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Les mouvements d’opposition des habitants

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B. Les mouvements d’opposition des habitants

a. Une contestation fédératrice

Les opposants à Mediaspree dénoncent d’abord la privatisation de la zone et le chantage à l’emploi et aux fi- nances. Les investisseurs recourent à l’argument des créations d’emplois pour légitimer leurs projets, et font miroiter à la ville les revenus générés par les impôts. André, un jeune habitué des soirées électroniques venu défendre le club Maria am Ostabahnhof peu avant sa fermeture, y voit une escroquerie ; il dénonce les subventions versées aux entreprises pour s’installer, et rappelle le cas du groupe MTV, venue de Hambourg à Berlin en 2004 : « après les promesses d’emplois, après la construction de leur bâtiment, ils ont finalement liquidé 50% de leurs effectifs dans le déménagement ». Certes, les employés du secteur du bâtiment seront évidemment largement mobilisés dans la phase de construction ; la manne d’emplois créée n’aura donc qu’une durée limitée. Les opposants estiment que le projet ne fournira que des emplois temporaires ou précaires : une fois le quartier en fonctionnement, ce seront des emplois de services qui seront créés. Beaucoup de ces emplois seront peu qualifiés, peu rémunérés, précaires, et subventionnés par les pouvoirs publics. Les « call centers », ces plateformes d’assistance téléphonique, sont emblématiques de cette nouvelle industrie des services embauchant beaucoup de salariés, mais dans des conditions très précaires. Deux de ces call centers se sont déjà établis dans la zone de Media Spree : dans l’un d’entre eux, on sait d’ors et déjà que les contrats sont systématiquement d’une durée déterminée de six mois.

C’est aussi la destruction de ce qui existait auparavant qui révolte. André énumère les exemples : le Schwartzer Kanal (Wagenplatz installée sur la rive sud de la Spree) et ses actions de réinsertion pour les chômeurs, le Yaam et ses projets culturels et sociaux, le légendaire club Maria am Ostbahnhof... Sur la rive gauche, il est plus question de sauve- garde du patrimoine industriel. Peter Schwoch se bat pour éviter la destruction de l’Eisfabrik, les anciens frigos de la ville, les plus vieux d’Europe : « le groupe TLG dit que ces ruines n’ont pas de valeur, c’est de la bêtise! Ils sont obnubilés par l’argent, au mépris de la culture industrielle ». Peter, ancien ouvrier d’une usine de machines-outils de Berlin-est, passé par le chômage, devenu charpentier, a accumulé les archives sur le bâtiment, monté un site internet avec les moyens du bord, pour sensibiliser la population au sort de l’ancienne usine. Les opposants dénoncent aussi un projet qui ne tient pas compte de la population du quartier et qui risque de transformer des quartiers populaires alternatifs en quartier d’affaires impersonnel et inaccessible.

Cet état des choses a amené des citadins d’âges, de professions et de communautés culturelles diverses à s’allier pour créer un mouvement d’opposition fort. Plusieurs groupes ont été créés : « Megaspree », « Spreepiraten» (les pirates de la Spree), « Promediaspree Initiative » (faux groupe de soutien à Media Spree) entre autres. Un des mou- vements de tête est l’initiative citoyenne Media Spree Versenken : « saborder Media Spree ». Le collectif a vu le jour en 2005 au sein du squat du Yorck59, étudié précédemment (voire partie I.B.c.). Ce collectif organise de nombreuses actions pour sensibiliser la population et tente de se saisir d’outils légaux pour prendre part aux décisions urbaines, bien que le projet soit déjà engagé. Carsten Joost., fondateur du collectif, est architecte de profession ; mais c’est en tant que citoyen qu’il agit. « Nous avons commencé en 2005 en protestant et nous fonctionnons toujours aujourd’hui, déclare-t-il. Le projet ne prend en considération que les intérêts des grandes entreprises, personne ne pense aux gens qui habitent ici depuis des années ! » J’ai pu suivre en février 2010 les assemblées générales hebdomadaires du groupe, dans une des salles de l’ancien hôpital Bethanien, et ainsi mieux comprendre comment la contestation s’est organisée.

