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Marche à pied, pauvreté et ségrégation dans les villes d'Afrique de l'ouest. Le cas de Dakar

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Submitted on 22 Sep 2006

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Marche à pied, pauvreté et ségrégation dans les villes

d’Afrique de l’ouest. Le cas de Dakar

Lourdes Diaz Olvera, Didier Plat, Pascal Pochet

To cite this version:

Lourdes Diaz Olvera, Didier Plat, Pascal Pochet. Marche à pied, pauvreté et ségrégation dans les villes d’Afrique de l’ouest. Le cas de Dakar. BUISSON Marie-André, MIGNOT Dominique (Eds.). Concentration économique et ségrégation spatiale, De Boeck Université, pp. 246-261, 2005. �halshs-00087917�

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Lourdes DIAZ OLVERA, Didier PLAT, Pascal POCHET

in BUISSON M.-A., MIGNOT D. (Eds), Concentration économique et ségrégation

spatiale, Bruxelles, de Boeck, coll. Economie Société Région, pp. 245-261.

Introduction

Depuis une quarantaine d’années, les grandes villes africaines connaissent une forte croissance démographique. En particulier, les capitales africaines concentrent une part de plus en plus importante des populations urbaines de leurs pays respectifs. Même si leur taux d’accroissement démographique tend à se tasser depuis la fin des années quatre-vingts, elles continuent à se développer rapidement et cette croissance est accompagnée d’un étalement rapide et non maîtrisé de l’espace résidentiel. En Afrique de l’Ouest, l’habitat horizontal dominant (la “concession”) se traduit au plan global par de faibles densités de population. Or les emplois rémunérateurs, salariés ou non, et les principaux équipements générateurs de déplacements (grands marchés, hôpitaux, établissements scolaires) restent nettement plus concentrés et centralisés dans les ensembles urbains, d’où une disjonction de plus en plus forte entre lieux de résidence et lieux quotidiens d’activités. Ces processus d’étalement résidentiel ne sont, certes, pas propres à l’Afrique, puisqu’ils touchent aussi les villes des pays du nord. Mais, ce qui rend la situation critique dans les villes africaines, c’est le fait que cette croissance urbaine se produise dans un contexte de manque de moyens financiers de plus en plus prégnant à tous les niveaux, du simple citadin à l’autorité publique.

En particulier, dans un contexte d’approfondissement de la crise économique, les processus de déréglementation impulsés par les bailleurs de fonds internationaux ont des conséquences importantes sur la vie quotidienne. Les acteurs privés, entreprises, usagers et associations, sont de plus en plus invités à suppléer les autorités publiques défaillantes, avec des résultats pour l’instant très mitigés. En matière de transport urbain, le processus de libéralisation s’est renforcé à partir des années quatre-vingt et s’est traduit par le développement d’initiatives privées à caractère artisanal et parfois spéculatif et par la disparition concomitante des entreprises de transport public. Les opérateurs privés assurent désormais la quasi-totalité de l’offre de transports collectifs et ont tendance à se concentrer sur les liaisons les plus rémunératrices mais aussi sur les clientèles les plus rentables. En dépit de la vitalité et du foisonnement de “l’informel”, l’offre de transport a bien du mal à répondre à l’accroissement démographique et spatial et à satisfaire les besoins de mobilité des citadins, notamment des plus pauvres (Godard, dir., 2002).

Il en résulte, pour les population pauvres, des difficultés marquées d’accès aux différentes opportunités offertes par la ville, emplois, services, équipements sanitaires et scolaires, ou de façon moins tangible mais tout aussi essentielle, rencontres avec les membres du réseau de connaissances. Or, si l’insertion sociale et l’accès à l’emploi sont vitaux, l’accès aux équipements de base représente également un élément essentiel des conditions de vie. Les populations des périphéries sous-équipées et offrant peu de sources d’emploi sont d’autant plus affectées par ces problèmes d’accessibilité que l’allongement des distances accroît parallèlement la nécessité d’un recours aux modes de transport mécanisés. Et ce, dans un contexte où l’équipement en véhicules est inconcevable pour la grande majorité des ménages, qui éprouvent également de plus en plus de difficultés à dégager un budget suffisant pour leurs besoins de déplacements en transport collectif.

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La marche à pied représente alors bien souvent le seul moyen de transport réellement accessible. Pour nombre de citadins, la mobilité quotidienne s’effectue en totalité à pied, parfois sur de longues distances. Pour les autres, l’usage des modes mécanisés, essentiellement les transports collectifs, est le plus souvent réduit à l’essentiel, en fonction de l’activité à réaliser et des moyens financiers disponibles sur le moment, comme c’est le cas pour les petites commerçantes d’Accra (Grieco et al., 1996).

