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Biopouvoir et nihilisme à partir de l'oeuvre de Michel Foucault

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Academic year: 2021

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BIOPOUVOIR ET NIHILISME À PARTIR DE

L’ŒUVRE DE MICHEL FOUCAULT

Thèse

RAZVAN AMIRONESEI Doctorat en philosophie Philosophiae Doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Razvan Amironesei, 2013

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Résumé

À partir dřune mobilisation critique de la pensée de Michel Foucault, cette étude traite du nihilisme du biopouvoir contemporain. Elle propose une généalogie du concept de pouvoir élaboré dans son œuvre et une critique du traitement de la violence disciplinaire quřon y retrouve. Selon nous, cette dernière est à penser comme une expression particulière de cette part de réel quřemporte avec lui le pouvoir, part en elle-même irreprésentable et quřil faut cependant saisir comme « excès » immanent et permanent. La reconstruction du concept foucaldien de biopouvoir qui fait suite prépare lřanalyse des biopolitiques contemporaines. Dans la perspective ouverte par notre étude, celles-ci ont moins pour objet la vie générique des populations quřun bios, dont elles se saisissent par une série de mécanismes dřassujettissement qui individualisent et produisent sa forme spécifique. Leur originalité tient encore au fait quřon ne puisse plus distinguer en elles la part dřune politique coercitive et celle des pratiques de liberté quřelles élaborent dřun même mouvement. Notre concept de nihilisme est alors pensé comme conjonction des disciplines et de la biopolitique, à partir de lřexcès spécifique de ce type de pouvoir qui se manifeste cette fois dans lřinjonction théologico-politique de perfectibilité illimitée du bios. Il nřest plus réfléchi ni comme négation de lřidentité à soi de lřêtre ni comme dépréciation de la vie, dévaluation des valeurs ou scepticisme dogmatique, mais compris comme un mécanisme de pouvoir qui façonne le style de vie dřun être biopolitique dont la forme est quasi-indéfiniment productible. Enfin, la problématisation de la résistance de la subjectivité au nihilisme du biopouvoir sera entreprise à partir de la convocation dřune catégorie de Foucault, celle de « déprise de soi ». Comme celle de « perte de soi », elle constitue moins une « sortie » du nihilisme quřune condition de la transformation de son expression contemporaine.

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Abstract

The objective of this dissertation is to examine the contemporary formation of a nihilism of biopower from a critical analysis of Michel Foucaultřs work. We begin by formulating a genealogy of his notion of power, doubled by a critique of his treatment of disciplinary violence. In this context, we show that violence is inextricably linked to the « real » of disciplinary power, which is unrepresentable in itself and that one must understand in terms of a immanent and permanent form of « excess ». Second, this genealogy of power allows to put forward our analysis of contemporary biopolitics. We show that the object of biopolitics is not defined by the necessary intervention on the organic mass of living populations as Foucault suggests, but is rather the effect of a process of continuous production and subjectification of a « bios », seen as the emergence of a specific form of life elaborated at the intersection of practices of freedom and a politics of coercion. Third, this nihilism of disciplinary power and biopolitics is analyzed from a theological-political injunction of infinite perfectibility of « bios ». Thus, our concept of nihilism does not involve a axiological depreciation of life but rather is a mechanism of power which « affirms » quasi-exhaustively the way of life of a biopolitical individual. The modality of resistance to nihilism is discussed through the critical investigation of the foucaldian notion of withdrawal or distanciation of the self from itself (la déprise de soi). This notion along with the « loss of the self » are conceptualized not as a form of liberation from the nihilism of biopower, but rather as a potential transformation of its contemporary expression.

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Avant-propos

Tout dřabord, je tiens à remercier mon directeur de thèse, Monsieur Olivier Clain, pour sa générosité remarquable et son soutien indéfectible pendant tout mon parcours à lřUniversité Laval. Je lui suis vivement reconnaissant de son soutien hors pair dans mes projets académiques, de sa patience et surtout de son exceptionnel dévouement envers mon travail de thèse. La lecture attentive et rigoureuse de mes travaux et son formidable investissement humain ont sans doute une valeur exemplaire dans ma future vie intellectuelle. À cela, jřajouterai que sa compréhension fine de mon projet mřa permis dřéclairer lřimpensé de mes réflexions, et nous a fourni en retour lřoccasion de développer au fil du temps une véritable affinité intellectuelle. Quřil soit associé à ce quřil y a de meilleur dans cette thèse. J'aimerais aussi remercier tout particulièrement Madame Marie-Hélène Parizeau pour son extraordinaire soutien pendant la durée de cette thèse. Son constant soutien moral et financier ont été une source d'admiration et de reconnaissance. À travers son invitation généreuse d'intégrer en janvier 2008 le G.R.E.M.E., son groupe de recherche à l'Université Laval, Madame Parizeau a ouvert mon travail à la discussion et à la critique et, par-là, a joué un rôle décisif dans lřaboutissement de cette thèse dans les meilleurs termes. De cette manière, jřai compris une fois de plus que la vie académique n'est pas une quête monologique, mais dépend de manière essentielle de la rencontre et l'échange amical de plusieurs.

Je remercie sincèrement Monsieur James Faubion, un des plus remarquables lecteurs de Foucault dřaujourdřhui, pour lřenthousiasme intellectuel, nos riches discussions sur cet auteur, et surtout pour son soutien crucial dans mes divers projets académiques et non académiques. Cela a culminé avec sa généreuse invitation pour effectuer un stage de recherche à lřUniversité Rice en 2010.

La dernière partie de cette thèse a été rédigée à lřUniversité de Californie Ŕ San Diego. Dans ce contexte, je tiens à remercier Monsieur Marcel Hénaff et Monsieur Tracy Strong pour leurs judicieux conseils théoriques et surtout pour leur grande hospitalité lors de mon

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séjour en tant que Chercheur Invité dans le milieu de recherche de haute qualité, à la fois interdisciplinaire et vibrant, de cette université.

Cette thèse trouve son point de départ dans les échanges avec mes amis de Lille - Stéphane et Guillaume. Les multiples présupposés de recherche que ma réflexion partage avec la leur traversent comme une ligne rouge cette thèse. Je profite de lřoccasion qui mřest offerte ici pour remercier aussi mes collègues et amis du GREME - Claire, Louis, Béatrice et Mathieu, en particulier pour nos belles discussions et leur solidarité. Un grand merci à mon amie Sophie pour son soutien chaleureux, sa disponibilité et sa gentillesse. À mon ami Farid, pour son esprit fraternel et sa présence accueillante et attentionnée. Sur une note plus personnelle, jřajoute enfin que ce travail dans toute son extension nřaurait pas été tout simplement possible sans le support quotidien de ma conjointe.

Cette thèse ne serait pas arrivée à terme sans lřimportant soutien financier des Fonds québécois de recherche sur la société et la culture et de la Faculté de philosophie de l'Université Laval. Ma gratitude envers ces institutions est entière.

