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L invocabilité du droit international du climat devant le juge administratif français

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Academic year: 2022

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L’invocabilité du droit international du climat devant le juge administratif français

in M. Torre-Schaub, Les contentieux climatiques : dynamiques et France et dans le monde, à paraître 2020

Sabrina ROBERT-CUENDET

Professeur de droit public – Le Mans Université

Mots clés : traités internationaux sur le climat, effet direct, invocabilité, effectivité

La multiplication des procès climatiques contre l’État – en Europe et ailleurs – reflète l’émergence d’un nouveau paradigme de la responsabilité des pouvoirs publics. La société civile s’en remet au prétoire et aux instruments du droit comme à une nouvelle forme d’activisme climatique1. Le juge – et il s’agit pour l’essentiel du juge interne – est sollicité comme un agent d’exécution subsidiaire des engagements de l’État, pour pallier le manque d’ambition des politiques publiques climatiques. Les États, quant à eux, sont contraints – ne serait-ce qu’en étant obligés de développer des moyens de défense contre l’argumentaire audacieux des requérants qui leur reprochent leur inaction ou leur carence – de rendre des comptes sur les dispositifs de lutte contre les changements climatiques qu’ils adoptent.

Le succès de ces plaintes n’est rien que moins sûr. Jusqu’à maintenant, ce ne sont que quelques procédures qui ont abouti en faveur des requérants2. Pour l’essentiel, ces contentieux se heurtent à une multitude d’obstacles procéduraux et de fond, que la doctrine a déjà largement identifiés3 et qui hypothèquent les chances de conclure dans le sens des prétentions des plaignants. Ces procès d’un nouveau genre mettent ainsi en exergue le fait que la justice est directement exposée à la force perturbatrice des changements climatiques4. Les règles du procès, et avec elles celles permettant d’engager la responsabilité des décideurs, doivent être réinventées, sous peine pour le droit du climat de ne jamais parvenir à un état d’effectivité satisfaisant. Comme l’a parfaitement relevé le juge pakistanais dans l’affaire Leghari, la justice climatique nécessite d’aller au-delà du cadre conceptuel de la justice environnementale :

« It appears that we have to move on. The existing environmental jurisprudence has to be fashioned to meet the needs of something more urgent and overpowering, i.e., Climate Change. From Environmental Justice, which was largely localized and limited to our own ecosystems and biodiversity, we need to move to Climate Change Justice »5.

                                                                                                               

1 J. VIEIRA, « L’émergence de l’activisme climatique et l’accès au juge », RFDA, 2019, p. 636.

2 Parmi les affaires les plus remarquées, qui ont abouti en faveur des requérants : Tribunal de district de La Haye, Fondation Urgenda Foundation c. Pays-Bas, 24 juin 2015 (décision confirmée en appel le 9 octobre 2018 et faisant actuellement l’objet d’un recours devant la Cour suprême néerlandaise) ; Cour suprême des États-Unis, Massachusetts v Environmental Protection Agency 549 US 497 (2007), 127 S CT 1438 (2007) ; Haute Cour de Lahore, Pakistan, Asghar Leghari c. Pakistan, aff. n° W.P. No. 25501/2015, jugement du 4 avril 2015. Toutes les décisions étudiées dans le cadre de cette analyse sont accessibles sur la base de données du Sabin Center for Climate Change Law de la Columbia Law School, [http://climatecasechart.com].

3 Voy. par exemple en droit français F. GIANSETTO, « Le droit international privé à l’épreuve des nouveaux contentieux en matière de responsabilité climatique », JDI, 2018, n° 2, pp. 505-533. Pour un aperçu plus général : PNUE en collaboration avec le Sabin Center for Climate Change Law, L’état du contentieux climatique. Revue mondiale, mai 2017, pp. 27-40.

4 E. FISHER, E. SCOTFORD et E. BARRITT, « The Legally Disruptive Nature of Climate Change », Modern Law Review, 2017, vol. 80, pp. 173-201.

5 Haute Cour de Lahore, Ashgar Leghari c. Pakistan, aff. n° W.P. 25501/2015, 4 septembre 2015, § 7.

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L’urgence, la globalité des enjeux et l’interconnexion des responsabilités exigent de concevoir une nouvelle matrice de la « justiciabilité climatique »6.

Parmi les questions classiques du contentieux qui peuvent doivent être revisitées au regard de la spécificité des procès climatiques se trouve celle de l’invocabilité des traités internationaux sir le climat. Elle n’a pour le moment fait l’objet que de peu d’attention de la part de la doctrine, qu’il s’agisse des spécialistes de droit interne ou des spécialistes de droit international. Elle peut, en outre, sembler accessoire. D’une part, les obligations des États en matière de protection du climat sont essentiellement consignées dans des instruments de droit interne ou, pour les États membres de l’Union européenne, dans des instruments de droit européen7 dont les conditions d’invocabilité devant le juge interne sont désormais bien définies et relativement extensives. D’autre part, l’utilité des traités internationaux sur le climat dans le cadre d’un procès climatique peut, à première vue, paraître limitée compte tenu que ceux-ci sont réputés relever, pour l’essentiel, de la soft law, du droit programmatoire, des engagements non contraignants.

En réalité, la force normative des traités internationaux sur le climat – la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992 (CCNUCC) et l’Accord de Paris sur le climat de 2015 plus spécialement – s’appréhende de manière complexe. Leur portée juridique ne se résume pas à l’absence de contrainte dans la formulation de leurs dispositions et à l’absence de sanction en cas de violation de celles-ci8. Le niveau d’ambition des actions climatiques qui doit être atteint par les politiques publiques des parties contractantes est fixé dans ces instruments. Dans l’Accord de Paris, les États se sont engagés à faire leur possible9 pour contenir « l’élévation de la température de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels »10. Que cet engagement relève d’une obligation de due diligence – obligation de moyen plutôt qu’obligation de résultat – et que les États restent maîtres du niveau précis des efforts qu’ils peuvent consentir, par le jeu des contributions déterminées au niveau national, ne changent rien au fait que l’Accord de Paris fait peser sur les parties contractantes une obligation positive d’agir afin de limiter l’élévation des températures à un niveau qui ne cause pas de dommages irréversibles et disproportionnés aux populations, à la biodiversité et aux écosystèmes dans leur ensemble11. L’article 3 de l’Accord de Paris le dit en ces termes : « il incombe à toutes les Parties d’engager et de communiquer des efforts ambitieux […] en vue de réaliser l’objet de l’accord qui est de renforcer la riposte mondiale à la mesure des changements climatiques ». Dès lors, le niveau d’ambition des politiques publiques nationales des parties contractantes doit pouvoir être contrôlé au regard de ces normes internationales.

