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Le pouvoir de pénétrer dans un lieu et le pouvoir de perquisition

Partie I : La collecte de l’information

Section 2 : Analyse de l’information et constatation directement par l’acteur chargé de

2.2.1 Le pouvoir de pénétrer dans un lieu et le pouvoir de perquisition

Le pouvoir de pénétrer dans un lieu est un pouvoir de contrainte faisant l’objet de beaucoup de tractations149, notamment pour sa ressemblance avec la perquisition et, ce

faisant, avec le processus pénal. À ce sujet, l’auteure Angers écrit :

145 Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 100. 146 Id., article 102.

147 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001, article 204. 148 Paradis c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2012 QCCA 2088. Voir aussi :

Tenuta et Centre de l'auto boul. Industriel, [2006] C.L.P. 222, par. 66-72.

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On entend par « inspection », le fait d’entrer dans un lieu dans le but d’y vérifier le respect des dispositions législatives ou réglementaires. Plusieurs critères peuvent servir à identifier une simple inspection : l’entrée faite aux heures normales d’affaires (qui peuvent varier selon l’établissement en cause), à un rythme régulier (de façon mensuelle, trimestrielle, etc.), souvent pour des fins de santé publique ou de bien-être général des citoyens. […]

Une perquisition est une investigation en un lieu pour y découvrir quelque chose ou pour chercher des preuves d’une infraction à la loi, qui seront utilisées dans une poursuite pénale ou criminelle. […]

Cette distinction se doit effectivement d’être maintenue pour trois raisons. D’abord, l’attente de vie privée n’est pas aussi élevée dans le cas d’une inspection. Habituellement, dans la plupart des industries, les propriétaires s’attendent aux visites des inspecteurs pour des fins bien précises, ces visites faisant partie de la routine de fonctionnement de divers commerces ou industries. De plus, l’inspection sera normalement limitée dans son étendue, n’étant effectuée que pour s’assurer que l’industrie en cause se plie aux normes édictées par la loi. La perquisition, pour sa part, risque d’aller beaucoup plus loin en ce que la personne l’effectuant cherche la preuve d’une infraction à la loi qui peut être difficile à trouver, parce que cachée au fond d’un tiroir, d’une armoire ou dans des papiers personnels. Enfin, la nature de l’information recherchée n’est pas la même dans l’un ou l’autre cas : le point de mire est différent. Pour les inspections, il s’agit de déceler des conditions qui nuisent à la santé ou la sécurité publique. Dans le cas de perquisitions, c’est une preuve qu’on cherche, preuve qui peut mettre en cause la culpabilité d’un individu.150

Cette distinction a été réaffirmée dans l’arrêt Potash, où la Cour suprême insiste sur l’importance des pouvoirs d’inspection :

La visite des lieux, qui constitue l'assise des autres pouvoirs énoncés au deuxième alinéa du par. 22e) de la Loi, n'est pas fortuite. Le législateur a lui-même reconnu son importance, en énonçant un alinéa distinct pour la production de documents. La preuve révèle que les inspecteurs préfèrent, dans la grande majorité des cas, rendre visite aux employeurs et aux salariés plutôt que d'exiger la production de documents, et pour cause. C'est au moyen de la visite des lieux que les comités paritaires peuvent réalistement s'acquitter du mandat qui leur échoit en vertu de la Loi -- surveiller l'observance des décrets -- en vérifiant la nature du travail accompli et en s'informant auprès des intéressés du respect des conditions d'emploi. Si les inspecteurs n'ont pas la faculté de «perquisitionner», ils peuvent néanmoins examiner l'environnement de travail et orienter l'inspection en conséquence. Dans cette perspective, l'inspection et la perquisition partagent un fondement commun: une recherche active de la vérité.151

L’étude des lois contenues à l’échantillon a d’ailleurs permis de cibler plusieurs situations où le législateur octroie tant le pouvoir d’entrer dans un lieu qu’un pouvoir de

150 Id., p. 728-729, 755.

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perquisition152, permettant à l’acteur de l’Administration d’ajuster la procédure suivie en

fonction de son objectif153.

