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3. LA CAMPAGNE ÉLECTORALE ET LA CRISE POLITIQUE DE 2008 (CHAPITRE 2)

3.2 Facteurs explicatifs de la violence

3.2.1 Facteurs partisans

Deux facteurs proprement partisans permettent d’expliquer l’intensité et l’étendue de la violence de la violence perpétrée par le régime Mugabe en 2008 : l’excès de confiance de la Zanu-PF en raison des divisions au sein de l’opposition et sa volonté de vengeance suite à un grand nombre de défaites surprises dans ses bastions traditionnels. Ces deux facteurs sont inextricablement liés entre eux. Si le premier a permis un plus grand espace de liberté

343 Ibid., pp. 192-193.

344 « Gruesome Killings by Mugabe Supporters Detailed », The Washington Post, 17 mai 2008 [en ligne],

consulté le 16 janvier 2017, http://www.washingtonpost.com/wp- dyn/content/article/2008/05/16/AR2008051601090.html.

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politique ouvrant la voie aux percées électorales significatives du MDC, il est directement à l’origine du second345

.

a) L’excès de confiance de la Zanu-PF en raison des divisions au sein de l’opposition

L’aspect de la surestimation par la Zanu-PF et le régime de leur compétitivité électorale face au MDC joue un rôle fondamental dans la mobilisation de la violence à des fins politiques en 2008. Cet énorme excès de confiance du président Robert Mugabe et de son entourage n’était toutefois pas sans fondement : le MDC était sérieusement en proie à de très graves divisions internes. Néanmoins, le président et son équipe se sont trompés en surestimant son importance. Par contre, il est tout à fait vrai que l’unité de la faction principale du MDC fidèle à Morgan Tsvangirai et du MDC-M d’Arthur Mutambara était mise à rude épreuve346.

La composition du MDC est particulièrement hétéroclite − étudiants, syndicalistes, travailleurs agricoles, professionnels urbains, fermiers blancs, universitaires – et rassemble des groupes ayant des intérêts différents et parfois divergents347. Les déboires économiques et financiers du pays ont mis une pression énorme sur plusieurs groupes formant la base électorale du MDC, qui ont fuit le Zimbabwe en grand nombre dans les années 2000 afin de trouver du travail, principalement en Afrique du Sud348. La « détresse économique » de certains groupes plus durement touchés que d’autres a rapidement fait surgir des divisions profondes au sein d’un parti très jeune et ayant des leaders somme toute peu expérimentés. L’« accumulation » du recours à la violence et à la répression contre le MDC pendant des années a contribué à mettre à mal son unité et sa capacité à se mobiliser, ce qui a ironiquement mené la Zanu-PF à penser, à tort, que le recours à la violence pour la campagne électorale du scrutin du 29 mars n’était pas aussi nécessaire que lors des élections précédentes349. En effet, les campagnes de violence des années 2000 ont épuisé, déstabilisé et grandement affecté le MDC. Les invasions de fermes détenues par des blancs expulsant les propriétaires et leurs travailleurs agricoles (généralement très nombreux) ainsi

345 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 113, 116. 346 Ibid., p. 113.

347 Ibid. 348

Ibid.

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que les purges post électorales de 2005 – l’opération Murambatsvina – qui ont fait plus de 700 000 déplacés ont délibérément ciblé les partisans du MDC350. À eux seuls, ces deux évènements ont déplacé, forcé à l’exil et/ou fait perdre leur droit de vote à un très grand nombre de partisans du MDC (et de Zimbabwéens de façon générale)351. Par ailleurs, la succession de défaites électorales et les difficultés organisationnelles face à une mobilisation difficile ont suscité des déchirements internes sur la conception de la démocratie, la pertinence pour le MDC de demeurer non-violent face à la répression et la place des droits humains, notamment352. Un regain de tensions sur des bases ethniques et régionales n’a pas épargné le MDC, où la scission de 2005 qui a créé le MDC-M a été en partie causée par des divergences de la part de membres de l’ethnie Ndebele minoritaire, vivant dans le sud du pays353, d’où le succès du MDC-M dans les provinces du Matabeleland rural en 2008. La minorité Ndebele entretient un rapport quelque peu différent au régime Mugabe, à la Zanu-PF et au militantisme politique d’opposition354. La raison : des rivalités historiques, mais également le souvenir encore bien présent de l’opération Gukurahundi des années 1980355

− également appelée « massacres du Matabeleland »356 − considérée comme la première campagne de violence politique à grande échelle orchestrée par l’État zimbabwéen357

contre la dissension. Elle est également considérée comme le premier signe avant-coureur de l’autoritarisme de Robert Mugabe358. En conséquence, la Zanu-PF, consciente de ces divisions internes dans l’opposition, a pêché par excès de confiance. Le parti au pouvoir croyait que le mode de scrutin à lui seul

350

Ibid., p. 113.

