• Aucun résultat trouvé

Les pouvoirs de contrainte utilisés dans le cadre de l'exercice de fonctions administratives

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les pouvoirs de contrainte utilisés dans le cadre de l'exercice de fonctions administratives"

Copied!
161
0
0

Texte intégral

(1)

Les pouvoirs de contrainte utilisés dans le cadre de

l'exercice de fonctions administratives

Mémoire

Marc-Alexandre Croteau-Thomassin

Maîtrise en droit

Maître en droit (LL.M.)

Québec, Canada

© Marc-Alexandre Croteau-Thomassin, 2017

(2)

Les pouvoirs de contrainte utilisés dans le cadre de

l'exercice de fonctions administratives

Mémoire

Marc-Alexandre Croteau-Thomassin

Sous la direction de :

(3)

iii

RÉSUMÉ

Au Québec, le 20e siècle a été le théâtre d’une forte expansion de la taille de l’État. L’une

des conséquences de cette expansion est la multiplication des domaines faisant désormais l’objet d’une vigie par un acteur de ’Administration et, conséquemment, l’augmentation de la responsabilité de l’État dans les domaines qu’il investit.

Afin d’évaluer la suffisance des pouvoirs de contrainte dont est dotée l’Administration québécoise pour prendre en charge cette responsabilité, l’auteur a procédé à une méta-analyse de 216 habilitations contenues dans un échantillonnage de quatre-vingt lois québécoises. À cette occasion, chacun des pouvoirs de contrainte et accessoires à la contrainte a été étudié sous les angles suivants :

1. Fréquence et historique; 2. Objectif, nature et portée;

3. Libellés des dispositions mettant en place le pouvoir ou l’accessoire; 4. Formes usuelles (titulaires et modalités).

Cela a permis de dresser un portrait de la diversité et des particularités de ces pouvoirs de contrainte et accessoires à la contrainte. L’auteur en vient à la conclusion qu’il existe une série de pouvoirs de contrainte et d’accessoires à la contrainte qui constitue un « noyau dur » commun à une grande partie de ces habilitations. Leur mise en place successive par différents légistes répartis dans un ou l’autre des ministères et organismes de l’État québécois semble avoir permis l’émergence d’innovations méconnues, mais aussi de diverses incohérences, omissions et redondances qui sont sources d’incertitude juridique. Il conclut qu’il serait préférable d’uniformiser ce noyau dur par son intégration au sein d’une seule loi à laquelle réfèreraient les lois particulières. La Loi sur les commissions

d’enquête (RLRQ, chapitre C-37) ayant déjà un rôle analogue au sein de la législation en

place, cette uniformisation pourrait prendre la forme d’une révision et d’une mise à jour de cette loi restée presque inchangée depuis 1895.

(4)

iv

TABLE DES MATIÈRES

Résumé ... iii

Table des matières ... iv

Liste des figures ... vii

Liste des tableaux ... viii

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

Méthodologie ... 8

 Méthode d’échantillonnage ... 8

 Méthode de recensement des pouvoirs parmi l’échantillon... 10

 Méthode d’analyse ... 11

Présentation des résultats ... 13

Partie I : La collecte de l’information ... 14

Section 1 : Collecte de l’information détenue par les administrés et les tiers ... 15

1.1 - Obtenir les documents et renseignements ... 15

1.1.1 Les pouvoirs de demander des documents et des renseignements .. 15

1.1.2 Les subpoenas duces tecum (assignations à produire) ... 24

1.1.3 Les demandes péremptoires ... 30

1.1.4 La collecte extraterritoriale d’information... 33

1.2 - Obtenir la déclaration d’un individu ... 35

1.2.1 Le pouvoir d’interroger ... 35

1.2.2 Le pouvoir d’exiger une déclaration écrite ... 39

1.2.3 Les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure ... 40

Section 2 : Analyse de l’information et constatation directement par l’acteur chargé de la collecte... 43

2.1 - Pouvoirs d’analyse et d’examen ... 43

2.1.1 Le pouvoir d’exiger ou de prélever des échantillons ... 43

2.1.2 Le pouvoir d’installer un appareil de mesure ... 46

2.1.3 Le pouvoir de photographier/enregistrer ... 48

2.1.4 Le pouvoir d’examiner des biens ou des documents... 49

2.1.5 Le pouvoir d’exiger un examen médical ... 51

2.2 - Pouvoirs de pénétrer dans un lieu, d’inspecter et de perquisitionner ... 52

2.2.1 Le pouvoir de pénétrer dans un lieu et le pouvoir de perquisition ... 52

(5)

v

2.2.3 Le pouvoir d’utiliser un ordinateur ... 61

Partie II : L’élimination des entraves et l’application de la loi par l’acteur de l’Administration à l’occasion de la collecte d’informations ... 65

Section 1 : Dispositions facilitant l’accès à l’information ... 66

1.1 - Immunités de l’acteur de l’Administration chargé de la collecte ... 66

1.1.1 Les clauses privatives ... 66

1.1.2 Les immunités de poursuite ... 73

1.1.3 Les immunités de contrainte ... 81

1.2 - Auxiliaires facilitant la collecte de l’information ... 85

1.2.1 L’exclusion du secret professionnel et de la confidentialité ... 85

1.2.2 L’obligation de dénoncer et les immunités des dénonciateurs ou des personnes fournissant de l’information ... 88

1.2.3 Le pouvoir de faire des copies (et équivalence des copies) ... 91

1.2.4 L’obligation d’assistance ... 93

1.2.5 Pouvoir d’assigner par télécopieur ou par procédé électronique ... 94

1.2.6 Possibilité de récupérer les frais de l’inspection ou de l’enquête ... 95

Section 2 : Dispositions permettant d’assurer l’application de la loi à l’occasion de la collecte ... 98

2.1 - Mesures conservatoires ... 98

2.1.1 Le pouvoir d’ordonner l’arrêt des activités ou de limiter l’utilisation d’un bien ... 98

2.1.2 Le pouvoir de rechercher et d’amener ... 103

2.1.3 Le pouvoir d’interdire de communiquer ... 104

2.1.4 La suspension de la prescription ... 106

2.2 - Mesures réparatrices ... 107

2.2.1 Le pouvoir d’ordonner la cessation d’une contravention ou la prise de mesures correctrices ... 108

2.2.2 Le pouvoir d’effectuer des travaux ou la remise en état ... 112

2.2.3 Le pouvoir d’obtenir l’exécution forcée d’un pouvoir de contrainte par les tribunaux ... 113

2.3 - Sanctions ... 115

2.3.1 L’interdiction d’entraver ... 115

2.3.2 Loi sur les commissions d’enquête ... 122

Conclusion ... 127

Bibliographie ... 138

Monographie ... 138

Articles de périodiques ... 138

(6)

vi Feuillets ... 139 Table de jurisprudence ... 140 Jurisprudence canadienne ... 140 Jurisprudence étrangère ... 144 Table de législation ... 145 Loi constitutionnelle ... 145

Lois refondues du Québec ... 145

Lois annuelles du Québec ... 147

(7)

vii

LISTE DES FIGURES

FIGURE I : Évolution des dépenses de l’État québécois ... 1 FIGURE II: Comparaison des dates d'adoption de certains pouvoirs, par décennie ... 55 FIGURE III: Comparaison de l'augmentation relative (en pourcentage) des occurrences de certains pouvoirs, par décennie ... 55 FIGURE IV : Comparaison des dates d'adoption de certains pouvoirs et de l’interdiction d’entraver, par décennie ... 117