“Quant à l’étude du processus ségrégatif, les analyses menées au niveau de certains quartiers

montrent la nécessité de sortir de l’approche classique qui ne considère la ségrégation qu’à travers la seule résidence des citadins ; il convient, au contraire, de privilégier une approche prenant en compte les diverses pratiques spatiales et usages de la ville par les différentes catégories de population. En d’autres termes, cela revient à envisager le processus ségrégatif comme un manque d’accessibilité de certains lieux à certaines populations, cette accessibilité étant considérée dans ses différentes dimensions temporelles”. Ce constat de Dureau (2000, pp. 254-255) fait à propos de la ville de Bogota

a une portée plus générale. En particulier, concernant l’Afrique, dans quelle mesure les carences actuelles de l’offre en transport et services urbains pèsent-elles sur les conditions de la mobilité et contribuent-elles ainsi à accroître la pauvreté et la ségrégation spatiale ? Pour ce faire nous présenterons quelques éléments de cadrage, puis nous décrirons plus précisément les pratiques dakaroises en nous concentrant sur un aspect méconnu, les pratiques urbaines induites par un usage exclusif de la marche à pied.

Notre démarche s’appuie sur un matériau empirique, constitué d’enquêtes ménages sur les déplacements réalisées dans les années quatre-vingt-dix dans quatre capitales d’Afrique de l’Ouest (Diaz Olvera et al., 1998, 2002a) : Ouagadougou (1992), Bamako (1993), Niamey (1996) et Dakar (2000). Ouagadougou et Bamako comptaient environ 800 000 habitants à la date de l’enquête, Niamey 600 000 et Dakar 2 millions. A Dakar, l’Enquête Ménages sur les Transports et les Services Urbains (EMTSU) a porté sur 2301 ménages (8658 individus). Le questionnaire, en grande partie commun d’une ville à l’autre, permet de recueillir des informations sur le ménage, sur chaque individu de 14 ans ou plus et sur les caractéristiques de chacun de ses déplacements de la veille, quel que soit le mode utilisé1. Enfin, l’enquête de Dakar offre de plus des informations sur la proximité du domicile aux

équipements urbains.

Ces enquêtes auprès des ménages fournissent un bon aperçu de la pratique de la marche à pied sur une journée de semaine, l’ensemble des déplacements des habitants de 13 ans et plus ayant étés recensés, quelle que soit leur distance. La part de la marche dans l’ensemble des déplacements quotidiens dans ces villes varie entre deux déplacements sur cinq et trois déplacements sur quatre : 42 % à Ouagadougou, 57 % à Bamako et jusqu’à 69 % à Niamey et 73 % à Dakar. Ouagadougou apparaît relativement atypique, l’explication étant sans doute à rechercher du côté des taux d’équipement élevés des ménages en vélos et surtout en deux-roues motorisés, en dépit de revenus relativement limités. Mais cela se paye par l’affectation aux déplacements urbains d’une part importante des budgets des foyers (20 %, et même 25 % chez le quart des ménages les plus pauvres).

Ces villes ne représentent pas des exceptions : à Addis Abéba, ville particulièrement pauvre, 70 % des actifs se rendent quotidiennement à pied au travail. Le lien entre pauvreté et intensité de la pratique pédestre paraît tellement net que le taux de déplacement à pied pourrait même être utilisé comme indicateur de pauvreté, comme le suggère une étude du Transport Road Laboratory (2002). La marche tient donc une place prépondérante dans les villes africaines. L’accès aux modes mécanisés reste très difficile et il faut alors assez systématiquement “faire confiance à ses pieds” (Kinda, 1987, p. 491). L’utilisation des modes est étroitement corrélée à la dimension spatiale du déplacement, la marche étant le mode quasi-exclusif à l’intérieur du quartier ou pour se rendre dans les quartiers limitrophes. Près de 45 % des flux piétonniers à Ouagadougou se réalisent ainsi sur des distances inférieures à deux kilomètres, ils sont encore 25 % pour les distances de 2 à 4 km, mais seulement environ 5 % pour

1. Le déplacement est défini comme un mouvement entre une origine et une destination en vue de réaliser une

activité. Il est caractérisé, outre les lieux et les motifs d’origine et de destination, par un ou plusieurs modes de transport, par une heure de départ et une heure d’arrivée…

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celles de 8 km et plus. A Bamako, près de 60 % des déplacements durent 10 minutes ou moins. A Niamey, les deux tiers des déplacements pédestres durent moins de 12 minutes, à Dakar, 85 % des déplacements ne dépassent pas les 15 minutes (SYSCOM, 2001).

Mais ces chiffres globaux ne doivent pas occulter l’existence de parcours pédestres longs et pénibles, qui souvent se répètent au retour, et ce dans un environnement peu favorable à la pratique de la marche. Les déplacements à pied d’au moins une demi-heure représentent 10 % des flux totaux de déplacement à Bamako, 8 % à Niamey, mais ils sont moins de 5 % à Dakar, ce qui s’explique sans doute par la taille de la ville bien supérieure, les distances à parcourir devenant alors trop importantes pour envisager de s’en remettre uniquement à ce mode de déplacement dès lors que l’on doit s’éloigner de son quartier de résidence.