351 Ibid. 352 Ibid.

353 D’où le nom des provinces du Matabeleland, littéralement « terre des Ndebeles», par opposition aux

provinces du Mashonaland, au nord, « terre des Shona», l’ethnie majoritaire au Zimbabwe dont sont issus Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai.

354 En profondeur sur le sujet, voir Jocelyn ALEXANDER, JoAnn McGREGOR, Vincent FOUCHER et

Daniel COMPAGNON, « Les élections, la terre et l’émergence de l’opposition dans le Matabeleland »,

Politique africaine, 1 (81), 2001, pp. 51-79.

355 Peter GODWIN, Op. cit., p. 13, 286-292. 356 Ibid., pp. 13-14.

357 « Massacre de Gukurahundi: les documents qui accusent Robert Mugabe », RFI, 20 mai 2015 [en ligne],

consulté le 14 janvier 2017, http://www.rfi.fr/afrique/20150520-massacre-gukurahundi-documents-accusent- robert-mugabe-zimbabwe-rebellion.

358 John MAKUMBE et Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 300-313. Plus en profondeur sur les massacres

du Matabeleland pendant les années 1980, voir notamment Daniel COMPAGNON, A Predictable Tragedy –

Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe, Op. cit., Peter GODWIN, Op. cit. et Martin MEREDITH, Op. cit.

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suffirait pour la faire triompher dans les urnes. Encore là, certains faits leur donnait raison d’avoir confiance. Non seulement les candidats Zanu-PF affrontaient partout au moins deux représentants de l’opposition (MDC, MDC-M), les divisions internes ont fait en sorte que dans certaines circonscriptions, plusieurs candidats de chacune des factions du MDC étaient inscrits sur le bulletin de vote359. Cet excès de confiance a par ailleurs été amplifié par la croyance que la campagne de déstabilisation du MDC de 2007 avait porté fruit et que les divisions profondes de 2008 en découlait directement360. Le 11 mars 2007, en outre, lors d’un grand rassemblement de l’opposition et de la société civile dans un parc d’Harare, les forces anti-émeute de la police ont donné l’assaut sur la foule lors d’une séance de prière361. Un grand nombre de militants ont été battus, enlevés et torturés par les forces de sécurité362 et Morgan Tsvangirai fut également sévèrement battu et emprisonné avec d’autres leaders de l’opposition363

. Mutambara, qui était pourtant présent à ce rassemblement de mars 2007, fut épargné de la répression comme ses partisans (dans une moindre mesure)364. À ce propos d’ailleurs, Robert Mugabe a affirmé en 2007 que Morgan Tsvangirai avait mérité son sort « parce qu’il ne savait pas comment se comporter »365

, contrairement à Arthur Mutambara. Selon Human Rights Watch, Robert Mugabe aurait ajouté en lien avec cet évènement : « Of course he [Tsvangirai] was bashed. He deserved it […] I told the police

to beat him »366.

Cet excès de confiance du parti de Mugabe avant les élections du 29 mars a permis, encore une fois, un espace de liberté politique plus large que la Zanu-PF croyait pouvoir tourner à son avantage pour légitimer sa victoire en mettant de l’avant la pluralité et la diversité des candidats (tant aux législatives qu’à la présidentielle) ainsi que l’aspect libre et « non- violent » du scrutin en comparaison à 2000, 2002 ou 2005, pour lesquels le pays fut frappé de sanctions internationales367.

359

Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 116.

360 Ibid., p. 114. 361 Ibid.

362 Sur ces évènements de 2007, voir le rapport de Human Rights Watch, Bashing Dissent: Escalating

Violence and State Repression in Zimbabwe, vol. 19 (6A), mai 2007.

363 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 114. 364 Ibid.

365 Ibid. 366

Human Rights Watch, « Our Hands are Tied »: Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., p. 25.

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b) La volonté de vengeance de la Zanu-PF suite à sa défaite

Le choc brutal causé par la surprise de la défaite a profondément secoué le parti de Robert Mugabe dès les premières heures de la publication (officielle et non-officielle) des résultats du scrutin du 29 mars. Assez rapidement, toutefois, la confusion a fait place à la colère et au ressentiment368. Le plus gros choc pour la Zanu-PF fut toutefois le succès du MDC dans certaines régions rurales qui lui avaient traditionnellement toujours été loyales, particulièrement dans les provinces du Mashonaland, tel qu’évoqué plus haut369

. La plus humiliante des gifles pour la Zanu-PF et sa base militante fut que la plus importante « érosion du vote » lui étant favorable a eu lieu dans certaines circonscriptions qui lui étaient considérées comme acquise370. Tel que relève Adrienne LeBas (citée par Alexander et Tendi), la Zanu-PF a perdu entre 10 et 30% de ses électeurs dans ses principaux fiefs électoraux371 par rapport aux élections précédentes. D’ailleurs, plus les circonscriptions avaient historiquement été fortes pour le parti, plus la marge de défaite était importante cette année-là (dans les circonscriptions ravies par le MDC, bien entendu)372.

