• Aucun résultat trouvé

Valeurs de l'objet d'art : variations et usages potentiels

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Valeurs de l'objet d'art : variations et usages potentiels"

Copied!
51
0
0

Texte intégral

(1)

Valeurs de l’objet d’art :

Variations et usages potentiels

Mémoire

François Raymond

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© François Raymond, 2015

(2)
(3)

Résumé

Le mémoire qui suit accompagne l’exposition Paysages Financiers, présentée à la galerie Art Mûr de Montréal, du 17 janvier au 28 février 2015. Dans cette exposition, j’aborde les thèmes de la sacralisation de l’objet d’art, de son potentiel de profanation ainsi que la notion de valeur des œuvres. J’y présente un corpus d’œuvres constitué de : « Chemin de fer de fortune, Espaces publicitaires, Monuments, Bongzaïs, Paysages

financiers, Venise 2015, Guichets manuels ainsi que Joseph le mendiant ».

Issu d’une réflexion sur l’utilisation d’objets usuels possédant une valeur marchande précise dans la sphère des arts, mon corpus de maitrise questionne la possibilité d’usage de l’objet d’art et les tensions qui en découlent. En utilisant différents objets, images, symboles et codes de notre société que je détourne, je crée des œuvres picturales et sculpturales dont la notion symbolique, la notion de valeur et d’échange se métamorphosent. Je pose ainsi un regard sur les objets qui nous entourent ainsi que sur notre approche face au système de l’art. Je m’intéresse aux relations de sens (parfois disjonctifs) entre ces codes, mais surtout sur la relation entre le spectateur et l’objet d’art.

(4)
(5)

Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des figures ... vii

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

1. Sacralisation ... 3

1.1 Encadrement... 5

1.2 Produit d’art ... 7

2. Profanation ... 11

3. Production d’objets d’art ... 15

3.1 Sérialité ... 17

3.2 Traduction et produit dérivé : variation de l’œuvre ... 19

4. Notion de jeu ... 23

4.1 Jeu et détournement ... 23

4.2 Participation et futilité ... 26

4.3 Jeu, humour et ludisme ... 26

5. Exposition ... 29

Conclusion ... 39

(6)
(7)

Liste des figures

Figure 1: François Raymond, Urinoir, 2011, 127 x 254 x 116 centimètres, techniques mixtes. Crédit photo : Mike Patten. 

Figure 2 : Lygia Clark, Máscara abismo com tapa olhos, 1968, dimensions variables, techniques mixtes. Crédit photo : Sergio Gerardo Zalis. 

Figure 3: François Raymond, Encadrements, 2014, 25 x 30 centimètres, bois et acrylique. Crédit photo : François Raymond 

Figure 4: Capture d’écran du site internet : http://banksyt-shirts.com/shop/banksy-official-new-york-residency-souvenir-t-shirt/, consulté le 30 janvier 2015. 

Figure 5: François Raymond, Bongzaï, 2014, 10 x 7 x 5 pouces, techniques mixtes. Crédit photo : François Raymond 

Figure 6: Sol Lewitt, Wall drawing #50 A, 1968, 24 x 16 pieds (exécuté). 

Figure 7: François Raymond, The Cat Empire, 2011, 91 x 27 x 20 centimètres, techniques mixtes. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 8: François Raymond, Cendrier Ground Zero, 2011, 2 unités de 10 x 30.5 x 30.5 centimètres,

techniques mixtes. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 9 : François Raymond, Smockin’ Art, 2013, 2 unités de 15 x 20 centimètres, impression numérique. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 10 : François Raymond, Dialogue (Less-Fair), 2013, dimensions variables, techniques mixtes. Crédit photo : François Raymond 

Figure 11: François Raymond, Tragédie #1, 2014, 18 x 25 x 7,5 centimètres, techniques mixtes. Crédit

photo : François Raymond 

Figure 12 : Volker Morawe et Tilman Reiff, Painstation, 2001 

Figure 13: Gabriel Orozco, Carambole with a Pendulum, 1996, dimensions variables 

Figure 14: François Raymond, Venise 2015, 2014, 120 x 60 centimètres, huile sur fibre de pin. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 15: François Raymond, Joseph le mendiant, 2014, 137 x 92 centimètres de circonférence,

techniques mixtes. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 16: François Raymond, Guichet manuel (20, 5 et 10), 2014, 70 x 60 centimètres, lithographie. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 17: François Raymond, Vue d’ensemble de l’exposition Paysages financiers. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 18: François Raymond, Espace publicitaire (avion), 2014, 25 x 66 centimètres, techniques mixtes. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 19: François Raymond, Espace publicitaire (taxi), 2014, 25 x 70 centimètres (détail), techniques

mixtes. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 20: François Raymond, Espace publicitaire (camion-remorque), 2014, 25 x 66 centimètres,

techniques mixtes. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 21: François Raymond, série Monuments, 2014, 9 unités de 22 x 9 centimètres, impression numérique et hologramme. Crédit photo : Mike Patten 

Figure 22: François Raymond, série Bongzaï , 2014, 5 unités de 50 x 20 x 14 centimètres, techniques mixtes. Crédit photo : Mike Patten 

(8)

Figure 23: François Raymond, série Bongzaïs, 2014, 5 unités de 50 x 20 x 14 centimètres, techniques mixtes. Crédit photo : Mike Patten

(9)

Remerciements

Je tiens d’abord à remercier ma directrice de recherche, Julie Faubert, pour sa disponibilité, sa flexibilité ainsi que pour son énergie positive et ses conseils éclairants.

J’aimerais également remercier Maria Blouin pour sa patience et ses encouragements quotidiens ainsi que Jacques Samson, Sébastien Vachon et Denis Simard pour leurs conseils judicieux et leur expertise technique. Je tiens également à exprimer ma reconnaissance à mes parents et à mes amis proches qui me soutiennent et m’appuient dans ma carrière artistique.

(10)
(11)

Introduction

Dans certains projets antérieurs, je me suis intéressé à la possibilité d’utilisation de l’œuvre d’art. Je veux dire par là montrer, par la composition et la construction de l’œuvre, un usage potentiel de cette dernière, au même titre que l’objet ou le produit utilitaire. En d’autres termes, avec l’avènement du ready-made, les objets utilitaires ont envahi le champ artistique, devenant ainsi des œuvres. Mais est-ce que l’œuvre peut avoir une fonction « utilitaire » au sens propre ? Ce questionnement, toujours présent dans ma pratique, a mené à la réalisation d’œuvres comme Urinoir, qui propose un panthéon grec en guise de salle de bain pour chien miniature. Celle-ci possède tous les éléments pour une activation et une mise en espace permanente : un système d’éclairage, un système de drainage connectable aux égouts ainsi qu’une alimentation en eau. La finalité de l’œuvre est incertaine. Un acquéreur pourrait réellement faire usage de l’œuvre, qui par le fait même, abîmerait ou userait l’œuvre en question. Ici, la finalité de l’œuvre ou la nature de son statut en tant qu’objet d’art est compromise.

Figure 1: François Raymond, Urinoir, 2011, 127 x 254 x 116 centimètres, techniques mixtes. Crédit photo : Mike Patten.

Mon questionnement s’est poursuivi sur la façon dont nous présentons certains objets, autant dans notre quotidien que dans le système de l’art. Comment cette présentation peut-elle influencer notre regard sur le statut de cet objet, sur sa préciosité ? Comment détourner un objet banal pour le rendre presque sacré ? Dans mon corpus de maitrise, je tente de faire un rapprochement entre l’aspect sacral que peuvent avoir certaines

(12)

œuvres et leur potentiel de profanation1 par l'utilisation. De plus, je pose un regard sur le potentiel qu’a la

valeur d’usage à influencer la valeur d’échange de l’œuvre d’art, à la hausse comme à la baisse.

C’est sur cette réflexion que le corpus d’œuvres élaboré pendant ma maitrise s’est construit. Je parle principalement ici d’œuvres sculpturales et picturales, présentées de manière plus classique et/ou muséale. Présentation, donc mise en place par l’utilisation de socles, d’encadrements et de systèmes d’accrochage considérés comme standards par les musées et galeries. Le corpus d’œuvres s’articule plutôt autour de la notion de l’objet d’art et de sa présentation sacrale qui, je crois, est inculquée, encore aujourd’hui, très tôt chez la plupart des gens et est présente dans plusieurs institutions d’art. C’est sur ce point très précis que mon corpus se joue : comment dans ce type de présentation peut-il y avoir une approche potentiellement interactive face à ces objets ?