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À tous mes amis présents et absents À mes parents

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Avant-propos ... vii

Table des matières ... xi

Liste des abréviations ... xiii

INTRODUCTION ... 1

PARTIE I ... 23

La problématique foucaldienne du pouvoir et du pouvoir disciplinaire en particulier CHAPITRE 1 ... 25

Pôle technologique et pôle gouvernemental : éléments pour une géologie du pouvoir 1.1 LE PÔLE TECHNOLOGIQUE ... 27

1.2 LE MODÈLE AGONISTIQUE DE LA FORME GOUVERNEMENTALE DU POUVOIR ... 35

1.3 QUEL MODUS OPERANDI DU POUVOIR BIPOLAIRE ? ... 40

1.4 POUVOIR/DOMINATION ... 42

CHAPITRE 2 ... 55

Foucault, Weber et Arendt 2.1 POUVOIR ACTION ET LIBERTÉ CHEZ ARENDT ... 55

2.2 LA PUISSANCE CHEZ WEBER ET LE « COERCITIF » CHEZ FOUCAULT ... 61

CHAPITRE 3 ... 75

La violence et ses effets spectaculaires 3.1 FAIRE DOUCEMENT MAL (LE MORT SAISIT LE VIF) ... 75

3.2 ÉCONOMIE DE LřEXCÈS : UNE VIOLENCE SPECTACULAIRE ... 80

3.3 SUPPLICE : ÉVÉNEMENT DE LA SOUVERAINETÉ ET MARQUAGE DES CORPS ... 84

3.4 GESTION DE LA VIOLENCE ET EXTENSION DU SPECTACULAIRE... 86

3.5 SPECTACULARITÉ DISCIPLINAIRE ... 89

3.6 …ET « CHÂTIMENTS PHYSIQUES LÉGERS »... 96

3.7 DÉTRUIRE ET GUÉRIR DANS LA PRISON ... 99

3.8 THÉRAPEUTIQUE PAR LA VIOLENCE EN ASILE ... 103

3.9 VIOLENCE DISCIPLINAIRE ET LA CATÉGORIE POLITIQUE DE LřEXCÈS ... 111

PARTIE II ... 115

Biopolitique et individualisation CHAPITRE 4 ... 117

Bios 4.1 LA NOTION DE BIOPOUVOIR ... 119

4.2 FAIRE MOURIR ET LAISSER MOURIR... 123

4.3 LE PROBLÈME DU BIOS CHEZ FOUCAULT ... 126

4.4 BIOPOLITIQUE ET INDIVIDUALISATION ... 140

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CHAPITRE 5 ... 159

Un cas d’analyse : Le projet de surveillance cérébrale de Microsoft Corporation et ses objectifs biopolitiques 5.1 TEMPORALITÉ DISCIPLINAIRE - LE RYTHME ET LřINTENSITÉ ... 170

5.2 TEMPORALITÉ BIOPOLITIQUE ... 175

5.3 LřESPACE BIOPOLITIQUE COMME MILIEU EXTERNE CHEZ FOUCAULT ... 181

5.4 LA RÉFÉRENCE ORGANIQUE DE LřESPACE CHEZ BACHELARD ET FOUCAULT ... 186

5.5 LE MILIEU INTÉRIEUR CHEZ C. BERNARD ET LE MILIEU INTÉRIEUR BIOPOLITIQUE 190 5.6 UNE BIOPOLITIQUE PASTORALE ... 194

5.7 LES « SENTIERS » DU DIABLE ... 200

5.8 LřHYPOTHÈSE DE LřIMPLANTATION ... 205

PARTIE III ... 221

Nihilisme, pouvoir, résistance CHAPITRE 6 ... 223

Le problème du nihilisme à partir de Foucault 6.1 LE NIHILISME ANTHROPOLOGIQUE CHEZ FOUCAULT ... 227

6.2 NIHILISME COMME PRODUCTION DE LA VIE ET LE CONCEPT DE CRÉATION CONTINUE À PARTIR DE FOUCAULT ... 235

CHAPITRE 7 ... 245

Nihilisme et perfection 7.1 PRÉLIMINAIRES SUR LE PROBLÈME DE LA PERFECTION EN LIEN AVEC LE NIHILISME ... 245

7.2 LE CONCEPT DE SANTÉ PARFAITE À PARTIR DE CANGUILHEM ... 246

7.3 LA PERFECTION COMME TRAVAIL DE CONSTRUCTION ... 249

7.4 PERFECTION BIOPOLITIQUE PASTORALE ET LE PROBLÈME DE LřOBÉISSANCE ... 255

7.5 PERFECTION PASTORALE - LA GRÂCE COMME FOYER DřINDIVIDUALISATION ... 262

7.6 PERFECTIBILITÉ BIOPOLITIQUE ... 270

7.7 « ABSENCE DřEFFORT » BIOPOLITIQUE ... 275

CHAPITRE 8 ... 285

La « déprise de soi » 8.1 SOUCI DE SOI ET PRATIQUE DE LA SAGESSE ... 288

8.2 DÉPRISE ET PRATIQUES DÉFINIES DřÉCRITURE. ... 292

8.3 LA DÉPRISE ET LřIDENTITÉ SUBJECTIVE ... 296

8.4 « VIENT ALORS LE MOMENT DřERRER » ... 297

8.5 LE « DEVENIR GAY » ... 301

8.6 LE DEVENIR ŘSTULTUSř ... 302

8.7 DÉPRISE ET RÉSISTANCE AU NIHILISME ... 308

CONCLUSION ... 313 BIBLIOGRAPHIE ... 327 ANNEXE I ... 347 ANNEXE II ... 369 ANNEXE III ... 376 ANNEXE IV ... 379

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Liste des abréviations

Ouvrages de Michel Foucault

An Les anormaux : Cours au Collège de France (1974-1975) AS Lřarchéologie du savoir

DEI Dits et Écrits, volume I DEII Dits et Écrits, volume II

GSA Le Gouvernement de soi et des autres HF Histoire de la folie à lřâge classique HS Histoire de la sexualité II, III HSuj L'Herméneutique du sujet

IFDS Il faut défendre la société : Cours au Collège de France (1975-1976) MC Les mots et les choses : Une archéologie des sciences humaines NC Naissance de la clinique

NB Naissance de la biopolitique: cours au Collège de France (1978-1979) OD Lřordre du discours

SP Surveiller et punir. Naissance de la prison

STP Sécurité, territoire, population : Cours au Collège de France, 1977-1978 Pan Le panoptique, précédé de l'Œil du pouvoir

PPsy Le pouvoir psychiatrique : Cours au Collège de France (1973-1974) VS La volonté de savoir. Histoire de la sexualité, t.1

