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Chapitre I. Les sources : connaissance et réception d'Albert Demangeon

A) Une grande diversité

Les documents que l'on peut désigner sous l'appellation "archives" sont en fait assez variés ; de plus, tous ne sont pas déposés au même endroit.

Un premier lot est constitué par le dossier administratif personnel d'Albert Demangeon. Passons rapidement sur son livret militaire conservé aux Archives départementales de la Seine-Maritime22. Pour son dossier de fonctionnaire, il vaudrait peut-

être mieux employer le pluriel car s'il y en a un dans les archives du Ministère de l'Instruction publique, il en existe aussi un dans les archives de l'Académie de Lille et un autre dans celles de l'Académie de Paris ; cependant, comme on peut s'y attendre, il y a des pièces identiques dans ces différents dossiers. Toutes ces archives sont déposées aux Archives nationales23 sauf

celles de Lille déposées aux Archives départementales du Nord24. Dans chaque cas, on trouve

une reconstitution de carrière : diplômes obtenus (nature, date, mention...), années passées à l'Ecole normale supérieure, puis dans les lycées et enfin à l'Université. Pendant la période d'enseignement en lycée (1896-1900), on peut voir les cours effectués par Albert Demangeon, les voeux formulés en début d'année et les rapports établis par ses supérieurs hiérarchiques. On peut lire le même type de rapports quand il est à l'Université de Lille (1904-1911) ; mais, à de rares exceptions près, on ne les retrouve pas quand Albert Demangeon professe à la Sorbonne. Enfin ont été conservées des lettres écrites par Albert Demangeon à ses supérieurs pour solliciter une autorisation ou pour plaider la cause de quelqu'un.

A côté de ce dossier de fonctionnaire, d'autres archives nous apportent des renseignement intéressants. Les Archives nationales possèdent les fonds du Ministère de l'Instruction publique25, de l'Académie de Paris26 et de l'Ecole normale supérieure27 ; les

Archives départementales du Nord conservent ceux de l'Académie de Lille28.

Les archives de l'Ecole normale supérieure sont relativement nombreuses pour la période où Albert Demangeon est élève (1892-1895) : dossier de candidature, place et notes

22

Archives départementales de la Seine-Maritime, 1 R 2938, n°347.

23

Pour le dossier de fonctionnaire d'Albert DEMANGEON aux Archives nationales, voir les cotes F/17/27435, AJ/16/1037 et AJ/16/5955.

24

Pour le dossier de fonctionnaire d'Albert DEMANGEON aux Archives départementales du Nord, voir la cote 2 T 232.

25

Archives nationales, série F/17.

26

Archives nationales, série AJ/16 ; mais tous les fonds n'ayant pas été versés, il convient de consulter également les archives du Rectorat de Paris.

27

Archives nationales, série AJ/61 ; voir HUMMEL Pascale, LEJEUNE Anne, PEYCERE David, Pour une histoire de l'Ecole normale supérieure. Sources d'archives (1794-1993), Paris, Archives nationales, Presses de l'Ecole normale supérieure, 1995, 213 p.

28

obtenues au concours, rapports sur certains travaux, licence, agrégation29

... Mais elles sont quasiment inexistantes entre 1900 et 1904, époque où il est "caïman". On trouve aussi dans ce fonds les papiers Célestin Bouglé30 puisque celui-ci a également été directeur de l'Ecole de

1925 à 1940 ; on y découvre des renseignements sur le Conseil universitaire de la recherche

sociale qu'il a dirigé et sur le Centre d'études de politique étrangère auquel il a participé,

comme Albert Demangeon.

