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La marge urbaine à Berlin : quel rôle dans la construction de la ville ?

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Academic year: 2021

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La marge urbaine à Berlin : quel rôle dans la

construction de la ville ?

Clémence Mahé

To cite this version:

Clémence Mahé. La marge urbaine à Berlin : quel rôle dans la construction de la ville ? . Architecture, aménagement de l’espace. 2011. �dumas-01807305�

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La marge urbaine à Berlin :

quel rôle dans la construction de la ville ?

ENSAN

Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes

Cycle d’études conduisant au diplôme d’Etat d’architecte 2010-2011

Mémoire d’études par ClémenceMAHE Directeur d’études Marie-Paule HALGAND Nantes, septembre 2011

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Illustration de couverture:

Mouton (Jean-Claude), Berlin, 2002, série « Berlin no man’s land, 1989 - 2009 »

Vu sur http://arts.fluctuat.net/diaporamas/berlin-l-effacement-des-traces/No-man-s-land.html [consulté le 31 janvier 2011]

Remerciements: à Marie-Paule Halgand à Claire pour le voyage à Mara du Köpi137

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La marge urbaine à Berlin : quel rôle dans la construction de la ville ?

Préambule...p.4

Introduction

...

p.6

I. La marge urbaine, lieu de création

A. Les conditions de développement d’un urbanisme informel à Berlin...p.9

a. Un façonnement traumatique de l’espace

b. Depuis la chute du mur : reconstruction critique et rénovation douce c. Le quartier Kreuzberg-Friedrichshain : une culture du recyclage urbain

B. Etude de cas : vivre autrement, habiter autrement...p.23

a. Le Köpi 137 : projet d’habitat collectif à Kreuzberg b. Le YAAM : complexe socioculturel sur les berges de Spree

c. Le Yorck im Bethanien : habitat collectif et engagement politique dans un ancien hôpital

C. Eloge du délaissé urbain...p.33

a. Le Mur comme interstice spatial et temporel b. Le délaissé urbain et son potentiel

c. Les risques de fabrication d’une culture alternative pittoresque

II. Planification urbaine à grande échelle et résistances locales

A. Un grand projet urbain...p.45

a. Le projet Media Spree

b. Avantages économiques, urbains et politiques pour la ville c. Un projet en rupture avec son contexte

B. Les mouvements d’opposition des habitants...p.57

a. Une contestation fédératrice

b. Les moyens du mouvement et ses limites c. Une culture du ‘’droit à la ville’’

C. Des processus de conception à réinventer...p.65

a. Architectes et urbanistes face à la marge urbaine b. Les valeurs de l’impensé

c. La nécessité d’un espace de mouvement

Conclusion...p.71

Bibliographie...p.72

Annexes...p.74

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Préambule

Septembre 2009 : premier voyage à Berlin. Je suis happée par le rythme temporel et spatial de la ville. J’apprends la construction ré-cente d’un énorme stade sur les berges de la Spree1, le long de l’East Side Gallery 2; son chantier aurait impliqué la destruction d’une

partie des aménagements informels qui faisaient la vie du quartier jusque là : des clubs, un campement de camions, une école de cirque... Il aurait également provoqué le déplacement d’une section du Mur pour des questions de circulation. Partout on prépare la cérémonie de commémoration des vingt ans de la chute du Mur. La ville me marque, son histoire me fascine.

Février 2010 : deuxième voyage, plus long. J’expérimente plus profondément la vie berlinoise. J’éprouve la morphologie de la ville, en la parcourant, en y vivant. Je ressens les différents quartiers et les traces toujours perceptibles de la fracture entre est et ouest. Je découvre les lieux de la culture alternative, squats, clubs, bars, terrains vagues et anciennes usines occupées. Je rencontre les gens qui y vivent, j’essaie de comprendre leur histoire, leurs idéaux, leur quotidien. J’observe aussi l’émergence d’un grand projet d’urbanisme, le projet Media Spree ; j’approche les différents groupes engagés dans la lutte contre son développement. Le suivi de leurs actions me fait entrevoir les enjeux politiques du projet et la part que peut prendre la parole des habitants dans les processus de construction de la ville.

Je me plonge alors dans l’histoire mouvementée de la ville, j’essaye de comprendre comment s’est constituée la vie bouillonnante du quartier Friedrichshain-Kreuzberg, de démêler les complexes jeux d’acteurs de l’urbanisme berlinois. Il ressort de ces recherches ce que j’ai ressenti lors de mes voyages : ici plus qu’ailleurs, les espaces indéterminés, les réunions spontanées, les occupations sauvages et les actions citoyennes prennent une part active à la vie urbaine. Je décide de développer une réflexion sur la marge urbaine et son rôle dans la construction de la ville de Berlin.

-Il me semble nécessaire d’éclaircir ici les quelques difficultés que j’ai pu rencontrer durant mes recherches. Si j’ai pu communiquer en anglais avec la plupart de mes interlocuteurs, et si j’ai réussi à réunir une certaine quantité de textes en français et en anglais sur le sujet, la barrière de la langue a tout de même été un frein, notamment dans les étapes de collecte d’informations écrites. Par ailleurs je me suis heurtée à un hermétisme tenace de la part des mem-bres du projet Media Spree ; après plusieurs tentatives de prise de contact auprès de différentes personnes en charge du projet, le dialogue s’est avéré impossible. Sans doute ont-ils été fortement sollicités par les groupes de citoyens en lutte contre le projet et les médias pour se fermer à ce point à la communication. De ce fait, les informations récoltées sur le projet Media Spree sont issues de leur propre communication sur le projet, du réseau d’information constitué par les groupes opposants, et des informations véhiculées par la presse écrite et internautique ; il a donc fallut recouper l’ensemble de ces informations afin d’arriver à une certaine objectivité. D’autre part, étant dans l’impossibilité d’intégrer profondément les différents groupes étudiés, j’ai conservé un point de vue extérieur, voire étranger ; le sujet d’étude a donc conservé un certain exotisme, ce qui a pu altérer ma lecture des évènements. Enfin l’étude de pratiques informel-les et parfois illégainformel-les est compliquée, dans le sens où informel-les sources sont le plus souvent non officielinformel-les : blogs ou forums internet, récits de voyage, rencontres, entretiens etc. ; elles restent du domaine du sensible, et peuvent manquer d’exac-titude et d’objectivité. Bien qu’elles soient de réelles difficultés, composer avec chacune de ces contraintes ont été un moteur dans les différentes étapes de ma recherche.

1 La Spree est la rivière principale traversant Berlin 2 Nom donné au plus grand pan du Mur de Berlin resté intact

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BehmstraBe brücke (3 février 2010)

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Introduction

Vie associative, collectifs, squats, clubs, logements mobiles, sont nombreux à Berlin et contribuent à son iden-tité. Il s’agit en premier lieu de comprendre comment ces lieux ont pu se développer. A travers l’histoire de la ville, en particulier depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, nous verrons comment la construction du Mur puis sa chute ont pu être des éléments moteurs pour la créativité et le développement d’initiatives individuelles, notamment par la formation de grands espaces vides difficiles à reconstruire et propices à l’émergence de pratiques nouvelles.