(8)

viii

LISTE DES TABLEAUX

TABLEAU I : Pouvoirs d’exiger des documents et renseignements mis en place, par décennie ... 18 TABLEAU II : Libellés types les plus utilisés pour la mise en place de pouvoirs d’exiger des documents et des renseignements ... 19 TABLEAU III : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le pouvoir d’exiger des documents et renseignements, en fonction du libellé ... 20 TABLEAU IV : Chevauchement du pouvoir d’exiger des documents et renseignements et de celui d’émettre des subpoenas duces tecum ... 25 TABLEAU V : Pouvoirs de la LCE mis en place, par décennie ... 26 TABLEAU VI : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant les pouvoirs de la LCE, en fonction du libellé ... 27 TABLEAU VII :Typologie des habilitations à interroger ... 35 TABLEAU VIII : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le pouvoir d’interroger, en fonction du libellé ... 36 TABLEAU IX : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant les pouvoirs de photographier et d’enregistrer, en fonction du libellé ... 49 TABLEAU X : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le pouvoir d’examiner des documents, en fonction du libellé ... 51 TABLEAU XI : Pouvoirs de pénétrer dans un lieu mis en place, par décennie ... 54 TABLEAU XII : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le pouvoir de pénétrer dans un lieu, en fonction du libellé ... 56 TABLEAU XIII : Habilitations jouissant d’une clause privative, en fonction de leur source ... 68 TABLEAU XIV : Statistiques relatives à l’année d’adoption des clauses privatives, en fonction de leur source ... 68 TABLEAU XV : Habilitations jouissant d’une clause privative en vertu d’une loi particulière, en fonction des recours visés ... 70 TABLEAU XVI : Habilitations jouissant d’une immunité de poursuite, en fonction de la source de l’immunité ... 74 TABLEAU XVII : Interdictions d’entraver mises en place, par décennie ... 116

(9)

ix

REMERCIEMENTS

Débuté il y a maintenant cinq ans, ce projet de recherche a bénéficié de l’aide et du concours qui m’ont été apportés par plusieurs personnes et qui lui ont permis d’aboutir. Au premier titre, je tiens à remercier Me Pierre Lemieux pour son support, sa confiance et,

surtout, ses conseils justes et empreints d’ouverture d’esprit. L’issue de ce projet a longtemps paru incertaine et je suis grandement reconnaissant pour la patience et la compréhension dont il a fait preuve.

Je tiens aussi à remercier la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon pour son appui et pour l’intérêt manifesté pour le sujet de mon mémoire. La curiosité exprimée par autrui fut d’ailleurs l’un des moteurs importants ayant permis de mener à bien ce projet. Enfin, je tiens évidemment à remercier chaleureusement mes proches, famille et amis, pour leurs encouragements et leur intérêt qui permettent de continuer même quand nos repères sont perdus de vue.

(10)

1

INTRODUCTION

Au Québec, le 20e siècle a été le théâtre d’une forte expansion de la taille de l’État. On

constate une tendance lourde entre 1943 et 1960 alors que les dépenses per capita de l’État québécois ont plus que doublé. Le taux d’augmentation est similaire en ce qui concerne les dépenses en pourcentage du revenu personnel ou en pourcentage du PNB, tel qu’il appert de données distribuées par l’École nationale d’administration publique :

FIGURE I : Évolution des dépenses de l’État québécois

Outre l’aspect monétaire, cette même tendance à l’intervention de l’État dans une multitude de sphères se révèle aussi par des indicateurs qualitatifs. On constate ainsi que le nombre de ministères a plus que doublé entre 1896 et 19591.

1 JAMES IAIN GOW, L'État et l'administration publique au Québec en 1960, L'État et l'Administration publique dans la construction de la modernité du Québec, Département de science politique, Université de Montréal, Québec, L'Observatoire de l’administration publique‐ENAP, 1994.

(11)

2

L’Observatoire de l’administration publique concluait encore à l’hiver 2010 :

L’évolution de l’organisation politico-administrative du Québec a été marquée par deux tendances majeures depuis 1960 :

- la multiplication et la diversification des structures administratives concomitantes de la montée en puissance de l’État québécois en tant que principal véhicule du développement et de la protection de l’identité de la société québécoise. La santé, les services sociaux, l’éducation et le développement économique sont les principaux domaines qui ont connu un investissement massif, pouvant aller jusqu’à la nationalisation, de la part du gouvernement du Québec.2

Au fur et à mesure que le législateur québécois intervient afin d’édicter les normes vouées à règlementer une grande diversité de domaines, il crée généralement l’appareillage administratif qui sera chargé d’assurer le respect de ces nouvelles normes3. Ces acteurs

de l’Administration, exerçant des fonctions prévues dans une loi québécoise et qui, dans l’exécution de ces fonctions, doivent identifier, documenter et chercher la sanction des contraventions à la loi dont ils sont chargés de l’application, correspondent parfois directement à un ministère, mais prennent aussi la forme de commissariat, de régie, de société, de bureau, de commission, etc.

L’arrivée d’un tel acteur étatique crée certaines attentes de résultats quant au respect de la loi dont il est chargé de l’application4. Une approche plus classique en matière de

responsabilité tendait cependant à laisser une grande marge de manœuvre aux acteurs de l’Administration :

These distinctions, and others like them, represent the judicial belief that it would be inappropriate to hold all government activities to the standards of private negligence law. Several reasons can be advanced for this. One concerns the respective roles of the courts and of the executive branch of government. Those who make political decisions should be held accountable in the court of public opinion, not a court of law. Further, it is inappropriate for the courts to second-guess the merits of governmental decision-making – the courts should restrict themselves to evaluating the legality of official decision-making and refrain from judging the merits of political decisions, the difficult balancing of interests or the allocation of scarce resources (which judges may not be well-equipped to evaluate). If all governmental activity

2 L’OBSERVATOIRE DE LADMINISTRATION PUBLIQUE, Synthèse sur l’organisation politicoadministrative, Québec, L'Observatoire de l’administration publique‐ENAP, 2010.

3 PIERRE ISSALYS, «La régulation par un organisme administratif autonome comme modèle de contrôle et de participation», (1983) 24 C.deD. 831, 839. Voir aussi : Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228, 1239.

4 DAVID PHILLIP JONES et ANNE S. DE VILLARS, Principles of Administrative Law, 6e éd., Toronto, Carswell, 2014, p. 736-737.

(12)

3

and decision-making were amenable to suits in negligence, the floodgates of litigation might be opened, public officers might be intimidated by the possibility of suit and deterred from forthright discharge of their duties, and public administration would be susceptible to retrial in the courts of law.5

L’évolution des règles applicables à la responsabilité de l’État au cours des dernières décennies a cependant grandement élargi le spectre des situations permettant de rechercher une condamnation à l’encontre d’un acteur de l’Administration, bien que cette tendance ait ralenti au courant des dernières années6.

Cet élargissement s’est construit autour de la distinction entre la sphère opérationnelle et la sphère politique de l’action gouvernementale, laquelle a été proposée par la Chambre des Lords dans l’affaire Anns7. Cette distinction est décrite ainsi par les auteurs Jones et

De Villars :

The term “policy” is used in the distinction to describe certain kinds of discretionary decisions which would not be suitable subjects for judicial re-evaluation. It refers to high-level discretionary decisions dependant on considerations of social, economic or political factors beyond the knowledge or expertise of the courts. In contrast, the term “operational” is used to describe the process of implementation. It refers to a host of lower-level governmental decisions of actions associated with the practical execution of a policy decision.8

L’utilisation de cette distinction a fait l’objet de plusieurs critiques et a été par la suite rejetée tant au Royaume-Uni qu’en Australie9. Cependant, les tribunaux canadiens ont

largement adopté et appliqué cette distinction. Cela a donné lieu à des résultats souvent imprévisibles10 et contribuant à élargir le domaine de la responsabilité de l’État11, allant

jusqu’à rendre le gros de l’action gouvernementale sujet à une réclamation en dommages

5 Id., p. 739. 6 Id., p. 740.

7 Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728.

