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Éléments de droit public - Version septembre 2020

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(1)

ÉLÉMENTS DE DROIT PUBLIC

Considérations générales et particularités belges

Frédéric B

OUHON

Chargé de cours à l’Université de Liège

et

Xavier M

INY

Doctorant (Boursier FRESH) à l’Université de Liège

Syllabus partiel et provisoire

Université de Liège

(2)

TABLE DES MATIERES

AVANT-PROPOS ... 6

CHAPITRE 1ER – LE DROIT ET L’ÉTAT ... 7

A.- CONSIDERATIONS GENERALES... 7

1) Le Droit ... 7

a) Définitions : droits objectif, subjectif et positif ... 8

b) Notion de norme juridique ... 9

c) Droit, justice et légitimité ... 11

d) Ordres juridiques et ordre juridique étatique ... 15

e) Droit privé et droit public ... 16

2) L’État ...17

a) Définition générale ... 17

b) Une brève Histoire de l’État ... 18

c) L’État sous l’angle juridique : les attributs et éléments d’émergence de l’État ... 29

1. Souveraineté et monopole de la violence ... 29

2. Conditions d’émergence ... 31

a. Territoire... 32

b. Communauté humaine : population, nation et citoyenneté ...35

c. Gouvernement et organisation politique ... 38

d. La question de la reconnaissance ... 39

3. Disparition des États ... 39

B.- PARTICULARITES BELGES ... 41

1) L’État belge dans l’histoire ... 41

2) La Belgique forme un ordre juridique étatique ... 43

a) Territoire ... 44

b) Population ...45

c) Organisation politique ... 46

d) Reconnaissance internationale ... 47

CHAPITRE 2 – LA CONSTITUTION ... 48

A.- CONSIDERATIONS GENERALES... 48

1) Définitions : constitutions formelle et matérielle ... 48

2) Adoption de la constitution formelle ... 54

3) Modification de la constitution formelle ... 56

B.- PARTICULARITES BELGES ... 60

1) Adoption de la constitution formelle en 1831 ... 60

2) Révision de la Constitution formelle ... 62

3) Contenu et structure actuels de la Constitution formelle ... 67

4) Constitution matérielle ... 69

CHAPITRE 3 - LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE ... 74

(3)

1) Transmission héréditaire du pouvoir ... 74

2) Traits majeurs des monarchies constitutionnelles ... 78

3) Par contraste : la République ... 82

B.- PARTICULARITES BELGES ... 86

1) Transmission héréditaire du pouvoir en Belgique ... 86

2) Traits majeurs de la monarchie constitutionnelle belge ... 97

CHAPITRE 4 – LE FEDERALISME ... 101

A.- CONSIDERATIONS GENERALES... 102

1) Définitions : État fédéral, confédération, État unitaire et État régional ... 102

2) Traits majeurs du fédéralisme ...110

3) Exemples d’États fédéraux ... 115

B.- PARTICULARITES BELGES ... 120

1) L’évolution de la Belgique de 1831 à 1970 ... 120

2) Les caractéristiques du système fédéral belge ... 125

a) Quatre régions linguistiques, trois Communautés, trois Régions ... 126

b) La répartition des compétences entre l’Autorité fédérale, les Communautés et les Régions 131 c) Un fédéralisme asymétrique ... 140

3) Déconcentration et décentralisation en Belgique ... 145

a) Déconcentration ... 146

b) Décentralisation ... 146

CHAPITRE 5 - LA DEMOCRATIE REPRESENTATIVE ... 151

A.- CONSIDERATIONS GENERALES... 151

1) Définition ... 151

2) Démocratie directe et démocratie représentative ... 152

3) Réflexions sur la démocratie représentative ... 156

4) Les modes de scrutin ... 159

B.- PARTICULARITES BELGES ... 170

1) La démocratie directe... 170

2) La démocratie représentative ... 174

CHAPITRE 6 - L’EQUILIBRE ET L’EXERCICE DES POUVOIRS ... 188

A.- CONSIDERATIONS GENERALES... 188

1) La division tripartite des Pouvoirs ... 189

2) De la séparation à l’équilibre des pouvoirs ... 197

B.- PARTICULARITES BELGES ... 203

1) Le pouvoir législatif... 204

2) Le pouvoir exécutif ...217

3) Le pouvoir judiciaire ... 222

4) Fédéralisme et exercice des pouvoirs ... 230

CHAPITRE 7 - LE PARLEMENTARISME ... 232

(4)

1) Origines et caractéristiques du parlementarisme ... 233

2) La responsabilité du gouvernement devant le parlement ... 237

3) Le pouvoir de dissoudre le parlement ... 244

4) Autres modèles institutionnels ... 246

a) Le régime présidentiel ... 246

b) Le régime semi-présidentiel ... 249

B.- PARTICULARITES BELGES ... 255

1) Le parlementarisme au niveau fédéral ... 255

2) Le parlementarisme au niveau des entités fédérées ... 270

CHAPITRE 8 - L’ÉTAT DE DROIT ... 272

A.- CONSIDERATIONS GENERALES... 273

1) Définition ... 273

2) La conception formelle de l’État de droit ... 278

3) La conception matérielle de l’État de droit ... 280

4) Le contrôle juridictionnel du respect de l’État de droit... 282

5) État de droit et état d’exeption ... 287

B.- PARTICULARITES BELGES ...290

1) La pyramide des normes en Belgique ... 291

2) Le contrôle du respect de la hiérarchie des normes ... 296

a) Le contrôle de la conformité des normes législatives – la Cour constitutionnelle ...297

b) Le contrôle de la conformité des normes exécutives et administratives ... 303

1. Un contrôle relativement concentré : le Conseil d’État ... 304

2. Un contrôle diffus : l’exception d’illégalité... 306

c) Le contrôle de la conformité des arrêts et jugements ... 307

d) Une pyramide plus précise des normes en Belgique ... 309

3) La responsabilité civile de l’État ... 310

CHAPITRE 9 - LE DROIT INTERNATIONAL PUBLIC ... 312

A.- CONSIDERATIONS GENERALES... 312

1) Définition ... 312

2) Les sources du droit international public ... 315

a) Le traité ... 317

b) La coutume ... 322

3) Les acteurs du droit international public ... 325

a) Généralités ... 326

b) Présentation de deux organisations internationales majeures ... 328

1. L’Organisation des Nations Unies ... 328

2. L’Union européenne ... 333

4) Effets du droit international dans l’ordre juridique national ... 343

B.- PARTICULARITES BELGES ... 348

1) La politique étrangère de la Belgique ... 348

2) Procédure de conclusion des traités propre à la Belgique ... 352

(5)

CHAPITRE 10 - LES DROITS FONDAMENTAUX ...364

A.- CONSIDERATIONS GENERALES... 364

1) Fonction et origine des droits fondamentaux ... 366

2) Diversité des sources nationales et internationales ... 375

a) Sources nationales ... 376

b) Sources internationales ... 383

3) Précisions relatives à la Convention européenne des droits de l’homme ... 390

(6)

A

VANT

-

PROPOS

Le présent syllabus constitue un support complémentaire et partiel pour le cours

d’Introduction au droit public dispensé notamment aux étudiants inscrits en

bachelier en sciences humaines et sociales et en bachelier en information et

communication, ainsi que pour le partim « droit public » du cours intitulé Le

droit dans ses relations avec le monde économique et enseigné aux étudiants de

bachelier en sciences de gestion et en ingénieur de gestion (HEC-ULiège).

Ce syllabus est un outil complémentaire et n’est dès lors pas considéré comme un

support obligatoire. La matière utile pour l’examen se limite à celle qui

est présentée oralement lors des séances hebdomadaires du cours et

qui repose sur le plan détaillé transmis aux étudiants au début du quadrimestre.

