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Le droit d'auteur à l'épreuve de la liberté d'expression

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Academic year: 2021

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(1)

Le droit d’auteur à l’épreuve de la liberté

d’expression

Mémoire

Maîtrise en droit

Florian Izquierdo

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL.M.)

et

Université de Paris-Sud

Orsay, France

Master (M.)

© Florian Izquierdo, 2018

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Résumé

Droit d’auteur et liberté d’expression entretiennent des rapports ambivalents. Autrefois complémentaires en vertu d’un équilibre historiquement pensé par le législateur, leur relation s’est détériorée pour se commuer en véritable affrontement lequel doit, aujourd’hui, être apprécié à l’aune des droits fondamentaux au sein desquels figurent droit d’auteur et liberté d’expression. En dépit de la résistance initiale de juges du fond rétifs à l’idée de s’enfermer dans pareille logique concurrentielle, le conflit, devenu récurrent, s’est généralisé tant en droit interne qu’à l’échelle européenne. La confrontation s’opère désormais sous l’égide d’un mécanisme juridique encore récemment inédit en la matière : le contrôle de proportionnalité, redoutable instrument de restructuration du droit et des rapports de force qu’il abrite inévitablement. L’introduction du contrôle de proportionnalité dans le giron du droit d’auteur, sous l’impulsion des cours européennes - dont la méthode de raisonnement a été imitée puis définitivement adoptée par la Cour de cassation -, témoigne d’un changement de paradigme pour le moins manifeste. En cela, le mécanisme augure des bouleversements majeurs pour la matière et en affecte des concepts-phares. En instituant et systématisant une mise en balance permanente du droit d’auteur et de la liberté d’expression, le contrôle de proportionnalité tend à faire de cette dernière une limite externe au droit d’auteur qui viendrait possiblement le neutraliser ou en réduire le champ d’application naturel. Une perspective qui inquiète - dans la mesure où elle fait ressurgir le spectre d’un fair use européen - au point de menacer la pérennité du droit d’auteur et de la conception qui, en droit interne, l’innerve et le structure. À moins que la liberté d’expression, dont le champ d’application semble hypertrophié, n’exige aujourd’hui, à l’ère de la révolution numérique, une position hégémonique dont le corollaire serait l’affadissement inexorable mais nécessaire du droit d’auteur.

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Table des matières

Résumé ... ii

Table des matières ... iii

Remerciements ... v

Introduction... 1

I. La mise en concurrence progressive du droit d’auteur et de la liberté

d’expression

... 11

A. L’acceptation graduelle du conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression

... 11

1. Un équilibre interne au droit d’auteur : la configuration initiale de la confrontation entre droit d’auteur et liberté d’expression ... 11

a. Les exceptions au droit d’auteur, garantes de l’équilibre entre droit d’auteur et liberté d’expression... 12

b. La réticence marquée d’objecter la liberté d’expression au droit d’auteur ... 16

2. Les prémisses de la mise en balance du droit d’auteur et de la liberté d’expression ... 19

a. Les prémisses d’une mise en balance discutable du droit du public à l’information et du droit d’auteur ... 19

b. La mise en balance de la liberté de création et du droit d’auteur cantonnée à un cas précis 23

B. L’introduction définitive du contrôle de proportionnalité, un changement de

paradigme évident dans la dialectique entre droit d’auteur et liberté d’expression

... 27

1. L’immixtion en droit interne d’une méthode de raisonnement supposément aux antipodes des logiques du droit d’auteur ... 27

a. Le contrôle de proportionnalité à l’étude : histoire récente, principe de fonctionnement et modalités de mise en œuvre ... 27

b. Les écueils inhérents à la mise en œuvre du contrôle de proportionnalité ... 33

c. Les bienfaits escomptés du contrôle de proportionnalité ... 37

2. La mise en balance du droit d’auteur et de la liberté d’expression à travers le contrôle de proportionnalité ... 41

a. L’opposition récurrente entre droit d’auteur et liberté d’expression à travers la jurisprudence européenne... 41

b. L’importation en droit interne du conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression sous sa nouvelle forme ... 47

II. La neutralisation du droit d’auteur au moyen d’une conception extensive

de la liberté d’expression : probabilité avérée ou vue de l’esprit ? ... 55

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A. Les droits fondamentaux à travers le prisme du droit d’auteur : entre

instrument de paralysie et condition d’une application renouvelée ... 55

1. La perspective du rétrécissement du champ d’application naturel du droit d’auteur à travers l’avènement d’une limite externe ... 56

a. Les droits patrimoniaux de l’auteur de l’œuvre première en péril ? ... 56 b. L’exclusion pressentie de certaines atteintes à l’intégrité de l’œuvre ... 59

2. Les droits fondamentaux au service d’une application plus effective du droit d’auteur ... 63

B. Un rapport de force incertain entre droit d’auteur et liberté d’expression :

dynamique et perspectives ... 66

1. L’affadissement progressif du droit d’auteur, conséquence de la montée en puissance de la liberté d’expression ... 67

a. L’obsolescence constatable du droit d’auteur à l’aune des œuvres transformatives ... 67 b. La liberté d’expression, catalyseur du déclin du droit d’auteur ? ... 74

2. Le rétablissement souhaitable de la liberté d’expression dans ses délimitations d’origine ... 78

a. L’instrumentalisation regrettable de la liberté d’expression, cheval de Troie d’un fair use européen ... 78 b. Plaidoyer en faveur d’un équilibre plus vertueux et pérenne entre droit d’auteur et liberté d’expression... 82

Conclusion ... 91

Bibliographie ... 92

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Remerciements

En préambule, je tiens à adresser mes plus vifs remerciements à Madame et Monsieur les Professeurs Sophie Verville et Arnaud Latil pour avoir accepté de diriger mon mémoire et m’avoir accompagné tout au long de ce travail ainsi que pour leur sollicitude et leur bienveillance continues.

Je souhaite aussi exprimer ma gratitude à Madame le Professeur Alexandra Bensamoun pour m’avoir donné l’opportunité d’intégrer une formation sans nulle autre pareille.

Mes remerciements vont également à Monsieur le Professeur Georges Azzaria pour les précieux conseils qu’il a sus me prodiguer au cours de l’atelier de présentation.

En outre, si remercier mes parents pour le soutien indéfectible qu’ils me témoignent depuis toujours relève de l’évidence, je m’y astreins avec la discipline qu’exige l’exercice.

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Introduction

« De toutes les propriétés, la moins susceptible de contestation, celle dont l’accroissement ne peut blesser l’égalité républicaine, ni donner d’ombrage à la liberté, c’est sans contredit celle des producteurs du génie »1. Ce postulat, affirmé puis réaffirmé avec

résolution par Joseph Lakanal, dépasse et transcende l’antinomie de principe entre liberté et propriété pour mieux mettre en exergue leur entente réciproque, une fois celles-ci transposées à la propriété intellectuelle. Plus largement, cette conception s’explique et se justifie au moyen de raisons historiques et politiques évidentes. « La Révolution française avait prolongé, par un patrimoine incorporel, sa conception de la propriété en tant que liberté élargie de la personne »2.

Dès lors, la propriété ne saurait empiéter sur la liberté dans la mesure où, indissolublement liées, elles ne font qu’un.