8 D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 742. Voir aussi : PIERRE LEMIEUX, Droit

administratif: Doctrine et jurisprudence, 6e éd., Sherbrooke, Les Éditions Revue de Droit de l'Université de Sherbrooke, 2014, p. 937-938.

9 D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 743. 10 Id., p. 745.

11 Id., p. 756; PATRICE GARANT, Droit administratif, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 909.

(13)

4

aux termes de l’arrêt Just12. À terme, un recours en dommages permet dorénavant de

rechercher la responsabilité de l’État tant pour ses actions que pour son inaction13.

Au Québec, il est cependant à noter que cette tendance s’est inscrite dans le cadre particulier du régime civiliste qui lui est propre. Ainsi, la distinction entre ce qui relève de la politique et ce qui relève de l’exécution ne devenait pertinente que dans la mesure où le régime applicable était la common law14.

Dans un premier temps, en 1989, la juge L’Heureux-Dubé de la Cour suprême du Canada en vient à la conclusion qu’en matière de responsabilité d’un acteur de l’Administration, le droit civil s’applique « dans la mesure où le droit public ne l’a pas écarté »15. Ainsi, dans

une certaine mesure, l’application du droit civil québécois dépendait de la place qui lui était laissée par le droit public.

La situation change cependant en 1994 avec l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, lequel prévoit désormais à l’article 1376 que les règles du Livre des Obligations « s’appliquent à l’État, ainsi qu’à ses organismes et à toute autre personne morale de droit public, sous réserve des autres règles de droit qui leur sont applicables. » Amenés à évaluer l’impact de cet ajout dans l’arrêt Prud’homme c. Prud’homme, les juges L’Heureux-Dubé et Lebel confirment que désormais le droit civil s’applique à l’Administration publique en règle générale, jusqu’à ce que la démonstration ne soit faite qu’une règle de droit public trouve application et écarte le droit civil16. En d’autres termes,

l’application du droit civil québécois n’a plus à être « autorisée » par le droit public. Dans l’arrêt Sibeca, la juge Deschamps explique la mécanique désormais applicable :

[18] […] Lorsqu’une règle de droit public est identifiée et qu’elle est jugée applicable, elle doit être intégrée dans le droit de la responsabilité civile. Il importe donc de préciser les règles de droit public applicables aux municipalités, de vérifier si elles priment les règles du droit civil et, s’il y a lieu, de les intégrer à ce droit. [19] En l’occurrence, le Code civil du Québec ne précise pas de norme particulière pour établir la responsabilité d’un corps public pour les actes accomplis dans un

12 Just c. Colombie-Britannique, préc., note 3. Voir : D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 747.

13 P. GARANT, préc., note 11, p. 884. 14 P. LEMIEUX, préc., note 8, p. 937.

15 Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, 788-789.

16Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 31. Voir aussi : P. LEMIEUX, préc., note 8, p. 926, 938.

(14)

5

contexte de politique générale. En droit public, par contre, les corps publics bénéficient de l’immunité pour les actes accomplis dans l’exercice de leur pouvoir législatif ou réglementaire.17

Ainsi, au Québec, l’augmentation du nombre de situations pouvant engager la responsabilité de l’Administration s’est opérée sur deux fronts : (1) l’évolution de la

common law de droit public à la suite de l’arrêt Anns et (2) la diminution progressive du

champ d’application des immunités de common law en droit civil québécois. Comme le font remarquer les auteurs Jones et De Villars :

In Canada, the courts have accepted the broad and flexible approach of the Anns formulation to the duty issue, although the reformulation of this approach in Cooper has signalled a more restrained approach to the negligence liability of government in novel circumstances. Nevertheless, Canadian courts have extended the reach of negligence liability to governmental activities which have no private analogue.18

Arrivant à un constat similaire, l’auteur Garant fait une mise en garde : « [le] risque d’une telle doctrine est de transformer l’autorité publique en assureur du risque socio-économique » 19.

Malgré les critiques qu’on puisse formuler à l’encontre de l’expansion du droit de la responsabilité de l’État, ce mémoire ne vise pas à étudier le bien-fondé de la thèse juridique fondant un recours contre l’acteur administratif chargé du contrôle. Ce contexte juridique est pris pour acquis et on se questionnera plutôt sur les causes des échecs des acteurs de l’Administration dans leur mission de voir au respect de la loi.

Une panoplie de raisons peut être avancée. Pour le juriste, le reproche adressé aux acteurs de l’Administration, fondé ou pas, soulève la question de la suffisance des outils juridiques qui leur sont octroyés par le législateur. Autrement formulé, l’acteur de l’Administration a-t-il des pouvoirs de contrainte suffisants lui permettant de détecter et de limiter les infractions à la loi dont il est chargé de l’application?

Cette question est fondamentale dans la mesure où, dans un état de droit, l’absence d’habilitation suffisante rendra bien souvent factice la capacité de contrôle de

17 Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), [2004] 3 R.C.S. 304, par. 18-19. 18 D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 785.

19 PATRICE GARANT, «La responsabilité civile de la puissance publique: du clair obscur au nébuleux», (1991) 32 C.deD. 745, p. 759; P. GARANT, préc., note 11, p. 910; D.P. JONES et A.S. DE

(15)

6

l’Administration : l’Administration n’a que les pouvoirs que lui donne la loi et les tribunaux sanctionneront les actions fondées sur une interprétation trop extensive des habilitations prévues par la loi20.

En pratique, l’objectif de vérifier et d’assurer la suffisance des pouvoirs de contrainte en place requiert une perspective globale. L’étude d’une seule loi, prise isolément, fournira difficilement toute l’information nécessaire. Au contraire, la mise en comparaison des lois les unes par rapport aux autres permet d’identifier leurs particularités, de mettre en relief les omissions des unes et les redondances des autres. Ainsi, la vérification de la suffisance des pouvoirs de contrainte nécessite de faire un état des lieux du corpus législatif québécois et de recenser les pouvoirs de contrainte qu’on y trouve. Or, un tel exercice ne semble pas avoir déjà été effectué ou, du moins, n’a pu être répertorié dans la doctrine consultée.

L’intérêt d’une telle démarche se démontre dans la pratique, puisqu’elle permet de créer un répertoire des outils qui s’offrent au légiste chargé de mettre en place ou de réformer les habilitations contenues à une loi. Le risque d’omission lors de la rédaction est limité par la création d’un inventaire des outils disponibles. De même, la confrontation avec les exemples déjà contenus dans la législation québécoise permet d’éviter à chaque légiste de mettre en place un nouveau libellé qui pourra être distingué, ou non, de la jurisprudence déjà en place; une telle incertitude juridique étant de nature à miner la liberté d’action de l’Administration.

Enfin, d’un point de vue tant pratique qu’académique, la constitution d’un répertoire des habilitations et de leur libellé permet de mieux cibler la portée de chaque pouvoir et, ce faisant, d’en assurer une interprétation plus cohérente. Une meilleure compréhension de ce que comprend un pouvoir donné permettra de limiter tant des répétitions que des omissions parfois cruciales.

Il s’agit donc là de l’objectif poursuivi par le travail de recherche exposé dans les pages qui suivent. Il consiste à étudier les pouvoirs de contrainte qui sont mis en place par la

20 HENRI BRUN, GUY TREMBLAY et EUGÉNIE BROUILLET, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 731-732; D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 161-162, 734; P. LEMIEUX, préc., note 8, p. 676; PIERRE ISSALYS et DENIS LEMIEUX, L'action gouvernementale:

Précis de droit des institutions administratives, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 56-57.