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INTRODUCTION

Les innovations actuelles dans les sciences de la vie, les avancées de la biologie moléculaire et de la génétique humaine en particulier, ont permis dřouvrir de nouveaux horizons à lřintervention thérapeutique. Ces innovations ont modifié en profondeur les domaines de la prédiction, de la prévention, du diagnostic et du traitement des maladies. La connexion étroite qui existe désormais entre le savoir biologique et lřart ancien de guérir a été consacrée par lřusage désormais courant du terme de «biomédecine». Toutefois, cette connexion tout à fait réelle lorsquřon rend compte de lřétat actuel de la pratique médicale nřempêche nullement que le savoir biologique, devenu savoir technoscientifique des conditions et des effets de la manipulation et de la reconfiguration des processus de la matière vivante demeure toujours séparable et séparé des visées traditionnelles de lřart de guérir et de la clinique. Mieux, cřest sur le fond de cette autonomie principielle quřil contribue à la redéfinition et à lřélargissement constant de ce qui appelle le soin tout en brouillant constamment sa différence dřavec les projets de reconfiguration du vivant qui prennent tous les jours un visage nouveau. La génomique rend possible la prédiction précoce des probabilités dřêtre atteint dřune maladie déterminée, en particulier dans le cas des maladies monogéniques, mais elle ouvre tout autant à la possibilité, devenue actualité, de procéder au clonage animal, dřaméliorer la production laitière, de produire des organismes génétiquement modifiés, bref de reconfigurer le vivant. La cartographie fonctionnelle du cerveau mise au service dřune meilleure compréhension de la dysphasie ou de lřépilepsie sert aussi la mise en place de projets biotechnologiques qui, comme on le verra, nřont plus rien de thérapeutique au sens classique du terme, mais sřinscrivent directement dans les procédures de la gestion des ressources humaines. Les progrès technoscientifiques de la biologie mis à la disposition des stratégies et des techniques de lutte contre la maladie sont immédiatement et en même temps mis à la disposition des

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stratégies et des techniques de modification des vivants. Lřamélioration industrielle du vivant et de lřhomme sřimpose ainsi à nous comme un problème spécifique qui traverse notre condition contemporaine.

Cřest à lřentrecroisement formidable des domaines aussi divers que la biologie, lřingénierie, la biomédecine, la politique et lřéconomie que sřexerce le pouvoir de produire le vivant. Conformément à une certaine visée dřamélioration et une certaine idée de perfectionnement illimité il concerne tout autant désormais les corps humains. Il manifeste ainsi une capacité toujours plus grande à opérer une transformation irréversible des conditions de lřêtre-ensemble. Cřest ce pouvoir que la pensée philosophique doit contribuer à interroger. Le pouvoir de production dřun vivant toujours plus performant met en œuvre une « politique » et nous qualifions de « nihiliste » sa production dřun individu biopolitique assujetti au perfectionnement illimité de ses performances. La question la plus générale qui se pose à nous est alors celle-ci : quels sont les rapports qui se tissent entre nihilisme, biopolitique et perfection ? Cette question nous la construisons ici à partir dřun travail sur lřœuvre de Michel Foucault. Notre thèse a ainsi pour objet lřarticulation entre biopouvoir et nihilisme dans lřœuvre de Foucault elle-même. Mais elle vise tout autant à introduire à la reprise critique de sa construction dans lřanalyse des biopolitiques contemporaines. Aussi, partage-t-elle avec dřautres travaux le souci dřaffirmer la spécificité du vivant comme phénomène éminemment biopolitique et lřinquiétude que ce constat suscite devant les conditions actuelles quřaménage le pouvoir technologique et politique de sa manipulation, tout en marquant ses distances à lřendroit dřune certaine conception psycho-phénoménologique ou spiritualiste de la Vie.

Dřentrée de jeu, notre projet semble toutefois devoir rencontrer une difficulté de principe. Cette dernière tient au fait que nulle part, dans cette œuvre imposante, foisonnante et polymorphe, à lřintérieur de laquelle, même sřils subissent des transformations constantes, les concepts sont en général dépliés avec soin, il nřy a pas une véritable conceptualisation du «nihilisme». Cette difficulté, le lieu commun qui consiste à parler du « nihilisme de Foucault » comme dřune évidence, en obscurcit la portée. En effet, pour accréditer son existence, on sřappuie en général sur les célèbres passages de lřouvrage de 1966, Les Mots

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et des choses, dans lesquels Foucault évoque, sous des formules diverses, la «mort de lřhomme». Mais, Foucault y traitait seulement dřune construction théorique particulière, lř « Homme » de lřhumanisme et des sciences de lřhomme. Si lřincontestable influence de Nietzsche sur Foucault lřoriente vers ce que nous appellerons un « nihilisme anthropologique », cette formule qualifie seulement de lřextérieur de son propre point de vue ce dont il est question chez Foucault. Elle souligne quřon ne peut précisément pas sřautoriser à parler dřun nihilisme généralisé ou ontologique à son propos. Pour appuyer la thèse du « nihilisme de Foucault », il y aurait encore peut-être cette autre référence, beaucoup plus tardive, dans lřannonce dřun cours à venir, dont le titre référait cette fois clairement au « nihilisme à la fin du XIXe siècle. » (DEI, 79). Cependant, le cours en question nřa jamais eu lieu et Foucault nřa jamais expliqué ce quřil entendait précisément désigner par le terme si connoté de «nihilisme». Il faut bien constater que la difficulté que rencontre notre projet est dřabord liée au fait quřil nřexiste ni dans les différents ouvrages, ni dans les articles, ni dans les résumés de cours ou les cours eux-mêmes, de construction conceptuelle du «nihilisme». En un mot, il nřexiste pas de concept foucaldien de nihilisme et le seul nihilisme qui peut lui être légitimement imputé selon nous est celui que nous qualifions dř « anthropologique ».

Pourtant, nous soutiendrons que lřélaboration du concept de biopouvoir nřest pensable jusquřau bout quřà condition de la comprendre comme une certaine manière de répondre au problème que pose à Foucault « le nihilisme contemporain ». De quel « nihilisme » sřagit-il alors ? De celui du pouvoir moderne sur la vie. Le « nihilisme » qui est au centre de notre attention dans cette thèse est dřabord celui du biopouvoir. Mais le mot « nihilisme » qui figure dans le titre de notre travail est aussi bien le nom que nous donnons au problème philosophique qui se pose justement à Foucault à propos du pouvoir sur la vie. Aussi, notre thèse a-t-elle pour tâche de construire systématiquement le concept de nihilisme en lřarticulant à celui de biopouvoir, de montrer que cette articulation donne sens à la construction conceptuelle de Foucault et quřelle est en même temps au cœur de lřexercice du pouvoir sur les vivants, tel quřil se manifeste désormais. Il sřagira donc aussi pour nous de mettre les concepts de Foucault à lřépreuve de la réalité dřaujourdřhui. Si elle sřinscrit

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ainsi indéniablement dans le champ des études foucaldiennes, cette étude aura cette particularité de conduire à un «usage critique» du concept de biopouvoir, en le comprenant dřabord à lřintérieur de la problématisation des formes du nihilisme contemporain. Dans le sillage des analyses foucaldiennes, lřobjectif sera alors de montrer que le biopouvoir constitue un symptôme de nihilisme. Cependant, parce que lui-même ne lřa pas thématisée

explicitement, il sřagira aussi de penser, pour notre propre compte, lřarticulation du biopouvoir et du nihilisme, en partie parce que nous problématiserons des réalités neuves, extérieures au champ dřétude qui fût le sien, en partie aussi, parce que nous nous écartons de Foucault sur un certain nombre de points proprement conceptuels.

