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Albert Demangeon (1872-1940). De l'école communale à la chaire en Sorbonne, l'itinéraire d'un géographe moderne

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Submitted on 2 Jul 2005

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la chaire en Sorbonne, l’itinéraire d’un géographe

moderne

Denis Wolff

To cite this version:

Denis Wolff. Albert Demangeon (1872-1940). De l’école communale à la chaire en Sorbonne, l’itinéraire d’un géographe moderne. Histoire. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2005. Français. �tel-00009648�

(2)

UFR de géographie

Thèse de doctorat de géographie

sous la direction de Marie-Claire ROBIC

soutenue le 4 avril 2005

Denis WOLFF

Albert Demangeon (1872-1940).

De l'école communale à la chaire en Sorbonne,

l'itinéraire d'un géographe moderne

Tome I

Année

Numéro de bibliothèque

Membres du jury :

Olivier DUMOULIN, Professeur, Institut d'études politiques, Université de Lille II Josefina GOMEZ MENDOZA, Professeur, Universidad Autónoma de Madrid Marie-Vic OZOUF-MARIGNIER, Directrice de recherche, EHESS

Marie-Claire ROBIC, Directrice de recherche, CNRS Jean-Louis TISSIER, Professeur, Université de Paris I

(3)

Albert Demangeon (1872-1940).

De l'école communale à la chaire

en Sorbonne, l'itinéraire d'un

géographe moderne

(4)

Document 1. Albert Demangeon, huile sur toile réalisée par son fils Louis-Albert Demangeon (1938).

(5)

Remerciements.

Ce travail n'aurait jamais pu être réalisé sans l'aide et le soutien de nombreuses personnes à qui je tiens à rendre hommage.

Marie-Claire Robic a eu un rôle bien plus important que celui que j'attendais d'une directrice de thèse. Malgré un emploi du temps chargé, elle n'a jamais compté son temps pour lire et relire mes écrits, pour me recevoir fort cordialement et me prodiguer nombre de conseils. J'ai largement pu profiter de son savoir-faire, de ses lectures, de ses connaissances et, en un mot, de sa vaste culture. Ses indications, d'une finesse, d'une subtilité et d'une intelligence que je me dois de souligner, m'ont permis de progresser considérablement dans l'élaboration de cette thèse.

J'ai ensuite bénéficié de conseils plus qu'utiles de la part de nombreux membres de l'équipe E.H.GO lors de maintes discussions, de Jean-François Condette (qui m'a signalé l'intérêt des Archives départementales du Nord pour ma recherche), de Daniel Dayen (qui m'a fait connaître la participation d'Albert Demangeon à la revue Le Volume), d'Emmanuel Jaurand (sur des questions de géographie physique) et de docteurs ès lettres non géographes qui m'ont fait profiter de leur expérience dans leur propre discipline, notamment Dominique Bois, Anne Maussion, Michel Noiray (un grand merci !) et Etienne Wolff. Dany Bréelle, géographe, m'a très gentiment aidé depuis Adélaïde, Soizic Alavoine depuis des lieux variés ainsi que Dominique Volle. Rue du Four, Christine Kosmopoulos et Martine Laborde m'ont enfin donné très amicalement bien des conseils.

Je remercie beaucoup les quarante-trois personnes qui, sans compter leur temps, m'ont apporté par lettre, par téléphone ou de vive voix, un témoignage sur Albert Demangeon (le Tableau 16 en dresse la liste) ; hélas, plusieurs ont depuis trouvé la mort. Quelqu'en soit l'apport pour mon travail, j'ai toujours été intéressé, et souvent ému, par les témoignages recueillis.

Ce travail a pu être effectué grâce à plusieurs autorisations qui m'ont été accordé pour la consultation de documents d'archives : Henri Febvre (pour la consultation des papiers Lucien Febvre déposés aux Archives nationales ; merci aussi à Brigitte Mazon pour son accueil) et surtout Jean-Louis Perpillou, professeur à la Sorbonne, petit-fils d'Albert

(6)

Demangeon, qui a fort aimablement autorisé la consultation du fonds Demangeon-Perpillou déposé à la Bibliothèque Mazarine. De plus, Christian Péligry, directeur et conservateur général, a fait tout son possible pour faciliter cette consultation. Enfin, Nicolas Demangeon, petit-fils d'Albert Demangeon, avec une intelligence non dénuée de gentillesse, a immédiatement saisi l'intérêt scientifique de mon étude, l'a constamment soutenue, et m'a fort aimablement permis de lire la correspondance échangée entre Albert Demangeon, son épouse et sa mère ; il y a même ajouté des souvenirs qu'il tient de son père, Louis-Albert Demangeon. Je dois aussi beaucoup aux efforts des personnels des archives et bibliothèques dans lesquelles j'ai travaillé ; je pense notamment à la Bibliothèque Mazarine, à la Bibliothèque de l'Institut national de recherche pédagogique (alors rue d'Ulm), à la Bibliothèque de la Société de géographie (alors dirigée par France Duclos) et surtout à la Bibliothèque de l'Institut de géographie dirigée par Bernadette Joseph.

Nombreux sont ceux qui m'ont aidé dans des tâches diverses. Je remercie vivement les traducteurs qui n'ont pas compté leur temps : France Zizek, Jacky Assouline, Dany Breelle et Suzanne Darriulat pour l'anglais, Mathis Stock et François Chamaraux pour l'allemand, et Michèle Maussion pour toutes les langues. La réalisation de quelques tableaux et surtout des cartes a été possible grâce au concours d'Anne Maussion qui possède une grande maîtrise de ces logiciels. J'ai enfin une dette immense envers Michèle Maussion pour ses nombreuses relectures effectuées avec une grande précision au cours de ces années (qui ont entraîné maintes discussions sur tel ou tel aspect du texte) et envers Jean Guillamaud pour la relecture finale réalisée avec autant de minutie que de gentillesse.

Je rends également hommage à mes anciens professeurs qui m'ont donné le goût de la géographie et se sont toujours intéressés à mes travaux, notamment Bernard Pasdeloup, Georges Grelou et André Bercière.

Enfin, je remercie chaleureusement tous ceux et celles qui, au cours de ces années, m'ont soutenu par leurs encouragements : les membres de l'UMR Géographie-Cités, Monsieur le Principal et mes collègues du collège Jules Romains, et de nombreux amis que je ne puis tous citer. J'ai bénéficié d'un soutien exemplaire de ma famille, notamment des plus proches. Pendant une décennie, Albert Demangeon a été l'invité permanent de notre foyer, un hôte que d'aucuns auraient pu trouver pesant. Mais, ma fille, écolière au début de ma thèse et aujourd'hui étudiante, a toujours tout fait pour faciliter l'avancement de ma thèse. Et rien n'eût été possible sans le soutien, la patience, la compréhension et l'aide de mon épouse.

(7)

Sommaire du Tome I.

Introduction………..…...8

Chapitre I. Les sources : connaissance et réception d'Albert Demangeon………30

I Les sources primaires………..30

A) Les oeuvres………...30

B) Les comptes rendus des oeuvres………...40

C) Les revues des universités………41

II Les archives………...42

A) Une grande diversité………42

B) Les lettres de condoléances après la mort d'Albert Demangeon…………..47

III Les notices nécrologiques………50

A) Un contexte de guerre………..50

B) L'hommage au disparu……….53

IV Les "Problèmes de géographie humaine"………57

V Les témoignages………...61

A) Les témoignages publiés………..61

B) Les témoignages recueillis………...64

VI L'évolution de la réception d'Albert Demangeon………78

A) La réception par les géographes anglo-saxons jusqu'aux années soixante-dix…..………78

B) Réflexion et témoignage d’un élève (1969)……….82

C) La présentation par un gendre et élève (1975)……….86

D) L’analyse de géographes épistémologues (1984)………90

(8)

F) Deux analyses de géographes contemporains (1996 et 1998)…….……….95

Conclusion……….97

Première partie. L'ascension sociale (1872-1905)……….………100

Introduction de la première partie………..102

Chapitre II. Un élève brillant, un normalien prometteur (1872-1904)………104

I Une origine modeste (1872-1892)………104

II Les années d'Ecole normale (1892-1895)………110

A) L'entrée à l'Ecole………110

B) Les rencontres………113

C) Les travaux……….117

D) L'agrégation………121

III Du soldat au professeur de lycée (1895-1900)………..126

IV Caïman à l'Ecole normale (1900-1904)……….132

Conclusion………..135

Chapitre III. Un pédagogue pour les instituteurs (1899-1905)………149

I La collaboration à la revue Le Volume……….149

II Les "Travaux scolaires" d'histoire………...153

III Les articles de géographie………..162

A) Une pédagogie du concret pour une discipline de réflexion………..163

B) Un déterminisme naturel très présent……….168

C) Une prédilection pour la géographie régionale………..170

D) La géographie, science humaine ou naturelle ?……….172

(9)

Conclusion………..178

Chapitre IV. Une thèse qui fait date : "La Picardie" (1905)………190

I Une longue préparation pour un exercice obligé………..191

II La thèse principale………..194

A) Les titres et le plan……….194

B) A la recherche de la méthode……….202

III Un modèle de monographie régionale ?………213

A) Une soutenance magistrale………214

B) Un courrier abondant et enthousiaste……….216

C) Des comptes rendus laudatifs……….218

D) Les honneurs………..223

E) La thèse vue côté picard……….225

F) D'une thèse modèle à un livre de référence………227

IV Une thèse secondaire originale………..232

Conclusion………..242

(10)

Introduction.

