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La mise en balance du droit d’auteur et de la liberté d’expression à travers le contrôle

A. L’acceptation graduelle du conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression

2. La mise en balance du droit d’auteur et de la liberté d’expression à travers le contrôle

La jurisprudence européenne a été la première à mettre en œuvre une balance des intérêts en droit de la propriété intellectuelle (a). Au gré des litiges, elle a donné lieu à une opposition récurrente entre droit d’auteur et liberté d’expression. Récemment, la balance des intérêts a été transposée en droit d’auteur français au moyen d’arrêts retentissants qui affectent l’ensemble de la matière, droit moral comme droits patrimoniaux (b).

a. L’opposition récurrente entre droit d’auteur et liberté d’expression à travers la

jurisprudence européenne

La jurisprudence européenne rendue en matière de propriété intellectuelle se révèle pléthorique, conséquence directe de l’interventionnisme des cours européennes « quitte à franchir parfois allégrement quelques frontières traditionnelles de répartition de compétences entre l’Union et les États membres »211. S’emparer de ce domaine n’est pas innocent. La Cour,

en effet, tend à concevoir l’œuvre de l’esprit comme un bien qui doit, en ce sens, être concilié avec les libertés économiques sur la base desquelles est fondé le marché commun212. La règle

de l’épuisement du droit de distribution s’inscrit dans cette perspective. De nombreux pans de cette jurisprudence sont consacrés aux rapports qu’entretiennent droit d’auteur et liberté d’expression et ont vocation à trancher le conflit de droits fondamentaux qui en résulte.

Les cours européennes, après avoir montré leurs velléités, se sont définitivement saisies du droit d’auteur. Elles le font conjointement avec la Commission européenne - en ce qu’il s’agit de la Cour de justice -, les nombreuses directives, transversales comme spécifiques, en témoignent. Législateur et jurisprudence concourent concomitamment à la production normative. L’interventionnisme s’explique par la conjonction de trois facteurs que sont le caractère éclaté de l’acquis substantiel, les lacunes qui le parcourent et qui offrent un « espace interprétatif » conséquent ainsi que l’intensification des questions préjudicielles213. En premier

lieu, l’Union européenne s’est intéressée au droit d’auteur sans prendre la précaution au

211 Valérie-Laure Benabou, « Retour sur dix ans de jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en

matière de propriété littéraire et artistique : les méthodes » (2012) 43 Propriétés intellectuelles 140, à la p 140.

212 Carine Bernault, « Le droit d’auteur dans la jurisprudence de la CJUE. Propos introductifs », (2015) 55

Propriétés intellectuelles 119, à la p 120.

préalable de fixer une orientation politique franche. Pour reprendre les mots du professeur Alexandra Bensamoun, « le tableau européen est désordonné et incomplet. Désordonné, car on légifère sur des prérogatives spéciales ou des objets spécifiques avant d’envisager les règles générales. Incomplet, car en définitive un certain nombre de notions sont tantôt vaguement appréhendées tantôt ignorées par le droit de l’Union […] Le résultat est celui d’un patchwork, d’une construction fragmentée, sans cohérence générale et fruit de nombreux compromis »214.

Dès lors, les textes pris dans leur ensemble peuvent apparaître dénués de cohérence. L’acquis, éparpillé et dépourvu de colonne vertébrale, est « propice à être comblé par une interprétation allant se nicher dans les interstices vacants »215. C’est là un champ des possibles des plus vastes.

D’autant que l’interprétation qui prévaut dans les décisions rendues par la Cour de justice s’avère être bien souvent l’interprétation téléologique (elle peut, à d’autres endroits, être contextuelle). À cette fin, elle convoque à souhait les principes d’interprétation dont elle est en possession - principe de l’effet utile, principe de proportionnalité et autres - ainsi que les notions autonomes pour mieux servir la finalité assignée à la norme. Preuve en est l’élargissement manifeste de l’exception de citation à la suite de la jurisprudence Painer216 en vertu de laquelle