Méthodologie

À ces considérations préliminaires, il convient dřajouter que, dans ce travail, nous nous engagerons peu dans des «querelles» de commentateurs. Même si nous serons conduit à réfléchir sur la pertinence de tel ou tel argument de Foucault, à critiquer telle ou telle interprétation, nous ne nous proposons pas ici de faire principalement un travail d'exégèse, nous ne chercherons pas à retrouver la pensée «profonde» de lřauteur, à exhumer la vérité cachée des thèses foucaldiennes, pas plus que nous ne chercherons à les disqualifier de lřextérieur, en les rendant du coup superflues. Notre objectif est plutôt de prendre au sérieux les textes et de clarifier les concepts en vue de les utiliser pour penser la réalité contemporaine du biopouvoir. Cřest ainsi que tout en proposant un « commentaire » serré de certains passages de lřœuvre, en menant une analyse critique dřune série de problèmes quřelle pose à la pensée contemporaine, le mouvement même de notre argumentation nous conduira à nous en éloigner à plusieurs reprises. Rappelons que le « commentaire » est dřailleurs un style de travail dont Foucault voulait sřéloigner (NC, XII-XIII). Et, le mouvement même de notre argumentation nous conduira à prendre des distances à plusieurs reprises de son argumentation. Ce sera, en particulier, le cas dans notre analyse du nihilisme dans la troisième partie de la thèse que nous traitons à partir d'un lien entre santé et perfection. Si on se fie à ses propres idées sur le sujet, une telle prise de distance nřest irrévérencieuse quřen apparence et porte au contraire la marque dřune véritable reconnaissance. Foucault est assez clair sur lřusage dř « anti-commentateur » quřil fait de la pensée des autres philosophes. Par exemple, à propos de Nietzsche et Marx, il écrit :

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« Nietzsche est celui qui a donné comme cible essentielle, disons au discours philosophique, le rapport de pouvoir. Alors que pour Marx, c'était le rapport de production. Nietzsche est le philosophe du pouvoir, mais qui est arrivé à penser le pouvoir sans s'enfermer à l'intérieur d'une théorie politique pour le faire. La présence de Nietzsche est de plus en plus importante. Mais me fatigue l'attention qu'on lui prête pour faire sur lui les mêmes commentaires qu'on a faits ou qu'on ferait sur Hegel ou Mallarmé. Moi, les gens que j'aime, je les utilise. La seule marque de reconnaissance qu'on puisse témoigner à une pensée comme celle de Nietzsche, c'est précisément de l'utiliser, de la déformer, de la faire grincer, crier. Alors, que les commentateurs disent si l'on est ou non fidèle, cela n'a aucun intérêt. » (DEI, 1621). Ériger une «orthodoxie» foucaldienne est hors du propos de ce travail. Bref, notre «commentaire» de lřœuvre foucaldienne fuit de partout, pour parler avec Deleuze.

Notre travail est encore délibérément critique à lřendroit de Foucault. Mais la critique demeure ici immanente à lřœuvre et vise à aménager un dialogue avec la dimension catégorielle de la pensée qui sřy exprime. La réussite de notre entreprise dřinterprétation se jugera, croyons-nous, à lřélucidation rigoureuse des concepts et à la possibilité de faire ainsi apparaître lřimpensé de lřœuvre. Nous pouvons ainsi avancer que notre travail de thèse se construit au sens strict comme une ontologie politique liée de manière inextricable à une analyse historique et critique du pouvoir, des effets corrélatifs de liberté et des modalités de transformation de la subjectivité vivante. Et, pour réaliser une telle visée, il use de la généalogie. Chez Foucault, on le sait, la généalogie constitue le cadre méthodologique du travail philosophique à partir des années ř70. Elle se substitue à la méthode archéologique, principalement utilisée durant les années Ř60. De manière générale, la généalogie devrait être comprise comme une analyse de la transformation historique des concepts qui cherche à penser « la singularité des événements hors de toute finalité monotone », tout en sřopposant à un traitement unitaire du temps et à un recours à lřorigine. Cette recherche généalogique suit la trajectoire des concepts en les inscrivant à lřintérieur dřun processus de transformation historique, discontinue et hétérogène, qui ne peut donc

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pas conduire à une théorie générale de leur production. En un sens, nous ne ferons que reprendre à notre compte la méthode généalogique de Foucault. Cette étude passera ainsi par une généalogie des principaux concepts élaborés par lui et relatifs aux questions qui nous préoccupent. Mais, parce quřelle est appliquée à la réflexion de Foucault, la généalogie doit être respectueuse de son nominalisme historique. Elle doit tenir compte du fait que son travail ne vise pas à fonder des théories totalisantes, ni même définitives.

Le travail de Foucault, croyons-nous, consiste en la mise en œuvre dřune série dřanalyses circonstanciées, menées en réaction à des problèmes précis, inscrites dans un présent défini. Par exemple, il nous parait inadéquat dřextraire le concept du pouvoir à lřœuvre dans lřHistoire de la folie (1961) et de lřinstituer comme référent absolu de la pensée de Foucault, au-delà de lřespace textuel qui lřavait vu émerger et qui est différent des conditions historiques particulières qui ont entouré lřintervention autour des prisons, la création du GIP (Groupe d’information sur les prisons) en 1971 et la parution de Surveiller et punir en 1975. Nous faisons ainsi le pari que la pensée foucaldienne a pour vocation le mouvement, qui est en fait la loi de son existence et de son attention remarquable à lřactualité. Il faudra donc compléter lřusage de la méthode généalogique par une lecture contextualiste, qui consiste à inscrire le travail de Foucault dans lřhistoire intellectuelle qui est la sienne et que nous restituerons, à chaque fois que ses propres analyses peuvent être éclairées par elle. Cřest ainsi encore que nous serons amené à confronter certaines de ses thèses et positions à celles de Canguilhem, Bachelard, Arendt, Weber, ou De Certeau. Foucault est tout sauf un penseur solitaire et sa réflexion nřest pas un monologue interminable. Sa pensée est une Řpensée en rapportř à une pluralité de perspectives, elle est ouverte sur celles des autres et non-totalisable en dehors des dialogues quřelle noue en permanence. Toutefois, dire que nous avons affaire à une pensée dialogique, en perpétuel mouvement, nřimplique pas dřavancer quřelle parle de tout et engage tout le monde. La pensée de Foucault a bien un lieu propre, elle construit un monde à elle, mais quřelle met en relation avec dřautres univers de pensée. Cřest le cas, nous le verrons, pour toute une part de sa réflexion épistémologique quřon peut qualifier dřhistorique pour lřopposer à la tradition formaliste et dont elle partage les présupposés avec Bachelard et Canguillhem. Cřest également le cas du traitement à la fois critique et historique de la pensée politique

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dřArendt, Weber et de Szasz. Bref, nous sommes en présence dřune pensée qui forge un rapport à dřautres, même et surtout quand elle se formule comme un refus.

