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L’immixtion en droit interne d’une méthode de raisonnement supposément au

A. L’acceptation graduelle du conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression

1. L’immixtion en droit interne d’une méthode de raisonnement supposément au

Le contrôle de proportionnalité est éreinté tant en principe qu’en pratique. Son introduction et sa systématisation, sous l’influence manifeste des cours européennes, ont suscité une violente diatribe de la part de la doctrine (a). Les maux dont il serait la source sont, en effet, nombreux : l’imprévisibilité et la subjectivité reviennent notamment comme leitmotiv (b). Toutefois, sur fond de spectre fair use, des intérêts et avantages lui sont trouvés (c). Le contrôle de proportionnalité ne devrait donc pas être condamné de manière si hâtive, d’autant que celui- ci, probablement irrévocable, semble parti pour s’inscrire dans la durée.

a. Le contrôle de proportionnalité à l’étude : histoire récente, principe de fonctionnement et modalités de mise en œuvre

Le contrôle de proportionnalité suscite des appréciations tranchées. « Loué ou honni, force est de constater qu’il s’est imposé comme un raisonnement juridique de premier plan »134.

D’apparition récente en droit privé135 - encore inédit il y a peu en propriété intellectuelle et tout

particulièrement en droit d’auteur -, il fait partie de longue date du paysage juridique en droit

134 Arnaud Latil, « Contrôle de proportionnalité en droit d’auteur » (2016) 39 Jurisart 18. 135 Cass civ 1re, 4 décembre 2013, 12-26.066.

public136 et en droit européen. Au sein de ce dernier, il s’est développé sous l’impulsion des

deux cours, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne. Pour la première, il s’agit, notamment, d’apprécier la légitimité d’une ingérence d’origine étatique dans l’exercice d’un droit fondamental garanti137. Ce faisant, elle se fonde

sur la Convention. La seconde, quant à elle, use du contrôle de proportionnalité afin de mesurer la pertinence de l’atteinte à un droit de l’Union européenne commise par un État membre138.

« D'évidence, la Cour de cassation n'est plus la seule source juridictionnelle du droit d'auteur. On assiste, en effet, depuis une dizaine d'années, dans ce domaine, à une remarquable montée en puissance des Cours de Luxembourg et de Strasbourg »139. Ces dernières, en effet,

participent de l’harmonisation du droit par l’intermédiaire des réponses et solutions apportées aux questions préjudicielles dont la masse ne cesse de croître. L’harmonisation ne saurait être innocente et apparaît davantage comme finalisée. Elle répond à l’ambition de conférer sa pleine effectivité à la fois à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme. En conséquence, le juge national est tenu de lire le droit national à travers le prisme des droits fondamentaux140.

Mais, l’introduction du mécanisme de la proportionnalité en droit privé s’explique majoritairement par l’horizontalisation dont il a fait l’objet. Invoqué désormais par des personnes privées aussi bien que par des personnes publiques, il oblige le juge judiciaire à examiner les ingérences faites aux droits fondamentaux dont sont titulaires les justiciables. Un phénomène dont la conjonction avec le mouvement de fondamentalisation fait du contrôle de proportionnalité un contrôle de conventionnalité des lois. En effet, l’essor des droits fondamentaux a formé un « réservoir inépuisable de principes supérieurs à contenu variable qui permettent au juge judiciaire de juger la règle de droit et de l’écarter en général ou dans tel cas particulier »141. En cela, ils témoignent d’une « fécondité abrogatoire exceptionnelle »142.

136 Conseil d’État, 19 mai 1933, Benjamin. 137 Arnaud Latil, op. cit., note 134. 138 Ibid.

139 Alain Girardet. « Le rôle de la Cour de cassation dans les évolutions du droit d’auteur et des droits voisins »

(2017) 1 Communication Commerce Électronique 7.

140 Ibid.

141 Laurent Aynès « Moins de règles et plus de principes ? Le nouveau rôle du juge » (2017) 2 Revue de

Jurisprudence Commerciale 174, à la p 176.

La Cour de cassation a adopté le contrôle de proportionnalité selon les vœux de son président, Bernard Louvel sensible à la jurisprudence rendue par les cours européennes143.