Ainsi, pendant longtemps, droit d’auteur et liberté d’expression ont évolué de concert, se conjuguant harmonieusement3. Plus que ça, ils faisaient montre d’une certaine complémentarité

dans la mesure où les revendications historiques qui les ont faits naître sont inextricablement jointes4. Pour s’en convaincre, il suffit de revenir aux conditions qui ont présidé à la naissance

du droit d’auteur : l’abolition de ce qu’on nommait autrefois le privilège des libraires dans la nuit du 4 août 1789 - les conséquences en furent d’ailleurs désastreuses et il fallut attendre les décrets-lois révolutionnaires de 1791 et 1793 consacrant respectivement le droit de représentation et le droit de reproduction pour que le droit d’auteur émerge véritablement - n’avait-elle pas, de manière indirecte, mis un terme à la censure royale alors en vigueur5 ?

L’idée d’une osmose entre droit d’auteur et liberté d’expression a prospéré au point d’innerver, à de multiples égards, les principes qui structurent et régissent le régime du droit d’auteur en droit positif. Les implications de la liberté d’expression en la matière sont

1 Joseph Lakanal dans Carine Bernault, André Lucas et Agnès Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire

et artistique, 5e édition, Paris, LexisNexis, 2017, à la p 12 [Méthode de citation du Guide McGill utilisée]. 2 René Savatier, « Les métamorphoses économiques et sociales du droit privé d’aujourd’hui » (1959) 342 Revue

Internationale de Droit Comparé.

3 Julie Groffe, « Droit moral et liberté de création » (2017) 43 Revue Internationale de Droit d’Auteur 5, à la p 8. 4 André Lucas. « Droit d’auteur, liberté d’expression et "droit du public à l’information" (libres propos sur deux

arrêts des Cour de cassation belge et française) » dans Alain Strowel, François Tulkens, Droit d’auteur et liberté

d’expression, Regards francophones, d’Europe et d’ailleurs, Larcier, 2006, à la p 123.

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pléthoriques de telle sorte qu’il est, ici, impossible d’en dresser une liste exhaustive. Elles se manifestent premièrement à travers la limitation de la protection dans le temps. En effet, « les créations tombées dans le domaine public sont alors librement réutilisables, sans être à nouveau appropriables »6. Parallèlement, le principe d’égalité de protection en vertu duquel la protection

accordée par le droit d’auteur est indifférente au genre ou au mérite de l’œuvre de l’esprit s’inscrit sans le moindre doute dans une perspective identique7. Enfin, illustration sûrement la

plus marquante, les exceptions au monopole sont en nombre conséquent fondées sur la liberté d’expression et visent à concilier sans soubresaut les deux impératifs. En outre, si la liberté d’expression influe sur les concepts et les équilibres du droit d’auteur et en dessine leurs contours ; elle participe également, de manière sous-jacente, de leur maintien. Et pour cause, la notion d’originalité, par exemple, qui se définit classiquement - selon la célèbre formule de Henri Desbois - comme « l’empreinte de la personnalité » se retrouverait dépourvue d’utilité en l’absence d’une liberté d’expression artistique accordée aux créateurs8. Il en va de même

lorsque Desbois affirme ensuite que les idées sont « par essence et par destination de libre parcours », révélant ainsi que la réservation a trait uniquement aux créations de forme.

Plus généralement, la liberté d’expression est un terreau fertile pour le droit d’auteur qui n’a vocation à jouer que si celle-ci est en mesure de produire pleinement ses effets. De même, réciproquement, le droit d’auteur stimule la création. Il en est l’aiguillon et la récompense9.

« Le droit d’auteur, en ce qu’il fournit au créateur des moyens de subsistance, est aussi une assurance de sa liberté de création future ».10 Ainsi, pour Frédéric Pollaud-Dulian, « le droit

d’auteur constitue, dans l’ordre des droits subjectifs, le contrepoint de ce qu’est la liberté de création et d’expression, dans l’ordre des libertés individuelles : tous deux, chacun dans son propre registre, défendent et exaltent la création et l’individu créateur »11. Une position, faisant

consensus en doctrine, étayée par le Professeur Julie Groffe :

« En effet, tous deux visent finalement le même objectif en ce que chacun éclaire la démarche créatrice en amont comme en aval. En amont, c’est-à-dire au stade où le processus créatif est initié, c’est la liberté de création qui permet à l’auteur en germe d’avoir la latitude suffisante pour créer comme il l’entend. En aval,

6 Isabelle Pignard, La liberté de création, Université Nice Sophia Antipolis, 2013, à la p 15. 7 Code de la propriété intellectuelle, JO, 3 juillet, 1992, 8801, article L. 121-3.

8 Julie Groffe, op. cit., note 3, à la p 8.

9 Pierre Sirinelli, « Le droit d’auteur à l’aube du 3ème millénaire » (2000) 1 La Semaine Juridique Édition Générale

13, à la p 14.

10 Alexandre Zollinger, Droit d’auteur et droits de l’homme, LGDJ, 2008, à la p 244. 11 Frédéric Pollaud-Dulian, Le droit d’auteur, 2e éd, Paris, Economica, 2014, à la p 52.

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c’est-à-dire une fois qu’il y a création de forme […] portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur […] le droit moral […] aura vocation à assurer la protection de la création12. En d’autres termes, liberté de

création et droit moral se succèdent chronologiquement, la formalisation originale s’imposant comme le critère de basculement depuis la liberté vers le droit […] la dualité a vocation à assurer à l’artiste une protection de tous les instants […] droit moral et liberté de création tendent finalement tous deux à protéger le créateur dans le lien qu’entretient celui-ci avec sa création »13.

Le droit d’auteur se mue alors en « garantie de la liberté artistique »14 à tel point « qu’aucun

autre régime juridique ne semble en mesure d’assurer à l’auteur le degré de liberté qui lui est nécessaire pour qu’il puisse proprement remplir sa mission sociale »15.

Pourtant, les relations entretenues se sont rapidement envenimées, le lien s’est étiolé et la logique concurrentielle sous-jacente entre droit d’auteur et liberté d’expression s’est accentuée ces dernières années sous l’effet de la fondamentalisation du droit, phénomène d’ampleur qui prend l’apparence d’une véritable lame de fond.

Ce phénomène dual, révélateur d’une mécanique à double-détente, désigne, dans un premier temps, « l’appréhension de certaines règles par des normes d’origine supralégislative »16. Dès lors, la fondamentalisation consiste à rechercher la reconnaissance

d’une règle par des normes qui bénéficient d’une position élevée au sein de la pyramide des normes. En d’autres termes, il s’agit d’isoler une norme consacrée légalement avant de lui faire accéder à un statut supérieur. La fondamentalisation du droit d’auteur s’est opérée en deux temps, d’abord en droit interne puis, successivement, à l’échelle du droit de l’Union européenne.

La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 27 juillet 200617 - postérieure à une décision

qui déjà admettait qu’il existait un « objectif d’intérêt général qui s’attache à la sauvegarde la

12 Frédéric Pollaud-Dulian, « Droit moral et droits de la personnalité » (1994) 15 La Semaine Juridique Édition

Générale 8 : Le droit moral est intrinsèquement lié à l’œuvre et la liberté de création à l’auteur.