Notre étude devra commencer par traiter la manière dont Foucault pense le pouvoir en général et le pouvoir disciplinaire en particulier. Nous ne pouvons en effet ni comprendre le concept foucaldien de biopouvoir, ni dřailleurs saisir la place du problème du nihilisme dans sa réflexion, ni à fortiori saisir leur articulation dans lřœuvre, sans dřabord cerner la spécificité du concept de pouvoir qui est celui de Foucault. Ce concept se démarque nettement de ceux qui sont construits par la tradition, par les philosophes modernes, par les théoriciens des sciences sociales et les philosophes du XXe siècle. En outre, cřest un concept qui se transforme constamment à lřintérieur même de lřœuvre. Notre thèse comporte ainsi trois grandes parties : la première, consacrée au thème général du pouvoir et du pouvoir disciplinaire en particulier, entreprend une généalogie de leurs concepts dans lřœuvre de Foucault, tout en mettant à distance sa conceptualisation de la place de lřexcès, de la violence, dans lřanalyse du pouvoir disciplinaire ; la seconde engage un traitement généalogique et critique du concept de biopolitique, mais sřéloigne encore davantage du commentaire de lřœuvre pour introduire à lřanalyse de la biopolitique du XXIe siècle ; la troisième discute de la problématique du nihilisme en rapport avec le biopouvoir et les pratiques de résistances qui lui sont propres.

Le concept foucaldien de pouvoir

Une des critiques fréquemment adressées au concept foucaldien du pouvoir est son identification présumée à la notion de domination. Lřassimilation des deux notions se ferait chez lui à partir de lřassomption de la commensurabilité des formes traditionnelles et modernes du pouvoir en regard de lřefficacité du contrôle en question (Honneth, 1991 : 184). Foucault défendrait ainsi la thèse dřun pouvoir en voie de devenir omniprésent et dont lřefficace ne cesserait de croître. Dans cette perspective, la réalité même du pouvoir chez Foucault dépendrait de son efficace. Contrairement à cette interprétation, nous affirmerons lřexistence, dans la pensée de Foucault, dřun pouvoir qui est bien réel, mais dont le

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caractère réel ne se confond pas entièrement avec son efficace. Comment comprendre cette affirmation ? On sait que Foucault récuse toute version substantialiste du pouvoir. Le pouvoir nřest pas constitué dřune substance homogène, même seulement idéelle, qui se disséminerait dans les différents pouvoirs. Pour Foucault, « le » pouvoir nřest jamais quřun ensemble de procédures qui ont une émergence historique précise. On peut dire encore que, chez lui, le pouvoir nřest pas auto-fondé, quřil ne constitue pas son propre fondement et que le pouvoir nřa pas une existence unitaire en soi (STP, 3-4). La figure dřun pouvoir auto-fondé nřest pas sans rapport avec un pouvoir susceptible de croître indéfiniment et de totaliser ainsi le réel par lřapplication de ses procédures de contrôle. Seul un pouvoir qui joue déjà comme arché ou principe dřintelligibilité du réel lui-même pourrait maîtriser lřensemble de la vie sociale. Or, si le réel dont nous parlons est en partie étranger à lřefficace du pouvoir, si le réel est encore ce à partir de quoi se lève le pouvoir, alors il faudrait dřune certaine manière avancer que, dans la pensée de Foucault, le pouvoir est réel parce quřil nřest pas totalisant.

Le concept de réel dont nous usons ici nřest pas de Foucault. À notre connaissance, ce dernier ne distingue nulle part clairement le réel de la réalité. Le réel que nous avons en vue nřest pas réductible à un être défini comme donné. Le concept de réel évoqué ici désigne bien ce qui est, mais qui est non-représentable. Toutefois, si le réel est dřabord de lřordre de lřacte, sřil appartient bien ainsi au champ pratique, sřil est donc éminemment non-discursif, il nřest cependant pas a-politique. Notre concept de réel joue comme « part de plèbe », pour parler avec Foucault. Il désigne tout à la fois une condition dřémergence dřun pouvoir politique « non stratégique », lřeffectivité du pouvoir, ses stratégies et une part de ses effets. Ainsi, en suivant cette interprétation, chez Foucault, le pouvoir serait un domaine de relations qui appartiennent au réel sans pourtant lřépuiser ou le ramener à un dénominateur commun. Si on peut dire encore que le pouvoir produit « du » réel, il faut alors ajouter quřil ne contrôle pas entièrement ce réel quřil produit, que ce dernier lui échappe. Cřest ce qui explique que nous serons amené à faire une distinction entre le pouvoir comme exercice stratégique de forces et un réel qui échappe à son emprise. Ce réel a un nom chez Foucault, celui de « résistance ». En fait, le réel à partir duquel émerge le pouvoir et celui qui émerge de son exercice sont constitués par une série de pratiques historiques de résistance. On

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notera à ce propos quřil y a même dans le discours de Foucault, du moins à partir de 1976, une prééminence de la résistance sur le pouvoir. La résistance sera alors posée comme une pratique, qui à la fois réactive lřexercice du pouvoir et le déplace en vue dřune transformation.

Chez Foucault, en plus dřavoir des effets réels, les relations de pouvoir ont bien une consistance réelle qui leur est propre. Mais cette consistance des rapports de pouvoir est toutefois très particulière puisque les rapports de pouvoir ne « consistent » quřà partir dřautre chose quřeux-mêmes, par exemple les pratiques de résistance, mais aussi les relations économiques ou les relations de communication. Ils ne dérivent pas dřUn pouvoir qui serait à penser comme leur origine et modèle idéal. Ils ne dérivent pas dřun principe qui serait celui de lřidentité à soi du pouvoir. Dire que le pouvoir nřest pas identique à lui-même signifie que ses conditions dřémergence lui échappent et quřil nřa pas de prise immédiate sur ce qui le rend possible. Pour Foucault, les relations de pouvoir se constituent à partir de ce quřelles ne sont pas encore, ou bien à partir dřun devenir historique qui leur est étranger. Elles composent avec un devenir inconnu et ne sont pas surdéterminées par dřautres types de relations.Autrement dit, la consistance des relations de pouvoir nřest ni unitaire, ni imaginaire, ni symbolique, mais à la fois réelle et hétérogène. Lřhétérogénéité dont il est question vient du fait que le réel nřest pas lui-même quelque chose dřhomogène. Cřest la raison pour laquelle nous avons évoqué le réel des conditions du pouvoir, celui de sa consistance, celui de la résistance, celui de son efficace, celui de ses effets. Cřest seulement après toutes ces mises au point quřon peut comprendre clairement la formule de Foucault qui, rappelant ses travaux antérieurs, insistait sur le fait quřon avait fait reproche aux analyses des technologies du pouvoir dřériger une sorte de métaphysique du Pouvoir. Cřest ainsi que rappelant ce quřil avait fait dans Histoire de la folie, il déclare : « Je voulais précisément montrer cette hétérogénéité du pouvoir, c'est-à-dire comment il naît toujours dřautre chose que de lui-même. » (DEII, 631).

