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La mobilisation de la violence à des fins politiques : la crise zimbabwéenne au regard du droit international des droits humains (2008-2013)

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© Olivier Mercier, 2018

La mobilisation de la violence à des fins politiques: la

crise zimbabwéenne au regard du droit international des

droits humains (2008-2013)

Mémoire

Olivier Mercier

Maîtrise en études internationales - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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La mobilisation de la violence à des fins politiques :

la crise zimbabwéenne au regard du droit international des droits

humains (2008-2013)

Mémoire

Olivier Mercier

Sous la direction de :

Mme Marie Brossier, directrice de recherche

Mme Julia Grignon, codirectrice

(3)

iii

RÉSUMÉ

Au pouvoir de 1980 à 2017, le président zimbabwéen Robert Mugabe a non seulement repoussé les limites de la longévité politique, mais le régime politique qu’il a présidé pendant près de 38 ans a également su défié certaines idées reçues en maintenant une légitimité certaine sur le plan international en dépit de violations massives et bien documentées des droits humains lui étant attribuées. En effet, malgré un bilan catastrophique sur le plan du droit international des droits humains, le régime Mugabe a su, dès les années 2000, se positionner en rempart contre l’impérialisme sur le continent africain en se dotant d’une légitimité idéologique renouvelée. Cette légitimité idéologique renouvelée a su être habilement utilisée contre ses opposants politiques, accusés d’être à la solde de forces impérialistes extérieures afin de banaliser, voire de justifier, les violations des droits humains commises à leur encontre, en particulier des droits civils et politiques, taxés de « non-africains ».

En plaçant au centre de son objet d’étude la mobilisation de la violence à des fins politiques à grande échelle lors de l’année électorale de 2008 et lors des quatre années subséquentes au Zimbabwe, ce mémoire s’intéresse au paradoxe de la légitmité certaine ayant permis au régime Mugabe de demeurer en place en dépit de violations massives très bien documentées des droits humains protégés par le droit international. Si l’ampleur des violences a été à l’origine de la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale avec l’opposition, le résultat a plutôt bénéficié au régime Mugabe en lui permettant de demeurer au pouvoir sans trop le partager. En effet, les critiques lui étant adressées à propos de son traitement des droits civils et politiques ont accrédité son message de victime d’acharnement impérialiste auprès de certains acteurs régionaux, affaiblissant du même coup le rapport de force de l’opposition.

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iv

ABSTRACT

In power from 1980 to 2017, Zimbabwean President Robert Mugabe not only personally pushed the limits of political longevity, but the political regime he presided over for nearly 38 years also defied preconceived ideas about political survival by maintaining a certain level of international legitimacy, despite massive and well-documented human rights violations. Indeed, despite a catastrophic human rights record from the perspective of international human rights law, since the 2000s, the Mugabe regime was able to position itself as a bulwark against imperialism and neo-colonialism on the African continent with renewed ideological legitimacy. This renewed ideological legitimacy has been skilfully used against political opponents who were accused of serving external imperialist forces, in order to trivialize or even justify the human rights abuses committed against them; in particular abuses of civil and political rights, presented as being "non-African".

By focusing on the large-scale mobilization of violence for political purposes in the 2008 election year and in the four subsequent years in Zimbabwe, this master's thesis focuses on the paradox of the legitimacy that allowed the Mugabe regime to remain in place despite massive and well-documented violations of human rights that are protected by international law. While the scale of the violence was at the origin of the establishment of a government of national unity with the opposition, the result benefited the Mugabe regime by allowing it to govern without genuinely sharing power. Indeed, criticism of his treatment of civil and political rights has accredited his stature as a victim of imperialist vilification to certain regional actors, thereby weakening the opposition's balance of power within the power-sharing deal.

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v

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ... iii

ABSTRACT ... iv

TABLE DES FIGURES ... vii

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... viii

REMERCIEMENTS ... x

1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE ... 1

1.1 Introduction ... 1

1.2 Méthodologie ... 5

2. MISE EN CONTEXTE ET CARACTÉRISATION DE LA VIOLENCE (CHAPITRE 1) ... 11

2.1 Mise en contexte de la violence politique et de la crise au Zimbabwe ... 11

2.1.1 Facteurs internes et externes menant au référendum de février 2000 ... 12

2.1.2 L’alliance du pouvoir avec les vétérans de guerre ... 16

2.1.3 Récurrence et institutionnalisation de la violence depuis 2000 ... 21

2.2 Catégorisation de la situation au Zimbabwe ... 24

2.2.1 Qualification de la situation au Zimbabwe en droit ... 24

2.2.2 Catégorisation en science politique de la situation au Zimbabwe ... 27

2.3 Les interprétations concurrentes de la crise zimbabwéenne de Freeman ... 32

2.3.1 La première interprétation – la « poursuite du projet révolutionnaire » − et l’idéologie du régime Mugabe ... 32

2.3.2 La seconde interprétation − la réaction autoritaire du régime ... 35

2.3.3 Les droits humains et le paradoxe de la légitimation du régime ... 36

3. LA CAMPAGNE ÉLECTORALE ET LA CRISE POLITIQUE DE 2008 (CHAPITRE 2) ... 47

3.1 Portrait des élections de 2008 ... 47

3.1.1 Les candidats ... 50

3.1.2 Les résultats des élections « harmonisées » du 29 mars 2008 ... 54

3.2 Facteurs explicatifs de la violence ... 60

3.2.1 Facteurs partisans ... 60

3.2.2 Facteurs institutionnels ... 67

4. LA VIOLENCE POLITIQUE ET LE DROIT INTERNATIONAL DES DROITS HUMAINS (CHAPITRE 3) ... 76

(6)

vi

4.2 La violence politique au Zimbabwe en droit international des droits humains ... 83

4.2.1 Atteintes au droit à la vie ... 83

4.2.2 Atteintes au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ... 100

4.2.3 Atteintes à la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ... 114

5. LA SIGNATURE DU GLOBAL POLITICAL AGREEMENT (GPA) ET LE GOVERNMENT OF NATIONAL UNITY (GNU), 2008-2013 (CHAPITRE 4) ... 133

5.1 Le GPA : Les pressions internationales, Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai ... 133

5.1.1 Les réactions internationales à la « victoire » de Robert Mugabe ... 133

5.1.2 L’influence des pressions extérieures sur le contenu du Global Political Agreement ... 146

5.2 Le Government of National Unity et la mobilisation de la violence ... 155

5.2.1 Structures de pouvoir du GNU et capacité limitée de Tsvangirai à limiter les violences ... 155

5.2.2 Dynamiques du pouvoir au sein du gouvernement d’unité nationale (GNU) ... 159

5.2.3 Glissement des tactiques de la Zanu-PF vers des réseaux informels parallèles à l’État. 162 5.3 Actes de violence sous le GNU ... 167

5.3.1 Violations documentées du droit international des droits humains ... 168

5.3.2 Variation des violences sous le GNU : les données ACLED ... 177

6. CONCLUSION ... 186

7. BIBLIOGRAPHIE THÉMATIQUE ... 192

(7)

vii

TABLE DES FIGURES

Figure 1: Carte des résultats des élections législatives du 29 mars 2008 (par circonscription

électorale) ... 56

Figure 2: Carte du Zimbabwe ... 65

Figure 3: Répartitions des violences sur le territoire du Zimbabwe pour l’année 2008 ... 66