Ainsi, il n’est pas exceptionnel que les traités internationaux sur le climat soient convoqués, dans les contentieux climatiques, au soutien des argumentaires développés par les                                                                                                                

6 M. TORRE-SCHAUB, « Les dynamiques du contentieux climatique : anatomie d’un phénomène émergent », in M. TORRE-SCHAUB, C. COURNIL, S. LAVOREL et M. MOLINER-DUBOST (dir.), Quel(s) droit(s) pour les changements climatiques ?, Mare & Martin, 2018, p. 130.

7 Voy. M. MOLINER-DUBOST, « Les obligations de l’État dans la lutte contre le changement climatique », RFDA, 2019, pp. 629 et ss.

8 Voy. G. DE LASSUS ST GENIES, « L’Accord de Paris sur le climat : quelques éléments de décryptae », Revue Québecoise de droit international, 2015, pp. 27-51 ; S. MALJEAN-DUBOIS, « L’Accord de Paris sur le climat, un renouvellement des formes d’engagement de l’État ? », in M. TORRE-SCHAUB, C. COURNIL, S. LAVOREL et M.

MOLINER-DUBOST (dir.), Quel(s) droit(s) pour les changements climatiques ?, Mare & Martin, 2018, pp. 55-73.

9 Article 4 de l’Accord : « En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé à l’article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais […] ».

10 Article 2 § 1 a).

11 S. MALJEAN-DUBOIS, « La responsabilité internationale de l’État pour les dommages climatiques », in C.

COURNIL et L. VARISON (dir.), Les procès climatiques : du national à l’international, Paris, Pedone, 2018.

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requérants. Ils peuvent l’être, en premier lieu, à des fins d’interprétation du droit interne de l’État mis en cause dans le procès. Ils peuvent l’être, en second lieu, dans le cadre du contrôle de légalité – il s’agit alors d’un contrôle de conventionnalité – des actes de droit interne, que ceux-ci visent à lutter contre les changements climatiques ou qu’ils autorisent des activités préjudiciables à l’environnement. Finalement, les traités internationaux sur le climat peuvent être invoqués à des fins d’engagement de la responsabilité de l’État, dans le cas où, par exemple, celui-ci adopte une loi contraire à ses engagements supranationaux. Dans ces différentes hypothèses, afin que le traité déploie ses effets, encore faut-il que les requérants aient la possibilité de l’invoquer directement devant le juge interne. Formulée autrement, cette condition revient à se demander si le juge interne a le pouvoir d’assurer, directement, le respect et l’exécution des engagements climatiques internationaux de l’État.

De manière générale, la question de l’invocabilité des traités internationaux devant les juridictions internes est extrêmement complexe et dépend de plusieurs facteurs aux contours mal définis. Les conditions d’applicabilité des traités internationaux dans l’ordre juridique interne dépendent d’abord du système de réception des normes supranationales adopté par l’État concerné. Mais la dichotomie habituelle qui distingue les systèmes monistes des systèmes dualistes est une construction théorique très imparfaite qui ne reflète ni la réalité ni la diversité des approches retenues par les États12. Il peut arriver qu’un État dit « ouvert »13 continue à maintenir une distinction nette entre les conditions d’applicabilité des normes internes et les conditions d’applicabilité des normes internationales dans son système juridique domestique. En effet, les conditions d’applicabilité des traités internationaux dans l’ordre juridique interne dépendent, en second lieu, de la jurisprudence des juges. Ceux-ci se montrent plus ou moins réceptifs au déploiement, dans l’ordre interne, des effets de ces traités. Ils peuvent hésiter à se positionner en censeur du comportement des États par rapport à leurs engagements pris dans l’ordre juridique international. Finalement, l’exemple du droit de l’Union européenne montre que les conditions d’applicabilité dans l’ordre interne des normes supranationales peuvent aussi dépendre des caractéristiques systémiques des traités en cause.

Le droit primaire de l’UE (de même que son droit dérivé) bénéficie d’une présomption d’effet direct, ce qui n’est pas le cas des autres normes de droit international14.

S’agissant de la position que le juge administratif français pourrait adopter à l’égard des traités climatiques, il faut d’abord rappeler que les conditions d’invocabilité d’un accord international diffèrent selon la nature du recours intenté. Pour être utilement invoquées dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, contre un acte réglementaire ou contre un acte individuel, ou dans le cadre d’une demande en interprétation conforme, les stipulations conventionnelles doivent être d’effet direct, c’est-à-dire qu’elles doivent être aptes à créer des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir. À l’inverse, dans le cas d’un recours en responsabilité, cette corrélation entre effet direct et invocabilité n’est pas exigée.

Il faut par ailleurs relever que le juge administratif n’a jamais clairement défini la méthodologie d’analyse qu’il retient pour déterminer si un accord international mobilisé devant lui présente les caractéristiques d’un accord d’effet direct. Deux critères sont posés : le premier est objectif et requiert de la norme invoquée qu’elle soit suffisamment précise et                                                                                                                

12 H. TIGROUDJA, « Le juge administratif français et l’effet direct des engagements internationaux », RFDA, 2003, p. 154.

13 Sur la notion d’État « ouvert », voy. E. LAGRANGE, « L’efficacité des normes internationales concernant la situation des personnes privées dans les ordres juridiques internes », RCADI, 2012, tome 356, pp. 297-307.

14 Pour reprendre les termes de la Cour permanente de justice internationale : « selon un principe de droit international bien établi […] [un] accord international ne peut, comme tel créer directement des droits et des obligations pour les particuliers. Mais on ne saurait contester que l’objet même d’un accord international, dans l’intention des Parties contractantes, puisse être l’adoption, par les Parties, de règles déterminées, créant des droits et obligations pour des individus, et susceptibles d’être appliqués par les tribunaux nationaux ». CPJI, avis consultatif, 3 mars 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig, Rec., Série B, pp. 17-18.