Les archives des universités permettent d'abord d'avoir la liste des mémoires de thèses31 ; pendant la période où Albert Demangeon est à Lille, une seule est soutenue en

géographie, celle de Raoul Blanchard32. A la Sorbonne, elles ne sont guère nombreuses avant

les années trente33 ; sur les trois thèses dont Albert Demangeon fait le compte rendu pendant

les années vingt, deux sont des thèses d'historiens et la troisième celle d'une géographe belge, Marguerite-Alice Lefèvre, qui doit soutenir son travail en France, l'organisation des études supérieures de géographie en Belgique ne lui permettant alors pas de le faire dans son pays.... Par ailleurs, les registres à partir de 1924 sont manquants et ceux qui existent34 ne précisent

pas le nom de celui qui a dirigé le travail ; il est donc difficile de savoir le rôle exact joué par Albert Demangeon. Le directeur de thèse a d'ailleurs à cette époque une importance bien moindre qu'actuellement. Il suffit pour s'en convaincre de relire les mémoires de Raoul Blanchard35 ; et Pierre Gourou, vivant certes en Indochine, nous a expliqué qu'avant la fin de

sa thèse, il avait eu fort peu de contacts avec son directeur, Albert Demangeon36 : "On

s'écrivait une fois par an. Au Jour de l'An, je lui écrivais en lui disant que je travaillais, que cela avançait et il me répondait : "D'accord, très bien, continuez !" Voilà, c'est tout. Cela n'allait pas plus loin."

29

Pour les programmes et pour les résultats de l'agrégation, consulter le Bulletin administratif de l'Instruction

publique ; pour les sujets posés à l'agrégation consulter la Revue universitaire, et, pour l'agrégation d'histoire et

géographie, les Annales de géographie.

30

Archives nationales, AJ/61/95-104.

31

Le Bulletin administratif de l'Instruction publique publie également la liste des thèses soutenues dans les universités françaises. Pour connaître les auteurs et les titres des thèses de géographie, consulter :

- BROC Numa, Homo geographicus. Radioscopie des géographes français de l'entre-deux-guerres (1918-1939), Annexe I, Annales de géographie, tome 102, n°571, mai-juin 1993, p. 250-251.

- JOSEPH Bernadette, Liste des thèses soutenues de 1872 à 1970, Intergéo-Bulletin, 31ème année, n°125, 1er trimestre 1997, p. 87-90 (liste mise à jour, avec la collaboration de Anne-Marie BRIEND, sur le site Internet cybergeo.presse.fr).

32

BLANCHARD Raoul, La Flandre. Etude géographique de la plaine flamande en France, Belgique et Hollande, Thèse, Paris, Armand Colin, 1906, 530 p.

33

Voir Annexe 4.

34

Archives nationales, AJ/16/4761-4764.

35

BLANCHARD Raoul, Je découvre l'Université. Douai, Lille, Grenoble, Paris, Fayard, 1963, 217 p. Son directeur de thèse est Edouard Ardaillon.

36

Entretien téléphonique de l'auteur avec Pierre GOUROU le 31 octobre 1994. GOUROU Pierre, Les paysans du delta tonkinois. Etude de géographie humaine, Thèse, Paris, Editions d'art et d'histoire, 1936, 666 p.

Les rapports de thèses ont également été conservés dans les archives du Ministère de l'Instruction publique. Mais nous nous sommes contenté de consulter celui de la thèse d'Albert Demangeon37. Enfin, les Annales de géographie publient un compte rendu des thèses de

géographie jugées particulièrement intéressantes.

Les archives des universités conservent aussi la liste des mémoires de DES38. On peut

ainsi suivre les travaux dirigés par Albert Demangeon. C'est relativement simple à Lille, dans la mesure où il est, dans cette Université, seul à enseigner la géographie et où les mémoires DES ne sont pas très nombreux : entre 1905 et 1913, il n'y en a que sept en géographie et onze en histoire. C'est ensuite, à la Sorbonne, plus compliqué, non pas tellement à cause du nombre de mémoires (cinq à sept par an, en géographie, avant 1914, une quinzaine dans les années trente), mais parce que plusieurs enseignants se partagent le travail. Sans doute, Augustin Bernard puis Marcel Larnaude dirigent-ils les mémoires de géographie coloniale, Emmanuel de Martonne ceux de géographie physique et Albert Demangeon ceux de géographie humaine ; mais quelle est la part de Lucien Gallois puis d'André Cholley ? Qui dirige les mémoires de géographie régionale alors nombreux ?