Figure 4: Positions et intérêts du MDC et des Occidentaux lors des négociations ... 154

Figure 5: « Violences contre des civils » au Zimbabwe (par rapport à l’Afrique) pour l’année 2008 ... 180

Figure 6: « Violences contre des civils » au Zimbabwe (par rapport à l’Afrique) sous le GNU, 2009-2013 ... 181

Figure 7: « Violences contre des civils » au Zimbabwe (par rapport à l’Afrique) pour l’année 2013 ... 182

Figure 8: Violences par type d’auteurs (milices politiques, forces gouvernementales) au Zimbabwe en 2008 ... 184

Figure 9: Violences par type d’auteurs (milices politiques, forces gouvernementales) au Zimbabwe, 2009-2013 ... 185

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

CAT : Convention contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

CIJ: Cour internationale de Justice

CIO: Central Intelligence Organisation (Zimbabwe) DIH : Droit international humanitaire

FMI : Fonds monétaire international

GNU: Government of National Unity (Zimbabwe) GPA: Global Political Agreement (Zimbabwe) JOC: Joint Operations Command (Zimbabwe) MDC: Movement for Democratic Change

MDC- M: Movement for Democratic Change – Mutambara ONG: Organisation non-gouvernementale

ONU: Organisation des Nations unies

PIDCP : Pacte international relatif aux droits civils et politiques

PIDESC : Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels POSA : Public Order and Security Act (Zimbabwe)

SADC : Southern African Development Community TPIR: Tribunal pénal international pour le Rwanda TPIY: Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie UA : Union africaine

(9)

ix

UE : Union européenne

ZADHR: Zimbabwe Association of Doctors for Human Rights

ZANU: Zimbabwe African National Union (mouvement de libération et parti politique, 1963-1987)

Zanu-PF: Zimbabwe African National Union – Patriotic Front (depuis 1987) ZBC: Zimbabwe Broadcasting Corporation

ZEC: Zimbabwe Electoral Commission

ZNLWVA: Zimbabwe National Liberation War Veterans’ Association ZRP: Zimbabwe Republic Police

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x

REMERCIEMENTS

Avec les hauts et les bas d’épreuves aussi solitaires et déconcertantes que sont la recherche et la rédaction, il m’est indispensable de prendre quelques lignes pour tenter d’exprimer ma gratitude envers ceux que j’ai eu la chance d’avoir dans mon entourage.

Je suis d’abord particulièrement reconnaissant à ma directrice de recherche, Marie Brossier et à ma codirectrice, Julia Grignon pour avoir su comprendre ce qui m’intéressait dans mon sujet alors que j’avais moi-même beaucoup de mal à l’expliquer clairement et pour avoir réorienter mon projet vers ce qu’il est devenu. Un grand merci également pour leurs conseils, suggestions et encouragements tout au long de ce processus. Je suis également reconnaissant au jury d’évaluation de ce mémoire, dont les commentaires et les suggestions m’ont permis d’améliorer la qualité du présent travail.

Je me dois également de remercier chaleureusement mes amis, collègues et complices intellectuels pour leurs nombreux encouragements, leur écoute, leur compréhension et leur soutien constant ces dernières années, manifestés lors de pauses-cafés, repas du midi, appels téléphoniques, courriels et autres situations : je n’aurais pas pu être mieux entouré. Vous êtes nombreux et je ne saurais tous vous nommer sans oublier quelqu’un ou rédiger plusieurs pages de remerciements… je suis toutefois convaincu que vous vous reconnaîtrez tous.

Une mention toute spéciale à ma famille, pour leurs encouragements constants, pour leur patience, pour tout.

Enfin, une pensée particulière pour ceux et celles qui se battent et se sont battus pour faire valoir leurs droits les plus fondamentaux, au Zimbabwe et ailleurs. Malgré l’horreur de certaines de vos histoires, vous m’avez donné, par votre détermination et votre force, l’intime et naïve conviction que l’impunité ne peut pas être éternelle.

(11)

1

1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE

1.1 Introduction

« If yesterday I fought as an enemy, today you have become a friend. If yesterday you hated

me, today you cannot avoid the love that binds you to me, and me to you ». C’est en ces

termes que celui qui allait devenir premier ministre puis président du Zimbabwe, Robert Mugabe, énonça sa vision de la réconciliation et de l’unité de son pays le jour de son indépendance, le 18 avril 1980. Au terme d’une lutte armée opposant non seulement le régime blanc de Rhodésie aux guérillas nationalistes noires, mais également ces mouvements nationalistes entre eux, le ton était à l’unité, au respect et à la tolérance. En prononçant son discours ce jour-là dans la capitale Salisbury – qui sera rebaptisée par la suite Harare – Robert Mugabe laisse entrevoir une ère nouvelle. Une ère où les violations massives des droits humains et les atrocités caractérisant les difficiles années de lutte armée des années 1960 et 1970 semblaient devoir appartenir au passé1.

Dès son accession au pouvoir en 1980, Robert Mugabe se présente comme un dirigeant tolérant et respectueux des droits de tous. Son objectif : tourner la page sur des années de discrimination (ère coloniale et le régime rhodésien) et surtout de violence (1960-1980), en faisant place à la tolérance et surtout, au respect des droits humains de façon équitable pour tous les groupes, peu importe la couleur de peau, l’ethnie ou l’allégeance politique2

. Sur le plan diplomatique, il s’engage dans cette voie en adhérant volontairement dans les décennies 1980 et 1990 à plusieurs instruments juridiques3 de protection des droits humains, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques4, le Pacte

1 « Zimbabwe’s 30th birthday: how did Robert Mugabe turn hope into misery? », The Telegraph, 18 avril

2010 [en ligne], consulté le 2 juin 2017,

http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/africaandindianocean/zimbabwe/7601479/Zimbabwes-30th-birthday-how-did-Robert-Mugabe-turn-hope-into-misery.html.

2 Ibid.

3 Le Zimbabwe a adhéré, notamment, à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples en 1986 et

au Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1991.

4

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 23 mars 1976).

(12)

2

international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels5 ou encore la Charte

africaine des droits de l’homme et des peuples6, pour ne nommer que ceux-là. Bénéficiant d’une grande sympathie de la part de la communauté internationale ?, il se positionne dans ses premières années de pouvoir en défenseur des droits humains, tout particulièrement dans le cadre de la lutte mondiale contre l’apartheid en Afrique du Sud aux côtés de plusieurs autres acteurs de la scène internationale7.

Quelques années à peine suivant son accession au pouvoir, néanmoins, les actions posées par le gouvernement dirigé par Robert Mugabe s’écartent complètement de son message de réconciliation et de respect des droits pour tous8. Progressivement, l’application des droits humains par l’État zimbabwéen devient de plus en plus sélective en fonction des appartenances politiques et de la couleur de peau des individus. Les vieilles tactiques de la période pré-indépendance refont surface petit à petit en plaçant la violence politique – et donc les violations de droits humains protégés par le droit international − comme l’instrument de domination politique principal du régime en structurant son mode de gouvernance et son rapport à la dissidence9. Par ailleurs, cette « sélectivité » quelconque au sujet des droits humains se reflète de plus en plus dans le discours du régime Mugabe au fil des ans, surtout au fur et à mesure de l’intensification du recours à la violence, qui a plongé le pays dans un véritable état de crise permanent10.