L’étude se limite géographiquement au quartier Friedrichshain-Kreuzberg, quartier du centre de la ville traversé par le fleuve de la Spree. La Spree est longée sur 1,3 km par le plus long bout du Mur encore en place, constituant l’East Side Gallery. Dans ces quartiers, les anciens locaux industriels et terrains vagues délaissés en bordure du Mur et du cours d’eau ont été investis par une population nouvelle et transformés en de réels lieux de vie et de culture. Nous essaierons de comprendre comment cette vie alternative est née et perdure à travers trois exemple : le Köpi 137, projet d’habitat collectif dans des locaux industriels à Kreuzberg ; le YAAM, complexe socioculturel installé sur les berges de la Spree ; le Yorck im Bethanien, habitat collectif et centre artistique dans un ancien hôpital. Nous verrons comment ces utilisations intermédiaires, désignées par la notion de Zwischennutzung en allemand, viennent investir les interstices urbains en leur apportant un nouveau dynamisme, et de quelle façon ces interstices portent en eux un potentiel pour le dévelop-pement de la ville.

Ces lieux de vie alternatifs ont vu le jour au lendemain de 1989. Le bouleversement de la chute du Mur marque le début d’une période particulière dans la vie de la ville ; l’affaiblissement structurel et conjoncturel de l’Etat est-alle-mand a laissé le champ libre à des actions spontanées dans les milieux de l’architecture et de l’urbanisme. C’est à ce moment que l’on voit la culture des squats et de l’autogestion exploser ; Berlin attire les jeunes du monde entier, tout y est possible. La commémoration des vingt ans de la chute du Mur, en novembre 2009, a été l’occasion de nombreuses célébrations dans la ville ; cet évènement a pu mettre en évidence différentes façon de traiter la mémoire de la ville, et notamment ce que devient cette culture underground quand elle est officialisée, muséifiée. C’est aussi au début des années quatre vingt dix que les tractations immobilières s’intensifient ; la ville, en difficulté économique, vend des quar-tiers enquar-tiers aux investisseurs privés. Cette période de liberté tant du point de vue de la gestion urbaine que de celui de la contre-culture est le point de départ des différents sujets de cette étude ; c’est pourquoi nous nous concentrerons ici sur la période de 1989 à nos jours.

Le quartier Friedrichshain-Kreuzberg est aujourd’hui le lieu d’implantation d’un projet d’urbanisme regroupant un grand ensemble dédié à l’économie de la communication et au logement de grand standing : le projet Media Spree. Regroupant plusieurs investisseurs internationaux, le projet prévoit l’aménagement d’une grande partie des berges de la Spree, induisant la privatisation de ces espaces, et la destruction de l’ensemble industriel actuellement investit par des collectifs. Il implique également la montée brusque du niveau de vie du quartier pouvant provoquer une transformation de la population. Nous verrons quelles logiques ont conduit au lancement d’un tel projet, les avantages économiques et urbains qu’il présente pour une ville en difficulté, mais aussi les ruptures avec l’histoire de la ville et la répétition de certaines erreurs dans un parallèle avec des projets urbains comparables.

Un mouvement a été créé à l’initiative des citoyens du quartier et de la ville contre la mise en place de ce projet de planification urbaine : Media Spree versenken (couler Media Spree). Le quartier Kreuzberg est alors le théâtre d’une confrontation, entre différentes idéologies, mais aussi différentes façons d’habiter et de penser la ville : réinvestir un patrimoine bâti par de nouveaux usages adaptés aux évolutions sociales actuelles, ou nier ce qui est considéré comme non rentable et construire du neuf. Nous verrons comment l’opposition des habitants peut s’organiser et devenir effec-tive vis-à-vis des pouvoirs décisionnels, et de quelle manière l’implication des habitants dans la vie de la ville s’inscrit dans une revendication plus large du droit à la ville. Il s’agira enfin, à travers les travaux d’architectes, de sociologues, de philosophes, d’explorer quelles alternatives sont possible pour un nouvel urbanisme, et dans quelles proportions la marge urbaine peut être le lieu d’une ébauche de ces nouvelles façons d’appréhender la ville.

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Voies ferrées vues depuis la WarschauerstraBe (9 février 2010)

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Hobrecht Plan 1862

http://www.stadtentwicklung.berlin.de/planen/fnp/en/historie/index.shtml [consulté le 15 juin 2011]

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-I.

La marge spatiale, lieu de création

« La ville est l’inconscient de l’architecture. » 1

A.

Les conditions de développement d’un urbanisme informel à Berlin

2

L’histoire de la ville de Berlin est une histoire de traumatismes. Lorsqu’on parcourt la ville, on sent de multiples fractures, physiques, architecturales, sociales, culturelles. Ce qui m’a frappé d’abord, moi qui ai toujours vécu dans les centres historiques denses des villes française, c’est la fréquence des espaces vides. La superficie de Berlin est neuf fois plus grande que celle de Paris, pour un nombre d’habitant seulement supérieur de moitié. C’est comme si l’on avait étiré la maille de la ville. Lorsque je suis sortie du métro pour la première fois, en plein cœur du quartier Mitte, j’ai demandé à plusieurs passants si l’on était bien dans le centre-ville. Je cherchais des maisons de pierres et des ruelles pavées jalonnées de petits commerces… J’étais loin du compte. L’adaptation au rythme distendu de la ville s’est faite progressi-vement, et j’ai appris à aimer les rues larges, les parcs et les grands espaces en chantier, les dents creuses et les friches en attente, les respirations urbaines. Comment s’est construite cette ville unique ? Qu’est-ce qui fait sa spécificité, et comment se sont formés ces espaces de liberté qui la caractérisent ? Dans les années 1990, Berlin apparaissait comme un lieu laissant une place à l´utopie, où le mythe de l´éternelle reconstruction permettrait à chacun de prendre une part active au visage de la ville. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?

a. Un façonnement traumatique de l’espace

Berlin a été, à plusieurs reprises au cours de son histoire, au cœur des enjeux européens, non seulement de la politique internationale mais aussi de l’idéologie urbaine. Tour à tour capitale prussienne, théâtre de l’idéologie na-tionale-socialiste et de sa démesure totalitaire, ville bombardée, cœur de la guerre froide, la ville est aujourd’hui pour beaucoup le symbole de l’unité allemande retrouvée. La ville a souvent incarné dans l’évolution de son tissu construit le rapport entre idéologie et urbanisme, et le combat, parfois, entre la force des idées et la difficulté de la mise en pratique. Elle a été et est toujours le lieu de l’expérimentation, tant en architecture qu’en urbanisme.

Berlin et son paysage urbain sont nés de multiples cités, qui se sont peu à peu développées dans la vallée de la Spree et sur les versants des hauts plateaux de Teltow et de Barnim. Les cités des îlots de la Spree et les villages de Berlin et de Cölln ont constitué le noyau à partir duquel la ville s’est étendue dans la vallée, au début de façon régulière, dans toutes les directions. Spandau et Köpenick, les noyaux urbains les plus proches dans la vallée de la Spree, ont connu d’abord un développement autonome. Jusqu’au dernier tiers du XIXe siècle, la zone urbaine de Berlin s’est limitée à des parties disparates convrant la vallée. Ce sont surtout des raisons d’ordre économique qui ont déterminé l’accroissement de Berlin. On a alors couvert de bâtiments toutes les surfaces constructibles, sans tenir compte des spécificités paysagè-res ; la ville a accaparé le paysage. Des places ornementales, des promenades et de petits parcs sont apparus dans les « beaux quartiers ». On a également aménagé quelques parcs publics dans les quartiers ouvriers. Aujourd’hui encore, on compte ces parcs parmi les plus importants espaces verts du centre-ville.