Contemporain de l'émergence de la géographie dans les Facultés des lettres, acteur de son affirmation aux côtés de l'histoire et de la sociologie, promoteur de la géographie régionale et de la géographie humaine, professeur respecté, Albert Demangeon (1872-1940) est incontestablement l'un des piliers de la géographie française de la première moitié du vingtième siècle. Il a enseigné pendant presque vingt ans à la Sorbonne et animé à l'Ecole normale supérieure un séminaire dont la réputation attirait nombre d'étudiants non géographes1. Il fut un grand travailleur et un auteur prolixe, rédigeant une douzaine de livres,

une dizaine de manuels scolaires, une centaine d'articles et un millier de notes et de comptes rendus. Ses livres connurent un succès tel qu'ils furent maintes fois réédités et traduits en plusieurs langues. Certains contribuèrent au prestige de grandes collections, telle la

Géographie universelle, lancée par Paul Vidal de la Blache. Sa thèse fut considérée comme

un modèle ; parmi ses articles, plusieurs ont été tenus pour fondateurs ; d'autres ouvrages provoquèrent de vifs débats après leur publication. Ainsi, sa renommée a dépassé le cercle des géographes, même si son rôle dans l'Université a été moindre que celui d'Emmanuel de Martonne et s'il a été, selon André Meynier2, "moins connu du grand public" que Jean

Brunhes. Ses livres suscitent encore aujourd'hui l'intérêt. Sa thèse sur la Picardie a été récemment réimprimée3 ; son nom apparaît dans les dictionnaires usuels (Petit Larousse, Petit

Robert des noms propres) et, dans le "Dictionnaire des intellectuels français4", c'est l'un des

neuf géographes étudiés.

1

Cf. Entretiens de Marie-Claire ROBIC et de Jean-Louis TISSIER avec Jean GOTTMANN réalisés à Oxford en 1993 (archives du centre EHGO).

2

MEYNIER André, Histoire de la pensée géographique en France (1872-1969), Paris, Presses universitaires de France, 1969, p. 69.

3

DEMANGEON Albert, La Picardie et les régions voisines. Artois, Cambrésis, Beauvaisis, Paris, Cesson-Sévigné, La Découvrance, 2001.

4

JUILLARD Jacques, WINOCK Michel (sous la direction de), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Seuil, 1996, 1260 p.

(11)

Cependant, sa notoriété actuelle n'est-elle pas restreinte à un cercle de chercheurs et d'érudits ? Robert Marconis5 note que "son oeuvre [est] bien oubliée." Depuis trente-cinq ans,

seuls deux de ses livres ont été réédités, et avec des tirages limités ; les autres n'éveillent guère l'intérêt que de quelques bibliophiles et des chercheurs. On peut aussi relever certaines erreurs commises à son propos, même si elles portent sur des points secondaires. Ainsi Alain Reynaud le prénomme André6. Le "Petit Larousse", reprenant des confusions perpétrées par

des géographes7, l'a fait naître à Gaillon et non à Cormeilles, avant de corriger récemment

cette inadvertance.

Mais surtout, sa réception actuelle par les géographes ne se limite-t-elle pas à quelques stéréotypes (par exemple, celui qui consiste à le considérer uniquement comme un fidèle disciple de Paul Vidal de la Blache) ? Ne faut-il pas les nuancer et les corriger lorsqu'ils sont tout simplement inexacts ? Ainsi, dire de "La Picardie" qu'"elle est la première en date de nos grandes thèses régionales8", c'est oublier la thèse d'Emmanuel de Martonne sur la Valachie,

soutenue trois ans auparavant et, si l'on s'en tient aux régions françaises, celle de Léon Gobin sur l'Auvergne9 datant de 1896 (mais ce dernier n'était pas élève de Paul Vidal de la Blache et

sa thèse a été mal accueillie). Et que dire de la réception d'Albert Demangeon par les non-géographes ? Quand, en 1997, le travail sur le Rhin réalisé en 1935 par Lucien Febvre et Albert Demangeon est réédité10 sous l'égide de Peter Schöttler, celui-ci estime "dépassés11" les

chapitres d'Albert Demangeon et se borne à publier ceux rédigés par Lucien Febvre. Mais il ne nous dit pas en quoi le texte d'Albert Demangeon est plus "dépassé" que celui de son collègue et ne fournit que six lignes d'explication12 (sur plus de quarante pages de

présentation) : selon lui, Lucien Febvre a "une approche et des perspectives nouvelles" tandis qu'Albert Demangeon donne "une présentation finalement assez traditionnelle", ce qui aurait demandé à être précisé et argumenté. De plus, cette réédition contient un autre texte de Lucien

5

MARCONIS Robert, Introduction à la géographie, Paris, Armand Colin, 1996, p. 109.

6

REYNAUD Alain, La géographie entre le mythe et la science. Essai d'épistémologie, Travaux de l'Institut de

géographie de Reims, tome 18-19, 1974, p. 7, 9, 36, 108 et 147.

7

Voir Chapitre I.

8

PERPILLOU Aimé, Albert Demangeon, in Les géographes français, Comité des travaux historiques et scientifiques, Bulletin de la section de géographie, tome 81, Paris, Bibliothèque nationale, 1975, p. 86.

PERPILLOU Aimé, Avant-propos, in DEMANGEON Albert, La Picardie et les régions voisines. Artois, Cambrésis, Beauvaisis, Paris, Guénégaud, 1973, p. VII.

9

Voir Chapitre IV.

10

FEBVRE Lucien, Le Rhin. Histoire, mythes et réalités, Paris, Perrin, 1997, 284 p.

11

SCHÖTTLER Peter, Avertissement, in opus cité à la note précédente, p. 10.

12

SCHÖTTLER Peter, Présentation. Lucien Febvre ou la démystification de l'histoire rhénane, in opus cité à la note précédente, p. 17.

(12)

Febvre13

sur le Rhin (1953) dans lequel il critique le travail de son ancien collaborateur14

. Passons sur l'éthique discutable de Lucien Febvre, d'autant plus qu'Albert Demangeon, mort en 1940, ne pouvait lui répondre (passons aussi sur le fait qu'un autre texte élogieux15 n'a pas

été publié) ; mais comment le lecteur actuel peut-il évaluer la pertinence de telles critiques s'il ne dispose pas du texte d'Albert Demangeon ?

La méconnaissance de cette figure de la géographie française peut tenir à l'absence d'une étude de grande envergure. Les travaux dont on dispose sur Albert Demangeon sont en effet peu nombreux et succincts : des notices de quelques pages dans l'anthologie "Deux siècles de géographie française16", dans le "Dictionnaire des intellectuels français17" et dans le

dernier dictionnaire de géographie18, ainsi que quatre articles. Seul le premier d'entre eux,

rédigé par Aimé Perpillou19 et paru en 1975, est en français. Les autres sont écrits par des

géographes britanniques : Geoffrey Parker20 (en 1987) puis Hugh Clout21 (deux articles

publiés en 2003). Celui-ci cherche surtout à faire connaître aux géographes anglophones le fonds d'archives de la Bibliothèque Mazarine. Même si on ajoute quelques autres articles qui traitent des ouvrages d'Albert Demangeon, tel celui d'André Thibault22 (1972) sur "La

Picardie" ou celui de Paul Claval23 sur "L'Empire britannique" (1994), il n'existe finalement

13

FEBVRE Lucien, Quelques réflexions sur l'histoire économique du Rhin, in Etudes strasbourgeoises publiées à l'occasion du cent cinquantième anniversaire de la Chambre de commerce et d'industrie de Strasbourg, Strasbourg, Edition de la Chambre de commerce, 1953, p. 17-26 (p. 253-262 dans la réédition de 1997).

14

Edition de 1953, p. 20-22 ; réédition de 1997, p. 255-258.