Lors des célébrations du 37e anniversaire de l’indépendance du Zimbabwe le 18 avril 2017, Robert Mugabe célébrait simultanément ses 37 ans de pouvoir. Tout laissait croire que le vieux président était en position de célébrer ses 38 ans à la tête de l’État en 2018, jusqu’à l’intervention des militaires qui a précipité son départ le 21 novembre 2017 pour être

5

Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 3 janvier 1976).

6 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 27 juin 1981 (entrée en vigueur le 21 octobre 1986). 7 Sur Mugabe et l’Apartheid, voir notamment « Le Zimbabwe craint un attentat raciste contre Brian

Mulroney », La Presse, 28 janvier 1987, page B1; « Analysis : Will South Africa’s ANC learn from Mugabe’s fall ? » BBC News, 23 novembre 2017 [en ligne], consulté le 26 novembre 2017,

http://www.bbc.com/news/world-africa-42078707; « Mulroney asked to support anti-apartheid violence »,

CBC News, 1er février 1987 [en ligne], consulté via CBC Archives le 25 avril 2016,

http://www.cbc.ca/archives/entry/mulroney-asked-to-support-anti-apartheid-violence et Alois S. MLAMBO,

A History of Zimbabwe, Cambridge University Press, New York, 2014.

8 « Zimbabwe’s 30th birthday: how did Robert Mugabe turn hope into misery? », Op. cit.

9 Norman MLAMBO, « Between Civil Rights and Property Rights: Debating the Selective Application of

Human Rights in Zimbabwe » Africa Insight, 38(4), 2009, pp. 94-111.

(13)

3

remplacé par son vice-président, Emmerson Mnangagwa11. S’il est trop tôt au moment d’écrire ces lignes pour pleinement prendre la mesure des changements provoqués par le départ de Robert Mugabe, le régime zimbabwéen continuait de bénéficier, au moment où Mugabe a démissionné, d’une certaine légitimité sur la scène internationale, malgré les violations massives des droits humains protégés par le droit international et en dépit d’assez mauvaises relations avec certains États12. À titre d’exemple, Mugabe avait, aussi récemment qu’en 2015, été choisi par ses homologues de l’Union africaine (UA) pour présider l’organisation, après 35 ans de pouvoir ininterrompu et un bilan très peu reluisant en matière de respect des droits humains13. Cette légitimité dont le régime Mugabe a continué de bénéficier (dans une certaine mesure) jusqu’à la retraite forcée de Mugabe est assez paradoxale, puisque le recours à la violence par son régime suscite également la critique et l’indignation sur les plans interne et externe.

Le discours que tient le régime Mugabe sur les droits humains a également évolué en fonction du contexte politique et des besoins de justifier ses pratiques autoritaires face à la dissidence. Tel que cela sera abordé en détails au premier chapitre, les droits humains − et plus particulièrement les droits civils et politiques − sont devenus de plus en plus marginalisés dans le discours officiel du régime au fur et à mesure que ce dernier a eu recours à la violence. En plus d’avoir un fondement idéologique cohérent (également abordé en détail plus loin), cette sélectivité en matière de droits humains dans le discours du régime n’est pas non plus étrangère à la nature des violations mobilisées par le pouvoir politique et représente un élément important de la stratégie de légitimation du régime. Effectivement, ce sont les violations des droits civils et politiques qui sont les plus directement liées à la mobilisation de la violence à des fins politiques par le régime

11

« Robert Mugabe Under House Arrest as Rule Over Zimbabwe Teeters », The New York Times, 15 novembre 2017 [en ligne], consulté le 15 novembre 2017,

https://www.nytimes.com/2017/11/15/world/africa/zimbabwe-coup-mugabe.html. ?_r=1; « Zimbabwe: le Président Mugabe finit par démissionner », La Presse, 21 novembre 2017 [en ligne], consulté le 21 novembre 2017, http://www.lapresse.ca/international/afrique/201711/21/01-5144252-zimbabwe-le-president-mugabe-finit-par-demissionner.php.

12

À commencer par les États-Unis. Par exemple, voir « ‘Go hang on a banana tree’, Zimbabwe tells U.S. »,

The Toronto Star, 7 février 2017 [en ligne], consulté le 1er mars 2017,

https://www.thestar.com/news/world/2017/02/07/go-hang-on-a-banana-tree-zimbabwe-tells-us.html.

13 « Mugabe appointed African Union Chairman », Al Jazeera, 30 janvier 2015 [en ligne], consulté le 10

décembre 2015, http://www.aljazeera.com/news/africa/2015/01/mugabe-appointed-african-union-chairman-150130190208635.html.

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4

zimbabwéen de Robert Mugabe. La rhétorique sur les droits civils et politiques du président Robert Mugabe et de ses alliés est en fait porteuse d’un certain paradoxe. Si d’un côté elle permet de légitimer ses positions de « rempart anti-impérialiste » et d’attirer une certaine sympathie interne et régionale, sa banalisation du non-respect de droits – les droits civils et politiques − qu’il affirme ne pas avoir à respecter parce que qualifiés de non-africains, renforce les arguments de ceux qui l’accusent d’être un dictateur autoritaire. Le discours sur la place des droits civils et politiques par le régime s’inscrit dans une stratégie idéologique qui s’imbrique à la mobilisation de la violence à des fins partisanes. Après tout, si l’idée véhiculée est que les droits civils et politiques représentent un concept occidental par lequel les Africains ne devraient pas se sentir liés, il est beaucoup plus facile de banaliser, voire de faire accepter, leur violation. Par conséquent, le présent mémoire propose de se pencher sur ce paradoxe de la légitimité du régime Mugabe en dépit du recours à des violations massives des droits humains depuis plusieurs décennies. Ainsi, tout en se structurant autour de ce paradoxe, ce mémoire tentera d’y apporter des clarifications.

Pour ce faire, ce mémoire propose de se concentrer sur le recours aux violations massives des droits humains lors de l’année électorale de 2008 et des quatre années de partage de pouvoir avec l’opposition qui ont suivi, soit 2009-2013. Le choix de circonscrire l’étude de la mobilisation des violations massives des droits humains par le régime Mugabe à cette période précise se justifie par la possibilité d’observer, sur une période relativement courte, la variation du recours à la violence en fonction du contexte politique, du plus violent au moins violent. En effet, le contexte électoral de l’année 2008 a poussé la violence à des niveaux sans précédent14, alors que la période de cohabitation politique avec l’opposition s’est par la suite démarquée par sa relative tranquillité du point de vue du recours à la violence politique à grande échelle. Cette période permet ainsi de contraster dans le temps le recours aux violations par le régime dans un contexte où ce dernier sent le besoin d’y recourir (les élections) avec un contexte où il n’y voit pas la même utilité du point de vue de ses intérêts (le gouvernement de coalition).

Ce mémoire se limitera à l’étude de trois droits spécifiques appartenant à la catégorie des droits civils et politiques pour analyser les variations dans la mobilisation de la violence à

14

Voir la base de données Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), University of Sussex,

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5

des fins politiques par le régime Mugabe. Ces droits sont le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ainsi que la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le choix de circonscrire le projet à l’observation de violations de ces droits précis se justifie dans un premier temps par leur caractère très politique ayant des implications importantes dans le contexte du recours à la violence par le régime en place au Zimbabwe. Les cas de torture, d’exécutions arbitraires ou encore d’arrestations arbitraires d’opposants et de dissidents politiques constituent ainsi de bons indicateurs juridiques du niveau de violence politique mobilisé par le pouvoir zimbabwéen. La limitation à ces droits précis se justifie également dans un second temps par la portée relativement large de chacun d’entre eux, ce qui permet une analyse qui n’est pas trop restreinte du point de vue de la nature de la violence politique au Zimbabwe, tout en demeurant balisée.