Ici, l’interaction ne fait pas appel aux « nouvelles » « technologies », terminologies qui sont, de mon point de vue, souvent liées ensemble dans le système de l’art ainsi que dans les écrits, essais et théories qui l’entourent. Chez moi, l'interaction constitue plutôt une tentative de mettre en tension le jeu entre la présentation de l’œuvre et son potentiel d’usage. Ce jeu, bien qu’il puisse effectivement être physique, par l’action concrète du spectateur sur l’œuvre, est selon moi tout au plus présent dans une possibilité d’interaction, que je qualifie de passive : une interaction entre le spectateur et l'œuvre qui serait plutôt imaginaire ou mentale. L’action du spectateur n’altère pas la compréhension ou même la lecture sémantique de l’œuvre, mais peut très certainement mener à une reconfiguration physique de l’œuvre, à une ambiguïté de sa finalité, et même intervenir sur son statut ainsi que sur sa valeur symbolique, sa valeur d’échange ou d’usage.

Il faut aussi noter que, si quelques actions posées pour la création de certaines œuvres (je pense ici à la série Monuments, créée à partir d’hologrammes découpés dans des devises canadiennes) peuvent de toute évidence avoir une dimension politique, l’enjeu de l’œuvre, lui, est loin de s’y résumer. Il ne faut donc pas voir cette dimension «politique» comme un commentaire de ma part sur un sujet précis : l’œuvre n’a pas de «réponse» préconçue à ce niveau, laissant plutôt le spectateur réfléchir ou même prendre position. Ce qui m’intéresse, ce sont les jeux de pouvoir qui résident entre les objets mis en scène au sein d’une œuvre et non pas l’idée de livrer mon opinion sur un sujet quelconque.

1 J’utilise l’oxymore «potentiel de profanation» pour parler d’une possibilité d’usage d’un objet qui souvent, se montre de manière

immuable, voir sacrée. Ces termes, bien qu’ils puissent paraître contradictoires, évoquent d’une façon très juste, selon moi, l’aspect ambigu que je désire donner à mes objets.

(13)

1. Sacralisation

« Il ne faut pas toucher aux œuvres », voilà un discours que l’on se fait sans cesse répéter depuis notre enfance.

Pour cela, plusieurs façons de présenter les œuvres sont mises en place dans le but d’une conservation plus efficiente. L’exemple connu de tous est celui de la plus célèbre des peintures : La Joconde de Leonardo Da Vinci. Elle est physiquement distanciée par un périmètre de sécurité créé par des gardes, sans parler de la surveillance accrue tant par les gardiens que par les caméras de sécurité. Nul ne peut l’approcher… à moins de vouloir vivre dangereusement !

Même les objets de Lygia Clark, qui étaient conçus pour être utilisés, manipulés, se sont vu réifiés lors de leur présentation ou de l'achat par un musée, comme on a pu le constater lors d’une rétrospective présentée au Museum Of Modern Art de New York en 2014. Désormais, plus personne ne peut toucher les objets de Clark, pourtant identifiés comme des « living experiences »2. Même si le travail de l’artiste se basait sur «the theory

that art should be both subjective and organic and that art should be shaped and manipulated by the spectator»3, cette attitude face à l’art n’a aucunement bousculé le désir et les principes fondateurs de la

conservation muséale.

2 Osthoff, Simone, 1997, Lygia Clark and Helio Oiticica : A legacy of interactivity and participation for a telematic future, Leonardo, Vol. 30, No. 4, p. 279-289

(14)

Figure 2 : Lygia Clark, Máscara abismo com tapa olhos, 1968, dimension variable, techniques mixtes. Crédit photo :

Sergio Gerardo Zalis.

Hormis le contrôle d’humidité, de température et d’éclairage des œuvres, une façon muséale d’avoir un plein contrôle sur la pérennité des œuvres est de sceller ces dernières. Une fois sous verre, il est certain que personne ne pourra abimer l’œuvre, voire même la toucher. Mais cette action d’enfermer un objet, tant sous verre que dans un coffre-fort, montre selon moi l’importance que nous consacrons à certains objets, et dans le cas échéant, à l’objet d’art. Je m’intéresse à son statut, mais surtout au potentiel de changement de ce dernier. Plusieurs œuvres de ce corpus jouent entre un aspect immuable, d’une finalité scellée, voire sacrée, tout en montrant un certain potentiel d’usage, de profanation de l’œuvre. Cette tension est créée par certains matériaux qui eux, hors du champ de l’art, ont une valeur d’usage ou d’échange, par exemple l’argent (je parle ici de la monnaie métallique ou en papier) qui est l’unité de valeur par excellence.

C’est pourquoi je qualifie ma pratique artistique de « pratique du détournement » : j’utilise, la plupart du temps, des objets qui sont justement tirés de notre monde, de mon quotidien. Chaque objet porte en lui une valeur

économique ou symbolique plus ou moins précieuse. Ce sont ces objets, munis d’une valeur intrinsèque, que j’exploite dans mes projets. Je me permets, par leur détournement, de questionner cette préciosité associée à

(15)

l’objet d’art. C’est en ce sens qu’une grande partie de mes œuvres utilisent les moyens sacralisants de présentation soit par exemple les socles, les cadres et boîtes en verre ou en acrylique, pour sur-affirmer leur valeur artistique et mettre de l’avant ce jeu inhérent au système de l’art. Montrer un objet anodin comme chose exceptionnelle, au sens d’une rare beauté. En quoi, par exemple, la valeur d’un hologramme ou celle des billets de loterie peut-elle interagir avec celle de l’objet d’art? Le point n’est pas seulement d’esthétiser ces objets, mais bien de les transformer physiquement ou conceptuellement dans le but de brouiller leur signification. Le but est de montrer un nouvel angle de vue sur ces choses issues du quotidien de plusieurs personnes, restructurer ou ouvrir la pensée ou la réflexion du spectateur face à un objet qui est, la plupart du temps, connu de ce dernier. L’idée n’est pas seulement de montrer le déplacement d’un objet dans un nouveau contexte, soit celui de l’art. C’est de tenter une approche réflexive face au spectateur, qu’il se questionne sur le monde qui l’entoure, mais surtout sur la manière dont ce monde se présente à lui.

1.1 Encadrement

Depuis deux ans, je m’intéresse à ce que je nomme la sacralisation de l’objet d’art. En atelier, ce thème m’a mené à concevoir des œuvres pensées et construites autour de l’idée d’encadrement. Ces œuvres sont créées et existent grâce et par l’encadrement. Ce dernier n’est pas utilisé dans le but de protéger ni d’embellir l’œuvre. L’encadrement est l’œuvre, ou du moins fait essentiellement partie de sa construction. Elle l’utilise dans sa manifestation, comparativement à une œuvre qui se fait insérer dans un cadre. Nous pouvons le remarquer dans des œuvres comme Encadrements. Celle-ci joue sur sa construction en tant que cadre par rapport à sa forme qui représente un diamant : la partie d’acrylique qui le constitue a été rainurée de façon à montrer le motif (stéréotypé) du diamant. En ce sens, l’œuvre perd sa qualité d’encadrement, car ces lignes creuses situées sur sa face créent de l’ombre à l’arrière du cadre, où l’image est supposée être installée. Bien que cette œuvre montre ce déplacement, entre sa forme qui annule en quelque sorte l’aspect utilitaire de l’encadrement, il ne faut qu’une action pour qu’elle perde son jeu issu du détournement, soit quelqu’un qui déciderait de l’utiliser malgré tout, lui redonnant ainsi son statut d’objet utilitaire.

(16)

Figure 3: François Raymond, Encadrements, 2014, 25 x 30 centimètres, bois et acrylique. Crédit photo : François

Raymond

L’exemple de la série des Paysages financiers est emblématique par rapport à cette réflexion. Celle-ci questionne l’utilisation de l’encadrement comme lieu même de la création de l’œuvre. Plutôt que de jouer le rôle de protection de l’œuvre, les cadres font l’œuvre. Paysages financiers est une série de cinq cadres, faits en érable et percés d’une fente dans la partie supérieure, assez grande pour laisser passer billets de banque et monnaies. Ces cadres presque vides deviennent donc une œuvre tirelire, où l’enjeu est de la remplir. Lors de leur exposition, il ne faut qu’une seule pièce pour que le spectateur comprenne qu’il s’agit en fait d’une banque. Une seule pièce suffit pour tomber dans un jeu mental entre le pouvoir d’action et l’aspect sacral de l’œuvre. Et si le spectateur décide d’utiliser l’œuvre, que devient son statut ? Passe-t-il directement d’une œuvre à un produit ?