15

FEBVRE Lucien, Deux amis des Annales : Jules SION, Albert DEMANGEON, Annales d'histoire sociale, tome 3, 1941, p. 81-89 (voir p. 87-88). Article repris sous le titre Deux amis géographes : Jules SION, Albert DEMANGEON, in FEBVRE Lucien, Combats pour l'histoire, Paris, Armand Colin, 1953, p. 376-386 (voir p. 383-385).

16

LOI Daniel, GOTTMANN Jean, Albert Demangeon, in PINCHEMEL Philippe, ROBIC Marie-Claire, TISSIER Jean-Louis (sous la direction de), Deux siècles de géographie française, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1984, p. 88-90 et p. 163-169.

17

TISSIER Jean-Louis, Demangeon (Albert), in JUILLARD Jacques, WINOCK Michel (sous la direction de), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Seuil, 1996, p. 347-349.

18

WOLFF Denis, Demangeon Albert, in LEVY Jacques, LUSSAULT Michel (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 234-236.

19

PERPILLOU Aimé, Albert Demangeon, in Les géographes français, Comité des travaux historiques et scientifiques, Bulletin de la section de géographie, tome 81, Paris, Bibliothèque nationale, 1975, p. 81-106.

20

PARKER Geoffrey, Albert Demangeon, in Geographers, Biobibliographical Studies, volume 11 (sous la direction de T.W. FREEMAN), Mansell Publishing Limited, London and New York, 1987, p. 13-21.

21

CLOUT Hugh, Albert Demangeon (1872-1940) : Pioneer of La Géographie Humaine, Scottish Geographical

Journal, volume 119, 2003, n°1, p. 1-24.

CLOUT Hugh, In the shadow of Vidal de la Blache : letters to Albert Demangeon and the social dynamics of French geography in the early twentieth century, Journal of historical Geography, volume 29, n°3, juillet 2003, p. 336-355.

22

THIBAULT André, La thèse sur la Picardie d'Albert Demangeon en 1972, Etudes de la Région parisienne (Bulletin de la Société d'études historiques, géographiques et scientifiques de la région parisienne), janvier 1972, p. 1-8.

23

CLAVAL Paul, Playing with Mirrors : The British Empire According to Albert Demangeon, in GODLEWSKA Anne and SMITH Neil, Geography and Empire, Blackwell, Oxford and Cambridge, USA, 1994, p. 228-243.

(13)

que peu de travaux sur lui et, quelle que soit leur qualité, aucun ne dépasse vingt-cinq pages. C'est pourquoi il nous a semblé important d'entreprendre une recherche sur ce géographe ; cette thèse est donc la première étude approfondie d'Albert Demangeon.

Le projet qui nous amène à nous pencher sur son itinéraire et à "revisiter" son oeuvre doit-il inévitablement conduire à la rédaction d'une biographie ? Avant d'en décider, il semble nécessaire d'examiner un certain nombre de monographies réalisées sur d'autres géographes et de dresser un état des principaux débats qui concernent les problèmes posés par le genre biographique.

Si, depuis trente-cinq ans, les études d'histoire de la géographie se sont multipliées, les travaux de type biographique restent en France relativement peu nombreux. Face au grand nombre d'articles, de livres, voire de sites Internet, voués aux grands géographes étrangers, qu’ils soient allemands (Friedrich Ratzel24), britanniques (Halford John Mackinder25),

espagnols (Manuel de Teran26), portugais (Orlando Ribeiro27), ou américains (Isaiah

Bowman28), la littérature consacrée aux géographes français se révèle assez pauvre. En 1975,

un numéro du Bulletin de la section de géographie rassemble les biographies de quinze géographes français29. Puis, à partir de 1977, la Commission "Histoire de la pensée

géographique" de l'Union géographique internationale publie des volumes réunissant chacun une vingtaine de "biobibliographies". Dans l'anthologie "Deux siècles de géographie française30" parue en 1984, chaque extrait choisi est suivi d'une présentation de son auteur. Le

24

WANKLYN Harriet, Friedrich Ratzel. A biographical Memoir and Bibliography, Cambridge, The University Press, 1961, 96 p.

BUTTMANN Günther, Friedrich Ratzel : Leben und Werke eines deutschen Geographen, 1844-1904, Stuttgart, Wissenschaftliche Verlagsgesellschaft, 1977, 152 p.

MÜLLER Gerhard H., Friedrich Ratzel (1844-1904), Stuttgart, Verlag der Naturwissenschaften und der Technik, 1996, 194 p.

25

PARKER William Henry, Mackinder : geography as an aid to statecraft, Oxford, Clarendon Press, 1982, 296 p.

BLOUET Brian W., Halford Mackinder : a biography, College Station, Texas, A and M University Press, 1987, 236 p.

26

TERAN Manuel de, Ciudades espanolas, Madrid, Real Academia de la Historia, 2004, 402 p. (Introduction de Josefina GOMEZ MENDOZA).

Site Internet : http://www.manueldeteran.org

27

Site Internet sous la direction de Suzanne DAVEAU : http://www.orlando-ribeiro.info/index.html

28

MARTIN Geoffrey, The Life and Thought of Isaiah Bowman, Hamden (Connecticut), Archon Books, 1980, 272 p.

SMITH Neil, American Empire : Roosevelt’s Geographer and the Prelude to Globalization, Berkeley (California), University of California Press, 2003, 557 p.

29

Les géographes français, opus cité. Voir Tableau 1.

30

PINCHEMEL Philippe, ROBIC Marie-Claire, TISSIER Jean-Louis (sous la direction de), Deux siècles de géographie française, opus cité.

(14)

Tableau 1.

Géographes étudiés dans "Les géographes français", Comité des travaux historiques et scientifiques, 1975.

Géographes étudiés Auteurs des notices Pages Paul VIDAL DE LA BLACHE Philippe PINCHEMEL 9-23

Lucien GALLOIS André MEYNIER 25-33

Emmanuel de MARTONNE Jean DRESCH 35-48

Jean BRUNHES Mariel J.-BRUNHES DELAMARRE 49-80

Albert DEMANGEON Aimé PERPILLOU 81-106

Emile-Félix GAUTIER + Augustin BERNARD

Marcel LARNAUDE 107-118

Henri BAULIG Etienne JUILLARD 119-132

Raoul BLANCHARD Paul GUICHONNET + Jean MASSEPORT

133-144

Charles ROBEQUAIN Jean DELVERT 145-151

André CHOLLEY Jacques GRAS 153-171

Daniel FAUCHER François TAILLEFER 173-183

Max. SORRE Pierre GEORGE 185-195

François de DAINVILLE Françoise GRIVOT 197-198

Louis HURAULT Albert CLOS-ARCHEDUC 199-202

Tableau 2.

Géographes étudiés dans le "Dictionnaire des intellectuels français", Seuil, 1996.

Géographes étudiés Auteurs des notices Pages

Roger BRUNET Jacques LEVY 192-193

Jean BRUNHES Jean-Louis TISSIER 195-196

Albert DEMANGEON Jean-Louis TISSIER 347-349

Jean DRESCH Jean-Louis TISSIER 370-371

Pierre GEORGE Jean-Louis TISSIER 532-533

Yves LACOSTE Jacques LEVY 665-666

Emmanuel de MARTONNE Jean-Louis TISSIER 758-759

André SIEGFRIED Nicolas ROUSSELIER 1060-1061

(15)

Dictionnaire des intellectuels français31

, paru en 1996, et le Dictionnaire de géographie32

, édité en 2003, renferment également des notices biographiques sur des géographes (alors que le précédent, rédigé sous la direction de Pierre George33 en 1970, n'en contenait pas). Comme

nous l'avons vu, Albert Demangeon fait partie des géographes sélectionnés dans les quatre cas.

A côté de ces dictionnaires et recueils, des biographies de géographes ont été publiées isolément. Parmi les géographes étudiés, on peut citer Emile Levasseur34, Albert de

Lapparent35, Pierre Foncin36, Marcel Dubois37, Bertrand Auerbach38, Edouard Ardaillon39,

Jacques Ancel40... De nombreux ouvrages ont également été consacrés à Elisée Reclus mais

ceux-ci développent plus ses idées politiques et philosophiques que sa pensée géographique41

31

JUILLARD Jacques, WINOCK Michel (sous la direction de), Dictionnaire des intellectuels français, opus cité. Voir Tableau 2.

32

LEVY Jacques, LUSSAULT Michel (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, opus cité.

33

GEORGE Pierre, Dictionnaire de géographie, Paris, Presses universitaires de France, 1970, 448 p. (réédité et complété).

34

NARDY Jean-Pierre, Levasseur géographe, in CLAVAL Paul, NARDY Jean-Pierre, Pour le cinquantenaire de la mort de Paul Vidal de la Blache, Annales littéraires de l'Université de Besançon, volume 93, Paris, Les Belles Lettres, 1968, p. 35-90.