En 1861, le plan Hobrecht, organise l’augmentation massive des constructions, en réaction au développement de l’industrialisation et à l’exode rural. Il fournit un cadre général pour le tracé des voies et le gabarit des bâtiments. Il prévoit entre autres d’aérer les espaces trop denses, et projette le développement de la ville sur le long terme. Mais de cette période, on retient surtout la construction des Mietskasernen, ou casernes à loyer, logement de basse qualité pour la population ouvrière, ainsi que le système d’expansion par blocs, et la constitution de véritables quartiers industriels mettant fin au mélange traditionnel entre habitat et travail artisanal. En 1872, Berlin devient la capitale du Reich ; la ville va alors subir des transformations considérables. Au centre, l’architecture de Berlin capitale de l’Allemagne impériale

1 Agrest (Diana), Conway (Patricia), Weisman (Leslie), The sex of architecture, Harry N. Abrams, 1996 - 320 p.

2 Références pour ce chapitre: Bernard (Hélène), Bocquet (Denis), Berlin, un urbanisme participatif, Paris, Profession Banlieue, 2008, 158 p. • Bérard (Ewa) et Jacquand (Corinne), Architectures au-dela du mur, Berlin – Varsovie – Moscou, 1989-2009, Paris, Picard, 2009, 279 p. • Pinson (Gaëlle), « La «reconstruction critique» à Berlin, entre formes et idéologie », Le Visiteur, n° 6, automne 2000.- pp. 130-155. • http://base.d-p-h.info/fr - Histoire du quartier Kreuzberg à Berlin [consulté le 16 août 2010] • http://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrichshain-Kreuzberg [consulté le 16 août 2010]

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reprend les principes du temps de la Prusse, notamment ceux de l’architecte prussien Friedrich Schinkel. En périphérie se constituent certains des quartiers industriels, parmi les plus denses du monde. En quelques décennies, Berlin devient une véritable métropole industrielle.

On procède à la première planification générale pour le Gross-Berlin, le Grand Berlin, en 1910, dans le cadre du Concours pour le Grand-Berlin, où le développement des espaces libres joue un rôle décisif. Le lauréat du concours, le « Jansen-Plan », contient même un projet à part pour les espaces libres. Ce plan a une influence considérable sur le développement de la ville. Le « Jansen-Plan » influencera le « Plan général des espaces libres » de 1929, qu’élabore l’architecte Martin Wagner, premier urbaniste à avoir formulé des exigences minimales pour l’entretien d’espaces non construits. La ville doit à ce plan la ceinture de parcs, jardins familiaux et cimetières qui l’entoure, ainsi que les vastes zones périphériques forestières et agricoles.

En 1920, la métropole s’agrandit en intégrant les communes voisines. Pendant la République de Weimar, mal-gré les difficultés économiques, elle s’affirme comme une des capitales culturelles de l’Europe, lieu de toutes les avant-gardes et expérimentations, notamment avec la diffusion des idées du Bauhaus, l’architecture d’un Mies Van der Rohe, et l’élaboration de théories urbaines destinées à marquer le siècle. Sous le IIIème Reich et la dictature totalitaire natio-nal-socialiste, Berlin devient la scénographie géante imaginée par l’architecte Albert Speer pour Adolph Hitler. Cette période marque une déformation totale des principes les plus établis de l’urbanisme berlinois, et l’adhésion des archi-tectes les plus novateurs des années vingt aux visées criminelles du régime, qui détruit en partie l’effervescence créative de cette époque. Malgré tout, nombreux sont les historiens qui voient dans l’urbanisme de Speer une certaine ligne de continuité avec la pratique architecturale des années précédentes. Parallèlement, l’école du Bauhaus survit en exil. Les bombardements de 1945 détruisent le centre ville en grande partie, ainsi que les quartiers industriels ; mais il ne s’agit pas de grande dévastation (comme à Dresde par exemple). La conférence de Yalta, en février 1945, divise la ville en qua-tre zones d’occupation (France, Royaume-Uni, Etats-Unis, URSS), faisant de Berlin le reflet en miniature du pays vaincu. La supériorité militaire des soviétiques est manifeste : si la ville est partagée en quatre, le centre-ville et notamment le quartier Mitte est intégralement attribué aux Russes. Rapidement les troupes russes se retirent des quartiers ouest de la ville, qui forment alors une enclave en terrain soviétique.

Entre 1945 et 1990, Berlin est le théâtre urbain de la Guerre Froide. Les premières tensions politiques interna-tionales ont vite raison du fonctionnement unitaire de l’administration urbaine. Si en 1946, des élections municipales unitaires donnent la victoire au SPD (parti social-démocrate), celles de 1948 marquent la séparation entre l’ouest, dirigé par Ernst Reuter, et l’est, dirigé par le SED (parti communiste). En juin 1948, à l’issue d’une longue dégradation des re-lations entre les quatre occupants de l’Allemagne, l’Union soviétique bloque les voies d’accès terrestre à Berlin-ouest. Commence alors le blocus, qui dure jusqu’en mai 1949. L’aéroport de Tempelhof entre dans l’histoire de par son rôle de pont aérien, qui permit à l’ouest de la ville de résister. Berlin va rester pendant quarante ans un terrain d’affrontements géopolitiques, aux multiples répercussions sur la vie urbaine et sur l’urbanisme ; aujourd’hui encore la ville est marquée par un façonnement traumatique de l’espace.

Face aux dommages de la guerre, zone occidentale et zone orientale posent différemment les principes devant présider à la reconstruction. A l’est, la RDA (République Démocratique Allemande) est fondée en octobre 1949. Dès lors la planification urbaine dans cette partie de la ville se fait dans l’idéal de la capitale socialiste. L’objectif premier est le relogement des populations restées sans-abris par les destructions de la guerre. Un des projets phares de cette épo-que est la Stalinallee (devenue la Karl Marx Allee lors de la déstalinisation), axe de la ville socialiste en devenir, dans le prolongement de l’Alexanderplatz. Le modèle suivi en premier lieu est le déblaiement des restes de la ville bombardée, l’effacement de l’ancien tracé viaire, et la création d’une trame nouvelle. Caractéristiques de cette période, les Platten-bau, sont des blocs de logement sociaux de basse qualité, construits en préfabriqué en grand nombre en périphérie de la ville.

A l’ouest, on déblaie également les ruines et on entreprend de grands programmes de logement social. Suite aux réflexions de Hans Sharoun, puis de Karl Bonatz, qui se fondaient sur le Gross-Berlin de Janson, un plan d’occupation des sols est présenté en 1950, le « Flächennutzungplan ». Modernisme, libéralisme, pragmatisme puis socialisme muni-cipal se mêlent dans la justification de la construction d’une ville nouvelle efficace sur les ruines de la ville bombardée. A partir de 1957, Willy Brandt, chancelier d’Allemagne de l’ouest, promeut l’idéologie d’une hypothétique réunification, qui préfigure la tentative d’ouverture vers l’Est, l’Ostpolitik. En 1959 une politique de rapprochement et de détente est tentée entre l’Allemagne de l’ouest, l’Union des républiques socialistes soviétiques et ses alliés du Pacte de Varsovie. Mais suite à un mouvement important de fuite de la population de l’est vers l’ouest, dans la nuit du 12 au 13 août 1961,

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Plan général des espaces libres 1929

http://www.stadtentwicklung.berlin.de/umwelt/landschaftsplanung/chronik/index_fr.shtml#n [consulté le 12 juin 2010]

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des barrages provisoires sont montés sur la délimitation du secteur d’occupation soviétique et les routes d’accès sont coupées. Dans les semaines qui suivent, le barrage est remplacé par un mur en béton, le contrôle militaire est organi-sée, les lignes de transports sont bloqués, les bâtiments limitrophes sont vidés de leurs habitants et murés. Durant une vingtaine d’années, d’un côté se construit la ville du socialisme, de l’autre celle du modernisme. Berlin-ouest devient la vitrine du monde capitaliste, moderniste et libéral, dans une posture bien peu révélatrice de ses fondements idéologi-ques. La gestion de l’urbanisme est comparable à celle de l’est.