Le syllabus contient davantage de détails et d’exemples. Il doit permettre aux

étudiants de préparer les séances et de vérifier s’ils ont bien compris la matière

enseignée. Il leur offre aussi l’occasion d’approfondir certains points et de

découvrir des références supplémentaires, notamment à la littérature scientifique

pertinente.

Les auteurs accueilleront avec bienveillance les remarques des étudiants qui

identifieraient des passages à améliorer. Ces remarques peuvent être transmises

par le biais des adresses électroniques suivantes : xavier.miny@uliege.be ou

f.bouhon@uliege.be.

(7)

C

HAPITRE

1

ER

L

E DROIT ET L

’É

TAT

1. -

Introduction du chapitre – Pour ouvrir l’étude des Éléments du droit

public à laquelle est dédié ce manuel, deux grandes notions autour desquelles

graviteront nos développements doivent être correctement comprises : il s’agit

des notions de Droit et d’État. Le droit – en particulier, le droit public – est le

premier objet étudié. Certes, chacun a une idée approximative de ce dont il s’agit,

mais il est utile de comprendre plus en détail la notion avant d’analyser des

questions plus ciblées. L’État quant à lui est le concept-clé du droit public, dans

la mesure où cette branche du droit, nous le verrons, comprend les règles qui

l’organisent et définissent ses relations avec d’autres acteurs, comme les

particuliers ou les autres États. Ces deux concepts sont complexes et ont donné

lieu à une vaste littérature, parfois à des ouvrages qui y sont entièrement

consacrés. Ils suscitent encore de fréquentes discussions parmi les juristes

1

, mais

aussi parmi les politologues, les sociologues ou encore les économistes. Nous

nous bornerons ici à proposer des définitions élémentaires, partant critiquables,

dans le but de construire un socle pour la suite de l’étude et de permettre aux

lecteurs d’éviter les confusions, les équivoques et les ambiguïtés.

Ce premier chapitre est divisé de la même manière que les suivants, en deux

parties, l’une dédiée aux considérations générales (A.) et l’autre aux particularités

belges (B.)

A.- C

ONSIDERATIONS GENERALES

2. -

Plan de l’exposé – Les considérations générales de l’exposé nous

amènent à dédier une section spécifique pour chacune des deux notions, à savoir

celle de droit (1) et celle d’État (2).

1) Le Droit

3. -

Plan de la section – Cette première section est dédiée à la notion de

droit. Nous nous concentrerons sur son sens direct, sur le rôle que joue la norme

juridique dans la vie en société et sur ses interactions avec d’autres concepts.

1 Daniel Mockle remarque à cet égard que, « contrairement à tant de disciplines, le droit ne peut prétendre à une définition objective et achevée de ce qui constitue son essence propre, sa nature » (D. MOCKLE, « A propos de définitions du droit », Canadian Journal of Law and Society / Revue

(8)

a) Définitions : droits objectif, subjectif et positif

4. -

Étymologie et définition élémentaire – Le mot droit dérive du mot

latin, Directum

2

, qui se réfère à l’idée de direction. Ainsi, le droit correspond à un

mode de régulation de la conduite humaine qui vise à lui donner une certaine

direction. C’est donc un ensemble de règles qui aspirent à influencer les

comportements et, ainsi, à organiser la vie en société. On emploie le terme

« juridique » comme adjectif se rapportant au droit

3

.

5. -

Les deux sens du mot droit : droit objectif et droit subjectif – Le

mot droit est utilisé dans la vie de tous les jours dans de nombreuses

circonstances et pour exprimer des choses différentes.

La définition formulée dans le paragraphe précédent fait référence au droit en

tant que corps de règles. Il s’agit de la notion de droit au sens objectif. Quand on

emploie cette expression, on vise par exemple l’ensemble des normes juridiques

applicables dans un État : c’est le droit belge, pour ce qui concerne le Royaume

de Belgique, ou le droit russe, pour ce qui concerne la Fédération de Russie. Le

mot droit est aussi utilisé, dans son sens objectif, quand on désigne une branche

particulière du droit et les règles qui en font partie : le droit pénal, le droit des

personnes et des familles, le droit administratif, etc. Le mot droit au sens objectif

peut généralement être traduit par le mot law en anglais.

Le terme droit a également un autre sens. Lorsqu’on vise un droit personnel, une

prérogative, un avantage, qu’une personne peut invoquer et ‘faire valoir’ à l’égard

d’un tiers ou d’une institution, il est alors question d’un droit subjectif. Il s’agit

donc d’une prérogative reconnue à une personne

4

. Le mot droit prend ce second

sens par exemple lorsqu’on évoque le droit de propriété d’une personne sur une

maison ou le droit d’exprimer ses idées au nom de la liberté d’expression. Le mot

droit au sens subjectif peut généralement être traduit par le mot right en anglais.

6. -

Notion de droit positif – Parmi les définitions élémentaires, il est aussi

utile de préciser le sens de l’expression droit positif (dérivé du latin positus,

« posé, établi »). Elle signifie le « droit en vigueur à un moment donné ». Étudier

le fonctionnement des institutions belges actuelles implique l’analyse du droit

positif belge, c’est-à-dire du droit tel qu’il s’applique aujourd’hui. En revanche, si

on aborde les institutions telles qu’elles fonctionnaient à Liège aux environs de

2 En droit romain, ce que nous désignons aujourd’hui par droit se disait, approximativement, Ius (M. BREAL, « Sur l’origine des mots désignant le droit et la loi en latin », Nouvelle revue historique

du droit, 1883, p. 603). En ce qui concerne le mot Directum, qui a remplacé à la fin de l’Empire

le mot ius, voy. J.M. CARBASSE, Introduction historique au droit, Coll. « Droit fondamental », Paris, PUF, 1998, p. 13.

3 Le terme Juridique ne doit pas être confondu avec le terme judiciaire qui se réfère aux cours et tribunaux (qui correspondent aux juridictions).

4 Pour être titulaire d’un droit subjectif, encore convient-il d’être un sujet juridique qui jouit de ce qu’on appelle la personnalité juridique.

(9)

l’an 1500, on quitte l’étude du droit positif pour s’intéresser à l’histoire du droit

et, en particulier, au droit applicable sous la Principauté de Liège à cette époque.

7. -

Droit et loi – Dans le langage courant, on a parfois tendance à employer les mots droit et loi comme des synonymes. On entend régulièrement que la loi interdit tel comportement ou impose tel autre. Dans ces cas, on veut souvent dire que le droit – soit les règles étatiques applicables – interdisent ou imposent ce comportement. Néanmoins, il convient de distinguer les deux termes. En effet, le mot droit a un sens générique, alors que le mot loi désigne une norme particulière produite par l’État. La loi correspond grosso modo à une norme juridique à portée générale et abstraite adoptée par le pouvoir législatif d’un État. De nos jours, dans les États qui ont instauré la démocratie représentative, l’adoption des lois requiert généralement l’intervention d’une ou plusieurs assemblées parlementaires composées d’élus (voy. infra n° XXX). À côté des lois, il existe d’autres règles, qui font aussi partie du droit des États, comme les arrêtés ou règlements adoptés par le pouvoir exécutif ou les jugements prononcés par les tribunaux.

b) Notion de norme juridique

8. -

Singularité de la norme juridique – Nous avons défini le droit (au

sens objectif) comme un ensemble de règles juridiques qui visent à influencer les

comportements humains. Le concept doit cependant être précisé, même dans un

ouvrage qui se veut introductif.

Nous rencontrons, dans la vie de tous les jours, de multiples signaux qui nous

invitent à adapter notre attitude, notre comportement ou nos gestes. La notice

inscrite sur un flacon de détergent nous avertit de ne pas l’approcher d’une source

de chaleur ; un prêtre affirme que la fidélité, dans une relation amoureuse, est un

précepte qu’il convient de respecter à tout prix ; une affiche placée dans une salle

de cinéma indique qu’il est interdit d’y fumer. Ces signaux qui prennent la forme

de conseils, d’avis, de suggestions ou d’ordres ont tous été émis avec l’intention,

implicite ou explicite, d’influencer les conduites de leur destinataire. Dès lors, si

le droit est défini comme un ensemble de règles qui visent à influencer le

comportement humain, en quoi se singularise-t-il par rapport à ces divers

messages ? Pour répondre à cette question, il convient de s’intéresser à la

spécificité des règles qui forment le droit, à la particularité des normes juridiques.