35

BROC Numa, De la géologie à la géographie : Albert de Lapparent (1839-1908), Revue de géographie de

Lyon, 1977, n°3, p. 273-279.

36

BROC Numa, Patriotisme, régionalisme et géographie : Pierre Foncin (1841-1916), L'Information

géographique, 38ème année, n°1, janvier-février 1976, p. 30-33.

OZOUF-MARIGNIER Marie-Vic, Engagement politique et essor de la géographie : Pierre Foncin de Bordeaux à Douai, in BAUDELLE Guy, OZOUF-MARIGNIER Marie-Vic, ROBIC Marie-Claire (sous la direction de), Géographes en pratiques (1870-1945). Le terrain, le livre, la Cité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001, Chapitre 5, p. 105-116.

37

BROC Numa, Nationalisme, colonialisme et géographie : Marcel Dubois (1856-1916), Annales de

géographie, tome 87, n°481, mai-juin 1978, p. 326-333.

38

BROC Numa, Bertrand Auerbach (1856-1942). Un pionnier de la géographie en Lorraine, Revue

géographique de l'Est, tome 14, juillet-décembre 1974, n°3-4, p. 411-415.

ROBIC Marie-Claire, Bertrand Auerbach (1856-1942), éclaireur et "sans grade" de l'Ecole française de géographie, Revue géographique de l'Est, tome 39, n°1, mars 1999, p. 37-48.

39

CARRE François, Edouard ARDAILLON (1867-1926). Un géographe méditerranéen à Lille, Hommes et

Terres du Nord, 1991, n°2-3, p. 113-119.

40

PECHOUX Pierre-Yves, SIVIGNON Michel, Jacques Ancel (1882-1943), géographe entre deux guerres (1919-1945), in CLAVAL Paul, SANGUIN André-Louis (sous la direction de), La géographie française à l'époque classique (1918-1968), Paris, L'Harmattan, 1996, p. 215-228.

SIVIGNON Michel, Géographie et politique : deux moments de la pensée de Jacques Ancel, in PITTE Jean-Robert, SANGUIN André-Louis (sous la direction de), Géographie et liberté. Mélanges en hommage à Paul Claval, Paris, L'Harmattan, 1999, p. 109-116.

41

SARRAZIN Hélène, Elisée Reclus ou la passion du monde, Paris, La Découverte, 1985, 264 p. GIBLIN Béatrice, Elisée Reclus, 1830-1905, Hérodote, n°22, juillet-septembre 1981, p. 6-13.

LACOSTE Yves, Elisée Reclus : géographicité et géopolitique, in LACOSTE Yves, Paysages politiques, Paris, Le livre de poche, 1990, p. 191-233.

GIBLIN Béatrice, Introduction à la réédition de L'Homme et la Terre, Paris, Maspéro, 1982, p. 1-100 (réédition, Paris, La Découverte, 1998).

(16)

(la thèse de Soizic Alavoine42

comblera cette carence). Enfin, Paul Vidal de la Blache a été étudié de manière plus approfondie (Georges Nicolas lui a consacré une brochure dans sa série Eratosthène et Philippe Pinchemel a rédigé en 1988 une historiographie des écrits qui lui sont consacrés43). Il est cependant curieux de constater qu'il a fallu attendre 1984 pour que la

bibliographie de ses travaux soit publiée44 et 1993 pour qu'un livre biographique soit édité45 ;

son auteur, André-Louis Sanguin, intègre dans sa biographie de larges extraits de ses principaux articles. C'est le seul livre paru sur Paul Vidal de la Blache, avec celui sur le "Tableau de la géographie de la France46" (et les préfaces des oeuvres rééditées). Ainsi, en

dehors des dictionnaires, l'approche biographique reste relativement rare dans les travaux d'histoire de la géographie. Ces biographies sont, à quelques exceptions près, assez brèves et concernent surtout des hommes dont la notoriété ne dépasse guère la communauté des géographes. Aucune biographie d'envergure n'a été réalisée sur une grande figure de l'Ecole française de géographie en dehors de Paul Vidal de la Blache et, dans une certaine mesure, d'Emmanuel de Martonne, un ouvrage récent47 apportant de nombreux éléments biographiques

sur ce dernier.

On peut s'interroger sur les causes de cette situation. Certaines sont internes à la géographie française. Alors que les historiens ont beaucoup étudié les grandes figures de leur discipline (Ernest Lavisse, Lucien Febvre, Marc Bloch, Fernand Braudel...) tout comme les sociologues (la revue "Etudes durkheimiennes" a ainsi été fondée en 1977), les géographes semblent avoir des réticences à étudier les leurs. Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran notent à propos de Paul Vidal de la Blache48 : "Tout se passe comme si les réflexions dont il

pourrait faire l'objet étaient au mieux superflues, au pire suspectes de retour à la case départ : il y a un rapport émotif qui perdure, et qui ôte à la géographie française actuelle la profondeur

42

ALAVOINE Soizic, La géographie comme pédagogie ? La conception et le rôle d'Elisée Reclus dans la réflexion sur l'éducation, Thèse en cours, Paris I.

43

NICOLAS Georges, GUANZINI C., Paul Vidal de la Blache. Géographie et politique, Eratosthène, Série Méridiens n°1, 1987, 80 p.

PINCHEMEL Philippe, Contribution à l'histoire de la bibliographie sur Paul Vidal de la Blache, Bulletin de

l'Association de géographes français, 65ème année, septembre 1988, p. 287-295.

44

ANDREWS Howard F., L'oeuvre de Paul Vidal de la Blache. Notes bibliographiques, The Canadian

Geographer (Le géographe canadien), Volume 28, 1984, n°1, p. 1-17.

45

SANGUIN André-Louis, Vidal de la Blache. Un génie de la géographie, Paris, Belin, 1993, 384 p.

46

VIDAL DE LA BLACHE Paul, Tableau de la géographie de la France, Paris, Hachette, 1903, 395 p. (rééditions, Paris, Tallandier, 1979, 403 p. et Paris, La Table Ronde, 1994, 560 p.).

ROBIC Marie-Claire (sous la direction de), Le Tableau de la géographie de la France de Paul Vidal de la Blache. Dans le labyrinthe des formes, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2000, 302 p.

47

BAUDELLE Guy, OZOUF-MARIGNIER Marie-Vic, ROBIC Marie-Claire (sous la direction de), Géographes en pratiques (1870-1945). Le terrain, le livre, la Cité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001, 390 p.

48

BERDOULAY Vincent, SOUBEYRAN Olivier, Vidal de la Blache, Paul, in LEVY Jacques, LUSSAULT Michel (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, opus cité, p. 983.

(17)

que procure dans les autres sciences humaines la discussion de l'oeuvre des grands fondateurs."

On peut distinguer trois orientations principales dans les discours tenus sur Paul Vidal de la Blache. La première tendrait à une admiration sans réserve, à le porter aux nues et à en faire "un génie de la géographie", pour reprendre le titre du livre d'André-Louis Sanguin49.

Une autre prendrait plutôt la forme d'une hostilité plus ou moins violente. Ainsi Roger Brunet se montre acerbe quand il écrit50 : "Vidal de la Blache, dont nous n'avons pas fini de payer les

dégâts (...)" et sans nuance, lorsqu'il décrète : "Vidal était réactionnaire." Après avoir dit, dans un article récent51, qu'il était pour lui une "antiréférence", il ajoute : "Je l'ai toujours trouvé

surfait, et surtout pernicieux par son idéologie et par ses effets à long terme." Ceci ne l'empêche pas d'avoir "beaucoup appris" de François Taillefer, André Meynier, Etienne Juillard, Max Derruau, André Cholley, Pierre Gourou et Jean Tricart qui n'ont pourtant jamais renié l'héritage vidalien ! Dans son dictionnaire de géographie52, Jacques Lévy adopte un ton

polémique ; après l'avoir traité de "père productif et autoritaire", il écrit ironiquement : "Grâce à Vidal et à ses successeurs, la géographie française a bien mérité de la patrie." Et, pour finir, il suggère que "nous le fassions entrer dans l'histoire au titre de ce qu'on peut nommer la

protogéographie : un composant parmi d'autres, pas forcément le plus significatif, entrant

dans la composition chimique de ce corps que nous appelons aujourd'hui géographie." Le cas d'Yves Lacoste53 est un peu différent : il a d'abord critiqué Paul Vidal de la Blache au travers

du "Tableau de la géographie de la France54", ce livre n'évoquant pas de problèmes politiques.

Puis, à la fin des années soixante-dix, découvrant "La France de l'Est55", il déclare alors que

c'est une (et sa seule) grande oeuvre, car elle aborde des questions politiques, mais que ses disciples (et notamment Emmanuel de Martonne) ont fait tout leur possible pour qu'elle soit oubliée. Finalement, Jacques Lévy et Yves Lacoste s'en prennent autant à Paul Vidal de la

49

SANGUIN André-Louis, Vidal de la Blache. Un génie de la géographie, opus cité.