En 1965 est établit un nouveau plan d’occupation des sols ; il s’en suit une phase de prise de conscience quand à la nécessité de mieux respecter le tissu urbain préexistant. Les années 1970 et 1980 voient apparaître les principes d’urbanisme doux, qui vont d’une part faire de Berlin un modèle pour la rénovation urbaine et le renouvellement urbain et d’autre part servir de fondement au travail mené après 1990. Si c’est à Berlin que ces concepts urbains, en opposi-tion au modèle démoliopposi-tion-reconstrucopposi-tion, ont vu le jour, c’est aussi dans cette ville qu’ont été appliqués radicalement des processus d’effacement de la ville ancienne. Les destructions successives de la ville, que ce soit par les dégâts de la guerre ou par l’idéologie de la table rase menée par les modernistes et les socialistes, ont créé par le vide les conditions d’une expérimentation à vaste échelle de la construction d’une ville nouvelle dans son essence.

A l’est, même si la construction de Plattenbau continue, l’idée est peu à peu acceptée qu’il ne faut pas forcé-ment tout raser d’une ville pré-socialiste qui n’était pas que bourgeoise. De plus il est pris en compte que la rénovation permet de loger les habitants encore en attente d’un logement. A partir de 1977, une acceptation progressive de la ville héritée s’opère. On cesse de prétendre implanter la ville socialiste dans les ruines de la ville bourgeoise et on se lance dans la requalification urbaine avec des « îlots test » (dans les quartiers Prenzlauerberg et Mitte par exemple). A l’ouest, des comités d’habitants et de locataires, et de jeunes urbanistes, insufflent de nouvelles problématiques aux questions de la gestion urbaine. Dans les années 80, alors que la réflexion urbaine institutionnelle à l’ouest a du mal à intégrer la perspective d’une réunification de la ville, tout un milieu d’activistes urbains se constitue, sur l’héritage souvent des alternatifs des années 1970. Faire des projets pour Berlin devient à la mode chez une jeune génération d’architectes internationaux. Berlin devient le cœur battant d’une culture urbaine nouvelle.

b. Depuis la chute du mur : reconstruction critique et rénovation douce

Entre les années 1970 et 1980 naissent certains des concepts essentiels de l’urbanisme berlinois. Ces idées naissent d’abord dans la contestation de l’idéologie urbaine de la démolition. De là naît l’idée de la rénovation douce, qui renoncerait à la démolition en vue de la construction d’une ville hors sol, pour s’attacher à la réparation de l’existant et à sa réinsertion dans un cadre urbain qui deviendrait l’objet d’un soin plus grand. C’est dans ce contexte que l’idée de participation commence à émerger, au croisement d’une idéologie politique de gauche, des protestations de comités de locataires, des initiatives citoyennes contre les expulsions et les démolitions et des premières prétentions théoriques à l’institutionnalisation.

La reconstruction critique et la rénovation douce « à la berlinoise » font de Berlin l’épicentre mondial du re-design. Une nouvelle génération d’urbanistes et d’architectes ose s’en prendre au dogme moderniste, pour légitimer une action sur la ville existante qui sache prendre en compte l’héritage, sans pour autant apparaître comme rétrograde. Cette féconde fermentation propulse Berlin sur le devant de la scène urbaine mondiale, non plus pour le Mur ou les aspects géopolitiques. Reprise pour les chantiers de Berlin après 1989, la notion de reconstruction critique fut élaborée dans le contexte de l’Internationale Bauaustellung, ou IBA, l’Exposition internationale d’architecture organisée 1984 à Berlin-ouest, par Josef Paul Kleihues, théoricien et architecte en chef de l’IBA. Elle consiste en une remise en cause gé-nérale de l’héritage moderniste, mais participe aussi, entre les lignes, au conflit idéologique entre les deux Allemagnes. Si la reconstruction critique désigne d’abord le cadre théorique de projets architecturaux et urbains du centre de Berlin de cette époque, elle dépasse vite les questions purement formelles pour devenir un moyen plus ou moins efficace de contrôle des investisseurs. Parallèlement, cette notion s’est révélée être le vecteur d’imposition de l’idéologie ouest-al-lemande, légitimant la destruction de l’héritage urbain et architectural de la RDA.

A Berlin-ouest, des démarches que l’on peut qualifier d’alternatives sont mises en place depuis la guerre : diver-sité des démarches architecturales, large responsabilité dévolue aux quartiers, respect des habitants organisés en comi-tés, réhabilitation en douceur ; et cela passe notamment par les squatters et les populations marginales installées dans les quartiers anciens. Avec l‘IBA, Berlin conforte son image de ville unique, îlot d’expérimentation d’utopies qui fascine à l’époque les professionnels du monde entier. Le mot d’ordre est le respect de l’existant, non en tant qu’asservissement

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Zones d’occupation Allemagne 1945

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Zone d’occupation Berlin 1945

http://www.loutan.net/olivier/archives/2010/06/06/occupation-de-lallemagne-apres-la-se-conde-guerre-mondiale/ [consulté le 12 juin 2010]

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aux formes du passé, mais bien en tant que prise de conscience de la nature historique de la ville. Le terme de recons-truction est utilisé pour parler d’une tentative de retrouver le fil de l’histoire, rompu par la guerre et l’après-guerre.

Le 9 novembre 1989, à la suite d’une révolution pacifique en RDA et de changements politiques intervenus dans les pays de l’Europe de l’est, de manière inattendue, le Mur tombe : l’ouverture des postes frontières laisse le passage li-bre aux berlinois de l’est (près de 20.000 personnes franchissent la frontière durant la première heure) ; le mur de béton est démantelé entre juin et novembre 1990. Ce bouleversement suscite l’euphorie mais aussi l’incertitude. On assiste à Berlin-est à une refonte complète du pouvoir ; les structures administratives s’effondrent. L’affaiblissement structurel et conjoncturel de l’Etat est-allemand laisse le champ libre à des actions spontanées dans les milieux de l’architecture et de l’urbanisme, dans la lignée des révolutions politiques et sociales à l’œuvre en Europe de l’est, concernant la réalisation des revendications passées, la recomposition de la profession et le rapprochement des citoyens et professionnels des deux Etats. On assiste à l’ouverture d’un dialogue entre est et ouest pour les questions architecturales et urbaines.

Reprenant les principes formulés par l’IBA, le « Groupe du 9 décembre », regroupant des architectes des deux Allemagnes, mentionne explicitement la notion de reconstruction critique, non plus pour parer aux destructions de la Deuxième Guerre mondiale, mais bien à celles de la Guerre Froide. Face au polycentrisme de la ville, la charte expose des principes d’urbanisme tels que la re-densification, l’intégration des différentes strates historiques, le retour à une structure parcellaire héritée, et le refus de faire des friches du centre-ville « un champ d’expérimentation et d’urbanisme utopique1», termes connotés négativement dans ce contexte de recherche d’un cadre unificateur. La charte, publiée

dans le périodique Bauwelt insiste sur les principes de mixité fonctionnelle et sociale et d’écologie. Elle pose le fleuve de la Spree comme « axe naturel de développement de l’ensemble de centre-ville ». De plus elle intègre le principe de participation dans les processus de planification, « auxquels doit participer une large part de la population et qui doivent intégrer des discussions publiques menées entre experts et profanes. Le droit à la participation de l’ensemble des citadins doit être garanti des deux côtés de la ville.» Les processus négociés entre différents acteur (habitant, investisseur, pou-voirs publiques, etc.) sont opposés à des décisions arbitraires et non concertées par un maître d’ouvrage public. Au nom d’une interprétation en profondeur des principes de la reconstruction critique, l’idée de modèle est rejetée.