1.2 Méthodologie

Il convient par ailleurs de détailler l’organisation méthodologique de ce mémoire de maîtrise. Pour tenter d’apporter une piste de réponse au paradoxe structurant ce mémoire, la première étape sera de documenter, dans le contexte de crise électorale violente en 2008, les violations massives des droits humains qui font l’objet d’une attention particulière ici : droit à la vie, droit à la liberté et à la sécurité de sa personne et prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La documentation des violations massives des droits humains protégés par le droit international a pour but d’illustrer la manière dont la violence est mobilisée par le régime Mugabe à des fins politiques et partisanes. Cette documentation servira également l’étude des pratiques récurrentes et institutionnalisées du recours à la violence par l’État zimbabwéen. Cette première étape de la documentation des violations des droits protégés par le droit international se déroulera en deux temps.

Dans un premier temps, le droit applicable pour chacun des trois droits protégés sera posé et la jurisprudence pertinente sera détaillée. De plus, une clarification doit être apportée quant aux choix opérés dans la sélection de la jurisprudence pertinente en lien avec les

(16)

6

droits protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques spécifiquement. Malgré l’ampleur et la gravité de violations documentées, aucune jurisprudence du Comité des droits de l’homme concernant le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ou la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne porte spécifiquement sur le Zimbabwe. La jurisprudence qui sera détaillée porte sur des cas autres que celui du Zimbabwe, puisque le pays n’a pas signé15

le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux

droits civils et politiques16, par lequel les États signataires acceptent la compétence du

Comité des droits de l’homme pour recevoir et examiner des communications individuelles. C’est la raison pour laquelle aucune des décisions qui ont été rendues par le Comité suivant une communication individuelle ne portait sur une affaire zimbabwéenne. Ainsi, les choix opérés dans la présentation de certains arrêts ne relèvent que de leur pertinence dans le contexte donné, où ces derniers correspondent le mieux à la trame factuelle présentée. Dans un second temps, pour documenter les violations de ces droits protégés, des rapports d’organisations de défense des droits humains seront mobilisés, tout comme la littérature scientifique sur le Zimbabwe faisant état de violations des droits humains, lorsque corroborés par des sources sur le terrain. Essentiellement, les rapports documentant des violations dans le cas présent proviennent des grandes ONG de défense des droits humains reconnues : Human Rights Watch, Amnistie Internationale et International Crisis Group (voir la liste en bibliographie), qui effectuent leur documentation à partir d’enquêtes sur le terrain avec la collaboration d’ONG locales. Des données provenant de certaines de ces organisations locales, telles que Zimbabwe Lawyers for Human Rights et Zimbabwe

Association of Doctors for Human Rights seront également mobilisées. L’utilisation de ces

rapports pour la collecte de données concernant les violations des droits humains est intéressante en raison de la fréquence de leur publication permettant un suivi temporel ainsi que de leur caractère très détaillé tant sur les plans juridique que factuel. De plus, la méthodologie de chaque rapport est toujours clairement indiquée et s’appuie au maximum

15 Nations Unies, Collection des traités – Protocole facultatif se rapportant Pacte international relatif aux

droits civils et politiques, https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-5&chapter=4&clang=_fr.

16

Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 23 mars 1976).

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7

sur des témoignages directs de victimes de violations ou de proches sur le terrain. Pour toute la période qui est visée par le présent mémoire (2008-2013), les diverses organisations de défense de droits humains ont produit des rapports portant sur la situation des droits humains au Zimbabwe sur une base régulière. Aux fins de ce mémoire, tous les rapports de

Human Rights Watch, Amnistie Internationale et International Crisis Group publiés entre

2008 et 2013 portant sur les questions de violations directes des droits humains ont été consulté (presque tous ont été mobilisés, voir en annexes). De plus, les rapports de ces organisations – en particulier Human Rights Watch – sont rédigés en fonction de critères juridiques, ce qui facilite la documentation des trois droits visés par le présent mémoire et évite certains problèmes définitionnels.

Devant l’étendue des violations documentées par ces organisations de défense des droits humains, le choix de mobiliser dans le cadre de ce mémoire des violations répertoriées par ces organisations a été guidé par des critères précis. D’abord, le premier critère justifiant la sélection est celui de la représentativité. Les violations d’un même droit protégé peuvent prendre diverses formes, notamment en vertu de la jurisprudence ou de la doctrine. À titre d’exemple, comme cela sera vu plus loin, une atteinte à la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants peut prendre la forme de sévisses corporels dans le but d’obtenir de l’information, ou encore prendre la forme d’un viol (voir sous-section 4.2.3). Ainsi, afin de brosser un portrait reflétant le plus possible la manière dont les violations massives des droits humains ont été mobilisées par le régime Mugabe, la représentativité des diverses déclinaisons juridiques des violations d’un même droit, lorsque répertoriés au Zimbabwe, sera documentée. Aussi, le choix des cas de violations documentées dans le cadre de ce mémoire se justifient également par souci de représentativité des facteurs propres à la violence politique au Zimbabwe, étudiés dans les prochains chapitres. Également, un critère justifiant le choix de documenter une violation précise de l’un des droits visés au présent mémoire est la fiabilité des sources corroborant les témoignages. Ainsi, devant plusieurs cas identiques pouvant être documentés, le choix a été opéré en fonction de la fiabilité des sources. Si, par exemple, ce cas de violation(s) est documenté par plus d’une organisation, ou est corroboré par plus d’une source, ce cas a alors été sélectionné en priorité.

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La documentation de violations massives des droits humains sert à illustrer, aux fins du présent exercice, la manière dont le régime Mugabe mobilise la violence à des fins politiques. Bien entendu, la documentation de violations à elle seule ne peut fournir de réponse à la question qui structure ce mémoire. La littérature scientifique en science politique sur la crise zimbabwéenne servira quant à elle à faire ressortir à la fois le contexte et la perception véhiculée des droits humains en appui à la documentation des violations. Ainsi, l’aspect de la légitimation idéologique du régime interviendra de cette façon pour mettre en évidence les facteurs contribuant à expliquer le paradoxe de la légitimité du régime malgré les violences. La littérature servira par ailleurs tout au long de ce mémoire à mettre en évidence le cadre idéologique des interprétations concurrentes de la crise zimbabwéenne. En effet, la légitimation du régime Mugabe dans le contexte des violations en 2008 et jusqu’en 2013 ne peut se comprendre qu’en fonction du socle idéologique structurant la crise au Zimbabwe.

La littérature en science politique servira aussi à guider l’analyse des rapports de force et des dynamiques politiques régionales et internationales structurant la période de cohabitation politique du régime Mugabe avec le MDC. L’étude de ces dynamiques et de ces rapports de force est fondamentale sur le plan de la légitimité du régime immédiatement après la crise violente de 2008 ayant plongé le Zimbabwe dans le chaos. De plus, ils façonnent également la manière dont les violations des droits humains sont mobilisées par le régime de la Zanu-PF pendant la période de coalition avec le MDC.