La norme juridique est d’abord une communication qui émane de son auteur vers

un ou plusieurs destinataire(s). Quant à son contenu, il ne correspond pas à la

description d’une réalité, mais à la formulation d’une volonté. La norme n’est pas

descriptive – elle ne décrit pas – mais prescriptive : elle ordonne. En effet,

destinée à diriger la conduite de ceux à qui elle est adressée, la règle juridique

correspond à une obligation ou à une interdiction, autrement dit à un ordre de

faire ou de ne pas faire quelque chose (l’interdiction pouvant d’ailleurs être

conçue comme une forme d’obligation négative). La règle juridique définit ainsi

la marge de manœuvre de son destinataire et ce qui lui est permis.

9. -

Importance de la menace de sanction – Si le destinataire de la norme

juridique ne respecte pas l’obligation ou l’interdiction qui lui est imposée, il risque

de subir une contrainte. Cette contrainte correspond à une menace de sanction,

(10)

susceptible de se matérialiser par l’exercice de la force physique. Selon cette

conception du droit, qui est notamment basée sur les travaux du juriste Hans

Kelsen

5

, la menace de sanction, pousuivant à la fois un objectif répressif et un

objectif préventif , en ce qu’elle vise à dissuader toute tentation de violation de la

norme, est l’élément séparant la catégorie des normes juridiques des conseils,

recommandations morales et autres suggestions

6

.

Cela ne signifie pas, pour autant, que tout commandement juridique soit

invariablement pénible pour son destinataire, ni que chaque violation entraine

forcément et automatiquement la sanction. Aussi, une prescription restera

juridique même si celle-ci est très peu respectée.

Par exemple, s’il constitue un usager vulnérable aux yeux du Code de la route7 en droit belge, le piéton doit respecter certaines normes. Parmi celles-ci, l’article 42.4.1, second alinéa, de ce même Code dispose que, « [q]uand il existe un passage pour piétons à une distance de moins de 20 mètres environ, les piétons sont tenus de l’emprunter ». Cette obligation vaut en toutes circonstances, même quand les rues sont désertes, par exemple à quatre heures du matin, et bien que l’on puisse douter de la présence d’un agent de police susceptible d’infliger une amende si la règle n’est pas respectée.

10. - Application et interprétation de la norme juridique – Beaucoup

de règles juridiques présentent un certain degré d’abstraction et de généralité.

Comprendre une norme, c’est déterminer son champ d’application temporel et

spatial. C’est aussi établir si un fait réalisé ou envisagé ou si un comportement

projeté entre dans le champ d’application d’une règle et saisir les conséquences

qui lui sont attachées en droit.

Une telle démarche n’est pas nécessairement simple à réaliser, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle suppose la maîtrise d’un vocabulaire complexe, parfois d’un jargon hermétique8. Ensuite, pour parvenir à interpréter correctement la portée d’une règle, afin de l’appliquer adéquatement, il convient – selon certains – de rechercher les objectifs visés par son auteur d’origine, au moment où il l’a adoptée (école de l’exégèse)9. Pour d’autres, il faut surtout dégager les objectifs de la norme resituée à l’heure où le destinataire y est concrètement confronté ; il faut alors comprendre la norme telle qu’elle aurait été adoptée actuellement par l’auteur (école

évolutionniste). Indépendamment de la dichotomie entre ces deux grandes écoles de pensée,

« [l]’interprétation est inhérente à toute lecture, même la plus banale, de la [règle juridique] »10 :

5 H. KELSEN, Théorie purée du droit, 2e éd., trad. C. Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, p. 48. 6 Certains auteurs récusent le caractère fondamental de l’obligation et de la contrainte dans la définition du droit (voy. P. AMSELEK, « L’évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales », R.D.P., 1982, pp. 275 et s. ; A. JEANMAUD, « La règle de droit comme modèle », Dalloz, 1990, Chron. XXXIV, pp. 199 et s.). Aux yeux de Denys de Béchillon, c’est le droit international public qui nourrit amplement cette controverse (D. DE BECHILLON, Qu'est-ce

qu’une règle de droit ?, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 67).

7 Voy. l’arrêté royal du 1er décembre 1975 portant règlement général sur la police de la circulation routière et de l'usage de la voie publique (Moniteur belge du 9 décembre 1975).

8 Nous tenterons autant que faire se peut d’expliciter les mots les plus usuels du droit.

9 Voy. L. HUSSON, « Analyse critique de la méthode de l’exégèse », Archives de philosophie du

droit, 1972, pp. 115 à 133.

10 F. OST, « L’interprétation logique et systématique et le postulat de rationalité du législateur », in : L’interprétation en droit, Bruxelles, Publications des F.U.S.L., 1978, p. 110 ; voy. également H. KELSEN, Théorie purée du droit, 2e éd., trad. C. Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962, p. 454. La place occupée par l’interprétation de la norme dans certaines théories est telle qu’un courant en a fait

(11)

attribuer un sens à une règle nécessite la compréhension des concepts, et mobilise des analyses linguistiques, contextuelles11, etc. Pour toutes ces raisons, toute norme juridique est susceptible de plusieurs interprétations.

11. - Ordre juridique – Si la norme juridique est l’élément basique et

irréductible à partir duquel on peut étudier le phénomène juridique, l’ordre

juridique correspond quant à lui à un ensemble, plus complexe et hiérarchisé, de

règles juridiques qui sont mises en relation et forment une certaine unité. Hans

Kelsen, approfondissant la dimension coercitive de la norme, assimile en

conséquence l’ordre juridique à un « ordre de contrainte » : un ensemble de

règles qui, si elles ne sont pas respectées, sont susceptibles d’entraîner des

sanctions

12

.

c)

Droit, justice et légitimité

12. - Définition et approches scientifiques du droit – A ce stade de notre raisonnement, on pourrait s’interroger sur la qualité de la définition du droit, de la norme et de l’ordre juridique. En effet, nous ne nous sommes pas encore demandé si les règles juridiques devaient nécessairement être justes ou légitimes pour former ce qu’on appelle le droit.

La justice fait référence à des considérations morales à l’aune desquelles une action ou une institution est approuvée ou, au contraire, réprouvée. La justice prend donc appui sur un certain nombre de valeurs communément admises au sein d’une société ou d’une civilisation13. La

légitimité, quant à elle, correspond à la « conviction qu’il est juste et convenable d’accepter les

autorités, de leur obéir et de se soumettre aux prescriptions du régime politique »14. Une autorité publique, une communauté politique, une personne dotée de prérogatives sera donc perçue

la clef de voûte de sa définition (voy. ainsi D. MOCKLE, « Deux variations sur le thème des normes », Les Cahiers de droit, 1997, p. 467).

11 G. KALINOWSKI, « L’interprétation du droit : ses règles juridiques et logiques », Archives de

philosophie du droit, tome 30, 1985, pp. 191 et s.