Mais rapidement la reconstruction critique se révèle être plus un garde-fou contre les projets des investisseurs qu’une démarche d’urbanisme approfondie. En 1990, les premières élections libre à l’Est donnent le pouvoir au parti die Linke et annonce la disparition de la RDA. La perspective de l’unification augmente la pression des investisseurs sur les parcelles du centre de Berlin, et accélère les transactions foncières. L’instauration de la parité entre les deux monnaies entraîne de nombreuses faillites, et l’augmentation des privatisations à caractère spéculatif. La reconstruction critique est pour la première fois officiellement invoquée par la municipalité comme principe des chantiers à venir. Mais l’exem-ple de la Potsdamer Platz, comme première application de ce principe de conception, révèle ses faiblesses et montre une réelle difficulté de réalisation face à la situation économique et politique de la ville. Nous reviendrons plus tard sur ce projet emblématique des paradoxes des politiques urbaines berlinoises.

La reconstruction critique est remise en question ; on condamne entre autres la focalisation sur les questions d’architecture au détriment des questions d’urbanisme, l’importance donnée aux questions stylistiques au détriment des programmes et des densités, la restriction des options typologiques. On constate un décalage entre idéologie et pratique, notamment lié aux conditions réelles de production de la ville. Parallèlement, les investisseurs remettent en question la démarche de la municipalité. Le monde des architectes et urbanistes se scinde, entre une minorité de pro-fessionnels du Berlin-ouest des années 1980 qui suivent les investisseurs, et une majorité d’architectes de l’est laissés à l’écart des travaux entrepris. La reconstruction critique est taxée de « provincialisme », déconsidérée par la presse et le monde de la culture. On estime que les propositions architecturales adoptées s’éloignent de la doctrine de la muni-cipalité, et s’apparentent à une « architecture de star ». L’architecte V.M.Lampugnani défend l’idée d’une évolution de la ville dont la rupture principale aurait été la guerre et l’urbanisme qui a suivi. Fin 1992, il organise une exposition sur le thème de « L’architecture conservatrice et modérée de l’Allemagne du début du XXème siècle », incitant à la redé-couverte de l’architecture néo-classique berlinoise. La reconstruction, étant initialement un processus de construction à partir de l’existant, c’est-à-dire une reconstruction de la ville sur la ville, deviendrait alors la restitution d’un bâti détruit par erreur, prenant comme référence un Berlin des années 1920 mystifié. La volonté d’une conscience de l’historicité se transforme en retour sur une époque particulière érigée comme modèle. Cette tension entre une indifférence aux pro-blèmes actuels de la ville et le renvoi à une connaissance mythique de son passé se retrouvera dans les débats ultérieurs et prévaudra sur les propositions alternatives, notamment celles qui avaient émergé après la chute du Mur.

1 Pinson (Gaëlle), « La «reconstruction critique» à Berlin, entre formes et idéologie », Le Visiteur, n° 6, automne 2000.- pp. 130-155.

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Le discours dominant des autorités remet en cause les préceptes modernes, considérés comme responsables de la destruction de la ville, et légitime ainsi l’éviction de l’héritage architectural de la RDA, sans que sa valeur de témoin d’un pan de l‘histoire allemande soit pris en considération. En 1993 , lors du colloque « Berlinales de la construction », dirigé par H. Stimmann, l’évolution du projet de la Potsdamer Platz fait débat, notamment quant à l’absence de prise en compte des recommandations de la municipalité. Il est déclaré urgent de définir des principes de développement pour faire face aux ambitions démesurées des investisseurs en matière de design architectural. Mais ce colloque s’avère constituer un outil de légitimation des processus urbains en cours, et un moyen supplémentaire pour renier l’héritage de la RDA (aucun architecte ou critique de l’ancienne RDA n’y est convié). Ce qui devait être la prise en considération des formes urbaines comme expressions d’états divers de la société, se mue en production artificielle de formes typiques, extraites du contexte de leur avènement. H. Stimmann réduit la reconstruction critique à un ensemble de règles for-melles (hauteur des constructions, répartition des usages, choix des matériaux), sans réelle réflexion sur le fondement de ces règles (pas de restriction sur le coefficient d’occupation des sols, ni sur la densité et la construction en sous-sol). Il révèle, à demi-mot, l’impuissance des acteurs politiques sur le terrain : face à la pression des investisseurs ils n’ont pas eu les moyens d’intervenir sur les fonctions et leur répartition. La question des programmes reste sous-jacente ; or, dans la mesure où la répartition critique lie dans son principe même mixité fonctionnelle et sociale d’une part, et forme urbaine d’autre part, s’y référer sans aborder la question des programmes revient à la vider de son sens.

En 1996, le « Planwerk Innenstadt » est publié. Il comprend deux parties : la première, nommée « City west », géré par F. Neumeyer et M. Ortner, est consacrée à l’ancien centre de Berlin-ouest ; la seconde, « Historisches Zentrum», gérée par B. Albers et D. Hoffman-Axthelm, concerne l’ancien centre de Berlin-est et le cœur historique de la ville. Il présente un négation assumée de l’urbanisme de la RDA, considéré comme dépassé (dans la brochure les parcelles construites sous la RDA sont représentées sous la forme des projets futurs, tandis que les autres quartiers sont repré-sentés par d’anciennes photos). La lutte idéologique s’exprime avec violence dans l’adoption de mesures de destructions brutales. Le Planwerk Innenstadt présente l’aménagement de l’Alexanderplatz, symbolique de l’ancienne ville socialiste, comme la réparation d’une erreur. Le retour à l’histoire opéré par les municipalités, où les acteurs de l’ouest sont domi-nants, est aussi la marque d’une allégorie du patrimoine propre aux économies libérales. Les conditions de production de la ville ont connu une évolution qui permet aux investisseurs d’affirmer une emprise toujours plus grande sur l’image et le fonctionnement de la ville.

Comme nous le verrons plus loin, la Potsdamer Platz est l’emblème de ce nouvel urbanisme libéral. Avec une place publique largement destinée au trafic automobile et des intérieurs d’îlots destinés à servir de vitrine des grands groupes internationaux, on est loin de l’urbanisme historique proposé par Stimmann ; les critiques parlent même d’ur-banisme « hardcore »1. Dans les années 1990, une amélioration et une mise en valeur des grands ensembles de

