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Academic year: 2021

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(1)

MÉDITATIONS AUTOUR DE SOCRATE

Thèse

JEAN-FRANÇOIS BERGERON

Doctorat en philosophie

Philosophiæ Doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Jean-François Bergeron, 2017

(2)

MÉDITATIONS AUTOUR DE SOCRATE

Thèse

JEAN-FRANÇOIS BERGERON

Sous la direction de :

(3)

iii

Résumé

Socrate, aujourd’hui. Quelle pertinence ? Quelle utilité ? Que nous enseignerait-il ? De quoi

nous libérerait-il ? Où nous mènerait-il ? Répondre à ces questions, indubitablement, c’est

refaire le procès de Socrate, donner notre jugement sur ce dernier. Remarquons que, jour

après jour, notre monde serait très près de condamner, comme les Athéniens de l’époque, le

philosophe. Alors que nous nous imaginerions une distance infinie entre les contempteurs

de Socrate et nous, notre parenté en est presque immédiatement démontrée par cette seule

opinion. D’ailleurs, notre préoccupation centrale est de bien déterminer ce qui, dans notre

monde, encouragerait la mise à mort de Socrate et ce qu’il incarne parfaitement, la

philosophie. Notre thèse est là, qu’est-ce qui tue Socrate ? Y répondre éclairera aussi les

questions se résumant au bien supposé qu’il peut faire à notre civilisation. Bref, tentons de

ne point répéter les mêmes bourdes que certains Athéniens. Il nous faut, impérativement,

devenir meilleurs, nous tourner vers le Bien. Nos vies en dépendent. Nous dépendons de

Socrate.

(4)

iv

Abstract

Socrates today. What relevance? What use? What would he teach us? What would he free

us from? Where would he lead us? To answer these questions, no doubt, is to do over again

the trial of Socrates, and to judge the latter ourselves. It is noteworthy that, day after day,

our world remains very near condemning the philosopher, as did the Athenians of that time.

While we might imagine there may lie an infinite distance between those despisers of

Socrates and ourselves, our actual kinship with them is almost immediately brought to the

fore by this opinion alone. Our central concern here is, in point of fact, precisely to

determine what, in our present world, would indeed encourage the killing of Socrates as

well as of what he perfectly embodies, philosophy. There lies our thesis: what is it that kills

Socrates? To try to answer this should also help clarify all questions related to what good a

Socrates may bring to a civilization such as ours; in a word, then, how not to repeat such

blunders as those committed by the Athenians against him. We must imperatively become

better, turn to the Good. Our lives depend on it. We depend on Socrates.

(5)

v

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Dédicace ... xii

En guise de prélude…... xiii

Remerciements ... xv

Avant-propos ... xx

Méditations autour de Socrate ... 1

Première partie : remarques introductives et préliminaires ... 3

1. À l’aube de l’existence : le stress ! ... 3

2.

Le souhait ... 5

3.

La rencontre fatidique ... 13

3.1. Le premier contact ... 13

3.2. Lorsque nous devînmes l’Oracle de Socrate ... 15

4. L’Obsession ... 17

4.1. Une nuance bien personnelle ... 23

5.

À propos de deux idiosyncrasies surprenantes d’ordre essentiellement

stylistiques ... 24

5.1. Nos notes ... 24

5.1.1. Petite digression sur la tradition critique en Occident 30

5.1.2. Des critiques possibles de nos notes ... 32

5.2. À propos de ce style bon à nous faire damner ... 33

(6)

vi

6.1. La problématique ... 38

6.2. Les sources dites socratiques ... 40

6.3. Le Socrate rapporté par Xénophon ... 46

6.4. Au cœur de ces sources, de multiples problèmes ! ... 57

6.5. L’auteur supposé ... 57

6.6. De la langue utilisée et des dates de composition conjecturées

... 60

7. Socrate et ses critiques, intelligents ... 63

7.1. Premier point critique : l’impossible connaissance de soi ... 65

7.2. Deuxième point critique : une décadence morbide ... 68

8. Pour l’avènement d’un Socrate renouvelé ... 71

8.1. Le Socrate musicien ... 71

8.2. Le Socrate platonicien, tout simplement ... 73

9. Socrate et la philosophie ... 75

10. Pourquoi les Anciens ? ... 81

10.1. Les attaques ... 82

10.2. Une source créatrice intarissable ... 82

10.3. Un réservoir de vies illustres ... 88

10.4. Pour nous comprendre nous-mêmes ... 89

10.5. L’apprentissage de la modestie ... 99

10.6. L’apprentissage de la solidarité, de notre humanité ... 103

Deuxième partie : Le perpétuel assassinat de Socrate ... 105

1.

Pour un éloge de la lenteur ... 108

(7)

vii

1.2. Un procès éclair ... 116

2.

Pour une morale du radotage ... 118

3.

Pour en finir avec le désir de plaire... 124

4.

Pour en finir avec la banalisation des grands thèmes et des questions

cruciales ... 128

5.

Pour philosopher : liberté, liberté et encore liberté !... 132

5.1. Petite note additionnelle sur le thème de la liberté : ce que

Socrate et Platon nous en ont montré ... 140

6.

Le mythe de la raison non passionnée ... 144

7.

De l’amour socratique pour la jeunesse ... 148

7.1. Pour le Bien et le Futur ... 151

8. La profonde maxime de tout dialogue sérieux : « Aller aux sources ! » ..

... 154

9. De l’amitié véritable... 157

10. L’horizon du mieux ... 161

11. Ici et maintenant ... 166

12. Pour un recul silencieux, une coupure solitaire et réflexive ! ... 169

13. Pour en finir avec le conformisme ... 174

13.1. Nul n’est plus savant que Socrate ... 176

13.2. Vivre justement ... 178

13.3. Petite note supplémentaire et pertinente à l’usage des

scientifiques ... 182

14. Pour en finir avec une tolérance de surface ou Éloge des véritables

rencontres ... 184

14.1. L’ombre ... 185

(8)

viii

15. Pour être socratique : d’abord et avant tout la foi ! ... 188

16. La bouette des odieux tabous de la censure ... 192

17. Éloge de la responsabilisation ... 214

18. Retrouver l’enfant perdu ... 218

18.1. D’abord et avant tout : les questions ! ... 220

18.2. L’incarnation des vertus philosophiques ... 223

18.3. Et maintenant ? ... 224

18.4. En guise de supplément : accepter le jeu ! ... 224

19. Pour en finir avec le premier degré ... 225

20. Le mythe fallacieux des Nuées ... 230

20.1. Se frotter au réel ... 231

20.2. S’accorder concrètement avec ses pensées ... 233

21. Pour en finir avec les travers antiphilosophiques de notre démocratisme

triomphant ... 243

21.1. De l’égalité mal comprise : le culte dément du relativisme .. 243

21.2. Le culte démentiel de la majorité ... 248

21.3. Le socle de la Cité ... 250

21.4. Le point d’orgue : la destruction de l’individu ... 251

22. Les pleurs de Socrate ou De l’horrible dégradation médiatique de

l’humanité ... 252

22.1. Le problème affolant de la destruction de l’intériorité ... 253

22.1.1. Le triomphe sans pareil de la médiocrité ... 254

22.1.2. L’ubiquité médiatique ... 255

22.1.3. De la tyrannie de l’Audimat ... 257

(9)