Depuis un certain temps, la Haute juridiction s’interrogeait sur les structures et les méthodes de raisonnement exposées dans les arrêts afin de déterminer si celles-ci devaient réexaminées144

avant d’être importées aux juges du fond. On ne peut, effectivement, avoir une Cour de cassation avec une méthode particulière et des juges du fond qui en appliquent une différente ou opposée145. À cet égard, le souhait d’inscrire le contrôle de proportionnalité dans les

« techniques classiques » de la cassation est évident146. Il résulte de la lassitude qu’éprouve la

Cour à voir ses décisions infirmées au niveau européen. Désormais, « elle doit se moderniser, se démocratiser, s'adapter aux modes de raisonnement européens en matière de droits fondamentaux si elle ne veut pas subir un ostracisme »147.Parallèlement, les cours européennes

ont intérêt à déléguer le contrôle aux juridictions internes dans la continuité de la marge nationale d’appréciation qu’elles leur reconnaissaient et qui suppose, pour ce faire, un cadre étatique. En effet, le juge interne bénéficie, plus que quiconque, d’un accès direct au droit de son pays.

Le contrôle de proportionnalité se substitue au syllogisme juridique, méthode utilisée par la Cour de cassation depuis sa création et la refonte des juridictions du fond qui a pour objet l’application de la norme juridique générale à une situation factuelle donnée. À cet égard, le syllogisme « atteste de la prééminence de la règle de droit et fait du jugement une réalisation concrète de celle-ci »148. Mais, cette « gymnastique intellectuelle […] se heurte à de nouvelles

méthodes, en provenance des cours européennes »149 directement influencées par les pratiques

issues de la common law. Parmi celles-ci, on compte l’absence d’obligation de se référer à un texté écrit, le caractère profondément individuel des droits, le refus de l’application mécanique du droit et, surtout, le fait que le juge détermine la solution qu’il estime la plus juste après avoir soupesé les intérêts respectifs des parties. Réciproquement, le contrôle de proportionnalité se situe aux antipodes de la tradition romaniste qui prévaut dans les pays civilistes, « tradition qui ne conçoit de rapport entre droit commun et règles propres que sous la forme d'une application

143 Bertrand Louvel, « Réflexions à la Cour de cassation » (2015) Recueil Dalloz Sirey 1326. 144 Pierre-Yves Gautier et Alice Pézard, op.cit., note 54, à la p 6.

145 Ibid.

146 Hugues Fulchiron. « Le contrôle de proportionnalité : questions de méthode » (2017) 12 Recueil Dalloz Sirey

656.

147 Pascal Puig, « L’excès de proportionnalité » 1 (2016) Revue Trimestrielle de Droit Civil 70. 148 Laurent Aynès, op. cit., note 141, à la p 175.

ou d'une dérogation »150. Pour autant, cette affirmation mérite d’être nuancée quand l’on sait

que l’attachement au syllogisme juridique est plus prégnant dans l’imaginaire collectif que dans la réalité. Le Professeur Hugues Fulchiron insiste d’ailleurs sur le « caractère largement mythique de celui-ci »151. Selon lui, le contrôle de proportionnalité emprunte d’ailleurs

certaines logiques propres au raisonnement syllogistique dans la mesure où le juge s’interroge sur la règle applicable puis sur celle contestée. En cela, il est produit de « l’hybridation des familles de droits »152.

Cette évolution sur la forme va de pair avec de profonds bouleversements sur le fond (la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle entend

lui octroyer de nouveaux pouvoirs). Ils ont pour point de convergence les fonctions de la Cour de cassation qui tendent progressivement à évoluer. « La Cour de cassation est en train de se transformer d'elle-même en une institution de pleine juridiction sur le modèle des cours européennes » alors qu’elle est à l’origine « une institution au service du pouvoir législatif, chargée de contrôler et d’unifier l’application par les juges de la règle de droit »153. La

juridictionnalisation de la Cour repose sur un contrôle renforcé des arrêts rendus qui, désormais, comprend le contrôle des qualifications données et, celui des faits mis de côté par les juges du fond afin d’écarter la règle applicable et, enfin, l’examen de la motivation. Elle réside également dans le choix opéré d’une motivation plus étoffée, rendue indispensable par l’appréhension des faits, au moyen de l’extension des motifs. Pluridisciplinaire, elle renseignerait sur les conséquences de la solution adoptée. La nouvelle manière de juger induit naturellement une nouvelle matière de motiver dans un rapport de causalité souhaité154. Et pour cause,

« l'imperatoria brevitas, forme attachée au langage de la loi, n'est plus adaptée dès lors que la Cour de cassation ne se considère plus comme la sentinelle des lois mais comme une juridiction »155. Toutefois, pour l’heure, la structure classique des arrêts est préservée156.

