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La neutralisation du droit d’auteur au moyen d’une conception extensive

A. L’acceptation graduelle du conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression

II. La neutralisation du droit d’auteur au moyen d’une conception extensive

l’esprit ?

La liberté d’expression invoquée au titre de limite externe est, pour l’instant, dépourvue d’application effective. L’injonction de la Cour de cassation à destination des juges du fond d’opérer une balance des intérêts a été suivie - comment pourrait-il en être autrement - mais, dans le peu d’exemples dont nous sommes en possession, l’articulation s’est faite en faveur du droit d’auteur. Pourtant, si, à terme, la liberté d’expression devait être admise, nul doute qu’elle serait synonyme de rétrécissement pour le droit d’auteur. Les prérogatives des titulaires, peu importe leur nature, seraient potentiellement paralysées dès lors que la liberté d’expression l’exigerait (A). Progressivement, la liberté d’expression prendrait l’ascendant et condamnerait le droit d’auteur à son inévitable déclin. À moins que les droits fondamentaux ne soient, précisément, la condition du maintien du droit d’auteur, lui offrant la possibilité de se voir appliquer d’une manière entièrement repensée. Une thématique qui fait, depuis longtemps, office de leitmotiv dans la littérature juridique. Les causes qui postulent un affadissement du droit d’auteur, en effet, se conjuguent au pluriel et sont tout aussi nombreuses que les implications contemporaines de la liberté d’expression. Entre obsolescence programmée et crise de légitimité, le droit d’auteur est contraint de puiser dans les ressources à sa disposition. Si l’avenir du droit d’auteur et les perspectives qui s’offrent à lui ne sauraient être dictés par le simple contexte exogène, la propriété intellectuelle ne peut faire le choix d’évoluer en vase- clos et doit composer avec les éléments qui gravitent à sa périphérie au nombre desquels on compte évidemment la liberté d’expression. Si celle-ci nécessite résolument un encadrement - une liberté d’expression exorbitante placée hors de toutes frontières n’aurait que pour effet de la dénaturer et de la galvauder -, elle représente, de toute évidence et encore davantage qu’elle a pu l’être, un support juridique indispensable à la création et, ainsi, au droit d’auteur (B).

A. Les droits fondamentaux à travers le prisme du droit d’auteur : entre instrument

de paralysie et condition d’une application renouvelée

De sa confrontation avec la liberté d’expression et, plus largement, avec les droits fondamentaux, le droit d’auteur en sortira nécessairement transformé. Reste à déterminer si la mutation à venir tend à refouler en bloc son application (1) ou à lui rendre ses lettres de noblesse (2).

1. La perspective du rétrécissement du champ d’application naturel du droit

d’auteur à travers l’avènement d’une limite externe

La liberté d’expression déploie ses effets sur l’ensemble du droit d’auteur. Le droit moral (b), essence de la conception française du droit d’auteur, comme les droits patrimoniaux (a) sont mis en péril par la liberté d’expression laquelle dessine une protection à géométrie variable et librement modulable selon les espèces.

a. Les droits patrimoniaux de l’auteur de l’œuvre première mis en péril ?

Arrêt pilote, la jurisprudence Klasen épouse également les contours d’un arrêt « provocateur et gorgé de symboles » en tant qu’il recèle un « raisonnement redoutable » 262.

Ce raisonnement contient, en germes, des potentialités inquiétantes de nature à abolir, au gré des espèces, l’exercice du droit de propriété intellectuelle par son titulaire.

Parmi les écueils dont le contrôle de proportionnalité serait la source, celui lié à l’imprévisibilité inquiète le plus. Rendant impossible d’anticiper la décision du juge - d’un côté le tiers sera dans l’incapacité de déterminer s’il peut légitimement emprunter l’œuvre préexistante, de l’autre, de l’autre le titulaire n’aura aucun moyen de connaître de l’opposabilité future de son droit263 -, il traduit, à ce titre, « la consécration d’une balance contra legem » pour

le professeur Julie Groffe264. Contra legem n’est pas ici employé dans son acception classique

mais au sens de légicide dans la mesure où le contrôle de proportionnalité permet de neutraliser l’application d’une norme de type légal dès lors qu’elle porterait une atteinte excessive à une liberté ou à un droit fondamental265. Une fois transposé au droit d’auteur, il apparaît que la

sanction prononcée au titre de la contrefaçon pourrait être paralysée si le juge considère que celle-ci empiète avec excès sur la liberté de création de l’auteur. En ce sens, la jurisprudence

