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Pour en finir avec le désir de plaire

Dans le document Méditations autour de Socrate (Page 160-164)

Je ne savais pas faire ma putain

441

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Louis-Ferdinand Céline

Quoique vous écriviez, évitez la bassesse ; […]

442

Nicolas Boileau

Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter

la plume dans la plaie

443

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Albert Londres

Je veux pas me faire des amis, j’essaie de dire ce que je pense

444

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Pierre Falardeau

440 « […] il n’est pas de vérités nouvelles. » Henri MATISSE, « Notes d’un peintre », Notes d’un peintre, p. 37.

« Mais est-ce que le monde progresse vraiment ? N’est-ce pas plutôt l’ombre et la lumière qui se déplacent

parfois ? » Gatien LAPOINTE, « Le pari de ne pas mourir », Le premier mot précédé de Le pari de ne pas

mourir, p. 10. « En réfléchissant sur la marche des choses humaines, j’estime que le monde demeure dans le

même état où il a été de tout temps ; qu’il y a toujours la même somme de bien, la même somme de mal ; mais que ce mal et ce bien ne font que parcourir les divers lieux, les diverses contrées. » Nicolas MACHIAVEL, « Avant-propos Discours sur la première décade de Tite-Live Œuvres politiques », Œuvres complètes, livre second, pp. 510 et 511. « Le nouveau ? Le nouveau ? Eille ! Depuis le début de l’histoire de l’humanité, le monde parle des mêmes affaires. Tu sais. Le cul, l’amour, la haine, la guerre… Alors, les nouvelles idées, vient pas me faire chier avec ça. » Pierre FALARDEAU, Conférence de Pierre Falardeau au cégep de

Drummondville, 1 heure 22 minutes et 22 secondes. Georges DEVEREUX, « Les désordres sacrés (chamaniques) », Op. cit., chapitre premier, p. 14. Esdras MINVILLE, « La Bourgeoisie et l’Économique »,

L’avenir de notre bourgeoisie, p. 36. « Que pourraient enseigner de plus les dix années nouvelles, que les dix

années passées n’aient réussi à nous enseigner ? » Friedrich NIETZSCHE, « II. De l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la vie », Considérations inactuelles I et II, § 1, p. 217. « Non, Temps, tu ne pourras te vanter que je change ! / Rebâties en plus grand, tes pyramides / Je n’y perçois rien de neuf ni d’étrange, / Ce n’est qu’habillement pour du déjà vu. / Brèves nos vies, et nous admirons donc / Nombre de vieilleries que tu nous imposes, / Préférant y trouver nourriture nouvelle / Plutôt que les savoir[s] du rebattu. / Mais moi, je te défi, toi et tes chroniques ! / Ni du présent ni du passé je ne m’étonne, / […] » William SHAKESPEARE, « Les Sonnets », Les Sonnets précédés de Vénus et Adonis Le Viol de Lucrèce Phénix et Colombe, sonnet 123, p. 281. « […] car le monde, anciennement comme aujourd’hui, a toujours été le même), […] » Nicolas MACHIAVEL, « Capitolo de l’Ambition (1509) Capitoli Poésies et proses diverses », Œuvres complètes, p. 92.

441 Louis-Ferdinand CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, p. 264. 442 Nicolas BOILEAU, L’art poétique, chant premier, vers 79, p. 3. 443 Albert LONDRES, Op. cit., p. 6.

444 Pierre FALARDEAU, Tout le monde en parle, 26 octobre 2008,

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Lorſqu’il s’agit de plaire à Dieu, devons-nous avoir peur de déplaire aux

hommes

445

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François d’Avril

[…] j’étais tout décontenancé par crainte, comme dit Ibycos : que la faute

commise à l’égard des dieux ne me vaille en retour de l’honneur chez les

hommes

446

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Platon

Pour retrouver la fonction entière du philosophe, il faut se rappeler que même

les philosophes-auteurs que nous lisons et que nous sommes n’ont jamais cessé

de reconnaître pour patron un homme qui […] a eu des difficultés avec

l’opinion et les pouvoirs, il faut se rappeler Socrate

447

.

Maurice Merleau-Ponty

Or j’estime pour ma part, mon cher, que mieux vaudrait […] me trouver en

désaccord et en opposition avec tout le monde, que de l’être avec moi-même

tout seul et de me contredire

448

.

Platon

445 François d’AVRIL, « XVII. Jour du mois. Autre retour. Juillet. », Saints et heureux retours sur soi-mesme

pour chaque jour de l’année (seconde édition) (tome premier), p. 292.

446 PLATON, Phèdre Suivi de La pharmacie de Platon (de Jacques DERRIDA), traduction inédite, introduction

et notes par Luc BRISSON, 242c et d, p. 110.

