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Partie II : L’élimination des entraves et l’application de la loi par l’acteur de

Section 2 : Dispositions permettant d’assurer l’application de la loi à l’occasion de la

2.3.1 L’interdiction d’entraver

L’interdiction d’entraver est le type de disposition le plus courant parmi tous les pouvoirs et accessoires présentés dans le cadre de ce mémoire. Plus de la moitié des habilitations

380 Gauthier c. Guimont, préc., note 178, par. 37. Voir aussi : Protection de la jeunesse — 106300, 2010 QCCQ 14875, par. 11-12. Contra : Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 25, 55; Coutu c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), préc., note 105, par. 59- 60.

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étudiées, soit 123 sur 216, sont visées par une disposition interdisant l’entrave. Des deux plus anciennes habilitations répertoriées dans l’échantillon, soit les pouvoirs d’enquête381

et d’inspection382 de la Loi sur l’instruction publique pour les autochtones cris, inuits et naskapis, l’une d’entre elles prévoyait déjà une interdiction d’entraver en 1899. Ainsi, lors

de son adoption, l’article 29 de cette loi se lisait :

L’inspecteur d’écoles peut obliger les secrétaires-trésoriers et les instituteurs sous son contrôle de lui communiquer les documents confiés à leur garde se rapportant à leurs fonctions, sous peine d’une amende de huit piastres pour chaque refus ou négligence.383

Un grand nombre d’habilitations visées par ce type d’interdiction a été adopté au fil des décennies suivantes, tel qu’il appert du tableau suivant :

TABLEAU XVII : Interdictions d’entraver mises en place, par décennie Décennie Nouvelles habilitations visées

1890-1899 1 1900-1909 2 1910-1919 - 1920-1929 1 1930-1939 - 1940-1949 - 1950-1959 - 1960-1969 - 1970-1979 36 1980-1989 18 1990-1999 18 2000-2009 32 2010-2015 (juin) 16

L’augmentation du nombre d’habilitations visées par une interdiction d’entraver est particulièrement importante durant les années 70, alors que le nombre de nouvelles habilitations visées par cette interdiction était deux fois plus élevé que le nombre de

381 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, préc., note 43, article 14.

382 Id., articles 25, 29 et 30.

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nouvelles habilitations jouissant du pouvoir de demander des documents ou des renseignements, tel que le démontre le graphique suivant :

FIGURE IV : Comparaison des dates d'adoption de certains pouvoirs et de l’interdiction d’entraver, par décennie

Cette situation n’est peut-être pas étrangère au fait qu’on retrouve dans certaines lois une interdiction d’entraver au profit d’une habilitation qui ne jouit par ailleurs d’aucun pouvoir de contrainte384. Ces situations ne sont pas sans créer une certaine confusion dans

l’interprétation de ce qui constitue une entrave dans ce contexte.

Les sources de confusion sont d’ailleurs multiples à l’occasion d’une étude comparative des différentes interdictions d’entraver puisque plus d’une cinquantaine de libellés différents ont été retrouvés parmi les 123 habilitations jouissant d’une telle interdiction. Ces libellés sont d’une grande variété, allant du plus simple (« Il est interdit d'entraver une vérification. »385) au plus complexe :

187. Commet une infraction toute personne qui entrave de quelque façon l'action d'une personne autorisée à exercer des pouvoirs prévus à la présente loi ou celle

384 Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 225, article 21; Loi sur le régime

des rentes du Québec, préc., note 231, article 31; Loi sur la Société de l'assurance automobile du Québec, préc., note 31, article 16.3.

385 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, préc., note 147, article 331.2. 1960- 1969 1970- 1979 1980- 1989 1990- 1999 2000- 2009 2010- 2015 (juin) Exiger des documents/renseignements 3 18 22 20 34 11

Entrer dans un lieu 0 7 12 12 20 6

Interdiction d'entraver 0 36 18 18 32 16 0 5 10 15 20 25 30 35 40

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d'une personne autorisée par la municipalité à exercer des pouvoirs d'inspection aux fins de vérifier l'application de la présente loi, l'empêche de faire des fouilles ou des travaux d'expertise, notamment de prendre des échantillons, des photographies ou des enregistrements de lieux et de biens qu'elle a le droit de prendre, lui fait une fausse déclaration, ne lui prête pas assistance ou ne lui fournit pas un renseignement, un document ou une copie d'un document ou une chose qu'elle a le droit d'exiger ou d'examiner. […]386

Au fil des différents libellés, l’interdiction d’entraver a donc été associée à une ou plusieurs autres interdictions qui visent vraisemblablement à s’assurer de donner à la disposition toute la portée voulue. Parmi ses interdictions additionnelles, il est notamment interdit de :

1- Tenter d’entraver387;

2- Tromper par réticence, déclarations fausses ou mensongères388;

3- Faire de fausses déclarations389;

4- Mettre obstacle390;

5- Induire en erreur391;

6- Refuser de fournir un document ou renseignement392;

7- Refuser de laisser prendre copie393;

8- Refuser de donner accès394;

9- Cacher ou détruire un document ou un bien utile395;

10- Empêcher de faire des fouilles ou des travaux d’expertise396;

11- Ne pas prêter assistance397;

12- Négliger d’obéir à un ordre398;

13- Détériorer ou laisser se détériorer une affiche dont l’installation a été ordonnée399.