50

BRUNET Roger, Les sentiers de la géographie : un peu d'air au coin du bois, L'Espace géographique, 1996, n°1, p. 23-32 (citations p. 23 et 26).

51

BRUNET Roger, Raisons et saisons de géographe, Géocarrefour, Volume 78, 2003, n° 1, p. 13-18 (citation p. 17).

52

LEVY Jacques, Vidal de la Blache, Paul, in LEVY Jacques, LUSSAULT Michel (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, opus cité, p. 984-987.

53

Parmi les publications d'Yves Lacoste :

LACOSTE Yves, Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1993, p. 680.

LACOSTE Yves, Présentation de La France de l'Est, in VIDAL DE LA BLACHE Paul, La France de l'Est (Lorraine, Alsace), Paris, La Découverte, 1994, p. V-XXXVIII.

LACOSTE Yves, De la géopolitique aux paysages. Dictionnaire de la géographie, Paris, Armand Colin, 2003, p. 406.

54

VIDAL DE LA BLACHE Paul, opus cité.

55

VIDAL DE LA BLACHE Paul, La France de l'Est (Lorraine, Alsace), Paris, Armand Colin, 1917, 280 p. (réédité, opus cité).

(18)

Blache qu'à ses élèves. Par ailleurs, chez Roger Brunet et Yves Lacoste, le rejet de Paul Vidal de la Blache s'accompagne d'une apologie et d'une réhabilitation d'un géographe oublié, Elisée Reclus ; Roger Brunet a même appelé RECLUS (Réseau d'études des changements dans les localisations et les unités spatiales) le groupement d'intérêt public de Montpellier (Maison de la géographie) "bien évidemment pour rendre hommage à un géographe éclairé et injustement marginalisé56." Il existe enfin une troisième orientation : une approche fondée sur une étude

critique du passé de la discipline. Elle anime nombre de chercheurs, notamment ceux de l'équipe E.H.GO (Epistémologie et histoire de la géographie). C'est dans cette perspective que nous nous situons.

Cela dit, le faible nombre de biographies s'explique aussi par les critiques dont ce genre a été l'objet ; même si l'ampleur de celles-ci a diminué depuis une dizaine d'années, un certain malaise continue à régner et les auteurs de biographies éprouvent le besoin de justifier leur démarche. C'est le cas d'Isabelle Laboulais-Lesage dans l'introduction de sa thèse consacrée à Coquebert de Montbret57. Même dans un simple article, Marie-Vic

Ozouf-Marignier, avant de nous décrire l'itinéraire du préfet Chabrol de Volvic58, note que "son

personnage plaide (...) pour le genre biographique."

Ce genre a été combattu par des historiens se réclamant de l'Ecole des Annales. Ces historiens rejettent l'histoire positiviste ou événementielle (les actions et décisions des "grands" hommes) pour s'intéresser à une histoire économique et sociale, une histoire des civilisations, ou encore qui porte sur la longue durée. Dans ce contexte, la rédaction d'une biographie s'avère délicate. Pourtant, Lucien Febvre a rédigé deux biographies. Certes, il commence la première59

ainsi : "Une biographie sur Luther ? Non." Et il situe la seconde, sur François Rabelais60

, dans le cadre du problème de l'incroyance au seizième siècle. Mais Marc Bloch et Fernand Braudel n'en publient aucune. L'évolution de ce dernier est d'ailleurs significative. Quand il commence sa thèse61, en 1923, c'est "sous la forme classique (...) d'une

étude consacrée à la politique méditerranéenne de Philippe II." Quand il la réalise, en 1949, le titre a changé (l'accent est mis sur le monde méditerranéen et non sur Philippe II), la première

56

BRUNET Roger, Champs et contrechamps. Raisons de géographe, Paris, Belin, 1997, p. 84.

57

LABOULAIS-LESAGE Isabelle, Lectures et pratiques de l'espace. L'itinéraire de Coquebert de Montbret, savant et grand commis d'Etat (1755-1831), Paris, Honoré Champion, 1999, p. 25-47.

58

OZOUF-MARIGNIER Marie-Vic, Administration, statistique, aménagement du territoire : l'itinéraire du préfet Chabrol de Volvic (1773-1843), Revue d'histoire moderne et contemporaine, tome 44, n°1, janvier-mars 1997, p. 19-39.

59

FEBVRE Lucien, Un destin : Martin Luther, Paris, Rieder, 1928, 316 p. (réédité).

60

FEBVRE Lucien, Le problème de l'incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, 1942, 548 p. (réédité).

61

Cf. Préface de BRAUDEL Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, Thèse, Paris, Armand Colin, 1949, 1160 p. (réédité).

(19)

partie est consacrée à l'étude du milieu, la deuxième (la plus longue) aux "destins collectifs et mouvements d'ensemble" et il faut attendre la troisième pour aborder "les événements, la politique et les hommes."

Les critiques des sociologues se sont ajoutées à celles des historiens, notamment à partir des années quatre-vingt. Daniel Madelénat parle ainsi de "genre mineur, utilitaire et sans prestige62" ; Pierre Bourdieu, sous le titre "L'illusion biographique63", fustige l'idée qui

consiste à croire qu'une vie constitue "un ensemble cohérent et orienté." Pour nombre de sociologues, la biographie ne permet d'atteindre ni la réalité ni la totalité de la vie de la personne étudiée ; de plus, cette connaissance individuelle ne permet aucune généralisation.

On a organisé des colloques réunissant historiens et sociologues (par exemple en mai 1985, à la Sorbonne64) et consacré à ce thème des numéros spéciaux de revues (comme Le

Débat65 en 1989). Si les réticences des sociologues n'ont pas été levées, certains historiens ont

défendu la biographie, notamment ceux qui s'intéressent à l'histoire politique ou qui étudient les relations internationales. C'est le cas de René Pillorget66 en 1982 et de Jean-François

Sirinelli qui note67, en 1995, dans son introduction au "Dictionnaire de la vie politique

française" : "Si un interdit implicite a longtemps touché l'approche biographique, ces temps sont heureusement révolus." Et en 1999, Guillaume Piketti écrit un article pour défendre à nouveau la biographie "comme genre historique68."

L'"interdit implicite" semble levé à partir des années quatre-vingt : nombre d'historiens rédigent des biographies (y compris ceux qui s'étaient auparavant opposés à ce genre). Ainsi Jean Favier en publie une sur Philippe IV le Bel69 dès 1978, Georges Duby sur Guillaume le

Maréchal70

(1984), Marc Ferro sur Philippe Pétain71

(1987) et, plus récemment, Jacques Le Goff sur Saint-Louis72

... Selon ces historiens, il est tout à fait possible de réaliser une biographie, tout en restant dans le cadre de "l'histoire-problème", c'est-à-dire en élaborant une

62

Dans son article de l'Encylopédia Universalis.

63

BOURDIEU Pierre, L'illusion biographique, Actes de la recherche en sciences sociales, n°62-63, juin 1986, p. 69-72.

64

Actes du colloque de la Sorbonne "Problèmes et méthodes de la biographie" (3-4 mai 1985) publiés dans

Sources. Travaux historiques, n°3-4, 1985.

65

Le Débat, n°54, mars-avril 1989.

66

Cf. PILLORGET René, La biographie comme genre historique : sa situation actuelle en France, Revue

d'histoire diplomatique, 96ème année, 1982, n°1-2, p. 5-42.

67

SIRINELLI Jean-François (sous la direction de), Dictionnaire de la vie politique française au XXème siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. VI. (réédité).

68

PIKETTI Guillaume, La biographie comme genre historique ? Etude de cas, Vingtième siècle. Revue

d'histoire, n°63, juillet-septembre 1999, p. 119-126.

69

FAVIER Jean, Philippe le Bel, Paris, Fayard, 1978, 584 p. (réédité).

70

DUBY Georges, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, Paris, Fayard, 1984, 190 p. (réédité).

71

(20)

problématique à partir de questions que l'on se pose. La nouveauté porte plus sur la forme (le récit) que sur le fond ; avant de rédiger son livre sur Guillaume le Maréchal, Georges Duby était d'ailleurs revenu à la forme du récit en racontant la bataille de Bouvines73. Il a expliqué74

que ce qui l'avait intéressé, dans son étude sur Guillaume le Maréchal, c'était "d'en savoir plus, beaucoup plus, sur le chevalier quelconque, sur le commun de la chevalerie", ajoutant : "Le vrai sujet du livre, c'est la chevalerie." Pour Guillaume Piketti75, "l'étude biographique

paraît particulièrement adaptée à l'examen et à la compréhension du combat" des résistants français ; elle "apporte une contribution utile à l'écriture de l'histoire de la résistance." Marie-Vic Ozouf-Marignier est dans la même ligne lorsqu'elle note76 : "Pris un à un, les aspects de la

vie et de l'action de Chabrol ne pourraient qu'illustrer (...) tel ou tel thème de la période qu'il traverse." Ainsi, selon plusieurs historiens, la biographie d'un individu peut permettre de mieux comprendre les groupes au sein desquels il évolue.