447 Maurice MERLEAU-PONTY, Op. cit., p. 42.

448 PLATON, « Gorgias », Œuvres complètes tome III – 2e partie, 482b et c, pp. 160 et 161. Jacques Grand’Maison remarque, à propos de Socrate : « Celui-ci fut peut-être le premier témoin d’une conscience critique face au système social, aux lois, au pouvoir établi, à la mythologie de son temps. » Jacques GRAND’MAISON, Quel homme ?, chapitre i, pp. 21 et 22. « Fascinés par le jeu idéologique, chez nous et ailleurs en Occident, bien des analystes des sciences sociales tiennent à la marge de leurs diagnostics l’important courant souterrain d’une affirmation explosive de l’individualité. Certes, on peut remonter ce courant jusqu’aux origines de l’histoire occidentale pour y trouver des jalons préparatoires. Pensons à

Socrate qui opposait une conscience individuelle critique face au système politique et religieux de son temps. » Id., « Un sous-sol explosif I – Ses aspects positifs », La nouvelle classe et l’avenir du Québec,

deuxième partie, chapitre i, section 2, p. 136. NMÉ. « Socrate s’est présenté comme l’homme nu face au système social, religieux et politique de son temps. Il a pris ses distances sur les statuts et codes reçus en affirmant cette conviction fondamentale : l’homme peut partir de lui-même, de sa conscience, de son jugement, de sa liberté radicale pour se définir, se situer. Davantage l’homme instituant que l’homme institué. Ce dernier est plutôt défini par les codes cristallisés, par la société arrivée. En mûrissant, les institutions se rigidifient, se chosifient et souvent se déshumanisent. C’est ici que surgit la dynamique historique évoquée plus haut. À savoir ce dégagement de l’homme nu et distancé, critique et autonome, mettant d’abord sa condition humaine dans la balance, son jugement de conscience, sa décision libre, sa dignité la plus simple et la plus radicale. Avec Socrate, l’histoire occidentale venait d’accomplir un saut d’humanisation sans précédent. » Id., Quel homme ?, chapitre v, pp. 57 et 58. « D’une façon plus immédiate, je tiens à évoquer les figures de Socrate et de Jésus, qui nous ont appris que la conscience et la liberté intérieure peuvent se dresser et contrer toute forme d’unanimisme aveugle, d’auto-idôlatrie [idolâtrie] individuelle et collective, de retour aux instincts les plus primaires. L’agora humaine n’est pas une meute ni un troupeau qui bêle unanimement ! Notre civilisation occidentale ne nous en a-t-elle pas délivrés ? » Id., « Une nouvelle conscience prometteuse L’anti-jardin secret et le mythe de la transparence », Réenchanter la vie Du jardin secret aux appels de la vie,

tome II Réconcilier l’intériorité et l’engagement, deuxième partie, p. 226. « Jésus et Socrate plaidaient pour

un Je capable de s’affirmer même à contre-courant des copies conformes de leur temps, de leur héritage culturel et religieux, et de l’opinion publique. » Id., « Les racines bibliques », Réenchanter la vie Du jardin

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C’est déjà téméraire toutes ces confidences. Aller plus loin serait du suicide.

Dire ce qu’on pense est devenu périlleux. Même à titre farouchement privé

449

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Philippe Muray

À nous remémorer certaines lectures, notamment L’art d’aimer

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d’Ovide, séduire et

obtenir une Belle Charmante en son lit, rien de plus aisé… Mais vivre l’Amour, le Vrai, le

Grand, peut-il rimer uniquement avec séduction ? L’Amour ! À tout prendre ! Ah ! N’est-ce

que de la séduction ? Qu’elle soit physique ou intellectuelle ?

Nous espérons ardemment comme un vieux fou qui n’a rien compris aux « mouvements

humains variés

451

» que la réponse à cette précédente question est au moins partiellement

négative.

Analogiquement, il en va de même en territoire philosophe, en ce pays de l’Amour de la

Sagesse. Effectivement, comme le Vrai Amour (peut-être l’est-il au fond), cet Amour de la

Sagesse ne tolérerait une séduction trompeuse, vicieuse, mal intentionnée, et ce, pour

plusieurs raisons.

En rester à l’art de la séduction lorsqu’il s’agit de philosopher, de ressusciter en nous ou

chez les autres cet esprit socratique, c’est nous condamner et condamner ceux à qui nous

nous adressons aux chaînes de la caverne. Car la séduction, le désir de plaire, de prendre

goût aisément, risque de nous retenir dans nos idées surannées, nos habitudes solidement

ancrées, nos opinions non vérifiées.

Nous pouvons nous imaginer qu’il est commode devant des exploiteurs (des capitalistes

invétérés) ou des racistes de défendre l’exploitation (le capitalisme) ou le racisme

452

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449 Philippe MURAY, « X. Art pompier », L’Empire du Bien, chapitre x, p. 158. 450 OVIDE, L’Art d’aimer.

451 Michel de MONTAIGNE, « De l’éducation », Essais, livre premier, extraits du chapitre vingt-cinquième ou

vingt-sixième dépendamment des éditions. Ce texte fut modernisé sans doute par notre maître Gérald ALLARD.