Ce mémoire propose ensuite de se pencher sur les violations des droits humains pendant la période 2009-2013 afin de les documenter et d’observer les variations de la violence politiquement motivée mobilisée par le régime. En documentant les violations des trois droits humains visés à la présente étude, il sera possible d’illustrer les changements dans le recours à la violence à des fins politiques en fonction du contexte politique et à la lumière des dynamiques politiques et idéologiques relevées. Cette seconde étape de documentation sera réalisée exactement comme la première. Les données ont été colligées à partir des mêmes sources – les rapports des organisations de défense des droits humains sur le Zimbabwe, comme Human Rights Watch – pour la période de partage du pouvoir entre la Zanu-PF et le MDC, soit 2009 à 2013. L’information est toutefois un peu moins détaillée

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9

en raison du contexte politique et du contraste avec l’explosion des violations massives pendant l’année électorale de 2008. Cela sera explicité davantage au dernier chapitre. Enfin, en appui à la démarche du présent mémoire, la base de données Armed Conflict

Location & Event Data Project (ACLED), mise sur pied par la University of Sussex et qui

recense les évènements de violence politique en Afrique, sera mobilisée. Les données permettent d’illustrer graphiquement, au moyen de cartes, la quantité d’évènements politiques violents d’année en année selon des catégories spécifiques, ce qui permet d’illustrer les variations dans les niveaux de violence politiquement motivée au Zimbabwe. L’aspect de la représentation graphique des violations par ACLED est essentiellement la raison justifiant le choix d’y recourir. Certaines nuances doivent néanmoins être apportées quant à l’apport de ces données pour appuyer les tendances dégagées tout au long du mémoire. Les catégories ACLED n’étant pas guidées par des critères définitionnels juridiques, leur utilité pour appuyer la documentation des trois droits humains visés ici est limitée. Les données sont toutefois intéressantes pour déceler de grandes tendances et représenter graphiquement la violence politique au Zimbabwe en 2008 et entre 2009 et 2013. Cette mise en garde méthodologique sera par ailleurs rappelée et approfondie en détails au dernier chapitre.

Finalement, il convient par ailleurs à cette étape de faire mention des défis découlant de l’intégration de deux disciplines distinctes – la science politique et le droit – dans le cadre d’un mémoire de maîtrise. Tel qu’en témoignent les problèmes définitionnels que pose le recours aux données ACLED dans le cadre de l’étude de violations définis par des critères juridiques, le caractère pluridisciplinaire du présent mémoire représente parfois un obstacle méthodologique. Ainsi, le défi de l’intégration disciplinaire tout au long de ce projet présente certains conflits définitionnels, qui seront soulignés. Un certain nombre de termes, tels que « guerre de libération nationale », par exemple, n’ont pas la même signification et les mêmes implications en fonction du vocabulaire propre au langage juridique et en science politique. De même, la notion de « torture », régulièrement invoquée dans la littérature sur la violence politique au Zimbabwe entre 2008 et 2013, peut poser problème. Puisque le présent mémoire s’attarde aux violations massives des droits humains protégés par le droit international, la notion de « torture » ne peut être analysée qu’en vertu des

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10

critères juridiques qui la définissent. La même précaution est de mise pour tous les droits qui seront étudiés dans les prochains chapitres. De plus, comme cela sera vu plus loin la notion de « civils », par exemple, ne fait de sens du point de vue du droit international qu’en vertu de la définition proposée par le droit international humanitaire dans les

Conventions de Genève de 1949. Cet enjeu de la compartimentation définitionnelle en droit

(21)

11

2. MISE EN CONTEXTE ET CARACTÉRISATION DE LA VIOLENCE (CHAPITRE 1)

2.1 Mise en contexte de la violence politique et de la crise au Zimbabwe

Afin de mieux comprendre la période de crise couverte par la présente étude (2008-2013), il est essentiel d’aborder le contexte dans lequel émerge l’utilisation de la violence comme gouvernance politique au Zimbabwe. La situation violente caractérisant les élections zimbabwéennes de 2008 et la période de cohabitation négociée qui en suivit, tire son origine en grande partie à la fin de la décennie 1990, soit presque vingt ans après l’indépendance du pays et l’arrivée au pouvoir de Robert Mugabe17

. Si la violence au Zimbabwe fut, d’un point de vue historique, inextricablement liée aux rivalités politiques depuis la période pré-indépendance18, c’est la montée rapide d’une opposition organisée (entre 1998 et 2000)19 menaçant sérieusement le régime du président Mugabe qui propulsa à l’avant-plan le recours à une violence systématique commanditée par l’État à l’encontre des opposants, qu’ils soient réels ou perçus20

.

Plus particulièrement, un référendum sur une proposition d’amendement constitutionnel en février 2000 et la conjoncture sociopolitique dans lequel ce dernier eut lieu, constitua un moment charnière pour le recours à la violence politique contre l’opposition à la Zimbabwe

Afrcan National Union – Patrotic Front (ci après, Zanu-PF), le parti au pouvoir21. Février 2000 représente en effet un tournant puisque pour la première fois dans l’histoire de la jeune république, le mécontentement envers le parti de Mugabe se manifesta par les urnes, démontrant la force du tout nouveau Movement for Democratic Change22, opposé au projet

17 Martin MEREDITH, Mugabe: Power, Plunder, and the Struggle for Zimbabwe, Public Affairs, New York,

2007, pp. 191-223.

18 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, « Les vétérans et le parti au

pouvoir : une coopération conflictuelle dans la longue durée », Politique africaine, 1(81), 2001, pp. 86-89.

19 Hevina S. DASHWOOD, « Inequality, Leadership and the Crisis in Zimbabwe », International Journal,

57(2), 2002, p. 214.

20 Ibid., pp. 214-215.

21 Hevina S. DASHWOOD, Ibid.

22 Le MDC, regroupement sous la même bannière des milieux syndicaux, professionnels urbains et la « classe

moyenne » étouffée par les déboires économiques du Zimbabwe des années 1990. Au début fer de lance de la contestation par l’organisation de démonstrations, grèves et manifestations contre le régime, le mouvement a

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12

constitutionnel que le président Mugabe croyait pouvoir faire entériner facilement par les électeurs23. La victoire du « non » a secoué la Zanu-PF et Robert Mugabe24, qui réalisa non seulement l’importance du soutien populaire de la toute nouvelle opposition mais également que des actions beaucoup plus radicales25 devraient être entreprises pour assurer le maintien de son monopole sur le pouvoir, à l’approche d’élections parlementaires où le MDC avait la ferme intention d’effectuer des percées importantes26

.

2.1.1 Facteurs internes et externes menant au référendum de février 2000

La fin de la décennie 1990 et le début des années 2000 étaient propice à l’émergence d’une contestation du régime. La situation du Zimbabwe à cette période se détériore rapidement, tant sur le plan social, économique que politique. En effet, si le référendum de février 2000 est précisément un point tournant, c’est toutefois la convergence d’un certain nombre de facteurs propres à la réalité nationale et internationale qui ont permis de réunir les conditions nécessaires à une défaite de Mugabe lors du référendum.

Au plan international, deux phénomènes auront une incidence sur la crise au Zimbabwe, tant sur la mobilisation de la contestation du pouvoir que sur la justification par le pouvoir du recours à la violence. D’abord, des réformes impopulaires27 encouragées par les institutions financières internationales − notamment un programme d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI), préconisant une sévère cure d’austérité – ont sérieusement endommagé la capacité du régime à maintenir une certaine popularité auprès des Zimbabwéens, en raison de restrictions aux programmes sociaux et aux services28. La mauvaise application du gouvernement d’Harare des réformes, combinée à une aggravation de la situation économique pour des millions de Zimbabwéens ont accentué le ressentiment

rapidement évolué en parti politique revendiquant une plus grande liberté démocratique, une meilleure gestion économique et un plus grand respect des droits humains.