386 Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 124, article 187.

387 À titre d’exemple : Loi sur les assurances, préc., note 96, article 406.

388 À titre d’exemple : Loi sur l'aide aux personnes et aux familles, préc., note 313, article 125; Loi

sur le cinéma, préc., note 65, article 179.

389 À titre d’exemple : Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 124, article 187. 390 À titre d’exemple : Loi sur le bâtiment, préc., note 121, article 194.

391 À titre d’exemple : Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d'épargne, préc., note 95, article 311.

392 À titre d’exemple : Loi sur la protection du consommateur, préc., note 32, article 307. 393 À titre d’exemple : Loi sur l'instruction publique, préc., note 29, article 30.

394 À titre d’exemple : Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 139. 395 À titre d’exemple : Loi sur les mines, préc., note 330, article 252.

396 À titre d’exemple : Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 124, article 187. 397 À titre d’exemple : id., article 187.

398 À titre d’exemple : Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 121. 399 À titre d’exemple : id., article 121.

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Tel que mentionné plus haut, les plaideurs, ou même les décideurs, présentent parfois un argumentaire fondé sur un raisonnement a contrario afin de déterminer la portée d’un pouvoir de contrainte ou d’un accessoire400. Ainsi, appliquant le principe d’interprétation

selon lequel « le législateur ne parle pas pour ne rien dire »401, ils en viennent à la

conclusion que si le législateur a ajouté une mention spécifique dans une loi, c’est qu’il considère que cet élément n’est pas déjà inclus dans un libellé plus général. Appliquant une telle logique en matière d’interprétation de l’interdiction d’entraver, force est de constater que l’interdiction d’entraver seule n’aurait que bien peu d’effet. En fait, un exercice créatif important est requis pour trouver ce qui est couvert par l’interdiction d’entraver seule en excluant toute les interdictions additionnelles qui y sont jointes dans une loi ou une autre.

Outre le cumul de l’interdiction d’entraver et d’interdictions additionnelles, plusieurs dispositions interdisent des actes spécifiques qui, en soi, constituent déjà une entrave. On retrouve par exemple dans l’échantillon des interdictions de participer ou consentir à une déclaration fausse402, d’omettre de fournir un document403, de faire défaut de

comparaitre404, de ne pas respecter des délais405, d'inciter une personne détenant des

renseignements à ne pas collaborer ou de ne pas autoriser cette personne à divulguer des renseignements406.

Cette grande variété de libellés est aussi la source d’un grand nombre de variantes dans le vocabulaire et les expressions utilisées, dont il s’avère parfois ardu de déterminer l’impact. On compte notamment les exemples suivants :

1- Certaines dispositions précisent qu’il est interdit d’entraver « de quelque façon que ce soit »407;

400 9175-7468 Québec inc. c. Montréal (Ville de), préc., note 356, par. 46-47; L.A. c. Régie de

l'assurance maladie du Québec préc., note 80, par. 51-52; Coutu c. Tribunal des professions, 2010

QCCS 6076 (appels accueillis, C.A., 10-12-2012, 500-09-021277-108 et 500-09-021281-100), par. 72-74; Terjanian c. Ayotte, préc., note 59, par. 8, 13, 36-40.

401 Loi d'interprétation, préc., note 64, article 41.1; P.-A. CÔTÉ, préc., note 64, p. 318-320; L. LAUZIÈRE, préc., note 64, p. 21; R. c. Barnier, préc., note 64, p. 1135.

402 À titre d’exemple : Loi sur la Régie de l'énergie, préc., note 46, article 47. 403 À titre d’exemple : Loi sur l'équité salariale, RLRQ, c. E-12.001, article 115. 404 À titre d’exemple : Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 195.

405 À titre d’exemple : Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 115.23. 406 À titre d’exemple : Code des professions, préc., note 58, article 114.

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2- Certaines dispositions interdisent de transmettre un renseignement faux ou mensonger408, alors que d’autres interdisent de transmettre un renseignement faux

ou trompeur409;

3- Certaines dispositions interdisent d’entraver l’acteur de l’Administration410, alors

que d’autres interdisent d’entraver l’action de cet acteur411;

4- Selon le cas, certaines dispositions interdisent de mettre obstacle412, de faire

obstacle413, de nuire414 ou de gêner415;

5- Certaines dispositions interdisent de refuser d’obéir416, alors que d’autres

interdisent de négliger d’obéir417;

6- Certaines dispositions interdisent de faire de fausses déclarations418, alors que

d’autres interdisent de tromper par de fausses déclarations419.

Un esprit attentif pourra facilement identifier ou concevoir de fines distinctions dans la portée des interdictions en fonction du libellé utilisé. Cependant, dans la mesure où ces dispositions visent vraisemblablement toute une fin commune, il est difficile de se convaincre que ces distinctions reflètent bel et bien une intention particulière du législateur.