452 « Flateurs, vous ne ſçavez guéres ce que vous faites. Vous ne vous direz être ni concuſſionnaires, ni

uſuriers, ni médiſans, & vous approuvez ceux qui le ſont. […] vous vous faites un art de les loüer, afin de plaire aux hommes. » Charles BOILEAU, « Flaterie. », Pensées choisies de monsieur l’abbé Boileau, § VII, p. 133.

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De vanter Montréal devant un parterre de Montréalais et Québec devant une assemblée de

carnavaleux… Comme disait Socrate, il n’est pas difficile de louer des Athéniens chez les

Athéniens

453

.

Nous serons peut-être même applaudi, ovationné, aimé, adoré, adulé, divinisé !

Mais toute cette farce, sinistre, immonde, aurait-elle à voir avec quelque véritable

vérité

454

?

Un peu comme un perfide charmeur qui, pour obtenir l’ultime offrande d’une Jolie, ferait

semblant de penser comme Elle.

Mais comment alors le voyage, la montée (souvent « rude

455

», « escarpée

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», éreintante,

non plaisante) vers la Vérité et son monde seraient-ils possibles ?

Et, à notre époque, la peur de déplaire est viscérale, commune

457

.

453 ARISTOTE, Rhétorique, Α, 9, 1367b, tel que cité et traduit par Thomas DEMAN, « Textes d’intérêt divers.

Textes avec traductions et commentaires », Op. cit., § XVIII, p. 61. « Ce que dit en effet Socrate dans l’oraison funèbre est vrai, qu’il n’est pas difficile de louer des Athéniens chez les Athéniens […] » Id.,

Rhétorique, Γ, 14, 1415b, tel que cité et traduit par ThomasDEMAN, « Textes d’intérêt divers. Textes avec traductions et commentaires », Op. cit., § XIX, p. 61.

454 « Es-tu d’avis que les orateurs parlent toujours en vue du plus grand bien, avec la constante préoccupation

de rendre les citoyens meilleurs par leurs discours, ou bien estimes-tu qu’ils courent après la faveur populaire, qu’ils sacrifient l’intérêt public à leur intérêt privé, et qu’ils traitent les peuples comme des enfants auxquels ils veulent plaire avant tout, sans s’inquiéter de savoir s’ils les rendent meilleurs ou pires par ces procédés ? Cette question est plus complexe : il y a des orateurs dont les discours s’inspirent de l’intérêt public, et d’autres qui font comme tu le dis. Il suffit : s’il y a deux sortes d’éloquence politique, l’une des deux est une flatterie et une vilaine chose ; l’autre seule est belle, celle qui travaille à améliorer les âmes des citoyens et qui s’efforce de toujours dire le meilleur, que cela plaise ou non à l’auditoire. Mais as-tu jamais rencontré cette éloquence-là ? Si tu en connais des exemples parmi les orateurs, hâte-toi de me les nommer. Eh bien, non, parmi ceux d’aujourd’hui, je n’en vois pas que je puisse t’indiquer. » PLATON, « Gorgias », Œuvres complètes

tome III – 2e partie, 502e-503b, p. 191.

455 Bernard BOULET, « La montée Sur l’allégorie de la caverne », Allégorie de la caverne, Les Amoureux

rivaux, Lakhès et Ion, p. 87.

456 Ibid.

457 « La peur de déplaire est probablement la peur la plus répandue et celle qui fait le plus de dommages. »

Isabelle FALARDEAU, « Quelle peur vous empêche de prendre une décision ? », p. 2. « J’ai été mal élevé, je le reconnais. J’ai vu, de mes yeux vu, dans tous ces appareils monstrueusement sous influence un sentiment terrible, la peur. Une peur insidieuse, tenace, paralysante. Cette peur qui accompagne le colonisé du berceau à la tombe. Peur de déplaire. Peur de déranger. Peur de perdre sa job. Peur de se faire taper sur les doigts. Peur de l’enfer. Peur de la révolte. Peur de son ombrage. La grande peur des bien-pensants, pour citer Bernanos. » Pierre FALARDEAU, « Les bornes Annexes », Québec libre ! Entretiens politiques avec Pierre Falardeau,

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De là vient la mort de la discussion véritable, de la pensée, de la philosophie et de Socrate.

Et cette peur de déplaire, elle est bien présente, hélas, en notre système d’éducation où

l’autorité de ceux qui enseignent vient souvent nuire au processus radicalement

philosophique de l’éducation

458

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Platon et Jean de La Fontaine, par exemple, pour nous éveiller à quelques vérités, et parmi

les plus belles et les plus impérissables, se permettent, en bien des endroits, un style très

très très séducteur, accrocheur, pour bien des raisons.

Or, quant au fond, pour ce qui compte, ils ne sont nullement séducteurs. Ils sont vrais.

Ils nous accrochent au ver philosophique, mais cela fait mal, nous remet en question, nous

angoisse, nous fait vivre. Il nous mine, pour évoquer la célèbre formule d’Albert Camus

459

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Un peu comme ces examens qui peuplent notre vie et plus particulièrement cette vie

scolaire, Longue Marche, l’apprentissage véritable exige parfois ces efforts qui nous sortent

de toute séduction comme Socrate l’entendait.

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