12 Dans un ordre juridique, il n’apparaît pas nécessairement que chaque règle institue des sanctions. Certaines jouent d’autres fonctions, symboliques, déclaratoires, programmatiques. Cela étant dit, elles visent bel et bien à orienter des conduites pour des individus et des institutions et sont en étroite relation avec celles qui sont assorties de dispositifs de contrainte. Ainsi, selon un autre éminent juriste, Herbert L. A. Hart, un ordre juridique comprend deux types de normes (H.L.A. HART, Le concept de droit, Bruxelles Publications des F.U.S.L., 1976, pp. 103 et s.) : d’un côté les normes primaires, en lien avec les actions que chacun doit ou non accomplir ; d’un autre côté, des règles secondaires, c’est-à-dire :

- les règles de reconnaissance (rule of recognition) qui permettent de déterminer l’ordre juridique à mobiliser ;

- les règles de changement (rules of change), soit celles qui organisent l’introduction de nouvelles règles primaires et la suppression des plus anciennes ;

- les règles de décision (rule of adjudication), qui servent à identifier les individus habilités à juger ainsi que la procédure à suivre.

Ces règles secondaires déterminent de quelle manière les règles primaires doivent être identifiées, édictées, abrogées et appliquées.

13 Par glissement sémantique, la justice sert également aujourd’hui à nommer les institutions de l’ordre juridique étatique – notamment les cours et tribunaux – destinées à trancher des litiges en suivant les normes juridiques.

(12)

comme légitime si elle parvient à maintenir dans l’esprit de ses sujets la conviction qu’il est acceptable et approprié qu’elle soit à sa place15.

Un rapprochement entre le droit, la justice et la légitimité existe bien depuis des millénaires. Conviendrait-il d’ajouter à notre définition une dimension morale (et, si oui, laquelle ?) qui conditionnerait l’existence ou la validité d’une norme ? Deux tendances majeures traversent l’enseignement et la recherche en droit. L’appartenance à l’un ou l’autre de ces courants influence la détermination, la description et l’analyse des normes et du droit, ainsi que leur validité. 13. - Jusnaturalisme – Un premier courant, le jusnaturalisme (du latin : jus naturale, droit naturel), consiste à intégrer dans la définition de la norme juridique (et donc du droit) une condition morale et philosophique, telle que la conformité à un droit naturel. Sous cette appellation, des écrivains, théologiens et philosophes, d’Aristote16 à Léo Strauss17, ont regroupé, à des degrés divers, des règles, des valeurs qui échapperaient à la volonté et aux décisions des hommes, qui surpasseraient d’une certaine manière le droit positif. En d’autres mots : le droit naturel fait référence à des principes qui seraient liés à des prescrits religieux, à la justice18, à la nature des choses ou des hommes19. Parce qu’il provient d’une autorité plus élevée, le droit naturel s’imposerait et conditionnerait la validité des normes juridiques20.

Le jusnaturalisme et ses connotations métaphysiques ont prédominé l’analyse du droit jusqu’à ce que l’ordre juridique étatique entende rompre avec les tutelles religieuses et se soit, comme on dit, objectivé. Les principes démocratiques, développés depuis deux siècles, impliquent en outre une participation accrue des sujets du droit de l’État à son élaboration21 : Pourtant, en particulier au lendemain de la seconde guerre mondiale, certaines voix ont critiqué une approche amoraliste du droit – surtout le juspostivisme (voy. infra n° XX) – en dénonçant sa soi-disant complaisance à l’égard des régimes autoritaires22. De manière générale, l’idée de droit naturel a, de manière évidente, influencé de nombreux volets du droit positif étatique et reste l’objet inépuisable de discussions au sein de la littérature scientifique moderne23.

14. - Critiques du jusnaturalisme – Le jusnaturalisme est loin de faire l’unanimité, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, le jusnaturalisme conditionne la validité d’une norme à des critères immanents et des jugements de valeur alors que la morale fluctue dans le temps et l’espace24. La vision jusnaturaliste peut engendrer une forme d’absolutisme moral, excluant tout

15 L. FRANÇOIS et N. THIRION, « Les juges dans la politique », in : G. GRANDJEAN et J. WILDEMEERSCH, Les juges : décideurs politiques ? Essais sur le pouvoir politique des juges dans

l’exercice de leur fonction, Bruxelles, Bruylant, 2016, pp. 55-56.

16 Voy. P. DESTREE, « Aristote et la question du droit naturel ("Eth. Nic.", V, 10, 1134 b 18-1135 a 5) », Phronesis, 2000, pp. 220-239. Voy. également G. KALINOWSKI et M. VILLEY, « La mobilité du droit naturel chez Aristote et Thomas d'Aquin », Archives de Philosophie du Droit, 1984, pp. 187-200.

17 Voy. L.STRAUSS,Droit naturel et histoire, Coll. Champs, Paris, Flammarion, 2008, 324 pages. 18 Dans La Cité de Dieu, Saint Augustin se posait, au Ve siècle, la question : « La justice supprimée, que sont les royaumes, sinon de vastes brigandages ? »

19 Voy. E. DELRUELLE, L’humanisme, inutile et incertain ? Une critique des droits de l’homme, Bruxelles, Labor, 1999, p. 29 et s. et également M. TROPER, La philosophie du droit, 2e éd., Coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 2006, p. 17.

20 Il existe d’ailleurs des théories jusnaturalistes conservatrices, de même que d’autres sont tout à fait réformistes ou révolutionnaires (A. ROSS, « La validité et le conflit entre le positivisme juridique et le droit naturel », in : Introduction à l’empirisme juridique. Textes théoriques, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, 2004, p. 153).

21 A. DUFOUR, « Droit naturel/Droit positif », Archives de Philosophie du droit, 1990, p. 67. 22 Gustav Rabdbruch, par exemple, considérait comme dénuées de validité juridique les normes extrêmement injustes (voy. G. RABDBRUCH, « Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht »,

Süddeutsche Juristenzeitung, 1, 1946, pp. 105-108).

23 Voy. R. KOLB, Théorie du droit international, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 45.

24 Dans son ouvrage, L’idée de justice (Paris, Flammarion, 2012), Amartya Sen dédie quelques lignes de son introduction à la parabole de trois enfants qui revendiquent la propriété d'une flûte (pp. 38-41) pour montrer que nos conceptions sont plurielles et généralement contradictoires.

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relativisme des notions de justice et de légitimité, alors que notre époque est précisément marquée par une atténuation des repères traditionnels25. Deuxièmement, en exigeant que, pour être validement juridique, la norme soit, par exemple, juste, légitime ou réponde à des principes religieux, ce courant de pensée fait du droit valide un droit à considérer comme étant juste, légitime, etc. Troisièmement, comme la recherche en droit peut être influencée par un tel postulat – puisqu’il suppose l’évaluation de la conformité du droit à des valeurs, à des principes ou à sa légitimité26 –, un autre reproche concerne la place du juriste et de l’expert en droit dans un État qui se déclare démocratique. Jouissant de sa position de spécialiste, celui-ci pourrait distiller, peut-être sans s’en rendre compte, ses convictions politiques dans son analyse des normes27. « Portée à l’extrême », soulève Otto Pfersmann, « cette thèse l’autorise à revendiquer un rôle de guide dans la cité grâce à sa capacité privilégiée de produire du droit résultant de cette connaissance intime de sa justice intrinsèque »28.

15. - Juspositivisme – Dans le prolongement des œuvres de Jeremy Bentham29 et ceux de John Austin30, l’approche juspositiviste (issu de l'adjectif « positif ») s’intéresse exclusivement à la norme juridique, à ce qu’elle est, sans prendre en considération son acceptabilité morale ou éthique et en faisant abstraction des références au droit naturel31. Il s'ensuit que l’incompatibilité d’une norme juridique à une valeur morale quelconque n’entraine pas son invalidité32. Cette posture de principe ne signifie pas pour autant que le juriste renoncerait à toute moralité personnelle, dans sa vie quotidienne, ni qu’il considérerait le contenu même du droit comme moralement neutre. Il adopte cependant une posture amorale – non imorale – dans l’identification et l’analyse de la norme juridique. Bien plus, la conception positiviste du droit ne signifie pas qu’une norme, parce qu’elle est juridique, serait pour autant rigoureusement juste et respectable par définition33.