13 Julie Groffe, op. cit., note 3, aux p 7 et 8. 14 Alexandre Zollinger, op. cit., note 10, à la p 244.

15 Mihailo Stojanovic, « La raison d’être du droit d’auteur » (1979) 4 Revue Internationale de Droit d’Auteur 3, à

la p 139.

16 Arnaud Latil, Création et droits fondamentaux, LGDJ, 2014, à la p 12.

17 Cons constitutionnel, 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de

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propriété intellectuelle »18 - au sujet de la transposition de la directive Droit d’auteur et droit

voisin dans la société de l’information reconnaît une valeur constitutionnelle à la propriété intellectuelle et à l’ensemble de ses composantes - le droit d’auteur et les droits voisins - et attributs - patrimoniaux, intellectuels et moraux -, le Conseil rattachant la propriété intellectuelle au droit de propriété par référence à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen19 qui le consacre. « La reconnaissance du droit d’auteur en tant que droit

de propriété le fait, du même coup, entrer dans la catégorie des droits fondamentaux »20.

Depuis la consécration textuelle dont il jouit par l’intermédiaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le droit de propriété a connu un élargissement conséquent de son champ d’application, notamment sous l’influence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel21.

Propriété incorporelle imprégnée de valeur spirituelle, la constitutionnalisation du droit d’auteur ne saurait être surprenante22. Une jurisprudence s’est d’ailleurs étoffée afin d’intégrer

graduellement puis définitivement les aspects purement patrimoniaux de la propriété intellectuelle23. Pour le droit d’auteur, la reconnaissance d’une valeur supra-législative a donc

été « tardive, progressive et évolutive »24.

À l’échelle internationale, le droit d’auteur jouit d’une double consécration, à la fois textuelle et jurisprudentielle. Reconnue à l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme25 ainsi qu’à l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux

et culturels, la propriété intellectuelle est également protégée, en droit de l’Union européenne, sur le fondement de l’article 17-2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne26, texte d’application directe qui prévaut sur les normes issues des États membres

18 Cons constitutionnel, 29 juillet 2004, Loi relative à la protection des personnes physiques à l’égard des

traitements de données à caractère personnel, Rec 2004, 2004-499 DC.

19 « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique,

légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

20 Carine Bernault, André Lucas et Agnès Lucas-Schloetter, op. cit., à la p 34.

21 Cons constitutionnel, 28 février 2014, 2013-370 QPC : « Considérant que les finalités et les conditions

d’exercice du droit de propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d’application à des domaines nouveaux et, notamment, à la propriété intellectuelle ».

22 Pierre-Yves Gautier, Propriété littéraire et artistique, 10e éd, Paris, PUF, 2017, aux p 39 et 40.

23 Cons constitutionnel, 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, Rec

2009, 2009-580 DC.

24 Christophe Geiger dans Michel Vivant, Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, 2e édition, Paris, Dalloz,

2015, à la p 34.

25 « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et

de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent […] Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur ».

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dans la mesure où il revêt une valeur identique aux traités. Directe, la protection apparaît également comme indirecte comme en atteste la jurisprudence pour le moins fournie rendue en la matière. Sur ce point, encore est-il pertinent de relever que la Cour de justice de l’Union Européenne - constat qui s’applique également à la Cour européenne des droits de l’homme - élabore « une jurisprudence de plus en plus abondante, où elle s’empare et remodèle les concepts du droit d’auteur et des pans entiers de son régime »27. Ce faisant, en vertu de la

décision Anheuser-Bush28, la Cour européenne des droits de l’homme indique que la « propriété

intellectuelle bénéficie sans conteste de la protection de l’article 1 du Protocole n°1 ». Par la suite, elle en fait un droit fondamental29. Une position sur laquelle s’est alignée la Cour de

justice30.

En ce sens, il est manifeste que « confortablement installés par le traité de Lisbonne au sommet de la hiérarchie des normes de l’ordre juridique communautaire, les droits fondamentaux irradient de plus en plus sur le droit de l’Union européenne et de ses États membres, renouvelant ainsi les sources du droit de la propriété intellectuelle de manière considérable »31.

En outre, la fondamentalisation désigne, dans un second temps, l’articulation - idéalisée en conciliation, elle s’apparente davantage à un conflit - qui tend à opposer les droits fondamentaux situés à la confluence du droit d’auteur avec ce dernier. En effet, « la consécration du droit d’auteur comme droit fondamental ne signifie pas qu’aucun antagonisme ne puisse apparaître entre le droit d’auteur et d’autres droits de l’Homme. Simplement, il ne s’agit plus dans cette hypothèse de constater que le droit d’auteur porte atteinte à un droit fondamental, mais plutôt de relever que deux dispositions d’égale valeur sont en apparence contradictoires. La question est alors de déterminer comment concilier concrètement les diverses dispositions antagonistes, et non de définir une hiérarchie permettant de résoudre de manière abstraite, générale et absolue tout conflit normatif »32. Et pour cause, « quel que soit

son objet, quel que soit son texte de référence […] une liberté peut toujours se voir imposer des

27 Célia Zolynski, « L’élaboration de la jurisprudence de la CJUE en droit de la propriété littéraire et artistique »

dans Mélanges en l’honneur du Professeur André Lucas, LexisNexis, 2014, aux p 813 et s.

28 CEDH, 15 février 2006, Anheuser-Busch, aff 73049/01. 29 CEDH, 29 janvier 2008, Balan c Moldavie, qff 19247/03.

30 CJCE, 12 septembre 2006, Laserdisken ApS c Kulturministeriet, aff C-479/04. 31 Christophe Geiger, op. cit., note 24, à la p 19.

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sacrifices […] au nom d’une autre liberté ou d’un objectif de valeur constitutionnelle : aucune liberté, aucun droit ou principe ne possède un caractère absolu »33.

Parmi ces droits et libertés de valeur supra-législative et inexorablement conduits à entrer en conflit avec le droit d’auteur figurent le droit de la concurrence, les droits de la personnalité et, surtout, la liberté d’expression ainsi que les subdivisions qui en émanent. À ce titre, il convient de préciser, à ce stade de notre étude et afin d’en clarifier le propos qui suivra, que le terme liberté d’expression est ici employé dans son acception la plus large. Si, par la suite, notre recherche se polarisera autour de la liberté de création - ou liberté d’expression artistique34 -, le

droit du public à l’information, dont l’existence réelle demeure sujette à caution, mérite que l’on s’y attarde au regard du foisonnement de décisions dans lesquelles il a été opposé au droit d’auteur.

La liberté d’expression, « liberté fondamentale »35 de tout premier ordre - en tant qu’elle

conditionne l’exercice et l’effectivité de toute une pluralité de droits et libertés -, revêt une importance telle qu’elle s’affirme comme un principe structurant de la démocratie36. La liberté

d’expression est garantie, en droit interne, par la combinaison des articles 10et 1137 de la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et nourrit une jurisprudence constitutionnelle ayant vocation à lui conférer une entière plénitude38. Parallèlement, elle est consacrée, à

l’échelon supra-national, par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et, en droit européen, par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales39, disposition à l’origine d’une multitude de décisions prétoriennes dont

certaines nous intéressent au plus haut point.