la Cour abolit purement et simplement l’exigence d’œuvre citante. Elle édifie donc une œuvre prétorienne par sédimentation qui reprend les décisions rendues antérieures pour mieux se fonder dessus. À la lecture de la jurisprudence, il apparaît que le juge européen excède le pouvoir d’interprétation qui était le sien à l’origine et « verse incontestablement dans la création du droit »217, n’hésitant pas à produire la norme. Un dépassement de fonction d’autant plus

inquiétant qu’il n’a de justification que de poursuivre l’harmonisation des droits nationaux et non de préserver les intérêts des titulaires du droit. Le professeur Valérie-Laure Benabou regrette d’ailleurs que « le juge européen avance tapi dans l’ombre de l’interprétation […] au besoin en tissant un maillage entre les directives. Ce comblement des lacunes de l’acquis se fait souvent par touches successives, par tâtonnements »218.

La tension entre droit d’auteur et liberté d’expression nourrit abondamment la jurisprudence européenne, notamment celle de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière préconise de parvenir à un juste équilibre entre les intérêts en présence après mise en

214 Alexandra Bensamoun, « Réflexions sur la jurisprudence de la CJUE : du discours à la méthode (2015) 55

Propriété intellectuelles 139, à la p 139.

215 Valérie-Laure Benabou, op. cit., note 211, à la p 143.

216 Painer, op. cit., note 72, attendu 136 : « Le point de savoir si la citation est faite dans le cadre d’une œuvre

protégée par le droit d’auteur ou, au contraire, d’un objet non protégé par un tel droit, est dépourvu de pertinence ».

217 Valérie-Laure Benabou, op. cit., note 211, à la p 141. 218 Id., à la page 140.

balance de ceux-ci depuis l’arrêt Painer qui confronte droit de reproduction des titulaires et liberté d’expression des utilisateurs d’une œuvre. En l'occurrence, le juste équilibre impose de privilégier l'exercice de la liberté d'expression des utilisateurs par rapport à l'intérêt de l'auteur à pouvoir s'opposer à la reproduction d'extraits de son œuvre.

Ce conflit est indissolublement lié à la problématique des intermédiaires techniques. Une qualité que revêtent les fournisseurs d’accès et qui va de pair avec la mise en place, par la directive dite « commerce électronique » du 8 juin 2000219, d’un régime de responsabilité

atténuée, voire de quasi-irresponsabilité, en vertu duquel ils ne sont pas responsables des contenus illicites qui transitent par leurs services dont certains sont constitutifs de faits de contrefaçon.

Quatre affaires successives sont particulièrement éloquentes à ce sujet. Elles s’inscrivent dans le prolongement direct de la décision Promusicae220 qui intime d’assurer un « juste équilibre »

entre les différents droits fondamentaux que sont le droit d’auteur et la protection des données personnelles. Dans l’ordre chronologique, ce sont d’abord les décisions Scarlet221 et Netlog222

qui retiennent l’attention. Toutes deux rendues suite aux demandes de la SABAM, société belge des auteurs, elles sont relatives aux injonctions de filtrage et de blocage faites aux intermédiaires techniques, respectivement un fournisseur d’accès et un hébergeur, dans le but de lutter contre la diffusion et le partage d’œuvres protégées. La mise en balance entre, d'une part, la protection de la propriété intellectuelle et, d'autre part, la liberté de communication sur Internet, la liberté d'entreprendre des prestataires techniques et la protection des données personnelles s’est avérée inévitable. Elle devait déterminer si l’injonction était contraire à l’article 15 de la directive du 8 juin 2000223 qui interdit aux États membres de soumettre les

prestataires techniques à une obligation générale de surveillance et recherche des contenus. Il en résulte que l’injonction faite au fournisseur d’accès de mettre en place un système de filtrage ne respecte pas l’exigence d’assurer un juste équilibre entre droit de la propriété intellectuelle et, notamment, les droits mis en perspective parmi lesquels la liberté de recevoir ou de communiquer des informations dans la mesure où des contenus parfaitement licites seraient

219 Directive CE, Directive 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de

l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, [2000] JOUE, L 178.