Au départ de ce premier précepte, c’est-à-dire du refus de toute mesure métaphysique, plusieurs variantes et dimensions du positivisme existent34. Le critère pour admettre la validité d’une norme est, aux yeux de plusieurs représentants du courant, à trouver dans l’ordre juridique lui-même, en particulier le respect des procédures d’élaboration et des règles plus élevées35. C’est également dans ce courant que s’inscrit Hans Kelsen qui, toujours dans son œuvre phare, la

Théorie pure du droit, a conçu le droit comme un ensemble hiérarchisé et cohérent de normes

25 D. MANAI, « Justice incertaine et pluralisme des valeurs à l’ère démocratique », in : J. KELLERHALS, D. MANAÏ, et R. ROTH, Pour un droit pluriel : études offertes au professeur

Jean-François Perrin, Genève, Helbing & Lichtenhahn. 2002, p. 180.

26 C’est ainsi que, pour François Ost et Michel van de Kerchove, la validité en droit renvoie à trois pôles : la légalité, l’effectivité et la légitimité (F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide

au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des F.U.S.L., 2002, pp.

307 et s.).

27 Voy. L. FRANÇOIS, Le problème de la définition du droit – Introduction à un cours d’évolution

de la philosophie du droit à l’époque contemporaine, Liège, Faculté de droit, d’Économie et de

Sciences sociales de Liège, 1978, pp. 203-218.

28 O. PFERSMANN, « Droit et justice », Revue de Métaphysique et de Morale, 2003, no 1, p. 27. 29 Voy. J. BENTHAM, Fragment sur le gouvernement (1776), suivi de Manuel de sophismes

politiques, trad. J.-P. Cléro, Bruxelles/Paris, Bruylant/LGDJ, 1996, 386 pages.

30 J. AUSTIN, The Province of Jurisprudence Determined, Londres, John Murray, 1832, 391 pages. 31 Pour une synthèse, voy. A. ROSS, « Validity and the conflict between legal positivism and natural law », Revista juridica de Buenos Aires, 1961-IV, pp. 46-92.

32 N. BOBBIO, Giusnaturalismo e positivismo giuridico, Milan, Edizioni di Comunità, 1972, p. 105. 33 Voy. M. TROPER, La philosophie du droit, 2e éd., Coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 2006, pp. 21-22.

34 Voy. S. PERRY, « The Varieties of Legal Positivism », Canadian Journal of Law and

Jurisprudence, 1996, pp. 361–381 et M. TROPER, « Le positivisme juridique », Revue de synthèse, tome CVI, n° 11-119, avril-septembre 1985, p. 187 ; V. VILLA, « Positivism, Legal », in: C.B. GRAY (dir.), The Philosophy of Law: An Encyclopedia, vol. 2, New York, Garland, 1999, p. 661.

35 Voy. M. WALINE, « Défense du positivisme juridique », Archives de philosophie du droit, 1939, p. 83 ; P. NOREAU, « La norme, le commandement et la loi : le droit comme objet d’analyse interdisciplinaire », Politique et société, 2000, p. 156.

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juridiques se fondant dans une structure pyramidale de validité. Cette conception formaliste se retrouve également, avec d’autres nuances, sous la plume d’autres figures du mouvement positiviste du XXe siècle, parmi lesquels Herbert Hart36.

Pour conclure cette distinction entre normes juridiques et morale, observons que la recherche en droit s’intéresse, à suivre le courant juspositiviste, à la connaissance du droit tel qu’il est (en latin :

de lege lata), et s’abstient en principe d’aborder le droit tel qu’il devrait être (de lega ferenda),

c’est-à-dire un droit idéal. Dans cet esprit, comprendre, décrire et catégoriser les normes juridiques, et dévoiler toute leur potentialité, incarnent les missions du chercheur, alors que l’évaluation morale et politique n’est pas une tâche qui lui revient car les convictions personnelles risquent toujours de contaminer les analyses.

16. - Critiques du juspositivisme – Une telle conception du droit a, elle-aussi, essuyé de vives critiques. L’approche serait trop rigide et incohérente37. Elle pêcherait par sa naïveté dès lors que la neutralité absolue est illusoire. Parmi les reproches majeurs adressés au juspositivisme, on retrouve l’opinion selon laquelle le positivisme s’assimilerait à une forme de fanatisme qui entrainerait une totale sujétion vis-à-vis de l’ordre juridique, sans égard pour des principes fondamentaux. Pire, le refus de fournir des jugements de valeur aurait ouvert la voie funeste aux mesures arbitraires et criminelles de certains régimes autoritaires, voire totalitaires38. D’autres voix soulignent que le positivisme se contente de décrire des règles techniques et ne susciterait pas de réelle réflexion sur la substance de la norme. Le juspositivisme en viendrait à empêcher toute « science du droit ». Pour contourner ce reproche, Jacques Chevallier a distingué la doctrine juridique, centrée sur la connaissance des normes, de la science juridique qui étudie, plus largement le phénomène du droit39, ces deux dimensions dialoguant l’une avec l’autre.

17. - Autre description du phénomène juridique – Certains auteurs se sont attachés à dépasser l’opposition classique entre jusnaturalisme et juspositivisme qui dicte encore aujourd’hui beaucoup de réflexes, et ce, afin de proposer d’autres clefs de lecture du phénomène

36 Voy. H.L.A. HART, « Positivism and the Separation of Law and Morals », Harvard Law Review, 1958, pp. 593-630 et Le concept de droit, Bruxelles, Publications des F.U.S.L., 1976, 314 pages. Il existe un échange scientifique célèbre entre lui et un autre auteur, davantage jusnaturaliste, à savoir Lon Fuller (L. FULLER, « Positivism and Fidelity to Law : A reply to Professor Hart »,

Harvard Law Review, vol. 71, n° 4, 1958, pp. 630-672 ; L. FULLER, The Morality of Law, 2e éd., New Haven et Londres, Yale University Press, 1969, 262 pages ou encore L. FULLER, Anatomy of

the Law, New York/Londres, Frederick A. Praeger/The Pall Mall Press, 1968, 122 pages). Un autre

débat, tout aussi célèbre, portant sur le recours au droit pénal pour protéger une « morale sociale », a également opposé le conservateur Lord Patrick Devlin (voy. en particulier « The Enforcement of Morals », Proceedings of the British Academy, 45, 1959, pp. 129-151) à Hart (Law, Liberty and Morality, Stanford, Stanford University Press, 1963, 88 pages et The Morality

of the Criminal Law, Oxford, Oxford University Press, 1965, 54 pages) dans le prolongement d’un

rapport rendu en 1957, en Angleterre, par la Commission Wolfenden, proposant entre autre la dépénalisation des pratiques homosexuelles dans un cadre privé.

37 Certaines de ces critiques visent spécialement Hans Kelsen ; voy. P. AMSELEK, « Kelsen et les contradictions du positivisme juridique », Archives de philosophie du droit, 1983, pp. 271-282, et « Réflexions critiques autour de la conception kelsénienne de l’ordre juridique », Revue du droit

public, 1978, pp. 5-19. Voy. également H. HARDY, « La Critique Perelmanienne de la Théorie Pure du Droit : Essai de Synthèse », Canadian Journal of Law and Society / Revue Canadienne Droit

Et Société, 2006, pp. 56-57.

38 Voy. D. LOCHAK, « Le droit sous Vichy ou les mésaventures du positivisme », in : CURAPP, Les

usages sociaux du droit, Paris, PUF, 1989, pp. 252-285, mais aussi la réplique de M. TROPER, « La doctrine et le positivisme (à propos d'un article de Danièle Lochak) », in : Les usages sociaux

du droit, Paris, PUF, 1989, pp. 286-292.

39 Voy. J. CHEVALLIER « Doctrine juridique et science juridique », Droit et société, 2002, pp. 103-120 ; mais aussi E. PICARD, « Science du droit ou doctrine juridique », in : L'unité du droit,

Mélanges Drago, Paris, Economica, 1986, pp. 119-171 et M. TROPER, La philosophie du droit, Paris, Puf, 2006, pp. 56-65.

