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5. LA SIGNATURE DU GLOBAL POLITICAL AGREEMENT (GPA) ET LE GOVERNMENT

5.2 Le Government of National Unity et la mobilisation de la violence

5.2.2 Dynamiques du pouvoir au sein du gouvernement d’unité nationale (GNU)

Selon Nic Cheeseman et Blessing-Miles Tendi, cette application à géométrie très variable des termes du GPA est due à la dynamique politique créée au sein du GNU par l’accord de partage de pouvoir signé par l’opposition et la Zanu-PF. Tant dans le cas du Zimbabwe que du Kenya, les accords de partage de pouvoir − dont les termes ont été négociés à l’avantage des présidents sortants − sont manipulés par ces derniers afin de conserver leurs positions de force et de limiter les possibilités de réforme, selon Cheeseman et Tendi :

Rather than create space for reform coalitions, power-sharing can be manipulated by incumbents desperate to retain their positions in the face of electoral defeat, undermining the prospects for reconciliation or institutional regeneration. The lesson to be taken from the experience of Kenya and Zimbabwe thus far is bleak; power-sharing servers to postpone conflict, rather than resolve it1007.

Dans le cas du Zimbabwe, les auteurs qualifient la dynamique résultant de cette manipulation des termes de l’accord à leur avantage de politics of continuity1008

. Essentiellement, cette dynamique reflète toute la résistance interne au changement et à la démocratisation au sein du GNU qui mine la réalisation des objectifs du GPA1009. Le rôle des institutions sécuritaires (en particulier de l’armée et du JOC) dans la mobilisation de la violence à des fins politiques en période électorale en 2008 a grandement contribué à ce que les militaires et les securocrats − qui demeurent en place suite au GPA et aux attributions unilatérales de Mugabe − alimentent cette dynamique de politics of

continuity1010. Martin R. Rupiya, Nic Cheeseman et Blessing-Miles Tendi considèrent

1006 Ibid., pp. 203-204, 207. 1007 Ibid., p. 207. 1008 Ibid. 1009 Ibid., pp. 206-207, 211. 1010 Ibid., pp. 207-211, 218.

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même l’armée et le JOC de « veto players » par rapport aux objectifs du GPA1011

, bloquant, diluant ou retardant le plus possible toute réforme, en particulier celles touchant les institutions sécuritaires1012. Suivant cette logique, donc, très peu d’avancées concrètes ont pu être faites sur le plan de la lutte contre l’impunité des auteurs de violations massives des droits humains. En effet, un grand nombre de securocrats ont délibérément miné le GNU, notamment pour se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites : « The willingness of the MDC

to speak out against perpetrators of violence has bred fear among Zanu-PF elites, solidifying distinct and fiercly opposed partisan veto players united by their common intransigeance »1013. Cette réalité au sein du GNU a ainsi contribué à marginaliser l’impact

de la présence du MDC au gouvernement et à maintenir la concentration entre les mains de la Zanu-PF et de ses alliés du monopole sur le recours à la violence étatique1014, ce qui était justement la crainte des organisations de défense des droits humains et des États occidentaux1015.

Ainsi, le constat qui précède et la nature des rapports de force ayant aboutis au GPA pousse Cheeseman et Tendi à conclure que les accords de gouvernement d’unité dans les deux cas (Kenya et Zimbabwe) ont été essentiellement signés pour « consommation internationale », c’est-à-dire principalement par souci d’image1016

. Négocié sous pression, tel que vu plus haut, l’accord de partage de pouvoir et le GNU qui en découle constitue, à bien des égards, une façade plutôt artificielle de réforme et de démocratisation, surtout par rapport à la mobilisation de la violence à des fins partisanes sous le régime Mugabe. Les dynamiques politiques au sein du GNU rendent donc la pleine mise en œuvre du GPA particulièrement problématique. Cela ne signifie pas que rien ne change par rapport à avant la signature : le gouvernement de coalition arrivera tout de même à freiner l’hyperinflation et à redresser la situation humanitaire chaotique d’après-crise1017

. Par contre, il en ressort clairement que le président Mugabe et la Zanu-PF avaient la capacité de court-circuiter le plus possible les

1011 Voir Martin R. RUPIYA, Op. cit., pp. 1-16 ainsi que Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Ibid.,

p. 218.

1012

Ibid.

1013 Ibid., p. 216. 1014 Ibid., p. 218.

1015 Thys HOEKMAN, Op. cit., pp. 915-918. 1016

Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 219.

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réformes en refusant parfois de respecter les clauses du GPA lui étant moins favorables1018, comme avec l’attribution unilatérale des ministères régaliens aux membres de son parti1019

. Cheeseman et Tendi dressent un bilan similaire des accords tant au Zimbabwe qu’au Kenya :

In both cases, incumbent governments were willing to sign unity deals because they recognized that so long as they retained the all-powerful presidency, they would continue to be able to veto reform by simply refusing to implement the clauses of the agreements they found most problematic. It was thus not in the negotiation process, but in the implementation period, that the impact of the different veto players at work in the two cases came to the fore […] in each case incumbents […] refused to give up the presidency and sought to maintain control over the main levers of coercion, including Foreign Affairs, Home Affairs, Defence and Internal Security1020.

Dans le GNU, le véritable pouvoir exécutif étant concentré entre les mains du président Mugabe, et non du premier ministre Tsvangirai, l’accord du partage de pouvoir a donc essentiellement été caractérisé dans sa mise en œuvre par la dynamique de politics of

continuity1021. À ce titre, les conclusions de Cheeseman et Tendi sur le recours à un gouvernement d’unité national au Zimbabwe et au Kenya sont intéressantes aux fins de la présente section. Ces derniers affirment, à la lumière des facteurs exposés ci-haut, que les gouvernements d’unité nationale s’inspirant du modèle mis en place au Zimbabwe et au Kenya ont essentiellement servis à des dirigeants autoritaires en situation d’« impasse démocratique » (democratic deadlock) à se maintenir au pouvoir1022. Surtout, les termes de l’accord ont permis non seulement à Mugabe de se maintenir au pouvoir en conservant les avantages associés à sa position privilégiée, mais de le faire en se rendant plus acceptable aux yeux de la communauté internationale, tout particulièrement sur le plan régional1023. Ainsi, ce type d’accord s’est révélé un bon moyen pour certains dirigeants, dont Mugabe, de se donner une légitimité interne et externe renouvelée en faisant un minimum de

1018

Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 219.

1019 Siphamandla ZONDI, Op. cit., p. 70.

1020 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 219. 1021 Ibid., p. 222.

1022

Ibid., p. 225.

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concessions politiques, avec la possibilité de prendre le crédit d’éventuelles réalisations d’un gouvernement de coalition1024

.

5.2.3 Glissement des tactiques de la Zanu-PF vers des réseaux informels parallèles à l’État