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A. Un grand projet urbain

Sur les berges de la Spree, aujourd’hui, en longeant l’East Side Gallery, on passe à côté d’espaces de terre retournée, jalonnés de grues, de cabanes de chantier. Au milieu on aperçoit ce qui ressemble à un stade de sport, un énorme bâtiment ovoïde et brillant, orné de larges enseignes lumineuses et animées, posé dans un immense terrain vague. Les journaux titrent : « Sur les deux rives de la Spree s’érige un nouveau quartier de verre et de lumière » ; « Un immense complexe international est né dans d’anciens entrepôts ». Sur les murs de ces fameux entrepôts, on a écrit en grand à la peinture : Media Spree Versenken (« saborder Media Spree »), Alle bleibt (« nous restons tous »), reclaim your city (« récupère/ reprend/ réclame ta ville »). Que se passe-t-il ici ? Sommes-nous en train d’assister à la construction ou à la destruction de ce morceau de ville ?

a. Le projet Media Spree

Le projet Media Spree a l’ambition de faire naître ici le «quartier des médias, de la mode, de la musique et des services». Des bâtiments de verre et d’acier doivent s’intégrer dans la brique des anciens réservoirs, usines de confitures, entrepôts et stations hydrauliques du début du XXe siècle. On a fait appel à des architectes renommés (Axel Schultes, Kühn & Kühn, Helmut Jahn, Kollhoff) pour faire sortir de terre plus d’un million de mètres carrés de bureau. Le volume d’investissement est de 2,5 milliards d’euros. Le projet s’étend sur environ 3,7 kilomètres sur les deux rives de la Spree, soit 180 hectares couvrant les quartiers Friedrichshain-Kreuzberg, Mitte et Alt-Treptow. Il est délimité à l’ouest par le pont Jannowitzbrücke, au nord par la ligne de chemins de fer du S-Bahn, à l’est par le pont Elsenbrücke, et au sud par les rues Schlesischen Straße et Köpenicker Straße. Il est traversé par trois ponts : Michaelbrücke, Schillingbrücke et Ober- baumbrücke.

Le mouvement s’est amorcé dans les années 1990 et intensifié au tournant des années 2000. La gestion du projet ne se fait pas de manière centralisée, et le nom de Media Spree, s’il semble rassembleur, dissimule une grande variété de projets. Mediaspree est une sorte de label informel ; la planification des projets de construction est gérée à la fois par les différents propriétaires des terrains, les investisseurs, et la municipalité (principalement la municipalité du quartier Friedrichshain-Kreuzberg). L’association Regionalmanagment Mediaspree eV (nommée à l’origine Media Spree Berlin GmbH) a été fondée en mai 2004 comme point de contact entre investisseurs et entreprises. Elle est née du ras- semblement de groupes d’intérêts divers : les propriétaires fonciers, ayant acquis les terrains au lendemain de la chute du Mur, les différents investisseurs, ainsi que des représentants du Sénat, du quartier, et de la Chambre du Commerce (Industrie und Handelskammer, ou IHK). Cette association s’est dissoute en décembre 2008, date à laquelle les subven- tions publiques dont elle faisait l’objet se sont arrêtées ; mais l’appellation Media Spree est restée.

Le projet est un modèle de partenariat public privé (PPP) : les membres de « l’association à but non lucratif » Media Spree reçoivent des aides de divers ministères au titre de soutien à l’installation et à l’investissement dans une zone ciblée par les programmes de rénovation urbaine, mais aussi de soutien à l’emploi. Par exemple, Universal a reçu de la mairie et de l’Etat dix millions d’euros, au titre d’aide au départ, pour son déménagement de Hambourg et son aména- gement sur les berges de la Spree. MTV a reçu le même type d’aides, d’un montant inconnu. Quant au groupe Anschutz Entertainment, propriétaire du tout nouveau centre 02 World, il a vu financer à 80% sur fonds publics les infrastructures d’accès au lieu, ainsi que les travaux d’aménagement de la zone. La ville devrait aussi construire un nouveau pont traver- sant le fleuve pour permettre aux voitures d’accéder plus directement aux nouveaux équipements.