150 Frédéric Zenati-Castaing, « La juridictionnalisation de la Cour de cassation » 3 (2016) Revue Trimestrielle de

Droit Civil 511.

151 Hugues Fulchiron, op. cit., note 146. 152 Frédéric Zenati-Castaing, op. cit., note 150. 153 Frédéric Zenati-Castaing, op. cit., note 150. 154 Ibid.

155 Ibid.

156 Hugues Fulchiron, op. cit., note 146 : « À l'évidence, la Cour ne souhaite pas remettre en cause la construction

traditionnelle de ses arrêts : le contrôle de proportionnalité est enchâssé dans la structure classique des décisions de rejet comme des décisions de cassation ».

La modification constatée apparaît comme « l'aboutissement d'un long processus rampant qui s'est amorcé dès le XIXe siècle. Ce processus s'est accéléré depuis quelques décennies sous

l'influence d'un mouvement d'acculturation, mouvement qui a pour effet d'éroder la spécificité de la cassation »157. Il porte un nom, celui de la réforme de la Cour de cassation. Qu’abrite-elle

réellement ? Le projet de réforme a pour vocation de métamorphoser la Cour de cassation en un avatar de « Cour européenne des droits de l’homme de dimension nationale pour préserver ou reconquérir sa souveraineté »158 laquelle est mise en péril. Cette aspiration se révèle difficile

à atteindre tant les obstacles qu’elle sera vouée à rencontrer sont nombreux. Pour ce faire, il conviendra, de toute évidence, de dépasser la dichotomie de principe, vite devenue poreuse, entre le droit et les faits. « L'instrument principal de cette révolution est une pratique volontariste du contrôle européen de proportionnalité, contrôle qui oblige la Cour de cassation à connaître des faits, brisant l'interdit qui fonde son institution […] En se convertissant à la méthode de la proportionnalité, la Cour de cassation entend s'acculturer elle-même, c'est-à-dire cesser d'être une Cour de cassation pour devenir, comme les cours européennes, une juridiction », celle des droits de l’homme159.

Aussi, le principe de proportionnalité, « méthode de conciliation des normes européennes avec les normes nationales » élevé au rang de principal général de l’Union européenne160, consiste à rechercher si les atteintes portées par ces dernières aux premières ne

présentent pas de caractère disproportionné et si l’objectif poursuivi ne pouvait être atteint à moindre coût. Le contrôle, quant à lui, consiste dans la mise en balance de deux droits afin de déterminer dans quelles mesures l’un prime sur l’autre161. Fondé sur une appréciation in

concreto, il privilégie la casuistique et se caractérise, en ce sens, par sa nature

« hypercontextualisée »162. En cela, il oblige à intégrer des faits, de nature sociale, au cœur du

raisonnement juridique163. Leur introduction au sein du raisonnement appartient exclusivement

au juge qui décide arbitrairement de les insérer ou de les récuser. Au terme de la mise en balance, un juste équilibre entre les intérêts concurrents - forme de compromis le mieux adapté à la réalité concrète du litige - doit être atteint. Une fois appliqué à l’opposition entre droit

157 Frédéric Zenati-Castaing, op. cit., note 150. 158 Ibid.

159 Ibid. 160 Ibid.

161 Arnaud Latil, op. cit., note 134. 162 Ibid.

d’auteur et liberté d’expression, il s’agit de préserver la liberté d’expression des tiers extérieurs au monopole tout en sauvegardant le droit de propriété de son titulaire.