220 CJUE 29 janvier 2008, Promusicae c Telefonica, aff C275/06. 221 CJUE 24 novembre 2011, Scarlet Extended, aff C70/10. 222 CJUE, 16 février 2012, Sabam c Netlog NV, aff C360/10. 223 Directive Commerce électronique, op. cit., note 219, art 15.

susceptibles d’être affectés au nom de la neutralisation des contenus illicites. Dans ces arrêts, la Cour soutient, en effet, que le droit d’auteur n’est pas intangible et que sa protection n’a pas à être assurée de manière absolue224.

La problématique inhérente au régime de faveur dont jouissent les intermédiaires techniques n’est en rien conjoncturelle. En passe de s’inscrire dans le temps - la Commission démontrant une certaine inertie pour légiférer en la matière -, elle a donc ressurgi naturellement au sein du contentieux, alimentant de plus bel l’interprétation de l’article 8.3 de la directive du 22 mai 2001 qui dispose que : « Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu'une ordonnance sur requête soit rendue à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin ». En l’espèce, les plaignants souhaitaient obtenir le blocage de l’accès à un site sur lequel circulaient sans autorisation des œuvres protégées. Après avoir souligné que l’injonction doit faire suite à la constatation d’une infraction, constituée par une atteinte au droit d’auteur, et précisé la qualité d’intermédiaire technique, la Cour réitère sa jurisprudence qui exige qu’une balance des intérêts soit exécutée dès lors qu’une injonction de bloquer est susceptible d’être prononcée. Par application du principe de proportionnalité, le droit d’auteur doit une nouvelle fois être concilié avec la liberté d’expression et la liberté d’entreprendre. Afin d’atteindre le juste équilibre auquel elles doivent aspirer, les injonctions de blocage doivent être efficaces et raisonnables. Cette dernière caractéristique implique nécessairement de prendre en considération la liberté d’entreprendre et la liberté d’information. Une jurisprudence qui n’est pas isolée comme en atteste une décision du Conseil constitutionnel rendue le 19 juin 2009225

qui exige que ne soient uniquement ordonnées des « mesures strictement nécessaires à la préservation des droits de propriété intellectuelle ». D’autant, que le droit d’auteur n’a pas l’apanage du conflit. Il est de jurisprudence constante, en droit des marques, que la mesure prise doit être effective, dissuasive, équitable mais aussi proportionnée.

À l’aune des décisions jurisprudentielles, il demeure difficile d’entrevoir la conception que se fait la Cour de justice du droit d’auteur et des problématiques afférentes. Si la mise en balance opérée affecte indubitablement le droit d’auteur, contraint de justifier son existence et son application, les solutions rendues ne s’inscrivent pas nécessairement pas à son encontre. Ce qui tend à démontrer que la Cour n’est pas foncièrement hostile au droit d’auteur mais plutôt

224 Scarlet, op. cit., note 221, au considérant 43. 225 Cons constitutionnel, op.cit., note 112.

attachée à un principe conciliateur qui lui est chevillé au corps. Après avoir érigé le droit d’auteur en principe général du droit communautaire226, la Cour indique que l’interprétation

des directives est gouvernée par le principe in favorem auctoris en vertu des jurisprudences

Svensson227 et Infopaq228. Cette première impression est corroborée par la jurisprudence de la

Cour européenne des droits de l’homme.

Moins exhaustive en la matière - jusqu’ici l’essentiel des décisions avait vocation à rattacher le droit de la propriété intellectuelle à l’article 1er du protocole n°1229 qui dispose que

« chacun a droit au respect de ses biens » -, la Cour européenne des droits de l’homme s’intéresse tout de même au droit d’auteur dès lors qu’il entre en collision avec l’un des droits que sa matrice d’origine, la convention, protège. C’est à ce titre qu’elle a pu s’interroger sur le fait de savoir si l’exercice du droit d’auteur, comme l’interdiction de communiquer des œuvres en méconnaissance des prérogatives des titulaires de droits sur internet, ne violait pas la liberté d’expression. En résulte une décision protectrice qui témoigne de la prévalence du droit au respect des créations des créateurs de mode sur la liberté d’expression230. Toutefois, si la

solution retenue apparaît nettement favorable au droit d’auteur, le raisonnement qui la précède intime de la relativiser dans la mesure où il considère les mesures prises sur le terrain de la lutte contre la contrefaçon comme des ingérences de la liberté d’expression - justifiées en l’occurrence.