b. Les moyens et les limites du mouvement

Le groupe est à l’origine d’un projet de pétition en vue d’un référendum populaire sur le projet immobilier, lancé en 2008, appelé « Spreeufer für alle ! » : les rives de la Spree pour tous. Contre cette appropriation de l’espace au profit des grandes entreprises et d’une culture commerciale, Media Spree Versenken revendique notamment que les

1 Références pour ce chapitre: Lefebvre (Henri), Le droit à la ville, Paris, Seuil, 1974, 281 p. • http://ms-versenken.org/ [consulté le 5 mars 2010]• http://promediaspree.blogsport.de/•http://base.d-p-h.info/fr Sabotons Media Spree! [consulté le 5 mars 2010]• http://www.lepetitjournal.com Me- diaspree, touché mais pas coulé [consulté le 28 juillet 2010]• http://pierre.qsdf.org/blog/ Mediaspree Versenken [consulté le 29 juillet 2010] • http:// aitec.reseau-ipam.org/spip.php?article141 [consulté le 3 décembre 2010]

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berges de la Spree soient aménagées en espaces verts, de promenade et de culture populaire, ce qui contribuerait no- tamment à garder à distance la valorisation exponentielle du prix des espaces alentours. « Nous ne pouvons pas gagner parce que nous vivons dans un monde capitaliste, où le plus fort gagne. Nous pouvons cependant encore lutter et réussir à récupérer quelques espaces » affirme Carsten Joost. D’octobre 2007 à mars 2008, une grande campagne référendaire est lancée ; une pétition, limitée au quartier Friedrichshain-Kreuzberg rassemble près de 16 000 signatures. Une fois ces signatures recueillies et remises aux autorités du quartier, l’organisation d’une consultation citoyenne est amorcée. Le 13 juillet 2008, 19,6% des électeurs du district prennent part au vote ; plus que les 15 % exigés pour le rendre légitime. Le vote se présente sous la forme de deux propositions suivit d’un choix de préférence :

A) La proposition alternative : maintien d’un espace de promenade accessible aux piétons de 50m entre le fleuve et les nouveaux bâti- ments ; maintien de la limitation de hauteur des bâtiments en vigueur à Berlin (22m); construction d’une passerelle cyclable plutôt que d’un nouveau pont pour automobile. JA () NEIN ()www

B) Une proposition d’adaptation du projet par la mairie : limitation de hauteur de certains bâtiments de la rive sud, aménagement d’espa- ces verts sur les berges, entre autres. JA () NEIN ()

C) Si l’une des propositions précédente emporte la majorité, laquelle préférez-vous : A () B ()

Media Spree versenken appelle à voter JA-NEIN-A. Sur près de 30 000 électeurs, 87% des votants s’opposent à Mediaspree et vont dans le sens des propositions du collectif. Selon l’organisation Mehr Demokratie (plus de démocra- tie), ce référendum bat les records de l’engagement citoyen à Berlin. Les revendications du référendum peuvent paraître minimales, voire simplistes. En réalité, cette action est une tentative de se saisir des instruments légaux à la disposition des citoyens berlinois pour ouvrir un espace de débat sur la question de l’aménagement urbain dans la capitale. Les mots d’ordre sont globaux : ils adressent une critique au modèle de société que porte en lui un tel projet d’aménagement urbain. A travers ce référendum, les habitants du quartier soulèvent des préoccupations générales : que voulons-nous comme développement urbain pour Berlin? Dans quelle ville voulons-nous vivre?