(17)

1.2 Produit d’art

D’après le texte de Nathalie Heinich intitulé Le triple jeu de l’art contemporain4, depuis longtemps, les artistes

ont des réactions face à l’institution, même muséale, soit depuis la fin de l’académisme ou de l’apparition des « temples-musées »5. Depuis les années soixante, plusieurs artistes ont questionné le lien entre l’art et

l’institution. Ce questionnement a changé la vision de l’art que certains avaient, au détriment de la production d’objet d’art. Ainsi, nous pouvons remarquer que plusieurs nouvelles formes de création ont vu le jour au sein des arts visuels, comme la performance, l’installation, le happening et l’art in situ. Ces pratiques, dont plusieurs s’effectuent avec l’idée du moment présent (création et réception de l’œuvre se réalisent de façon simultanée) n’avaient aucune pérennité dans le temps. Pour certains artistes, l’enjeu résidait dans cet aspect éphémère, tandis que pour d’autres, une nécessité de documenter leurs actions artistiques s’est fait sentir. Dès lors, la photographie ne sera plus seulement un médium artistique lié par son fonctionnement à la notion de temporalité, mais deviendra aussi l’outil emblématique pour capter des images d’œuvres produites dans le cadre des pratiques éphémères mentionnées précédemment. Dans certains projets ou œuvres éphémères, je crois que la documentation certifiant la teneur artistique de l’action posée est nécessaire, mais que le statut de cette documentation, ou de son utilisation reste souvent ambigu. Les positions face à la documentation de ces types d’œuvres sont mitigées, et donc perçues différemment selon les auteurs. Je pense que pour prospérer ou justifier leur inscription dans le système de l’art, il va de soi que ces pratiques doivent générer des documents, qu’ils soient écrits et datés, photographiés ou même enregistrés sur vidéo ou bande audio. Ces preuves, si l’on veut, sont devenues une clé de voûte pour plusieurs pratiques, voire même pour l’acquisition des œuvres qui en découle, tant au niveau public que privé. C’est un exemple de situation qui m'amène à percevoir la production artistique comme quelque chose engendrant, presque toujours, un produit. L’œuvre n’est plus seulement l’action posée, mais bien toutes les productions qui en découlent.

Ainsi, nous pourrions très bien voir en galerie des photographies d’une performance d’un artiste, à titre d’objet à la fois documentaire et artistique. Nous pourrions prendre l’exemple de la pratique de Sophie Calle, au sein de laquelle la photographie est intrinsèque à la présentation des performances qu’elle réalise. Dans son œuvre Suite Vénitienne, Calle suit un inconnu dans les rues de Paris. Apprenant que ce dernier part à Venise, elle décide de poursuivre sa filature jusqu’en Italie. Le partage de cette action avec le public s’effectue, dans le cas présent, par le biais de l’appareil photographique. Bien que cette production de photos soit parfois générée à titre de preuve, agissent-elles la plupart du temps en tant qu’œuvre? Est-ce un produit dérivé de

4 Heinich, Nathalie. 1998. Le triple jeu de l’art contemporain. Paris : Les Éditions de Minuit, 375p. 5  Expression empruntée à Octavio Paz. 

(18)

l’œuvre ? Personnellement, je crois que plusieurs artistes qui s’incluent ou disent produire des œuvres dans le cadre d’une pratique qualifié d’éphémère ont de la difficulté à assumer entièrement leur position. La documentation de l’œuvre cristallise cette dernière dans le temps, et, je pense, transpose souvent l’œuvre à l’intérieur de cette preuve. En ce sens, une rétrospective ou bien même l’acquisition de l’œuvre de Calle doit certainement prendre la forme photographique…

Un artiste qui réussit à déjouer ce système de réification de l’œuvre est certainement Tino Sehgal; « les "situations construites" faites de séquences chorégraphiées et d’instructions orales exécutées par des "joueurs" et "interprètes" à l’intérieur de musées ou de galeries »6 ne sont d’aucune façon transformées en

objets, et ce, même pour la vente d’une de ses œuvres :

En considération du rejet absolu, par Sehgal, des objets manufacturés, le processus d’acquisition d’une de ses œuvres consiste en une transaction purement orale engageant l’artiste ou l’un de ses représentants, la direction, la conservation et le registariat du musée, et un juriste. Les conditions d’acquisition et d’installation de l’œuvre sont énoncées, et ainsi mémorisées par tous les assistants ; le prix est négocié et, quand les deux parties parviennent à un accord, on se serre la main. Aucun document écrit n’accompagne cette démarche. Les conditions de présentation spécifient la rémunération de tous les interprètes en plus d’une stricte interdiction de captation vidéo ou photographique, d’impression de communiqués de presse, d’un catalogue, de cartels ou de panneaux didactiques.7

Bien que le dernier exemple soit peut-être un peu extrême, je crois sincèrement qu’il est très difficile de ne pas se faire récupérer par le système de l’art. J’entends par « récupérer » le fait de voir sa production transformée, soit directement sur les œuvres (comme dans le cas de Clark), soit par une création de produits (dérivés) autour de l’œuvre. Mon travail porte en lui cette pleine acceptation de cette impossibilité et va jusqu’à la montrer. Même aujourd’hui, avec un système de l’art au sein duquel diverses institutions artistiques proposent des expositions qui se réalisent en tant que « projets » dans le but de ne plus créer d’objets d’art, il me semble que l’on n’échappe pas (ou peu), finalement, à la création d’objets : il y a une abondance de produits physiques créés autour de ces œuvres-projets, que l’on pense simplement aux cartels, catalogues, textes explicatifs, etc. Un exemple qui me semble assez frappant est celui du « graffiteur » Banksy. Ce dernier, œuvrant principalement dans le street art, a créé plusieurs images ou actions que je croyais anti- institutionnelles, comme dans la vidéo Banksy in museum8, où ce dernier entre à l’intérieur de divers musées

et y colle de ses « œuvres » sans autorisation. Je croyais effectivement que sa pratique, son « médium », son

6 Wanda Palma, 2013, L’exposition de Tino Sehgal au MAC. Repéré à http://www.macm.org/expositions/tino-sehgal/,

consulté le 2 juillet 2014

7 Ibid.

8 Bowen90, 2006, Banksy in museum. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=EkUbYBo5xgs, consulté le 30 janvier

(19)

lieu d’intervention ou même certains messages que portent ses œuvres se voulaient un pied de nez à la fois au système capitaliste et à celui de l’art. Pourtant, en 2014, Bansky a fait une résidence de création d’un mois à New York, pendant laquelle son travail n’a pas seulement produit des oeuvres, mais aussi une tonne de produits dérivés : un documentaire produit par HBO (Banksy does New York), un livre (Banksy in New York), de multiples affiches à l’effigie de ses œuvres, et même un gilet souvenir de sa résidence ! En écrivant le nom de l’artiste sur à peu près n’importe quel outil de recherche internet, il est pratiquement plus facile de trouver des produits dérivés de sa production que des photos de ses œuvres.

Figure 4: Capture d’écran du site internet :

http://banksyt-shirts.com/shop/banksy-official-new-york-residency-souvenir-t-shirt/, consulté le 30 janvier 2015.

C’est à partir de ce questionnement sur l’œuvre, sa documentation ainsi que sur les produits dérivés de l’art que j'ai souhaité créer des objets d’arts et les présenter de manière à renforcer ce statut. C’est en ce sens que j’ai misé sur des constructions picturales et sculpturales : pour leur présence physique et pour leur statut autonome d' « objets » (par opposition, par exemple, à l'installation). Tout comme les objets que je détourne, le choix des œuvres ne s’arrête guère à leur aspect plastique. Je crois que ce type de travail, ainsi que sa présentation, comporte une zone d’appréhension commune à tout un chacun. Autrement dit, selon moi, il y a déjà un préconçu, un passé collectif face à la lecture d’une œuvre de facture plus traditionnelle dont ferait partie, par exemple, le fameux : « ne pas toucher, œuvre d’art ». En ce sens, je ne travaille pas seulement avec des objets ayant une valeur (d’échange ou symbolique) préétablie, mais avec une culture commune, une conscience et un imaginaire collectif. Mes œuvres se réalisent par l’amalgame de ces termes que je détourne, que je mets en relation de jeu.