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complète et qu’elle ne requiert aucun acte complémentaire pour produire ses effets (caractère self-executing) ; le second est subjectif et renvoie à la volonté des parties contractantes au traité de conclure un accord qui n’a pas pour objet exclusif de régir leurs relations souveraines inter partes. Mais l’analyse de ces critères laisse place à une grande marge d’appréciation pour le juge. Le degré de complétude exigé d’une norme conventionnelle n’a jamais été posé pas plus que les moyens d’appréciation de l’objet du traité qui permettraient de distinguer ceux qui ne régissent que les relations entre États de ceux qui affectent, directement ou indirectement, la situation juridique des particuliers.

Compte tenu de cette jurisprudence en mal de cohérence, mais qui fait une large place à l’exigence d’effet direct, les chances de succès d’un recours tendant à invoquer, devant le juge administratif français, l’Accord de Paris ou la CCNUCC semblent minces. L’analyse pourrait donc se contenter de dresser l’état des lieux de la jurisprudence administrative française quant à l’invocabilité des traités internationaux en droit interne et conclure que l’utilité des traités climatiques dans les procès intentés contre l’État devrait être limitée. Ce constat va être posé dans la première partie de l’analyse. Mais la suite des développements tentera de le dépasser.

D’une part, parce que le Conseil d’État, en dépit de sa position traditionnellement réservée à l’égard du droit international, ne cesse de faire évoluer sa jurisprudence en faveur d’une plus grande ouverture et d’une interpénétration renforcée des normes internes et internationales15. D’autre part, parce que la multiplication des contentieux climatiques en Europe et ailleurs entraine un mouvement d’ « échange des savoirs » entre les juges, dont certains se montrent particulièrement audacieux pour participer à la « sphère d’influence normative » du droit international du climat16. Or, on ne peut que former le vœu que le juge français y sera, le moment opportun, réceptif.

I. L’état du droit positif : des possibilités limitées d’invoquer les traités climatiques devant le juge administratif français

Le juge administratif français, tout comme le juge judiciaire d’ailleurs, pose des conditions restrictives à l’invocabilité, devant lui, des traités internationaux. Transposée dans le cadre des procès climatiques intentés contre l’État, cette jurisprudence laisse peu de place à la possibilité d’invoquer avec succès les traités internationaux sur le climat (A) et compromet l’effectivité du droit international du climat et l’émergence d’une véritable justice climatique en droit français (B).

A. L’approche restrictive de l’invocabilité des traités internationaux

L’invocabilité des stipulations conventionnelles à des fins de contrôle de conventionnalité des actes de droit interne –. Afin de pouvoir procéder au contrôle de compatibilité d’un acte de droit interne avec une stipulation conventionnelle, le juge administratif exige que cette dernière soit d’effet direct, c’est-à-dire qu’elle soit apte à créer des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir. C’est l’arrêt GISTI-FAPIL du 11 avril 2012 qui pose les critères objectif et subjectif de cet effet direct :

« les stipulations d’un traité ou d’un accord régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution peuvent utilement être invoquées à l’appui d'une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée                                                                                                                

15 B. STIRN, « Le Conseil d’État et le droit international », Intervention lors du Colloque sur l’internationalisation du droit administratif, au Centre de droit public comparé de l’université Paris II Panthéon-Assas, 25 mai 2018, [https://www.conseil-État.fr/actualites/discours-et-interventions/le-conseil-d-État-et-le-droit-international].

16 M. TORRE-SCHAUB, « Les dynamiques du contentieux climatique : anatomie d’un phénomène émergent », op.

cit., p. 124.

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l’application d’une loi ou d’un acte administratif incompatibles avec la norme juridique qu’elles contiennent, dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir ; […] une stipulation doit être reconnue d’effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elle n’a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requiert l’intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers ; que l’absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation désigne les États parties comme sujets de l’obligation qu’elle définit »17

Cette jurisprudence amène le juge à procéder à une analyse au cas par cas des stipulations conventionnelles invoquées devant lui, le conduisant souvent à dépecer le régime juridique d’un même traité. Si par exemple l’invocabilité directe de la Convention européenne de sauvegarde des droits et libertés fondamentaux (CESDH) ne pose pas de difficulté – ce qui est fondamental pour les contentieux qui nous intéressent, où les requérants peuvent demander le respect de leur droit à un environnement sain protégé, par ricochet, par certaines dispositions de la CESDH18 – il en va autrement des dispositions du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques de 1966, de la Charte sociale européenne de 1996 ou encore de la Convention internationale sur les droits de l’enfant de 1989 dont toutes ne sont pas reconnues d’effet direct19. Les accords multilatéraux sur l’environnement sont également soumis à ce dépeçage mais avec une tendance plus restrictive encore à reconnaître l’effet direct de leurs clauses. Le juge retient souvent que les dispositions de ces instruments « créent seulement des obligations entre États sans ouvrir de droits aux intéressés »20. L’invocabilité de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement de 1998 – qui pourtant le citoyen au cœur de l’action environnementale – est par exemple reconnue pour quelques unes de ses dispositions seulement21.

La transposition, en tant que telle, de cette jurisprudence au cas de la CCNUCC ou de l’Accord de Paris laisse peu d’espoir quant à la possibilité donnée aux requérants dans les procès climatiques, de les invoquer utilement. Non seulement ces instruments ne créent pas directement de droit en faveur des particuliers. Mais en outre, leurs dispositions ne satisfont pas l’exigence de complétude des normes. Au contraire, l’économie générale de l’Accord de                                                                                                                

17 CE, Ass., 11 avr. 2012, req. n° 322326. Cet arrêt permet au Conseil d’État d’aligner sa jurisprudence sur celle de la Cour de justice de l’Union européenne. Selon celle-ci, les dispositions d’un accord international auquel l’Union est partie ne peuvent être invoquées à l’appui d’un recours en annulation d’un acte de droit dérivé ou d’une exception tirée de l’illégalité d’un tel acte qu’à la condition, d’une part, que la nature et l’économie de cet accord ne s’y opposent pas et, d’autre part, que ces dispositions apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises. Voy. par exemple CJCE, Gde chbre, 3 juin 2008, International Association of Independent Tanker Owners (intertanko) e.a. contre Secretary of State for Transport, C-308/06, Rec. p. I-4057, pt. 45.