Le mouvement est soutenu par les autorités de quartier : depuis juillet 2008, Media Spree versenken bénéficie d’aides financières de la mairie du quartier Friedrichshain-Kreuzberg. Des voix, chez les élus SPD et Verts de Kreuzberg, se sont élevées pour exiger le respect de ce vote. Pour le maire du quartier, Franz Schulz (Verts), ce résultat ne pourra être ignoré. «La majorité a dit : ce que la municipalité a déjà obtenu face aux investisseurs et au Sénat ne suffit pas. Les citoyens veulent plus, et nous devons maintenant trouver des moyens pour que leur volonté puisse être prise en compte». Mais les différentes autorités politiques tiennent des positions hétérogènes. Officiellement, on dit comprendre les mo- bilisations et les inquiétudes. Rainer Seider, directeur de cabinet du maire de Berlin (Klaus Wowereit) se veut rassurant, et estime qu’en protégeant une bande de dix mètres au bord de l’eau, une solution a été trouvée pour aménager « un espace et des biotopes où de nombreux Berlinois aiment se promener, sans que cela freine le développement urbain de la ville ». Parallèlement, le sénateur responsable du développement urbain, Ingeborg Junge-Reyer rassure les investisseurs en leur assurant sa protection. «Non, ce vote ne met pas en danger le projet», déclare Christian Meyer après avoir pris connaissance des résultats. Pour lui, « l’opposition des berlinois à un développement urbain obéissant à des exigences économiques est le témoin d’un refus d’aller de l’avant ». Par ailleurs, en tant que référendum consultatif, ce vote n’a valeur que de conseil et ne peut à lui seul entraîner des modifications effectives dans le déroulement du projet.

Cet évènement a néanmoins ouvert la voie à un dialogue entre citoyens et acteurs du projet: à partir de cet évènement, des réunions se sont organisées entre les habitants du quartier représentés par les membres de Media Spree versenken, les représentants politiques du quartier et de la ville, et les investisseurs. Cette consultation a eu lieu deux fois par mois pendant un peu plus d’un an. Quelques unes des revendications du collectif ont été acceptées, comme l’élimination de l’écran de publicité géant en façade du stade O2 World, la diminution de la hauteur de quelques immeu- bles notamment parmi ceux de l’ensemble Postbahnhof, jusqu’à l’annulation de certains projets, dont le premier projet d’Hotel Spreeport (prévu sur l’ancien terrain de Maria am Ostbahnhof, rapidement remplacé par un nouveau projet au programme similaire). Pourtant, en décembre 2009, Media Spree versenken a mis fin à cet échange. Pour expliquer ce geste, Carsten Joost explique que les négociations restaient trop dans la demi-mesure, et que les décisions auxquelles elles aboutissaient restaient dérisoires. Le groupe a décidé de continuer ses actions d’une manière plus radicale.

En dehors de ces échanges et du référendum, les militants organisent toute sorte de manifestations. La Spree, devenue le symbole de ces luttes urbaines, est régulièrement investie par des centaines de berlinois pendant la « Spree- parade ». Comme la baignade est interdite, les participants sont appelés à amener ce qu’il faut pour défiler sur l’eau : petits bateaux, matelas pneumatiques, animaux gonflables, sans oublier les drapeaux et pancartes ainsi que la musique,

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Manifestation anti Media Spree « Les berges de la Spree pour tous» http://www.ms-versenken.org/ [consulté le 5 mars 2010]

Sreeparade 2008, communication Spreeparade 2011 http://www.ms-versenken.org/ [consulté le 5 mars 2010]

Communication Media Spree versenken (logo, affiche «Nouvelle formule! Le projet d’investisseurs Media Spree pénètre profondément dans le tissu du quartier et le nettoie de l’intérieur», tag) http://www.ms-versenken.org/ [consulté le 5 mars 2010]

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pour manifester contre la montée des loyers, la vente des terrains publics, pour un développement urbain durable et écologique. Le rassemblement a lieu tous les étés depuis 2008, rigoureusement encadré par la police. Quelques jours avant la première Spreeparade, les investisseurs du projet Media Spree s’étaient organisé un tour de repérage sur le fleuve : un blocage s’était alors improvisé, géré par le collectif Megaspree, suivi par de nombreux habitants du quartier et de la ville sur leurs embarcations flottantes. En juillet 2011, il a réuni plus de 2000 personnes. L’objectif est toujours de rendre effectif le référendum « Spreeufer für alle », trois ans après.