Pour mieux appréhender l’accès à l’espace urbain qu’implique la marche à pied, nous allons maintenant nous focaliser sur les “marcheurs exclusifs”, ces citadins qui ne se sont déplacés qu’à pied le jour sur lequel leur mobilité a été recensée. Ce qualificatif ne signifie donc pas que ces personnes n’ont jamais accès à d’autres modes que la marche à pied pour leurs déplacements quotidiens. Toutefois, compte tenu de la rareté des modes motorisés et de leur coût élevé, le fait de n’utiliser que la marche met statistiquement en évidence des contraintes particulières. En particulier, si la marche à pied est associée aux faibles moyens du ménage et/ou de l’individu, quelles conséquences peut-elle avoir sur les modes de vie, la participation aux activités dans la ville, compte tenu des contraintes et des marges de manœuvre propres à chaque étape du cycle de vie et à chaque statut économique ? 1. A DAKAR LES DISPARITÉS SPATIALES RENFORCENT LES INÉGALITÉS

SOCIALES

Même si les quartiers des villes africaines apparaissent relativement hétérogènes en termes de composition sociale, la ségrégation résidentielle n’en est pas absente. Ainsi, à Dakar, les quartiers résidentiels hébergent 26 % de l’ensemble des ménages non pauvres mais seulement 8 % de ménages pauvres2. Ces derniers se retrouvent très majoritairement dans les extensions périphériques (à 63 %

contre 42 % des ménages non pauvres). Sur le plan de l’accès aux modes de transport, les disparités sociales sont criantes. Les quartiers résidentiels, qui hébergent 20 % des individus de 14 ans et plus, concentrent la moitié des usagers de la voiture. A l’inverse, pour plus de neuf citadins sur dix, le recours aux transports collectifs constitue la seule alternative à la marche dès lors que les distances s’allongent. Mais la faiblesse de la desserte de certaines périphéries, conjuguée à leur coût dissuasif pour nombre de ménages à bas revenus, expliquent que la marche à pied assure près des trois quarts de l’ensemble des déplacements. Plus grand éloignement, équipement et desserte insuffisante des quartiers, motorisation très rare, ce cumul de handicaps se traduit pour les pauvres par un accès plus compliqué à la ville, mais aussi par de plus grande difficultés à utiliser les services de base. Jusqu’en 1999, Pikine ne comptait ainsi qu’un seul lycée pour plus de 600 000 habitants. Autre exemple, l’accès à l’eau courante, qui apparaît plus problématique pour les ménages démunis. Dès lors que l’on s’éloigne des quartiers résidentiels, la corvée d’eau concerne près de trois ménages sur dix et bien plus encore les ménages pauvres (40 %) que les autres (18 %). Non seulement les pauvres habitent plus souvent dans des zones non loties que les non-pauvres, mais, à quartier donné, ils sont toujours moins bien raccordés au réseau d’eau potable que les ménages plus aisés.

2. La définition d’une ligne de pauvreté à partir du niveau de vie des ménages a toujours un caractère arbitraire et

réducteur : la pauvreté est multi-dimensionnelle et les situations des individus au sein des ménages sont elles-mêmes très variables. Elle permet néanmoins de comparer deux sous-populations aux capacités économiques très contrastées. Nous utilisons pour ce faire l’indicateur de revenu per capita. Sont définis comme pauvres les individus appartenant aux ménages des deux 1ers quintiles, les trois quintiles supérieurs définissant les non-pauvres. Cette limite correspond à celle, couramment utilisée, de l’équivalent d’un dollar US par personne et par jour. Le choix du revenu per capita tend à minorer la pauvreté chez les ménages de petite taille, et à la majorer parmi les foyers de grande taille. Mais comme aucune échelle ne s’est véritablement imposée, le revenu per

capita, préférable au revenu total, a l’avantage de faciliter les comparaisons entre villes, car il est l’indicateur le

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Aussi n’est-il pas très étonnant que les pauvres “comptent plus sur leurs pieds” que les citadins plus favorisés pour accéder aux équipements urbains, notamment aux établissements scolaires, aux dispensaires et aux marchés. Selon les équipements, les problèmes d’accessibilité sont perçus comme un obstacle à leur utilisation par 20 à 30 % des ménages pauvres, le premier obstacle cité étant le coût du service.

Comme dans d’autres contextes africains, les inégalités spatiales et d’accès aux modes de transport tendent à renforcer les inégalités sociales, les situations les plus difficiles apparaissant lorsque le manque de moyens individuel et du foyer se doublent d’une localisation résidentielle périphérique. Les tendances à la ségrégation urbaine vont maintenant être étudiées plus concrètement sous l’angle des pratiques de mobilité des “marcheurs exclusifs”.

2. PAUVRES MARCHEURS

Par rapport à d’autres capitales africaines, l’offre de transport public est sensiblement plus fournie à Dakar. Cela n’empêche pas que les arbitrages entre modes de transport soient très souvent contraints, du fait des revenus limités. En caractérisant les individus selon leur utilisation des modes de transport la veille du jour d’enquête, la moitié des Dakarois de plus de 13 ans se révèlent être des “marcheurs exclusifs” (ou marcheurs) et seul un peu plus du tiers utilisent un véhicule motorisé (Tableau 1). Les marcheurs sont proportionnellement aussi nombreux qu’à Niamey (Diaz Olvera et al., 2002b), et au sein des ménages pauvres, cette similarité de comportements entre les deux villes se retrouve au sein de chaque groupe de statut individuel. La motorisation est rare à Dakar et ce encore plus chez les foyers des marcheurs : dans plus de 98 % des cas, leur ménage ne possède aucun véhicule. A titre de comparaison, les ménages non pauvres auxquels appartiennent les citadins ayant utilisé au moins une fois un mode motorisé sont 13 % à disposer d’un véhicule motorisé.