Enfin ces archives nous renseignent sur les délibérations des différents conseils. Nous avons consulté aux Archives départementales du Nord les procès-verbaux des réunions du Conseil de la Faculté des Lettres de Lille39 ainsi que ceux des réunions de l'Assemblée de la

Faculté des Lettres de l'Université de Lille40 ; il faut y ajouter, dans le fonds du Rectorat de

Lille, les dossiers des affaires soumises au Conseil de l'Université41 ainsi que des

correspondances diverses sur les professeurs, les étudiants et les examens42. Ces archives

lilloises gardent quelques lettres d'Albert Demangeon et certains documents permettent de mieux connaître ses activités. Nous avons également consulté aux Archives nationales les registres des actes et délibérations de la Faculté des lettres de Paris43 : Albert Demangeon ne

participe aux délibérations du Conseil de la Faculté des lettres qu'à partir de 1921 quand il devient professeur sans chaire44 (il n'est professeur à part entière qu'en 1925) ; mais, même

37

Archives nationales, F/17/4221.

38

Aux Archives départementales du Nord, W 165074 ; aux Archives nationales, AJ/16/4956. Les Annales de

géographie publient aussi - mais pas tous les ans - la liste des mémoires de DES de géographie soutenus dans les

universités françaises.

39

Archives départementales du Nord, W 146171.

40

Archives départementales du Nord, W 146173.

41

Archives départementales du Nord, 2 T 645-651.

42

Archives départementales du Nord, 2 T 925-932.

43

Archives nationales, AJ/16/4748-4758. Les registres des années 1919, 1920 et 1921 sont manquants.

44

Titre conféré, sur présentation du Conseil de la Faculté, à des maîtres de conférences qui participent aux délibérations du Conseil de la Faculté et sont assimilés aux professeurs titulaires, sauf en ce qui concerne les

ensuite, ses interventions sont rares. En revanche, la consultation de ces registres nous permet de comprendre maints aspects de la vie universitaire à la Sorbonne.

Nous passerons rapidement sur les archives du Rectorat de Paris : elles conservent les papiers du Conseil universitaire de la recherche sociale, dirigé par Célestin Bouglé et financé par la fondation Rockefeller (cf. les travaux de Brigitte Mazon45). Albert Demangeon y

participe dans les années trente ; c'est là qu'il trouve un financement pour mener et diriger ses enquêtes sur les maisons rurales, les structures agraires et les étrangers dans l'agriculture.

Signalons par ailleurs l'intérêt des papiers de contemporains d'Albert Demangeon, comme ceux d'un de ses élèves, Georges Mauco : ses archives renferment quelques lettres d'Albert Demangeon46. On peut y ajouter les papiers Paul Dupuy47 (Surveillant général à

l'Ecole normale supérieure de 1885 à 1925) parmi lesquels nous avons trouvé plusieurs courriers intéressants, ceux du beau-frère d'Albert Demangeon, Henri Wallon48, recelant

notamment des lettres de Jules Sion auquel il était très lié, ainsi que les papiers Lucien Febvre49 : les cartons de correspondance reçue contiennent certaines lettres intéressantes,

notamment de la part de Jules Sion (il n'y a aucune lettre d'Albert Demangeon). Signalons enfin les papiers Jean Gottmann conservés (et récemment répertoriés) au département des Cartes et plans de la Bibliothèque nationale ; le centre E.H.GO en détient également quelques- uns.