ix

22.1.5. De l’amenuisement culturel ... 261

22.2. Sur le chemin détruit de la vérité ... 263

23. La publicité : inqualifiable immondice ... 273

24. Socrate et les poètes ... 277

24.1. L’éloignement de la vérité ... 278

24.2. Sur l’authenticité et la sincérité ... 280

24.3. La double ignorance des artistes ... 281

24.4. Quand le Cœur, irréfléchi, transperce la divine Raison ... 283

24.5. Une vantardise individuelle de haut niveau ... 284

24.6. Que faire ? ... 285

25. La question du corps et de l’esprit socratique ! ... 287

25.1. Le reniement de la liberté ... 287

25.2. L’honneur que nous devons au corps ... 288

25.2.1. L’illustration de la santé ... 292

26. De la douceur, simplement... 296

26.1. De la naissance à la mort : place à la douceur ... 296

26.2. Éducation et douceur : couple inséparable ... 298

26.3. Douceur et tragédie ... 300

27. Les voyages mis à l’examen ... 301

27.1. Une bien vieille mode ! ... 301

27.2. L’interrogation ... 303

27.2.1. Le but ultime, vrai : la réflexion philosophique ... 303

27.2.2. Commencer par le plus près, commencer par soi ! 306

(10)

x

28. Le gouffre éducatif de l’emploi ... 309

28.1. Les promesses illusoires du bon emploi ... 309

28.2. L’oubli de la philosophie ... 312

29. Le monstre débilitant de la paresse ... 314

30. Les passions et les désirs au crible du mieux ... 317

31. Petite note additionnelle essentiellement platonicienne : de la beauté des

environnements de vie... 320

32. Voir l’âme ... 323

33. Socrate : buveur invétéré ... 325

34. Notre système judiciaire : assassin du socratisme ... 328

34.1. L’étonnement ... 328

34.2. Voleur, violeur et tueur : pour le bien… ... 329

34.3. Pour une justice éducatrice ... 331

34.4. De la magistrature : pourriture infecte ! ... 332

34.4.1. La question financière ... 332

34.4.2. L’oubli de la Vérité ... 334

35. Sur l’hôtel sacré de la Justice : ne rien omettre ! ... 336

35.1. De bonnes personnes ... 337

35.2. Franz Stangl et Jerry Givens ... 337

35.3. Lâchement ouvrir la porte aux injustices pour se sauver ! .... 344

35.4. Un refus peut tout changer ... 345

Troisième partie : éléments pour la rédaction d’une conclusion ... 349

1. Sur l’art de conclure ... 349

2. Toujours tout recommencer, examiner et réexaminer : l’acte de penser

... 351

(11)

xi

3. L’amour de l’enfance ... 352

Bibliographie ... 355

1. Précision ... 355

2. Bibliographie ... 355

(12)

xii

À deux vrais amis

i

,

Étienne Bourdon et Alexandre Jacob-Roussel dit Jâco,

Qui donnent sens à cette existence

ii

.

Nous leur devons tout.

Et la Vie.

i « Deux vrais amis vivoient au Monomotapa : / L’un ne possédoit rien qui n’appartînt à l’autre. / Les amis de

ce pays-là / Valent bien, dit-on, ceux du nôtre. / Une nuit que chacun s’occupoit au sommeil, / Et mettoit à profit l’absence du soleil, / Un de nos deux amis sort du lit en alarme ; / Il court chez son intime, éveille les valets ; / Morphée avoit couché le seuil de ce palais. / L’ami couché s’étonne ; il prend sa bourse, il s’arme, / Vient trouver l’autre, et dit : “ Il vous arrive peu / De courir quand on dort ; vous me paroissiez homme / À mieux user du temps destiné pour le somme : / N’auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ? / En voici. S’il vous est venu quelque querelle, / J’ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point / De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle / Étoit à mes côtés : voulez-vous qu’on l’appelle ? / –Non, dit l’ami, ce n’est ni l’un ni l’autre point : / Je vous rends grâce de ce zèle. / Vous m’êtes, en dormant, un peu triste apparu ; / J’ai craint qu’il ne fût vrai ; je suis vite accouru. / Ce maudit songe en est la cause. ” / Qui d’eux aimoit le mieux ? que t’en semble, lecteur ? / Cette difficulté vaut bien qu’on la propose. / Qu’un ami

véritable est une douce chose ! / Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ; / Il vous épargne la pudeur / De les lui découvrir vous-même. / Un songe, un rien, tout lui fait peur / Quand il s’agit de ce qu’il aime. » Jean de LA FONTAINE, « Les deux Amis », Les fables de La Fontaine, deuxième recueil, livre VIII, § xi, pp. 253 et 254. Notre mise en évidence. « Vn homme entendit fraper à ſa porte à une heure indûë : Il demanda qui c’eſtoit ; & quand il ſceut que c’eſtoit un de ſes meilleurs amis, il ſe leva, & s’habilla, enſuite commandant à ſa ſervante d’allumer de la chandelle, & de le ſuivre, il l’alla trouver. Cher ami, lui dit-il en l’abordant, je ne puis vous voir ici ſi tard, ſans m’imaginer que vous venez ici pour emprunter de l’argent, pour me prier de vous ſervir de ſecond, ou pour chercher une compagnie qui vous divertiſſe. J’ai pourvû à ces trois choſes, pourſuivit-il : Si vous avez beſoin d’argent, voilà ma bourſe ; ſi vous avez des ennemis, je vous offre mon bras & mon épée ; & ſi c’eſt l'amour qui vous met en campagne, voilà ma ſervante qui eſt aſſez agreable pour vous donner la ſatisfaction que vous deſirez : En un mot, tout ce qui dépend de moi eſt à voſtre ſervice. Je ne ſouhaite rien moins que tout cela, répondit ſon Ami ; je venois ſeulement ſçavoir l’état de voſtre ſanté, parce que je craignois que le mauvais ſonge que je viens de faire ne fût véritable. » PILPAY, « De deux Amis. », Les fables de Pilpay, philosophe indien ; ou La conduite des rois., chapitre iii, pp. 273 et 274. « Si la nature humaine a paru souvent traitée avec sévérité par La Fontaine, s’il ne flatte en rien l’espèce, s’il a dit que l’enfance est sans pitié et que la vieillesse est impitoyable (l’âge mûr s’en tirant chez lui comme il peut), il suffit, pour qu’il n’ait point calomnié l’homme et qu’il reste un de nos grands consolateurs, que l’amitié ait trouvé en lui un interprète si habituel et si touchant. Ses Deux Amis sont le chef-d’œuvre en ce

genre ; […] » Charles-Augustin SAINTE-BEUVE, « La Fontaine », Causeries du lundi (tome septième), p. 421. Notre mise en évidence. « Qui a peint comme lui l’amitié […] ? » Hugues-Félicité Robert de LAMENNAIS,

Esquisse d’une philosophie (tome troisième), seconde partie, livre neuvième, chapitre ii, p. 407. Nos mises en

évidence.

ii « Ceci fait, il nous reste à traiter de l’amitié. L’amitié est une vertu, ou tout au moins, elle s’accompagne de

vertu. De plus, elle est absolument indispensable à la vie : sans amis, nul ne voudrait vivre, même en

étant comblé de tous les autres biens. » ARISTOTE, Éthique de Nicomaque, livre VIII, chapitre premier, 1, p. 229. Notre mise en évidence.

(13)

xiii

En guise de prélude…

Il se peut que des lecteurs trouvent que je dis des banalités. Mais qui est

scandalisé est toujours banal. Et moi, malheureusement, je suis scandalisé.

Pier Paolo P

ASOLINI

, « L’ignorance vaticane comme paradigme de

l’ignorance de la bourgeoisie italienne », Écrits corsaires, 25 janvier 1975,

p. 141.

Mais nous n’avons pas encore touché à la profondeur la plus déterminante de la

posture intérieure de Socrate. Celle qui conteste et anticipe les dérives qui vont

suivre au cours des siècles jusqu’à nous.