Klasen admettrait que, dans certains cas soumis à appréciation, les droits patrimoniaux de

l’auteur de l’œuvre première soient écartés au profit de la liberté d’expression artistique de l’auteur de l’œuvre seconde. L’accepter battrait en brèche le régime de l’œuvre composite tel

262 Pierre-Yves Gautier, op. cit., note 54, à la p 7.

263Frédéric Pollaud-Dulian, « Liberté de création. Droit d’adaptation. Droit moral. CEDH » (2015) 3 Revue

Trimestrielle de Droit Commercial 515.

264 Julie Groffe, op.cit., note 3, à la p 11. 265 Id., à la p 12.

que fixé à l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle et le système d’autorisation qu’il institue.

Une hiérarchie à peine voilée se dessine entre droit d’auteur et liberté d’expression : « La prise en considération de la liberté d'expression artistique constitue un point d'orgue logique dans un mouvement d'idées entendant faire prévaloir les droits fondamentaux sur le droit d'auteur » [et] à infléchir le premier en raison de l’importance des seconds »266. Avant

cela, déjà, les nombreux signes avant-coureurs du changement, que ce soit en droit interne ou à l’échelle supra-nationale, rendaient plus précaire le droit d’auteur par le raisonnement tenu mais en confortaient en quelque sorte l’application pour les titulaires. Ici, en revanche, la Cour régulatrice exige que l’opposabilité du droit soit systématiquement justifiée267. Il s’agit non pas

d’un renversement de la charge de la preuve mais de la prétention à faire valoir son droit. En effet, le droit d’auteur, désormais assimilé à une ingérence est contraint démontrer en quoi son application, nécessaire et proportionnée, respecte un juste équilibre sans lequel il est tenu pour illégitime. La décision Klasen subordonne donc l’application du droit d’auteur à la preuve d’un juste équilibre avec la liberté de création.

Dans un tel cas, il s’agira alors d’occulter la prérogative d’un auteur au nom de la liberté d’expression d’un autre auteur, ce qui revient à établir des distorsions au sein du régime juridique et nuit à l’égalité de protection entre auteurs. La réunion des conditions constitutives de l’action en contrefaçon n’entraînerait plus nécessairement le prononcé d’une sanction268. La

notion de contrefaçon, d’importance critique en propriété littéraire et artistique, se vide ainsi de sa substance. L’auteur de l’œuvre de seconde, du fait de sa localisation chronologique dans le processus de création, jouirait d’une liberté d’expression exacerbée, hypertrophiée. « La liberté d’expression jouerait alors comme une “méta-exception” externe au droit d’auteur, sans que l’on connaisse son champ d’application exacte ni ses limites »269. Selon le professeur Frédéric

Pollaud-Dulian, dans son commentaire de l’affaire Klasen, ledit auteur, « si la balance devait pencher du côté de la liberté créatrice, M. Klasen, de contrefacteur dépourvu de droit, se retrouverait titulaire d'un droit d'auteur sur une œuvre dérivée pourtant dénaturante, exécutée et

266 Alexandra Bensamoun et Pierre Sirinelli, op. cit., note 340. 267 Ibid.

268 Christophe Caron, Droit d’auteur et droits voisins, 4e éd, Paris, LexisNexis, 2015, à la p 523. 269 Alexandra Bensamoun et Pierre Sirinelli, op. cit., note 340.

exploitée contre la volonté de l'auteur de l'œuvre première »270. Ce droit d’auteur implicitement

octroyée serait d’ailleurs illégitime dans la mesure où les conditions légales qui subordonnent sa délivrance ne seraient pas remplies.