1 Sotinel (Frédéric), « Berlin, sur les traces du mur », Ecologik, Paris, 2009, n°11, p.48-54

2 Références pour ce chapitre: • Von Lojewski (Hilmar), La stratégie d’aménagement de Berlin: planification et projets, Les cahiers de l’IAURIF, n°146, mars 2007, p. 47-59 • http://de.wikipedia.org/wiki/Mediaspree [consulté le 3 décembre 2009]• http://www.cafebabel.com Monstre immobilier au bord de la Spree [consulté le 5 mars 2010]

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Une partie des bâtiments ont déjà été construits ; en voici un inventaire rapide et non exhaustif. Le Fortress Immobilien AG Meerbusch (Holzmarktstraße 1–9), proche de la station de métro, est un centre multi-service compor- tant une station service Tamoil, un Burger King, un supermarché Lidl et des bureaux. Il a engagé un investissement de 8,3 millions d’euros. Le Trias (Holzmarktstraße 15–17) est un ensemble de trois immeubles de treize étages, construit entre 1994 et 1996. Il accueille depuis août 2008 le siège de la Berliner Verkehrsbetriebe (BVG), service des transports berlinois. Un hôtel Ibis, terminé en 2000, est situé au niveau du pont Schillingbrücke ; c’est un immeuble de sept éta- ges comportant une galerie commerciale, vingt appartements et 242 chambres à louer. L’ancien dépôt central pour les usines à gaz de Berlin, construit en 1908, a accueilli en 2002 l’Energie Forum Berlin ; deux annexes ont été construites, reliées par un atrium de verre au bâtiment original, classé monument historique. L’East Side Park, réalisé entre 2006 et 2009, se situe entre L’East Side Gallery et la Spree ; il a été commandé par la mairie du quartier Friedrichshain-Kreuzberg et dessiné par l’agence de paysagisme Häfner/Jiménez. Sa surface couvre environ 1,5 hectares et se développe sur deux niveaux pour s’approcher du niveau de l’eau.

Le centre 02 World (Mühlenstraße 12–30) est le bâtiment achevé le plus impressionnant et le plus visible du projet. Avec une capacité maximum de 17000 personnes, il constitue le deuxième centre multifonction couvert d’Al- lemagne (derrière le Lanxess Arena à Cologne). Le propriétaire et opérateur est le groupe Anschutz Entertainment. Sa construction a commencé en septembre 2006 ; elle aura coûté en tout 165 millions d’euros, principalement pris en char- ge par la ville de Berlin. L’inauguration en septembre 2008, symbolisant pour le public la concrétisation de l’ensemble du projet Media Spree, a été l’occasion d’une confrontation entre défenseurs du projet et opposants ; nous reviendront plus loin sur ces événements. L’appellation 02 World a fait l’objet d’un contrat avec le groupe propriétaire et est assurée pour une durée de 15 ans (O2 est un opérateur en communication mobile, équivalent à Orange en France). Le bâtiment accueille depuis son ouverture un terrain de sport (hockey et basketball), une salle de concert (le centre a déjà accueilli des groupes internationaux tels que Metallica, Sting, Scorpions ou encore les MTV Europe Music Awards en 2009), une salle de congrès, un cinéma, un casino, un hôtel et plusieurs bars et restaurants. La façade principale était dans un pre- mier temps entièrement couverte d’un panneau publicitaire lumineux géant (12m par 120m, soit une surface totale de 1440m). Suite à des protestations des habitants du quartier cet aspect du projet a été abandonné. Pour faciliter l’accès entre le fleuve et le stade, une section de l’East Side Gallery (classé monument historique) de 40m de long a été déplacé, en juillet 2006, et repositionné plus à l’ouest, parallèlement à la position initiale.