18 Sur la protection du droit à un environnement sain à travers les garanties offertes par la CESDH, voy. le Manuel sur les droits de l’homme et l’environnement, Éditions du Conseil de l’Europe, 2012, 2ème éd., 206 p.

19 Au sujet de la Charte sociale européenne, comp. par exemple CE, 20 avril 1984, Ministre délégué chargé du budget c. elle Valton et autre, req. n° 37772 et 37774 où l’article 4-4 est considéré comme ne produisant pas d’effet direct et CE, 10 février 2014, Fisher, req. n° 358992 qui considère que l’article 24 peut être utilement invoqué devant lui. Au sujet de la Convention internationale sur les droits de l’enfant, voy. CE, 27 juin 2008, Etarh, req. n°291561 où le juge reconnaît la qualité de norme d’effet direct au paragraphe 1 de l’article 3 mais la refuse au paragraphe 2 de la même disposition.

20 Par exemple CE, 17 novembre 1995, Union juridique Rhône – Méditerranée, req. n° 159855 au sujet de la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe de 1979 et la Convention de Ramsar elative aux zones humides d'importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d'eau de 1971.

21 Voy. A. VAN LANG, « Le principe de participation : un succès inattendu », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel (Dossier Le Conseil constitutionnel et l’environnement), avril 2014, n° 43.

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Paris tient précisément au fait qu’il orchestre un délicat équilibre entre les engagements généraux des États au niveau international et l’adoption de mesures de mise en œuvre précises et substantielles au niveau national.

Pour autant, deux décisions récentes méritent ici d’être examinées. Dans une décision du 4 décembre 2017, le Conseil d’État était confronté à une demande d’annulation pour excès de pouvoir de plusieurs décisions ministérielles refusant de faire droit à une demande d’abrogation d’un décret de 2008 déclarant d’utilité publique les travaux de construction d’une autoroute dans la région Rhône-Alpes. Au soutien de son recours, l’association requérante invoquait l’incompatibilité de ces décisions avec le paragraphe 1 de l’article 4 de l’Accord de Paris énonçant que les parties contractantes « cherchent à parvenir […] au plafonnement mondiale des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais […] ».

Pour rejeter ce moyen, le Conseil d’État s’est contenté de relever que « ces stipulations, par elles-mêmes, n’ont pas pour portée de faire obstacle à la réalisation du projet litigieux ». Il est surprenant que le juge ne se soit pas placé sur le terrain de l’absence, manifeste, d’effet direct de cette disposition. D’autant plus que le juge applique ce test aux dispositions de la Loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, pour lesquelles il conclut qu’elles « se bornent à fixer des objectifs généraux de l’action de l’État en matière de développement durable » et qu’elles « sont par elles-mêmes dépourvues de portée normative »22.

Dans une ordonnance du 1er février 2019, dans l’affaire Guyane Maritime où le juge était saisi en référé d’une demande en suspension de l’exécution d’un arrêté préfectoral de 2018 autorisant la société Total à réaliser cinq puits de forage d’exploration du pétrole en Guyane, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a procédé de la même manière. Le juge s’est référé à l’arrêt du 4 décembre 2017 qui vient d’être examiné, pour relever que celui-ci « n’a pas reconnu aux stipulations de cet accord un effet contraignant à l’égard d’un projet de construction »23. Cette approche, là encore, a de quoi surprendre. D’une part, rien n’indique dans la décision du 4 décembre 2017 que le Conseil d’État ait entendu faire référence au caractère contraignant ou non de l’Accord de Paris en se plaçant sur le terrain de sa

« portée ». D’autre part, le juge ne procède pas non plus à l’examen de l’effet direct de l’accord invoqué, alors même que c’est une condition systématique dans le cadre du contrôle de conventionnalité des actes administratifs.

Il serait hasardeux de voir dans ces deux décisions un premier infléchissement de la jurisprudence administrative qui viserait à tenir compte, d’une manière ou d’une autre, des engagements internationaux climatiques de l’État24. Tout au plus faut-il relever, ici, que ces décisions ajoutent au caractère chaotique de la jurisprudence administrative et à l’incertitude qui entoure la possibilité de demander au juge français d’assurer l’exécution effective des engagements climatiques de l’État.

                                                                                                               

22 CE, 2ème et 7ème chambres réunies, req. n° 407206.

23 Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, Ordonnance du 1er février 2019, Association Greenpeace France et autres, req. n° 1813215.

24 On peut toute de même tenter un rapprochement avec la « technique de la prise en considération » retenue par la Cour de cassation à l’égard des résolutions du Conseil de sécurité, qui n’ont pas d’effet direct, mais qui peuvent être appréhendées « en tant que fait juridique ». Civ. 1ère, 25 avril 2006, Dumez GTM (SA) c. État irakien, n° 02-17-344, DS. 2006, p. 1335, obs. I. Gallmeister. Comme le relève S. El Boudouhi, « [s]i la formule de "prise en considération en tant que fait juridique" est entourée d’un certain mystère, on peut néanmoins y déceler une volonté du juge suprême de ne pas faire comme si les normes de droit international dépourvues d’effet direct […] n’existaient pas ». S. EL BOUDOUHI, « Le juge interne, juge de droit commun du droit international ? État des lieux de l’invocabilité du droit international conventionnel en droit interne », RFDA, 2014, p. 371.

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L’invocabilité des stipulations conventionnelles à des fins d’interprétation –. Lorsque les dispositions d’un traité international sont invoquées à des fins d’interprétation des normes de droit interne, la position du juge administratif français est également restrictive. Le juge n’a jamais consacré d’obligation d’interprétation conforme, alors même que la supériorité des traités sur les lois, posée à l’article 55 de la Constitution, devrait l’imposer25. Jusqu’à maintenant, le juge a accepté de procéder à cette interprétation en présence de dispositions conventionnelles d’effet direct et dans les cas où cette technique lui permet de neutraliser un potentiel conflit de normes de droit interne et de droit international26. Autrement dit, l’interprétation conforme est utilisée comme palliatif à l’invalidation normative, lorsque le droit interne n’apparaît pas conforme au droit international27. Et en pratique, le juge administratif accepte de procéder à cette interprétation conforme, en dehors des traités de l’Union européenne où il y est obligé, lorsque c’est la CESDH qui est en cause, probablement afin d’éviter le risque d’une condamnation par la Cour de Strasbourg28.