Jacques G

RAND

’M

AISON

, « Les racines grecques », Réenchanter la vie Du

jardin secret aux appels de la vie, tome II Réconcilier l’intériorité et

l’engagement, troisième partie, p. 245.

[…] Socrate est un philosophe dont chacun peut s’inspirer.

Claudie M

ARTIN

-U

LRICH

, « “ Je pareillement ” : la figure de Socrate dans

les Essais de Montaigne », La figure du philosophe dans les lettres anglaises

et françaises (XVI

e

-XVIII

e

siècles), p. 31.

L’homme dont les idées sont le plus vivantes dans la société contemporaine,

c’est Socrate.

Émile B

OUTROUX

, « Socrate fondateur de la science morale », Études

d’histoire de la philosophie, § V, p. 93.

De façon évidente ou cachée, Platon demeure notre contemporain. […] il suffit

de le lire pour qu’il se découvre immédiatement notre contemporain, un homme

qui s’entretient avec nous de problèmes qui sont encore les nôtres.

Marcel D

ESCHOUX

, « Conclusions », Platon ou le jeu philosophique, § III,

pp. 416 et 417.

[…] il y a une actualité de Platon. La distance, […] franchie enfin, grâce à la

puissance des idées, par Platon lui-même, devient pure illusion et préjugé

d’érudit : Platon est notre contemporain

iii

.

Victor G

OLDSCHMIDT

, Platonisme et pensée contemporaine, p. 174.

Lire Platon est une épreuve décisive : ceux qui rechignent, protestent,

ragent, objectent par prurit, en lisant cette œuvre, demeurant incapables

iii Notons qu’en ce passage Victor Goldschmidt rapporte une position résumant en partie une « querelle » sur

(14)

xiv

d’y prendre l’appui pour leur propre parole créatrice, montrent qu’ils ne

sont pas philosophes.

Pierre T

ROTIGNON

, « Introduction à la lecture du PARMÉNIDE de

(15)

xv

Remerciements

Mon cher Amour… La Thèse maintenant achevée, je te prendrai tout doucement la main, je

t’embrasserai amoureusement, tendrement, follement et nous poursuivrons nos périples de

beauté et d’amour sur tous les coins de notre petite planète. Jusqu’au bout du monde !

Après tant d’heures de travail, de stress et d’angoisse, j’ai seulement envie de me retirer

près de toi, toi, l’Amour de ma Vie.

Père, Mère et Frère. Je vous dois la meilleure part de ce que je suis. Votre présence, votre

bonté et votre soutien constituent une source intarissable d’inspirations vertueuses.

Je vous aime.

Maître. Cher Maître. Comment vous dire que, sans vous, rien de tout cela n’existerait ?

Comment vous convaincre de l’importance fatidique

iv

que vous avez eue sur mon

iv « No less surprising than the silence of Plato’s “I” is something else that necessarily corresponds to this

silence, namely, the incomparable status of Socrates in Plato’s works. Where else do we find anything similar to this phenomenon: that a philosopher, for decades, designates the most important things he has to say by the name–or conceals them behind the name–of someone else, his teacher? Aside from the Laws, there is no written work of Plato’s in which Socrates is not present. For the most part, he says the decisive things; at the least, they are said in his presence. If we ask what the predominance of this figure means in Plato’s written work, the answer can only be given from the work itself. On the level of Plato’s life, however, the answer must first be that Plato had a fateful encounter in comparison with everything else–his intercourse with other people, even Dion; travel into distant lands, even to the Pythagorean sages or the Egyptian priests; political action, even his interference in Sicilian affairs–was merely episodic. For all this left more or less definite traces in his works, but only traces. The greatness of the one fateful encounter comes out by contrast with these episodes. The fateful encounter was Socrates. » Paul FRIEDLÄNDER, Plato 1 An Introduction, partie première, chapitre 6, pp. 127 et 128. Notre mise en évidence. « Il a fallu que l’héritage socratique marque profondément Platon pour qu’il en vienne à faire de lui la figure mythique que nous connaissons. » Sylvie SOLÈRE-QUEVAL, « Un Platon désolidarisé de Socrate Le Platon de Marrou Un pédagogue par dépit ? Le Platon d’H.-I. Marrou », Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou » Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, quatrième partie, p. 192.

(16)

xvi

développement qui ne fait que commencer

v

? Comment vous prouver que vous avez été

l’une des rencontres les plus importantes de ma vie ?

Cher Maître ! C’est à ce point un plaisir et un charme, vous côtoyer, travailler avec vous

que, je vous en prie, recalez-moi aux tribulations bachelières… Ainsi, je recommencerais

tout avec vous. Loin de perdre mon temps, je revivrais d’immenses instants de bonheur.

Un bonheur philosophique.

Bref, pour vous, j’accepterais sans hésiter la proposition du diable de démon

vi

.

Et, pour ne pas être déçu, je souhaiterais ardemment qu’il revienne avec la même

interrogation si emballante à chaque fin d’éternité.

Ah oui… Remerciez pour moi, comme il se doit, votre gouvernement, si bon, si doux qui

accepte encore et toujours de vous soutenir et vous partager

vii

.

v « […] à trente ans l’on est, au sens de la haute culture, un commençant, un enfant. » Friedrich NIETZSCHE,

« Ce que les Allemands sont en train de perdre Le crépuscule des idoles ou Comment on philosophe au marteau », Le crépuscule des idoles suivi de Le cas Wagner, § 5, p. 71.

vi « Le poids le plus formidable. – Que serait-ce si, de jour ou de nuit, un démon te suivait une fois dans la

plus solitaire de tes solitudes et te disait : “ Cette vie, telle que tu la vis actuellement, telle que tu l’as vécue, il faudra que tu la revives encore une fois, et une quantité innombrable de fois ; et il n’y aura en elle rien de nouveau, au contraire ! il faut que chaque douleur et chaque joie, chaque pensée et chaque soupir, tout l’infiniment grand et l’infiniment petit de ta vie reviennent pour toi, et tout cela dans la même suite et le même ordre – et aussi cette araignée et ce clair de lune entre les arbres, et aussi cet instant et moi-même. L’éternel sablier de l’existence sera retourné toujours à nouveau – et toi avec lui, poussière des poussières ! ” – Ne te jetterais-tu pas contre terre en grinçant des dents et ne maudirais-tu pas le démon qui parlerait ainsi ? Ou bien as-tu déjà vécu un instant prodigieux où tu lui répondrais : “ Tu es un dieu, et jamais je n’ai entendu chose plus divine ! ” Si cette pensée prenait de la force sur toi, tel que tu es, elle te transformerait peut-être, mais peut-être t’anéantirait-elle aussi ; la question “ veux-tu cela encore une fois et une quantité innombrable de fois ? ”, cette question, en tout et pour tout, pèserait sur toutes tes actions d’un poids formidable ! Ou alors combien il te faudrait aimer la vie, combien il te faudrait que tu t’aimes toi-même pour ne plus désirer autre chose que cette suprême et éternelle confirmation, que cette suprême et éternelle consécration ? – » Friedrich NIETZSCHE, « Le gai savoir », traduit de l’allemand par Henri ALBERT et traduction révisée par Jean LACOSTE, Œuvres (deuxième volume), livre quatrième, § 341, p. 202.

vii « Ma tâche, enfin, n’a été rendue possible que grâce à la meilleure moitié de moi-même, mon épouse

Christine ; même ceux qui la connaissent ne peuvent soupçonner à quel degré. » Thomas DE KONINCK, Les

(17)

xvii

Alexandre Sadetsky ! Je me dois de vous remercier infiniment d’avoir accepté de travailler

sur mon cas dans le cadre des examens doctoraux. Vous êtes, avec votre compagne, Tania

Mogilevskaïa, un des meilleurs enseignants que je connaisse. Votre culture, votre très

grande intelligence, vos réflexions lumineuses, votre enthousiasme, votre passion et votre

profonde humanité rayonnant fortement à travers votre incomparable gentillesse, votre

dévouement et votre somptueuse humilité ont toujours été pour moi un modèle

d’excellence, un modèle à suivre, tout comme votre femme !