À l’inverse, le premier auteur se verrait dépossédé des prérogatives qui lui échoient et, dans une certaine mesure, de sa création. Son autorisation pour exploiter l’œuvre est désormais obsolète, dépourvue d’utilité. Le fameux lien ombilical qui unirait, en vertu de la conception personnaliste, l’auteur à son œuvre n’en est que plus fragilisé. Le sort réservé à l’auteur de l’œuvre préexistante apparaît, en ce sens, infondé : « tous ces travailleurs ont mérité de […] rester les maîtres de leur création, fruit de la conjonction de leur intelligence et de leur sensibilité ; ils doivent donc conserver autorité et puissance sur l’œuvre »271. C’est ce que

formulait la cour d’appel de Paris, relativement à l’affaire Klasen en soutenant que « les droits sur des œuvres arguées de contrefaçon ne sauraient, en effet, faute d'intérêt supérieur, l'emporter sur ceux des œuvres dont celles-ci sont dérivées sauf à méconnaître le droit à la protection des droits d'autrui en matière de création artistique »272. « En effet, faire valoir que la liberté de

création pourrait l'emporter au terme de sa mise en balance avec le droit d'auteur implique que le droit consacré par la loi et reconnu individuellement à l'auteur des photographies originales serait à mettre sur le même plan que la liberté, alors que le législateur a lui-même restreint cette liberté en instituant un droit subjectif assorti d'exceptions précises »273.

Aussi, l’invocation de la liberté d’expression interroge la protection véritable accordée aux œuvres et, surtout, celle de la réciprocité274. Selon les conditions qui président à sa création,

l’œuvre se verra octroyer ou refuser le bénéfice de la protection. Quid, également, de la protection des œuvres secondes ? Celle-ci pourra-t-elle être empruntée et intégrée à de nouvelles œuvres de manière indéfinie et perpétuelle à moins que le contrôle de proportionnalité ne décide l’inverse ? « En cas de réponse favorable au tiers qui voudrait réutiliser l'œuvre seconde pour une troisième création, l'auteur de l'œuvre première se trouvera privé du droit d'interdire la sous-adaptation - droit que lui a pourtant toujours reconnu la jurisprudence »275.

270 Frédéric Pollaud-Dulian, op. cit., note 263. 271 Pierre-Yves Gautier, op. cit., note 22, à la p 25. 272 CA Paris, op. cit., note 242.

273 Frédéric Pollaud-Dulian, op. cit., note 263. 274 Ibid.

En définitive, au regard des potentiels effets pervers qui vont de pair avec l’invocation de la liberté d’expression sous l’égide du contrôle de proportionnalité, il est manifeste que le mécanisme, combiné avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, est porteur d’une grande insécurité juridique. Bien loin d’étancher le contentieux ou de le restreindre - l’engorgement des tribunaux est une problématique maintenant profondément enracinée -, il renforce les prétentions excessives des tiers. « Parce qu’il permet des solutions d’une grande malléabilité, le contrôle de proportionnalité peut se muer en instrument politique, la balance apparaissant alors comme très subjective »276. Le paradigme de la proportionnalité

confère, en effet, aux juges une mission déterminante et une responsabilité conséquente. À ce titre, toute subjectivité doit être écartée sous peine de sombrer dans l’arbitraire. Or, les critères, instables, à mettre en œuvre pour exercer le contrôle de proportionnalité s’y prêtent et pourraient, à certains égards, aboutir à une prise en considération déguisée des qualités esthétiques ou intellectuelles attribuées aux œuvres. Le mérite se convertirait alors en « variable d’ajustement de l’intensité de la protection accordée »277 au profit d’un « puissant principe

égalisateur »278. En conséquence, « le danger existe d’un glissement d’une balance des intérêts

vers une balance des œuvres. Or la mise en balance des œuvres, c’est la résurgence du mérite non au stade de l’accès à la protection mais à celui de l’intensité de la protection octroyée »279.

La neutralisation des droits patrimoniaux n’est pas la seule conséquence qui résulterait de l’admission de la liberté d’expression à titre de limite externe. Et pour cause, le droit moral ne saurait y faire exception (2).

b. L’exclusion pressentie de certaines atteintes à l’intégrité de l’œuvre

À ce stade, il apparaît que « l'équilibre interne au droit d'auteur entre ces deux intérêts antagonistes que sont la protection et la liberté de création peut à tout moment être remis en cause par le juge à l'aune de ce nouveau contrôle externe »280. Ce faisant, il s’avère que la

protection est remise en question non seulement dans son versant économique - les droits patrimoniaux permettent d’organiser l’exploitation de la création en autorisant, par exemple, la