(16)

7

législation québécoise afin d’en identifier leurs différentes formes, leurs forces, leurs faiblesses et leurs incohérences. Au centre de cet exercice se trouve l’objectif de répondre à la question suivante : À la lumière des tendances législatives passées ainsi que de la réception actuelle par les tribunaux des pouvoirs de contrainte existants, quel type d’habilitations à la contrainte doit être préconisé et est-il préférable de les uniformiser? Parmi les mécanismes mis en place par le législateur afin d’assurer l’application des lois, la doctrine et la jurisprudence réfèrent généralement aux concepts d’inspection ou d’enquête administrative. Ces concepts ne sont pas toujours étanches et, dans bien des situations, ils semblent viser une fin commune. Les habilitations qui les sous-tendent ont généralement un tronc commun qui, malgré une multitude de variantes, se répète d’une loi à l’autre sous un titre ou un autre. À ce propos, le professeur Issalys écrit :

Les pouvoirs d’inspection et d’enquête conférés aux organismes de régulation ne leur sont pas entièrement spécifiques : un grand nombre d’autorités administratives sont en effet habilitées par la loi à se doter d’un corps d’inspecteurs, qui bénéficient très souvent d’une attribution globale ou partielle des pouvoirs d’une commission d’enquête. Ce qui singularise ce genre de disposition dans le cas des organismes de régulation est plutôt l’objet de l’activité d’inspection. Alors que cette activité a généralement pour but la détection de cas précis de fraude ou de non-conformité à la loi, elle revêt parfois dans le contexte de régulation économique le caractère d’une inquisition générale dont seul peut-être le droit fiscal offre des exemples comparables.21

Évitant la distinction discutable entre inspection et enquête administrative22, l’analyse sera

axée directement sur les pouvoirs de contrainte octroyés aux acteurs de l’Administration, sans égard à cette distinction.

Afin de dresser un portrait complet de la situation, l’analyse envisagée ne se limitera pas aux seuls pouvoirs de contrainte pris isolément. Seront incluses dans l’analyse les habilitations connexes qui, bien qu’elles ne constituent pas, en soi, des pouvoirs de contrainte, contribuent grandement à l’efficacité de la contrainte. Agissant un peu comme un adjuvant, ces habilitations permettent que la contrainte soit exercée efficacement et à son plein potentiel, soit en éliminant les obstacles, soit en évitant que la contrainte et le

21 P. ISSALYS, préc., note 3, p. 858.

22 DOMINIQUE ROUSSEAU, «Les commissions d'enquête: nature, mandat et limites constitutionnelles», dans Conférence des juristes de l'État 1998: XIIIe Conférence - La justice conjuguée à tous les temps, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 152.

(17)

8

contrôle de la légalité puissent être esquivés. Afin de ne pas alourdir le texte, ce type d’habilitation sera désigné à titre d’accessoire à la contrainte.

Avant de débuter l’exposé de la méthodologie, il semble opportun de bien cerner la signification du vocabulaire utilisé. Par pouvoir de contrainte, on entend le pouvoir de contraindre une personne afin d’obtenir de celle-ci des documents, des informations, des biens ou des déclarations et les modalités de son exercice, le tout, afin de veiller à l’application d’une loi. L’expression « acteur de l’Administration » a déjà été définie plus haut comme désignant une entité (ministre, commission, commissaire, office, régie, société, etc.) exerçant des fonctions prévues dans une loi québécoise et qui, dans l’exécution de ses fonctions, doit identifier, documenter et chercher la sanction des contraventions à la loi dont ils sont chargés de l’application. Le terme « habilitation » vise quant à lui les compétences octroyées par la loi à un acteur de l’Administration en matière soit d’inspection, d’enquête, de vérification ou à des fins administratives. Enfin, le terme « pouvoir » désigne un pouvoir de contrainte ou un accessoire dont dispose un acteur de l’Administration dans l’exercice d’une ou l’autre de ces habilitations.

On comprendra ainsi qu’une habilitation est constituée d’un amalgame de pouvoirs et qu’un acteur de l’Administration dispose d’une ou plusieurs habilitations, dont chacune comprend un éventail distinct de pouvoirs.

MÉTHODOLOGIE

 Méthode d’échantillonnage

Le travail d’étude de l’ensemble des pouvoirs de contrainte mis en place par le législateur québécois pouvait difficilement être envisagé, compte tenu qu’il aurait requis l’étude de l’ensemble des dispositions contenues à chacune des lois du Québec. Un travail d’échantillonnage s’est donc avéré nécessaire afin de mener à bien cet exercice.

Au premier abord, une sélection purement aléatoire a été envisagée, puisqu’elle offre les plus grandes garanties quant à la représentativité de l’échantillon. Or, une portion seulement des lois adoptées par l’Assemblée nationale met en place des pouvoirs de contrainte. Ce faisant, une méthode strictement aléatoire n’offre pas un contrôle suffisant de la pertinence des données étudiées. Un échantillonnage beaucoup plus important

(18)

9

aurait été nécessaire afin d’obtenir un nombre significatif de lois pertinentes parmi toutes les lois identifiées aléatoirement.

À l’autre bout du spectre se trouve la sélection dirigée, par laquelle le chercheur aurait procédé à l’étude de lois qu’il choisit, les sachant pertinentes. Un tel exercice, bien qu’il permette de limiter les démarches inutiles en se limitant à l’analyse de dispositions qu’on sait pertinentes, présente cependant l’inconvénient majeur d’obscurcir un pan complet de dispositions qui sont moins couramment citées. Dans la mesure où ce sont justement ces dispositions moins connues qui présentent les particularités auxquelles s’intéresse cette recherche, la sélection dirigée ne semblait pas acceptable.

Une solution mitoyenne consiste à identifier les lois qui font l’objet d’une analyse au moyen d’un indicateur objectif permettant de s’assurer, dans une certaine mesure, la pertinence des lois identifiées. Pour ce faire, la Loi sur les commissions d’enquête23 est un

moyen tout indiqué.

Cette loi, à laquelle réfère fréquemment le législateur québécois, est un indicateur fiable que la loi qui y fait référence comprend un aspect inquisitoire et, conséquemment, qu’il est probable d’y trouver différents pouvoirs de contrainte24. La LCE met en place plusieurs

composantes courantes des habilitations en matière d’inspection ou d’enquête25. Dans la

mesure où quatre-vingts (80) lois différentes y font référence, cet outil de sélection permet de créer un échantillonnage suffisamment volumineux pour assurer un certain niveau d’exhaustivité à l’exercice d’analyse envisagé. De plus, la LCE étant une loi adoptée au courant du 19e siècle, elle permet d’éviter de restreindre la recherche aux lois les plus

récentes adoptées par le législateur26. Cependant, l’utilisation de la LCE à titre d’outil de

sélection présente des inconvénients non négligeables.

Le plus flagrant est certainement la surreprésentation des pouvoirs de contrainte de la LCE dans l’échantillonnage. On comprend rapidement que l’ensemble des lois identifiées à l’aide de cet outil mettra en place, à au moins une occasion, les pouvoirs de contrainte de la LCE.

23 Loi sur les commissions d'enquête, RLRQ, c. C-39, ci-après désignée « LCE ». 24 P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 20, p. 386.

25 Morier c. Rivard, [1985] 2 R.C.S. 716, p. 25-26. 26 D. ROUSSEAU, préc., note 22, p. 149.

(19)

10

Le second inconvénient majeur est en fait un contrecoup de la surreprésentation des pouvoirs de contrainte de la LCE, à savoir la sous-représentation des « substituts » de ces pouvoirs, c’est-à-dire les pouvoirs qui ont les mêmes fins que ceux prévus à la LCE et qui sont mis en place dans une loi en remplacement des pouvoirs de la LCE. Bien que cet inconvénient ne puisse raisonnablement être démontré, il est permis de croire que les pouvoirs de contrainte ayant les mêmes fins que ceux de la LCE ne seront pas présents dans les lois contenues à l’échantillonnage. En conséquence, du fait qu’un légiste ait préféré repenser la rédaction des pouvoirs de la LCE dans l’exécution de son mandat, il y a fort à parier que la loi en résultant est exclue de l’échantillonnage et échappe donc à l’analyse.