Un autre moment fort de la lutte anti Media Spree a été l’inauguration du stade O2 World en septembre 2008. Une fois la construction terminée, une grande compagne publicitaire a annoncé dans toute la ville la date de la cérémo- nie d’ouverture. Les opposants ont préparé une grande manifestation pour manifester leur mécontentement. Quelques jours avant, la police avait déjà interdit la fin de la manifestation qui devait passer devant le stade. La raison officielle était qu’une fête de rue avait été enregistrée par O2-World, et qu’il était impossible d’avoir deux manifestations au même endroit au même moment. La manifestation s’est donc arrêtée à 200m du bâtiment ; mais comme les participants tentaient de s’approcher, la rue complète a été fermée par la police, limitant du même coup l’accès à l’évènement, censé être publique. Certains ont tout de même réussi à intégrer la cérémonie; mais l’entrée dans le bâtiment était rendue impossible par la présence de nombreux officiers de police et de leurs chiens (le bâtiment n’était pas surveillé par des agents de sécurité privés mais bien par la police allemande). La seule action qui a été possible a été de s’approprier la scène extérieure, tenue par Radio Spree, en y prenant la parole et en déroulant une banderole ; cette action a rapide- ment été écourtée avec l’expulsion manu-militari des manifestants par la police. S’il n’a pas engagé de conséquences concrètes, cet évènement porte tout de même une forte portée symbolique. Les organisateurs de l’inauguration atten- daient plusieurs milliers de visiteurs ; leur seul public a été une foule de plus de 500 manifestants.

Mais la protestation n’est pas la seule activité du collectif : « Nous essayons d’informer au mieux les habitants sur ce qui va changer dans leur quartier. Plus les gens seront informés, plus il y aura de chances qu’ils nous rejoignent d’eux-mêmes pour militer », explique Carsten Joost. Il s’inquiète du sort des habitants; ceux qui ne seront pas expulsés subiront une hausse des prix et des loyers, qui peut s’avérer plus efficace que l’expulsion. « Les artistes peuvent toujours parlementer d’une façon ou d’une autre avec les entreprises, mais que doivent faire les immigrants? Personne ne se souciera d’eux. » La protestation passe en effet aussi par la communication, et les différents mouvements utilisent des médiums variés : organisation de projections-débats, distribution de flyers (ou tracts) dans les rues ou sur les places, collage d’affiches, diverses formes de graffiti (pochoirs, tags, collages…). Les murs des squats constituent un support largement utilisé, et les grandes façades de briques rouges bordant la Spree se couvrent de slogans tels que « reclaim the street », « reclaim your city » « wir alle bleibt », « mediaspree versenken ». Lors d’une assemblée générale de Media Spree versenken, la question de la langue utilisée dans les flyers a fait débat : il était question d’imprimer les textes, habituellement en allemand, en turc, afin de faciliter la lecture à l’importante communauté turque du quartier. Par ailleurs un site internet ouvert en 2006 relate la plupart des actions et des débats des différents mouvements. On peut y trouver un historique du mouvement anti Media Spree, ainsi qu’un descriptif détaillé des projets critiqués. Christian Meyer affirme que « les initiateurs de Mediaspree versenken veulent que les choses restent telles qu’elles sont, ce qui serait un véritable préjudice pour Berlin ». Pourtant, la critique est accompagnée de propositions alternatives, également présentées sur le site : pour chaque parcelle du projet, le collectif expose les modifications possibles et le coût qu’elles entraîneraient. « Spreeufer für alle » n’est pas seulement un mouvement contre ; la volonté n’est pas de laisser tomber en ruine le patrimoine que constitue les rives du fleuve. Des propositions alternatives concrètes sont présentées, et ce depuis déjà six ans.

Malgré tout, des divisions existent au sein même du mouvement. Certains estiment par exemple que Me- dia Spree versenken, en utilisant la voie légale et en acceptant des subventions du quartier, se situe par trop dans le compromis, et que les revendications, en se limitant à des questions formelles, restent insuffisantes. « Le mouvement MediaSpree Versenken n’est pas assez politique, trop architectural, esthétique. L’architecture n’est pas l’aspect le plus important du projet. Le problème n’est pas que les bâtiments ne soient pas jolis » explique Jens, habitant engagé du Yorck. « Le mouvement contre Media Spree est né ici. C’était très politique au début. Le mouvement Megaspree est resté plus axé sur le combat contre les vagues de gentrification et la pression immobilière. On peut parler d’un mouvement d’autodéfense.» Mais au-delà de ces divergences, les différents groupes, qu’ils soient dans une recherche de dialogue ou dans une opposition frontale, ont créé et continuent de créer avec les habitants un rassemblement important, signi- ficatif d’une conscience urbaine volontaire, qui place le citadin non plus subissant la ville, mais actif dans ses processus de construction.