33 Christophe Geiger, op. cit., note 24, à la p 35.

34 Alexandre Zollinger, op.cit., note 10 à la p 189. L’auteur fait la distinction entre libertés de création et

d’expression artistique : « Elles sont l’expression d’un droit de l’Homme unique, la liberté artistique, mais correspondent chacune à un angle d’approche distinct et déterminé ».

35 Cons constitutionnel, 10 et 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence

financière et le pluralisme des entreprises de presse, 84-181 DC.

36 Patrick Waschmann, « La liberté d’expression » dans Rémy Cabrillac, Libertés et droits fondamentaux, 23e

édition, Paris, Dalloz, 2017, à la p 486.

37 « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout

Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

38 Cons constitutionnel, 29 juillet 1994, Loi relative à l’emploi de la langue française, 94-345 DC ou encore Cons

constitutionnel, 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité, 94-352 DC.

39 Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir

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« Sous-ensemble »40 ou « démembrement »41 de la liberté d’expression, la liberté de création

se définit désormais comme une liberté bien assise, « certaine dans son existence, intimement liée à la liberté d’expression mais ne se réduisant pas à celle-ci »42. En effet, la liberté de

création accuse un fort particularisme que le « poids écrasant » de la liberté d’expression tend à édulcorer43. Aussi, elle emprunte les caractères de cette dernière et « y ajoute les siens

propres »44. Ces spécificités irréductibles à la liberté de création - dont l’objet est de permettre

à l’artiste de débuter sa démarche artistique sans se trouver bridé ou contraint par autrui - tiennent notamment au fait que son exercice ne représente pas à une fin en soi et ne donne pas systématiquement lieu à création ou encore que la diffusion n’en constitue pas une condition

sine qua non45. De plus, son objet, à savoir la création, activité intellectuelle consistant à

produire une chose, est un fait encore largement ignoré du droit46. Et pour cause, objet mouvant

et complexe, « l’activité créatrice est par définition source permanente de nouveauté, donc de changement, donc de désordre »47.

Si ses fondements juridiques sont « disparates et hétéroclites »48, la liberté d’expression

artistique est mentionnée à l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 15 du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels. De plus, elle fait l’objet d’une reconnaissance en droit positif par le truchement jurisprudentiel. La reconnaissance de la liberté de création découle d’une interprétation de l’article 10 par la Cour européenne : l’arrêt Muller49, confirmé depuis par la jurisprudence Alinak50, indique que

« l’article 10 […] englobe la liberté d’expression artistique ». Parallèlement, en jurisprudence interne51, « la liberté de l’art est placée dans l’orbite de la liberté d’expression »52.

considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations ».

40 Dany Cohen, « La liberté de créer » dans Rémy Cabrillac, op.cit., note 36, à la p 559. 41 Julie Groffe, op.cit., note 3, à la p 8.

42 Dany Cohen, « La liberté de créer » dans Rémy Cabrillac, op.cit., note 36, à la p 557. 43 Arnaud Latil, op.cit., note 16, à la p 184.

44 Dany Cohen, « La liberté de créer » dans Rémy Cabrillac, op.cit., note 36, à la p 559. 45 Ibid.

46 Arnaud Latil, op.cit., note 16, à la p 184.

47 Dany Cohen, « La liberté de créer » dans Rémy Cabrillac, op.cit., note 36, à la p 558. 48 Alexandre Zollinger, op.cit., note 10 à la p 184.

49 CEDH, 24 mai 1988, Müller et autres c Suisse, aff 10737/84 : « Ceux qui créent, interprètent, diffusent ou

exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et d’opinions indispensables dans une société démocratique ».

50 CEDH, 4 mai 2006, Alinak c Turquie, aff 73049/01.

51 Cass civ 1re, 29 octobre 1990 : « Le principe de la liberté d’expression, notamment en matière de création

artistique ».

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Enfin, le droit du public à l’information est classiquement présenté comme le corollaire de la liberté d’expression. Invoqué de manière récurrente par les plaideurs, il demeure discutable compte tenu de la différence de nature entre le droit - dont il revêt les caractéristiques intrinsèques - et la liberté - en l’occurrence, celle qui le fonde, la liberté d’expression.

Si droit d’auteur et liberté d’expression ont pu jusqu’ici démontrer une réelle complémentarité, elle n’est pas exempte de toute remise en question. En adoptant une autre grille de lecture, transparaissent aisément, en germes, les prémisses de l’actuel conflit. En effet, « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »53 proclamait déjà la

sacrosainte Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, principe qui, dans notre système juridique contemporain, peut trouver son corollaire à travers ces mots, ici empruntés au professeur Pierre-Yves Gautier : « La liberté est certes sacrée, mais elle s’arrête là où on empiète sur le droit des autres »54. Un droit qui peut très bien prendre la forme du droit de

propriété, « limite légitime à la liberté de création »55. Dans l’équation entre droit d’auteur et

liberté de création, la tension se cristallise autour du droit moral. « Dans cette perspective, il est évident que le droit moral reconnu à l’auteur sur son œuvre peut constituer un obstacle très net à la création […] Dans l’absolu, la confrontation semble inévitable : le droit moral est un droit de protection qui se traduit bien souvent par une faculté de blocage, et donc par un comportement actif de la part de l’auteur, tandis que la liberté de création impose justement une abstention d’autrui, et donc un comportement passif. Il est difficile, à première vue, d’envisager que la coexistence puisse s’opérer sereinement : celui qui invoque la liberté de création va chercher à paralyser le droit moral, tandis que celui qui invoque le droit moral va chercher à limiter la liberté de création »56.

La confrontation entre droit d’auteur et liberté d’expression ne saurait prétendre être inédite. Elle n’est, en définitive, que la résurgence de l’éternelle problématique inhérente aux exceptions et limitations susceptibles de paralyser l’application du droit d’auteur57.

53 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 26 août 1789, article 4.

54 Pierre-Yves Gautier et Alice Pézard, « Nouvelle méthode de raisonnement du juge ? L’arrêt de la Cour de

cassation du 15 mail 2015 sur le juste équilibre des droits » (2016) 57 Legicom 5, à la p 13.

55 Arnaud Latil, op. cit., note 16 à la p 122. 56 Julie Groffe, op. cit., note 3, à la p 5.

57 André Lucas et Jane Ginsburg. « Droit d’auteur, liberté d’expression et libre accès à l’information (étude

comparée de droit américain et européen) » (2016) 249 Revue Internationale de Droit d’Auteur 4 : « La question des limitations-exceptions a toujours été et reste une question-clé du droit d’auteur comme le montre l’intensité des débats législatifs, judiciaires et doctrinaux menés sur ce terrain miné ».

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Profondément novateurs en revanche sont les termes dans lesquels elle se pose. La liberté d’expression ne s’exprime plus désormais à travers les exceptions mais s’affirme comme limite externe au droit d’auteur dg semble destinée à lui être opposée de manière permanente. Une opposition qui se systématise sous l’égide du contrôle de proportionnalité - mécanisme ayant, d’emblée, vocation à jouer un rôle majeur - mobilisé pour départager les droits mis en balance. En d’autres termes, la dimension conflictuelle entre droit d’auteur et liberté d’expression monopolise désormais le juge comme la doctrine.