N’en doutons point ! L’humanité serait transformée si nous comptions un peu plus de gens

comme vous deux.

Antoine Cantin-Brault… Votre écoute, votre capacité de vous mettre réellement dans la

peau des autres, votre bonté et votre bienveillance, qui n’ont d’égales que celles de notre

maître commun, Thomas De Koninck, fait de vous un camarade inestimable dans cette

difficile montée

viii

à laquelle nous astreint toute philosophie sérieuse.

Vos remarques si brillantes et si stimulantes sur mes amas de mots constituèrent pour moi

un trésor inépuisable.

Donc, j’espère avoir été digne de celles-ci, de vous et de vos rires fous, qui, plus d’une fois,

depuis que je vous connais, m’ont permis de garder le regard sur les meilleurs horizons.

viii « Après avoir décrit l’état ordinaire de la caverne, Socrate raconte comment un prisonnier en sort. S’il y

songeait, il pourrait se libérer lui-même, car il n’a pas les mains liées. Mais comme il se croit bien là où il est, dans la sécurité des opinions, il doit en être tiré de force. Ainsi, les premières tentatives pour le détourner des opinions reçues lui semblent contre nature. Il se plaint et résiste. Qu’à cela ne tienne, on le conduit aux statues, au feu et sur la montée rude et escarpée qui mène vers l’extérieur. » Bernard BOULET, « La montée Sur l’allégorie de la caverne », Allégorie de la caverne, Les Amoureux rivaux, Lakhès et Ion, p. 87. Notre mise en évidence.

(18)

xviii

Jean-François de Raymond et Gabor Csepregi. Remerciements les plus vifs, à vous deux,

pour vos commentaires plus que pertinents et constructifs qui me permettront assurément

d’améliorer le texte de ma thèse en vue d’une plus grande diffusion. Merci et j’espère

sincèrement avoir l’honneur et le privilège de collaborer encore avec vous dans un futur pas

si lointain.

Martin Ouellet. Vieux fou, poète tragique et comique de la décadence alcoolique, tu fais

l’essentiel, malgré toi, malgré eux.

Tu philosophes.

Avec les bizarres, bariolés et autres phénomènes des bas-fonds, soi-disant.

Optimiste à ta manière.

Bonne femme assurément.

Je ne t’oublie pas.

Hommage tout spécial, ici, aux artisans et artisanes œuvrant avec dévouement au sein des

bibliothèques, notamment universitaires. Sans eux, cette thèse ne serait que chimère et

l’éducation supérieure un songe lointain. Souhaitons plus qu’ardemment que certains riches

potentats des administrations universitaires

ix

, qui les coupent sans vergogne

x

, en prennent

un jour ou une nuit conscience !

ix « Les professeurs de l’Université Laval ne sont pas choqués par le “ rattrapage ” salarial du recteur Denis

Brière, voté par le conseil d’administration. “ C’est sûr, une hausse de 17 % dans le contexte économique actuel, c’est plus difficile à avaler, mais c’est correct. Denis Brière travaille fort. Il mérite le même traitement que les autres recteurs ”, dit John G. [Gordon] Kingma, président du Syndicat des professeurs de l’Université Laval. Les étudiants trouvent cette hausse “ inacceptable ”, compte tenu que la facture imposée aux étudiants

(19)

xix

Remerciements particuliers à monsieur Richard Dufour dont les conseils, les pistes et les

suggestions sont toujours d’une remarquable utilité. Son dévouement pour les élèves est

tout à fait exceptionnel et nous souhaitons encore longtemps son aide pour nos recherches.

Au final, remercions immensément tous ceux et celles qui, de près ou de loin,

consciemment ou non, ont pu alimenter cette réflexion sur Socrate.

Bref, Humanité, « gloire et rebut de l’univers

xi

», comment ne pas te remercier ?

Le temps des hommages étant terminé, place, maintenant, à la thèse…

ne cesse de hausser depuis quelques années. “ Son augmentation de 37 000 $ suffirait pour faire vivre quatre étudiants ! ” lance Barbara Poirier, de la CADEUL. Le Journal de Québec rapportait hier que le salaire de Denis Brière est passé de 230 421 $ à 270 000 $. » Louise LEMIEUX, « UL : la hausse du salaire du recteur ne choque pas les profs », p. 16. « Si les salaires des professeurs ont beaucoup augmenté ces dernières années, ceux des cadres des universités se sont accrus encore davantage. Cette semaine, on apprenait que le recteur de l’Université Laval (Denis Brière) allait profiter d’une augmentation de 17 % pour l’année en cours. Celui-ci a indiqué candidement : “ Je n’ai pas demandé cette augmentation et je n’ai rien à voir dans cette décision. ” Pourquoi le conseil d’administration de cette université a-t-il accordé une telle augmentation dans le contexte économique actuel et malgré le fait que l’Université Laval est fortement déficitaire ? Poser la question, c’est y répondre… » Vincent DUPUIS, « Une inaction gouvernementale coûteuse », p. A6. « College presidents,

paid enormous salaries as if they were the heads of corporations, are judged almost solely on their ability

to raise money. In return, these universities, like the media and religious institutions, not only remain silent about corporate power but also condemn as “political” all within their walls who question corporate malfeasance and the excesses of unfettered capitalism. » Chris HEDGES, Death of the Liberal Class, chapitre I, p. 11. Notre mise en évidence.

x « La bibliothèque de l’Université Laval subira, elle, des compressions de près 800 000 $, qui entraînent

l’abolition de neuf postes de commis. L’Université Laval amputerait aussi le budget d’acquisition de nouveaux livres de plus de 600 000 $, rapporte Radio-Canada. » LE DEVOIR, « Nouvelles coupes à l’Université Laval », p. A2.

(20)

xx

Avant-propos

En guise d’avant-propos, nous proposons l’exposé de présentation de notre thèse que nous

effectuâmes lors de notre soutenance. Nous pensions que cela était une bonne idée puisque

ce texte explique certaines décisions que nous prîmes quant à la confection de notre travail.

Le voici donc !

Socrate n’est pas un philosophe parmi les autres ; il est le totem de la

philosophie occidentale. En chaque pensée qui s’éveille et s’interroge, il revit ;

en chaque pensée qu’on humilie ou qu’on étouffe, il meurt à neuf. La place

exceptionnelle qu’il tient dans notre culture est celle du héros fondateur, du

père originaire, qui s’enveloppe dans une obscurité sacrée, et que chacun porte

en soi comme une présence familière. Il appartient inséparablement à l’histoire

et au mythe de l’esprit

xii

.

Jacques Brunschwig

Monsieur le Président du jury,

Messieurs les Membres du jury,

Chers amis,

Vous que j’aime,

Notre thèse. Comment vous la présenter ? Comment lui

rendre parfaitement justice tout en la défendant adéquatement ? Une image nous est venue

en tête au cours des derniers jours, celle du silène. Ce silène aux abords si hideux, si

monstrueux, qu’emploie Alcibiade, dans Le banquet de Platon (215a), pour peindre

Socrate, est peut-être ce qui convient le mieux pour notre travail qui porte lui-même sur la

figure socratique.