(20)

Le jeu pour moi consiste alors à réfléchir aux différentes façons de proposer le « toucher » (ou la profanation) au spectateur. Plus précisément, je cherche à produire une zone d’indiscernabilité au sein de la lecture du spectateur, c'est-à-dire entre ce qu’il voit (objet d’art), et ce qu’il peut (action, usage). L’œuvre se joue donc un peu d’elle-même, pataugeant entre deux états, tout comme le chat de Schrödinger, qui lui serait à la fois vivant et mort, jusqu’à ce que quelqu’un décide d’ouvrir la boite dans laquelle il est enfermé. La finalité est ici entre les mains du spectateur :conserver l’œuvre dans son état initial, sacral, ou bien l’utiliser, la profaner. Mais, potentiellement, l’œuvre est toujours entre ces deux états, et surtout dans l’inaction.

(21)

2. Profanation

Le sacré tend à soustraire « les choses, les lieux, les animaux ou les personnes à l’usage commun pour les transférer au sein d’une sphère séparée »9. Celui-ci, intouchable, enlève donc aux hommes toute possibilité

d’user de tout ce qui touche à cette sphère. La profanation signifie «au contraire [la] restitution au libre usage des hommes »10. Nous pouvons constater ce passage entre le sacré et l’homme dans les rituels tels que les

sacrifices. Comme l’explique Agamben11, l’animal, ou victime, se fait sacrifier pour les dieux, mais une fois le

rite accompli, l’homme touchant à la chair, du moins aux parties non offertes aux dieux, restitue cette dernière à sa consommation, à son usage. Nous pouvons voir ici que l’une « des formes les plus simples de la profanation se réalise par contact (contagione) »12. Cette contagion par le toucher peut selon moi se faire voir

fréquemment dans la sphère des arts, tant par la présentation des œuvres que par notre approche parfois préconçue vis-à-vis celles-ci.

Or, ce qui m’intéresse particulièrement ici est l’ambiguïté qui peut résider dans une œuvre d’art et son potentiel de profanation; c’est de mettre en œuvre cette tension en proposant l’utilisation de l’œuvre au même titre que celle d’un objet utilitaire. L’œuvre interactive ou participative est faite pour être touchée. Mes projets sont, au contraire, partie prenante de cette sphère d’idées préconçues d’un art traditionnel et sacré. Dans mon travail, c’est avec une esthétique du non touchable que le jeu entre la sacralisation et la profanation par l’utilisation de l’œuvre s’effectue, brouillant ainsi les pistes. La finalité de l’œuvre y est toujours compromise. L’utilisation de l’œuvre va à l’encontre de la « religion de l’art »13 et de son immortalité souvent espérée.

La série Bongzaïs traite spécifiquement de ces tensions abordées entre la sacralisation et la profanation. Ceux-ci sont des arbres en plastique miniatures, d’environ cinq par quatre par trois pouces, insérés dans de petits pots, sur un sol gazonneux. Ils sont placés dans une boîte dont les quatre faces horizontales sont composées d’acrylique transparent et dont le couvercle est muni d’un système de serrure. Le feuillage de chacun de ces bonzaïs est constitué de différentes sortes d’«herbes» possédant chacune des qualités et une valeur distinctes. Bien qu’ils soient scellés et verrouillés, les acheteurs auraient, potentiellement, toujours le choix ou la possibilité de consommer le feuillage. L’œuvre présente simultanément cette possibilité d’usage et

9 Agamben, Giorgio. 2006. « L’éloge de la profanation » In Profanations. Paris : Éditions Rivages, p. 91-116

10 Ibid.

11 Ibid.

12 Ibid.

(22)

son apparence d’une immuable finalité. Mais qu’adviendrait-il de l’œuvre si elle perdait l’une de ses composantes ? Les réponses peuvent être multiples dépendamment de la vision que l’on possède, tout un chacun, de ces dernières ou simplement de l’art.

Figure 5: François Raymond, Bongzaïs, 2014, 50 x 20 x 14 centimètres chacun, techniques mixtes. Crédit photo :

François Raymond

D’autre part, si cette dite personne fait volatiliser mon œuvre, du moins une partie, en fumée, et que nous partons de la prémisse qu’elle est détruite par cette action, le remplacement du feuillage par cette tierce personne redonne-t-elle les qualités premières de l’œuvre ? Mes œuvres se montrent d’une façon autonome; elles ne requièrent pas d’action pour les « activer » ou même pour les comprendre. La lecture montre la tension entre l’action (proposée) et l’autonomie de l’objet d’art, comparativement à certaines œuvres participatives, ou même à des œuvres issues du « statements » (postures) qui ont été réalisées au siècle dernier. Pensons ici à des œuvres comme Drawing serie de Sol Lewitt. Celles-ci sont réalisées par une multitude de personnes à partir d’instructions émises par l’artiste. Ces instructions sont l’œuvre; elles la réalisent et l’habitent en même temps.

(23)

Figure 6: Sol Lewitt, Wall drawing #50 A, 1968, 24 x 16 pieds (exécuté).

Dans mes œuvres, ce n’est ni l’aspect participatif, comme dans le cas précédent, ni l’aspect réglementaire qu’elles questionnent. Elles montrent plutôt les tensions entre les possibilités qu’elles suggèrent, entre ce qui est présenté et ce qui serait possible. La finalité de l'œuvre est potentiellement compromise par le choix du spectateur. La participation y est à la fois futile, c’est-à-dire qu’elle est non nécessaire à la compréhension de l’œuvre, voire même dangereuse s’il y avait destruction de l’œuvre ! Cette dernière, bien qu’utilisable, ne s’accomplit pas lors de son usage : elle est saisissable mentalement. C’est ce jeu mental qui m’intéresse. Il n’y a aucune nécessité à l’action posée par le spectateur sur l’œuvre. Je ne présente pas seulement le détournement d’un objet ou même d’un code de présentation de l’objet d’art, mais aussi les actions qui peuvent être entreprises face à l’objet auquel le spectateur est confronté. Le but est de placer le spectateur dans un jeu valsant entre la possibilité d’utilisation et le caractère intouchable de l’œuvre. Bien qu’en général j’estime que les gens n’oseront pas toucher à l’œuvre, par exemple briser un des Guichet manuel pour récolter quinze dollars canadiens. Voilà ce qui m’intéresse : le jeu entre ces possibles.

(24)
(25)

3. Production d’objets d’art

Lors de la production de mes œuvres, je mise premièrement sur l’élaboration conceptuelle de mes propositions. L’aspect plastique vient en second lieu de manière à être intimement lié au concept inhérent à l’œuvre; il est créé pour appuyer, voire pour matérialiser l’idée. En d’autres termes, je planifie en premier lieu le jeu auquel l’œuvre ou la série se pliera. Par la suite, l’aspect esthétique se développe en maquette et en tests pour tenter de présenter ce jeu, intrinsèquement lié au statut et à la présentation même de l’œuvre. Par exemple, dans Espace publicitaire, différents véhicules à échelle réduite sont présents pour la construction du paysage. Nous pouvons voir un avion volant avec sa banderole ou encore un taxi au milieu d’une intersection. Ces modèles réduits ne servent pas seulement la composition plastique de l’œuvre, mais aussi l’aspect conceptuel. C’est en lisant les écriteaux sur ces différents paysages que nous comprenons l’utilité du moyen de transport, soit pour afficher de la publicité. Dans ce type de projet que je nomme « œuvre-maquette », l’échelle des objets joue un rôle très important. Les objets de maquettiste se réfèrent toujours à un objet de notre monde, ils ont toujours un lien vers l’objet qu’ils représentent dans sa version grandeur nature. Cet attribut référentiel est perceptible dans le cas de la série Espaces publicitaires, où la mise en scène entre la photographie et le véhicule, crée un paysage qui, selon moi, renvoie à des souvenirs, des images ou situations de la vie courante. Cependant, il y a certaines ambiguïtés que soulèvent les œuvres par leur proposition : elles se vendent, du moins une partie, pour faire de la publicité. La seule différence est de quelques pieds ou mètres de grandeur… Prenons l’exemple de la remorque. La proportion est de vingt fois plus petite que dans la « réalité ». L’enjeu de cette série n’est aucunement de montrer lamaquette d’un projet futur à plus grande échelle, mais bien de jouer sur les limites entre la représentation d’une œuvre traditionnelle et sa la suggestion à de son utilisation en tant que publicité.