L’humiliation qu’a subie la Zanu-PF en raison des résultats a été un facteur déterminant dans le degré du recours à la violence. Tel que le rapporte Human Rights Watch373, par ailleurs, le nombre d’incidents violents et l’ampleur des violations des droits humains contre les militants politiques d’opposition et les populations ont été plus élevées dans ces régions, villages ou circonscriptions historiquement favorables à Mugabe qui lui ont tourné le dos lors du vote du 29 mars374. La volonté de punir les populations et le MDC pour leur trahison a été combinée à une politique délibérée de « prévenir » une telle humiliation au second tour375 par tous les moyens. Si la violence a été utilisée délibérément et de manière calculée dans toutes les régions, toutes les provinces et toutes les villes du Zimbabwe après

368

Peter GODWIN, Op. cit., p. 351.

369 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 118; voir Figure 1. 370 Ibid.

371 Ibid. 372

Ibid.

373 Voir le rapport « Bullets for Each of You » State-Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29

Elections, Op. cit.

374 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 122-123; Human Rights Watch, « Bullets

for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Ibid., pp. 29-39.

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le premier tour de l’élection de 2008, les trois provinces du Mashonaland376

ainsi que celles du Manicaland et de Masvingo ont été particulièrement touchées (voir les cartes ci- après)377. Les résultats des élections au niveau local (en plus des niveaux législatif et présidentiel) ont également été utilisés pour persécuter les électeurs qui avaient appuyé le MDC et déstabiliser l’organisation du parti378

. De façon assez éloquente à ce sentiment de vengeance, cette campagne de violence à grande échelle a été baptisée Operation

Makavhoterapapi, ou opération « pour qui avez-vous voté ? »379 en langue Shona380.

Figure 2: Carte du Zimbabwe

Source : d-maps.com, http://d-maps.com/carte.php?num_car=5072&lang=fr (Consulté le 26 mai 2017).

376 Mashonaland Est, Mashonaland Central et Mashonaland Ouest.

377 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State-Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29

Elections, Op. cit., pp. 15, 29-33.

378

Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 122. À titre d’exemple voir l’histoire du conseiller de district rural (Rural District Councillor − équivalent de conseiller municipal en milieu rural) Chenjerai Mangezo à Bindura dans Peter GODWIN, Op. cit., pp. 349-354.

379 Traduction libre en français de «Operation where did you put your vote? ». 380

Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29

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Figure 3: Répartitions des violences sur le territoire du Zimbabwe pour l’année 2008

Source : Armed Conflict Location Event & Data Project

Human Rights Watch a documenté plusieurs évènements, dont deux sont particulièrement

emblématiques de ce sentiment de vengeance de l’entre-deux tours de la présidentielle de 2008 en tant que facteur explicatif et moteur de la violence par le régime Mugabe. D’abord, le 6 avril (avant même que tous les résultats officiels des législatives ne soient publiés par la ZEC) deux élus Zanu-PF381 ont dit lors d’un rassemblement partisan : « People voted the

wrong way, so people must be beaten thoroughly so that no one will ever vote MDC again »382. Dans les jours suivants, les incidents se sont multipliés dans ce district383 contre les partisans du MDC384. L’armée a ciblé les chefs de village afin qu’ils convoquent les habitants à des réunions publiques obligatoires où les militaires et des militants Zanu-PF armés ont regroupés les villageois et ont étayé devant eux leurs réserves de munitions. Dans le village de Karoi (Mashonaland Ouest), l’armée a distribué à chaque habitant une balle de fusil pour que tous comprennent clairement qu’il y avait assez de munitions pour éliminer

381 Rueben Marumahoko, sénateur d’Hurungwe et Peter Tapera Chanetsa, candidat élu au poste de député

pour la circonscription d’Hurungwe North (province du Mashonaland Ouest).

382 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29

Elections, Op. cit., p. 34.

383 District d’Hurungwe. Au Zimbabwe, les districts sont les divisions des provinces. 384

Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29

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chacun d’entre eux. Des soldats auraient alors répété aux habitants: « If you vote MDC in

the presidential runoff election, you have seen the bullets; we have enough for each one of you, so beware […] »385.