Effectivement, aux premiers abords, n’y aurait-il point plusieurs raisons rendant

complètement ridicule notre démarche ?

En premier lieu, en quoi une personne ayant vécu il y a près de 2500 ans nous serait-elle

utile, pour nous, qui vivons en une société si éloignée tant géographiquement que

temporellement de l’antique Athènes ? Ne sommes-nous guère beaucoup plus évolués que

tous ces Athéniens, y inclus Socrate, en de multiples domaines comme en témoigne entre

(21)

xxi

autres nos connaissances scientifiques nombreuses et nos miracles technologiques, qui

selon l’usage, nous permettent ou de nous sauver ou de nous tuer, mais de manière

tellement plus efficace qu’à cette époque si lointaine ? Et, politiquement, notre démocratie

n’est-elle point meilleure, plus inclusive ? Alors, ne serait-ce pas perdre notre temps sur

quelque détail empoussiéré de l’histoire qui, franchement, ne saurait rien nous apporter et

que nous aurions mieux fait de laisser enterré que de nous occuper de Socrate ? N’aurait-il

point fallu orienter, plutôt, nos préoccupations sur quelque problématique beaucoup plus

moderne et d’actualité pour notre monde qui, hélas, connaît encore bien des misères comme

nous l’indiqueraient le martèlement tragique de nos médias jour après jour et des auteurs

comme Michel Beaud

xiii

?

En deuxième lieu, Socrate, pour reprendre l’accusation d’un Calliclès (Gorgias, 490e), d’un

Hippias (Xénophon, Les Mémorables, livre IV, chapitre iv, 6) ou les remarques finalement

élogieuses d’un Alcibiade (Platon, Le banquet, 221e et 222a), n’est-il point répétitif ? De

plus, à considérer toute la littérature, si cela est possible, dont il est l’origine depuis sa mort

jusqu’à nous, pourrions-nous seulement apporter quelque pensée nouvelle sur cette figure

plus qu’usée ? Bref, tout n’a-t-il point été dit sur lui qui, d’ailleurs, n’a pas dit

grand-chose ? Qu’ajouterions-nous sans risquer de tomber dans quelque bavardage redondant ?

Alors, pourquoi seulement faire une thèse sur lui ? C’est à n’y rien comprendre.

En troisième lieu, toute réflexion en philosophie ne devrait-elle point se baser, le plus

possible, sur les propres écrits de ceux et celles que nous étudions, nous évitant ainsi les

dérives d’interprétation ou les erreurs les plus honteuses dans lesquelles nous mèneraient

trop souvent les sources secondaires ? Or, pour Socrate, que faire ? Avons-nous seulement

un écrit de sa part ? Certes, il aurait rédigé, nous raconte Platon dans le Phédon (60c et d),

quelques vers dédiés à Apollon ainsi qu’une adaptation de la prose d’Ésope, qui,

manifestement, ont été perdus, si jamais ils furent effectivement rédigés ce dont doutent

Léon Robin et son collaborateur Joseph Moreau

xiv

, mais… Mais au fond nous ne possédons

xiii Voir la note 57 à la page 19 de la présente thèse.

xiv Léon Robin, en collaboration avec M.-Joseph Moreau, note que leur « réalité […] est très douteuse ». Léon

ROBIN (en collaboration avec M.-Joseph MOREAU), « Phédon Notes », Œuvres complètes I, avril 1993, p. 1369, note 1 de la page 769.

(22)

xxii

rien de lui ! Absolument rien ! Certes, nous pouvons passer par quelques sources comme

les écrits platoniciens, xénophoniens, aristophaniens ou même certains passages de l’œuvre

aristotélicienne, mais ces dernières sources nous permettent-elles vraiment d’accéder à ce

que fut Socrate, de retrouver le Socrate réel, le Socrate historique ? Ce dernier n’est-il pas à

jamais perdu ? Si oui, à quoi bon s’occuper de lui, en parler ? Ne devrions-nous pas plutôt

orienter nos recherches sur les auteurs en tant que tels et ne considérer Socrate, alors, que

comme l’un des personnages des auteurs désignés précédemment et qui posséderait plus ou

moins de liens avec la figure de l’homme réel qui a existé jadis ? Bref, ne faudrait-il point

étudier Socrate dans la mesure où il nous en révélerait sur les pensées d’un Platon ou d’un

Xénophon et s’arrêter là et ne faire nulle supposition sur la source commune de ces deux

auteurs par exemple ?

En quatrième lieu, pourquoi donc s’intéresser à un type condamné par les Athéniens

eux-mêmes à l’issu d’un procès où un vote majoritaire fut tenu parmi 501 juges ? N’y aurait-il

pas un danger, pour notre État et notre jeunesse, à réhabiliter cette figure, pour évoquer

certaines accusations à son égard, dont celle de corrompre la jeunesse (Platon, Apologie de

Socrate, 24b et Xénophon, Apologie de Socrate, 10) ?

En cinquième lieu, pourquoi s’attarder et longuement, pendant des centaines de pages, sur

un être dont une des principales formules, pour résumer ses dires, était la suivante : « Je

sais que je ne sais pas. » (Platon, Apologie de Socrate, 21d) Que pourrait-il alors nous

apprendre, nous enseigner ? Que tirerions-nous d’une personne qui prétend ne rien savoir ?

Voilà quelques interrogations légitimes. Tentons, toutefois, à l’aide des réponses que nous

leur apporterions, de faire voir ce qui serait proprement attirant dans notre projet et notre

thèse.

Primo, à la fin de la première partie de notre rédaction doctorale, nous répondrions à ces

critiques qui n’ont cure des Anciens, les trouvant beaucoup trop vieux et, surtout, peu utiles

pour nous, aujourd’hui. Nous montrâmes, pour une série de domaines ou de

questionnements, leur pertinence en raison de la source créatrice intarissable qu’ils

(23)

xxiii

représentent. De fait, pour bien des disciplines, bien des courants d’idées (démocratie,

division du travail, égalité entre les hommes et les femmes), bien des institutions

(tribunaux, lois, droits de la personne), l’origine est là et, parfois, à peine dépassée. D’autre

part, s’intéresser aux Anciens, Grecs ou Latins, c’est aussi, ultimement, s’intéresser à nous,

mieux nous comprendre puisque notre civilisation et notre culture leur doivent beaucoup,

comme en témoignent éloquemment nombre de mots de notre si belle langue. Nous

soutiendrions aussi que cela apparaît manifeste lorsque nous nous immergeons dans cette

somptueuse étendue lacustre constituée des bribes de l’art et de la littérature antiques qui

nous sont parvenues miraculeusement. Effectivement, nous serons, à un moment ou un

autre, touchés par leurs auteurs pris, en bien des points, avec les mêmes questionnements

sur la vie et les mêmes problèmes impérieux

xv

à affronter. Comme si, entre eux et nous,

étant humains, il y avait toujours une parenté de pensées et de sentiments. Dès lors,

comment ne point développer une solidarité passionnée pour eux et nous considérer comme

leurs héritiers dans leurs recherches qui sont aussi les nôtres ?

Dans le même ordre d’idées, un de nos objectifs principaux est de justement réactualiser la

figure de Socrate, de comprendre en quoi elle s’avère plus pertinente que jamais pour notre

monde, et ce, pour maintes dimensions de nos vies ou beaucoup de nos soucis, tant

individuels que collectifs.