L’Industriepalast (Warschauerstraße 34–44) a été construit en 1907 d’après les plans de l’architecte allemand J.E. Schaudt ; il comprend cinq bâtiments distincts, accueillant à l’époque plusieurs types d’usines, aujourd’hui classé monument historique. Deux des cinq bâtiments ont été investis par le projet Media Spree et un nouveau bâtiment construit dans le style de l’original a été ajouté. L’ensemble contient un total de 3500 mètres carrés de bureaux. Depuis juillet 2002, le siège d’Universal Music s’est installé dans d’anciens entrepôts frigorifiques (Stralauer Allee 1), construits en 1929. Dans ces locaux en brique où se retrouvent des éléments de l’architecture du Bauhaus, le port de Berlin et la société gérant les entrepôts de la ville (Lagerhausgesellschaft) (montés en association depuis la fermeture du port sous l’appellation BEHALA) ont voulu installer en 1992 un centre de design, mais ce projet n’a jamais abouti. Une réhabilita- tion menée en 2002 par l’architecte Reinhard Müller a transformé le bâtiment, avec de grandes ouvertures vitrées en façade. Depuis, le bâtiment accueille le siège d’Universal Music ainsi que d’autres entreprises du secteur des médias et des services. Le bâtiment voisin, construit dans un style plus classique en 1913, un ancien grenier ayant été longtemps utilisé comme entrepôt, a été réhabilité en 2000 afin d’accueillir près de 18000 mètres carrés de bureaux. Le siège de la chaîne de télévision MTV Europe s’est déplacé en 2004 de Munich à Berlin, dans un ancien entrepôt (Stralauer Allee 6/7) géré par l’association BEHALA. L’imposant bâtiment (40m de long par 19m de large) a été entièrement rénové à cette occasion. Au niveau de l’Elsenbrücke, sur la rive sud, on peut voir les Treptowers, un ensemble de trois immeubles et d’une tour de 125m de haut, la plus grande tour de bureaux de Berlin. Un peu plus loin se dressent les Twin Towers (deux tours de 15 étages associées à deux immeubles de 5 étages) abritant des bureaux et des centres commerciaux. A cela s’ajoutent des constructions dédiées à des groupes tels que le concessionnaire automobile Toyota, la société de nettoyage de la ville (Berliner Stadtreinigungsbetriebe, ou BSR), le service clientèle de la Deutsch Post, la compagnie de transport ferroviaire Berliner Verkehrsbetriebe (BVG), les locaux de la banque UniCredit Bank AG, le siège européen de l’entreprise de produits chimiques BASF, le groupe de diffusion Viacom (VIVA, VIVA Plus, Nickelodeon and Comedy Central), les entreprises de télévision A-Medialynx GmbH et Fernsehwerft, l’union des fournisseurs pour la classe ouvrière « Vereinte Dienstungswerkschaft » (Ver.di), l’office fédérale des architectes d’Allemagne « Bund Deuts- cher Architekten » (BDA) et le centre allemand de l’architecture Deutsches Architektur Zentrum (DAZ). De nombreux bâtiments industriels désaffectés ont été réhabilités pour accueillir des bureaux, des commerces ou des appartements de luxe : l’ancienne usine de machine à coudre Singer (1860), l’usine de confiture Marmeladenfabrik (1889), les anciens

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Le stade O2 World en chantier Photo Claire Melot (20 octobre 2007)

Le stade O2 World en chantier

http://de.wikipedia.org/w/index.php?title=Datei:O2_World_Berlin.JPG&filetimestamp=20080927210202 [consulté le 3 décembre 2009]

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greniers à céréale et moulins (Vikoria-Mühle, 1898 ; Viktoria-Granary, 1893), l’ancienne boulangerie de l’armée (Hee- resbäckerei, 1805), l’usine de velours (Velvet-Fabrik, 1881), l’usine de cigarettes Oskar Josetti (1906), l’entrepôt royal (Viktoria-Speicher, 1910).