23 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 215. 24 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 165-166. 25

Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 215.

26 Ibid.

27 Des coupes aux programmes sociaux populaires, des mises à pied de travailleurs qualifiés et la suppression

d’aides financières diverses à certains groupes, notamment.

28

Linda FREEMAN, « A Parallel Universe – Competing Interpretations of Zimbabwe’s Crisis », Journal of

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13

populaire à l’égard du régime29. Parallèlement, la question très sensible de la redistribution des terres agricoles du pays − l’accès à la terre étant au cœur du mouvement de libération nationale menant à l’indépendance − fut en grande partie occultée des réformes proposées par les institutions financières internationales, dont le FMI30.

Également, à la fin de la décennie 1990, un autre facteur international aura une grande influence sur la conjoncture politique zimbabwéenne : la relation avec l’ancienne puissance coloniale britannique, dont les actions ont à la fois aggravé la situation au Zimbabwe et permis au régime Mugabe d’en faire un bouc émissaire31

. En effet, suite à l’élection des travaillistes de Tony Blair, le gouvernement du Royaume-Uni a, en 1997, abruptement renoncé à son engagement de financer la réforme agraire au Zimbabwe32, alléguant le manque de sérieux et de transparence du gouvernement d’Harare dans l’allocation des terres33. Le financement par Londres d’un programme de redistribution plus équitable des terres agricoles entre fermiers blancs et noirs étant consacré par les accords de Lancaster House de 197934, une grande partie des Zimbabwéens noirs se sentirent trahi par la promesse brisée de l’ancienne puissance coloniale35

.

Dans de telles circonstances où le gouvernement − déjà à court de ressources pour assurer la pérennité des services publics et des programmes − n’a pas la capacité de financer une réforme agraire hautement souhaitée par la population paysanne noire36, cette colère à l’égard du Royaume-Uni sera dirigée contre la population blanche du pays, essentiellement d’origine britannique. Il est important de rappeler qu’à la fin de la décennie 1990, même presque vingt ans après l’indépendance du Zimbabwe et la fin du régime de la minorité blanche d’Ian Smith, un peu plus de 4000 propriétaires terriens blancs se partageaient

29 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 209. 30 Ibid.

31

Linda FREEMAN, Op. cit., p. 356.

32

Ibid.

33 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 215. Ces accords mettent un terme à la guerre civile en Rhodésie du

Sud et par lesquels les conditions d’accession à l’indépendance du Zimbabwe sont prévues et le rôle du Royaume-Uni dans la transition est défini: http://sas-space.sas.ac.uk/5847/5/1979_Lancaster_House_Agreement.pdf.

34 Linda FREEMAN, Op. cit, p. 356. 35 Ibid.

36 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., pp. 211, 216-217; « Land Grab », Australian Broadcasting Corporation

(ABC), 1998 [en ligne], consulté le 1er février 2016, https://www.journeyman.tv/film/432/land-grab, diffusion originale le 17 mars 1998.

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14

toujours quelques 70% des terres arables de tout le pays, sur une population totale d’environ 12 millions de personnes37

. Cet état de fait post-indépendance place le gouvernement nationaliste de la Zanu-PF dans une position délicate auprès de la majorité noire du pays, particulièrement auprès des populations paysannes plus nationalistes. En revanche, ces inégalités persistantes entre Zimbabwéens blancs et Zimbabwéens noirs constitueront un formidable atout pour la Zanu-PF et Robert Mugabe lorsque viendra le temps de faire vibrer une corde sensible et de mobiliser, par le biais de sa base de soutien, la violence contre les « ennemis » du régime38.

C’est la convergence d’une multitude de facteurs – internes et externes – qui contribuent à expliquer la situation insoutenable dans laquelle se retrouve le Zimbabwe de Robert Mugabe à la fin de la décennie 1990. Certains facteurs internes au Zimbabwe relèvent de la conjoncture du pays et sont imbriqués aux circonstances internationales. Le premier élément interne relève toutefois d’une décision politique du régime. En 1998, le président Mugabe lance les forces armées de son pays dans une intervention militaire en République démocratique du Congo visant à soutenir le régime de Laurent Kabila39. Cette intervention dans la guerre civile congolaise s’est révélée particulièrement couteuse pour l’État zimbabwéen qui n’en avait absolument pas les moyens et a en plus grandement favorisé la corruption au sein de l’appareil sécuritaire40

, contribuant à la ruine des finances publiques et à l’aggravation de la misère collective.

Face à la détérioration de la situation générale du pays, le régime se rend compte qu’il doit contenir les frustrations internes pour assurer sa survie. Ces frustrations se manifestent essentiellement sur deux fronts principaux, qui auront des incidences importantes sur le recours à la violence comme stratégie politique par le régime en place à Harare. Premièrement, c’est parmi les professionnels urbains noirs, les élites intellectuelles, certains milieux syndicaux et éventuellement, la majorité des fermiers blancs (et leurs employés)41

37

Marc-André LAGRANGE et Thierry VIRCOULON, « Zimbabwe : réflexions sur la dictature durable »,

Politique étrangère, 2008/3, p. 657.

38 Australian Broadcasting Corporation (ABC), Op. cit. 39 Martin MEREDITH, Op. cit., pp.148-149.

40

Ibid.

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15

que l’opposition grandissante à Robert Mugabe s’organisa42

en raison de la situation économique difficile et de la corruption des dirigeants. La colère grandissante dans ces milieux marqua le début de l’effondrement rapide du soutien populaire envers Mugabe43. En effet, les professionnels vivant en milieu urbain représentent à l’époque la frange de la population zimbabwéenne la plus durement touchée par les déboires économiques du pays44. Ces derniers sont également parmi les plus à même de constater la très mauvaise gestion du gouvernement, la corruption omniprésente et la persistance de diverses formes d’inégalités profondes, notamment entre les proches du parti de Mugabe et le reste de la population45. En l’espace de peu de temps, la convergence des forces contestataires mena à la création en 1999 d’un parti politique, le Movement for Democratic Change (MDC)46 dirigé par un charismatique leader syndical, Morgan Tsvangirai.

Un moment pivot dans l’organisation de l’indignation de ces populations envers le régime fut notamment une hausse d’impôts pour payer des allocations financières plus généreuses aux vétérans de la guerre de libération nationale du Zimbabwe47. Les vétérans de guerre ont généralement été considérés des proches idéologiques48 du parti de Robert Mugabe49 depuis l’indépendance (ils lui serviront d’ailleurs de bras armé, particulièrement en 2008). Les ressources du fonds d’indemnisation des vétérans de guerre (le War Victims Compensation

Fund) ayant été ouvertement pillées et détournées50 par certains membres de leur association51, la hausse leur étant consentie par le régime avait soulevé l’indignation au sein d’une classe moyenne appauvrie devant payer pour les vétérans.

Nonobstant la proximité idéologique entre la Zanu-PF, Mugabe et les vétérans de guerre, ces derniers représentaient à l’époque l’autre front par lequel une certaine frustration contre le régime se matérialisait. Si les vétérans et la Zanu-PF partagent un passé commun − la

42 Surtout entre les années 1998 et 2000. 43 Martin MEREDITH, Op. cit., p. 140. 44

Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 98.