Pour ce faire, nous expliquâmes tout d’abord, toujours dans la première partie de notre

ouvrage, notre position quant à cette question obsédante du Socrate historique. Loin de

prétendre que ce dernier est complètement inatteignable, nous avons avancé que certaines

sources sont particulièrement intéressantes pour nous renseigner sur son cas (entre autres

Platon, Xénophon et Aristote), surtout si nous prenons le temps de bien les lire, les

comparer et les méditer. Nous nous sommes attardés à expliquer que certaines thèses

récentes opposant radicalement le Socrate de Platon et le Socrate de Xénophon ne

tiendraient pas vraiment, surtout quant à l’essentiel de ce qu’incarnerait la figure socratique.

Pour nous, la différence entre le Socrate platonicien et le Socrate xénophonien en serait une

d’accent. Toutefois, des différentes sources socratiques, Platon, pour nous, occupe une

(24)

xxiv

place prépondérante étant donné les perspectives philosophiques grandioses qu’il nous

serait permis de développer à partir de son Socrate, mais qui ne rentrerait pas

inéluctablement en contradiction avec les écrits socratiques de Xénophon dont nous

hésitons, à l’encontre de plusieurs dont Benjamin Constant

xvi

ou Bertrand Russel

xvii

, à

qualifier de médiocre ou de peu philosophique. Platon, pour nous, a peut-être mieux exposé

ce que fut Socrate, le cœur de Socrate, parce qu’il aurait, plus philosophe que Xénophon,

mieux compris celui qu’il a suivi, d’ailleurs, beaucoup plus longuement que Xénophon

(entre huit à dix ans, pour Platon

xviii

, contre seulement trois ans pour Xénophon

xix

).

C’est que nous pensons que Platon a saisi pleinement la dimension philosophique de

Socrate. Inspiré notamment par notre lecture de l’éloge que fait Alcibiade de Socrate dans

Le banquet platonicien (214b à 222b), nous en sommes venus à soutenir que Socrate

incarnait la philosophie et que le tuer, tel que nous le formulons pour la deuxième partie de

notre thèse, c’est renier non seulement la meilleure part de l’humain, de ce que nous

sommes, mais aussi nous embourber en de nombreuses difficultés en plus de répéter le

même crime misologique que les Athéniens lors du procès de Socrate. Notons qu’il n’est

pas anodin que Platon, dans le dialogue relatant les derniers instants de son maître, le

Phédon, aborde ce thème de la misologie (89d à 91b). La table nous paraissait mise pour

interpréter cette mise à mort de Socrate comme un crime de lèse-majesté contre la

réflexion, la philosophie. Ajoutons, au passage, qu’en 91a, n’est-ce pas les accusateurs de

Socrate qui sont évoqués, à savoir ceux qui aiment à triompher et non point chercher le vrai

ou la sagesse, à l’instar des véritables philosophes ?

Bien évidemment, avant de nous lancer dans l’exposé de la pertinence de la figure

socratique et ce qu’elle nous permettrait d’éviter de malsain en l’acceptant et la

ressuscitant, il serait indispensable d’exposer et de répondre aux meilleurs critiques de

celle-ci. D’ailleurs, qui sont ses contempteurs ? Nous nous entendons, ses aristarques

intelligents ? En connaissez-vous ? Peut-on vraiment reprocher quoi que ce soit à Socrate,

xvi Voir la note 162 à la page 48 de la présente thèse. xvii Voir la note 162 à la page 48 de la présente thèse. xviii Voir la note 161 à la page 48 de la présente thèse. xix Voir la note 160 à la page 47 de la présente thèse.

(25)

xxv

si nous considérons son existence ou sa pensée, les deux étant intimement liées ? Nous

avons posé ce type de questions à plusieurs reprises à notre directeur de thèse, monsieur

Thomas De Koninck. Il nous répondait, si nous avons compris, tel Socrate, qui aimait à se

répéter, toujours la même chose : premièrement, qu’il ne connaissait point de critiques qui

puissent résister à Socrate et, deuxièmement, qu’il ne voyait pas ce que nous pourrions

reprocher à Socrate. Bref, il nous laissait toujours, à son habitude, insatisfait, ne nous

donnant jamais les réponses souhaitées, comme Socrate d’ailleurs. Pourquoi donc se

montrer insatisfait ? C’est que, vous en conviendrez, quelle suprême utilité ce serait que de

tomber sur quelque examinateur sérieux de Socrate ! Ne nous donnerait-il point, en fin de

compte, un Socrate amélioré, voire réinventé, encore plus parfait ?

Certes, pourquoi ne pas évoquer le plus grand des adversaires, dirait Jacques Brunschwig

xx

,

un certain philosophe allemand incontournable dont vous aurez deviné le nom : Nietzsche ?

Toutefois, nous montrerions, encore dans la première partie de notre rédaction, en quoi les

critiques nietzschéennes ne résisteraient pas vraiment à Socrate.

Par exemple, la critique nietzschéenne du connais-toi toi-même socratique, de la

connaissance de soi comme objectif, nous la résumerions à certaines limites que posent

Nietzsche quant à ce projet, selon lui, typiquement apollinien

xxi

: limites de faisabilité et

dangerosité pour l’existence, possibilités de graves nuisances pour la grande vie instinctive.

C’est d’ailleurs pour cette dernière raison qu’il en viendrait à proposer le fameux deviens ce

que tu es

xxii

, faisant plus appel au côté affectif ou instinctif des humains, ne produisant

nullement qu’un type de vie valable comme dans le cas de la position socratique ou

platonicienne qui favoriserait nécessairement la vie philosophique, idéalement. En fin de

compte, tout ce que dit Nietzsche, cette supposée impossibilité de nous connaître et les

conclusions qu’il en tirerait ne s’inscrivent-elles pas encore en une connaissance de soi ?

De nos limites ou nos impossibilités ? Donc, Nietzsche, souhaitant fort se départir de

Socrate sur ce point, quant au fond, y reste attaché plus que jamais. Une manière de

confirmer que Socrate n’est pas dépassé, même par Nietzsche !

xx Jacques BRUNSCHWIG, « L’influence de Socrate Socrate et les écoles socratiques », p. 247. xxi Voir la note 231 à la page 66 de la présente thèse.

(26)

xxvi

Nietzsche blâmerait aussi Socrate en ce qu’il aurait amené la raison partout : sur l’art, les

mythes et le divin

xxiii

participant ainsi à la déliquescence de plusieurs formes de vies

xxiv

.

Socrate serait donc un décadent

xxv

, en ce sens. Or, Nietzsche ici oublierait la visée

essentielle du socratisme : celle du mieux. Comment s’y refuser ? Comment accepter de

vivre dans l’erreur ? Qui y consentirait ? De se faire tromper ? Comment Nietzsche ne

peut-il point voir, en Socrate, l’appel, l’appel à une vie plus vraie et mepeut-illeure, plus vertueuse ?

Justement, la proposition esthétique de Nietzsche ne mène-t-elle pas, en définitive, aux

pires vies ? La grandeur, la vraie, n’est-elle pas éloignée de tout mal ? Il y a quelque chose

d’inhumain dans la critique de Nietzsche à l’égard de Socrate. Inhumain peut-être en ce

qu’il appréhenderait mal l’humain.

Deuxièmement, Socrate serait aussi un décadent en ce qu’il ne fuit guère la mort

xxvi

. Mais

Nietzsche comprend-il bien que, justement, en fuyant la mort, il aurait fui la vie qu’il avait

menée ? Qu’accepter de vivre aurait été, ici, la décadence par excellence, le reniement de

son élan, de son instinct, pour prendre un vocable nietzschéen ? Nietzsche ne manquera

guère d’interpréter les dernières paroles du maître comme une confirmation de sa

critique

xxvii

. « […] nous devons un coq à Esculape. » (Platon, Phédon, 118a.) (Traduction

de Monique Dixsaut.)