276 Julie Groffe, op.cit., note 3, à la p 25. 277 Ibid.

278 Édouard Treppoz, op. cit., note 58. 279 Julie Groffe, op.cit., note 3, à la p 25. 280 Édouard Treppoz, op. cit., note 58.

reproduction ou la représentation de celle-ci -, mais également dans son pendant moral, émanation de la vision romantique du droit. À ce titre, « à raisonner en contemplation du couple droit moral et liberté de création, l’immixtion du contrôle de proportionnalité dans les décisions revient à porter un coup sévère à la prérogative »281.

Le droit moral, construction juridique édifiée en contemplation de la personne de l’auteur, traduit l’intensité du lien qui unit ce dernier à son œuvre. Il comprend réunit l’ensemble des prérogatives extrapatrimoniales qui permettent à l’auteur de préserver sa personnalité telle qu’elle s’exprime dans son œuvre282. Ce lien, juridiquement protégé, lui confère des

prérogatives souveraines à l’égard des tiers : droit de divulgation, droit de paternité, droit de repentir et droit au respect de l’œuvre. Parmi ces subdivisions, la dernière exige que l’œuvre soit préservée dans son intégrité, ce qui a trait à toute altération non consentie de sa substance, mais également dans son esprit de manière à sanctionner les atteintes de nature contextuelle. En cela, le droit moral se définit comme un corps de règles indispensable à la protection des auteurs, de leurs créations et leurs intérêts283.

En matière d’atteintes au respect de l’œuvre, le droit moral est considéré comme subissant une violation dès lors qu’une dénaturation de l’œuvre est identifiable. La dénaturation désigne communément une « violation évidente de l’œuvre et de la personnalité de l’auteur »284.

En pratique, sa caractérisation se révèle délicate. La frontière exacte entre la liberté et la dénaturation paraît bien mince à de nombreux égards. Si, jusqu’ici, les juges du fond ne procédaient pas à une balance des intérêts respectifs, ils se livraient tout de même à un travail de comparaison dont le résultat variait au gré des espèces soumises à appréciation. En la matière, deux conceptions se distinguent formant alors « deux blocs de jurisprudence »285. Le

premier, majoritaire, accorde à l’auteur de l’œuvre seconde une latitude suffisamment large286.

À cette fin, a été reconnu à ce dernier un droit de donner « une expression nouvelle à l’œuvre sans la dénaturer »287. La seconde admet de manière extensive la dénaturation au motif qu’elle

porte atteinte à la dignité de l’auteur288.

281 Julie Groffe, op.cit., note 3, à la p 16.

282 Christophe Caron, op. cit., note 268, à la p 216. 283 Ibid.

284 Pierre-Yves Gautier, op. cit., note 22, à la p 253. 285 Ibid.

286 Cass civ 1re, 12 juin 2001, 98-22.591. 287 Cass civ 1re, 22 novembre 1966. 288 Trib gr inst Paris, 7 janvier 1969.

Les hésitations des juges du fond se sont pérennisées, conférant ainsi aux solutions un caractère légèrement imprévisible que l’application du syllogisme ne permet, au demeurant, pas toujours d’éviter. Preuve en est la jurisprudence récente. Alors que, à titre d’illustration, l’arrêt rendu par la cour d’appel sur l’affaire du Dialogue des Carmélites faisait prévaloir le droit d’auteur en restreignant, à cette fin, sévèrement la liberté de création ; le tribunal de grande de Paris a pu juger, en 2016, que l’intégration d’un poème de Paul Éluard dans le film Maps to the stars de David Cronenberg ne portait pas atteinte au droit moral des ayants-droit (esprit de l’œuvre) en lui conférant un sens nouveau : « la liberté d’expression de l’auteur de l’œuvre seconde doit pouvoir s’exercer sans que l’œuvre première ne soit enfermée dans le contexte historique ou factuel dans lequel elle a été créée […] Il n’est pas démontré que la manière dont le thème de la liberté est appréhendé par le film constituerait une atteinte à la pensée de Paul Éluard telle qu’exprimée dans l’œuvre »289.Ici, le juge entend faire primer la liberté de création de l’auteur

de l’œuvre seconde sur le droit moral de l’auteur de l’œuvre première290.