En pratique, le contrôle de proportionnalité apparaît comme un test en deux étapes qui comporte, en premier lieu, un examen de l’opportunité de la restriction et, ensuite, l’examen des modalités de ladite restriction164. En d’autres termes, sont à déterminer la nature du droit

potentiellement violé par l’application de la règle de droit, la réalité de l’atteinte et son caractère excessif en contemplation des droits et intérêts en cause165. À ce titre, le droit en question doit

nécessairement revêtir une nature fondamentale en l’absence de laquelle le contrôle de proportionnalité se convertirait en appréciation en équité. Mais encore, il est impératif de l’isoler : le droit du public à l’information, démembrement de la liberté d’expression, doit être invoqué comme tel et rattaché aux textes qui le consacrent. Enfin, l’appréciation du caractère excessif de l’atteinte par rapport au but légitime poursuivi n’est autre que l’élément le plus caractéristique du contrôle de proportionnalité. Ici, s’exerce la pondération entre les droits en présence au regard de l’ensemble des faits de l’espèce.

L’exercice du contrôle de proportionnalité requière la participation des juges du fond comme de la Cour de cassation et suppose une certaine synergie dans la répartition des rôles : « L'avenir du contrôle de proportionnalité se joue en grande partie dans l'équilibre entre la mission reconnue aux juges du fond de garantir le respect des droits et libertés individuels, au risque d'interprétations et de pratiques divergentes, et la fonction unificatrice de la Cour de cassation ». Au contrôle succède le contrôle du contrôle lequel est exercé par la Haute juridiction sur la mise en œuvre du contrôle par les juges de première et seconde instances »166. S’il ne fait guère de

doute qu’il porte sur la qualification des faits par le juge du fond, son intensité véritable fait question. Pour la doctrine, il consisterait à apprécier si le contrôle de proportionnalité a été effectué par les juges, avec effectivité - ce qui implique la pesée réelle des intérêts -, correctement et justement167. Cette superposition des contrôles confine à la redondance.

D’autant que la Cour de cassation sera inévitablement conduite à procéder de nouveau à la mise en balance des droits, tâche qui ne lui appartient pas sous peine de remettre définitivement en cause la logique préexistante. Le choix de cette méthode par la Cour se justifie, en revanche, en

164 Olivier Bailly, « Proportionnalité : vers un nouvel office du juge ? » (2016) 7 La Semaine Juridique Édition

Générale 333.

165 Hugues Fulchiron, op. cit., note 146. 166 Ibid.

tant qu’elle représente le moyen privilégié pour opérer sa mue. Juridiction suprême, au service des libertés individuelles face à la menace du législateur168, elle ne s’en tiendra pas à dire le

droit mais s’appliquera à le faire. La mise en place d’un contrôle de proportionnalité a pour corollaire l’abandon du contrôle de légalité et, donc, du système du pourvoi.

Ainsi, progressivement, la Cour de cassation édifie le régime du contrôle de proportionnalité qui, en définitive, « n’est rien d’autre qu’un contrôle d’opportunité : il s’agit de se demander si l’arbitrage politique opéré par la loi [..] est convenable, c’est-à-dire normalement acceptable »169. Loin d’être figé, il a vocation à être réévalué. Il a, pourtant,

vocation à se maintenir : « La constance et la prudence de la Cour sur la forme (montrent le soin qu'elle prend à inscrire le contrôle dans le cadre des techniques classiques de la cassation), comme sur le fond (en témoigne son souci de laisser aux juges du fond une grande liberté d'appréciation), prouvent en tout cas sa volonté d'imposer ce contrôle comme une dimension naturelle, et si possible dépassionnée, du contrôle de conventionalité »170. Mais, la tendance

n’est pas à la normalisation et le contrôle de proportionnalité demeure un point d’achoppement autour duquel se noue une tension permanente (b).