Cela étant, le nombre d’habilitations à pénétrer dans un lieu est relativement important dans la législation québécoise154. Au sein de l’échantillon de lois sous étude, ce sont

soixante habilitations disposant de ce pouvoir qui ont été répertoriées :

TABLEAU XI : Pouvoirs de pénétrer dans un lieu mis en place, par décennie Décennie Nombre d’habilitations

1890-1899 1 1900-1909 1 1910-1919 0 1920-1929 0 1930-1939 1 1940-1949 0 1950-1959 0 1960-1969 0 1970-1979 7 1980-1989 12 1990-1999 12 2000-2009 20 2010-2015 (juin) 6

Il est intéressant de noter que la mise en place de pouvoirs de pénétrer dans un lieu est en moyenne plus récente que la mise en place d’autres pouvoirs très répandus, tels que les pouvoirs d’exiger des documents et les pouvoirs des commissaires nommés en vertu de la LCE. De plus, parmi les habilitations toujours en vigueur, on constate que le nombre d’habilitations disposant du pouvoir de pénétrer dans un lieu augmente proportionnellement plus rapidement que ces deux autres pouvoirs depuis les années 1980, tel qu’il appert des graphiques I et II :

152 À titre d’exemple : Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, articles 119, 119.0.1, 119.1 et 120.1.

153 L. ANGERS, préc., note 125, p. 759. 154 Id., p. 725.

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FIGURE II: Comparaison des dates d'adoption de certains pouvoirs, par décennie

FIGURE III: Comparaison de l'augmentation relative (en pourcentage) des occurrences de certains pouvoirs, par décennie

1960- 1969 1970- 1979 1980- 1989 1990- 1999 2000- 2009 2010- 2015 (juin)

Entrer dans un lieu 0 7 12 12 20 6

Exiger des

documents/renseignements 3 18 22 20 34 11 Pouvoirs d'un commissaire

nommé en vertu de la LCE 5 26 16 19 27 7 0 5 10 15 20 25 30 35 40 1960- 1969 1970- 1979 1980- 1989 1990- 1999 2000- 2009 2010- 2015 (juin) Entrer dans un lieu 0,00% 70,00% 54,55% 35,29% 37,04% 10,00%

Exiger des

documents/renseignements 30,00% 64,29% 44,00% 28,57% 32,69% 9,57% Pouvoirs d'un commissaire

nommé en vertu de la LCE 55,56% 74,29% 31,37% 27,14% 27,84% 6,73% 0,00% 10,00% 20,00% 30,00% 40,00% 50,00% 60,00% 70,00% 80,00%

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L’analyse des différentes dispositions habilitant à pénétrer dans un lieu a révélé une grande diversité de libellés, souvent attribuable aux choix de mots faits par le légiste. Ainsi, bien que dans 72 % des cas, les dispositions étudiées mettent en place un pouvoir de pénétrer dans un lieu155, 18 % utilisent plutôt l’expression avoir accès156, tandis que les

expressions entrer157 et visiter158 sont utilisées chacune dans 5 % des cas. Il n’apparait

d’ailleurs y avoir aucune tendance particulière à l’uniformisation des libellés sur cet aspect :

TABLEAU XII : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le pouvoir de pénétrer dans un lieu, en fonction du libellé

Date d’adoption des habilitations

Dispositions utilisant le terme pénétrer Dispositions utilisant un autre terme

Moyenne 1991 1992

Médiane 1996 1996

Maximum 2013 2010

Minimum 1909 1899

Le libellé de l’article 93.267 de la Loi sur les assurances se distingue cependant en ce qu’il prévoit que « [t]oute personne qui procède à l'inspection d'un fonds de garantie a accès à toute heure raisonnable à ses livres, registres, comptes et autres dossiers […] »159. Ce

libellé laisse planer une certaine confusion quant sa portée réelle, à savoir s’il permet d’avoir accès à tout lieu où se trouvent les documents visés ou si, au contraire, l’administré peut se contenter de remettre les documents à l’acteur de l’Administration, lui

donnant accès aux documents par la même occasion.

Par ailleurs, la grande majorité des libellés spécifie le ou les lieux où peut pénétrer l’acteur de l’Administration160. Cet élément peut par contre être d’une précision variable, allant de

155 À titre d’exemple : Loi sur les services préhospitaliers d'urgence, RLRQ, c. S-6.2, article 33. 156 À titre d’exemple : Loi sur l'enseignement privé, RLRQ, c. E-9.1, article 115.

157 À titre d’exemple : Loi sur la Régie de l'énergie, préc., note 46, article 44. 158 À titre d’exemple : Code du travail, préc., note 72, article 109.4.

159 Loi sur les assurances, préc., note 96, article 93.267. 160 L. ANGERS, préc., note 125, p. 767.

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l’exclusion limitée aux résidences privées161 à une liste spécifique d’immeubles auxquels

l’accès est autorisé162.