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juridique. On peut citer, par exemple, (l’inclassable40) Ronald Dworkin41. C’est aussi le cas d’un courant contemporain de la théorie du droit, proche du juspositivisme, le legal realism ou la

sociological jurisprudence. Selon ce courant, le juge, par l’interprétation qu’il décide de donner

aux normes juridiques, leur confère leur sens véritable, et, donc, leur portée réelle42.

On peut également relever un autre mouvement. Né aux États-Unis il y a une soixantaine d’années43, le courant Law & Economics tente d’appliquer les instruments de l’analyse économique aux situations juridiques, en mobilisant la théorie des jeux ou encore l’économétrie44. La discipline Law & Economics présente de nombreuses ramifications, et certaines prétendent estimer l’efficacité des normes juridiques par le biais des instruments de la science économique45.

d) Ordres juridiques et ordre juridique étatique

18. - Pluralité des ordres juridiques – La soustraction, à l’analyse du droit

de toute dimension morale nous autorise à faire état de la diversité potentielle des

normes et des ordres juridiques. A rebours de certains auteurs qui confondent

droit et État, il peut pareillement être soutenu que ce dernier n’est qu’une

institution parmi d’autres, qui méritent toutes la qualification d’ordre juridique.

En effet, on peut considérer que les règles produites au sein d’une famille, d’une

entreprise, d’une communauté religieuse ou d’un quelconque club, pourvu

qu’elles soient accompagnées d’un dispositif de menace de sanction en cas de

désobéissance (privation de dessert, refus d’une promotion, exclusion du club,

etc.), sont aussi juridiques que celles qui sont adoptées par l’État

46

.

19. - Notion d’ordre juridique étatique – Cela étant précisé, il est évident

qu’un ordre juridique est prédominant de nos jours, et c’est celui-là qui occupe

principalement notre attention dans cet ouvrage : il s’agit de l’ordre juridique

étatique, celui de l’État. Une particularité majeure de cet ordre juridique est sa

40 M. TROPER, « Les juges pris au sérieux ou la théorie du droit selon Dworkin », Droit et société, n°2, 1986, p. 42.

41 Voy. R. DWORKIN, L’empire du droit, Paris, PUF, 1994, 468 pages ; Prendre les droits au

sérieux, Paris, PUF, 1995, 517 pages ; Une question de principe, Paris, PUF, 1996, 512 pages.

42 F. MICHAUT, « Le rôle créateur du juge selon l’école de la “sociological jurisprudence” et le mouvement réaliste américain. Le juge et la règle de droit », Revue internationale de droit

comparé, 1987, pp. 343-371 ; B. LEITER, « American Legal Realism », in : M. P. GOLDING et W. A. EDMUNSON, The Blackwell Guide to the Philosophy of Law and Legal Theory, Oxford, Blackwell, 2005, pp. 50-66.

43 Sur l’histoire du mouvement, voy. H. HOVENKAMP, « Law and Economics in the United States : a brief historical survey », Cambridge of Political Economy, 1998, pp. 1113-1155.

44 En synthèse, « les règles juridiques y sont considérées comme des dispositifs dont on cherche à comprendre les effets sur les comportements individuels, en supposant rationnels les agents que sont les juges et les justiciables. En d’autres termes, les normes juridiques sont conçues comme des contraintes auxquelles les agents sont soumis – et elles sont donc assimilées à des prix implicites » (B. DEFFAINS et E. LANGLAIS, « Introduction générale », in : B. DEFFAINS et E. LANGLAIS, Analyse économique du droit – Principes, méthodes, résultats, Bruxelles, De Boeck, 2009, p. 8).

45 Voy. à ce sujet A. VANDENBULKE, « La Legal Origins Theory : droit, économie, idéologie », Revue

Internationale de Droit Economique, 2017, 1, pp. 79-130.

46 Voy. S. ROMANO, L’ordre juridique, 2e éd. (1945), trad. de L. FRANÇOIS et P. GOTHOT, Dalloz, Paris, 2002, 214 pages.

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prétention à régir tous les autres, sur un espace géographique déterminé.

Progressivement, l’État – et les organes qui relèvent de lui – a phagocyté une

grande partie des attentes juridiques des individus

47

. C’est autour de lui que

s’articule ce qui semble être le système juridique « officiel ».

Il ne faut pas déduire de cette prédominance étatique la disparition des autres ordres juridiques avec lesquels l’État, dans son ambition monopolistique de création des normes, a noué des rapports variés : il les tolère, les subordonne à lui, intègre certaines normes externes, les ignore, les combat, voire les soutient avant de les neutraliser48 ou de les interdire. En ce qui concerne le dernier point, l’illégalisme est une des manifestations les plus nettes de cette confrontation entre l’État et un ordre juridique particulier que le premier considère comme nuisible. On peut songer ici aux mafias, aux sectes, aux organisations terroristes ou révolutionnaires49.

e) Droit privé et droit public

20. - Distinction ancienne – Au sein même de l’ordre juridique étatique, il

existe une distinction classique, qui remonte au droit romain, entre le droit public

et le droit privé.

En substance, le droit public correspond à l’ensemble des règles juridiques qui

organisent l’État ainsi que ses relations avec les particuliers et les autres États. Le

droit public peut lui-même être subdivisé en plusieurs sous-catégories, comme le

droit constitutionnel (qui concerne surtout les formes et le fonctionnement des

institutions), le droit administratif (relatif à la gestion courante de l’État), le droit

fiscal (relatif principalement aux impôts), le droit des finances publiques (relatif

à l’encadrement des dépenses et des ressources de l’État), le droit pénal (fixant

les dispositions réprimant les actes considérés comme portant atteinte à l’ordre

public de l’État) ou encore le droit judiciaire (relatif à l’organisation des

tribunaux).

Le droit privé, quant à lui, comprend les règles qui organisent les relations entre

les personnes (qui peuvent être des personnes physiques – c’est-à-dire des

individus – ou des personnes morales – telles que les sociétés et associations). Il

s’agit, par exemple, des règles relatives aux contrats (vente, location, travail, etc.),

à la propriété, à la responsabilité pour les fautes commises, aux successions, aux

mariages et aux divorces, etc.

21. - Tempérament – Cette distinction entre deux grands ensembles (droit

public et droit privé) a surtout une vertu pédagogique et permet d’organiser la

47 P. BOURDIEU, « Esprit d’État – Genèse et structure du champ bureaucratique », in Actes de la

recherche en sciences sociales, 1993, pp. 49-62.

48 On songe ici au délicat processus de désarmement des réseaux de résistance après la seconde guerre mondiale (voy. M. CONWAY, Les chagrins de la Belgique. Libération et reconstruction

politique 1944-1947, Bruxelles, CRISP, 2015, p. 57).

49 Voy. L. FRANÇOIS, « La révolution selon le droit », in : E. DELRUELLE et G. BRAUSCH, Le droit

sans la justice : Actes de la rencontre autour du 'Cap des tempêtes' de Lucien François,

(17)

pensée de ceux qui s’initient au droit. En pratique, il ne s’agit pas de deux

catégories étanchement séparées. Au contraire, de nombreux chevauchements

existent : un même ensemble de faits pourra à la fois amener l’application de

règles de droit public et de règles de droit privé

50

. Le domaine des marchés

publics offre un exemple : il s’agit des règles juridiques qui encadrent la faculté

des institutions publiques à conclure, avec des entreprises, des contrats

(notamment pour des services ou des fournitures) ; les règles pertinentes visent

donc à organiser le fonctionnement de l’État, dans le respect de certains principes

fondamentaux (comme la transparence et l’égalité entre les entreprises

concurrentes), tout en s’appuyant sur des règles qui relèvent typiquement du

droit privé, comme celles qui régissent la conclusion des contrats.