Je produis habituellement une épreuve avant de me lancer dans la production finale de mes œuvres, pour évaluer la pertinence, mais surtout pour regarder si le rapport de taille entre les objets est juste. La création d’épreuves ne s’effectue pas seulement lorsqu’il s’agit d’une « œuvre-maquette », mais pour à peu près toutes mes pièces. Pour celles qui seront réalisées en série, je construis à partir de ce test différents guides ou matrices, tant pour la réalisation des pièces nécessaires à la construction que pour l’assemblage.

Je proviens d’une génération d’artistesqui, depuis son insertion institutionnelle dans un programme en arts visuels (dans mon cas, le collège), se fait dire par ses professeurs ou même par son cheminement personnel dans l’histoire de l’art, que « tout a déjà été fait ». Dans cette optique de pensée, je tente le plus souvent qu’il

(26)

m’est possible d’acheter des objets préfabriqués au lieu de les construire moi-même. C’est pour cette raison que la recherche de mes objets est une partie nécessaire à la mise en production de mes œuvres. Ces recherches peuvent s’étaler aussi bien d’un magasin de jouets pour enfants qu’à des compagnies industrielles œuvrant dans différents domaines. Dans le cas où je suis dans l’incapacité de trouver l’objet désiré, je vais plutôt me mettre à la recherche de renseignements qui me permettront de réaliser cet objet de manière fidèle. C’est en compilant différentes informations comme les schémas, photographies, nombre d’étages ou dimensions des poutres d’un bâtiment, etc. que je calcule à échelle exacte, les dimensions et/ou les plans de mes pièces. Nous pouvons remarquer ce procédé dans des œuvres antérieures telles que The cat empire et

Cendrier Ground dans lesquelles je reprends l’Empire State Building ainsi que le futur14 complexe

commémoratif.

Figure 7: François Raymond, The Cat Empire, 2011, 91 x 27 x 20 centimètres, techniques mixtes. Crédit photo : Mike

Patten

Figure 8: François Raymond, Cendrier Ground Zero, 2011, 2 unités de 10 x 30.5 x 30.5 centimètres, techniques mixtes.

Crédit photo : Mike Patten

Ainsi, l’échelle, la cueillette des objets sélectionnés, puis la création de matrices constituent toutes des étapes, des éléments significatifs au sein de ma pratique. S’ajoute à celles-ci, une notion qui prend actuellement de l’ampleur au sein de ma production, soit celle de la sérialité.

(27)

3.1 Sérialité

Dans ma production, je travaille avec deux types de sérialité. Premièrement, il y a celle que je pourrais qualifier d’économique, qui correspond simplement au besoin de faire plusieurs exemplaires d’une même œuvre, car elle est prisée. Deuxièmement, il y a la sérialité que je qualifie plutôt de conceptuelle. Ici, la sérialité n’existe plus seulement dans un but de production répétitive, mais bien dans celui d’agir directement sur la lecture des œuvres par le biais de la variation et de la ponctuation de ces dernières. La création sérielle (dans une vision conceptuelle du terme) est pour moi une façon, voire un espace, qui me permet d’activer et de jouer sur le concept même de la série, en proposant des objets qui, malgré une base commune lors de leur production, notent et montrent différentes variations et transformations Ces transformations, qui se manifestent tant au niveau formel qu’à celui de la valeur, qu’elle soit d’usage ou d’échange, sont présentes dans des séries comme Monuments, Bongzaïs, Guichet manuel et Paysages financiers. Ces pièces proposent des variations soit sur leur quantité matérielle, c’est-à-dire le nombre de billets ou de monnaies, soit sur leur échelle de valeur monétaire, c’est-à-dire leur valeur via notre système économique.

Pour ce corpus d’œuvres, je me suis davantage penché sur la sérialité «conceptuelle» et ses enjeux. En changeant un élément, voire une variante de l’œuvre, il y a un développement dans le temps et dans l’espace de ces objets. Dans la série Monuments, des œuvres picturales formées par des impressions numériques de ciel retrouvent en leur centre deux monuments holographiques – différents pour chacun des ciels - provenant des billets de banque. Nous pouvons apercevoir l’un des ciels avec deux hologrammes de la Tour de la Paix, provenant des billets de vingt dollars, tandis qu’un autre possède, par exemple, deux hologrammes de l’édifice de l’Est du Parlement, hologrammes qui eux, se retrouvent sur les billets de cent dollars et ainsi de suite. Bien que les œuvres soient construites à partir d’une base identique, leur ancien usage ou référence financière fait varier leur configuration plastique et leur valeur. La présentation de l’ensemble des œuvres de la série est alors nécessaire à la bonne compréhension conceptuelle du corpus.

Dans le cas de la série Paysages financiers, la lecture de la série s’effectue par le déplacement du spectateur qui peut à la fois regarder un paysage en évolution, qui est, soit dit en passant, intrinsèque à l’utilisation de chacune des pièces; et le changement de paysages entre les différentes œuvres. Les différences existantes entre les diverses versions infléchissent la lecture de tous les autres objets de la série. La présentation et configuration de l’espace d’encadrement se fait à partir d’argent et de différentes devises. Or, ce n’est pas seulement la valeur de ces devises qui change l’œuvre, mais aussi leurs tailles, images et couleurs différentes proposant ainsi mentalement, un paysage en lien avec la situation géographique et politique de la provenance de ces billets ou pièces de monnaie. L’argent dans ces œuvres est utilisé autant pour sa dimension qualitative

(28)

que quantitative. Ces panoramas peuvent devenir des paysages financiers canadiens, américains ou européens et ainsi de suite, dépendamment des devises utilisées pour les remplir. Dans ces réalisations, la possibilité d’utilisation de l’œuvre peut jouer directement sur sa valeur monétaire. Imaginons un acquéreur se laissant emporter par le jeu de l’œuvre en commençant à ajouter de l’argent à l’intérieur de cette dernière. Il serait fou de ne pas considérer l’argent présent dans l’œuvre comme partie intégrale de sa valeur financière. L’acquéreur n’achète pas seulement une œuvre qui possède une valeur financière, qui je crois est habituellement reliée à la notoriété ou célébrité de son auteur, ou encore à une valeur reliée à une économie

du signe15. Il peut jouer directement sur sa valeur marchande; c’est la proposition d’interaction de l’œuvre.

Dans l’optique où la sérialité au sein d’un corpus devient un agent agissant sur la présentation plastique d’œuvres semblables ou sur leur valeur monétaire, il est important de les présenter ensemble dans leur entièreté au lieu de simplement inscrire le nombre d’exemplaires disponibles sur les cartels. Toutefois, ces derniers constituent parfois une clef de lecture de certaines de mes œuvres; c’est par leur lecture que nous pourrons constater la variation de la valeur marchande des œuvres. Chaque œuvre d’une même série aura donc son propre cartel, du moins ses informations, pour surenchérir sur leurs différences tant visibles, ici, par les matériaux, qu’invisibles, si l’on pense à leur valeur. Nous pourrions voir, dans ce type de sérialité, des clins d’œil, des renvois sémantiques, entre la notion de série et la fabrication industrielle et automatisée des objets qui nous entourent. Il me semble que le travail à la chaîne a pour but d’augmenter la productivité ainsi que la standardisation des objets produits. Mes œuvres vont à l’inverse de ce fonctionnement même si par leur construction, elles imitent certains procédés reliés à l’industrie. Malgré l’utilisation de techniques de reproduction pour la réalisation de certaines portions de mes œuvres, elles comportent habituellement toutes leurs lots d’erreurs puisqu’elles sont faites manuellement. La création de gabarits de traçages, de coupes ou d’assemblages engendre aussi, toujours, des variations, malgré qu’elles soient quasiment invisibles. Je pense que ces deux critères sont habituellement liés à la valeur des objets utilitaires : d’une part il y a leur qualité et efficacité (valeur d’usage) et de l’autre, la rentabilité de production (coûts de production vs prix au détail). Dans la sphère particulière du système de l’art, je crois personnellement que la valeur d’une œuvre se construit plutôt à partir du signe et du symbole. L’aspect unique de l’objet d’art est certes important afin d’attribuer cette valeur. Même en travaillant avec et sur la notion de la sérialité, dans le marché de l’art, il est impossible de produire des copies presque infinies d’une même œuvre. L’aspect marchand de l’art impose un nombre limité d’éditions pour l’attribution d’une valeur sur un critère d’unicité de l’objet, comparativement à un ébéniste avec ses poivrières ou aux usines de production de masse. C’est ici que le système de l’art m’attrape dans ses filets bien construits.