Certains libellés mettent en place un régime particulièrement flexible en permettant à l’acteur de l’Administration de pénétrer dans tout lieu où se déroule une activité visée par la loi163. Dans de tels cas, la Cour supérieure a reconnu que l’acteur de l’Administration

était autorisé à entrer dans un lieu afin de constater s’il s’y déroule une telle activité164. Il

est cependant intéressant de noter que cette difficulté est contournée par d’autres libellés qui prévoient la possibilité de pénétrer dans tout lieu où l’acteur de l’Administration a des motifs de croire que se déroulent des activités visées par la loi165.

Le moment où l’acteur de l’Administration peut pénétrer dans un lieu est aussi un des paramètres qui est fréquemment délimité par le libellé de l’habilitation à pénétrer dans un lieu166. Tel est le cas pour près de 90 % des libellés utilisés. Les termes utilisés pour ce

faire sont cependant relativement variés. Ainsi, bien qu’environ 70 % des libellés limitent le pouvoir de pénétrer dans un lieu aux heures raisonnables167, certains réfèrent plutôt aux heures d’ouverture168, aux moments raisonnables169 ou aux heures convenables170. On

notera enfin que certaines dispositions prévoient la possibilité de pénétrer dans un lieu à l’extérieur de la période prévue à la loi dans les situations d’urgence171.

En ce qui a trait à l’application de l’article 8 de la Charte canadienne, il est à noter que la Cour suprême en est venue à la conclusion que le fait de pénétrer dans un lieu ne correspond pas, en soi, à une saisie172. Plusieurs lois prévoient par contre la possibilité de

procéder à une saisie si, après avoir pénétré dans un lieu, l’acteur de l’Administration a

161 Loi sur la santé publique, préc., note 35, articles 100 et 101. 162 Loi sur l'instruction publique, préc., note 29, article 478.

163 À titre d’exemple : Loi sur le cinéma, préc., note 65, article 173.

164 Villeneuve c. Québec (Procureur général), D.T.E. 2004T-233 (requête pour permission d'appeler rejetée, C.A., 17-02-2004, 200-10-001578-041) (C.S.), par. 52-54.

165 À titre d’exemple : Loi sur les services de santé et les services sociaux, préc., note 60, article 489.

166 L. ANGERS, préc., note 125, par. 766-767.

167 À titre d’exemple : Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme, RLRQ, c. T- 11.011, article 41.

168 À titre d’exemple : Charte de la langue française, préc., note 109, article 174.

169 À titre d’exemple : Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones

cris, RLRQ, c. S-5, article 142.

170 À titre d’exemple : Loi sur le bâtiment, préc., note 121, article 112.

171 À titre d’exemple : Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ, c. P-34.1, article 36. 172 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 44.

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des motifs raisonnables de croire en une infraction173. Selon l’auteure Angers, ces

situations ne seraient pas problématiques eu égard aux droits prévus à la Charte

canadienne174. La Cour suprême du Canada semble avoir adopté la même position en

1994 dans l’arrêt Potash :

L'inspection a pour objectif fondamental la vérification du respect d'une loi réglementaire; elle s'accompagne souvent d'une dimension informative destinée à promouvoir les intérêts des personnes en faveur desquelles la loi a été édictée. L'exercice des pouvoirs d'inspection n'entraîne pas les stigmates qui sont normalement associés aux enquêtes de nature criminelle et leurs conséquences sont moins draconiennes. Si les lois réglementaires sont accessoirement assorties d'infractions, elles sont principalement édictées dans le but d'en inciter le respect. Il se peut que dans le cadre de leur inspection, les personnes chargées de l'application d'une loi découvrent des indices qui en laissent soupçonner la violation. Mais cette éventualité n'altère pas l'intention fondamentale qui anime l'exercice des pouvoirs d'inspection.175

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une saisie, le fait de pénétrer dans un lieu est néanmoins visé par l’article 8 de la Charte canadienne, la Cour suprême du Canada l’ayant qualifié de « perquisition » au sens de cet article176. La Cour conclut cependant qu’il s’agit de

pouvoirs qui sont raisonnables compte tenu de l’importance de l’objet de la loi et de la nécessité corrélative de mettre en place des pouvoirs d’inspection suffisants pour en assurer l’application177. L’exercice du pouvoir de pénétrer dans un lieu ne requiert donc

pas d’autorisation préalable, ni la démonstration de motifs raisonnables de croire en une infraction178. La Cour reconnait à la même occasion que le fait que l’acteur de

l’Administration pénètre dans un lieu à la suite d’une dénonciation ne modifie pas les principes applicables179.