2) L’État

22. - Plan de la section – Au point précédent, nous avons vu que le droit

public – l’objet du présent ouvrage – correspond à l’ensemble des règles

juridiques qui organisent l’État et ses relations avec les autres États ainsi que les

particuliers. Il apparaît que la notion d’État est au cœur de cette définition et

qu’elle doit à son tour être expliquée. Définir le concept d’État implique quelques

détours préalables et un certain nombre de distinctions : « [t]raiter de l’État »,

met en garde Jacques Chevallier, « apparaît comme une entreprise tout à la fois

d’une grande banalité et d’une redoutable complexité »

51

. Après quelques

développements généraux, nous développerons l’histoire de cet ordre juridique,

avant de l’étudier sous son angle juridique.

a) Définition générale

23. - Étymologie et sens du mot État – Le terme « État » n’a pas toujours

eu le sens qu’on lui donne communément aujourd’hui. Le substantif latin status

(dérivé du verbe stare, qui signifie « se tenir debout ») a donné lieu aux estats qui

désignent d’abord la condition sociale et politique. Par la suite, les États ont

correspondu aux assemblées formées de représentants des différentes catégories

de la population de la société ; on retrouve notamment cette signification dans

l’expression États généraux. Au XVI

e

siècle, Machiavel emploie le mot État

(Stato) au singulier, en l’assimilant à Principauté, à Cité ou encore à République.

Cette dernière locution est encore privilégiée pour parler d’un corps politique.

50 Voy., pour des analyses nuancées : J. VAN MEERBEECK, « Droit public et droit privé : ni summa ni divisio? », in: J. VAN MEERBEECK, P.-O. DE BROUX, T. LEONARD et B. LOMBAERT (sous la coord. de), La distinction entre droit public et droit privé. Pertinence, influences croisées et questions

transversales, Limal, Anthemis / Université Saint-Louis, 2019, pp. 9-56.

(18)

Progressivement, l’État va signifier une nouvelle configuration politique

52

qui

centralise la gestion politique de la communauté humaine, sous ses multiples

aspects (économiques, sociaux, militaires, etc.). Avec le temps, l’État est apparu

comme une entité à vocation immortelle, puissante et impersonnelle ; c’est-à-dire

ne s’assimilant pas aux détenteurs effectifs des fonctions publiques.

24. - L’État dans le monde – Depuis que les Maori se sont installés sur les

îles de Nouvelle-Zélande, entre les XI

e

et XIII

e

siècles

53

, rares sont les lieux de la

planète Terre qui ne sont pas peuplés par des êtres humains. C’est d’une manière

aussi globale que ces derniers ont, partout, développé des institutions politiques,

des systèmes de gouvernement, qui ont de nos jours pris la forme d’États. Ainsi,

à l’exception notable de la Haute mer et de certaines zones géographiques,

comme l’Antarctique, le surface du globe est fragmentée en différents territoires

qui relèvent chacun d’un État considéré comme souverain. Actuellement, depuis

l’adhésion du Soudan du sud en 2011, 193 États sont membres de l’Organisation

des Nations Unies ; si ce nombre est un bon indicateur, il ne comprend pourtant

pas l’intégralité des entités souveraines. La prochaine section vise ainsi à dégager

les origines de la diffusion de ce type d’ordre juridique.

b) Une brève Histoire de l’État

25. - Observation préalable – C’est animés par l’idée que « celui qui voudra s’en tenir au présent, à l’actuel, ne comprendra pas l’actuel », selon la formule de l’historien Michelet, que nous entendons consacrer les pages suivantes à l’évolution de l’État. S’ils visent à éclairer l’historicité des notions qui seront vues par la suite, les quelques développements qui suivent n’ont nullement l’intention d’être exhaustifs, ni d’être originaux. Cet avertissement est d’autant plus fondamental que notre étude, centrée sur l’évolution des structures politiques, touche également à des facteurs socio-économiques et culturels sans que nous soyons des spécialistes de tous ces domaines. 26. - L’Antiquité – Depuis la naissance de l’homo sapiens, il y a environ 300 000 ans, l’organisation de la vie en communauté a connu de grandes mutations et de multiples expérimentations politiques. Dans la seconde moitié du IVe millénaire avant Jésus Christ, des agglomérations sédentaires se structurent et se transforment en centres urbains et en Cités-États (l’une des plus connues, parmi les cités primitives, est la ville d’Uruk). Néanmoins, comme l’indique un historien, « [m]algré la puissance et la centralité dont l’affublent la plupart des récits traditionnels, il faut bien reconnaître que pendant les milliers d’années qui ont suivi son apparition initiale, l’État n’a pas été une constante, mais une variable – et une variable assez mineure dans l’existence d’une bonne partie de l’humanité »54. Durant de nombreux siècles, en effet, les structures politiques sont extrêmement diversifiées : tribus, cités, empires (Égypte, Babylone, puis, avec la disparition de ce dernier, Empire assyrien ou encore Empire perse), chefferies en Afrique, etc.55.

52 E. NYS, « L’État et la Notion de L’État – Aperçu Historique », Revue de Droit International et

de Legislation Comparée, 1901, p. 421.

53 S. PIRON, L’occupation du Monde, Bruxelles, Zones sensibles, 2018, p. 13.

54 J. C. SCOTT, Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États, Paris, La Découverte, 2019, p. 32.

55 J. BOUDON, Manuel de droit constitutionnel, Tome 1 – Théorie générale – Histoire, Régimes

(19)

27. - Naissance et chute de l’Empire romain – Née du regroupement de villages au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, la ville de Rome se lance au IVe siècle avant Jésus Christ dans une politique d’expansion. Après avoir conquis la péninsule italienne, Rome étend sa domination sur les côtes méditerranéennes de l'Afrique, de l'Asie Mineure et de l'Europe. Sous les Antonin, l’Empire romain est à son apogée, mais amorce déjà son déclin. A partir du IVe siècle de notre ère, des peuples germaniques s’implantent, parfois après affrontements, au sein de l’espace impérial. Émergent de cette façon des communautés ‘barbares’ relativement autonomes. De plus, à des fins administratives, l’Empire est divisé en deux parties – l’Empire romain d’Occident et l’Empire romain d’Orient. La capitale principale est transférée à Constantinople (aujourd’hui Istanbul). Sur le plan religieux, le christianisme, auquel s’est converti l’Empereur Constantin, se diffuse. La mainmise de l’Empire sur sa partie occidentale cesse définitivement avec la chute du dernier Empereur romain d’Occident, Romulus Augustus, déposé par Odoacre en 476 après Jésus-Christ. Le pouvoir politique est morcelé en Europe entre une variété de petites royautés et seigneuries germaniques. Seul subsiste l’Empire romain d’Orient qui, officiellement, reste la puissance tutélaire dont relèvent tous les territoires occidentaux. Ce n’est là pourtant que pure fiction56 car ces entités, où fusionnent si l’on peut dire des éléments germaniques et romains, jouissent d’une large indépendance. Néanmoins, les réflexes politiques et philosophiques restent inspirés par de nombreuses doctrines héritées de la période romaine57, à commencer par les canons chrétiens58 et les prérogatives attachées aux chefs politiques.