Un jour moyen de semaine, plus de 55 % des Dakarois vivant dans des ménages pauvres n’utilisent aucun autre mode de transport que la marche contre 43 % chez les individus de foyers non pauvres. Cette différence est relativement limitée, car c’est d’abord la disponibilité de revenus individualisés qui va définir l’accès aux véhicules privés comme les possibilités de payer pour le prix de la course en transports collectifs.

Tableau 1 - Répartition des Dakarois des ménages pauvres et non pauvres selon l’utilisation des

modes de transport un jour moyen de semaine (%)

Ménage Pauvre Ménage non Pauvre Ensemble Sédentaire* 15 12 14 Marcheur 55 43 49

Usager des transports non motorisés 1 1 1

Usager des transports publics 26 34 30

Usager de la voiture 1 5 3

Usager multimodal 2 3 3

Voyageur interurbain 1 1 1

* Toutes les catégories reposent sur les pratiques modales du jour enquêté. Le sédentaire ne s’est pas déplacé ; le marcheur a effectué tous ses déplacements à pied ; l’usager des transports non motorisés s’est déplacé à vélo, en charrette, calèche ou à pied ; l’usager des transports publics a utilisé les cars rapides, les Ndiaga Ndiaye, les bus, taxis, “clandos” ou le train... et éventuellement la marche à pied ; l’usager de la voiture ne s’est déplacé qu’en voiture (et éventuellement à pied) ; l’usager multimodal a utilisé plusieurs modes (transports collectifs et voiture particulière…) et a éventuellement marché ; enfin, le voyageur interurbain ne s’est déplacé que sur une liaison interurbaine.

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La distinction entre revenus du ménage et revenus individuels vient renforcer des inégalités de genre fortement structurantes : les femmes inactives qui, si l’on peut dire, cumulent les deux handicaps, sont ainsi deux fois plus nombreuses chez les marcheurs que chez les utilisateurs de modes mécanisés et même trois fois plus nombreuses chez les non-mobiles que chez ces derniers (Tableau 2). A Dakar, comme dans d’autres villes africaines, les rôles sociaux masculins et féminins sont très prégnants et se traduisent au quotidien par des modèles de déplacements et notamment par un accès aux modes très différents.

Tableau 2 - Composition des groupes des sédentaires, des marcheurs et des usagers des modes

mécanisés les jours ouvrables (%)

Groupe Sédentaires Marcheurs Usagers des modes mécanisés Homme actif 12,6 20,6 38,2 Femme active 17,0 22,2 20,6 Homme inactif 11,8 10,2 8,1 Femme inactive 52,8 31,0 15,7 Scolaire – Etudiant(e) 5,7 16,0 17,3 Ensemble 100,0 100,0 100,0 Source : EMTSU 2000.

La comparaison des taux de marcheurs et de sédentaires, pour chaque groupe socio-économique, en fonction des capacités économiques du ménage, met à nouveau en évidence la position relativement plus favorable des hommes actifs avec “seulement” 49 % de marcheurs lorsque leur ménage est pauvre et 32 % lorsqu’il est non pauvre (Tableau 3). Quel que soit le statut de la personne, le fait d’appartenir à un ménage pauvre accroît sensiblement la probabilité de ne se déplacer qu’à pied. Mais cet effet de la pauvreté du foyer touche moins les femmes inactives, car même dans les ménages non pauvres, elles sont déjà peu mobiles : les trois quarts d’entre elles ne se sont pas déplacées ou se sont déplacées uniquement à pied. Inversement cela montre qu’une situation plus favorable du ménage facilite d’abord l’accès aux modes motorisés des hommes (qu’ils soient actifs ou inactifs), des scolaires, puis des actives.

Tableau 3 - Proportion de marcheurs et de sédentaires selon le statut,

chez les ménages pauvres et non pauvres (%)

% de marcheurs % de sédentaires Groupe Ménages pauvres Ménages non pauvres Ménages pauvres Ménages non pauvres Femme inactive 57,4 52,7 25,5 22,5 Femme active 59,1 47,3 10,4 10,5 Homme actif 48,6 31,9 7,9 4,7 Homme inactif 61,1 43,0 15,8 15,7 Scolaire – Etudiant(e) 62,4 47,7 5,7 4,4 Ensemble 56,5 44,5 14,1 11,7 Source : EMTSU 2000.