Un troisième inconvénient tient du fait qu’une référence à la LCE, bien qu’elle soit un indicateur fiable, n’en demeure pas moins un indicateur imparfait. En effet, les pouvoirs établis par la LCE sont conférés à une multitude d’acteurs administratifs dans une grande diversité de contextes, dont certains dépassent la portée de la recherche envisagée. Les pouvoirs de contrainte voués à être utilisés dans un contexte quasi-judiciaire ont donc été retirés de l’échantillonnage. De même, la Loi sur les impôts27 a aussi été retirée de

l’échantillonnage, étant entendu que l’étude des milliers d’articles contenus à cette loi serait d’une pertinence limitée, et ce, même si l’un d’eux réfère à la LCE. L’échantillon final compte donc soixante-dix-huit (78) lois différentes28.

 Méthode de recensement des pouvoirs parmi l’échantillon

Une fois l’échantillon de lois identifié, une méthodologie de recensement a été mise en place afin de s’assurer du traitement uniforme de l’ensemble des lois.

L’analyse a débuté par la lecture intégrale de chacune des lois afin de cibler les dispositions pertinentes, à savoir les dispositions mettant en place un pouvoir de contrainte ou un accessoire à la contrainte. Cette première lecture permet de dresser une première banque de dispositions à partir de laquelle on retire une ébauche de typologie de disposition et une banque préliminaire de libellé.

Une distinction a été appliquée afin de cibler l’analyse sur les pouvoirs utilisés dans un contexte inquisitoire ou de détection. Les dispositions obligeant un administré à fournir de

27 Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3.

(20)

11

l’information ou à permettre un accès dans le cadre d’un processus d’obtention d’une autorisation ou d’un permis ont donc été exclues de l’analyse, s’agissant d’exigences préalables plutôt que de pouvoirs de contrainte visés par cette étude.

Au terme de ce recensement, 216 habilitations différentes ont été répertoriées chez plus de 80 acteurs différents. Ces habilitations sont parfois désignées dans la loi comme des pouvoirs d’enquête, des pouvoirs d’inspection ou d’un autre type.

Un même acteur peut être visé par plusieurs habilitations distinctes. Le cas de la Loi sur

l’instruction publique29, où le ministre dispose de trois habilitations (vérification, enquête et

administratif), peut servir d’illustration :

Un acteur peut aussi être visé par deux habilitations très similaires. Cette situation se présente notamment dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux30 alors

que l’article 413.2 crée un pouvoir d’inspection distinct de celui prévu aux articles 346.0.8 et 346.0.9. Ces deux pouvoirs d’inspection sont néanmoins attribués au même acteur de l’Administration, soit l’Agence de la santé et des services sociaux ou la personne qu’elle désigne.

En ce qui concerne les accessoires à la contrainte, ils sont attribués uniquement en fonction de leur titulaire, sauf lorsque la loi habilitante prévoit expressément qu’ils ne s’appliquent que dans le cadre d’une habilitation spécifique.

 Méthode d’analyse

Une fois recensé, chacun des pouvoirs de contrainte a été analysé en fonction de paramètres uniformes. Dans un premier temps, une vérification a été effectuée afin de prendre en compte les situations où un pouvoir de contrainte ou un accessoire ne peut être utilisé que par une partie des titulaires d’une même habilitation. À titre d’exemple,

29 Loi sur l'instruction publique, RLRQ, c. I-13.3.

(21)

12

l’article 2 de la Loi sur la Société de l’assurance automobile du Québec31 octroie une

habilitation en enquête à toute personne désignée par la Société d’assurance automobile du Québec, mais l’article 16 ne prévoit d’immunité de poursuite que pour le personnel et les dirigeants de la Société. On comprend donc qu’un tiers pourrait détenir des pouvoirs d’enquête sans pour autant être visé par l’immunité de poursuite prévue à l’article 16 de la

Loi sur la Société de l’assurance automobile du Québec. Pour prendre en compte cette

réalité, chacun des pouvoirs de contrainte et des accessoires a donc été qualifié selon un des trois cas suivants :

1. Tous les titulaires de l’habilitation détiennent ce pouvoir32;

2. Une portion des titulaires de l’habilitation détient ce pouvoir33;

3. Le pouvoir est octroyé selon les circonstances aux personnes désignées par un tribunal ou un décideur administratif34;

Une autre caractéristique prise en compte correspond aux modalités d’exercice des pouvoirs de contrainte et des accessoires. Il s’agit ici de prendre en compte les conditions dans lesquelles peut être utilisé un pouvoir. Six différentes modalités ont été identifiées :

1. Le pouvoir peut être utilisé après une autorisation d’un tribunal35;

2. Le pouvoir peut être utilisé lorsque le titulaire a des motifs raisonnables36;

3. Le pouvoir peut être utilisé après une autorisation d’un décideur administratif37;

4. Le pouvoir peut être utilisé à certaines conditions38;

5. Le pouvoir peut être utilisé dans certains cas uniquement39;

6. Le pouvoir peut être utilisé en toutes circonstances;

L’année de mise en place a aussi été déterminée pour chacun des pouvoirs de contrainte et des accessoires. L’année de mise en place correspond au moment où a été adoptée la disposition habilitante, dans la mesure où lors de son adoption la disposition incluait au

31Loi sur la Société de l'assurance automobile du Québec, RLRQ, c. S-11.011.

32 À titre d’exemple : Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1, articles 306 et 306.1. 33 À titre d’exemple : id., articles 305 et 306.1.

34 À titre d’exemple : Loi sur l'administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002, article 42. 35 À titre d’exemple: Loi sur la santé publique, RLRQ, c. S-2.2, article 101. 36 À titre d’exemple: Loi sur la sécurité privée, RLRQ, c. S-3.5, article 70. 37 Loi sur la qualité de l'environnement, RLRQ, c. Q-2, article 119.1. 38 Id., article 119.0.1.

39 Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ, c. P-39.1, article 80.3.

(22)

13

moins les mêmes pouvoirs. Ainsi, si un pouvoir a été restreint au fil du temps, l’année de

mise en place demeure la plus ancienne. Au contraire, si un pouvoir a été élargi depuis son adoption, l’année d’adoption de cette modification sera prise en compte.

Enfin, les formulations de la disposition habilitante de chacun des pouvoirs de contrainte et des accessoires ont été répertoriées. Ce répertoire permet de dresser un portrait des variations tant dans la structure que dans la terminologie de ces dispositions dont la finalité est similaire.

Les données citées et incluses aux tableaux contenus dans ce mémoire sont extraites d’un répertoire résultant de cette analyse.

PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

Le résultat de cette analyse sera présenté en fonction de la nature des pouvoirs et accessoires recensés. La première partie portera plus précisément sur la collecte d’information; y seront donc présentés les pouvoirs de contrainte permettant aux acteurs de l’Administration d’avoir accès à l’information nécessaire pour détecter, documenter et, le cas échéant, sanctionner les infractions à la loi dont ils sont chargés de l’application. Dans la deuxième partie, l’attention sera plutôt portée aux pouvoirs de contrainte et accessoires qui ont pour objectifs d’éliminer les entraves à la collecte d’informations et de permettre à l’acteur de l’Administration de s’assurer de l’application de la Loi à l’occasion de cette collecte d’informations.