En Europe, la carte politique est loin d’être stable et varie en fonction des mouvements des tribus. La tentative de Charlemagne59, alors que l’Islam s’est implanté dans la péninsule ibérique au VIIIe siècle60, de fonder un empire carolingien et de réinstaurer une unité chrétienne et un pouvoir central organisé échoue à se maintenir dans la durée. Finalement, à la fin du premier millénaire de l’ère chrétienne, l’Europe est fragmentée territorialement et politiquement et doit en outre résister aux raids des Vikings. En « Francie occidentale » (grosso modo, la France actuelle), de multiples principautés régionales et territoriales se fortifient. En 987, Hugues Capet est élu au trône, mais le véritable pouvoir politique se trouve entre les mains des seigneurs locaux. Plus à l’Est, en 962, le duc de Saxe Otton 1er s’appuie sur des princes-évêques et proclame dans les territoires germaniques le Saint-Empire romain (sacrum romanum imperium), en se considérant à la fois comme le successeur de Charlemagne et celui des empereurs romains61. Par conséquent, dans l’Europe médiévale, deux formes politiques majeures vont coexister, voire s’affronter : les royaumes (surtout, en France, puis en Angleterre) et l’Empire, à vocation plus universelle62. 28. - Les mutations féodales – A des degrés divers, l’Europe médiévale est en pleine période féodale. De manière synthétique, le pouvoir est exercé par des seigneurs avec l’appui

56 L’Empire romain d’Orient, qui ne s’effondre qu’en 1453 avec la chute de Constantinople, a affirmé encore durant des siècles son droit à gouverner les territoires d’Europe occidentale. 57 A ce sujet, « [q]uoique l’idéal unitaire, qui compte parmi les plus importants des multiples héritages romains, n’ait jamais été bien éloigné de l’avant-scène de la conscience européenne, c’est la pluralité politique transmise par l’écroulement du Ve siècle qui a toujours prévalu en pratique » (J. H. BURNS, Histoire de la pensée politique médiévale 350-1450, Paris, PUF, 1993, p. 118). 58 Les doctrines des Pères de l’Église et l’héritage chrétien se propagent suite aux conquêtes franques et à l’action évangélique des Papes (c’est-à-dire, formellement, l’Évêque de Rome). 59 Son couronnement impérial à Rome, en 800, marque la rupture définitive avec Constantinople. 60 Voy. H. PIRENNE, Mahomet et Charlemagne, Paris, Perrin, 2016, 312 pages. À la suite de l’Hégire, en 622 après Jésus Christ, l’Islam entre dans une phase d’expansion territoriale depuis la péninsule arabique. En un siècle, l’Islam s’impose en Mésopotamie, en Syrie, en Palestine, en Egypte et en Afrique du Nord et progresse au Sud de l’Europe. L’avancée des armées musulmanes est cependant arrêtée à Poitiers, par Charles Martel, en 732. Cet empire théocratique ne survivra pas à l’éclosion des sultanats turcs au XIe siècle. Voy. G. MARTINEZ-GROS, L’Empire islamique

VIIe-XIe siècles, Paris, Passés composés, 2019, 334 pages.

61 Le territoire de l’Empire fluctuera au fil des siècles. Il englobera l’Allemagne et l’Italie du Nord, ainsi que quelques régions limitrophes, dans le sud de la Péninsule où s’est formée le Royaume de Sicile. Ce n’est qu’à la fin du Moyen Âge que le Saint-Empire prendra le nom de « Saint Empire romain de la Nation germanique » (sacrum romanum imperium nationis germanicae).

(20)

d’une classe militaire de chevaliers qui leur sont liés par des serments de fidélité63. Durant cette période, les rois n’ont pas de pouvoir réel en dehors de leurs territoires personnels. Autrement dit, ce qui se rapproche le plus de la notion d’État moderne (le Royaume) n’est généralement qu’une entité faible, qui sert de coupole à un grand nombre d’entités où s’exerce l’essentiel du pouvoir réel. Les nobles locaux, les ducs, les seigneurs sont presque totalement indépendants et transmettent leurs privilèges à leurs descendants. Sur le plan économique, la subsistance de la société est assurée par des serfs, qui constituent une classe de travailleurs non libres et principalement affectés au travail agricole.

L’Église catholique, elle-même en proie au désordre, se réforme au passage des XIe et XIIe siècles pour réorganiser le clergé, adopter de nouveaux dogmes et consolider le rôle du Pape. Ce dernier n’hésite pas à affirmer sa primauté universelle64, au nom d’une auctoritas qui supplanterait les prérogatives des seigneurs laïcs, rois et empereurs inclus65.

29. - La renaissance des villes – Atrophié depuis la chute de Rome, le commerce de longue distance se réactive peu à peu, principalement à l’initiative de villes d’Italie du Nord qui profitent par ailleurs des croisades. Ces villes marchandes, comme Venise, se développent à partir du IXe siècle et surtout au tournant du premier millénaire, en créant de nouveaux réseaux commerciaux internationaux avec l’espace méditerranéen, et, plus tard, avec l’Inde et la Chine66. Dans une moindre mesure, et souvent grâce à des chartes garantissant leur autonomie politique et financière, de nouveaux centres économiques se développent sur les littoraux, autour de la mer du Nord et de la mer Baltique. Bruges, par exemple, devient un centre important à partir de la fin du XIe siècle. Par la suite, des foires régionales – notamment celle de Champagne – rendent possibles les liaisons entre les espaces maritimes et commerciaux. Dans les villes qui prospèrent, une nouvelle classe sociale se développe, la bourgeoisie67 tandis que certains commerçants se regroupent pour contrebalancer le pouvoir des seigneurs68 et fonder des corporations.

30. - La consolidation du pouvoir central – Le XIIe siècle correspond, dans plusieurs régions de l’Europe, à une période de transition vers une reconstruction et un renforcement de

63 Les rapports politiques sont de la sorte basés sur l’allégeance et la fidélité personnelle entre un vassal et un suzerain. Le vassal peut se voir récompensé par un fief, généralement un lopin de terre : on parle alors d’une seigneurie. Voy. F. L. GANSHOF, Qu’est-ce que la féodalité ?, 3e éd., Bruxelles, Office de publicité, 1944, p. 97.

64 À partir de la fin du Ier millénaire, la papauté se sert notamment d’une contrefaçon, la donation

de Constantin, pour justifier ses revendications politiques. À suivre la donation, dont la fausseté

a été méthodiquement établie au XVe siècle par l'humaniste Laurent Valla, l’Empereur Constantin Ier aurait abandonné au pape Sylvestre l’imperium sur l’Occident au IVe siècle.

65 Revenant sur cette réforme centrale, Ernst Kantorowicz note : « [u]nder the pope as princeps and verus imperato, the hierarchical apparatus of the Roman Church […] showed a tendency to become the perfect prototype of an absolute and rational monarchy on a mystical basis, whereas simultanemously the state showed increasingly a tendency to become a quasi-Church and, in other respects, a mystical monarchy on a rational basis » (« Mysteries of State. An Absolutist Concept and its Late Medieval Origins », The Harvard Theological Review, 1955, no 1, p. 66). Voy. aussi P. TOUBERT, « Église et État au XIe siècle – la signification du moment grégorien pour la genèse de l’État moderne », in : J.-P. GENET et B. VINCENT (éds), État et Église dans la genèse

de l’État moderne, Madrid, Bibliothèque de la Casa de Velasquez, 1986, pp. 9-22.

66 C’est dans ces espaces, principalement en Italie, que nait, selon Fernand Braudel (F. BRAUDEL,

Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, t. 3, Le temps du monde, Paris, Armand Colin, 1979, p. 44 et La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985, p. 68) l’esprit du capitalisme au XIIIe siècle. En ce qui concerne les relations entre l’Europe et l’Asie et le réseau de routes commerciales qui relie les deux espaces, la route de la soie, déjà établie durant l’antiquité, voy. P. FRANKOPEAN, Les routes de la soie - L'histoire du cœur du monde, Paris, Flammarion, 2019, 960 pages.

67 Ceux-ci négocieront avec les seigneurs locaux – laïcs ou ecclésiastiques –, voire les affronteront, pour obtenir des franchises et chartes locales.

68 Fondée au XIIIe siècle, la Hanse est le parfait exemple d’une ligue de ville marchandes du nord (J. H. DUNNING et S. M. LUNDAN, Multinational Entreprises and the Global Economy, 2e éd., 2008, pp. 146-148). Elle disparaît dans le courant du XVIIe siècle.

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