Là encore, la position du juge administratif français laisse peu d’espoir quant au sort qui pourrait être réservé à une demande d’interprétation du droit français par rapport à la CCNUCC ou à l’Accord de Paris. C’est précisément sous cet angle que se positionnent les quatre associations requérantes dans l’Affaire du siècle engagée contre l’État français au début de l’année 201929. Elles cherchent à faire reconnaître l’existence d’une obligation de lutter contre les changements climatiques qui découlerait de l’article 1er de la Charte de l’environnement (qui consacre le droit de chacun de vivre dans un environnement sain) et de l’obligation de vigilance environnementale dégagée par le Conseil constitutionnel sur la base des articles 1er et 2 de la même Charte. Les associations requérantes invoquent également les engagements internationaux de la France pour substantifier cette obligation de vigilance environnementale. Pour les demanderesses, « l’obligation de vigilance environnementale, issue de la Charte de l’environnement, doit être interprétée, au regard des engagements internationaux de la France, comme fondant l’obligation de l’État de lutter contre les changements climatiques »30. Il est donc demandé au juge de procéder à une interprétation constructive du droit interne, à l’aune du droit international du climat. Autrement dit encore, il ne s’agit pas tant de neutraliser un potentiel conflit de normes entre le droit interne et le droit international que de renforcer le droit interne du climat à la lumière des engagements internationaux de la France31. Or, si le juge administratif s’en tient à sa jurisprudence constante, une telle demande ne devrait pas aboutir.

                                                                                                               

25 À l’inverse, la CJUE estime que l’interprétation conforme du droit dérivé européen par rapport aux accords internationaux liant l’UE est une obligation (CJCE, 10 septembre 1996, Commission contre République fédérale d’Allemagne, C-61/94, pt. 52). Cette obligation ne concerne toutefois pas le droit primaire.

26 J-F. DELILE, L’invocabilité des accords internationaux devant la Cour de justice et le Conseil d’État français, Thèse Université de Bordeaux, 2014, pp. 528-529. Pour un exemple où le juge refuse de procéder à l’interprétation conforme en raison de l’absence d’effet direct des dispositions conventionnelles invoquées, voy.

CE, 8 décembre 2000, Commune de Breil-sur-Roya, req. n° 204756, au sujet de la Convention de Bern relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe.

27 J-F. DELILE, op. cit., pp. 528-529 ; B. GENEVOIS, « Le Conseil d’État et la Convention européenne des droits de l’homme », Gaz. Pal., 12 juin 2007, p. 13.

28 D. DE BECHILLON, « Le Conseil d’État, la Convention européenne des droits de l’homme et la non- indemnisation des servitudes d’urbanisme », RFDA, 1999, p. 844 ; J-F. DELILE, op. cit., p. 542.

29 Ch. COURNIL, « L’affaire du siècle devant le juge administratif », AJDA, 2019, pp. 437 et ss.

30 Mémoire déposé par les associations requérantes, Notre affaire à tous, Greenpeace, Fondation pour la nature et l’Homme et Oxfam le 20 mai 2019, p. 24. Ce mémoire peut être consulté en ligne à l’adresse suivante : [https://laffairedusiecle.net/wp-content/uploads/2019/05/Argumentaire-du-Mémoire-complémentaire.pdf]

(dernière consultation le 10 octobre 2019).

31 Le fait que les requérantes demandent au juge administratif de procéder à une interprétation constructive n’est pas une difficulté en soi. Le Conseil d’État a déjà accepté de « ré-écrire » le droit interne, à l’aune de la CESDH, afin d’éviter tout conflit avec cette dernière (arrêt Bitouzet du 3 juillet 1998). Voy. M. GAUTIER et F. MELLERAY,

« Application de la norme internationale », JCl. Droit administratif, fasc. n° 22, 2003, pt. 58.

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L’invocabilité des stipulations conventionnelles à des fins d’engagement de la responsabilité extra-contractuelle de l’État –. Finalement, c’est dans le cadre des recours visant à engager la responsabilité extra-contractuelle de l’État – pour non respect de ses engagements internationaux – que la jurisprudence est la moins exigeante. Comme cela ressort de l’arrêt Gardedieu du 8 février 200732, l’État peut voir sa responsabilité pour faute engagée du fait d’actes de droit interne contraires à des engagements internationauxsans qu’il soit besoin de vérifier l’effet direct des stipulations conventionnelles invoquées. Rien dans la jurisprudence ne permet d’expliquer pourquoi la corrélation entre effet direct et invocabilité n’est pas ici exigée.

Dans le cadre des contentieux climatiques, il pourrait donc être utilement soutenu que l’État français engage sa responsabilité lorsqu’il adopte une loi qui contrevient à l’Accord de Paris, parce qu’elle autorise, par exemple, des plafonds d’émission des gaz à effet de serre qui dépassent très largement les limites que l’État doit se fixer pour satisfaire, à son échelle, l’objectif collectif de limitation de l’élévation des températures à moins de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels.

B. Les limites de l’approche restrictive de l’invocabilité des stipulations conventionnelles

Le « dualisme refoulé » 33 du juge –. L’exigence selon laquelle une norme conventionnelle doit être d’effet direct pour être utilement invoquée dans l’ordre juridique interne est d’origine purement jurisprudentielle34. Elle ne figure pas dans l’article 55 de la Constitution selon lequel « [l]es traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Il en découle une « inégalité matérielle des normes à l’intérieur même du bloc de légalité », là où elles devraient pourtant présenter un même degré d’accessibilité et de disponibilité pour les justiciables35. Le Conseil d’État a, à plusieurs reprises, été alerté sur l’incohérence de sa jurisprudence voire sur son caractère inconstitutionnel. R. Abraham, alors Commissaire du Gouvernement, le disait en ces termes à l’occasion de l’arrêt GISTI du 24 avril 1997 :

« [p]rétendrait-on […] que parce qu’elle n’est pas d’effet direct, la stipulation conventionnelle ne s’est pas du tout incorporée à l’ordre interne, et qu’elle est par suite insusceptible de produire, au sein de cet ordre, quelque effet juridique que ce soit ? On méconnaîtrait alors l’article 55 de la Constitution, et le caractère moniste du système d’articulation entre droit international et droit interne que cet article consacre »36.