Pour chacun des pouvoirs sous étude, le résultat exposé est le fruit d’une analyse des quatre aspects suivants :

1. Fréquence et historique; 2. Objectif, nature et portée;

3. Libellés des dispositions mettant en place le pouvoir ou l’accessoire; 4. Formes usuelles (titulaires et modalités).

(23)

14

PARTIE I : LA COLLECTE DE L’INFORMATION

Tel que mentionné, cette première partie s’attarde uniquement aux pouvoirs qui permettent aux acteurs de l’Administration d’obtenir l’information nécessaire à l’exercice de leur compétence, quelle qu’en soit la nature. En somme, chacune des dispositions analysées dans cette première partie doit permettre à l’Administration de prendre connaissance des faits nécessaires à l’exercice de sa compétence, qu’il s’agisse de détecter les contraventions à la loi, de documenter ces contraventions ou simplement de dresser un portrait d’une situation donnée.

Compte tenu de la grande diversité des domaines d’intervention de l’État québécois, les pouvoirs de contrainte visant la collecte de l’information ont dû être adaptés à une multitude de situations. Ainsi, s’appuyant sur la terminologie utilisée par le Code civil du Québec en matière de preuve, l’information, telle qu’on y réfère ici, vise tant les écrits que la preuve testimoniale ou la preuve matérielle. Sont donc notamment visés la demande de document, l’assignation à témoigner, le pouvoir de prélever des échantillons, de les analyser ou d’ordonner un examen médical.

Ces différents pouvoirs de contrainte seront traités en fonction de l’origine de l’information recherchée. Ainsi, la première section traitera des situations où l’acteur de l’Administration cherche à obtenir une information auprès d’un administré ou d’un tiers : il s’agit des pouvoirs permettant d’exiger un document ou un renseignement et des pouvoirs permettant d’obtenir la déclaration d’un individu.

À l’opposé, la seconde section portera plutôt sur les pouvoirs permettant à l’acteur de l’Administration de faire lui-même son évaluation en prenant directement connaissance de la situation. Dans cette deuxième section, il sera question des pouvoirs d’analyse de l’acteur de l’Administration et de son pouvoir de pénétrer dans un lieu.

(24)

15

1 SECTION 1 : COLLECTE DE L’INFORMATION DÉTENUE PAR LES ADMINISTRÉS ET LES TIERS

La collecte de l’information détenue par les administrés et les tiers est souvent considérée comme la principale méthode offerte à l’Administration pour prendre connaissance de la situation sur le terrain. À propos de la LCE et des lois similaires au Canada, l’auteur Ratushny écrit :

The central substantive feature of every Act is that it gives the government the power to establish the subject and scope of each inquiry through terms of reference, which have the force of law. The central procedural feature of each is to authorize commissioners to compel testimony and the production of evidence. These statutes then elaborate, in various ways and to varying degrees, on the authority and powers given in each jurisdiction.40

Bien qu’il s’agisse là des principaux exemples de pouvoirs de contrainte permettant d’avoir accès à l’information détenue par un tiers, la présente section sera aussi l’occasion de découvrir les variantes mises en place par le législateur québécois, offrant parfois aux acteurs de l’Administration des pouvoirs spécifiques permettant une plus grande efficacité dans le contrôle de l’application de la loi. Il n’en demeure pas moins, et ce sera là la structure de cette section, que ces pouvoirs de contrainte sont conçus sur deux modèles : soit on cherche à ce que soit transmis un document ou un renseignement que détient un individu, soit on cherche à obtenir directement la déclaration de cet individu.

1.1 - OBTENIR LES DOCUMENTS ET RENSEIGNEMENTS

Dans cette sous-section seront d’abord présentées les habilitations permettant aux acteurs de l’Administration d’obtenir des documents et des renseignements que détient un administré. Une analyse particulière sera effectuée en ce qui concerne le pouvoir de délivrer un subpoena duces tecum. Enfin, seront analysés les pouvoirs d’émettre des demandes péremptoires et la collecte extraterritoriale d’information.

1.1.1 Les pouvoirs de demander des documents et des renseignements

Les habilitations permettant de demander des documents et des renseignements ont fait l’objet de plusieurs développements jurisprudentiels et doctrinaux au fil des années. L’importance et le caractère fondamental de ce type de pouvoir ont généralement été réaffirmés sans trop de réserve. La juge Laforest, pour la majorité de la Cour suprême du

40 Ed RATUSHNY, The Conduct of Public Inquiries: law, policy, and practice, Toronto, Irwin Law, 2009, p. 270.

(25)

16

Canada, écrit relativement aux pouvoirs prévus à la Loi sur les décrets de conventions

collectives41 : « Quant au pouvoir de vérifier certaines données (taux de salaire, durée du

travail, conditions d’emploi diverses) et de requérir des renseignements jugés nécessaires, ils m’apparaissent indispensables à l’exécution du mandat des comités paritaires. »42

Les deux plus anciennes habilitations bénéficiant de ce type de pouvoir qui sont toujours en vigueur ont été adoptées dès 1899 et se trouvent dans la Loi sur l'instruction publique

pour les autochtones cris, inuit et naskapis43 :

14. Le ministre peut faire ou déléguer les pouvoirs de faire des enquêtes, dont il peut, en cas de non-paiement, recouvrer les frais de la partie qui a été condamnée. Si l'enquête est faite à la demande d'un ou de plusieurs contribuables, le ministre peut exiger de la partie qui la requiert le dépôt d'un montant suffisant pour couvrir les frais.

Pour les fins de ces enquêtes, le ministre ou le délégué peut faire venir devant lui et assermenter et entendre les témoins et les parties en cause, et les contraindre de produire tous les livres, documents et papiers se rapportant à l'affaire. […]

29. Les principaux devoirs des inspecteurs pour les écoles publiques sont: […]

2° d'examiner les registres des commissaires et les registres de présence des élèves aux classes des écoles de chaque municipalité scolaire sous leur contrôle; [Nos emphases]

Bien que ce pouvoir soit aujourd’hui commun, les libellés utilisés à l’époque n’ont pas été retenus par nos contemporains. En effet, alors que le libellé de l’article 29 n’a pas été répertorié ailleurs dans l’échantillon, le libellé de l’article 14 n’a été réutilisé qu’à de rares occasions, dont en 1925, à l’article 345 de la même loi. Ces deux libellés présentent plusieurs particularités qui expliquent probablement l’abandon de leur utilisation.

D’abord, l’article 14 semble reprendre l’essentiel du pouvoir d’émettre un subpoena duces

tecum prévu à l’article 9 LCE, lequel prévoit que les commissaires peuvent « contraindre

toute personne à déposer devant eux les livres, papiers, documents et écrits qu'ils jugent nécessaires pour découvrir la vérité. » En fait, une référence expresse à la LCE est

41 Loi sur les décrets de convention collective, RLRQ, c. D-2, paragraphe e) de l'article 22. 42 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, [1994] 2 R.C.S. 406, 424. 43 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, RLRQ, c. I-14.

(26)

17

ajoutée à l’article 14 dès 191544. Dans ces circonstances, il y a lieu de se questionner sur

l’opportunité de maintenir ce type de libellé, compte tenu que la seule référence à la LCE semble donner tous les pouvoirs recherchés.

Quant à l’article 29 de la Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et

naskapis, son libellé ne crée pas expressément d’obligation pour les administrés de fournir

les documents qui y sont décrits, se limitant à mettre en place une obligation pour les inspecteurs. À la lecture d’un tel libellé, on ne peut conclure à l’existence d’un pouvoir de contrainte que par déduction nécessaire. On comprend donc sans difficulté que ce modèle n’ait pas été reproduit par la suite.