Lors de ces débats d'historiens, il a presque toujours été question (plus ou moins explicitement) d'hommes qui ont eu un rôle important, notamment sur le plan politique. Alain Corbin a réagi de manière caricaturale en publiant en 1998 la biographie d'un "inconnu", choisi au hasard, Louis-François Pinagot77 (1798-1876). Les quelques données qu'il recueille

sur celui-ci ne peuvent permettre de mieux appréhender la société de son temps et de sa région (le Perche) ; c'est, à l'inverse, l'étude de cette société qui donne une idée de la vie de Louis-François Pinagot.

Mais la question de la biographie se pose-t-elle dans les mêmes termes lorsque l'on étudie la vie d'un professeur, d'un universitaire, d'un homme de sciences ? Le sens du mot doit être précisé. Dans les débats que nous avons évoqués, une biographie est considérée comme un récit de vie, un "écrit ayant pour objet l'histoire d'une vie particulière78

." Mais, s'agissant d'hommes de sciences, l'étude de leur vie personnelle n'a le plus souvent pas grand intérêt. Ceux qui s'y livrent cherchent plutôt à lire (ou relire) leurs travaux, à montrer les réactions qu'ils ont pu susciter, à comprendre l'évolution de leur pensée en liaison, naturellement, avec les préoccupations de la société de l'époque. On peut appeler "biographie intellectuelle" ce type de travail qui correspond clairement à l'optique dans laquelle nous nous situons. Enfin, la

72

LE GOFF Jacques, Saint-Louis, Paris, Gallimard, 1996, 976 p.

73

DUBY Georges, Le dimanche de Bouvines : 27 juillet 1214, Paris, Gallimard, 1973, 312 p. (réédité).

74

DUBY Georges, L'histoire continue, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 193-194 (réédité).

75

PIKETTI Guillaume, La biographie comme genre historique ? Etude de cas, opus cité, p. 124 et p. 126.

76

OZOUF-MARIGNIER Marie-Vic, Administration, statistique, aménagement du territoire : l'itinéraire du préfet Chabrol de Volvic (1773-1843), opus cité.

77

CORBIN Alain, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu (1798-1876), Paris, Flammarion, 1998, 344 p.

78

(21)

contraction des mots biographie et bibliographie a forgé le terme de biobibliographie (d'origine anglo-saxonne). Notre base de départ étant constituée par les écrits d'Albert Demangeon et leurs comptes rendus, nous nous situons également dans ce cadre. Notre travail serait donc une "biobibliographie intellectuelle."

Une bibliographie n'est qu'une liste, plus ou moins organisée ; elle peut être exhaustive (ou s'efforcer de l'être) ou au contraire sélective (selon différents critères). A l'inverse, une biographie se présente sous la forme d'un récit qui ne saurait être ni neutre, ni objectif, ni exhaustif. Il procède toujours à une construction. Nous sommes en plein accord avec ce qu'écrit Nicolas Verdier dans son livre sur Alexandre Glais-Bizoin79 : "La biographie est un

choix de moments volontairement liés entre eux pour mettre en évidence les éléments d'une démonstration." Nous ajouterions que cette démonstration se déroule à différentes échelles de l'ouvrage qui la construit : sur la totalité du travail, mais aussi sur les grandes parties, les chapitres, les sous-chapitres...

La démonstration se fait d'abord en fonction du contexte historiographique. Nous avons évoqué le faible nombre de biographies de géographes. Pour caricaturer, entreprendre un travail sur Albert Demangeon, c'est être à l'opposé d'une étude actuelle sur Emile Durkheim, Marcel Mauss, Lucien Febvre ou Marc Bloch. Depuis une vingtaine d'années, la figure de ce dernier est l'objet de débats, de colloques, de commémorations, voire de controverses80 ; des établissements scolaires et universitaires ainsi que des rues portent son

nom, adopté également par une promotion de l'ENA. A l'inverse, l'attention du grand public n'est pas attirée sur Albert Demangeon : aucun établissement scolaire ne porte son nom (alors qu'il y a un "Collège Emmanuel de Martonne" à Laval), aucune localité importante n'a une "rue Albert Demangeon" (alors qu'il y a une "rue Vidal de la Blache" à Paris et une "rue Raoul Blanchard" en plein centre de Grenoble) et il n'existe même pas une plaque commémorative (alors qu'on peut en voir à Pézenas et Chabris, villes natales de Paul Vidal de la Blache et d'Emmanuel de Martonne). Quant aux débats auxquels nous avons fait allusion, limités à la communauté des géographes, ils concernent Paul Vidal de la Blache et l'ensemble de ses disciples, voire encore Emmanuel de Martonne, mais non Albert Demangeon spécifiquement.

79

VERDIER Nicolas, De l'égalité territoriale à la loi sociale. Un député obstiné. Alexandre Glais-Bizoin (1800-1877), Boulogne-Billancourt, Comité pour l'histoire de la poste, sans date, p. 11.

80

(22)

Les études sur Marc Bloch sont nombreuses ; si l'on s'en tient aux biographies, trois ont vu le jour entre 1989 et 2000 ! Carole Fink81 a réalisé la première, traduite en français

quelques années plus tard, Etienne Bloch82 la seconde (même s'il estime que la biographie de

son père est "impossible") et Olivier Dumoulin83 la troisième. De plus, certaines sources ont

été éditées : sa correspondance avec Henri Pirenne84 et surtout avec Lucien Febvre85. Ainsi, le

travail d'Olivier Dumoulin repose sur ces publications et sur l'actualité du personnage. Le plan de son livre, contrairement à celui de Carole Fink, n'a plus rien de chronologique ; c'est une réflexion thématique (les débats sur l'actualité de Marc Bloch, le regard de ses collègues historiens, ses relations complexes avec Lucien Febvre...), au second degré, en quelque sorte.

En nous penchant sur Albert Demangeon, nous nous situons dans une historiographie radicalement différente. Comme nous l'avons déjà dit, c'est la première étude approfondie sur ce géographe ; elle est donc avant tout de nature documentaire. La recherche bibliographique des oeuvres et de leurs comptes rendus s'impose en amont de notre travail. Par ailleurs, contrairement à nombre de travaux de géographes, nous faisons un large usage des sources archivistiques, notamment de sa correspondance.

Albert Demangeon est d'abord un savant. Après la recherche bibliographique, notre travail consistera à analyser ses écrits et les réactions qu'ils ont suscitées ; nous tenterons d'appréhender leur réception en examinant les regards portés par ses contemporains. Mais nous nous intéresserons aussi à sa vie posthume en analysant l'évolution de la réception de l'homme et de ses principales oeuvres jusqu'à aujourd'hui. Pour ceci, ne souhaitant pas nous limiter aux textes, nous avons sollicité le témoignage de personnes l'ayant connu. Nous essaierons également de mieux comprendre sa personnalité, ses idées et sa méthode : est-elle originale ou novatrice ? Sur quels points ? Albert Demangeon est aussi un acteur dans l'histoire de la discipline : nous nous interrogerons sur son rôle dans la promotion, la valorisation et la défense de la géographie. C'est enfin un témoin des événements de son temps : nous verrons comment il perçoit les plus importants et comment il s’y inscrit.

81

FINK Carole, Marc Bloch : a life in history, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, 366 p. (traduction FINK Carole, Marc Bloch : une vie au service de l'histoire, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1997, 314 p.).

82

BLOCH Etienne, Marc Bloch : une biographie impossible, Limoges, Culture et patrimoine en Limousin, 1997, 152 p.

83

DUMOULIN Olivier, Marc Bloch, opus cité.

84

LYON Brice and Mary, The birth of Annales history : the letters of Lucien Febvre and Marc Bloch to Henri Pirenne (1921-1935), Académie royale de Belgique, Commission royale d'histoire, Bruxelles, Palais des Académies, 1991, 182 p.

85

BLOCH Marc, FEBVRE Henri, Correspondance, Edition établie, présentée et annotée par Bertrand MÜLLER, Paris, Fayard ; tome premier (1928-1933), 1994, 550 p. ; tome second (1934-1937), 2003, 544 p. ; tome troisième (1938-1943), 2003, 356 p.