b. Les écueils inhérents à la mise en œuvre du contrôle de proportionnalité

« L'axe central de cet aggiornamento est la promotion du principe de proportionnalité, une nouvelle idole qui détrône celle de la loi »171. S’il est prématuré pour pérenniser ou abolir

le principe de proportionnalité - en raison d’un manque de recul évident -, celui-ci, et le mécanisme qui le met en œuvre, suscitent de nombreux questionnements. D’autant qu’il s’érige en instrument de la réforme de la Cour de cassation. Les maux, dérives et excès qui lui sont reprochés pullulent. En premier lieu, le contrôle de proportionnalité aurait pour conséquence de « remettre en cause les équilibres législatifs abstraits »172, supplantés « au profit d’équilibres

fondés sur les droits fondamentaux »173. Des équilibres où conciliation devient rapidement

synonyme de hiérarchisation créant, de fait, des droits fondamentaux de premier et de second plans. De ce fait, le contrôle de proportionnalité serait porteur d’imprévisibilité juridique, elle-

168 Laurent Aynès, op. cit., note 141, à la p 177.

169 François Chénedé, « Petite leçon de réalisme juridique » (2017) 4 Recueil Dalloz Sirey 663. 170 Hugues Fulchiron, op. cit., note 147.

171 Frédéric Zenati-Castaing, op. cit., note 150. 172 Arnaud Latil, op. cit., note 134.

même cause d’insécurité juridique, par le renforcement de la subjectivité des juges qui amorce, par ailleurs, la résurgence du spectre de l’arbitraire.

Pour Montesquieu, « si les tribunaux ne doivent point être fixes, les jugements doivent l’être à un tel point, qu’ils ne soient jamais qu’un texte précis de la loi. S’ils étaient une opinion particulière du juge, on vivrait dans la société, sans avoir précisément les engagements que l’on y contracte »174. Cette conception qui a longtemps prévalu en droit français et qui fait du juge

« la bouche de la loi » est battue en brèche par l’introduction du contrôle de proportionnalité et la démarche casuistique afférente. La loi nationale, en effet, peut voir son application écartée au motif qu’elle entraîne une ingérence injustifiée aux droits et libertés reconnus aux individus. « Le particularisme des données factuelles peut donc, à lui seul, justifier la paralysie de la règle de droit si le juge estime excessive l'atteinte portée à un droit fondamental »175. À cet égard,

l’intensification du contrôle de proportionnalité est « légicide »176. S’il ne s’agit évidemment

pas d’abroger la loi dans la mesure où la disproportion qui lui est reprochée n’intervient que dans une situation donnée, son éviction localisée affecte lourdement sa vigueur et sa légitimité177. La loi en ressort inexorablement dévalorisée et tend à devenir facultative, comme

un instrument parmi d'autres à la disposition du juge, un simple poids à poser dans la balance des intérêts178. Le juge, autrefois inféodé à la norme législative, s’en affranchit et dicte, de

manière circonstanciée, son application. « Quelle est la règle ? Le juge vous le dira »179. S’en

suit une inversion des rapports manifeste : « la règle de droit est sommé s’expliquer et de se justifier »180. Toute cette démarche implique une redéfinition du rôle du juge. Et pour cause,

celui-ci s’érige en défenseur des droits individuels contre la machine étatique de production de la norme181. Aussi, se manifeste avec acuité le risque que le principe de proportionnalité

permette au juge de se prononcer en équité.

Quid, dès lors, de la prévisibilité de la règle, gage de sécurité juridique ? Aucune garantie d’application ne pourra désormais accompagnée la règle invoquée par les justiciables. S’en suit un processus de fragmentation de la règle de droit. « La généralité de la règle cède le pas à une

174 Montesquieu, De l’Esprit des lois, Flammarion, 1993, « De la constitution d’Angleterre » (Livre XI). 175 Pascal Puig, op. cit., note 146.

176 Frédéric Zenati-Castaing, op. cit., note 150. 177 Ibid.

178 Pascal Puig, op. cit., note 146.

179 Philippe Conte, « Le droit n’est plus le tennis » (2016) 52 La Semaine Juridique Édition Générale 2409. 180 Laurent Aynès, op. cit., note 141, à la p 177.

application casuistique, tantôt autorisée, tantôt refusée, en fonction d'une balance des intérêts dont personne ne peut à l'avance prévoir l'inclinaison »182. L’application erratique de la loi

dessine un droit à géométrie variable. Potentiellement, tout acte illicite pourrait devenir licite. Dans cette hypothèse, le contrôle apparaît contraire aux principes promulgués par la Convention