À la lumière de ces décisions, il semble bien difficile d’y déceler une tendance profonde. Là où le tribunal de grande instance de Paris accordait la primeur à la liberté de création, la cour d’appel se montrait excessivement intransigeante dans son appréciation de l’atteinte au droit moral et, par conséquent, dans la caractérisation de la dénaturation de l’œuvre première : « si une certaine liberté peut être reconnue au metteur en scène dans l’accomplissement de sa mission, cette liberté a pour limite le droit moral de l’auteur au respect de son œuvre ». Selon le professeur André Lucas, qui s’interroge à travers le prisme de l’arrêt Klasen, « on aurait […] pu s’attendre à ce que la cour d’appel de Paris, s’inspirant de cette nouvelle donne, prenne le soin d’énumérer précisément les raisons pour lesquelles la liberté de création du metteur en scène devait s’effacer devant le droit moral des auteurs des œuvres en cause. […] Au lieu de quoi elle se contente, conformément à la jurisprudence antérieure, d’établir ce qui apparaît bel et bien comme une hiérarchie, en décidant que la dénaturation de l’œuvre suffit à constituer l’atteinte au droit moral, quelques que soient les motivations de l’auteur de l’œuvre seconde. Ce rappel est bienvenu »291. Cela, évidemment, avant que la Cour de cassation n’intime de

procéder à la balance des intérêts pour juger de la confrontation entre liberté d’expression et

289 Trib gr inst Paris, 25 février 2016. 290 Julie Groffe, op. cit., note 3, à la p 19.

291 André Lucas, « Note sous Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 1, 13 octobre 2015 » (2016) 8 Propriétés

droit moral alors que les juges du fond avaient jugé que l’équilibre était déjà garanti et réalisé par le législateur.

La décision de la Cour de cassation au sujet du Dialogue des Carmélites étend la jurisprudence Klasen au droit moral, quintessence d’un droit d’auteur qui se réclame de tradition française et en convoque, à souhait, l’esprit et les principes qui l’habitent. Si l’équilibre entre liberté du metteur en scène et droit au respect de l’auteur de l’œuvre mise en scène était déjà instable, il n’en est que plus précaire. Le contrôle de proportionnalité externe pourrait, en effet, aboutir à un déplacement de la ligne de démarcation entre les deux. Après avoir relevé la contradiction intrinsèque au raisonnement de la cour d’appel - alors que de nombreux éléments de l’œuvre avaient été conservés ou respectés, elle concluait à la dénaturation de celle-ci - la Cour invite les juges du fond à apprécier si la condamnation infligée au metteur en scène épousait les proportions que lui dictait le juste équilibre à assurer entre droit moral et liberté de création. Aussi, selon Édouard Treppoz, « l’œuvre de Bernanos […] permet à la Cour de cassation de préciser le champ du droit au respect en matière de droit d’auteur »292. En guise de

démonstration, il souligne que la cour d’appel avait justement relevé que si la mise en œuvre litigieuse ne portait aucune atteinte substantielle à l’œuvre, elle en altérait le sens. En d’autres termes, il s’agit d’une atteinte contextuelle. « Il n’était donc aucunement contradictoire pour la cour d’appel de constater l’absence de modification des dialogues et de la musique pour ensuite caractériser l’atteinte au droit au respect. La cassation sur ce point ne semble pas pertinente, sauf à considérer que la Cour de cassation souhaite à exclure du champ du droit moral les atteintes contextuelles, se mettant ainsi en contradiction avec la Convention de Berne »293.

Surtout, si, à l’avenir, la condamnation ne respectait pas le juste équilibre, elle serait annulée au profit de la liberté de création. Dès lors, il faudrait en convenir que la caractérisation d’une violation du droit au respect de l’œuvre porterait une atteinte excessive à la liberté de création. Ce qui conduirait naturellement à admettre certaines dénaturations à condition qu’elles soient nécessaires et proportionnées à l’exercice de la liberté d’expression. Ces atteintes, impunies, seraient évacuées du champ de la protection. Au-delà du risque d’imprévisibilité juridique, transparaît un droit d’auteur inégal et lacunaire à la protection erratique. « Il est pourtant