Les relations de pouvoir ont donc pour Foucault une consistance relative à des plans dřémergence divers, irréductibles les uns aux autres. Il appelait cela des « foyers de

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pouvoir ». Peut-être, le mot « foyer » laisse-t-il croire encore que le pouvoir aurait une essence cachée, quřil faudrait débusquer, en accordant suffisamment dřattention et de patience à ce qui se cacherait derrière les traits communs à tous les exercices de pouvoir. Mais chez Foucault, le pouvoir est seulement saisissable à la surface de lieux dřémergence imprédictibles. En outre, la multiplicité des plans dřémergence historique et technico-politique du pouvoir ne peut pas être réduite à une identité stable. Cela implique que le concept foucaldien de pouvoir renvoie à un domaine fonctionnel foncièrement instable de relations, ce qui nřexclut pas quřil en dresse une typologie, mais cette dernière prend en compte le fait que le pouvoir se réactive à partir dřune composition entre des plans dřactivité qui ne sont pas immédiatement politiques, au sens classique du terme, et qui, sřils sont susceptibles dřêtre qualifiés tels, le sont seulement du fait des relations de pouvoir quřils font naître ou de celles qui les investissent. On pourrait appeler cela lř« hétéro-genèse transitoire » des relations de pouvoir - « transitoire » pour dire quřil nřa pas une origine unique, quřil est le lieu même dřune dispersion de lřorigine, quřil émerge et transite dans lřhistoire sans la transcender.

Cette consistance des relations de pouvoir selon Foucault est indissociable de sa composition avec des plans qui excèdent la logique immanente des mécanismes et des procédés de pouvoir historiquement constitués. Cela implique précisément que le pouvoir nřest pas non plus un dehors qui jouerait comme une transcendance en acte dans le corps social. Au contraire, il faudrait penser son exercice à lřintérieur dřun déploiement de zones intensives, comme les effets inattendus dřune histoire contingente. Et, du coup, lřexercice de pouvoir compose et se réactive à partir dřun non-pouvoir. Il faudra ainsi procéder à une distinction entre pouvoir et non-pouvoir, qui reprendra de manière symétrique le rapport entre le pouvoir et la résistance que nous avons évoqué. Ainsi, la thématique dřun rapport de pouvoir transformable, ouvert, permettra dřétablir que le pouvoir nřest pas « ubiquitaire » et « toujours gagnant », mais quřil se transforme à lřintérieur dřune historicité et par là se réactive à partir des zones corporelles non-codifiées, à partir des formes subjectives non-problématiques ou, plus généralement, des non-lieux stratégiques. Ce pouvoir non-quantifiable, qui, à la limite, a une normativité « faible », est en fait le lieu hétérogène de formation dřune économie de lřexcès. Cřest en ce sens quřon peut dire que le

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pouvoir, chez Foucault, est réel dans la mesure où il échappe à toute forme de codification immédiate.

Il vaut la peine dřesquisser tout de suite là où, dans la thèse, apparaîtra la frontière entre notre propre analyse du pouvoir et celle de Foucault. Pour nous, lřexcès du pouvoir nřest pas lřau-delà ou lřen-deçà du pouvoir, mais le lieu par excellence de lřexercice et de lřexpression des relations de pouvoir. Par excès, il ne faut pas entendre ici simplement la contingence dřune pratique anonyme ou lřeffet dřune résistance inconnue. Cřest ce qui est immédiatement incalculable, irréductible à un calcul des coûts et des bénéfices, irréductible à une pure stratégie même si la stratégie fait bien sûr elle-même partie des relations de pouvoir, comme lřa bien vu Foucault. Lřexcès exerce une fonction dřintensification des technologies de pouvoir, repérable dans les effets de la violence disciplinaire qui se loge dans les corps, ou bien, dans les effets irréversibles dřune transformation intégrale des conditions de possibilité de lřêtre biopolitique. Dans le cadre de notre analyse du biopouvoir, lřexcès est, à la limite, le pouvoir même de mettre en forme les vivants. Cřest ainsi que nous pouvons affirmer que lřexcès est un supplément de réel du pouvoir. On doit dire du pouvoir quřil est réel pour toutes les raisons énoncées plus haut, mais aussi dans la mesure justement où il est lieu de lřexcès. Cřest bien une hypothèse centrale que nous défendrons dans notre thèse et en particulier dans la première partie de ce travail. Pour lui donner un contour précis, la première partie de cette étude proposera dřabord une généalogie des thèses de Foucault sur le pouvoir.

On lřa déjà souligné, lřexamen généalogique des thèses foucaldiennes sur le pouvoir sera attentif à les aborder, moins en fonction dřune continuité interne de lřœuvre quřen fonction des stratégies que le philosophe déploie, ici et maintenant, lorsquřil aborde un problème particulier. On verra néanmoins quřil existe bel et bien certaines constantes dans la manière dont Foucault pense le pouvoir. Quatre dimensions en particulier nous paraissent assurer cette continuité. Tout dřabord, pour Foucault, le pouvoir ne se confond pas avec lřinterdit, mais il possède une positivité propre. Une des définitions du pouvoir, quřon retrouve le

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plus souvent sous sa plume, surtout après 1978, est que le pouvoir est « une action sur lřaction » dřun autre (DEII, 1055). Cette action sur les actions a sans doute une productivité propre, mais celle-ci est indépendante de son caractère réel et nřest lisible que dans les actions de ceux sur lesquels le pouvoir sřexerce. Ensuite, on a déjà eu lřoccasion de le souligner, il y a moins « le » pouvoir que « des » pouvoirs, circonscrits dans le temps et lřespace, différents, indépendants les uns des autres. En outre, ces pouvoirs sont toujours des relations de pouvoir, des relations à double sens, qui sont fondées sur le fait que les actions sur les actions rencontrent toujours une résistance, mieux, commencent avec elle, fût-elle passive ou issue de ceux qui lřagissent et sur lesquels sřexercent le pouvoir. Enfin, les relations de pouvoir possèdent toujours au moins deux dimensions, une dimension technique et une dimension que pour lřinstant, nous qualifierons de « politique ». Ce dernier point nous paraît le plus important. Mais on doit aussi souligner que, hormis ces constantes, qui ne deviennent explicites pour Foucault que relativement tard dans son œuvre, le traitement de la question du pouvoir subit des modifications importantes selon la nature du « locus » des relations quřil implique : lřhôpital psychiatrique, la prison et la caserne, le tribunal, lřusine, lřécole, la sexualité, etc.

Toujours dans la première partie de la thèse, lřapproche généalogique des thèses foucaldiennes sur le pouvoir se prolongera par une analyse comparative de la thématisation du pouvoir chez Foucault, Arendt et Weber. Cřest ainsi que nous examinerons le mode dřexercice du pouvoir chez H. Arendt et le traitement de la notion de puissance (Macht), chez M. Weber. Dřune part, il sřagira de pointer une série de convergences dans le traitement de la dimension gouvernementale du pouvoir chez Arendt et Foucault, à partir dřune analyse critique des concepts dřaction et de liberté. Dřautre part, il sřagira de procéder à une discussion critique de la pensée relative au pôle technologique du pouvoir chez Foucault et Weber. Cette discussion permettra de traiter les différences entre les deux auteurs et montrer que Foucault ne reprend pas à son compte le fondationnisme et le décisionnisme de la puissance de Weber. Cette comparaison entre Weber, Arendt et Foucault nous servira à amorcer un traitement analytique des relations de pouvoir chez Foucault. Lřobjectif sera alors de montrer les conditions dřémergence dřun pouvoir disciplinaire à la fois spectaculaire et violent. Cřest sur ce point particulier du pouvoir

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disciplinaire et de son rapport à la violence que nous nous écarterons une première fois de la conceptualisation foucaldienne et de ses reprises chez ses commentateurs. Il sřagira de remettre en question la séparation principielle que Foucault opère entre pouvoir disciplinaire et violence. Nous insisterons, au contraire, sur la nécessité de penser autrement leur articulation.