Somme toute, ce sont 114 habilitations jouissant d’un pouvoir d’exiger des documents et renseignements qui ont été répertoriées dans les lois contenues à l’échantillon, et ce, sur un total de 216 habilitations contenues à cet échantillon. C’est donc plus de la moitié des habilitations répertoriées qui comprennent d’une façon ou d’une autre, un pouvoir d’exiger des documents ou des renseignements autre que celui prévu à la LCE.

Parmi les habilitations toujours en vigueur, 91 % d’entre elles ont été adoptées à compter de 1970, ne laissant que quelques habilitations anecdotiques entre 1899 et 1969. Ainsi, depuis 1970, ce sont en moyenne 21 nouveaux pouvoirs d’exiger des documents et renseignements qui sont mis en place à chaque décennie :

44 Loi amendant la loi sur l'instruction publique, L.Q. 5 Geo. V, c. 36, article 1. Cette référence à la LCE sera prévue d’emblée à l’article 344 lors de l’adoption de l’article 345 en 1925 : Loi modifiant

les Statuts refondus, 1909, relativement à l'inspection des comptes des corporations scolaires, L.Q.

(27)

18

TABLEAU I : Pouvoirs d’exiger des documents et renseignements mis en place, par décennie

Décennie Nombre d’habilitations

1890-1899 2 1900-1909 1 1910-1919 - 1920-1929 2 1930-1939 2 1940-1949 - 1950-1959 - 1960-1969 3 1970-1979 18 1980-1989 22 1990-1999 20 2000-2009 34 2010-2015 (juin) 11

Au fil de l’adoption de nouvelles dispositions, une panoplie de libellés différents a été intégrée à la législation québécoise. De la trentaine de libellés types répertoriée, certains libellés se démarquent par leur fréquence. L’étude des libellés observés dans l’échantillon démontre que plus de 60 % des habilitations utilisent un des trois libellés suivants :

(28)

19

TABLEAU II : Libellés types les plus utilisés pour la mise en place de pouvoirs d’exiger des documents et des renseignements

Libellés (à titre d’exemple)

Nombre de cas

1

Le Commissaire et toute personne qui agit comme enquêteur aux fins de la présente section peut requérir de toute personne tout renseignement et tout document qu'il estime nécessaire.45

41

2

Une personne désignée pour effectuer une inspection peut: […]

3° exiger tout renseignement relatif à l'application de la présente loi, ainsi que la production de tout document s'y rapportant.46

17

3 L'Office doit fournir au ministre ou à l'Administration régionale crie tout renseignement que ces derniers requièrent sur ses activités.47

14

Bien que le libellé #1 semble s’être démarqué à la lecture de ces seuls chiffres, l’étude de l’historique de chacun de ces libellés ne révèle pas de tendance lourde, laissant plutôt supposer que les légistes alternent entre l’un ou l’autre de ces libellés depuis le milieu des années 70 :

45 Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1, article 189.

46 Loi sur la Régie de l'énergie, RLRQ, c. R-6.02, article 44.

47 Loi sur l'Office de la sécurité du revenu des chasseurs et piégeurs cris, RLRQ, c. O-2.1, article 13.

(29)

20

TABLEAU III : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le pouvoir d’exiger des documents et renseignements, en fonction du libellé

Dates d’adoption

Libellé #1 Libellé #2 Libellé #3

Moyenne 1998 1992 1997

Médiane 2000 1990 2001

Maximum 2014 2010 2011

Minimum 1973 1974 1979

La réception de ce type de pouvoir par les tribunaux est généralement positive, et ce, bien que la demande de renseignement ait clairement été reconnue comme constituant une saisie au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés de la

personne48. Dans l’arrêt Potash, la juge L’Heureux-Dubé écrit dans ses motifs

concurrents :

Les pouvoirs prévus au deuxième alinéa du par. 22e) LDCC autorisent les inspecteurs à s'approprier quelque chose appartenant à l'employeur sans son consentement (entre autres, le système d'enregistrement, le registre obligatoire et la liste de paye). À cet égard, je ne vois aucune différence entre la prise d'une photocopie et la saisie de l'original. Selon moi, il s'agit là d'une "saisie", au sens de l'arrêt Dyment.

[...]

Dans le présent pourvoi, les pouvoirs prévus par la LDCC sont plus étendus qu'une simple demande de production de documents: le deuxième alinéa du par. 22e) LDCC confère aux inspecteurs le droit d'obtenir des renseignements auprès de l'employeur et des salariés, de même que celui d'exiger la production de documents et d'en prendre copie. Bref, il s'agit d'une véritable "saisie" au sens de l'art. 8 de la Charte.49

Malgré ce constat, les demandes de documents et de renseignements ont été considérées comme « l’une des méthodes les moins envahissantes auxquelles on puisse recourir pour obtenir une preuve documentaire »50. Conséquemment, il semble unanimement reconnu

48 Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11, ci-après désignée « Charte canadienne ».

49 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 439. 50 British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, par. 60.

(30)

21

que le législateur dispose d’une certaine marge de manœuvre pour mettre en place ce type d’habilitation51.

Cette conclusion semble, dans un premier temps, fondée sur une certaine renonciation de l’administré à sa vie privée lorsqu’il exerce dans un secteur fortement réglementé : « Toutes les personnes qui gagnent ce marché connaissent ou sont réputées connaître les règles du jeu. Alors, une personne qui se livre à une telle activité a peu d'attentes en matière de vie privée pour ce qui est de ses dossiers d'entreprise. »52

D’autre part, on appuie cette conclusion sur des motifs de nécessité, c’est-à-dire sur l’impossibilité de vérifier le respect de la loi en l’absence du pouvoir d’exiger certaines informations. C’est notamment cet argument qui mène la juge Wilson de la Cour suprême du Canada à conclure qu’il n’est pas requis pour l’acteur de l’Administration d’avoir des motifs raisonnables de croire à une infraction à la loi pour demander des documents et renseignements :

Conséquemment, le ministre du Revenu national doit disposer, dans la surveillance de ce régime de réglementation, de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d'examen de tous les documents qui peuvent être utiles pour préparer ces déclarations. Le ministre doit être capable d'exercer ces pouvoirs, qu'il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu'un certain contribuable a violé la Loi. Il est souvent impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière. Les contrôles ponctuels ou un système de vérification au hasard peuvent constituer le seul moyen de préserver l'intégrité du régime fiscal. Si tel est le cas, et je crois qu'il en est ainsi, il est évident que les critères de l'arrêt Hunter ne conviennent pas pour déterminer le caractère raisonnable d'une saisie effectuée en vertu du par. 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La nature réglementaire du texte législatif et son intention générale ne s'y prêtent pas. La nécessité d'un contrôle au hasard est incompatible avec l'exigence, énoncée dans l'arrêt Hunter, que la personne qui demande l'autorisation ait des motifs raisonnables et probables, établis sous serment, de croire qu'une infraction a été commise.53

À la lecture des dispositions sous étude, on constate que le législateur a considéré préférable, dans certaines circonstances, de soumettre lui-même l’exercice du pouvoir d’exiger des documents et des renseignements à la présence de certains motifs

51 P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 20, p. 160.

52 British Columbia Securities Commission c. Branch, préc., note 50, par. 64. Voir aussi : R. c.

McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, 641-642.

53 R. c. McKinlay Transport Ltd., préc., note 52, p. 648-649. Voir aussi : Comité paritaire de

l'entretien d'édifices publics, région de Montréal c. Services d'entretien Bo-Lav inc., 2010 QCCQ

(31)

22

raisonnables. À titre d’exemple, l’article 69 de la Loi sur la sécurité du transport terrestre

guidé54 prévoit qu’un inspecteur peut exiger la communication de documents « s'il a des

motifs raisonnables de croire qu'ils contiennent des renseignements utiles à l'application de la présente loi ou de ses règlements ». Néanmoins, dans la majorité des cas, le législateur s’est gardé de mettre en place de telles restrictions.