Bien que ne disposant généralement pas d’un revenu propre, les jeunes scolarisés échappent partiellement aux contraintes économiques et liées au genre. Ils sont en effet aussi nombreux parmi les usagers des modes mécanisés que parmi les marcheurs. De plus, on observe légèrement plus de filles que de garçons parmi les jeunes scolarisés de Dakar (ce qui tranche avec d’autres villes comme Bamako ou Niamey), et les filles sont proportionnellement plus nombreuses que les garçons à utiliser les modes mécanisés en semaine. Toutefois, compte tenu du faible niveau d’équipement des périphéries en établissements scolaires à partir du secondaire, l’investissement des ménages dans la scolarité des enfants entraîne des contraintes financières fortes (recours à l’enseignement privé, éloignement nécessitant l’usage de modes mécanisés). Tous les foyers ne peuvent pas assumer cet investissement, aussi le taux de scolarisation est-il logiquement plus faible parmi les ménages pauvres que parmi les groupes plus aisés. Les premiers regroupent 49 % des Dakarois de plus de 13 ans mais

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seulement 40 % des scolaires. Et, parmi les scolaires de ménages pauvres, on compte 62 % de marcheurs, contre 48 % chez les scolaires faisant partie de ménages non pauvres.

Les comportements de mobilité des marcheurs dépendent donc d’abord du statut socio-économique individuel qui définit dans une large part les activités pratiquées et leur localisation, ainsi que les revenus disposés en propre par l’individu. Le revenu du ménage intervient de façon secondaire. Aussi pour mettre en évidence l’effet de la mobilité et de l’usage des modes sur la ségrégation urbaine, nous comparons, au sein de chaque groupe, les comportements des marcheurs à ceux des utilisateurs des modes mécanisés.

3. DES MARCHEURS TRÈS DIVERS, DES PRATIQUES SOUS CONTRAINTES

Le tableau 4 récapitule les principaux indicateurs de mobilité des différents groupes. La marque de l’usage exclusif du mode pédestre s’inscrit essentiellement dans une pratique spatiale peu étendue et fortement centrée sur le quartier du domicile. Elle répond à un jeu de contraintes propres au genre, au statut d’activité, à la position dans le cycle de vie et enfin à la capacité à mobiliser des revenus propres.

Tableau 4 - Indicateurs de mobilité des marcheurs et des usagers des modes mécanisés selon le statut,

chez les ménages pauvres et non pauvres

Nombre de déplacements % des déplacements dans le quartier Budget-temps de transport

Groupe Pauvres

Non-pauvres Pauvres Non-pauvres Pauvres Non-pauvres Femmes inactives Marcheuses 3,4 3,5 89 83 33’ 27’ Usagères modes mécanisés 3,0 3,0 37 27 1h50 1h27 Femmes actives Marcheuses 3,5 3,8 82 80 43’ 35’ Usagères modes mécanisés 3,3 3,3 40 22 1h25 1h41 Hommes actifs Marcheurs 4,2 3,8 75 72 48’ 47’

Usagers modes mécanisés 3,6 3,6 25 22 2h12 1h50

Hommes inactifs

Marcheurs 4,2 4,0 84 74 44’ 42’

Usagers modes mécanisés 4,1 4,1 36 26 1h45 1h51

Scolaires – Etudiant(e)s

Marcheurs 4,3 4,1 75 61 58’ 50’

Usagers modes mécanisés 3,8 3,7 42 30 1h43 1h50

Tous

Marcheurs 3,8 3,8 81 75 44’ 38’

Usagers modes mécanisés 3,5 3,5 34 25 1h51 1h45

Source : EMTSU 2000.

3.1. Garçons et filles, des scolaires abonnés à la marche

Les scolaires et étudiants qui se sont déplacés exclusivement à pied sont les plus mobiles des marcheurs, qu’ils soient ou non issus de ménages pauvres (respectivement 4,3 et 4,1 déplacements à pied, en 58 et 50 minutes). Par rapport aux hommes actifs (indépendamment du niveau de revenu du ménage), ils et elles participent un peu plus aux tâches domestiques, et leur activité principale oriente

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également un peu plus fortement leur mobilité que ce n’est le cas pour les actifs, et ce au détriment de la sociabilité.

Parmi les scolaires pauvres, on compte plus de deux marcheurs pour un utilisateur de mode mécanisé, alors que les proportions sont presque équilibrées chez ceux dépendant d’un ménage non pauvre. L’usage d’un mode mécanisé en semaine se traduit par un nombre de déplacements plus faible mais aussi par un net éloignement du domicile (le budget-temps passe à 1h45 environ). Cet éloignement renforce aussi le poids relatif de l’activité étude dans l’ensemble, au détriment des activités ressortant de la sphère domestique, plus que de la sociabilité. Dans les périphéries non loties, caractérisées par une moins bonne accessibilité aux écoles, les temps de transport apparaissent, à l’image de ceux qui caractérisent les actifs, particulièrement élevés pour les scolaires pauvres (plus de deux heures par jour, contre un peu plus d’1h30 dans les quartiers plus centraux et mieux équipés).

Si, à Dakar tout au moins, l’adolescence scolarisée est un âge de relative indifférenciation des pratiques de mobilité, l’entrée dans l’âge adulte marque une différenciation très nette des comportements des hommes et des femmes, les secondes étant marquées par le rôle centripète du domicile, tandis que les premiers échappent en partie au statut de marcheurs pour un accès à la ville lui même assez largement contraint.