Biopolitique et individualisation

La seconde partie de notre étude sera consacrée au traitement critique de la notion de biopolitique chez Foucault. Il est bien connu que Foucault déplace le champ sémantique du concept de biopolitique et propose autre chose quřun organicisme étatique (Kjellén, 1920), une théologie écologique chrétienne de la vie (Cauthen, 1971) ou un concept bioéthique comme cřest le cas chez D. Gunst (Lemke, 2011 : 24). Le biopouvoir, chez notre auteur, est traité à partir de deux pôles, un pôle disciplinaire et un pôle biopolitique. Ce déplacement est crucial dans ses effets, dans la mesure où il permet à Foucault de proposer une nouvelle catégorie dřanalyse qui inaugure, à partir des années ř70, un nouveau champ dřétudes interdisciplinaires au croisement de la philosophie politique, de lřanthropologie culturelle, de la sociologie et des sciences politiques. Pour notre part, dans la deuxième partie de notre travail nous montrerons que conformément à sa finalité et aux mécanismes qui sont les siens, la biopolitique produit une forme qui est toujours celle dřun vivant - un bios -, que cette production est individualisante et quřelle est inséparable dřune visée de perfectionnement illimité qui porte en elle un nihilisme qui est celui-là même du pouvoir. Pour le dire différemment, nous allons poser le problème du biopouvoir non pas dans les termes dřun nihilisme anthropologique, qui serait la négation de la figure de lřHomme possesseur dřune essence, être de raison et dřautorité, mais il sřagira de montrer que ce dernier est remplacé par un être biopolitique inscrit dans des pratiques de vérité et des pratiques de liberté qui objectivent le soi. Comment comprendre cette affirmation, sans doute encore trop abstraite, dřune « biopolitique individualisante » ?

Tentons une illustration de ce que nous entendons par là. Si notre exemple biopolitique est de part en part une fiction, il est bien cependant dans « lřair du temps » et présente lřavantage de poser dès à présent les termes de lřanalyse contenue dans la deuxième partie

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de la thèse. Imaginons que pour des raisons médicales bien fondées, nous ayons à la naissance implanté dans le corps d'un individu un dispositif dřanalyse et d'enregistrement des activités vitales, comme le pouls, la respiration, la pression sanguine, le rythme cardiaque, etc. Une fois ce dispositif mis en place, il procède automatiquement à une collecte systématique des données prélevées à partir de lřenregistrement de ces activités. Les informations enregistrées continûment seront soumises à un traitement statistique qui élabore de constantes normales de fonctionnement. Nous pouvons même imaginer un traitement de lřinformation qui tienne compte dřune certaine variabilité de ces constantes, permettant ainsi, par exemple, de mesurer lřendurance corporelle ou dřassurer lřobjectivation précise de la capacité de dépasser les constantes établies dans un certain environnement. Grâce à sa bio-histoire, l'individu pourra prévoir avec succès une série d'accidents quotidiens qui peuvent survenir, que ce soit une chute due à un affaiblissement généralisé, s'il est âgé, une maladie qui s'annonce avant de trouver son expression dans les désordres internes du corps, comme un rhume ou une crise d'épilepsie, un facteur de stress aggravant susceptible de déboucher sur une dépression, etc. Prévoyant, il pourra agir en fonction de ces anticipations, subordonnant alors le choix de ses conduites à la probabilité statistique des incidents que lřautomate lui signalera. Lřémergence dřune telle surveillance de la physiologie d'un individu vivant constitue un défi pour penser la capture des processus vitaux, tendanciellement exhaustive, par les technologies biopolitiques contemporaines. Cřest cette capture biopolitique elle-même qui rend désormais indissociables la préservation de la santé et la productivité des techniques en matière de critères de santé, la liberté donnée à celui qui le subit et celle qui lui est enlevée du seul fait de saisir son avenir dans des termes statistiques, la manifestation immédiate dřun pouvoir sur le corps et la réalisation de soi à travers lřacte qui inscrit le soi dans la lutte de chaque instant contre la défaillance possible.

C'est ce type de problèmes que notre analyse dřune biopolitique individualisante tentera de penser. Mais plutôt que lřexemple fictif qui vient dřêtre proposé à lřimagination du lecteur, nous mobiliserons un cas bien réel de biopolitique contemporaine, située au carrefour des régimes de savoir et de pouvoir, au croisement de lřordre néolibéral et du savoir neuroscientifique. La nouveauté de notre objet dřanalyse en regard de celui de Foucault

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tient au fait que lřoutil statistique appliqué à la gestion des populations vivantes, des constantes de l'espèce, qui pour Foucault caractérisait la biopolitique, est cette fois appliqué à lřindividu ainsi posé comme « individu biopolitique ». Dans la deuxième partie de la thèse, nous allons nous demander à quelles conditions on peut inscrire ce nouvel exercice de pouvoir dans une rationalité politique précise. La biopolitique a-t-elle une épaisseur historique, ou bien, est-elle tout simplement un accident inexpliqué de lřhistoire, le résultat anonyme des jeux aveugles de pouvoir qui se transforment indéfiniment ? Si inscription il y a, comment cette dernière est-elle encore pensable? La problématisation dřun pouvoir réel et hétérogène, qui aura été la nôtre dans la première partie de la thèse, servira de fondement à lřhypothèse selon laquelle la biopolitique contemporaine peut être comprise comme le résultat dřun transfert au domaine politique dřune technique pastorale, pensée dřabord dans le domaine théologique.

Cette thèse dřune pastoralisation de la biopolitique corrélative à son individualisation pourra évidemment surprendre. Apparemment, tout vient séparer la biopolitique comme pouvoir sur la vie, qui émerge à la fin du XVIIIe siècle en Europe, et le pastorat que Foucault localise dans lřOccident chrétien au IVe siècle et qui renvoie à la formation dřune économie des âmes (regimen animarum). Pourtant, la fin de la deuxième partie de la thèse exposera en détail la formation dřune biopolitique en mutation qui devra être comprise à partir dřun axe théologico-technico-politique qui le lie au pastorat. Il sřagira en effet de montrer que le « transfert de technologie de pouvoir » du domaine théologique au domaine politique ne se confond pas avec le concept de « sécularisation » théorisé par Carl Schmitt et quřil obéit à une autre logique. Nous exposerons à ce moment-là notre « hypothèse de lřimplantation »1. Nous parlons dř « hypothèse dřimplantation » car si Foucault use bien du terme dřimplantation, et plus dřune fois, il ne le transforme pas en concept. Par conséquent,

1 Pour un traitement plus approfondi, on peut se rapporter à lřAnnexe I. En fait, lřAnnexe comporte quatre

parties : la première apporte des clarifications conceptuelles principalement liées aux concepts foucaldiens ; une autre traite la problématique de la « Rythmanalyse » chez Bachelard, en rapport avec la temporalité disciplinaire ; la troisième est consacrée à une série de citations en lien avec notre problématique de la perfectibilité biopolitique ; une dernière traite le problème de la perte de soi en lien avec notre analyse de la déprise de soi comme pratique de résistance au nihilisme.