La liberté d’expression, droit désormais concurrent du droit d’auteur et cheville ouvrière de sa déliquescence ?

Il s’agira ici d’apprécier les rapports qu’entretiennent droit d’auteur et liberté d’expression à l’aune, notamment, des développements jurisprudentiels récents en droit européen et en droit interne qui tendent, de manière sous-jacente, à accorder une primauté à peine voilée à la liberté d’expression et aux droits qui en émanent (I). Une fois ce premier constat effectué, il sera bon d’en tirer les enseignements qui s’imposent et d’examiner s’il est réellement légitime d’entrevoir un affadissement et, à terme, un déclin du droit d’auteur ou si pareille analyse relève uniquement d’une vue de l’esprit (II). Si la présente étude est étrangère à quelconque approche comparatiste, des incursions en droit américain ou canadien pourront être faites dès lors qu’elles se justifieront.

S’il est, à l’heure actuelle, prématuré de se prononcer définitivement sur l’irruption des droits fondamentaux et sur l’immixtion du contrôle de proportionnalité afférent en tant que moyen privilégié de la mise en balance des intérêts dans le périmètre du droit d’auteur, nul doute que le phénomène, sujet à caution, interpelle et inquiète. Véritable changement de paradigme, il augure des bouleversements majeurs pour la matière - certains ont déjà été initiés, à l’image du passage à un arbitrage externe - et affecte en profondeur les équilibres en présence. En cela, la dynamique à l’œuvre renouvelle intégralement la physionomie de la confrontation entre liberté d’expression et droit d’auteur et implique nécessairement de repenser notre approche de la matière et d’en redéfinir les contours, notamment la démarcation fluctuante entre liberté de création et respect du droit moral que les jurisprudences récentes obscurcissent. Plus inquiétant encore, le mécanisme apparaît symptomatique d’un rétrécissement, voire d’un affadissement du droit moral comme des prérogatives patrimoniales dont l’exercice est de plus en plus restreint au gré des contentieux. À terme, ce serait précisément la pérennité du droit

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d’auteur qui serait battue en brèche. Celui-ci, devenu une gène trop conséquente, serait effacé ou neutralisé par un contrôle de proportionnalité au service exclusif de la liberté d’expression. Par-là, ce serait la consécration d’une conception qui se représente dans le droit d’auteur un droit qui inhibe plus qu’il n’émancipe et qui, ainsi, rendrait son déclin inéluctable après en avoir postulé le crépuscule. Une perspective qui est confortée par le contexte dans lequel elle s’insère, à savoir celui d’une société où l’émergence du droit du public à l’information et la démocratisation de la culture sont synonymes d’autant de nouveautés à appréhender pour la matière.

Pour autant, est-il souhaitable de condamner l’invocation de la liberté d’expression en tant que limite exogène au droit d’auteur ? D’autant que le phénomène, qui n’a rien de conjoncturel, est parti pour s’inscrire dans la durée. Il semblerait a priori que l’argument tiré de la liberté d’expression s’inscrit au sein d’un courant qui tient pour ligne directrice de conférer à la liberté de création sa pleine effectivité et de lui ôter les possibles obstacles susceptibles de l’entraver excessivement. Une liberté de création qui, dans une société façonnée par la révolution numérique et les possibilités qui en découlent, a vocation à jouer un rôle conséquent. De ce point de vue, la liberté de création est une marge de manœuvre supplémentaire et le droit moral représente une entrave à la même création en raison de ses caractéristiques intrinsèques.

En somme, parce qu’elle traduit un renversement de perspective entre le droit d’auteur et les autres droits fondamentaux, la liberté d’expression ébranle les fondements de la matière. Encore s’agit-il de déterminer si cette reconfiguration en signe le déclin ou alors lui assure un équilibre plus vertueux, spécifiquement adapté aux besoins nouveaux des différents acteurs. En considération des différents éléments et enjeux évoqués à titre liminaire, notre étude se proposera d’apprécier donc l’affirmation du professeur Édouard Treppoz : « l'invocation par la Cour de cassation de la liberté d'expression, englobant la liberté de création, constitue un formidable outil de reconstruction ou de déconstruction, c'est selon, du droit d'auteur »58.

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I. La mise en concurrence progressive du droit d’auteur et de la liberté

d’expression

Le conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression, dans les modalités qui lui sont propres aujourd’hui, est la conséquence directe d’une longue évolution (A) laquelle a eu pour catalyseur l’introduction en droit interne d’un mécanisme dont l’utilisation à l’échelle supra-étatique était déjà bien répandue, le contrôle de proportionnalité. À travers sa mise en œuvre, les droits en présence sont mutuellement confrontés afin de déterminer lequel doit prévaloir (B).

A. L’acceptation graduelle du conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression

À l’origine, les juridictions récusaient avec détermination les velléités exprimées par d’aucuns qui ambitionnaient de faire de la liberté d’expression une limite externe au droit d’auteur. L’équilibre était, en effet, garanti au sein du périmètre du droit d’auteur, au cœur du régime juridique qui le structure et l’articule (1). Toutefois, la jurisprudence a progressivement rendu des décisions qui, rétrospectivement, peuvent s’interpréter en signes avant-coureurs de ce qui, plus tard, allait advenir dans la mesure où elles procèdent, de manière sous-jacente, à une mise en balance embryonnaire du droit d’auteur et de la liberté d’expression (2).

1. Un équilibre interne au droit d’auteur : la configuration initiale de la

confrontation entre droit d’auteur et liberté d’expression

Les exceptions légales ont pour vocation première de contribuer à l’équilibre entre droit d’auteur et droits situés au carrefour de celui-ci (a). Si ces soupapes de sécurité présentent des écueils considérables, leur légitimité et leur utilité sont indéniables. Dès lors, pour beaucoup, il n’apparaît pas pertinent d’établir une limite au droit d’auteur au-delà de ce qui a été prévu par le législateur (b).

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a. Les exceptions au droit d’auteur, garantes de l’équilibre entre droit d’auteur et liberté d’expression

« Remettre au juge le soin de concilier au cas par cas le droit d’auteur et la liberté d’expression […] comme l’implique le test de proportionnalité de l’article 10 de la Convention, est de mauvaise méthode. C’est oublier, en effet, que l’arbitrage est déjà fait par la loi sur le droit d’auteur »59. De cette analyse du professeur André Lucas, il ne faut pas déduire que la loi

est auto-suffisante - le droit d’auteur ne saurait évoluer en vase-clos ou constituer un système « autarcique »60 - mais que « les préoccupations mises en avant pour faire obstacle au droit

d’auteur ont déjà été expressément prises en compte par le législateur »61 à travers les

dérogations au droit exclusif que sont les exceptions. Ce n’est pas pour autant, par ailleurs, que le juge voit son rôle négligé ou minimisé alors que d’aucuns dénoncent un « surencadrement légal des exceptions », symptomatique d’une défiance à l’égard du juge62. Son pouvoir

d’appréciation réside dans la bonne application desdites exceptions et il lui appartient de déterminer si les justiciables sont fondés à s’en prévaloir. Il l’exerce, notamment, lorsqu’il juge que l’intention humoristique, critère constitutif de l’exception de parodie ne saurait avoir pour effet d’exclure une « intention de fond étrangère à tout humour » afin de « légitimer des emprunts nécessaires au plein exercice de la liberté d’expression »63.