En l’espèce, des photographes avaient exploité en ligne les tirages issus d’un défilé de mode alors que lesdites photographies étaient protégées par le droit d’auteur. Condamnés pour contrefaçon, ils avaient invoqué, pour leur défense, l’exception permettant d’exploiter des œuvres par voie de presse dans un but d’information immédiate dont le bénéfice leur a été refusé231. En effet, l’interprétation restrictive de l’exception la circonscrivait aux œuvres

graphiques, plastiques ou architecturales et excluait, de fait, les photographies232. Les

défendeurs saisissent alors la Cour européenne des droits de l’homme dénonçant une atteinte injustifiée à leur liberté d’expression.

226 Promusicae, op. cit., note 220.

227 CJUE, 13 février 2014, Svensson, aff C-466/12.

228 CJUE 16 juillet 2009, Infopaq International as c Danske Dagblades Forening, aff C-435/12. 229 Anheuser-Bush Inc c Portugal, op. cit., note 28 ; Balan c Moldavie, op. cit., note 29.

230 CEDH, 10 janvier 2013, Ashby Donald, aff 36789/08. 231 Cass crim, 5 février 2008, 07-81.387.

La Cour admet que les requérants, en tant qu’individus, peuvent se prévaloir de leur liberté d’expression laquelle peut être neutralisée à des conditions bien précises : « La publication des photographies litigieuses [...] relève de l'exercice du droit à la liberté d'expression, et que la condamnation des requérants pour ces faits s'analyse en une ingérence dans celui-ci [...] Pareille ingérence enfreint l'article 10, sauf si, prévue par la loi, elle poursuivait un ou plusieurs buts légitimes au regard du paragraphe 2 et était nécessaire, dans une société démocratique, pour le ou les atteindre ». Constatant que cet intérêt, tenant dans les droits d’autrui, correspond à des biens protégés par la convention, elle opère une balance des intérêts entre, d’un côté, la liberté d’expression et, de l’autre, le respect des biens. Les juges tranchent, en l’espèce, en faveur du droit d’auteur dans la mesure où la démarche des requérant présentait un caractère essentiellement commercial. Ainsi, la Cour considère que la protection du droit d'auteur doit l'emporter face à la liberté d'expression dans ce cas précis mais n’exclut pas pour autant que cette dernière puisse primer dans d’autres circonstances.

L’arrêt procède à une inversion du raisonnement alors tenu par les juridictions françaises. Le droit d’auteur se définit, en l’occurrence, comme une ingérence légitime à la liberté d’expression dès lors qu’elle présente un caractère proportionné et apparaît justifiée par les circonstances. Une configuration qui sera de nouveau utilisée par la CJUE au service de sa propre jurisprudence233. Cette perspective est profondément novatrice en tant qu’elle précise

que les droits de propriété intellectuelle doivent s’analyser comme des exceptions à la liberté d’expression234. Particulièrement importante au regard du statut dont elle jouit au sein des

démocraties modernes, la liberté d’expression prévaut dans des proportions qui sont fonction du contexte dans lequel elle s’inscrit : la superficie de la marge d'appréciation dont disposent les États est fontion de plusieurs éléments, parmi lesquels la nature du discours tenu est déterminant. Dans une situation de nature politique, toute restriction est malvenue. En revanche, si le litige s’intègre au domaine commercial, les États membres disposent d’une liberté d’appréciation plus grande235. D’autant plus quand les intérêts en présence présentent un

caractère antinomique, la balance étant encore plus complexe à réaliser. Une telle différenciation implique d’adopter une appréciation in concreto. Ce pourquoi l’invocation de droits fondamentaux a pour effet de récuser toute possibilité d’analyse abstraite.

233 CJUE, 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien c Constantin Film Verleih, aff C314/12.

234 Christophe Geiger dans Michel Vivant, Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, op. cit., note 22, à la p

26.