loge-ment social est lancé, sous l’impulsion du STERN (Gesellschaft der behutsamen Stadterneuerung mbH), instance de politique urbaine et sociale créée dans le prolongement de l’IBA. Un vaste programme de rénovation des quartiers Plattenbau voit le jour. Parallèlement, parc public municipal est privatisé, à hauteur d’un tiers depuis 2000 (ce qui peut paraître modéré en comparaison à la ville de Dresde, où la quasi-totalité des logements sociaux a été rachetée). Six compagnies communales de logement (Degewo, Gewobag, Gesobau, Howoge, Stadt und Land) gèrent encore 273000 appartements, patrimoine estimé à 4,5 milliards d’euros. Les loyers pouvaient s’estimer en 2008 à une moyenne de 4/5€ /m² /mois ; les processus de privatisation entraînent en moyenne une augmentation de 0,50€/m²/mois. Face à ces va-gues de privatisation des terrains les autorités sembles impuissantes : la ville a besoin d’argent. La ville se situe en effet depuis les années 1990 au seuil statistique, politique et psychologique des villes en déclin ; malgré l’effort fédéral et les manifestations de solidarité urbaine, la ville-état atteint une dette dépassant les 65 milliards d’euros. Pour pallier à cette crise, la ville tente d’attirer les investisseurs internationaux, et ce à travers le développement d’un « marketing urbain » En 2006 les élections municipales marquent un tournant dans la vie politique berlinoise : la coalition Rot-Rot, entre les deux partis de gauche SPD et die Linke, est formée, reconduisant Klaus Wowereit comme maire-gouverneur de la ville. Les nouveaux enjeux de l’administration locale sont les suivants : élaborer une planification régionale contre l’étalement urbain, développer une politique sociale dans les quartiers centraux en voie de gentrification (phénomène très parado-xalement renforcé par les principes de rénovation douce), articuler la « ville du tourisme » et la « ville des habitants »2 ;

enjeux auxquels s’ajoutent la volonté de rester sur le devant de la scène mondiale de la réflexion urbaine.

1 Schmidt (Christian Olaf), Hardcore Urbanism: Urban Planning at Potsdamer Platz in Berlin after the German Reunification, Rice University, 1996, in Bernard (Hélène), Bocquet (Denis), Berlin, un urbanisme participatif, Paris, Profession Banlieue, 2008, 158 p.

2 Bernard (Hélène), Bocquet (Denis), Berlin, un urbanisme participatif, Paris, Profession Banlieue, 2008, 158 p.

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Pour des raisons financières entre autres, les violentes luttes formelles et idéologiques présidant aux transfor-mations du paysage urbain dans les années 1990 n’ont pas touché les quartiers alors périphériques comme Kreuzberg, qui accueillent à l’époque une population dont on se soucie peu : les familles immigrées (d’origine turque notamment), les squatteurs, les jeunes artistes, dans des bâtiments dont on louera plus tard les qualités urbaines. Cette population in-vestit les bâtiments abandonnés de l’ex-RDA pour s’y loger, organiser des fêtes, monter des lieux de culture éphémères, et prolongent à leur manière, en d’autres lieux, la tradition tout aussi berlinoise des cafés alternatifs du Kreuzberg des années 1930.

c. Le quartier Kreuzberg-Friedrichshain : une culture du recyclage urbain

Le quartier Friedrichshain-Kreuzberg est le 2e arrondissement administratif (Bezirk) de Berlin, formé en 2001 par la fusion des anciens districts de Friedrichshain et Kreuzberg. Cet arrondissement est le seul, avec celui de Mitte, à mêler des anciens districts de Berlin-ouest et de Berlin-est. L’arrondissement couvre une superficie de 20,2 km² pour une population totale de 266 857 habitants (au 31 juillet 2007), avec une densité de 13 237 hab. /km². Les anciens quartiers Kreuzberg et Friedrichshain sont séparés par le fleuve de la Spree et l’ancien tracé du Mur.

Le quartier Friedrichshain prend son nom, qui signifie littéralement «plantation de Frederick», du Volkspark créé dans le quartier en 1840 pour la commémoration du couronnement de Frederick Le Grand. Il s’est développé en grande partie lors de l’industrialisation entre le XIXème et le début du XXème siècle, avec la construction de logements ouvriers en grand nombre. En 1848 l’ouverture de la ligne ferroviaire entre Berlin et Francfort, prenant son origine en plein cœur du quartier, dans la gare de Berlin Ostbahnhof, influe considérablement sur son développement, ainsi que l’ouverture des premières usines hydrauliques peu de temps plus tard. Au début des années 1900, l’usine Knorr ouvre ses portes et devient le plus grand employeur de la zone ; la Knorrpromenade, une des rues les plus attractives de Frie-drichshain, a été construite pour loger en partie ses employés.

En 1933, le quartier est renommé par le régime national-socialiste ; il devient Horst-Wessel-Stadt, du nom de l’auteur de l’hymne nazi, dont la mort dans l’hôpital de Friedrichshain en 1930 a été attribuée aux communistes et fut repris par la propagande antisoviétique de Goebbels. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le quartier Friedrichshain est un des plus endommagés de la ville, la cible des bombardements étant principalement les industries. Après la fin du conflit, des échanges marchands ont fonctionné entre Friedrichshain (ayant retrouvé son nom d’origine) et Kreuzberg malgré les tensions internationales, jusqu’à la construction du Mur qui place le quartier en bordure de la nouvelle capi-tale socialiste. Le quartier voit se construire la Stalinallee, sur le modèle des boulevards de Moscou de l’ère soviétique, au début des années 1950. En 1953, l’avenue est le théâtre de la première insurrection ouvrière : organisée par les ouvriers de la Stalinallee, le soulèvement démocratique et anti-communiste du 16 juin rassemble 60 000 manifestants. La répression est violente, on compte 80 morts et 25 000 arrestations. Ces évènements durcissent la coupure entre est et ouest ; plus de trois millions d’est-berlinois passent à l’ouest avant la construction du Mur.

La réunification voit le quartier Friedrichshain se dynamiser. Les grands espaces vides, les nombreux logements et locaux laissés libres, attirent une jeunesse venue aussi bien de l’est que de l’ouest, qui trouve là un avantage finan-cier avec des loyers bas par exemple, mais surtout un espace de liberté propice à la création. On voit se multiplier des projets d’initiative individuelle ou collective, des projets de logement collectif, ateliers d’artistes, lieux de revendication politique, bars et clubs… A la population ouvrière se mêle alors celle des étudiants, des artistes, des squatteurs, et de la jeunesse berlinoise qui y trouve un lieu de rassemblement et de festivité. Aujourd’hui et depuis une dizaine d’année, on voit le quartier changer petit à petit de visage avec l’installation d’une population nouvelle. Attirés par le charme popu-laire du quartier et son effervescence culturelle, mais possédant plus de moyens que les habitants initialement présents, ces nouveaux arrivants de plus en plus nombreux font sensiblement augmenter le niveau de vie, mettant en péril les conditions mêmes de cette vie de quartier particulière.

Le quartier de Kreuzberg a été érigé il y a plus de cent ans pour accueillir les plus pauvres des plus pauvres : les migrants venant de Pologne ou des anciennes provinces allemandes de l’est (Silésie) pour trouver du travail dans la capitale du nouveau Reich. Les logements de mauvaise qualité y côtoient de petites usines : les rues sont très étroites et les espaces communs rares. Le quartier a donc une tradition populaire depuis sa création.

Durant la deuxième Guerre Mondiale, les bombardements alliés défigurent le quartier : 42 % des logements du quartier ont été rasés ou bien sont inutilisables. Au lendemain du conflit, les habitants de Kreuzberg se mobilisent

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Planwerk Innenstadt 1996 http://www.stadtentwicklung.berlin.de/planen/spreestadt/de/vorplanungen/planwerk_g.shtml [consulté le 23 juin 2010]

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pour reconstruire les bâtiments détruits. A l’époque, on manque d’argent et de matériaux pour envisager une véritable reconstruction. Ce sont donc les habitants qui prennent en main le travail de réhabilitation absolument nécessaire pour que les milliers de sans abris retrouvent un toit. A partir de 1954, les fonds du Plan Marshall permettent de lancer une reconstruction de grande ampleur. Les vieux principes de la construction sociale de la République de Weimar sont repris : on veut des appartements avec « de la lumière, de l’air et du soleil ! ». Pour la première fois, on envisage aussi des es-paces urbains qui ne sont pas structurés par des rues rectilignes : les bâtiments sont séparés les uns des autres, jamais alignés entre eux. Les parcelles loties typiques de Berlin disparaissent. L’idée est que les passants doivent avoir le senti-ment de circuler dans un tout, sans qu’il y ait de rupture au sein du quartier. Enfin, le mélange de fonctions des espaces urbains, qui faisait la spécificité de Kreuzberg, doit être aboli : les zones d’habitat doivent être séparées des ateliers, des surfaces commerciales, et même des espaces culturels. La culture est assignée à des « forums culturels » isolés. C’est la fin d’une tradition de mixité fonctionnelle de quartier.