L’efficacité contrariée des engagements internationaux de l’État –. Cette différence de traitement entre normes internes et normes internationales touche à l’efficacité même des engagements internationaux de la France. L’efficacité peut ici être entendue comme

« l’application de la norme de manière à ce que le but poursuivi par ses auteurs soit                                                                                                                

32 CE, Ass. 8 février 2007, Gardedieu, req. n° 279522.

33 E. LAGRANGE, op. cit., p. 464.

34 On peut souligner que lorsque le Conseil d’État accepte, pour la première fois, de contrôler la compatibilité d’un acte administratif avec une norme conventionnelle liant la France – dans l’arrêt Dame Kirkwood (30 mai 1952), il ne fait pas mention de la condition d’effet direct. Celle-ci sera introduite ultérieurement dans sa jurisprudence.

35 H. TIGROUDJA, op. cit., p. 154.

36 CE, 29 avril 1997, GISTI, req. n° 163043, Conclusions du Commissaire du Gouvernement R. Abraham. AJDA, 1997, p. 482. Voy. aussi les conclusions de G. Dumortier, à l’occasion de l’arrêt GISTI – Fapil, qui vont dans le même sens. CE, Ass., 11 avril 2012, GISTI et Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement, req. n° 322326, RFDA, 2012, p. 547.

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effectivement et complètement atteint » 37. Or, la jurisprudence relative à l’effet direct des traités fait blocage à la normativité et à l’effet obligatoire des traités qui engagent la France.

Elle les tient à l’écart de l’ordre juridique interne auquel elles appartiennent pourtant, dès lors que les conditions posées par l’article 55 de la Constitution sont remplies.

La question se pose, bien évidemment, de savoir si c’est au juge interne qu’il appartient d’assurer cette efficacité. Il est d’autant plus délicat de répondre à cette question au sujet des engagements internationaux climatiques des États. Les procès climatiques placent le juge dans une position délicate par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif : il ne peut se substituer aux autorités normatives défaillantes pour décider des politiques climatiques à adopter ; pourtant, les requérants lui demandent, en un sens, d’intervenir dans l’arbitrage des différents intérêts qui sont en jeu dans ce domaine38. Mais, même dans le cas où une demande d’injonction lui est adressée qui peut aller jusqu’à exiger de l’État qu’il adopte une réglementation climatique plus ambitieuse, le juge n’est sollicité, en réalité, que pour vérifier que les autorités publiques ont adopté des mesures internes aptes à satisfaire les engagements pris au niveau international. Pour de nombreux auteurs d’ailleurs, le juge national apparaît comme le gardien naturel de l’ordre juridique international, puisque son indépendance et son impartialité lui permettent de veiller au respect du droit international de manière objective et à l’abri des considérations politiques qui guident l’action des autres organes de l’État39.

Dans son arrêt du 12 juillet 2017, dans l’affaire Les Amis de la Terre, le Conseil d’État a accepté de contrôler l’effectivité et l’efficacité des normes internes adoptées, dans le domaine de la qualité de l’air, à des fins de transposition des directives européennes40. Il s’est ainsi positionné en tant qu’ « autorité nationale d’exécution du droit européen »41. Rien n’exclut que le juge puisse jouer le même rôle s’agissant des traités internationaux, en particulier lorsque la satisfaction de leurs objectifs passe, comme pour l’Accord de Paris, par un renvoi aux ordres juridiques internes42. Mais il faudrait alors envisager des conditions d’invocabilité plus souples des accords internationaux43.

                                                                                                               

37 E. LAGRANGE, op. cit., p. 277.

38 Les procès climatiques posent ainsi la question du rôle du juge par rapport au principe de séparation des pouvoirs. Cette question est récurrente dans les procès engagés devant les juges américains et a parfois fait obstacle à la justiciabilité de la plainte. Voy. par exemple Connecticut v Am. Elec. Power, 406 F. Supp. 2d 265, 267 (S.D.N.Y. 2005). Mais à l’inverse, dans l’affaire Juliana, le juge refuse de décliner sa compétence sur ce motif (Cour de District de l’Oregon, Juliana v United States 217 F Supp 3d 1224, 10 novembre 2016, pt. 17).

Cette objection a aussi été soulevée, mais rejetée par le tribunal, dans l’affaire Urgenda (voy. §§ 4.94-4.102 de la décision du 24 juin 2015). Voy. aussi Cour suprême de Nouvelle Zélande, Sarah Thomson v. The Minister for Climate Change Issues, 2 novembre 2017, § § 104-115.

39 Voy. en ce sens A. ROBERTS qui cite Lauterparcht, Falk ou encore Cassese. « Comparative International Law?

The Role of National Courts in Creating and Enforcing International Law », ICLQ, 2011, vol. 60, p. 68.

40 A. VAN LANG, « Protection de la qualité de l’air : de la transformation d’un droit gazeux en droit solide », RFDA, 2017, p. 1135.

41 A. PERRIN et M. DEFFAIRI, « Le juge administratif, garant de la qualité de l’air », AJDA, 2018, p. 167.

42 En ce sens, A-S. TABAU, « Les circulations entre l’Accord de Paris et les contentieux climatiques nationaux : quel contrôle de l’action climatique des pouvoirs publics d’un point de vue global ? », RJE, 2017, n° spécial, p.

242.

43 On peut noter que la CJUE a accepté, dans un arrêt du 15 juillet 2004, de reconnaître l’effet direct du Protocole d’Athènes relatif à la protection de la mer Méditerranée contre les pollutions d’origine telluriques en se fondant sur l’obligation qu’ont les parties contractantes de prendre « toutes les mesures appropriées » pour lutter contre ce type de pollution (article 1er). La Cour a considéré que « [l]a reconnaissance de l’effet direct de la disposition en cause ne peut que servir l’objet du protocole [qui est de prévenir, de réduire, de combattre et de maitriser la pollution en mer Méditerranée] et répondre à la nature de l’instrument destiné, notamment, à éviter la pollution due à la carence des pouvoirs publics » (Affaire de l’étang de Berre, 15 juillet 2004, C-213/03, pt.