15 Terme emprunté à Jean Baudrillard.

(29)

3.2 Traduction et produit dérivé : variation de l’œuvre

Dans plusieurs de mes propositions, la langue est utilisée comme n’importe quel autre objet de notre vie. Au Québec, la plupart des objets (du moins leurs noms et descriptions) que nous côtoyons sont bilingues. Dans une optique de sérialité, je me suis donc intéressé à la traduction (principalement français-anglais) comme façon de dédoubler une série. Dans mon cas, le but n’est pas essentiellement d’augmenter son volume de production, mais surtout de me jouer de l'idée de série (nombre de copies). Nous pouvons voir un tel intérêt dans les œuvres Smokin’ Art qui représentent des paquets de cigarettes identiques à ceux que l’on peut acheter hormis en ce qui a trait au texte, qui lui, est modifié. Pour leur présentation, j’ai encadré ces paquets dans le but, mentionné précédemment, de donner à ces objets banals le statut d’œuvre d’art. Le fait d’encadrer ces œuvres m’oblige à ne rendre visible qu’une seule face de l’objet soit le côté français ou anglais. De ce fait, la série devient double. Ce dédoublement n’est pas seulement réalisé dans un but économique, mais plutôt dans celui de montrer une variation ou ponctuation (parfois minime) d’un objet presque identique. La traduction d’une même phrase n’est jamais identique à sa version première puisque les langues ont leur propre structure, et ce, même si elles proviennent d’une même souche linguistique. Chacune de ces œuvres apporte une lecture plus approfondie de la même pièce, un va-et-vient s’opère entre ces différentes versions. Il y a ici, selon moi, une ponctuation d’œuvres semblables, une gradation qui se fait tant au niveau mental qu’au niveau spatial de l’accrochage. J’ai observé différentes personnes réagir devant ces œuvres (accrochées en schéma de « grille »): les spectateurs passaient d’une œuvre à un endroit « X » de la grille et balayaient du regard toutes les œuvres pour trouver leur pendant dans l’autre langue. Certains duos offraient deux textes totalement différents, par exemple, sur l’une des versions françaises, nous pouvions lire « De l’art s’il vous plait! » et « Don’t poison art», pour la version anglaise. Ce qui m’intéresse dans l’aspect de la traduction est encore une fois le passage tant esthétique que sémantique qui se crée dans les œuvres, supposément « semblables ». De plus, je crois que les langues ont des structures qui fondent nos piliers de base mentale, notre réflexion. Chacune des langues, par leur construction apporte une conceptualisation différente des choses, et ce, même dans le cas traitant d’un même sujet. Personnellement, je ne crois pas penser de façon similaire quand je réfléchis en français ou en anglais; les langues sont structurées et nous structurent. Pourtant, je suis la même personne, avec les mêmes acquis. C’est cette légère distanciation qui peut résulter de la traduction qui m’intéresse, d’autant plus que le fait de jouer sur mon propre concept de ce qui est « permis » (quantité d’œuvres) de faire lors d’une production en série. Le but de la traduction ici est double, d’une part, elle agit pour ponctuer la lecture de chaque œuvre faisant partie de la série et, de l’autre, pour « contourner » certaines normes associées au système de l’art.

(30)

Figure 9 : François Raymond, Smockin’ Art, 2013, 2 unités de 15 x 20 centimètres, impression numérique. Crédit photo :

Mike Patten

Un autre aspect vers lequel je me suis tourné pour doubler ou multiplier mes œuvres est leur mode de présentation. Dans la série Dialogue qui présente des messages SMS, le même duo de textes est reproduit au minimum deux fois : l’un est destiné à être accroché dans les lieux de diffusion, l’autre est emballé et accroché au mur par un système de crochets similaire à celui de certains produits présentés en magasin. Pour moi, l’emballage joue le même rôle que les cadres ou les boîtes de plexiglas déjà mentionnés, soit celui de sacraliser l’œuvre. Même si l’emballage indique clairement que l’œuvre est « prête » à être utilisée, l’ambiguïté réside tout de même à savoir si l’action de déballer l’œuvre ne l’abîmera pas, ou bien ne changera pas son statut. En ce sens, l’œuvre non emballée se veut démonstrative de la possibilité, sans pourtant dicter la « bonne » lecture ou façon de « consommer » l’œuvre. Tout comme certaines œuvres qui présentent la possibilité d’usage, le jeu de cette œuvre se veut de questionner le spectateur à savoir si l’emballage est ou n’est pas une partie intégrale de l’œuvre. Je vois cette série comme une métaphore du dialogue : les objets-textes renvoient directement au dialogue qui se joue entre art et non-art.

(31)

Figure 10 : François Raymond, Dialogue (Less-Fair), 2013, dimensions variables, techniques mixtes. Crédit photo :

François Raymond

Figures 11 : François Raymond, Chemin de fer de fortune (détail), 2014, dimensions variables, techniques mixtes. Crédit photo : François Raymond

(32)

L’œuvre Chemin de fer de fortune, qui est présentée dans mon exposition de maîtrise, représente un train comprenant une quarantaine de wagons faits de rouleaux de cinq sous. Ce dernier parcourt neuf socles présentés un à la suite de l’autre, totalisant environ treize pieds de longueur. À partir de cette œuvre, je me suis intéressé à la notion de produit dérivé d’une œuvre. C’est en isolant une section de ce train, soit les wagons, que j’ai construit différentes mises en scène. Ces paysages, créés avec des wagons seuls dans plusieurs positions, agrémentés d’un arrière-plan nuageux, sont présentés dans des boites de plastique transparentes, qui elles, sont par la suite installées sur un crochet. Cette seule manière de présenter ces propositions affecte selon moi la lecture directe de l’œuvre par la simple familiarité qu’a ce type de présentoir sur les gens :une référence directe aux produits commerciaux présents dans les étalages de boutiques. Ces œuvres présentent le principe du produit dérivé qui est selon moi un objet confectionné à partir d’une section d’un plus grand ensemble (exemple : figurine – personnage d’un film). Les « produits dérivés » peuvent ici êtres lisibles comme des œuvres indépendantes et autonomes, mais ces œuvres ont tout de même un référent (il faut évidemment les voir dans le même évènement ou exposition). Elles entrent en dialogue avec une autre œuvre. Elles ne sont pas non plus le complément ou une clef de compréhension de l’autre proposition. Elles apportent seulement une strate de lecture différente; on passe d’une pièce à l’autre pour accentuer la lecture de chacune, comme dans le cas des traductions. Ce dialogue entre l’œuvre et ses produits dérivés peut se sentir beaucoup plus narratif ici que dans le cas de d’autres séries fonctionnant sur des schèmes semblables. Tant dans leur présentation et construction que dans la lecture de leurs titres (Chemin de fer de fortune et Tragédies), la relation entre ces œuvres – produit dérivé et ensemble - est présentée d’emblée. Leur format et déploiement, ainsi qu’une conception temporelle nous indique bel et bien que l’un se « produit » avant l’autre.

Figure 12: François Raymond, Tragédie #1, 2014, 18 x 25 x 7,5 centimètres, techniques mixtes. Crédit photo : François

(33)

4. Notion de jeu

La notion de jeu ne se montre pas toujours frontalement dans ma pratique artistique. Le jeu est plutôt une attitude pour moi, une façon d’aborder l’art, voire même la vie. Cette attitude et cette notion de jeu se retrouvent ancrés dans mes propositions artistiques sous plusieurs formes, tant sur le plan plastique que conceptuel. À travers ces prochaines lignes, je tenterai d’examiner cette attitude ludique latente, qui caractérise, je crois, l’ « essence » de ma pratique, aux multiples formes et médiums. Je ne désire pas (re)lancer le débat entre l’art et le jeu, mais bien tenter d’expliquer le fonctionnement, la construction ou la représentation du jeu au sein de mes pièces.

4.1 Jeu et détournement

Ce qui m’intéresse d’abord dans la notion de jeu, c’est le déploiement (préétabli) de son système et ce, peu importe de quelles manières le jeu se montre, tant physiquement (terrain), socialement (réglementation, arbitrage) ou temporel (temps du jeu lui-même, évènements ponctuels). C’est par diverses règles que se dressent maintes balises, parfois complexes, mais acceptées de tous, car si les joueurs les enfreignent ou les questionnent, ils ne sont tout simplement plus dans le jeu. En d’autres mots, « le jeu met en évidence que toute forme de réalité obéit à un certain nombre de règles »16. Bien que le jeu puisse paraître rigide par sa

construction, un des aspects fondamentaux du jeu (et non pas un système qui pourrait tout expliquer de nos structures mentales, sociales, politiques, etc.) est lié au fait qu’il divertit, ou comme l’écrit d’Aristote, « on joue dans le but du délassement »17. Ce délassement réside dans le jeu, même si celui-ci nécessite un effort

(physique ou mental), il « désigne seulement l’absence de tension »18. Cette absence de tension se fait voir

dans mes œuvres par le caractère ludique de mes assemblages, dans l’humour contenu dans ces dernières.