(23)

La biographie intellectuelle que nous voudrions réaliser ne cherche pas à l'isoler mais à tenter des comparaisons avec ses contemporains comme avec les hommes des autres générations. Cette dernière notion a certes été contestée par Lucien Febvre86 : "A quoi bon

maintenir la notion inutile, la notion parasite de génération ? Mieux vaut la laisser tomber, purement et simplement." Mais dans "Apologie pour l'histoire", Marc Bloch a une vue tout à fait différente87 : "La notion de génération est (...) très souple, comme tout concept qui

s'efforce d'exprimer, sans les déformer, les choses de l'homme. Mais elle répond à des réalités que nous sentons très concrètes. (...) Elle semble destinée à fournir, de plus en plus, à une analyse raisonnée des vicissitudes humaines, son premier jalonnement." Ensuite, les historiens utilisent cette notion (même s'ils la déclarent difficile à définir), notamment à partir des années quatre-vingt ; c'est le cas de Jean-François Sirinelli, dans sa thèse sur les khâgneux et normaliens88. Pierre Nora y consacre un chapitre dans "Les lieux de mémoire89". En 1989,

Michel Winock et Jean-Pierre Azéma font paraître un numéro spécial de la revue Vingtième

siècle sur cette question90 ; Michel Winock tente une "stratigraphie" des générations du

vingtième siècle91 : la génération de l'Affaire Dreyfus, la génération d'Agathon92, la génération

du feu, la génération de la crise... Ceci est intéressant pour nous car Albert Demangeon appartient à la première, celle de l'Affaire Dreyfus. Ainsi, nous utiliserons cette notion pour faire des comparaisons entre la génération d'Albert Demangeon et les précédentes comme les suivantes.

Nous nous proposons également de comparer la carrière, l'oeuvre et l'action d'Albert Demangeon avec celles de ses contemporains, et de voir comment fonctionnent ses relations avec les autres géographes. Quelle est sa place parmi eux ? Comment cette place évolue-t-elle au cours de sa vie ? Poser ce type de questions, c'est s'intéresser aux réseaux. Ce sont d'abord des réseaux professionnels qui ne se limitent pas aux géographes. Nous devons aussi nous demander quels sont les rapports d'Albert Demangeon avec les historiens, les sociologues...

86

FEBVRE Lucien, Générations, Revue de synthèse historique, juin 1929, p. 36-43 (citation p. 42).

87

BLOCH Marc, Apologie pour l'histoire ou métier d'historien, Paris, Armand Colin, 1949, 112 p. (réédité) ; citation p. 150-152, 7ème édition, Paris, Armand Colin, 1974.

88

SIRINELLI Jean-François, Génération intellectuelle. Khâgneux et normaliens dans l'entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 1988, 722 p.

89

NORA Pierre, La génération, in NORA Pierre (sous la direction de), Les lieux de mémoire. Les France, Paris, Gallimard, 1992, p. 930-971.

90

Vingtième siècle. Revue d'histoire, n°22, avril-juin 1989.

91

WINOCK Michel, Les générations intellectuelles, Vingtième siècle. Revue d'histoire, n°22, avril-juin 1989, p. 17-38.

92

Pseudonyme utilisé par Henri MASSIS et Alfred de TARDE notamment dans une enquête : AGATHON, Les jeunes gens d'aujourd'hui. Le goût de l'action. La foi patriotique. Une renaissance catholique. Le réalisme politique, Paris, Plon, 1913, 290 p. (réédition, Paris, Imprimerie nationale, 1995).

(24)

Document 2.

Les relations au sein de l'équipe de l'Année sociologique (1896-1913).

Source : BESNARD Philippe, La formation de l'équipe de l'Année sociologique, Revue

(25)

Nous tenterons d'aboutir à une représentation de ces réseaux, comme le fait Philippe Besnard qui, étudiant93 le réseau de l'équipe de la revue l'Année sociologique au moment de sa

formation (1896-1913), résume par un graphe les relations entre les personnes impliquées94.

Les réseaux ne sont pas que professionnels ; ce sont aussi, plus largement, des réseaux intellectuels. Le terme "intellectuel" se popularise en France au moment de "l'Affaire Dreyfus95", en 1898, à la suite de l'engagement de certains hommes comme Emile Zola. Il est

lié à l'idée d'engagement à tel point que Jacques Juillard et Michel Winock écrivent dans l'introduction de leur dictionnaire96 : "La notion d'engagement (...) a fini par être le critère

permettant d'attribuer au savant, à l'écrivain, à l'artiste la qualification d'intellectuel." Qu'en est-il pour Albert Demangeon ? Nous essaierons de discerner la forme et la nature de son engagement.

Albert Demangeon appartient à ce que l'on appelle couramment l'Ecole française de géographie. Ne devons-nous cependant pas nous interroger sur la pertinence et la validité de cette expression ? Les élèves de Paul Vidal de Blache sont-ils fidèles à la pensée de leur maître ? Comment l'interprètent-ils ? L'expression "Ecole française de géographie" est employée dans de nombreux livres et articles, opposée soit à la géographie d'un autre pays (comme l'Ecole allemande), soit à une autre discipline (la sociologie, par exemple). Selon le dictionnaire Robert, une école est un "groupe ou [une] suite de personnes, d'écrivains ou d'artistes qui se réclament d'un même maître ou professent les mêmes doctrines." Le dictionnaire "Les mots de la géographie" donne une définition proche97

: il s'agit de "personnes partageant un même point de vue et s'efforçant d'appliquer et d'enseigner la doctrine du ou des "maîtres d'école", c'est-à-dire de maîtres "à penser."" On remarquera qu'ici la conjonction de coordination "ou" a été remplacée par "et". Selon ces définitions, peut-on parler d'Ecole française de géographie ? Celle-ci a un fondateur et maître incontesté en la personne de Paul Vidal de la Blache. Nous pouvons écrire "incontesté" car même Camille

93

BESNARD Philippe, La formation de l'équipe de l'Année sociologique, Revue française de sociologie, tome 20, janvier-mars 1979, p. 7-31.

94

Opus cité à la note précédente, p. 22. Voir Document 2.

95

Cf. ORY Pascal, SIRINELLI Jean-François, Les Intellectuels en France, de l'Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, Paris, 1986, p. 5-8.

Cf. JUILLARD Jacques, WINOCK Michel (sous la direction de), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Seuil, 1996, p. 14.

96

JUILLARD Jacques, WINOCK Michel, Dictionnaire des intellectuels français, opus cité, p. 12.

97

BRUNET Roger, FERRAS Robert, THERY Hervé, Les mots de la géographie, dictionnaire critique, Montpellier, Reclus, Paris, Documentation française, 1992, p. 165.

(26)

Vallaux, qui a discuté certaines de ses conceptions98

, n'a pas remis en cause son rôle fondateur. Dans leur correspondance, Antoine Vacher et surtout Lucien Gallois emploient d'ailleurs fréquemment le terme de "patron" pour désigner Paul Vidal de la Blache99.

Si l'existence du "maître" ne fait aucun doute, peut-on dire que les géographes de "l'Ecole française de géographie" professent les mêmes "doctrines" ? Paul Vidal de la Blache enseigne à l'Ecole normale supérieure depuis 1877 et exerce d'abord son influence dans cette enceinte. Vincent Berdoulay et Marie-Claire Robic ont montré100 qu'il existait plusieurs

générations de géographes. La première est celle de normaliens nés vers 1840-1845, tels Ludovic Drapeyron, Pierre Foncin ou Paul Vidal de la Blache, le seul à entreprendre une carrière dans l'enseignement supérieur. La seconde correspond à des normaliens nés vers 1855 (Edouard Ardaillon, Bertrand Auerbach, Pierre Camena d'Almeida, Marcel Dubois, Paul Dupuy, Lucien Gallois...) qui profitent de la création de postes de maîtres de conférences (ce statut date de 1877) pour entrer à l'Université. La troisième correspond à des normaliens nés à partir de 1865-1870 : à côté d'Albert Demangeon, on y trouve Jean Brunhes, Camille Vallaux, Emmanuel de Martonne, Antoine Vacher, Raoul Blanchard, Jules Sion... Ils rédigent une thèse de géographie (alors que leurs prédécesseurs avaient fait une thèse d'histoire) et abandonnent la géographie de cabinet pour travailler sur le terrain. Les différences sont notables entre Paul Vidal de la Blache et les géographes des autres générations ; c'est pourquoi, dans sa thèse, Olivier Orain101 préfère parler de "post-vidaliens" et non de

"vidaliens". Il en est de même entre les géographes de générations différentes (nombreux sont ceux qui, dans la seconde, continuent à faire de la géographie historique), mais aussi entre les géographes d'une même génération !