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Logos et stickers (badges autocollants) « Autogestion et combat pour la liberté - Nous restons tous!» http://www.ms-versenken.org/ [consulté le 5 mars 2010]

Exemple de proposition alternative par le groupe Media Spree versenken (modélisation 3D - plan) http://www.ms-versenken.org/ [consulté le 5 mars 2010]

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c. Une culture du droit à la ville

Le fait qu’une telle protestation ne reste pas isolée, qu’elle soit soutenue d’une part par les habitants, d’autre part par les politiques, qu’elle s’inscrive dans la durée et engendre des changements dans les projets de la ville, n’est pas anodin. Il est représentatif d’une culture, propre à Berlin, de responsabilisation des citadins par rapport à leur environne- ment. Cette culture est bien présente dans les grands principes de reconstruction critique et de rénovation douce expo- sés au lendemain de la chute du Mur, promouvant un respect de la ville existante et l’application de processus négociés entre différents acteurs (habitant, investisseur, pouvoirs publiques, etc.). Contre la fermeture d’un squat, d’une crèche, d’un cirque, contre la destruction d’un bâtiment ancien ou une exclusion abusive, les citadins se regroupent, ils s’organi- sent et protestent. Ceux qui se font entendre ne sont pas forcément dans des mouvements alternatifs, ils n’ont parfois pas la nationalité allemande, certains sont grands-parents, d’autres sont encore adolescents. Si elle n’est pas toujours suivie d’un changement concret, souvent leur parole est entendue et soutenue par les politiques, surtout à l’échelle du quartier ; les responsables au niveau de la ville ont généralement une vision plus lointaine et des considérations plus globales. Cette implication des citadins dans les décisions urbaines tient de l’application du droit à la ville : c’est-à-dire le droit de chacun à une participation active dans la vie de la ville et le droit à l’accès à une qualité de vie urbaine pour tous.

Le sociologue français Henri Lefebvre proposait, en 1974, d’élever ce droit au rang des autres droits essentiels. Dans son ouvrage « Le droit à la ville », il explique que ce droit n’est pas un droit naturel, ni contractuel. Il signifie « le droit des citoyens-citadins et des groupes qu’ils constituent sur la base des rapports sociaux à figurer sur tous les ré- seaux et circuits de communication, d’information, d’échange en rapport à la ville.(…) Il implique également le droit de rencontre et de rassemblement : des lieux et des objets doivent répondre à certains besoins, généralement méconnus, à certaines fonctions, souvent transfonctionnelles, la plupart du temps mal connues des pouvoirs décisionnels. Le droit à la ville implique la constitution (ou reconstitution) d’une unité spatio-temporelle, d’un rassemblement au lieu d’une frag- mentation. Il porte en lui le refus de se laisser écarter de la réalité urbaine par une organisation discriminatoire. » Selon H. Lefebvre, l’espace est un instrument politique intentionnellement manié, même si l’intention se dissimule souvent sous les apparences cohérentes de la figure spatiale. C’est un moyen aux mains de quelqu’un, individu ou collectif, c’est- à-dire d’un pouvoir, d’une classe, d’un groupe.

Or les grands projets tels que Media Spree semblent montrer que l’espace urbain soit devenu une entité consommable, destinée au marché et régie par lui. Selon Jean-François Tribillon, membre d’AITEC (Association Interna- tionale de Techniciens, Experts et Chercheurs - Un réseau de professionnels, de chercheurs et de citoyens engagés dans le mouvement social, octobre 2003), la ville actuelle est le produit de la mondialisation libérale, en tant qu’elle se doit

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