45 Ibid.

46 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 214.

47 Ibid.; Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 98-100. 48

En profondeur sur ce qu’est un « vétéran de guerre » au Zimbabwe et le type de rapports de force que ces derniers exercent dans la société zimbabwéenne entre 1980 et 2001, voir l’article de Krieger, Causse-Fowler et Compagnon.

49 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 80-82, 99. 50

Ibid., pp. 98-99.

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16

ZANU était un mouvement de libération nationale avant de devenir un parti politique en bonne et due forme au moment de l’indépendance − leurs rapports après 1980 deviennent très complexes où chacun manipule à son avantage l’autre52, ou tente de le faire. Le résultat est une forme de « coopération conflictuelle dans la longue durée »53, pour reprendre l’intitulé de l’article de Norma Krieger54

. En bref, le régime a capitulé devant les vétérans de guerre en cédant à leurs coûteuses revendications. Mugabe et ses ministres savaient bien qu’ils s’aliéneraient une partie de la population en consentant à une hausse des allocations. Néanmoins, trop s’aliéner les vétérans de guerre – dont un grand nombre faisait maintenant partie des forces de sécurité telles la police ou l’armée – pouvait éventuellement poser un danger important pour la sécurité et la survie du régime55. Les vétérans de guerre ayant aussi été de très grands bénéficiaires du clientélisme du régime, ils étaient nombreux à occuper des postes dans la bureaucratie et les sociétés paragouvernementales zimbabwéennes56. Une éventuelle mobilisation importante de leur part suscitait ainsi la crainte de la Zanu-PF, à bien des niveaux. C’est donc devant cet état de fait que le régime a, de façon calculée, opéré un choix rationnel.

2.1.2 L’alliance du pouvoir avec les vétérans de guerre

En capitulant à leurs demandes, le régime Mugabe a en quelque sorte scellé une alliance avec les vétérans de guerre qui s’est manifestée en février 2000 au moment du référendum57 et qui sera dès lors mise en évidence lors des périodes électorales subséquentes58, particulièrement en 200859. En échange d’un appui fort au maintien du régime en place, les vétérans obtenaient ce qu’ils voulaient et bénéficiaient d’un accès privilégié aux opportunités de clientélisme et de patronage à venir60. En particulier, les fermes des

52

Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 82.

53 Ibid., pp. 80-82, 95-100. 54 Ibid., p. 80.

55 Ibid., p. 98. 56

Ibid., pp. 80-100.

57 Ibid., pp. 80-81; Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 213.

58 Marc-André LAGRANGE et Thierry VIRCOULON, Op. cit., pp. 656-658; 662.

59 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, « La violence et les urnes : le Zimbabwe en 2008 »,

Politique africaine, 111, 2008, pp. 122-129.

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17

propriétaires blancs expulsés61 en vertu du nouveau programme « accéléré »62 de redistribution des terres que le gouvernement voulait adopter représentaient des opportunités intéressantes d’enrichissement personnel pour certains vétérans63. Ainsi, l’après-défaite référendaire de février 2000 a déclenché une campagne de violence sans précédent où les fermiers commerciaux blancs, dans un premier temps, ont été particulièrement visés. Les terres ont été envahies, occupées, pillées, squattées et un très grand nombre de fermiers ont été expulsés par la force, voire kidnappés ou assassinés64. Leurs terres ont ensuite été confisquées, souvent violemment65. Les invasions ont principalement été exécutées par des vétérans de guerre (dont leur chef Chenjerai « Hitler » Hunzvi) avec la complicité66 des forces de sécurité et la planification du parti au pouvoir67. Ce phénomène, où la mobilisation de la violence se fait de manière concertée entre l’État et les vétérans est le grand point tournant dans la violence politiquement motivée au Zimbabwe. Il représente une radicalisation dans l’attitude du régime et une escalade importante de la crise politique zimbabwéenne. Cette alliance marque en effet le début d’une ère nouvelle dans le recours à la violence comme mode de gouvernance et d’imposition de la volonté politique au Zimbabwe. En 2000, cette période sera caractérisée par des invasions de propriétés terriennes alimentées par la rhétorique belliqueuse68 du régime associant les blancs à des traîtres impérialistes en raison de leur contribution à la défaite référendaire69 et aux inégalités persistantes héritées de l’ère coloniale. Une majorité de blancs avaient effectivement soutenu Tsvangirai et le camp du « non » au référendum,

61

Ibid., pp. 80-82 : La Zanu-PF aurait promis aux vétérans que jusqu’à 20% des fermes confisquées leur seraient réservées.

62

Le fameux Fast-Track Land Redistribution Programme visant la confiscation par l’État sans compensation financière de la plupart des fermes commerciales détenues par des blancs pour la redistribution à la population paysanne noire.

63 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 80-82; Hevina S.

DASHWOOD, Op. cit., p. 222.

64

Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 167-189.

65 Ibid.

66 Les forces de sécurité, telle la police ou l’armée ont par ailleurs été directement, à divers endroits et à divers

moments, instigatrices de violences à caractère politique, ont participé avec des vétérans à des actes de violence, ou ont reçu l’ordre de ne pas intervenir.

67 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 167-189.; Daniel COMPAGNON, « Terrorisme électoral au Zimbabwe »,

Politique africaine, 2(78), 2000, pp. 182-183.

68Au sujet de cette période de violence et de rhétorique anti-blancs, anti-MDC et anti-britannique en 2000 en

détails, voir les chapitres 10 à 13 de l’ouvrage de Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 159-223.

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18

bloquant du coup le projet de réforme agraire prévoyant des confiscations de terre que Mugabe souhaitait enchâsser dans la constitution70.

Si Mugabe n’a jamais reconnu que son parti et l’État zimbabwéen étaient responsables de la flambée de violence et a toujours fait porter le blâme des violations massives sur les vétérans tout en refusant de les désavouer ou d’intervenir, les faits impliquent directement l’État et la Zanu-PF71

(en 2000 comme en 2008 et au-delà). Par exemple, des camions militaires ont régulièrement été utilisés pour transporter des bandes de vétérans armés dans les zones rurales jusqu’aux propriétés agricoles possédées par des blancs72. De nombreux militants de la Zanu-PF ont accompagné directement des vétérans dans leurs activités d’intimidation et de harcèlement des grands propriétaires terriens73

. Un cas emblématique de l’implication étatique au plus niveau dans la campagne de violence fut lorsqu’en 2000 à Norton, à environ 40 kilomètres de la capitale Harare la sœur du président, Sabina Mugabe − également députée Zanu-PF − dirigea elle-même avec un chef de police local une bande de vétérans de guerre vers les diverses exploitations agricoles du secteur afin d’expulser de force les propriétaires et/ou de les piller74. Il a été rapporté que la sœur de Mugabe a à plusieurs reprises mené des invasions, menaçant parfois de mort les récalcitrants et s’appropriant personnellement les terres de fermiers blancs expulsés dans la province du Mashonaland Ouest, près d’Harare75.

L’appropriation de fermes commerciales par des vétérans de guerre et des proches de Mugabe souligne aussi l’aspect clientéliste des invasions et des évictions de propriétés agricoles. En effet, il ne faudrait surtout pas sous-estimer la dimension clientéliste dans la très complexe relation76 entre le régime Mugabe et les vétérans de guerre. La convergence d’intérêts entre la Zanu-PF et ces derniers est aussi, au-delà de l’idéologie, le produit de la volonté de vétérans influents de s’accaparer des ressources de l’État à des fins

70 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 92. 71 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 167, 197.