Pour saisir les rapports d'Albert Demangeon avec ses contemporains, il faut consulter le fonds Demangeon-Perpillou de la Bibliothèque Mazarine à Paris. Il est constitué de livres, d'extraits d'articles, de notes manuscrites et de six boîtes50 : cinq renferment les lettres reçues

par Albert Demangeon jusqu'en 1917 et la sixième des documents relatifs à la vie et l'activité scientifique d'Albert Demangeon (documents officiels, faire-part de décès, notices nécrologiques, comptes rendus de ses principaux livres). Bien que ce fonds soit incomplet (nous n'avons aucune information sur les lettres reçues après 1917) et seulement partiellement

présentations aux chaires (cf. GUIGUE Albert, La Faculté des Lettres de l'Université de Paris depuis sa fondation (17 mars 1808) jusqu'au 1er janvier 1935, Paris, Librairie Felix Alcan, 1935, p. 32).

45

MAZON Brigitte, La création du Centre de documentation sociale, Etudes durkheimiennes, n°9, novembre 1983, p. 15-20.

MAZON Brigitte, La Fondation Rockefeller et les sciences sociales en France, 1925-1940, Revue française de

sociologie, tome 26, n°2, avril-juin 1985, p. 311-342.

MAZON Brigitte, Aux origines de l'Ecole des Hautes études en sciences sociales. Le rôle de mécénat américain (1920-1960), Paris, Editions du Cerf, 1988, 192 p.

46

Archives nationales, Papiers Georges MAUCO, AP/577.

47

Archives nationales, Ecole normale supérieure, Papiers Paul DUPUY, AJ/61/110-115.

48

Archives nationales, Papiers Henri WALLON, AP/360.

49

Archives nationales, Papiers Lucien FEBVRE, AP/591.

50

La consultation des oeuvres imprimées du fonds est libre, mais soumise à autorisation pour les archives (renseignements à la Bibliothèque Mazarine).

inventorié, il n'en est pas moins passionnant. Nous n'avons pas pu consulter les notes manuscrites, mais nous avons eu accès au contenu des six boîtes. Le nombre de lettres reçues par Albert Demangeon est impressionnant (mille huit cent cinquante-quatre en quatorze ans), même s'il n'y en a qu'une minorité qui présente de l'intérêt. On constate que ce nombre diminue à partir de 1912, ce qui s'explique par l'arrivée d'Albert Demangeon à la Sorbonne à la fin de l'année 1911 : il peut alors voir directement les Parisiens dont les courriers deviennent beaucoup plus rares. On se prend à le regretter... Cette correspondance provient des supérieurs hiérarchiques (Georges Lyon), des maîtres (à commencer par Paul Vidal de la Blache), des collègues (Raoul Blanchard, Lucien Gallois, Emmanuel de Martonne, Jules Sion, Antoine Vacher...), des élèves (Léon Boutry, Maurice Brienne, Edmond Descubes, Gaston Gravier...), de son éditeur (Henri Bourrelier, Max Leclerc), de Louis Raveneau pour la

Bibliographie géographique annuelle... Il y a ensuite des auteurs "inclassables", tel Jacques

Levainville, à la fois élève (mais plus âgé que le maître), collègue et ami ; enfin, entre 1914 et 1917, de très nombreuses lettres de gens au front ou à l'arrière dont beaucoup, comme nous le verrons, seront fauchés par la guerre.

La correspondance privée d'Albert Demangeon, à laquelle nous avons pu avoir accès, ne manque pas d'intérêt. Nous trouvons d'abord les lettres de et à sa mère jusqu'à son décès en 1921 (cette correspondance se faisant toute l'année au rythme de deux lettres par semaine) puis celles qu'il écrit à sa femme, Louise Demangeon-Wallon, et celles qu'il reçoit de sa part. La correspondance entre époux n'existe que pendant les périodes de séparation (voyages, mois d'été où Albert Demangeon travaille chez lui alors que les siens sont ailleurs) ; elle se fait au rythme d'une lettre par jour et dure jusqu'en 1940. Le caractère familial de ses lettres explique qu'on y parle plus du temps ou des problèmes de "bonnes" que de géographie ; néanmoins, on y trouve des indications exploitables sur le travail et sur les voyages réalisés par Albert Demangeon.