Les exceptions ont pour objectif de « concilier les impératifs de la protection du droit d’auteur avec d’autres exigences tout aussi fondamentales »64. En ce sens, elles s’inscrivent

naturellement dans une volonté d’équilibre. Le considérant 31 de la directive Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information65 évoque d’ailleurs le juste équilibre que l’on

cherche à atteindre au moyen des exceptions, ce qui, il semblerait, a pour conséquence indue

59 André Lucas, op. cit., note 4, à la p 135.

60 Valérie-Laure Benabou, « Puiser à la source du droit d’auteur » (2002) 192 RIDA 3. 61 André Lucas, op. cit., note 4, à p 136.

62 Pierre Sirinelli, « Propos introductifs » dans André Lucas, Pierre Sirinelli, Alexandra Bensamoun. Les

exceptions au droit d’auteur, État des lieux et perspectives dans l’Union Européenne, Paris, Dalloz, 2012 9, à la

p 14.

63 André Lucas, op. cit., note 4, à la p 139.

64 Hugo Wistrand, Les exceptions apportées aux droits de l’auteur sur ses œuvres, Paris, Éditions Montchrestien,

1968.

65 Directive CE, Directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits

voisins dans la société de l’information, [2001] JO, L 167/10, considérant 31 : « Il convient de maintenir un juste

équilibre en matière de droits et d'intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu'entre celles-ci et les utilisateurs d'objets protégés ».

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de rendre le contrôle de proportionnalité superfétatoire, ce sur quoi nous reviendrons plus tard dans notre étude.

En France, les exceptions font l’objet d’une consécration légale. Elles sont formulées, pour l’essentiel, à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle qui renferme une liste limitative d’exceptions, système fermé dont le choix a été dicté par des arguments de sécurité juridique. Pour le justiciable qui souhaite invoquer une exception, il s’agit, en effet, d’un gage de prévisibilité important.

Les exceptions se définissent comme des limites internes au monopole dont elles paralysent l’application alors que les conditions de celle-ci sont réunies66. D’ordre public, elles ne

sauraient créer de droits subjectifs dans le patrimoine des tiers. D’interprétation stricte67, elles

s’interprètent en faveur du monopole de l’auteur. De plus, leur mise en œuvre est encadrée par le test des trois étapes. Standard de référence, il implique qu’une exception soit conforme aux conditions - elles présentent un caractère cumulatif - qu’il édicte : « Les exceptions et limitations […] ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit »68.

Depuis plus d’une décennie, la tendance est à la multiplication des exceptions dont le nombre a été doublé suite à la transposition de la directive de 2001. De nouvelles ont vu le jour entre temps, à l’occasion notamment de l’adoption de la Loi pour une République numérique69. Ce

phénomène d’extension va de pair avec un recours plus fréquent aux exceptions : elles sont, en effet, sollicitées de manière quasi-systématique.

Les limites au monopole devant être justifiées en toutes circonstances, les exceptions reposent nécessairement sur un ou plusieurs fondements parmi lesquels la liberté d’expression occupe une place majeure. À l’image des exceptions prises dans leur généralité, elles entendent concilier droit d’auteur et liberté d’expression afin de maintenir un équilibre entre les

66 CJUE, 27 juin 2013, VG Wort, aff C-457/11 : La mise en œuvre du droit est « totalement exclue ». 67 CJUE 10 avril 2014, ACI Adam BV e.a. c Stichting de Thuiskopie et autres, aff C-435/12.

68 Directive CE, Directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits

voisins dans la société de l’information, [2001] JO, L 167/10, art 55.

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prérogatives des auteurs et les libertés des tiers70. Parmi celles-ci - liste non exhaustive -,

figurent les exceptions de courte citation et d’analyse ainsi de parodie.

Récemment assimilé à une terre d’élection pour la création transformative, la première constitue une « véritable permission légale de reprendre une œuvre antérieure pour l’incorporer dans une œuvre seconde »71. En effet, l’auteur de l’œuvre première ne peut interdire, en vertu des

dispositions de l’article L. 122-5 et sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source : les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées. Si les conditions d’application de l’exception, mises au point par la jurisprudence, sont, en pratique, souvent difficile à réunir - l’exception doit nécessairement poursuivre une finalité didactique, au moyen d’une incorporation dans une œuvre citante d’un extrait d’une œuvre première, à quoi s’ajoute une exigence de brièveté - elle tend à l’objet d’un élargissement sous l’impulsion de la Cour de justice de l’Union européenne72.

L’exception de parodie est, sans nul doute, l’exception la plus intimement liée à notre sujet. Innervée par la liberté d’expression au point d’avoir été reconnue comme « un des aspects du principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’expression »73, elle protège la caricature et la

satire. Elle a d’autant plus vocation à jouer un rôle majeur au sein des relations qu’entretiennent droit d’auteur et liberté d’expression qu’elle fait l’objet d’une « lecture particulièrement libérale »74 depuis la jurisprudence Deckmyn, du nom de la décision rendue par la Cour de

justice de l’Union européenne le 3 septembre 201475, au terme d’une question préjudicielle

relative à l’interprétation devant être faite de l’exception de parodie. En résulte que la parodie, désormais caractérisée comme notion autonome, a pour seuls critères constitutifs, ou lois du genre lesquelles sont particulièrement souples, d’évoquer une œuvre existante tout en s’en différenciant de manière perceptible afin d’éviter tout risque de confusion et de constituer une manifestation d’humour ou de raillerie. Ainsi, la Cour ne juge pas opportun de vérifier si la parodie représente un réel apport en termes de création par rapport à l’œuvre parodiée ou s’il ne s’agit que d’une copie servile présentant des modifications résiduelles. En revanche, la Cour

70 Sur ce point, existe une controverse de nature sémantique. Doit-on préférer l’emploi du terme « droits » à celui

de « libertés » et, si oui, que recouvrent ces droits ?

71 Valérie-Laure Benabou, Rapport de la mission du CSPLA sur les œuvres transformatives, 2014, à la p 52. 72 CJUE, 1er décembre 2011, Eva Maria Painer c Standard VerlagsGmbH et autres, aff C-145/10.

73 CA Paris, 28 février 1995.

74 Valérie-Laure Benabou, op. cit., note 71 à la p 55. 75 CJUE, 3 septembre 2014, Deckmyn, aff C-201/13.

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souligne que l’application de l’exception doit respecter un équilibre entre les droits des titulaires et la liberté d’expression de l’utilisateur d’une œuvre protégée.

En conséquence, les exceptions fondées sur la liberté d’expression accordent à celle-ci une large place en rendant possible d’utiliser l’œuvre d’autrui sans avoir, au préalable, à recueillir son autorisation. En cela, elles permettent d’appréhender la marge de liberté qu’il convient de réserver à ceux qui aspirent à utiliser des œuvres préexistantes76. Une pratique qui

tend à se généraliser et ne se cantonne pas uniquement aux artistes établis mais à chaque utilisateur et sur laquelle nous reviendrons plus longuement dans la suite de cette étude.

