs, jusqu’à fixer la mise en narration d’une période spécifique.

63 MacTavish, « I. The Beginnings of Art in Canada », op. cit., p. 1-7. 64 MacTavish, « V. The Dawn of Promise », Ibid., p. 35-47.

65 Voir en annexe la Figure 3. Déploiement sur une ligne du temps de la mise en récit de MacTavish, The Fine Arts in

Canada (1925), p.139.

66 « [This book] whole purpose is to make known something about the progress of art, particularly the fine art of painting,

in a country where art has not yet become an urgent national need ». MacTavish, « Preface », Ibid., p. vii.

67 Les premières lignes de ce chapitre en témoignent : « Canada was achieving now something in the art of painting. Was

she achieving anything in the other arts? Anything worth the attention of critics in music, in literature, in the drama? » MacTavish, « VII. The Sisters Arts », Ibid., p. 57.

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achievements of a few native painters who contributed to our artistic awakening »68. Pour chacun, une formule semblable est déployée : l’auteur débute par une justification de la sélection de cet artiste particulier pour cette liste restreinte; MacTavish élabre ensuite sur l’implication de l’artiste dans le milieu artistique; discute de sa production; puis inscrit en conclusion une énumération des faits les plus notables de sa carrière69. Les peintres suivants voient ainsi leur production artistique largement et distinctement relatée : Homer Watson (XII)70 en premier, suivi de George A. Reid (XIII)71, James Wilson Morrice (XIV)72, Horatio Walker (XV)73, Curtis Williamson (XVI)74, Maurice Cullen (XVII)75 et John Russell (XVIII)76. M. A. Suzor-Coté complète la liste :

As much credit for artistic achievement as one might give to the French Canadian race, no other people single-handed, has done more to held that credit firm than M. A. Suzor-Côté. […] on his return to Canada, and ever since that time, he had devoted all his energies and talents to the task of presenting in artistic form the picturesque and homely beauties of the Quebec countryside and the quaint types to be found there. In doing so he has become pre-eminently the artistic champion of the habitant, the one who above all others has depicted with genuine sympathy and affection the history, traditions and legends of his own people.77

Signalons que la carrière de ce peintre par excellence de l’habitant et représentant émérite du peuple canadien-français fait l’objet d’une discussion s’étirant sur deux pleines pages, constituant de ce fait la plus brève de ces huit biographies.

Ainsi, après avoir survolé l’ensemble des développements culturels et politiques du début du siècle, le récit plonge en profondeur dans la production artistique de cette même période en abordant en

68 MacTavish, « XII. Homer Watson », Ibid., p. 92.

69 À titre d’exemple, l’auteur discute notamment des divers titres de reconnaissance et des médailles remportées, ainsi que

des postes d’enseignement occupés par ces artistes. Les différentes associations auxquelles participa chacun sont également mentionnées.

70 « Just here it is enlightening to consider individually the art and achievements of a few native painters who contributed

to our artistic awakening. Taken chronologically, the first to these was Homer Watson, R.C.A. ». MacTavish, « XII. Homer Watson », op. cit., p. 92.

71 « […] he became one of the pioneers in mural painting in Canada ». Newton MacTavish, « XIII. George A. Reid »,

Ibid., p. 97.

72 « James Wilson Morrice was born in Montreal in 1869, and died in Tunis in 1924. Considering his recognition, both in

Canada and abroad, he might be regarded as the most distinguished Canadian painter ». MacTavish, « XIV. James Wilson Morrice », Ibid., p. 100.

73 « Horatio Walker, another Canadian painter who made a reputation abroad, particularly in the United States, is a good

example of the self-made artist ». MacTavish, « XV. Horatio Walker », Ibid., p. 103.

74 « Curtis Williamson, R.C.A., is regarded by his fellow artists as an outstanding portrait and figure painter, a genre

painter of unusual distinction and as well a landscapist of poser and sympathy. To the general public he has not tried to appeal; therefore his work is not well known as it should be ». MacTavish, « XVI. Curtis Williamson », Ibid., p. 108.

75 « It is remarkable fact that in Canada we have only a half-dozen artists who paint well our most phenomenal phase of

nature. But for years Maurice Cullen has rendered snow upon canvas studiously and consistently, until we now regarded him as the interpreter par excellence of what is pre-eminently a glorious contribution to the Canadian winter ».

MacTavish, « XVII. Maurice Cullen », Ibid., p. 112.

76 « Since the death in 1924 of J. W. Morrice, John Russell is the best known Canadian painter living in Paris ».

MacTavish, « XVIII. John Russell », Ibid., p. 119.

Figure

Tableau 1. Présentation synthétique du corpus
Figure 1. Déploiement dans le temps du corpus (éditions originales)
Figure 2. Déploiement dans le temps du corpus (éditions originales, rééditions et traductions)
Figure 3. Déploiement sur une ligne du temps de la mise en récit de MacTavish, The Fine Arts in Canada (1925)
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