173 Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, articles 205, 211; Loi sur

les assurances, préc., note 96, article 12; Loi sur les pesticides, préc., note 121, articles 84-85; Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, préc., note 69, article 184; Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d'épargne, préc., note 95, article 309; Loi sur les transports,

RLRQ, c. T-12, article 80.

174 L. ANGERS, préc., note 125, p. 769-770.

175 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 21. 176 Id., p. 44. Voir aussi : L. ANGERS, préc., note 125, p. 736.

177 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 46.

178 Id., p. 19-21. Voir aussi : Gauthier c. Guimont, 2010 QCCA 2011 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 12-05-2011, 34015), par. 32; L. ANGERS, préc., note 125, p. 736, 742.

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À l’occasion de l’exercice du pouvoir de pénétrer dans un lieu, il ne semble pas non plus nécessaire pour l’acteur de l’Administration de transmettre un avis préalable180. À ce

propos, l’auteure Angers écrit :

« Le but de l’inspection n’est pas de surprendre quelqu’un en flagrant délit, mais plutôt de s’assurer de la saine administration d’une loi. Ce but fait-il en sorte qu’un avis doive être envoyé préalablement à l’inspection? En matière d’impôts, le gouvernement fédéral a émis une directive à l’effet qu’une telle procédure devrait être suivie afin d’accorder à la personne visitée la chance de replacer ses papiers et de planifier ses affaires.

Cette procédure peut être appropriée dans le cas des impôts puisqu’il y a peu de chances que des objets ou des papiers disparaissent ou soient forgés, un double existant presque toujours ailleurs. La situation est différente lors d’inspection dans le cadre de lois édictées pour des fins de santé et de sécurité publique. De telles intrusions :

Are based on the common assumption that the threat of unannounced inspection may be the most effective way to induce compliance. They are based on a view that inspection may be the only means of detecting non-compliance and that its detection serves an important public purpose. »181

La lecture des dispositions habilitant à pénétrer dans un lieu révèle cependant une tendance chez le législateur à traiter de façon distincte les résidences privées. Ainsi, certaines dispositions exigent le consentement de l’occupant afin d’avoir accès à une résidence privée182 alors que d’autres permettront cet accès sur autorisation d’un tribunal

uniquement183. Bien que la Cour suprême du Canada n’ait pas reconnu que le fait qu’il

s’agisse d’une résidence privée soit déterminant, elle affirme néanmoins clairement qu’un acteur de l’Administration n’est pas autorisé à en forcer l’entrée :

Selon la nature de l'industrie, il est possible que certaines inspections se déroulent au domicile de l'employeur ou des salariés, lorsqu'il coïncide avec leur lieu de travail. Cette éventualité ne diminue cependant pas le caractère raisonnable des pouvoirs d'inspection. Les salariés visés par les décrets comptent parmi les plus vulnérables et la Loi est édictée pour leur protection. Il importe, en définitive, que les pouvoirs d'inspection soient suffisamment circonscrits pour en satisfaire l'objet; ils le sont ici par la nature des personnes visées: l'employeur et le salarié. Il est utile de mentionner que la Loi n'autorise pas les inspecteurs à forcer l'entrée si l'employeur la leur refuse. Ils ne peuvent qu'entreprendre une poursuite pour

180 Id., p. 19-20. Voir aussi : St-Aubert (Municipalité de) c. Gamache, 2007 QCCS 6070, par. 15. 181 L. ANGERS, préc., note 125, p. 768.

182 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 38.

183 Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 119.0.1; Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 101.

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entrave; l'employeur récalcitrant, à l'instar des intimés, se verra alors condamner à une amende.184

En terminant, le pouvoir de pénétrer dans un lieu n’est généralement pas accompagné d’un pouvoir exprès d’examiner les lieux. Dans l’échantillon, seules six habilitations bénéficient du pouvoir d’examiner les lieux en complément de celui d’y pénétrer. Compte tenu des commentaires déjà formulés dans la section 2.1.4, il y lieu de se questionner sur l’à-propos d’inclure de tels pouvoirs exprès d’examiner les lieux, ceux-ci étant, selon toute vraisemblance, considérés implicites au pouvoir de pénétrer dans un lieu.