72 Ibid., p. 167. 73 Ibid., p. 197. 74 Ibid. 75 Ibid., p. 219. 76

Au sujet des rapports ambigus entre le pouvoir et les vétérans de guerre, voir également l’article de Krieger, Causse-Fowler et Compagnon.

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19

d’enrichissement personnel77

. Or, ces ressources financières étant devenues si faibles que l’expropriation par la force, le pillage et l’accaparation de certaines fermes commerciales étaient pratiquement devenues « nécessaires »78 afin de maintenir cette relation basée en partie sur le patronage et la rétribution. Pour cause, avant même l’an 2000, alors que l’économie était en chute libre et que la communauté blanche était de plus en plus blâmée pour les maux du pays, de petits incidents isolés impliquant des vétérans tentant d’occuper ou de squatter des fermes commerciales commençaient déjà à être rapportés dans certaines régions rurales79. Ces évènements ne s’inscrivaient toutefois pas encore dans une campagne organisée à très grande échelle, même si des députés Zanu-PF étaient déjà impliqués dans certains incidents80.

Si la campagne de violence débutant en l’an 2000, elle, était de nature punitive et revancharde, elle était également (et surtout) de nature préventive : s’assurer la domination de la Zanu-PF lors des élections parlementaires en ciblant le MDC et les éléments lui étant favorables dans la société81. Cela est emblématique du changement de paradigme dans le recours à la violence politique au Zimbabwe à partir de 2000. Le régime étant conscient que des actions « drastiques » devaient être entreprises pour s’accrocher au pouvoir au prochain scrutin et au-delà, la violence entre février et juin 2000 a atteint des sommets inégalés depuis l’indépendance du pays en 198082

. Typique de la violence politique qui caractérisera la crise zimbabwéenne pour des années à venir après cela, particulièrement en 2008, les premiers assassinats de fermiers blancs par des bandes armées pro-régime eurent lieu en avril 2000. Les victimes étaient toutefois aussi donateurs, militants ou organisateurs pour le MDC83. Comme pour les invasions de fermes, la violence politiquement motivée – qu’elle soit dirigée contre des blancs ou contre des noirs − est généralement mobilisée de connivence avec l’État84

, particulièrement la police.

77 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 99. 78 Ibid.

79 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 213. 80

Ibid.

81 Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 180. 82 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., pp. 214- 215. 83 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 173-175. 84

Brian KAGORO, « The Prisoners of Hope: Civil Society and the Opposition in Zimbabwe », African

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20

Le 18 avril 2000, le jour du vingtième anniversaire de l’indépendance du Zimbabwe, un convoi de treize camions transportant des bandes armées (incluant des vétérans de guerre, mais pas exclusivement) débarqua sur le ranch d’un fermier blanc et militant MDC de 42 ans, Martin Olds, dans le district de Nyamandlovu (ouest du pays)85. Au moment d’emprunter la route menant au ranch, le convoi fut salué par des policiers montant la garde qui établirent un barrage routier après leur passage86. Plus tard, des voisins tentant de porter secours à Olds et une ambulance furent bloqués par les policiers montant la garde. Après un assaut de deux heures sur sa maison sous les yeux de la police locale, Martin Olds fut assassiné en plein jour sur sa propriété87. La police porta même assistance aux responsables en les escortant hors du district, chantant avec eux des slogans du parti et des chants nationalistes de la guerre de libération88.

Plus le scrutin de juin approchait, plus la violence s’intensifiait et des histoires comme celle de Martin Olds se répétaient dans tout le pays. Les enlèvements et les passages à tabac de partisans et d’organisateurs du MDC dans les régions plus sympathiques à l’opposition étaient devenus la norme. Les citoyens des zones connues pour être naturellement favorables au MDC se sont mis à subir du harcèlement, de l’intimidation et des menaces de mort. Des gens connus pour avoir exprimé des positions anti-Mugabe ou pro-MDC furent kidnappés et emmenés dans des camps de « rééducation » où la plupart ont été forcés de reconnaître leur affiliation au MDC sous la torture, de dévoiler les noms d’autres militants et par la suite de prêter allégeance à la Zanu-PF89. Ces tactiques, par lesquelles la violence devient la pièce maîtresse de la stratégie de survie politique du président Robert Mugabe, notamment les « camps de rééducation » ou de torture des dissidents90, ressurgiront en 2008 à très grande échelle91. Dans un climat de violence et de fraude généralisée − voire de terreur dans certaines régions92 − les élections de 2000 eurent lieu sans que les conditions soient réunies pour que le scrutin soit qualifié de crédible93. La très mince victoire du parti

85 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 173-175. 86 Ibid., pp. 174-175.

87 Ibid., p. 175. 88

Ibid.

89 Ibid., pp. 191-207.

90 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 111. 91 Ibid.

92

Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 180-181.

(31)

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sortant sur le MDC, qui remporta presqu’autant de sièges et presqu’autant de votes que le parti de Mugabe, permet de laisser croire que sans la violence et la campagne d’intimidation à grande échelle, la Zanu-PF aurait très vraisemblablement perdue94

. Selon Daniel Compagnon, environ 12% des électeurs zimbabwéens auraient reconnu en 2000 avoir voté Zanu-PF alors qu’ils avaient initialement souhaité voter pour le MDC après avoir subi de la violence politique sous diverses formes95. Ces chiffres présentés dans l’ouvrage de Compagnon sont donc assez révélateurs de l’ampleur de l’instrumentalisation de la violence à des fins partisanes par le régime Mugabe et de l’échelle à laquelle les violations des droits humains sont perpétrées au Zimbabwe.

2.1.3 Récurrence et institutionnalisation de la violence depuis 2000

Depuis l’an 2000, tel que mentionné ci-haut, le recours à la violence systématique avalisée par l’État au plus haut niveau est devenue chose courante. Stratégie principale de Mugabe pour maintenir son emprise sur le pouvoir, la violence a engagé le Zimbabwe dans un état de grave crise permanente. La confiscation de grandes exploitations agricoles commerciales au profit de vétérans en quête de rétribution ou de proches du régime comme Sabina Mugabe a ruiné le secteur d’exportation le plus important de l’économie zimbabwéenne, qui était déjà en crise96. Naturellement, l’explosion d’instabilité a fait s’écrouler l’industrie du tourisme, autrefois prospère97. Dès le début des invasions de fermes, le secteur touristique a chuté de plus de 70%98 et ne s’en est jamais remis depuis. Les Game lodge et autres parcs naturels privés très prisés par les touristes venus faire des safaris ont subi le même sort que les fermes, étant majoritairement détenus par des blancs : à certains endroits même les animaux de la grande faune (lions, éléphants, rhinocéros, etc.) ont été massacrés par les vétérans de guerre99. L’effondrement de ce secteur jadis prometteur fut encore plus

94 Martin MEREDITH, Op. cit., p. 187-189. 95

Daniel COMPAGNON, A Predictable Tragedy – Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe, University of Pennsylvania Press, Philadelphie, 2011, pp. 46-47.

96 Ibid., pp. 178-190.

97 Martin MEREDITH, Op. cit. p. 209. 98

Daniel COMPAGNON, « Terrorisme électoral au Zimbabwe », Op. cit., p. 190.

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