Toutefois, cette interprétation, brillante, certes, est loin d’être la seule qui puisse nous

éclairer. Surtout, elle s’accorderait mal avec la vie même de Socrate… Ne serait-ce pas

plutôt un nietzschéen, tout à fait comme Nietzsche, qui voudrait être libéré de la vie

xxviii

?

De plus, remarquons que Socrate, semble-t-il, affecta une certaine prudence toute sa vie

connaissant la réaction possible des Athéniens s’il avait fait ouvertement de la politique…

Rendu vieux, c’est une excuse de plus pour s’adresser à la Cité tel qu’il est, égal à

lui-même. Il n’a aucune raison de renier sa vie, de s’amender. Non seulement défend-il

xxiii Voir la note 242 à la page 68 de la présente thèse. xxiv Voir la note 243 à la page 68 de la présente thèse. xxv Voir la note 241 à la page 68 de la présente thèse. xxvi Voir la note 251 à la page 69 de la présente thèse. xxvii Voir la note 252 à la page 70 de la présente thèse. xxviii Voir la note 254 à la page 70 de la présente thèse.

(27)

xxvii

jusqu’au bout sa vie philosophique, c’est l’interprétation que nous faisons du Phédon, mais

encore par lui et en lui est-ce la vie, tout simplement, qui est défendue lorsqu’il nous

rappelle, terrible, que ce ne sont pas toutes les vies qui en sont (Platon, Apologie de

Socrate, 38a). Comme si les réflexions et les examens de Nietzsche sur certaines existences

n’étaient pas, au fond, socratiques, puisqu’ils procèdent d’une analyse rationnelle et qu’ils

jugent certaines dignes et d’autres non. En vérité, Nietzsche ne nous convie-t-il point à un

examen de nos propres vies un peu comme Socrate le faisait ?

Maintenant, de front, la deuxième partie de notre thèse et la principale, celle qui répondra

encore aux questions critiques d’ouverture que nous avions émises sur notre projet doctoral,

dans le cadre du présent exposé.

En combien de points est divisée cette seconde partie ? En quelque trente-cinq points.

Ceux-ci toucheraient souvent à des thèmes incontournables de ce que nous nommerions,

avec prudence, le socratisme. Par exemple les thèmes de la lenteur, du radotage, de la

séduction, de la liberté, de l’amitié, du mieux, du Bien, de la vérité, de la foi, de la

responsabilisation, de l’enfance, du corps et de l’esprit, de la douceur, de la paresse, de la

beauté, de l’âme, de la justice, du sacrifice, etc.

Parfois, nous nous interrogeâmes aussi fort directement, toujours à l’aulne de la figure

socratique, sur des aspects de notre monde contemporain que nous relèverions et propres à

alimenter notre réflexion dans le cadre de notre objectif doctoral. Nous songeâmes, entre

autres, à la présence, dans nos sociétés, d’un certain conformisme, d’une certaine tolérance

en réalité bien superficielle, d’une censure qui serait encore présente quant à certains objets

de pensées ou d’études, d’un démocratisme triomphant et pompeux, d’un relativisme

toujours présent, de médias bien peu intellectuels, d’une publicité trop souvent navrante, de

certaines catégories d’artistes peu réfléchis, de la mode des voyages, de la question de

l’emploi ou encore de notre système judiciaire parfois éloigné de la véritable justice ou

même de la vérité.

(28)

xxviii

Dans les deux cas, nous examinerions si, dans notre présent, nous ne serions pas

extrêmement près de condamner, comme nous l’évoquions précédemment, et à l’instar des

Athéniens de l’époque, le philosophe, que ce soit par le rejet de ce qu’il aurait à nous

enseigner ou par l’essence même de ce que nous sommes. Alors que nous nous

imaginerions une distance infinie entre les accusateurs de Socrate et nous, notre parenté en

serait presque immédiatement démontrée par cette seule opinion. D’ailleurs, notre

préoccupation centrale est de bien déterminer ce qui, dans notre monde, encouragerait la

mise à mort de Socrate et ce qu’il incarnerait, selon nous, la philosophie. Notre thèse est là :

qu’est-ce qui tue encore Socrate ? Y répondre éclairerait aussi les questions se résumant au

bien supposé qu’il ferait à notre civilisation. Bref, il ne faudrait point répéter les mêmes

bourdes que certains Athéniens. Il nous faudrait, impérativement, devenir meilleurs, nous

tourner vers le Bien. Nos vies en dépendraient. Nous dépendrions de Socrate. Voilà l’objet

de nos méditations autour de cette figure.

Illustrons à l’aide d’un thème que nous développâmes : la lenteur. En notre monde, bien des

impératifs, bien des exigences ou des cadres, quotidiennement nous amènent ou exigent de

nous toujours plus de rapidité, comme en témoigneraient nos communications à l’heure des

médias sociaux ou des textos. Plusieurs sont, comme nos médias, dans l’échéance pressante

et angoissante de l’instantanéité. Or, cette course folle n’est-elle point, en elle-même,

contraire à Socrate et la philosophie ? Socrate n’est-il pas celui qui, toujours, pour réfléchir,

prend son temps, tout le temps qu’il faut comme nous l’indique la « plaisante aventure »

que connut Aristodème en allant chez Agathon (Platon, Le banquet, 174d à 175c) ? Met-il

fin à une discussion, à un moment donné, faute de temps ? Nous accrocher à cette déesse de

la Vitesse n’est-ce guère condamner, de nouveau, Socrate et la philosophie, comme le firent

les Athéniens en seulement quelques heures, pour évoquer le procès de Socrate ? Bref, qui

a encore du temps pour réfléchir, réfléchir vraiment alors que nos vies déambulent à folle

allure, comme ces suggestions pressantes, notamment économiques, qui nous conduisent à

terminer le plus rapidement possible nos études… Si nous voulions nous rapprocher de

Socrate, philosophiquement, commencer par un éloge de la lenteur ne serait pas une

mauvaise idée… Car une certaine forme de lenteur serait indissociable de l’acte

philosophique. Et ce ne serait pas une mauvaise idée pour mieux vivre, aussi.

(29)

xxix

Revenons à notre thèse elle-même, en son ensemble, en notant que la diversité des points

abordés en sa deuxième partie constituerait un écho, certes imparfait, de la complexité

formidable de la figure socratique qui nous paraît si difficile à résumer, systématiser et

saisir, comme Socrate le laisserait sans doute déjà entendre lui-même sous la plume de

Platon dans le Phédon. Du moins, nous interpréterions le passage suivant, se trouvant en

115c, selon notre perspective : « À condition du moins que vous réussissiez à m’attraper, et

que je ne vous échappe pas ! » (Traduction de Monique Dixsaut.) Car tout résumé

systématique de Socrate devrait rendre compte à la fois, par exemple, de l’Apologie

platonicienne et du discours amoureux d’Alcibiade présent dans Le banquet du même

auteur. Deux textes où Socrate est exposé, présenté, mais deux textes si différents, aux

perspectives si diverses, voire infinies ou presque. Est-ce possible d’établir un tableau

systématique de cette figure expliquant limpidement « et la ciguë et Platon

xxix

», qu’elle a

rendues toutes les deux possibles, pour reprendre la formule de Jacques Brunschwig ? Pas

évident, puisque notre projet portait sur la figure socratique et sur notre monde

contemporain, de surcroît, et lui aussi très vaste.