Limitons-nous à celle d'Albert Demangeon. Les géographes sont certes unis lorsqu'il s'agit de défendre leur discipline ; nous l'avons montré dans un article à propos des excursions interuniversitaires102. Certains ont aussi l'obligation - qui est également un honneur - de

participer à des oeuvres communes comme la Géographie universelle. En province, les

98

Cf. VALLAUX Camille, Les sciences géographiques, Paris, Alcan, 1925, p. 116.

99

Cf. Bibliothèque Mazarine, Fonds Demangeon-Perpillou, Lettres reçues par Albert DEMANGEON.

100

BERDOULAY Vincent, La formation de l'Ecole française de géographie (1870-1914), Comité des travaux historiques et scientifiques, Mémoires de la section de géographie n°11, Paris, Bibliothèque nationale, 1981, p. 178 (réédition, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1995).

ROBIC Marie-Claire, La creacion de los Annales de Géographie (1891). Estrategia universitaria y geografia humana, Documents d'analisi geografica, 22, 1993, p. 47-64.

101

ORAIN Olivier, Le plain-pied du monde. Postures épistémologiques et pratiques d'écriture dans la géographie française au XXe siècle, Thèse, Paris I, 2003, 406 p.

102

WOLFF Denis, A travers les correspondances : l'envers ou l'enfer de l'excursion..., in BAUDELLE Guy, OZOUF-MARIGNIER Marie-Vic, ROBIC Marie-Claire (sous la direction de), Géographes en pratiques (1870-1945). Le terrain, le livre, la Cité, opus cité, Chapitre 22, p. 329-342.

(27)

géographes, seuls dans leur Faculté, sont tenus d'enseigner tous les domaines de la géographie, ce qui permet aux étudiants avancés de voir leurs préférences ; ainsi Maurice Brienne, étudiant en DES, explique à Albert Demangeon103 que son successeur, Antoine

Vacher, "n'aime pas assez la géographie humaine." Mais l'analyse de leurs travaux montre de fortes divergences d'intérêt.

Malgré quelques points communs (travail de terrain, utilisation de cartes), les thèses de la génération d'Albert Demangeon104 sont de nature fort différente. Albert Demangeon

constate105 lui-même que "les productions de cette école de géographie régionale, inspirées

toutes par le même souci d'observation, ne se sont pas coulées dans le même moule ; chacune d'elles reflète (...) une tendance, une orientation propre." Et si François Simiand106, dans son

article de L'Année sociologique, cherche à discréditer la géographie moderne, il peut à bon droit s'étonner de la diversité de ces études régionales, alors que leurs auteurs se réclament d'un même maître, lui dédicacent leur thèse (sauf Antoine Vacher) et disent appliquer ses idées. Et encore, François Simiand en laisse-t-il quelques-unes de côté... La variété que nous venons d'évoquer ne se limite pas aux thèses. Elle apparaît aussi quelques dizaines d'années après dans le contenu des volumes de la Géographie universelle, même si Lucien Gallois explique107, dans la préface de la collection, que les auteurs étant presque tous des élèves de

Paul Vidal de la Blache, "cette unité de doctrine assurera l'unité de l'entreprise."

Ainsi, la notion d'Ecole française de géographie est difficile à cerner. Paul Vidal de la Blache apparaît bien comme un maître-fondateur et ses élèves se montrent toujours prêts à défendre leur discipline. Mais que de divergences entre eux ! La "doctrine commune" est limitée. Aussi, certains géographes anglo-saxons, tels Anne Buttimer108

ou Geoffrey Parker109

, préfèrent l'expression "tradition vidalienne". De notre côté, nous sommes enclins à utiliser celles de "géographes modernes" et de "géographie moderne". Au tournant du siècle, cette dernière expression est en effet maintes fois employée par les élèves de Paul Vidal de la Blache qui, à l'instar du maître, prônent la recherche sur le terrain et l'utilisation de cartes,

103

Lettre de Maurice BRIENNE à Albert DEMANGEON datée du 27 février 1912 (Bibliothèque Mazarine, Fonds Demangeon-Perpillou, 1912, B16).

104

Voir Chapitre IV.

105

DEMANGEON Albert, Quelques nouveaux livres en géographie, Revue internationale de l'enseignement, 29ème année, tome 57, n°6, 15 juin 1909, p. 551-556.

106

SIMIAND François, L'Année sociologique, tome 11, 1906-1909, p. 723-732 (réédition : SIMIAND François, Méthode historique et sciences sociales, Paris, Editions des Archives contemporaines, 1987, p. 243-253).

107

GALLOIS Lucien, Avant-propos, in DEMANGEON Albert, Les Iles Britanniques, (Géographie universelle, publiée sous la direction de P. Vidal de la Blache et de L. Gallois, tome I), Paris, Armand Colin, 1927, p. V.

108

Cf. BUTTIMER Anne, Society and Milieu in the French Geographic Tradition, The Association of American Geographers, Chicago, Rand Mc Nally and Company, 1971, 226 p.

(28)

s'opposant à la géographie de cabinet pratiquée par exemple par Auguste Himly. Elle apparaît dans le titre d'articles de géographes aussi différents que Jean Brunhes, Edouard Ardaillon et Emmanuel de Martonne110. Dans son "Traité de géographie physique", ce dernier commence

par définir la "géographie moderne" et non la géographie tout court111. Il en est de même pour

Albert Demangeon qui, dans son Dictionnaire, tente de préciser ce qu'est la "géographie moderne112".

Il ne faudrait pas pour autant nier la réalité de l'école française de géographie. Certes, les sociologues nous invitent à manier la notion d'école avec prudence ; ainsi, à propos de l'Ecole de Chicago, Christian Topalov113 nous met en garde contre une description des

origines des sciences orientée par les intérêts du présent. Mais l'idée d'"Ecole française de géographie" apparaît dès le début du vingtième siècle. Ainsi des sociologues114 utilisent le mot

"école" à propos des travaux des géographes modernes et un des rapporteurs de la thèse d'Albert Demangeon115 évoque "la nouvelle école géographique" ; enfin, en 1911, le

géographe belge F. Kraentzel116 parle d'"Ecole de M. P. Vidal de la Blache" et, en 1915,

Emmanuel de Martonne117 d'"Ecole géographique française". Il ne s'agit donc pas d'une

reconstruction a posteriori. L'unité des géographes modernes pour la défense de leur discipline et leur participation à de grandes oeuvres collectives, telle la Géographie

universelle publiée par Armand Colin, sont d'ailleurs significatives de leur appartenance à un

même courant de pensée.

109

PARKER Geoffrey, Albert Demangeon, Geographers, Biobibliographical Studies, volume 11 (sous la direction de T.W. FREEMAN), Mansell Publishing Limited, London and New York, 1987, p. 13-21.

110

BRUNHES Jean, Les principes de la géographie moderne, La Quinzaine, Volume 18, 1er septembre 1897, p. 21-38, et 16 septembre 1897, p. 239-255.

ARDAILLON Edouard, Les principes de la géographie moderne, Bulletin de la Société de géographie de Lille, tome 35, 22ème année, 1er semestre 1901, p. 269-290.

MARTONNE Emmanuel de, Tendance et avenir de la géographie moderne, Revue de l'Université de Bruxelles, 1914, p. 453-479.

111

MARTONNE Emmanuel de, Traité de géographie physique, Paris, Armand Colin, 1909, p. 23.

112

DEMANGEON Albert, avec la collaboration de BLAYAC Joseph, GALLAUD Isidore, SION Jules, VACHER Antoine, Dictionnaire-manuel illustré de géographie, Paris, Armand Colin, 1907, p. 320 (cf. Chapitre VI).

113

Cf. TOPALOV Christian, Ecrire l'histoire des sociologues de Chicago, Genèse, n°51, juin 2003, p. 147-159. Cf. TOPALOV Christian, Les usages stratégiques de l'histoire des disciplines ; le cas de l'"école de Chicago" en sociologie, in HEILBRON Johan, LENOIR Rémi, SAPIRO Gisèle (sous la direction de), Pour une histoire des sciences sociales, Paris, Fayard, 2004, p. 127-157.

114

MAUSS Marcel, BEUCHAT Henri, Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos. Etude de morphologie sociale, L'Année sociologique, tome 9, 1904-1905 (paru en 1906), p. 42 et p. 43, note 1. Article réédité : MAUSS Marcel, Sociologie et anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, 1950 (réédité), p. 392 (texte et note 2).

115

Archives nationales, F/17/27435. Voir Document 20.

116

KRAENTZEL F., La géographie en France, Bulletin de la Société royale belge de géographie, 35ème année, n°4, juillet-août 1911, p. 259-300.

117

MARTONNE Emmanuel de, La science géographique, Paris, Larousse (La Science française), 1915, 30 p. (réédité en 1933).

Figure

Tableau des candidats au concours d'entrée de l'ENS   d'après le nombre de leurs candidatures de 1883 à 1900

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