Enfin, il est à noter que les tribunaux considèrent que le pouvoir d’exiger des renseignements et documents demeure une saisie « non abusive » dans la mesure où la disposition habilitante circonscrit suffisamment les documents et renseignements qui y sont visés. Cette obligation ne semble cependant pas des plus exigeantes, à la lecture des motifs de la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Potash :

Cette demande de production de document est clairement une "saisie" au sens de l'art. 24.1 de la Charte québécoise (cf. Thomson Newspapers et McKinlay Transport, précités). Est-elle raisonnable? À mon avis, cet alinéa circonscrit suffisamment les documents dont les inspecteurs ont le pouvoir d'exiger la consultation ou d'ordonner la production. Seuls les documents d'affaires de l'employeur sont visés, dont plus particulièrement ceux qui s'intéressent à son assujettissement à la LDCC et à l'application d'un décret. En outre, ce quatrième alinéa du par. 22e) LDCC est plus restreint que le par. 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui a pourtant été jugé constitutionnel en regard de l'art. 8 de la Charte dans l'arrêt McKinlay Transport.55

À la lecture des libellés #1, #2 et #3 décrits plus haut, il semble plutôt que ce critère a été assimilé à une simple exigence de pertinence. En effet, les tribunaux ont déjà considéré que le seul fait qu’un document contienne des renseignements personnels ne permettait pas à l’administré de refuser de le fournir56. Cela dit, la précision minimale requise par la

Cour suprême semble avoir été expressément intégrée dans la formulation de certaines habilitations qui prévoient qu’une grande variété de documents peut être examinée, mais que seuls les documents relatifs à l’application de la loi pourront être exigés. À titre d’exemple :

78. La personne qui procède à une inspection en vertu de la présente section peut: […]

54 Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé, RLRQ, c. S-3.3. Voir aussi : Loi sur les services de

garde éducatifs à l'enfance, RLRQ, c. S-4.1.1, article 73.

55 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 460-461. 56 Québec (Procureur général) c. Courte, J.E. 2004-1991 (C.Q.), par. 18-19.

(32)

23

2° examiner et tirer copie des livres, registres, comptes, dossiers et autres documents se rapportant aux activités du courtier ou de l'agence;

3° exiger tout renseignement ou tout document relatif à l'application de la présente loi.57

En terminant en ce qui concerne l’habilitation à exiger des documents et renseignements, il y a lieu de souligner le cas particulier de l’article 192 du Code des professions58 :

« Peuvent prendre connaissance d'un dossier tenu par un professionnel, requérir la remise de tout document, prendre copie d'un tel dossier ou document et requérir qu'on leur fournisse tout renseignement, dans l'exercice de leurs fonctions : […] ». Cette disposition, entrée en vigueur à l’adoption du Code en 1973, fait l’objet d’un contentieux intéressant qui met en lumière la force de l’argument de nécessité dans l’interprétation des dispositions mettant en place ce type de pouvoir. Ainsi, malgré un libellé offrant une certaine marge d’interprétation, les pouvoirs des ordres professionnels ont généralement été interprétés largement par les tribunaux.

Par exemple, alors que l’article 192 du Code des professions prévoit la possibilité de prendre copie d’un dossier ou d’un document, il ne permet de requérir la remise que d’un document. Soulignant cette distinction, un dentiste cherchait donc à refuser la remise des originaux de ses dossiers au syndic. La Cour supérieure écrit :

[38] Le demandeur opine que le mot document à l'article de loi n'a pas la même signification que le mot dossier. Ce faisant et si l’on suit son raisonnement, le comité pourrait exiger la remise d'un document, mais non d'un dossier.

[…]

[40] Il faut admettre qu’une interprétation littérale mène à des résultats absurdes. Devant un tel résultat, il est permis de s’écarter d’un texte aussi clair, soit-il.

[…]

[43] Dans cette même affaire, la Cour suprême a favorisé l’objectif de protection du public poursuivi par le Code des professions par une interprétation contextuelle qui permet davantage de souplesse pour réaliser la finalité de la loi. [44] Fort de ces enseignements, le Tribunal conclut que pour permettre aux ordres professionnels de bien remplir leur rôle de protection du public, ils doivent

57 Loi sur le courtage immobilier, RLRQ, c. C-73.2, article 78. 58 Code des professions, RLRQ, c. C-26.

(33)

24

disposer de moyens et d’outils suffisamment efficaces pour recueillir toutes les informations qu'ils croient utiles et pertinentes.59

Soutenant une nouvelle fois une interprétation large de la disposition, la Cour supérieure a aussi reconnu que ce même libellé permettait au syndic de faire une copie miroir des fichiers contenus sur le disque dur d’un ordinateur60.

1.1.2 Les subpoenas duces tecum (assignations à produire)

Contrairement à la demande de documents et des renseignements, l’assignation à produire est généralement habilitée par l’octroi des pouvoirs d’une cour supérieure par l’intermédiaire de la LCE et, conséquemment, le défaut d’y répondre constitue un outrage au tribunal. La distinction entre ces deux types de dispositions n’est cependant pas toujours aussi claire. Déjà plus haut, il fut question de la Loi sur l'instruction publique pour

les autochtones cris, inuit et naskapis61 qui attribue aux inspecteurs agissant en vertu de

cette loi tant le pouvoir de demander des documents et renseignements que les pouvoirs des commissaires enquêteurs d’émettre des subpoenas duces tecum. L’auteur O’Neill62

souligne quant à lui l’existence de la même problématique dans la Loi sur les valeurs

mobilières63. Dans le cadre de l’étude de l’échantillon, ce chevauchement entre le pouvoir

de demander des documents et renseignements et le pouvoir d’émettre des subpoenas

duces tecum a été observé à près d’une vingtaine de reprises :

59 Terjanian c. Ayotte, 2009 QCCS 358 (appel rejeté, C.A., 10-12-2009, 500-09-019447-093), par. 38, 40, 43-44.

60 Gauthier c. Deschênes, 2010 QCCS 4760 (désistement d'appel, C.A., 28-02-2011, 500-09-021151-105).

61 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, préc., note 43.

62 LOUIS-MARTIN O'NEILL, «Les pouvoirs de contrainte de l'Autorité des marchés financiers», dans

Développements récents en valeurs mobilières 2007, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007,

p. 115, 142-144.

Références

Documents relatifs

Au cours des dix dernières années, des hypothèses similaires ont été émises pour la majorité des maladies neurodégénératives. Un comportement de type prion a été décrit pour

Partager des informations et confronter des expériences qui ont déjà démontré leur pertinence, tels sont les objectifs de la ren- contre régionale «Coopération internationale dans

L’enfant dysphasique est alors considéré comme étant exempt de tout trouble de la pensée et/ou de l’organisation de la pensée ; si ceux-ci sont à la rigueur envisagés,

Pour mieux comprendre ce type de structure et leur évolution dans ce récit, nous avons relevé des marques correspondant à une verbalisation de la spatialit é, et

assimilation non plus dans le sens d'une intégration déformante des objets au sujet : assimiler l'objet revient à participer aux systèmes de transformations dont

L’événement « manger une salade verte et une pizza aux quatre fromages » a une probabilité de 1/6. L’événement «manger une salade verte, une pizza végétarienne et une

Tous sujets concernant la PAC surface et la déclaration des aides (hors aides MAEC et bio) : aides découplées et couplées végétales, relevés de situation, codes Télépac,

Dans le cadre de la nouvelle programmation européenne confiée à l’autorité de gestion du Conseil régional de Bretagne, 2016 s’est placée dans la continuité de 2015 avec