Alors, nous sommes sans doute tombé dans le piège de cette ampleur socratique qui

rendrait notre thèse, comme le silène, un brin rebutante au premier regard. Pourtant, nous

établîmes, au mieux, un fil conducteur entre chacun de ces points de notre deuxième partie,

soit l’objet de notre thèse même. À bien y penser, nous aurions pu organiser nos différents

points selon les âges de la vie. Comprendre en quoi la figure socratique est pertinente

encore aujourd’hui, dans nos vies, selon que nous sommes un nouveau-né, un enfant, un

adolescent, un jeune adulte, un adulte, un vieux ou un mourant, par exemple. Nous

effectuerions ainsi certaines précisions supplémentaires. Par exemple, ce que nous

avançons sur la question du deuxième degré s’applique-t-il uniformément à chaque âge ?

Nous en doutons quoique nous ne rejetions nullement une approche éducative, auprès des

enfants, misant sur le deuxième degré. De plus, une telle organisation montrerait beaucoup

plus clairement que les risques de se débarrasser de Socrate ne seraient pas les mêmes selon

la période de l’existence dans laquelle nous nous trouvons, puisque, par exemple, nous

(30)

xxx

n’aurions pas tout à fait les mêmes capacités, responsabilités, aspirations ou les mêmes

possibilités d’âge en âge.

Nous comprendrions aussi mieux la succession entre cette section dédiée aux voyages et

celle aux emplois si elles s’adressaient prioritairement à la verte jeunesse qui rentre à peine

dans le monde des adultes bien établis et qui rêvent souvent de vie aventureuse ou stable.

De plus, nous appréhenderions mieux le développement tardif de certains thèmes, dans

notre texte. Effectivement, il nous semble qu’avant d’en arriver à discourir de la justice ou

d’en assumer, tel Socrate, les conséquences les plus grandes (subir l’injustice plutôt que

d’être injuste [Platon, Gorgias, 472e à 473e]), d’importants préalables notamment

socratiques, en nos vies, s’imposeraient. En effet, ne serait-ce pas déraisonnable d’exiger

pareille vertu de gamins, qui sont encore à tout apprendre du monde et de la vie humaine,

voire de la réflexion bien qu’ils en posséderaient sans doute de bonnes bases ?

Cela étant dit, permettez-nous, chers auditeurs et chères auditrices, de développer sur

quelques remarques interrogatives que nous soulèverions encore, toujours bienveillamment,

à l’égard de notre thèse.

Nous soulignâmes précédemment que nous nous ingéniâmes à défendre la position suivante

soit que Socrate incarnerait, en une certaine manière, la philosophie. Pour ce faire, dans une

section de la première partie de notre thèse, nous insistâmes notamment sur la question de

la simple ignorance socratique, fait absolument fascinant, voire unique dans l’histoire des

idées et de la philosophie. Cette simple ignorance est fondamentale et incontournable pour

ceux qui aiment la sagesse, donc sa recherche et qui, toujours, prioritairement, clament ne

pas la posséder, contrairement à ceux qui disent savoir.

L’on pourrait nous reprocher que, par-delà ce point très important de la philosophie, les

successeurs de Socrate les plus divers se sont efforcés justement de répondre à cette posture

socratique. D’ailleurs, cette dernière peut-elle nous contenter ?

(31)

xxxi

Premièrement, j’aimerais rappeler une magnifique citation de Dante (« Enfer », La divine

comédie, chant xi, 93) que s’autorise Michel de Montaigne dans son essai consacré à la

question éducative : « Car il est agréable non seulement de savoir mais aussi de douter. »

Pour nous, comme Socrate nous le montre, il ne serait pas impossible de nous satisfaire, au

moins en nos vies, d’une simple ignorance. Ce serait déjà éviter, sans doute, nombre

d’erreurs et peut-être vivre plus justement, les injustices étant causées parce que nous

pensons savoir ce qu’est le bien alors que nous l’ignorons trop souvent.

Deuxièmement, en évoquant un passage du Phédon de Platon (61b et c), nous réussirions

peut-être à mieux convaincre de cette association que nous faisons entre Socrate et la

philosophie. Nous concentrerions alors notre attention sur la méthode même, toute

socratique, qui serait au cœur de l’acte philosophique.

Primo, relisons ce passage dans la traduction de Monique Dixsaut, commentatrice et

traductrice que nous estimons beaucoup.

[Socrate.] […] dis-lui que s’il veut se montrer sage il doit se mettre à ma

poursuite le plus vite possible. Or c’est aujourd’hui, semble-t-il, que je m’en

vais, puisque les Athéniens l’ordonnent. » Alors Simmias : « Quel drôle de

conseil, Socrate, tu donnes là à Événos ! Le sort a fait que j’ai plusieurs fois

rencontré le personnage et, d’après ce que j’ai pu voir, il y a vraiment fort peu

de chances qu’il suive ton conseil. Quant à le faire de son plein gré… – Mais

quoi, dit [Socrate], Événos n’est-il pas philosophe ? – À moi, du moins, il

paraît l’être, répondit Simmias. – En ce cas, [dit Socrate] il y consentira

volontiers, lui, Événos, et quiconque prend part d’une manière qui

convient à une telle occupation.

D’une manière qui convient… N’est-ce pas toujours cette manière, bien socratique, que

nous réactivons lorsque nous examinons et étudions quelque écrit philosophique en nous

demandant ce qu’a voulu dire son auteur et en lui posant diverses questions pour non

seulement bien le comprendre, mais pour nous assurer aussi qu’il n’est pas passé à côté de

la vérité ? Bref, si nous soutenons que Socrate incarne la philosophie, c’est peut-être que sa

méthode typique est philosophique. On peut lire un Nietzsche ou un Schopenhauer, mais

(32)

xxxii

les lire vraiment revient sans doute à se faire Socrate auprès d’eux, à ne pas les quitter tant

qu’ils n’auront pas répondu à nos questions…

Peut-être qu’au fond, pour nous, Socrate représente le modèle par excellence du

philosophe…

Ce modèle, justement, est-il atteignable ? Disons que notre thèse propose surtout des pistes

pour nous en approcher, si c’est possible. Plus convenablement, nous affirmerions que le

Socrate que nous présentons dans notre thèse doit être considéré comme l’étoile Polaire

nous guidant sur les mers houleuses de nos existences. Sans jamais l’atteindre ou devenir

nous-mêmes étoiles, au moins nous guidera-t-elle à bon port assez sûrement si nous savons

bien comprendre ce qu’elle signifie.

L’on pourrait nous questionner, aussi, sur cette tendance à présenter un Socrate un brin

nietzschéen. En fait, Socrate aurait-il comme nous condamné aussi fermement certaines

personnes ou certains aspects de notre monde. Cette thèse n’est point socratique, au sens

strict. Elle a utilisé Socrate pour réfléchir sur notre monde et nos vies. Elle demeure notre

responsabilité entière. Nous ne voudrions faire porter sur Socrate le poids de nos mots.

D’ailleurs, ce ne serait pas possible.

D’autre part, nous avons relevé quelques passages de l’œuvre platonicienne et

xénophonienne qui aideraient à mieux comprendre notre ton, à mieux discerner pourquoi

nous opposerions Socrate aux autres. Les voici.

Primo, ce passage, dans Le banquet platonicien, entre Apollodore et l’un de ses amis,

anonyme (173d et e) :

L’ami d’Apollodore. Tu es toujours le même Apollodore : tu dis toujours du

mal de toi et des autres, et l’on croirait vraiment à t’entendre que, sauf Socrate,

tout le monde est misérable, toi tout le premier. À quelle occasion on t’a donné

le sobriquet de furieux, je l’ignore ; mais ce que je sais, c’est que tu ne varies

pas dans tes discours et que tu es toujours en colère contre toi et contre les

autres, à l’exception de Socrate. Apollodore. Oui, mon très cher, et il est bien

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