45). Mais par la suite, la jurisprudence est revenue sur cette conception très libérale de l’effet direct des traités (voy. par exemple CJUE, Società Consortile Fonografici c. Marco Del Corso, 15 mars 2012, C-135/10, pt. 47- 48).

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La méconnaisse du droit d’accéder au juge en matière climatique –. Les obstacles mis au déploiement des effets des engagements internationaux de l’État dans l’ordre juridique interne ont une incidence directe sur le droit de chacun d’avoir accès au juge en matière environnementale. Or, cet accès au juge est une garantie cruciale dans le cadre des contentieux climatiques44.

Le principe de l’accès au juge en matière environnementale est consacré par la Convention d’Aarhus de 1998. Il place les individus dans une position privilégiée pour initier un contrôle sur l’action environnementale des États. Il est le corollaire de l’effectivité des obligations environnementales des États et devrait servir de trait d’union entre les engagements internationaux des Etats et leurs ordres juridiques internes45. Mais, s’agissant des engagements climatiques internationaux de l’État, force est de constater que cet accès au juge n’est pas garanti, ni même la possibilité d’engager une action en justice, quelle qu’elle soit, contre un État défaillant.

Cette carence est patente dans l’ordre juridique international. Ni la CCNUCC ni l’Accord de Paris ne contiennent de dispositions relatives à l’accès à la justice. En cas de violation d’une disposition de ces accords, le recours à une juridiction internationale, telle que la Cour internationale de justice ou un tribunal arbitral, est théoriquement possible. La CCNUCC contient une disposition compromissoire en ce sens (article 14) à laquelle l’Accord de Paris renvoie également (article 24). Mais en pratique, qu’un État saisisse une juridiction internationale contre un autre État, sur le fondement de l’une de ces deux conventions reste hautement hypothétique46. Quant au mécanisme de facilitation de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, il relève des mécanismes soft de contrôle du respect des engagements internationaux des États et ne participe pas, en tant que tel, au développement d’une véritable justice climatique. En toutes hypothèses, finalement, rien n’est prévu, dans l’ordre juridique international, pour permettre aux individus d’avoir accès, directement ou indirectement, à un juge dans le but de faire contrôler le bon respect des engagements climatiques des États.

Il ne pourrait donc pas être soutenu que le juge national ne peut connaître de la bonne application de ces engagements, au motif que cette responsabilité incombe en premier lieu au juge international. Certes le juge national n’a pas à combler les carences processuelles du droit international en s’appropriant des instruments qui n’ont nulle vocation à intéresser le                                                                                                                

44 Voy. l’affaire Carvalho devant la CJUE. Le Tribunal, dans son ordonnance du 8 mai 2019 a rejeté la plainte engagée contre le Parlement et le Conseil de l’Union européenne au motif que les requérants n’avaient pas d’intérêt à agir contre les règlements et la directive attaqués (les requérants n’étaient pas « directement et individuellement concernés » par ces actes, au sens de l’article 263§4 TFUE). Le Tribunal n’a fait ici qu’appliquer la jurisprudence traditionnelle Plauman. Mais la recevabilité très restrictive des recours intentés par les requérants non privilégiés devant la Cour de justice pose de sérieuses difficultés par rapport au droit d’accéder à un juge en matière environnementale. Le Comité d’examen du respect des dispositions de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice en matière environnementale a d’ailleurs relevé, dans un apport du 17 mars 2017, que si la jurisprudence européenne n’évoluait pas sur ce point, l’Union serait en contraction de ses obligations au titre de la Convention. Nations Unies, Comité économique et social, Conclusions et recommandations concernant la communication ACCC/C/2008/32 (partie II) relative au respect des dispositions par l’Union européenne adoptées par le Comité d’examen du respect des dispositions le 17 mars 2017, ECE/MP.PP/C.1/2017/7.

45 En ce sens E. COLOMBO, « Enforcing International Climate Change Law in Domestic Courts : A New Trend of Cases for Boosting Principle 10 of the Rio Declaration », UCLA Journal of Environmental Law & Policy, 2017, vol. 35, n° 1, p. 115.

46 On se souvient qu’en 2002, les Tuvalu, petit État insulaire du Pacifique Sud particulièrement exposé aux risques liés à la montée des eaux, avaient fait connaître leur intention d’engager une action contre les Etats-Unis et l’Australie devant la Cour internationale de justice. Mais cet État a été dissuadé de poursuivre au motif qu’une telle action pouvait compromettre le déroulement des négociations climatiques qui étaient alors en cours. Voy.

M. GROMILOVA, « Rescuing the People of Tuvalu: Towards an ICJ Advisory Opinion on the International Legal Obligations to Protect the Environment and Human Rights of Populations Affected by Climate Change », Intercultural Human Rights Law Review, 2015, vol. 10, p. 237.

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sort des particuliers. Pour autant, il n’est pas certain que les individus doivent être considérés comme totalement à l’écart du champ juridique de ces instruments47.

* * *

La position du juge administratif français à l’égard des conditions d’invocabilité des traités internationaux est loin d’être isolée. Si certains juges se montrent plus ouverts à l’égard des normes supranationales, beaucoup d’autres retiennent des approches comparables à celle développées par le Conseil d’État français48. Pour ne citer qu’un exemple, on peut se référer à la décision de la Cour constitutionnelle autrichienne du 29 juin 2017 qui s’inscrit directement dans le cadre des contentieux climatiques. Dans une précédente décision du 2 février 2017, la Cour fédérale administrative avait rejeté le projet de construction d’une troisième piste à l’aéroport de Vienne, au motif que ce projet présentait des risques trop importants pour l’environnement. La Cour fédérale administrative s’était notamment fondée sur le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris pour apprécier la légalité du projet49. La Cour constitutionnelle a cassé cette décision au motif, entre autres, que c’est à tort que le juge avait fondé sa décision sur ces deux traités qui ne sont pas directement applicables dans l’ordre juridique autrichien50, alors même que celui-ci appartient aux systèmes monistes51. Les dynamiques du contentieux climatiques pourraient toutefois amener à un infléchissement de ce type de position.

II. Les dynamiques du contentieux climatique : vers des conditions d’invocabilité plus souples des traités internationaux ?