Au travers de cette variété de libellés, il est possible d’identifier deux grands objectifs généralement visés par ces dispositions, soit interdire une réticence (l’absence de réponse étant assimilable à une réticence) ou interdire la transmission d’information fausse. Dans la grande majorité des cas (107 sur 123), les libellés utilisés couvrent ces deux objectifs.

408 À titre d’exemple : Loi sur Héma-Québec et sur le Comité de biovigilance, RLRQ, c. H-1.1, article 31.3.

409 À titre d’exemple : Loi sur l'assurance automobile, RLRQ, c. A-25, article 83.24.

410 À titre d’exemple : Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 225, article 21.

411 À titre d’exemple : Loi sur l'autorité des marchés financiers, préc., note 74, article 19. 412 À titre d’exemple : Loi sur le bâtiment, préc., note 121, article 194.

413 À titre d’exemple : Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, RLRQ, c. P-2.2, article 57.

414 À titre d’exemple : Loi sur les pesticides, préc., note 121, article 81.

415 À titre d’exemple : Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, préc., note 69, article 87.

416 À titre d’exemple : Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 225, article 21.

417 À titre d’exemple : Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 121. 418 À titre d’exemple : Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 124, article 187. 419 À titre d’exemple : Loi sur le cinéma, préc., note 65, article 179.

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Une étude attentive révèle cependant que les libellés les plus anciens se limitent à interdire les réticences420.

Selon le sens usuel des mots, il semble d’ailleurs que la notion d’entrave soit, en elle- même, assez large pour couvrir le cas de la transmission de renseignements faux. Cela semble cependant ne pas avoir été suffisant dans certains cas où l’interdiction de transmettre des informations fausses a été ajoutée après l’interdiction de réticence421. De

plus, certains libellés limitent par eux-mêmes la portée de l’interdiction d’entraver à certaines situations, par exemple une enquête, une inspection ou une instruction422.

Lorsque vient le temps d’appliquer les dispositions interdisant l’entrave, les tribunaux veillent d’abord à s’assurer que l’entrave est survenue à l’occasion de l’exercice valide des pouvoirs de l’acteur de l’Administration423. À cette occasion, ils pourront cependant

adopter une interprétation libérale des pouvoirs que détient l’acteur de l’Administration424

et de ce qui constitue une entrave. Ainsi, ont été considérées comme une entrave la transmission de documents caviardés425, l’utilisation d’artifices légaux426 ou l’imposition par

l’administré de conditions à son obtempération à la contrainte427. Par ailleurs, agir sur les

conseils d’un avocat428 ou refuser de donner accès pour des raisons de sécurité429 n’ont

pas été considérés comme des défenses suffisantes.

Les conséquences d’une contravention à l’interdiction d’entraver sont généralement de nature pénale. Dans ces cas, les tribunaux reconnaissent qu’il s’agit d’une infraction de responsabilité stricte et qu’une preuve de l’intention n’est pas nécessaire430. Il existe

420 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, préc., note 43, article 30; Loi sur les compagnies, préc., note 317, articles 110 et 203.

421 À titre d’exemple : Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 195.

422 À titre d’exemple : Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des

renseignements personnels, préc., note 255, article 160.

423 Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Beauchemin, 2015 QCCQ 3941, par. 43-46;

Québec (Procureur général) c. Courte, préc., note 56, par. 20-21; Québec (Procureur général) c. Fafard, D.T.E. 2003T-1133 (C.Q.), par. 11.

424 Chartrand c. Coutu, préc., note 311, par, 4, 9, 13-15.

425 Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics, région de Montréal c. Groupe Laberge inc., D.T.E. 2004T-916 (C.Q.), par. 6-8.

426 Comité paritaire des agents de sécurité c. Ataev, 2010 QCCQ 3512, par. 72-74. 427 Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bergeron, [1999] R.D.F.Q. 81 (C.Q.), p. 10-11.

428 Autorité des marchés financiers c. Fournier, préc., note 102, par. 59-63; Comité paritaire des

agents de sécurité c. Beaumier (École de sécurité spécialisée du Québec), 2007 QCCQ 11294,

par. 60-63.

429 Québec (Procureur général) c. Fafard, préc., note 423, par. 9.

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cependant des exceptions à ce principe lorsque la disposition précise que l’administré doit entraver sciemment et lorsqu’il est question de la transmission de renseignements faux431.

La preuve d’intention a aussi été requise pour une infraction consistant à avoir consenti ou acquiescer à une entrave432. Sur déclaration de culpabilité, la peine imposée varie

grandement d’une loi à l’autre, allant de huit dollars433 à 180 000 $ dans certains cas434.

Outre les infractions pénales, les lois contenues à l’échantillon peuvent prévoir l’imposition de sanctions administratives pécuniaires à la suite d’une entrave435 ou, dans certains cas,

l’interdiction d’entraver ne semble être accompagnée d’aucune sanction dans la loi prévoyant cette interdiction436.