Cette décision a été confirmée sans surprise l’année suivante au moyen d’une affaire au sujet du site The Pirate Bay236. Identiquement au cas d’espèce précédent, les contrefacteurs arguaient

que la sanction infligée portait atteinte à leur liberté d’expression. Si la Cour indique que la liberté d’expression protège la diffusion des contenus mais aussi les moyens techniques utilisés à cette fin, elle précise que la liberté d’expression n’est pas absolue et doit être conciliée avec les droits d’autrui. Pour opérer la balance des intérêts, elle reprend le critère du contexte dans lequel s’est exprimée la liberté invoquée. Elle prend, ainsi, en considération la fonction sociale dont est investi le droit pour déterminer que la condamnation n’est pas attentatoire à la liberté d’expression. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude237.

« Il en résulte que, au fil des décisions, il se construit un véritable droit européen des droits de l'homme de la propriété intellectuelle »238. La Cour de justice de l’Union européenne

s’est arrogée une compétence exorbitante en la matière, profitant de l’acquis communautaire et des interstices qui le fissurent. Récusant la spécificité de la propriété intellectuelle, notamment lorsqu’il s’agit d’une œuvre - elle ne saurait être un bien comme les autres - et faisant fi des conceptions divergentes des États membres, la Cour a transposé ses méthodes d’interprétation et de raisonnement au contentieux du droit d’auteur. La réception fut pour le moins satisfaisante puisque la Cour de cassation décida d’adopter le principe de proportionnalité, n’hésitant pas à heurter les logiques du droit d’auteur (b).

b. L’importation en droit interne du conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression sous sa nouvelle forme

À titre liminaire, il convient de préciser que nous évoquerons ici l’introduction de la balance des intérêts en droit français et les critères mis en œuvre à cet effet. Les conséquences qui en résultent pour le droit d’auteur feront l’objet de développements plus importants en seconde partie.

236 CEDH 19 février 2013, Fredrik Neij and Peter Sunde Kolmisoppi c Suède, aff 40397/12.

237 Christophe Caron, « Contrefaire, c’est exprimer illicitement » (2013) 6 Communication Commerce

électronique 26.

Conformément aux souhaits du Président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, le contrôle de proportionnalité - déjà bien établi en droit privé - a été transposé au droit d’auteur. Résolument novatrice, la jurisprudence Klasen239 qui le met en œuvre, arrêt rendu le 15 janvier

2015, s’affirme comme un point de bascule paradoxalement attendu. Il s’inscrit en effet avec discipline « dans le droit-fil du mouvement doctrinal et judiciaire visant à réaliser une articulation entre droit d’auteur et droits fondamentaux »240. Arrêt pilote de la réforme de la

motivation des arrêts impulsée sous l’égide de la Cour de cassation, il érige le contrôle de proportionnalité en pierre angulaire du droit d’auteur et en fait le « fer de lance »241 du

raisonnement des juges.

Les faits consistent en cas classique de contrefaçon hors application d’une exception. En l’espèce, un artiste-peintre avait réutilisé et altéré des photographies originales préexistantes protégées par le droit d’auteur pour créer de nouvelles œuvres d’art les incorporant. À noter, détail loin d’être insignifiant, que les œuvres secondes s’inscrivent dans un mouvement artistique ayant pour objet la contestation de la société de consommation moderne. Aussi, l’auteur, après emprunt créatif, s’était affranchi de son obligation de solliciter l’autorisation de l’auteur de l’œuvre première alors que les œuvres dérivées en sont tributaires. En conséquence, étaient affectés tant les droits patrimoniaux - dans l’ordre, droit de reproduction et droit de représentation - que le droit moral - du fait, premièrement, du contournement du droit de paternité mais aussi de l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre et à son contexte.

Condamné en appel dans la lignée de la jurisprudence Utrillo - les juges décidant de lui refuser le bénéfice des exceptions de parodie et de courte citation demandé et estimant que « les droits sur les œuvres arguées de contrefaçon ne sauraient, faute d’intérêt supérieur, l’emporter sur ceux des œuvres dont celles-ci sont dérivées »242 -, le défendeur forme son pourvoi autour de

deux arguments : en premier lieu, il invoque, classiquement, l’absence d’originalité des œuvres reprises avant de faire valoir sa liberté d’expression. À cet égard, il postule que « l'opposabilité