3.2. Les femmes, entre le domicile et le quartier

Qu’elles travaillent à l’extérieur ou pas, les pratiques de mobilité des femmes sont marquées par le rôle central qu’elles tiennent dans la sphère domestique, qui les ancre fortement au domicile et dans ses alentours.

A Dakar, les inactives qui se sont déplacées exclusivement à pied sont à la fois parmi les moins mobiles (3,5 déplacements) et les plus centrées sur le quartier (11 % seulement sortent du quartier lorsque leur ménage est pauvre, 18 % lorsqu’il est non pauvre). Leurs déplacements, réalisés en une demi-heure au total, sont motivés pour les deux tiers par des activités permettant d’assurer le fonctionnement du ménage.

Un jour de semaine donné, on compte une utilisatrice de mode mécanisé pour deux marcheuses lorsque leur ménage d’appartenance est non pauvre, et une pour trois et demi lorsque celui-ci est pauvre. Le contraste avec la petite minorité des inactives qui ont pu accéder à un mode de transport motorisé est frappant. Chez ces dernières, les sorties sont peu nombreuses (3 déplacements en moyenne), mais dépassent généralement l’univers du quartier (à 63 % dans les ménages pauvres, et même à 73 % dans les ménages non pauvres) et durent une heure de plus sur la journée. Cet accès à la ville s’accompagne d’un rééquilibrage vers la sociabilité (40 % des déplacements au sein des ménages pauvres, 44 % au sein des non-pauvres, soit 12 et 16 points de plus que les marcheuses). L’activation des réseaux sociaux ne peut se faire uniquement à l’échelle du quartier, comme le montre bien Werner (1997) à partir d’itinéraires de Sénégalais pauvres en distinguant le réseau de sociabilité principal (caractérisé par des liens parentaux solides, et qui peut fournir une aide en toute occasion), du réseau

secondaire (plus proche du domicile, mais qui ne peut être sollicité que ponctuellement). Il est à noter

enfin que, contrairement aux hommes actifs ou aux scolaires pauvres, chez les inactives pauvres accédant à un mode mécanisé, le temps passé à se déplacer est plus élevé lorsqu’elles résident dans les quartiers planifiés et anciens que dans les périphéries non loties. Cela provient peut-être d’une inscription plus large des réseaux relationnels des premières dans l’ensemble urbain.

Les actives qui se sont déplacées exclusivement à pied sont également assez peu mobiles (respectivement 3,5 et 3,8 déplacements au sein des ménages pauvres et non pauvres en 35 et 45 minutes) et sortent à peine plus du quartier (respectivement 18 et 20 % des déplacements). Quelle que soit l’aisance de leur ménage, elles réalisent autant de déplacements pour les activités domestiques que pour leur activité professionnelle. Dans cet emploi du temps fortement contraint, il reste peu de place pour la vie sociale (19 et 17 % des déplacements).

Les actives utilisant les modes mécanisés sont aussi nombreuses que les marcheuses lorsque leur ménage est non pauvre, mais près de deux fois moins nombreuses lorsqu’il est pauvre. Toutefois, l’accès aux modes motorisés ne change pas fondamentalement la donne puisque la part de

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déplacements de sociabilité passe respectivement à 25 et 24 %. Il permet cependant une diversification des espaces fréquentés, diversification plus nette, ici encore, lorsque les actives font partie de ménages non pauvres (78 % de déplacements extérieurs au quartier) que de ménages pauvres (60 %). Mais de tous les groupes d’accédants aux modes mécanisés, ce sont les actives qui passent le moins de temps en transport, sans doute parce que leur double rôle professionnel et domestique est moins difficile à assumer si elles ne s’éloignent pas trop du domicile et de ses environs.

3.3. Les hommes, entre le quartier et la ville

Chez les hommes, les contraintes s’expriment différemment. Si l’accès à des espaces plus vastes est légitimé par la poursuite d’une activité suffisamment rémunératrice, il ne va pas pour autant de soi et nécessite d’importants efforts pour se déplacer au quotidien.

Les hommes actifs qui se sont déplacés exclusivement à pied se caractérisent par une mobilité relativement élevée lorsqu’on l’appréhende par un nombre de déplacements. Un peu plus mobiles que les actives (avec respectivement 4,2 et 3,8 déplacements quotidiens au sein des ménages pauvres et non pauvres, en trois quarts d’heure), ils sortent aussi un peu plus du quartier (respectivement 25 et 28 % de leurs déplacements). Ces chiffres moyens traduisent la coexistence dans ce groupe de schémas d’activité où le travail s’effectue dans le quartier, à proximité du domicile, avec d’autres où il est nécessaire de parcourir de plus longues distances à pied pour gagner sa vie. Qu’ils soient membres de ménages pauvres ou non, la part de la sociabilité dans leur mobilité est élevée (le tiers des déplacements un jour moyen de semaine).