Aussi, pour le professeur André Lucas, il appartient à chaque législateur national de trouver l’équilibre qui lui paraît le plus approprié, en prenant en compte les revendications des tiers. Par-là, il refuse d’octroyer au juge la possibilité de refaire la loi en imposant un autre équilibre que celui qui a été voulu77. Une position qui fait consensus en doctrine : il appartient au

législateur « d’énoncer une règle abstraite et générale, au nom de l’intérêt social, et non au juge de déplacer les lignes à l’occasion de conflits précis entre particuliers » afin de « rechercher le point d’équilibre entre intérêts antagonistes »78.

Outre les exceptions évoquées, d’autres principes et aménagements du droit d’auteur traduisent une prise en considération considérable de la liberté d’expression. La durée limitée dans le temps des droits patrimoniaux ou encore le domaine public, fonds commun dans lequel tout un chacun peut puiser à l’expiration de ladite durée, en constituent les illustrations les plus remarquables. Il est, dès lors, manifeste que la construction et les logiques qui prévalent en droit interne sont exorbitantes au recours aux droits fondamentaux pour arbitrer l’éventuel conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression, conflit censé être désamorcé a priori par un législateur soucieux d’assurer un équilibre qu’il estime pertinent. Si les alternatives à la fondamentalisation existent - d’aucuns militent pour une application plus récurrente de la théorie de l’abus de droit79 qui ne ferait primer la liberté d’expression qu’uniquement dans des

circonstances exceptionnelles80 - force est de constater que celles-ci, jugées inadaptées aux

76 Pierre Sirinelli, op. cit., note 62, à la p 9. 77 André Lucas, op. cit., note 4, à la p 137. 78 Pierre Sirinelli, op. cit., note 62, à la p 13.

79 CA Paris, 30 mai 2001 : la théorie de l’abus de droit s’applique au droit d’auteur.

80 André Lucas, op.cit., note 4, à la p 141 : « La méthode, éprouvée, nous paraît de loin préférable à celle qui

consiste à borner le périmètre du droit d’auteur par la mise en balance avec des droits fondamentaux aux contours incertains ».

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besoins naissants des différents acteurs, peinent à convaincre : « « Les aspirations sont diverses. Entre les désirs des particuliers, les revendications de liberté de créateurs d’œuvres transformatrices ou dérivées ou le souhait de liberté de certains intermédiaires, comment apporter une réponse univoque à des situations si diverses où chacun appelle à la rescousse les droits fondamentaux »81. C’est là une délicate équation à résoudre.

Les exceptions privilégient un arbitrage interne au droit d’auteur, situé dans son périmètre naturel ; ce qui a pour pendant de récuser toute limite externe que l’on souhaiterait opposer au droit d’auteur. Cette conception, héritage de la tradition personnaliste si prégnante en droit interne, a longtemps été défendue par la jurisprudence, la Cour de cassation y démontrant à plusieurs reprises son attachement (b).

b. La réticence marquée d’objecter la liberté d’expression au droit d’auteur

Le droit d’auteur « à la française » se caractérise par la conception personnaliste et romantique qui l’irrigue et le sous-tend notamment du fait de l’influence encore très forte de la grande loi de 195782. De cette histoire résulte un régime juridique dont les règles sont élaborées,

appliquées et interprétées en contemplation de l’auteur lequel, figure de proue, est placé au centre du dispositif qui lui est dédié. Ce régime de faveur connaît, pourtant, aujourd’hui un net recul sous l’effet conjugué des logiques issues du copyright et de la révolution numérique. Toutefois, la conception personnaliste continue de participer de l’idée, plutôt démentie en l’espèce, que le droit d’auteur est un droit souverain ou presque. À cet égard, les principes instaurés en droit interne sont, à l’origine, rétifs à ce qui leur est exorbitant : pour le Professeur André Lucas, le principe de l’interprétation stricte des exceptions, par exemple, est « peu favorable à l’admission de limites externes »83. Réticence textuelle à laquelle s’ajoute le refus

des juges du fond, bientôt corroborés par la Cour de cassation en aval, de consacrer de telles limites.

À l’aube du 21è siècle, il était de jurisprudence constante84 de récuser « l’idée d’utiliser

la liberté d’expression […] pour fonder des limites au droit d’auteur autres que les exceptions

81 Pierre Sirinelli, op. cit., note 62, à la p 9.

82 Loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, JO, 14 mars 1957, 2723. 83 André Lucas, op. cit., note 4, à la p 126.

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légales »85. Une position reprise par la doctrine pour laquelle « la messe, apparemment, est dite

en droit français »86.

La problématique s’était d’ailleurs posée de manière remarquable à l’occasion d’un litige relatif à l’exposition du peintre Maurice Utrillo. « Pour la première fois, le danger […] venait de la Convention européenne des droits de l’homme ! Pour la première fois, le droit d’auteur était mis en cause […] au nom des droits de l’homme ! Le coup était aussi rude qu’inattendu, car le droit d’auteur était attaqué sur son propre terrain : celui de la défense de la culture »87. En l’espèce, un reportage consacré à l’exposition avait été réalisé puis diffusé. Les

images représentaient les tableaux de l’artiste sans que leur auteur ait recueilli, au préalable, l’autorisation d’y procéder auprès des ayants-droit. En première instance, le défendeur fît valoir le droit du public à l’information, exception externe au monopole dont il s’estimait bénéficiaire88. Un argument qui, à la surprise générale, a été admis ; le tribunal de grande

instance de Paris jugeant, dans un raisonnement à étapes successives, que le droit du public à l’information comprenait le droit de voir, que les images présentes dans un reportage participent de l’information du public et, enfin, que soumettre la diffusion du reportage à autorisation aurait pour conséquence directe de priver une fraction du public de son droit à l’information89. En

somme, il se fondait sur le syllogisme en vertu duquel « le droit de voir est nécessaire puisqu’il fournit un élément de connaissance à un fait : or, le fait est, en l’occurrence, une exposition de tableaux ; donc, montrer les tableaux est nécessaire »90. La décision a suscité l’ire de la doctrine

- d’aucuns n’hésitant pas à condamner le « mauvais usage des droits de l’homme »91 quand

d’autres pointaient « une menace pour le droit d’auteur »92.

La vindicte s’est apaisée quand la cour d’appel de Paris93 a infirmé la décision avant de

définitivement s’éteindre avec la confirmation de la Cour de cassation94. Il appert, en effet, de

85 André Lucas, op. cit., note 4, à la p 125.

86 Christophe Caron, « La Convention européenne des droits de l’homme et la communication des œuvres au

public : une menace pour le droit d’auteur ? » (1999) 1 Communication commerce électronique 9, à la p 9.

87 Bernard Edelman, « Du mauvaise usage des droits de l’homme (à propos du jugement du TGI de Paris du 23

février 1999) » (2000) 29 Recueil Dalloz Sirey 455, à la p 455.

88 Id., à la p 456 : L'article 10 de la Convention institue « un droit du public à l’information qui constitue une

exception aux dispositions figurant dans le code de la propriété intellectuelle ».

89 Trib gr inst Paris, 23 février 1999, Recueil Dalloz Sirey, à la p 580. 90 Bernard Edelman, op. cit., note 87, à la p 455.