Voici maintenant quelques exemples parmi les projets à venir. Le Spree Urban est un ensemble commercial développé sur deux terrains de chaque côté du fleuve ; ayant fait l’objet d’un concours international en 2004, il est des- siné par l’agence d’architecture berlinoise Staab Architekten GvAmbh, prévoyant plusieurs hauts immeubles et une tour de 82m de haut. Une bande de 10m de large reste non construite le long du fleuve, bien que la plupart des bâtiments surplombent cette promenade sur une largeur de 6m ; l’accès public à l’eau devrait être permis. L’ensemble comprendra des bureaux, des commerces, des services d’alimentation et un hôtel ; 20% de la partie sud du bâtiment sera réservée au logement. Les anciens bureaux administratifs du groupe de gestion énergétique GASAG ont été construits en 1936, sur la berge nord du fleuve. La compagnie de managment Killian Projektmanagement Berlin GmbH projette de le détruire pour construire un hôtel trois étoiles à la place, haut de sept étages, proposant 210 chambres. Il fera partie du projet Spreeport, prévoyant également une salle de conférence et un centre de congrès, des bars et restaurants, des logements de grand standing et des bureaux. Sont également programmés : un ensemble de quatre immeubles à fonction flexible appelé Columbus-Haus (il doit être érigé sur le terrain actuel du YAAM) ; l’East Side Tower, ensemble résidentiel déve- loppé dans un immeuble imposant (140m de long par 30m de large, 15 étages), qui devait être accompagné d’une série de logements individuels le long du fleuve avant que cette partie du projet soit abandonnée. Un centre de la Deutsch Post couvrira 4.2 hectares près de l’ancienne gare Ostbanhof, attenant à un ensemble comprenant bureaux, résidences, hôtels, centres de loisir, restauration, service et vente. Ces deux projets devront être connectés au Park an der Spree, parc urbain de 2.1 hectares sur la berge nord du fleuve. A proximité du stade 02 World devrait se construire un quartier d’environ 520.000m², appelé Anschutz-Gelände, comprenant des immeubles allant de 50 à 138m de haut. La compagnie espagnole NH Hoteles projette de construire un hôtel quatre étoiles (385 chambres) et un centre de congrès (13 salles de conférences). Le projet Hochhaus an der Elsenbrücke prévoit la construction d’un quartier dense, marqué par une tour de 90m de haut censée former avec les Treptowers sur la rive opposée une « porte de la ville ». Sur la rive sud, le complexe Fanny-Zobel-Straße prévoit un parc public, des résidences, quelques industries, des immeubles de bureaux, un hôtel. La firme danoise AquaDomi Z Hotel projette de construire un hôtel de luxe d’un budget de 20 millions d’euros. Le Yachthafen am Osthafen prévoit un port pour yachts, une « marina » sur le fleuve, un club, un bar lounge et une terrasse sur l’eau (un système de bateau-taxis est en étude). L’Eisfabrik est une ancienne usine de production artificielle de glace, construite en 1896, couvrant 11000m² sur la rive sud de la Spree ; après plusieurs tentatives de destruction (depuis sa fermeture en 1995) repoussées par une opposition des citoyens et des défenseurs du patrimoine industriel, l’usine fait l’objet d’une autorisation de détruire dans le cadre de Media Spree ; le nouveau projet semble être un mélange de construction nouvelle et de restauration du bâti existant, mais le programme reste flou.

b. Avantages économiques, urbains et politiques pour la ville

L’ensemble du projet Media Spree est d’abord synonyme de rentrées d’argent pour une ville dans le besoin. En effet Berlin, ville de l’effusion culturelle, cœur des débats urbains et architecturaux, se situe néanmoins depuis les années 1990 au seuil statistique, politique et psychologique des villes en déclin : pertes démographiques, difficultés financières, difficultés à attirer les investisseurs internationaux, risque de réduction ou de disparition des financements fédéraux exceptionnels. Le slogan « Arm, aber sexy », en français « pauvre mais sexy », prononcé par Klaus Wowereit (SPD) lors de sa reconduction en tant que maire de Berlin aux élections régionales en septembre 2006, devenu un vérita- ble slogan, cache mal le malaise que l’administration du Land doit affronter. Malgré l’effort fédéral de construction de la capitale retrouvée et de solidarité urbaine, la ville-état atteint une dette dépassant les 65 milliard d’euros. Cette situation est due notamment à une forte concurrence nationale, avec de grandes villes telles Francfort, Düsseldorf, Hambourg (grand port européen) ou encore Munich. Ces villes possèdent un fort dynamisme et sont des pôles économiques, en particulier Francfort et Munich. De plus, la ville n’est plus soutenue financièrement par l’Etat fédéral comme elle a pu l’être en temps de guerre froide, où elle était à l’est comme à l’ouest la vitrine politique des deux régimes.

Tirant parti de ces difficultés financières, Berlin joue sur sa réputation d’une des capitales les moins chères d’Europe pour s’attirer le marché du tourisme. La ville a connu en 2008, pour la cinquième année consécutive, un nom- bre record de visiteurs: 7,9 millions, soit un plus de 4,2% sur un an, selon l’Office régional des statistiques. Au début des années 1990, après la Réunification, il s’élevait à environ 3 millions, dont une grande majorité d’Allemands venus

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L’ensemble Trias

http://de.wikipedia.org/w/index.php?title=Datei:Berlin,_Mitte,_Holzmarktstra%C3%9Fe,_Trias.jpg&filetimestamp [consulté le 3 décembre 2009] Projet pour le Fortress Immobilien AG Meerbusch

http://www.ms-versenken.org/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=24&Itemid=44 [consulté le 3 décembre 2009]