Avec la construction du Mur, Kreuzberg, qui était jusqu’alors situé au centre de la ville, devient un quartier pé-riphérique de Berlin-ouest. La reconstruction achevée, les entrepreneurs du bâtiment cherchent de nouveaux terrains d’activité ; ils proposent la réhabilitation des bâtiments anciens selon la méthode de la « coupe à blanc », leur devise est : « démolition et reconstruction ». La rénovation du bâti ancien n’intéresse pas : on manque de connaissances et de savoir-faire dans le domaine. En revanche la construction neuve de grands volumes présente un intérêt certain : il s’agit de soutenir l’industrie du bâtiment qui est d’une importance majeure pour l’économie de cette ville, petit îlot du monde occidental isolé au milieu de la RDA. L’argument brandi pour défendre ces destructions est l’inadaptation des anciens logements aux nouvelles structures sociales de Berlin-ouest : les urbanistes de l’époque expliquent que ce ne sont pas seulement les bâtiments qui sont anciens, mais que la société qui vit dans le quartier de Kreuzberg est « sans moyens, surannée, inculte, doucement asociale, incapable d’adaptation, et de toute façon rétive à tout changement »1. On

consi-dère que dans cette « société désuète », les éléments de la société moderne du nouveau Berlin-ouest ne peuvent pas gagner de terrain.

Le premier plan de rénovation urbaine pour le quartier de Kreuzberg est conçu en 1963 autour de l’idée selon laquelle les traces de l’histoire sombre de la ville doivent disparaître pour que le nouvel ordre démocratique s’exprime pleinement. La municipalité considère tout de même l’importance de la participation des habitants dans ces projets de rénovation : si dans la zone ouest du quartier de grands ensembles sont érigés très vite, sans consultation approfon-die des locataires concernés, la rénovation de la zone qui se trouve au sud du métro aérien prendra beaucoup plus de temps, à cause des obligations en matière de consultation des habitants, que fixe un texte de loi adopté en 1971.

Trois types de personnes habitent Kreuzberg dans les années 1970 : les anciens, qui sont nés et ont grandi là; les travailleurs immigrés, qui y trouvent les loyers les plus accessibles de la ville ; et les jeunes gens qui croient avoir trouvé à Kreuzberg une niche d’expérimentation sociale des formes alternatives du « vivre ensemble ». Dans la zone « SO 36 » (nom anciennement donné au quartier entre l’Oranienstraße et Kotbusser Tor), on trouve beaucoup de communautés de vie, d’initiatives politiques, de groupes militants (antifascistes, antiracistes, antisexistes…), de projets d’économie alternative etc. : l’idée de responsabilité et d’engagement pour le bien collectif fait le lien entre tous ces groupes. Des lieux de convergence des oppositions aux projets de rénovation urbaine apparaissent. Par exemple, le Mieterladen or-ganise des actions contre les pratiques des maîtres d’ouvrage des projets en cours, qu’ils accusent notamment d’acheter des bâtiments anciens puis de les laisser à l’abandon pour justifier leur démolition, dont ils ont besoin pour mener leurs grands programmes. Et en effet, le nombre de logements vide augmente, parallèlement à celui des personnes qui sont à la recherche d’un toit.

C’est en 1979 qu’apparaît une nouvelle forme de la lutte des habitants : les occupations d’entretien. Des habi-tants du quartier occupent deux bâtiments anciens promis à la démolition. L’expérience est un succès puisque quelques mois plus tard le propriétaire accorde aux occupants des baux locatifs en bonne et due forme, ce qui éloigne complète-ment la menace de démolition. Au début de l’année 1980, une vingtaine de bâticomplète-ments est occupée de la même manière en quelques semaines : l’espoir de tous est d’écarter les projets de destruction des immeubles anciens, qui restent le seul obstacle à une explosion des coûts des loyers. La rénovation du bâti ancien, dont le coût est peu élevé, doit garantir le maintien d’une population modeste dans le quartier. L’ensemble des squatteurs du quartier se réunit pour partager leurs expériences et élaborer des stratégies communes de négociations vis-à-vis des pouvoirs publics. Ils forment même un conseil des squatteurs. Certains rêvent même d’une « République libre de Kreuzberg », avec ses propres instances de fonctionnement commun. Des projets à dimension sociale voient le jour : un centre artistique et culturel, un centre

1 http://base.d-p-h.info/fr - Histoire du quartier Kreuzberg à Berlin [consulté le 16 août 2010]

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Berlin quartier Friedrichshain-Kreuzberg

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Berlin_Bezirk_Friedrichshain-Kreuzberg_(labeled).svg [consulté le 23 juin 2010]

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de santé, un lieu de conseil pour les femmes, une ferme collective… La capacité commune de mobilisation est forte : quand la police expulse l’un des squats en décembre 1980, cela provoque d’importants affrontements dans la rue. De nombreuses autres manifestations suivent.

Les rapports avec les pouvoirs publics se tendent de plus en plus, lorsque le nouveau gouvernement élu en 1981 déclare qu’il veut développer une « ligne berlinoise de la raison » : il s’agit tout simplement d’expulser tous les squats et surtout d’empêcher à tout prix l’occupation de nouveaux bâtiments, notamment au profit des propriétaires qui entament immédiatement le processus de rénovation ou de démolition. Le mouvement des squatteurs est peu à peu criminalisé : l’article du code pénal définissant les termes de l’association de malfaiteurs est utilisé pour arrêter les 134 membres du « Conseil des squatteurs ». Dans ce contexte de rapports très tendus entre le mouvement squat et les pou-voirs publics, le besoin se fait sentir de chercher des moyens pour pacifier la situation, notamment en légalisant certains lieux. Plusieurs formes sont adoptées: la coopérative, le groupement de travailleurs entre autres. Ces nouvelles entités louent désormais les bâtiments ou les rachètent ; ils mènent eux-mêmes les opérations de rénovation nécessaires. Mais parallèlement, beaucoup de projets sont tout de même expulsés. Depuis cette époque d’ailleurs, très peu de nouveaux squats ont ouvert à Berlin, ou alors ils ne font pas parler d’eux ; la plupart sont expulsés dans les 24 heures suivant leur installation.

L’effet positif le plus remarquable de ce « semi-échec » du mouvement squat de Kreuzberg est à trouver dans les efforts accrus des pouvoirs publics dans la mise en place de procédures de consultation des habitants dans les pro-grammes de rénovation urbaine. A partir de 1983 s’ouvre une période de « rénovation prudente » : la ville manifeste la volonté d’une « orientation globale des projets vers les habitants, réhabilitation du « mélange » traditionnel à Kreuzberg, renforcement des infrastructures sociales »1. Les pouvoirs publics cherchent le consensus, notamment en mettant en

place une Commission de la rénovation urbaine, qu’investissent des groupes d’habitants auto-organisés. Les projets menés à cette époque ne valorisent pas la « modernisation » des logements (comme c’est le cas partout ailleurs) ni la construction de bâtiments neufs mais plutôt le retour d’un mélange des différentes fonctions urbaines dans les mêmes espaces : de petites usines réapparaissent, des espaces communs sont revalorisés, des jardins d’enfants sont construits. Dans les années 1980, Kreuzberg est toujours le quartier le plus pauvre de Berlin-ouest.