Dans mes propositions, le jeu n’est pas illustré, n’est pas suggéré tout à fait comme dans des pratiques interactives ou participatives, comme l’œuvre Painstation de /////flu///. Cette pièce met en compétition deux spectateurs-joueurs s’affrontant à l’un des plus vieux jeux vidéo de notre histoire, soit Pong. Chacun des

16  Roux, Laurence. 2008. Le concept de jeu comme moyen d’appréhension de la réalité dans l’art actuel. Mémoire de maitrise,

Université du Québec à Montréal, Montréal, Québec. 

17 Gadamer, Hans-Georg. 1996. « L’ontologie de l’œuvre d’art et sa signification herméneutique » In Vérité et méthode.

Paris : Seuil, p.119-152

(34)

joueurs contrôle une « palette » (rectangle) dans l’espace du jeu, et doit faire rebondir la balle pour que cette dernière parvienne dans le filet du joueur opposé. À la différence du jeu habituel, Painstation ajoute une règle grâce à un dispositif matériel : chaque joueur a une main pour contrôler le jeu, tandis que l’autre main est placée sur une enceinte qui envoie des chocs de plus en plus douloureux à force de se faire compter des buts (ou points).

Figure 13 : Volker Morawe et Tilman Reiff, Painstation, 2001

Mes œuvres ne montrent pas non plus le détournement d’un jeu existant, comme les tables de ping-pong ou de billard d’Orozco. Elles montrent plutôt le jeu du détournement; dans le propos de l’œuvre, dans sa construction ou dans sa possibilité d’usage. Pour ce faire, j’utilise divers codes de notre société, tels le langage, les objets, les symboles, les logos, les images, tous issus de mon quotidien, signes que je m’approprie pour en disloquer le sens premier. Je ne veux pas créer de nouvelles choses, mais bien les réinterpréter. L’utilisation d’objets19 tirés de mon quotidien me sert justement à cela, car ils portent en eux une

conception déjà affutée, construite. C’est avec cette matière que je travaille réellement; je ne désire pas

(35)

seulement esthétiser un objet banal ou anodin, mais bien réunir «deux éléments fortement codés en un troisième terme, ni clair ni obscur. Tout y est lisible et visible, mais rien ne s’y soumet au sens habituel des usagers de signes et de choses »20.

Figure 14: Gabriel Orozco, Carambole with a Pendulum, 1996, dimensions variables

En ce sens, le détournement des codes apporte selon moi une strate déjà active du jeu : celle de la (re)connaissance. C’est avec sa propre connaissance du monde que le spectateur qui regarde une de mes pièces commence sa partie mentale. Il reconnaît certains objets quotidiens ou anodins, puis il se fait surprendre par l’amalgame créé entre ces derniers. Le spectateur, face à une œuvre issue du détournement, est directement projeté dans une nouvelle compréhension des objets qui l’entourent. En d’autres mots, cette «surprise issue du jeu laisse apparaître le désarroi qui résulte de l’ébranlement des assises sur lesquelles repose notre relation au monde. »21. La tension que je présente au sein de mes pièces, entre la présentation

d’objets en tant qu’œuvres et leur possibilité d’usage, laisse la finalité de l’œuvre incertaine, et cette ambiguïté se joue autant sur l’œuvre elle-même que sur les spectateurs... ou même de moi !

20 Sterckx, Pierre. 2007. Le devenir-cochon de Wim Delvoye. Bruxelles : Éditions de La lettre volée, p. 46-47

21 Roux, Laurence. 2008. Le concept de jeu comme moyen d’appréhension de la réalité dans l’art actuel. Mémoire de maitrise,

(36)

4.2 Participation et futilité

Dans mon travail, nous pouvons remarquer un autre aspect où la notion de jeu se présente, soit dans la notion d’usage ou la suggestion de participation de certaines œuvres. Le jeu, dans mon travail, est mis en tension par la contradiction existant entre la possibilité de jouer et la présentation « sacrale » de l’œuvre. L’œuvre montre le jeu et ses règles, et ce, tant par sa structure que sa composition matérielle ou conceptuelle. L’œuvre se montre scellée, en disant clairement au spectateur : « Ne me touche pas, je suis une œuvre » tout en lui suggérant l’usage potentiel de cet objet d’art. Ici encore, le mouvement de va-et-vient frappe constamment, laissant le spectateur face à la liberté de choisir. Mais cette liberté n’est pas sans condition, comme l’explique Gadamer face à la notion de jeu :

D’autre part, cette liberté n’est pas à l’abri. Le jeu lui-même représente un risque pour le joueur. On ne peut jouer qu’avec des possibilités sérieuses. […] L’attrait que le jeu exerce sur le joueur réside justement dans ce risque. On jouit par là d’une liberté de décision qui cependant est à la fois menacée et irrévocablement limitée.22

Dans mes œuvres, comme dans la série de Bongzaïs, cette liberté se fait voir par le potentiel d’usage de l’œuvre. Ce n’est pas ici, la liberté proprement dite du joueur qui est menacée, mais la structure du jeu elle-même (l’œuvre). Par l’utilisation, comme nous l’avons déjà mentionné, l’œuvre devient en partie un objet éphémère, son statut est incertain tout autant que sa finalité; par leur construction et leur présentation sacrale, les œuvres cherchent à perdurer dans le temps. Or, la compréhension de mes œuvres passe nécessairement par l’expérience du spectateur, non seulement l’expérience sentie sur le moment de réception de l’œuvre, mais par son expérience de vie. Le détournement des codes fait en sorte que le spectateur joue avec moi, en partageant une « culture collective », muni de différentes références non exclusives au monde de l’art. Dans cette série, le jeu du détournement est tel que sans un œil attentif ou informé, il pourrait même ne pas se faire voir...

4.3 Jeu, humour et ludisme

Bien que plusieurs personnes assignent à mes œuvres un caractère de critique sociale, je ne suis pas certain que cette catégorisation soit justifiable. C’est beaucoup plus un intérêt que j’ai face à la société, à une certaine conscience collective qu’un désir de me positionner contre nos différents schèmes ou modes opératoires capitalistes ou encore contre le système de l’art lui-même. Le but de mes œuvres n’est pas d’inculquer aux spectateurs une (ma) vision prescrite, mais plutôt de jouer sur différentes strates de notre approche face au

22 Gadamer, Hans-Georg. 1996. « L’ontologie de l’œuvre d’art et sa signification herméneutique » In Vérité et méthode.

(37)

monde, de montrer un nouvel axe de saisie des choses qui nous entourent. En d’autres mots, nous pourrions dire que je « montre à voir » plutôt que je dénonce.

L’humour qui réside au sein de mon travail, est pour moi une façon (du moins une tentative) d’agir comme porte d’entrée pour une lecture de mes œuvres. L’humour, même politisé, reste subjectif tout en incluant tous les acteurs qui y participent, autant le rieur que le raconteur; il n’y a pas d’humour « dictateur ». Dans mes œuvres, l’humour montre justement ce point, je ne m’exclus pas mais j’agis plutôt comme complice du rire des autres, car nous ne rions jamais seul, comme l’explique Bergson : «Notre rire est toujours le rire d’un groupe […] le rire cache une arrière-pensée d’entente, je dirais presque de complicité, avec d’autres rieurs, réels ou imaginaires.»23. Or, l’humour utilisé dans mes œuvres ne se veut aucunement arrogant, mais plutôt compris

ou présenté avec humilité car il ne rit pas de, mais bien avec le spectateur. Mes projets ne présentent pas des réponses préconçues et ne montrent pas non plus une doctrine qui doit être suivie mais plutôt soulèvent des questions auxquelles le spectateur peut réfléchir, et ce, des deux côtés de la médaille.

(38)
(39)

5. Exposition

Avant d'entreprendre la description de l’exposition, il faut préciser que j’accordais une grande importance à présenter ce corpus dans une galerie commerciale. Le jeu sur la variation de la valeur marchande des œuvres dans une production sérielle est, selon moi, plus concret et visible, mais surtout « activé » en quelque sorte dans ce type d’espace d’exposition.