Parmi les actifs, les usagers d’un mode mécanisé sont deux fois plus nombreux que les marcheurs lorsque leur ménage est non pauvre, alors que parmi les ménages pauvres les deux groupes sont d’égale importance numérique. Quel que soit le niveau de revenu du ménage, l’accès à un mode motorisé se traduit à nouveau par une baisse du nombre de déplacements. Mais surtout, il entraîne un allongement considérable des temps de trajet (1h50 chez les non-pauvres, et même plus de 2h10 chez les pauvres). L’accès à la ville a un prix élevé, en termes monétaires, mais aussi en temps et en pénibilité. Au sein des actifs des ménages pauvres, cette pénibilité apparaît encore plus clairement dans les périphéries d’habitat spontané, éloignées des centres d’emplois : le temps de transport quotidien atteint alors près de 2h30 en moyenne, contre 2h dans les quartiers plus centraux.

Les hommes inactifs qui se sont déplacés exclusivement à pied ont avec les scolaires le nombre de déplacements le plus élevé, réalisés en trois quarts d’heure au total, ce qui est important pour un groupe d’âge relativement élevé. Ceux qui habitent dans un foyer pauvre sont quasiment aussi ancrés sur le quartier (à 84 %) que les inactives, alors qu’une aisance financière un peu meilleure leur ouvre, en apparence tout au moins, des espaces plus vastes (26 % de déplacements extérieurs, ce qui est lié également à une localisation résidentielle plus centrale). La vie sociale est très développée dans ce groupe (49 % des déplacements chez les marcheurs inactifs des foyers pauvres, et même 56 % chez les non-pauvres).

Un jour moyen de semaine, on compte trois marcheurs pour un utilisateur de mode mécanisé chez les hommes inactifs pauvres. A l’instar des inactives, l’usage d’un mode mécanisé est mis à profit pour entretenir les relations à l’échelle de la ville : 60 % des déplacements sont alors motivés par des visites (39 % pour les non-pauvres). Les déplacements extérieurs au quartier comptent alors, respectivement, pour les deux tiers et les trois quarts de l’ensemble.

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Les marcheurs exclusifs se retrouvent donc plutôt parmi les citadins les plus défavorisés, soit parce qu’ils font partie des ménages les moins aisés, soit parce qu’ils ne disposent pas d’un revenu propre (et apparaissent de ce fait comme non prioritaires dans l’attribution du budget transport), soit, fréquemment, du fait d’un cumul de ces deux niveaux de pauvreté.

Au sein même des populations pauvres, des différences sensibles demeurent selon le genre et le statut socio-économique. Pour les unes, l’espace urbain est restreint aux alentours du domicile, limitant les opportunités d’activités autres que domestiques. Pour les autres, il est plus vaste mais sa fréquentation

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est due à une mobilité contrainte, impliquant la pénibilité de déplacements plus longs. Si l’on a recours à la marche, c’est faute de mieux et cet usage par défaut résulte de l’impérieuse nécessité de réaliser des activités hors du domicile lorsque l’on dispose de faibles marges de manœuvre économiques. Mais ils traduisent aussi, peut-être plus encore, des contraintes sociales s’exprimant de façon différente pour chaque genre. La position dans le cycle de vie et les rôles qui lui sont liés déterminent largement la place dans la sphère domestique et à l’extérieur, et partant, le champ des possibles en matière de mobilité. Les femmes, les inactifs sont les premiers touchés par la limitation des espaces de vie quotidiens qu’entraîne le seul recours à la marche à pied comme moyen de transport.

4. QUELLE VILLE POUR LES MARCHEURS ?

Différents enseignements peuvent être tirés de ces analyses des pratiques de la marche parmi les populations pauvres des villes d’Afrique de l’Ouest, et plus précisément de Dakar.

Le premier est d’ordre méthodologique. L’appréhension des déplacements à pied mérite une attention particulière dans les études sur la mobilité ou l’accessibilité, tant comme mode de transport à part entière, et ce quelle que soit la distance, que comme mode de rabattement ou venant en complément d’autres modes, ce qui n’a pu être fait ici. L’amélioration de la connaissance des pratiques pédestres est un préalable à une meilleure prise en compte de ce moyen de transport dans les politiques urbaines. Le deuxième enseignement concerne la place déterminante de la marche dans la vie quotidienne des citadins africains et ses conséquences. Même dans des capitales qui constituent des lieux de concentration relative de richesses, rares sont les “privilégiés” accédant aux véhicules privés. A l’opposé, et très loin des citadins aisés (…même lorsqu’ils résident dans des lieux géographiquement proches), les pauvres, dans leur grande majorité, peinent à financer l’usage des transports en commun au quotidien et sont le plus souvent captifs de la marche à pied.

Dans un contexte de dualisation des économies africaines et d’approfondissement des inégalités sociales, les carences de l’urbanisation et du système de transport viennent renforcer les processus de ségrégation. Lorsque les revenus font défaut, les échanges internes au quartier de résidence sont déterminants, et les liens qu’entretiennent les populations pauvres avec “la ville” ne tiennent le plus souvent qu’à des déplacements contraints – et pénibles – entre le domicile et le travail ou l’école. En limitant les possibilités d’améliorer la situation économique des foyers pauvres, la remise en cause de l’accès à la ville participe également à la dégradation des conditions de vie de ces populations.