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découvrir leur capitale. Par ailleurs la ville a su garder son statut de métropole culturelle ; outre la vie foisonnante de la culture underground, des équipements de qualité (51 théâtres, 170 musées, 285 cinémas, environs 350 galeries d’art, 3 opéras… au total 2300 infrastructures culturelles) continuent d’attirer professionnels et amateurs du monde entier. Pa- rallèlement, la région de Berlin est l’une des plus actives d’Allemagne dans le domaine des technologies de l’information et de la communication : 12000 entreprises emploient plus de 150000 salariés, pour un chiffre d’affaire total de 12 mil- liards d’euros. L’économie de la capitale allemande est basée sur les services. Mais la ville peine à attirer les investisseurs internationaux, et le projet Media Spree est l’occasion d’un renouveau économique plus qu’attendu.

Il est également l’occasion de développer des projets d’architecture avant-gardistes, et peut être vu comme une stratégie pour rester sur le devant de la scène mondiale de la réflexion urbaine. Il montre une volonté de la ville à développer un marketing urbain (ou « city branding ») comparable à celui des capitales du monde entier. Cette notion, apparue dans les années 1990, désigne l’ensemble des pratiques de communication territoriale qui consistent à s’ap- puyer sur des matières spatiales existantes ou en construction en vue de les promouvoir, de les faire exister, de les ren- dre attrayantes et d’inciter à les pratiquer, à y investir son temps, ses loisirs ou son capital. Pus généralement, le projet a l’avantage de relancer l’économie de la construction et de créer un grand nombre d’emploi, estimés à 15 000 emplois déjà créés et 30.000 à venir.

D’autre part, la (re)construction de ces grands espaces considérés comme abandonnés tient de la volonté de refermer cette fracture spatiale longeant l’ancien tracé du Mur. Ces grands espaces vides si caractéristiques de la ville sont en effet traqués par les politiques urbaines, le but étant de retrouver une continuité urbaine qui peine à se retisser. Le projet est également le premier geste urbain dont l’axe central est le fleuve de la Spree ; bien que la ville soit marquée par la présence de nombreux fleuves et canaux, son rapport à l’eau n’est pas facile : les quais ne se pratiquent pas sys- tématiquement, et quand c’est le cas, ils sont haut ou bien ne sont accessibles que ponctuellement. L’infrastructure flu- viale a eu en effet pendant longtemps une destination purement industrielle. La mise en valeur le fleuve de la Spree, en tant qu’élément patrimonial fort, constitue une réelle demande de la part des habitants. La section du fleuve traversant le quartier Friedrichshain-Kreuzberg, prend une valeur particulière de par son histoire, puisqu’elle se confond avec l’an- cien tracé du Mur ; à cela s’ajoute la présence sur les deux rives d’un patrimoine industriel particulièrement riche. Aucun projet de la ville n’avait jusqu’ici mis l’accent sur cet élément, et le projet Media Spree est le premier à vouloir établir un rapport plus direct à la Spree (dans les faits, l’accès à l’eau se trouve limité, comme nous le verrons plus loin).

Ce projet est souvent comparé à l’aménagement de la Potsdamer Platz (par des journalistes, architectes, urba- nistes, critiques d’architecture…). Si les dimensions et le contexte ne sont pas les mêmes, la mise en parallèle de ces deux projets peut néanmoins mettre en évidence les enjeux économiques, politiques et sociaux qu’ils engagent.

L’histoire de la Potsdamer Platz est lourdement chargée tant sur le plan architectural que sur le plan historique. Détruite par les bombardements de la deuxième Guerre Mondiale, elle est traversée pendant la guerre froide par le tracé du Mur. Côté est, elle s’inscrit dans le « couloir de la mort » doublant le Mur ; à l’Ouest, elle est déblayée et porte symboliquement l’espoir d’une réunification. Malgré des conditions idéologiques diamétralement opposées, les deux parties de la place subissent le même sort : les restes des bâtiments existants sont démolis et on abandonne la place à l’état de désert, situation qui perdure jusqu’à la chute du Mur. Dès 1990 apparaît l’idée de faire de ce secteur un nouveau centre-ville. Dans l’euphorie de la réunification, des décisions hâtives sont prises. Résultat d’une concertation (dont la municipalité de l’Est est exclue) entre le maire de Berlin-ouest et l’entreprise multinationale Daimler-Benz, les 64 000 m² de la Potsdamer Platz, devenus l’un des terrains les plus chers de la ville depuis la chute du Mur, sont vendus à l’investis-

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