Le montage de mon exposition s’est réalisé dans une salle mesurant trente-cinq pieds de longueur par seize pieds de largeur. J’avais le désir d’accueillir les spectateurs avec une pièce en particulier, qui aurait été isolée visuellement de l’ensemble du corpus, avant que les regardeurs n’entrent dans la salle. En étant présents dans une certaine zone de la salle d’exposition voisine, nous pouvions apercevoir cette première œuvre visible, l’hôte de mon espace, si je puis me le permettre. Un fanion noir mat aux pourtours dorés, qui par sa forme, rappelle inévitablement les rubans utilisés pour supporter le cancer du sein ou encore les troupes militaires. C’est en nous approchant du fanion qu’il nous était possible d’y lire la cause : Supportons-nos

artistes ! Cette pièce a tout d’abord été pensée et réalisée à des fins de détournement de logo publicitaire et

commercial. Ce logo, pour moi imprégné d’une puissance douce-amère, était déjà utilisé à presque toutes les sauces, hormis pour les arts… Chose faite! La réflexion concernait l’utilisation de l’objet d’art à des fins publicitaires, et se veut le balbutiement d'un calque de méthodes de financement flirtant avec celles de différentes entreprises publiques ou privées. En ce sens, pour jouer le jeu que propose l’œuvre, la pièce fût directement datée lors de sa réalisation, et titrée Venise 2015. Le but second de l’œuvre était donc de donner trente pour cent des gains des ventes, au collectif BGL pour leur participation à la Biennale de Venise. M’inclure en quelque sorte comme acteur de l’œuvre, bien que je n’y avais pas pensé lors de la conception et de la réalisation de l'œuvre et que je n'aie jamais informé BGL de mon intention. C’est une fois terminé, que je voulais, en quelque sorte, jouer le jeu que l’œuvre propose.

(40)
(41)

Figure 16: François Raymond, Joseph le mendiant, 2014, 137 x 92 centimètres de circonférence, techniques mixtes.

Crédit photo : Mike Patten

Une fois arrivé à l’intérieur de la pièce d’exposition, nous apercevons un léger retrait de la salle vers la droite. Faisant face à la pièce Venise 2015, git Joseph le mendiant24, un mannequin recouvert d’une montagne de

couvertures feutrées, incliné en nous tendant une casquette des Yankees de New York. À ses pieds, un écriteau peint sur un morceau de carton de boite brune est présenté dans un cadre d’érable avec l’inscription :

Begging for art. L’œuvre propose un regard sur la notion de valeur de l’objet d’art, questionnant, voire

proposant une manière de rendre sa présentation en tant qu’œuvre « lucrative ». Il faut savoir que je ne parle pas de vendre l’œuvre directement, mais plutôt que l’objet « se dit » à potentiel lucratif. Par exemple, mendier ou encore offrir de présenter de la publicité, sont des portes ouvertes sur la réflexion de nos systèmes marchands de l’art. Avec Joseph le mendiant, le potentiel lucratif est dans le jeu qui réside entre la proposition de la sculpture faite aux spectateurs et leurs actions ou inactions. Une idée simple dans son contexte premier, celui de la rue, mais dans celui d’une exposition, elle devient loufoque pour certains, inappropriée pour d’autres. C’est tout de même l’idée de demander de l’argent aux visiteurs, et ce, dans un lieu où la visite des expositions est, par convention, gratuite.

24Évidemment, il y a ici par le titre et l’aspect physique de l’œuvre une citation de l’accoutrement de Beuys lors de sa performance I like America and Armerica likes me. 

(42)

Figure 17: François Raymond, Guichet manuel (20, 5 et 10), 2014, 70 x 60 centimètres, lithographie. Crédit photo : Mike

Patten

Entre le dialogue des deux pièces précédemment mentionnées se trouve un mur sur lequel sont accrochées trois lithographies. Celles-ci présentent d’une manière schématique le message que nous pouvons voir quand nous allons retirer de l’argent au guichet automatique d’une caisse ou d’une banque. Il s’agit d’une typographie écrivant à l’écran « Prenez l’argent » ainsi que l’illustration d’un rectangle avec des billets de banque qui y en sortent puis une main qui les prend. Sur les lithographies, la seule chose qui diffère de cette image est l’absence de la main, laissant ainsi potentiellement place à celle du spectateur. Une incision dans le papier nous laisse voir des billets (réels) de différentes valeurs et époques. Chacune de ces trois estampes est donc unique de par l’ajout de matériel : ici, ce sont les billets qui constituent le caractère unique de l'œuvre. Celle-ci remet en question à la fois son procédé de production, la lithographie, qui habituellement est utilisée pour créer des exemplaires identiques d’une même image ainsi que la notion de valeur de l’œuvre d’art dans une certaine sérialité. Ces lithographies ne se vendront pas au même prix, et ce en fonction du nombre de billets utilisés, c’est-à-dire de la valeur officielle associée à ceux-ci.

(43)

Figure 18: François Raymond, Vue d’ensemble de l’exposition Paysages financiers. Crédit photo : Mike Patten

Dans la partie principale de la salle, nous pouvons, dès l’entrée de la porte, apercevoir l’œuvre Chemin de fer

de fortune, située au centre de la pièce. Celle-ci est composée d’un train miniature à échelle 1 : 180 dont les

wagons sont construits avec des rouleaux de cinq sous. La totalité du train est d’une longueur d’environ treize pieds et il est présenté sur deux types de socles blancs jouant en alternance. Cinq des socles sont des constructions de prismes rectangulaires sur lesquels une route gazonnée trace un chemin central. Ceux-ci sont recouverts de boites en acrylique transparent, ayant à chaque extrémité une arche taillée, permettant au train de parcourir la totalité de la structure. Les quatre autres socles ont une forme de pont-aqueduc avec des arches prononcées verticalement et sont faits de contreplaqué. L’ensemble de l’œuvre repose sur un troisième type de socle, défilant sur un peu plus de la longueur totale du train et est d’une hauteur de quarante-six pouces. Sur le premier et le dernier socle que nous croisons, le train se termine par une locomotive noire. En parcourant les quelque treize pieds de Chemin de fer de fortune, nous pouvons voir que les deux locomotives se dirigent en sens inverse, soit les deux vers le vide potentiel. En se rappelant qu’elles tirent des wagons transportant de l’argent, la tension entre les deux locomotives, puis leur destination vers un vide certain, n’en sont que décuplées. Puis, il y a cette tension globale créée par la fragilité des pièces sculpturales, l’ensemble de l’œuvre posée sur un socle qui semble trop haut, trop long, trop délicat pour toute cette fragilité qu’il supporte. Tension accrue aussi par le peu d’espace qu’offre la salle d’exposition pour cette pièce, amenant le

Figure

Figure 1: François Raymond, Urinoir, 2011, 127 x 254 x 116 centimètres, techniques mixtes
Figure 2 : Lygia Clark, Máscara abismo com tapa olhos, 1968, dimension variable, techniques mixtes
Figure 3: François Raymond, Encadrements, 2014, 25 x 30 centimètres, bois et acrylique
Figure 4: Capture d’écran du site internet : http://banksyt-shirts.com/shop/banksy-official-new-york-residency-souvenir-t- http://banksyt-shirts.com/shop/banksy-official-new-york-residency-souvenir-t-shirt/, consulté le 30 janvier 2015
+7

Références

Outline

Documents relatifs

Vos chances de gagner sur une machine à sous qui n’a rien fait gagner depuis longtemps sont exactement les mêmes que sur une machine qui vient de faire gagner un gros

Autrement dit, notre souci, par le biais de ces deux textes donc deux discours de deux écrivains, tous deux natifs d’Oran ; tous deux ressentant une appartenance à ce

Mais toute sa vie elle aspire à un ailleurs mythique et quand, enfin, le docteur, à l’indépendance, propose de lui donner sa maison, elle refuse le cadeau malgré

Au terme de cette approche des variations du sémantisme de casbah lors de son emprunt par le français à l’arabe, quelques enseignements nous paraissent pouvoir être retenus. a) A

Plus haut nous avons utilise l’expression sensiblement la même en parlant des résultats de décomposition, pour souligner que les images sont discrètes, et que la

Des cellules qui n’ont jamais été exposées aux UV, sont prélevées chez un individu sain et chez un individu atteint de Xeroderma pigmentosum.. Ces cellules sont mises en

Le soumissionnaire remet, comme pièce constitutive de son offre, un document par lequel il marque son engagement à mettre en œuvre

Ils sont ensuite émis sans vitesse par la source S, puis accélérés par un champ électrostatique uniforme qui règne entre S et P tel que.. U sp