91 Ibid.

92 Christophe Caron, op. cit., 33 93 CA Paris, 30 mai 2001.

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l’arrêt rendu par cette dernière que « le monopole légal de l'auteur sur son œuvre est une propriété incorporelle, garantie au titre du droit de toute personne physique ou morale au respect de ses biens, et à laquelle le législateur apporte des limites proportionnées, tant par les exceptions inscrites à l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle que par l'abus notoire prévu à l'article L. 122-9 du même Code ». Elle poursuit en indiquant que la diffusion des tableaux litigieux n’était pas indispensable à la réalisation du but d’information poursuivi avant de conclure que « le moyen tiré d'une violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme s'avère, ainsi, inopérant ».

En refusant d’opposer l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme au droit d’auteur et en se remettant exclusivement aux exceptions consacrées légalement, la Cour de Cassation confère sa pleine effectivité aux prérogatives des titulaires en leur garantissant un champ d’application conséquent. Par-là, elle préserve les logiques qui lui sont inhérentes et accorde sa primeur à un équilibre interne à la matière. Elle s’inscrit, à ce titre, dans le prolongement de la jurisprudence antérieure qui jugeait que la liberté d’expression ne saurait faire obstacle au droit d’auteur. Par la suite, elle réitèrera d’ailleurs sa position par le truchement d’un arrêt rendu le 25 mai 200495 dans lequel elle écarte la possibilité pour un éditeur de presse

contrefacteur de se prévaloir de la liberté d’expression pour s’exonérer des faits qui lui sont reprochés : « est irrecevable, car nouveau et mélangé de faits, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par l'obstruction apportée à la liberté de l'éditeur de promouvoir son propre magazine en reproduisant sa couverture, les conclusions d'appel, limitées sur ce point à une affirmation générale et amalgamée d'atteintes à la liberté d'expression, au principe de la liberté du commerce et au droit à l'information, étant exemptes de tout raisonnement juridique précis de nature à influencer la solution du litige, notamment eu égard au monopole d'exploitation de l'auteur de la photographie reproduite »96.

Ainsi, dans les premières années du nouveau siècle, le droit français résiste farouchement aux quelques velléités tendant à l’immixtion en droit d’auteur des droits fondamentaux et de ce qu’ils véhiculent comme potentiels effets pervers pour la matière : « Outre que leur contenu même et leur protection sont, en l'occurrence, incertains, les libertés

95 Cass civ 1re, 25 mai 2004, 01-17.805.

96 André Lucas, « Représentation contrefaisante d’une photographie sur les offres d’abonnement d’un magazine »

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ou droits fondamentaux ne peuvent pas justifier la violation des prérogatives des auteurs et de leurs ayants droit […] Les prérogatives des auteurs sont des droits subjectifs bien délimités, comportant des exceptions légales précises, dont l'économie ne devrait pas pouvoir être bouleversée ou anéantie par l'invocation de libertés vagues et inconditionnées, que ces droits ne remettent, d'ailleurs, pas véritablement en cause - sauf à ce que tout droit individuel, qu'il s'agisse de droit de propriété ou de droits de la personnalité, soit considéré comme une atteinte à la liberté d'autrui, ce qui n'a manifestement aucun sens dans un Etat de droit et représente même la négation du système juridique »97. Pourtant, en dépit d’une volonté sans cesse

renouvelée de préserver l’équilibre initialement construit, des voix commencent à porter et appellent de leurs vœux un recours aux droits fondamentaux. Un phénomène, prenant acte de la relation conflictuelle entre droit du public à l’information et droit d’auteur, et qui présage « l’avènement d’un conflit, véritable changement de paradigme »98.

2. Les prémisses de la mise en balance du droit d’auteur et de la liberté

d’expression

Très vite, la confrontation entre droit d’auteur et liberté d’expression s’installe et se pérennise. Bicéphale, elle s’opère sur le double terrain conjugué des deux démembrements de la liberté d’expression et de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui la consacre : le droit d’information au public (a) et la liberté de création (b).

a. Les prémisses d’une mise en balance discutable du droit du public à

l’information et du droit d’auteur

« Les tensions entre droit d’auteur et droit du public à l’information se sont progressivement accentuées en raison principalement de deux facteurs : l’un est économique […] l’autre principalement technique »99. Le premier tient à l’émergence d’une économie de la

connaissance dont la ressource fondamentale revêt un caractère immatériel et, donc, en partie insaisissable. Le second réside dans l’imperfection regrettable des mesures techniques,

97 Frédéric Pollaud-Dulian, « Droit à l’information. Droit de propriété. CEDH. Reproduction illicite », 2 (2008)

Revue Trimestrielle de Droit commercial 78.

98 Christophe Geiger, « Droit d’auteur et droit du public à l’information » (2005) Recueil Dalloz Sirey 104, à la p

112.

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procédés inaptes à différencier utilisations légitimes et œuvres qui ne peuvent prétendre à protection.

Parallèlement - et c’est là, possiblement, le facteur le plus déterminant - « l’extension démesurée qu’a connu le droit d’auteur n’a pas été contrebalancée par l’extension du champ des exceptions […] restées cantonnées dans des limites très étroites »100. En effet, pour

beaucoup le droit d’auteur est victime d’hypertrophie101 suite à l’introduction d’un nombre trop

conséquent d’œuvres protégeables au sein de son périmètre ; ce qui a pour effet, réciproquement, de réduire la marge de manœuvre des tiers. En conséquence, « certains droits nouveaux ont été créés au détriment des espaces de libertés accordés par la propriété intellectuelle »102. Des droits, à l’image du droit du public à l’information, dont les mérites sont

vantés sans être idéalisés. Invoquer des règles externes au droit d’auteur n’étant la solution idéale, il demeure préférable que ces problèmes soient réglés par le législateur. Or, le législateur, enserré dans un lacis de contraintes et supposé partisan de l’immobilisme, n’est pas en mesure de les solutionner. Dès lors, les droits fondamentaux apparaissent comme un moyen privilégié pour assurer l’équilibre visé. S’ils présentent des risques d’abus et d’instrumentalisation - leur formulation élargie et imprécise y est propice -, ils garantissent souplesse et flexibilité103.

C’est pourquoi le droit du public à l’information tend à être invoqué de manière exponentielle par les justiciables sans que l’on ne sache pertinemment ce qu’il recouvre réellement. Les fondements sur lesquels il repose sont incertains, à l’image de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui évoque exclusivement une liberté et non un droit. Classiquement, il demeure le « droit pour tout un chacun d’utiliser librement une information, d’exercer pleinement une liberté »104. Appliqué au droit d’auteur - ce qui implique au préalable

de concevoir l’œuvre dans sa dimension informationnelle-, il se définit comme le « droit d’obtenir des informations sur l’œuvre protégée par le droit d’auteur, le droit d’être informé sur l’œuvre et son contenu »105.

100 Id, à la p 114.

101 Alexandra Bensamoun, « La protection de l’œuvre de l’esprit par le droit d’auteur : “qui trop embrasse mal

étreint” », (2010) Recueil Dalloz Sirey 2919.

102 Christophe Geiger, op.cit., note 98, à la p 112. 103 Id., à la p 120.

104 Id., à la p 104. 105 Id., à la p 105.

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