Avec la chute du Mur, Kreuzberg redevient un quartier central de la ville, un lieu de passage, de transit. Une par-tie de sa population migre vers l’est (notamment à Prenzlauerberg) dont les bâtiments non rénovés proposent des prix très attractifs pour les étudiants et les artistes à la recherche de grands ateliers. Parallèlement, l’argent des programmes de rénovation urbaine ne se déverse désormais plus sur Kreuzberg mais sur les quartiers de l’est. Kreuzberg s’appauvrit, connaît un niveau de chômage jamais atteint. Mais l’afflux de population a repris depuis 1989 : le nombre d’habitants a doublé, et le quartier est devenu à la mode. Le quartier attire particulièrement les investisseurs immobiliers, et leur présence de plus en plus forte préfigure une profonde mutation. De nombreux immeubles restent à rénover et le quar-tier dispose de plusieurs terrains non construits, là où se situait la frontière. La refonte administrative de 2001 fusionne les quartiers Friedrichshain et Kreuzberg. Le nouveau quartier Friedrichshain-Kreuzberg devient très attractif pour les étudiants, les professionnels de la culture, les artistes… Un processus de gentrification transforme imperceptiblement l’ancien quartier populaire en haut lieu de la bourgeoisie bohème ; si la vie alternative est toujours fertile, la lente aug-mentation du niveau de vie chasse les populations les plus pauvres dans d’autres quartiers, un peu plus loin du centre, un peu moins en vogue.

On trouve dans ce quartier de multiples exemples architecturaux de tous les types de rénovation urbaine qui ont été menés dans la ville ; et le quartier Friedrichshain-Kreuzberg reste le lieu d’un engagement fort des habitants pour la survie d’une culture accessible et alternative, pour l’application d’un idéale de vie collective participative, pour la sauvegarde d’une ville à l’espace public généreux, respectueuse d’un patrimoine précieux.

1 http://base.d-p-h.info/fr - Histoire du quartier Kreuzberg à Berlin [consulté le 16 août 2010]

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Le groupe Black Flag, au club SO36 à Kreuzberg, 1983

http://www.thelocal.de/society/20090629-20279.html [consulté le 18 mai 2011]

Installation lumineuse au club du RAW Tempel, dans les anciens locaux du service des transports de la RDA (13 février 2010)

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Emplacement du Köpi 137 (10 août 2010)

Köpenickerstrasse 137-138 en 1901: «Etablissement Fürstenhof» http://www.koepi137.net/histroy01.jpg [consulté le 30 janvier 2010]

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Etude de cas : vivre autrement, habiter autrement

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Dans la langue allemande il existe un terme difficilement traduisible en français : « in stand zu besetzen ». Cette expression signifie littéralement ‘’remettre en état en occupant’’, ou ‘’occuper pour remettre en état’’. Ce jeu de mot exprime bien le concept d’utilisation de certains espaces laissés à l’abandon par les différents systèmes d’organisation de la ville, devenus des lieux de vie, d’habitation, de culture et de fête. Ces démarches urbaines impliquent l’absence de spécialistes (architectes, ingénieurs, urbanistes…), l’abandon d’une hiérarchie des savoirs et d’une « science » de la construction. Ces projets récupèrent et mettent en valeur un patrimoine naturel et architectural, de façon directe. L’ha-bitant construit son logement et chacun participe à la construction de l’espace habité. A travers trois exemples, nous verrons comment des espaces voués à disparaître (une bâtisse industrielle en friche, un terrain libre sur les berges de la Spree, un ancien hôpital voué à la destruction) ont été réinvestis par une population nouvelle, sauvegardés de la des-truction pour s’adapter à de nouveaux besoins.

a. Le Köpi 137 : projet d’habitat collectif à Kreuzberg

Lorsqu’on passe devant le numéro 137, dans la Köpenickerstrasse, à la frontière des quartiers Mitte et Kreuz-berg, on ne peut qu’être interpellé par ce que l’on voit de la rue. L’entrée comporte un portail en grille métallique blanche, renforcé par de la taule, et surmonté d’une arche en ferronnerie. Le portail est encadré d’arbres hauts. La clô-ture, de part et d’autre, est en taule et en bois par endroits. Sur le portail et sur la clôclô-ture, une accumulation de tracts, d’affiches politiques, d’annonces de concerts, de collages artistiques, de panneaux de signalisation récupérés, de graffiti, et une guirlande lumineuse colorée. A l’intérieur, dans la cour, on aperçoit des bancs, des camions et quelques carava-nes, d’autres arbres, du bric-à-brac de bricolage, des sculptures de métal. Au fond, le bâtiment impose sa haute façade en brique rouge. Quelques fenêtres sont condamnées, d’autres sont cassées. Par endroits la façade est recouverte de banderoles portant des slogans, et toute une partie du bâtiment est couverte de graffitis formant une grande fresque. Le niveau du rez-de-chaussée est couvert d’affiches et de tracts, de collages, de graffitis. Si l’on avance dans la rue, on peut voir sur le pignon gauche du bâtiment, façade aveugle, une inscription à la peinture blanche : « Die grenze verlaüft nicht zwischen den völkern sondern zwischen oben und unten » (« La frontière ne réside pas entre les peuples, mais entre le haut et le bas »).

Ce lieu est le Köpi 137, l’un des squats les plus connus d’Europe encore en activité. C’est aussi un centre socio-culturel autonome. Il intègre un bar restaurant à bas prix (vente au prix de reviens), plusieurs salles de concert, une salle de théâtre, une salle de projection cinéma, une salle de reprographie, un point informatique, une salle de sport, et un « info shop » à visée politique et culturelle. C’est également un lieu de vie : il compte actuellement soixante habitants, dont plusieurs familles et quelques étudiants. Certains habitants vivent dans des caravanes ou des camions, soit dans la cour, soit dans le jardin, ou encore sur le terrain qui se trouve juste à côté, propriété de la Deutsch Post. Mais la grande majorité est installée à l’intérieur du bâtiment, chaque étage fonctionnant comme une colocation. Le bâtiment s’élève sur cinq étages, soit près de 1900 m².

En février 2010, le Köpi fête ses vingt ans ; le projet a vu le jour au lendemain de la chute du Mur, en 1990. Après l’ouverture de la frontière entre les deux Allemagnes, le mouvement des squats ouest-allemand s’est intéressé à cette maison délabrée, ancienne bâtisse industrielle, ayant tenu lieu d’hôtel de réception chic au début du siècle. Le Köpi est alors l’un des premiers squats réunissant les squatteurs de Berlin-ouest et ceux de Berlin-est. Après quelques premières difficultés, la maison du 137-138 de la Köpenickerstraße a été rattachée au quartier de Mitte, alors que selon ses gérants (Hausverwaltung KWV), elle devait être démolie. Les premiers concerts, fêtes, meetings de solidarité et autres repas collectifs ont apaisé les dernières tensions entre berlinois de l’est et de l’ouest, et dans la partie est de la ville, les squats se mirent à fleurir partout où les maisons étaient vides.

1 Références pour ce chapitre: http://koepi137.net/ [consulté le 30 janvier 2010]

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