Deux voies sont possibles pour permettre une prise en compte plus effective des engagements climatiques internationaux de l’État devant le juge interne. D’une part, le concept d’effet direct des traités internationaux devraient être dépassé, tant celui-ci est, moins que jamais, apte à cerner la portée juridique véritable des traités climatiques dans l’ordre juridique interne (A). D’autre part, dans la mesure où le juge administratif français a accepté, dans certaines hypothèses, de dissocier l’effet direct des traités de leur justiciabilité devant lui, on peut envisager qu’il accepte d’élargir l’éventail de l’invocabilité des traités pour garantir l’effectivité des engagements climatiques internationaux de l’État (B).

A. Pour une conception plus large de l’effet interne des traités internationaux

Dépasser la vision dichotomique du droit international –. La jurisprudence du juge administratif français repose sur une conception dichotomique du droit international, selon laquelle il existerait deux types de traités internationaux : d’une part, ceux qui n’intéressent que les relations entre États et qui, par conséquent ne créent pas de droit directement dans le chef des particuliers ; d’autre part, ceux, plus exceptionnels, qui, de l’intention des parties contractantes, créent des droits et obligations pour les individus et sont susceptibles d’être appliqués par les tribunaux nationaux. Ce postulat ne reflète pas toute la diversité des traités                                                                                                                

47 Voy. infra II A.

48 Pour un aperçu rapide de la pratique jurisprudentielle en droit comparé, voy. D. SLOSS, « Domestic Application of Treaties », Santa Clara Law Digital Commons, [http://digitalcommons.law.scu.edu/facpubs/635], 2011, 27 p.

49 Cour fédérale administrative, Autriche, Aff. n° W109, décision du 2 février 2017.

50 « However, both agreements have (in Austria) the reservation that they are to be complied with through the introduction of laws; thus, they only create an international obligation for Austria and are not immediately applicable nationally ». Cour constitutionnelle, Autriche, E 875/2017 E 886/2017, 29 juin 2017. La traduction anglaise, non-officielle, est produite par le Sabin Center for Climate Change Law.

51 D. SLOSS, op. cit., p. 7.

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internationaux qui, de droit ou de fait, directement ou indirectement, affectent la situation des particuliers52. En ce sens, certains juges étrangers ont adapté leur jurisprudence afin de mieux tenir compte de cette interpénétration entre droit international et droit interne et ont abandonné le critère de la création de droits au profit des particuliers lorsqu’ils examinent l’invocabilité des traités internationaux53.

S’agissant des traités climatiques, il faut admettre qu’ils affectent nécessairement, sinon les droits, du moins les intérêts subjectifs des particuliers. Certes l’Accord de Paris ne crée pas directement de droits ou d’obligations dans le chef des particuliers. Mais les engagements pris par les parties contractantes le sont en considération des droits et intérêts des individus54. En outre, l’Accord de Paris ne peut être appréhendé isolément. Il s’inscrit dans un cadre juridique préexistant, dense et complexe, qui le fait interagir avec de nombreuses autres normes de droit international et de droit interne. Les argumentations développées par les requérants aux procès climatiques relatives à la violation de leurs droits fondamentaux illustrent l’interdépendance accrue entre les droits et obligations des États et les droits et obligations des individus55. À cet égard, la décision Leghari du juge pakistanais est intéressante. Celui-ci a accepté de tenir compte de principes qu’il considère comme relevant du droit international (non écrit) comme le principe de développement durable, le principe de précaution ou celui de l’équité intergénérationnelle pour apprécier la teneur des droits fondamentaux dont le requérant prétendait qu’ils étaient violés du fait de l’inaction climatique de l’État pakistanais56.

Associer les requérants non étatiques au respect de la légalité internationale –. Il peut également être admis que les individus ont un intérêt objectif à demander le respect de la légalité internationale, en particulier dans le domaine de la protection de l’environnement. Les obligations conventionnelles des États créent un cadre juridique international, qui participent à la sécurité juridique globale, et dont les particuliers devraient pouvoir réclamer le respect, indépendamment de leurs intérêts personnels immédiats. Cette proposition est confortée par le fait que la société civile prend désormais une part active dans l’élaboration du droit                                                                                                                

52 E. LAGRANGE, op. cit., p. 265 ; A. TZANAKOPOULOS, « Domestic Courts in International Law: The International Judicial Function of National Courts », Loy. L.A. Int’l & Comp. L. Rev., 2011, vol. 34, pp. 140- 141 ; E. COLOMBO, « Enforcing International Climate Change Law in Domestic Courts : A New Trend of Cases for Boosting Principle 10 of the Rio Declaration », UCLA Journal of Environmental Law & Policy, 2017, vol 35, n° 1, p. 113 ; D. SLOSS, op. cit., p. 10.

53 C’est le cas par exemple du juge néerlandais qui se montre particulièrement ouvert à l’égard du droit international. A. NOLLKAEMPER, « The Netherlands », in D. SLOSS (dir.), The Role of Domestic Courts in Treaty Enforcement. A comparative Study, Cambridge University Press, 2009, p. 348.

54 Le préambule de l’accord rappelle que

« Conscientes que les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité toute entière, les Parties devraient, lorsqu’elles prennent des mesures pour faire face à ces changements respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’homme, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées, et des personnes en situation vulnérable et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations ».

55 En ce sens, E. Lagrange souligne qu’ « il n’est pas illégitime d’évaluer l’effet d’une norme d’origine internationale sur les droits des particuliers à la lumière des principes constitutionnels ou législatifs nationaux.

Maintes conventions internationales relatives à la protection de l’environnement ne semblent pas avoir pour objet de consacrer des droits pour les personnes privées. Que la constitution nationale proclame que "chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (à l’exemple de l’article premier de la Charte de l’environnement de 2004 à valeur constitutionnelle en France) et le juge serait sans doute fondé à reconnaître un effet direct à ces conventions (ou certaines de leurs clauses, les plus précises par exemple), c’est- à-dire à admettre qu’elles peuvent se substituer à la loi pour la réalisation de cette exigence constitutionnelle ».

E. LAGRANGE, op. cit., p. 502.

56 Haute Cour de Lahore, Asghar Leghari c. Paksitan, aff. n° W.P. 25501/2015, jugement du 25 janvier 2018.

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