Cette tendance au repli sur le quartier de résidence observée à Dakar paraît être un mouvement assez général, observé dans les grandes périphéries de Bamako (Gibbal, 1988) ou de Niamey (Diaz Olvera et al., 2002b) et plus récemment à Conakry et à Douala3. Ce repli peut dans bien des cas correspondre à

un investissement fort de ces résidents dans leur quartier, à une volonté de recréer un “village dans la

ville” selon les termes de Gibbal. Ce n’est pas un hasard, si dans le choix du quartier, à Dakar, le

critère de proximité des parents et amis arrive en tête, devant la tranquillité, et loin devant la desserte en transports publics. La volonté de préserver un “entre-soi” rassurant, observable parmi des populations très aisées, séduit aussi les populations pauvres, et ce processus ne peut que renforcer les tendances à la ségrégation et à la fragmentation urbaines. Le risque est alors celui “d’un éclatement de

la ville en sous-ensembles coupés les uns des autres” (Le Bris, 1996, p. 150).

Pour la très grande majorité des populations pauvres, la stratégie plus ou moins contrainte de repli sur le quartier ne permet pas d’envisager des solutions de sortie de la pauvreté. La marche n’offre à ceux qui en dépendent qu’une mobilité minimale et pénalisante, leur dénie l’accès à la ville et à ses aménités et est peu susceptible de briser le cercle vicieux de la pauvreté. Les ménagères sont cantonnées au quartier ; les longs parcours pédestres des enfants scolarisés limitent leurs capacités d’attention durant les cours, comme le temps qu’ils peuvent consacrer aux devoirs ; les actifs des quartiers pauvres ont le choix entre des emplois peu rémunérateurs dans le quartier, un usage

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parcimonieux et coûteux des transports collectifs, et de longs trajets à pied, qui peuvent pénaliser leur productivité au travail. Enfin, en termes de citadinité, ce repli sur le quartier peut certes favoriser des solidarités de quartier vivaces. Mais il sous-tend aussi un mode de vie traditionnel (maintien des épouses au domicile ou dans ses abords immédiats, faible scolarisation des enfants, autoconsommation) qui ne favorise ni le développement de l’activité féminine rémunérée, ni le développement du capital humain. Qui plus est, même s’il existe une certaine hétérogénéité sociale dans les quartiers, cet investissement exclusif du lieu de résidence favorise des relations sociales localisées géographiquement et, vraisemblablement, assez homogènes sur le plan social (entre pauvres du même quartier, pour caricaturer). Il ne facilite pas la constitution et l’entretien d’un capital social diversifié et tend à renforcer les tendances à “une contention de la pauvreté et [à] une assignation des

plus pauvres à leur territoire” ainsi que “les phénomènes de fermeture sociale et locale sur les plus démunis” (Agier, 1999, p. 62).

Pourtant, à court terme, la marche ne semble guère avoir de substitut. Leur cherté disqualifie les modes motorisés tandis que le vélo pâtit d’une image trop dégradée (pauvreté, ruralité) pour espérer qu’il puisse à brève échéance offrir une alternative crédible. Il convient donc de rechercher de manière volontariste à travers les politiques publiques une amélioration sensible des conditions dans lesquels s’effectuent les déplacements pédestres. Actuellement les infrastructures de transport bénéficient d’abord et surtout à la minorité motorisée, en Afrique comme dans d’autres villes du Sud (Vasconcellos, 2001). Pourtant, la quasi-totalité des déplacements piétonniers s’effectue dans des conditions peu favorables : encombrement des trottoirs, déversement des eaux usées et des ordures, manque d’éclairage et risques d’insécurité, inondations et dégradation saisonnières des espaces publics. Il conviendrait de prendre en compte explicitement la marche dans les projets de transport et l’accessibilité piétonne dans la création de nouveaux équipements (santé, école, zones dédiées aux commerces). Plus généralement, les carences de l’offre urbaine de proximité se font de plus en plus sentir au fur et à mesure que la population résidente s’accroît en périphérie. Pour faciliter les conditions de réalisation des déplacements à pied, le plus important n’est-il pas d’en réduire la portée ? La marche à pied doit donc être intégrée explicitement dans les politiques publiques urbaines, sous peine d’oublier les populations qui subissent les conditions de transport les plus difficiles. Nécessaires, de tels éléments en faveur de la marche ou des modes non motorisés sont cependant insuffisants. L’amélioration des performances du réseau de transports collectifs et un coût plus abordable pour les citadins défavorisés sont indispensables. Pour garantir un minimum d’équité et pour favoriser les échanges sociaux à l’échelle des agglomérations, la puissance publique doit impérativement retrouver une place en matière d’amélioration de l’accès à la ville et de mise à disposition des services de proximité, deux dimensions interdépendantes des politiques de lutte contre la pauvreté.

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Figure

Tableau 1 - Répartition des Dakarois des ménages pauvres et non pauvres selon l’utilisation des  modes de transport un jour moyen de semaine (%)
Tableau 2 - Composition des groupes des sédentaires, des marcheurs et des usagers des modes  mécanisés les jours ouvrables (%)
Tableau 4 - Indicateurs de mobilité des marcheurs et des usagers des modes mécanisés selon le statut,  chez les ménages pauvres et non pauvres

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