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cette hypothèse est une interprétation de ce que Foucault pense implicitement des transferts des mécanismes de pouvoir. Elle veut quřil nřexiste pas de causalité nécessaire entre un plan théologico-moral et un plan technico-politique, ni un transfert de type séculier qui implique un rapport de conservation originelle des contenus historiques, plutôt un déplacement qui implique une transformation fonctionnelle et procède par réinvestissement après-coup. Cette hypothèse présente lřavantage dřarticuler un traitement différentiel des plans dřanalyse sans les réduire lřun à lřautre et permet de saisir leurs modalités de composition et de renforcement réciproque à partir dřun processus de spécification immanente. Aussi, quand Schmitt soutient que la sécularisation fait que Dieu est transféré tel quel dans le corps juridique de lřÉtat, il opère selon nous un transfert de sacralité qui traduit un réductionnisme essentialiste susceptible dřeffacer la spécificité des conditions dřémergence, de transfert et de réinvestissement du plan théologique au plan juridique. Cřest contre ce type dřanalyse que notre hypothèse de lřimplantation veut se mobiliser dans la perspective dřun nominalisme historique.

La corrélation que nous proposerons peut de prime abord apparaître gratuite, vertigineuse ou incongrue. Toutefois, cřest elle qui permettra dřarticuler méthodologiquement le biopouvoir au nihilisme dans la troisième et dernière partie de notre étude. En outre, on remarquera que nous demeurons ici dans les traces de Foucault au sens où lřhistoire des technologies de pouvoir nřest précisément pas lřhistoire de leur évolution « historique », mais plutôt lřhistoire de leur transformation, ce qui implique par ailleurs, la possibilité de leur juxtaposition, ou bien de leur entrecroisement normatif alors même quřelles « se succèdent ». Cřest ainsi que Foucault peut écrire : « […] quand je me place au XVIIIe siècle comme fin de lřâge pastoral, il est vraisemblable que je me trompe encore, car de fait le pouvoir pastoral dans sa typologie, dans son organisation, dans son mode de fonctionnement, le pouvoir pastoral qui sřest exercé en tant que pouvoir est sans doute quelque chose dont nous ne nous sommes toujours pas affranchis » (STP, 152). Énoncer la pérennité et la normativité du pastorat dans le contexte contemporain nřest certainement pas une preuve de son articulation possible à la biopolitique. Cette articulation, il nous faudra par conséquent en montrer non seulement la possibilité, mais lřeffectivité. Mais, pour lřinstant, quřil nous suffise dřénoncer que le point de jonction de la biopolitique et du

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pastorat institue ce dernier en modèle dřachèvement, certes jamais atteint, dřune constitution historique des modalités politiques dřindividualisation du vivant, qui relèvent de lřémergence dřune catégorie historique et pratique que nous appelons « physiologie politique ».

Nihilisme, subjectivité, résistance

La troisième partie de la thèse sera consacrée à une analyse du problème du nihilisme dans lřœuvre de Foucault, dans la réalité contemporaine et dans les pratiques corrélatives de résistance quřil engendre comme biopouvoir. Nous le savons, le mot « nihilisme » possède une histoire qui lui est propre (Gillespie (1995) et Cunningham (2002)). Il nřy a pas lieu de la reconstituer ici, ni même de livrer ses moments forts. Notre réflexion aura deux objectifs principaux. Il sřagira dřabord dřévaluer la pertinence de la thématisation du nihilisme chez Foucault et les sources qui ont influencé sa réflexion. Nous verrons que, pour lřessentiel, le nihilisme, chez lui, passe principalement par une lecture deleuzienne de Nietzsche. Pour des raisons de chronologie conceptuelle, il faudra distinguer provisoirement entre un nihilisme anthropologique et un nihilisme du pouvoir. Notre hypothèse de lecture est que si le nihilisme constitue un problème diffus pour sa réflexion dans les années '60, ce problème va se préciser dans les années '70 et que, tout en demeurant compréhensible à partir de Nietzsche, sa propre conception du problème nřest alors pas réductible au traitement nietzschéen.

On peut définir le nihilisme chez Nietzsche de deux manières. Dřabord, comme une doctrine où rien ne peut être énoncé sur la réalité. Nous pourrions dire que, dans cette perspective, le nihilisme serait le résultat dřune disjonction entre expérience et concept, entre notre expérience du monde et notre appareil conceptuel (Ansell-Pearson, 1994: 35). Il sřagit dřun nihilisme épistémologique et ontologique qui affirme non seulement lřimpossibilité de connaître, mais la fonde sur lřimpossible identité à soi de ce qui est. De manière plus restreinte, le nihilisme serait également la doctrine qui défend l'idée selon laquelle il n'y a pas de principes axiologiques valides (Schacht, 1973 : 65-90). Dans ce cas,

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nous sommes en présence dřune dévaluation des valeurs suprêmes, qui signifie la « perte dřautorité régulatrice » (Wotling : 2001, 38), la perte générale du sens, de la direction à prendre dans la vie, ou encore, lřaffaissement du « centre de gravité » des instincts. Ces deux affirmations distinctes nous paraissent bien toutes deux conduire à la proposition : « Dieu est mort » (Nietzsche, 2008 : 119-120) qui, selon Nietzsche, constitue le point dřémergence du nihilisme.

Chez Foucault, nous n'avons pas de concept autonome de valeur, comme c'est le cas par exemple chez Nietzsche ou Canguilhem. Toutefois, cřest bien le nihilisme contenu dans lřaffirmation de la mort de Dieu qui fait problème à lřintérieur de lřœuvre de Foucault. Ce que nous appelons le nihilisme anthropologique de Foucault se précise en effet à partir de ce que Nietzsche appelle « nihilisme psychologique » : « Le nihilisme psychologique se manifeste […] quand on a supposé une totalité, une systématisation, voire une organisation, à lřintérieur des faits et entre tous les faits ; […] On imagine une manière dřunité, une forme quelconque de « monisme », et par suite de cette croyance lřhomme est placé dans un sentiment profond de corrélation et de dépendance à lřégard dřun tout qui le dépasse, lřhomme est un simple mode de la divinité… » (Nietzsche, 1995 : 54). Retenons pour lřinstant ce que Nietzsche dit à propos du nihilisme psychologique, quřil est un type de pensée qui engage une pensée finaliste dans laquelle l'homme est le but du devenir, ou « un simple mode de la divinité ». Dans notre étude, nous chercherons précisément à montrer que cette figure de lřhomme trouve sa confirmation dans les analyses foucaldiennes de lřHistoire de la folie et Les mots et les choses. Autrement dit, nous tenterons de montrer que le nihilisme anthropologique de Foucault est à inscrire dans une veine nietzschéenne et quřil apparaît éminemment lier « la mort de lřhomme » « à la mort de Dieu », comme chez Deleuze.

Le deuxième objectif de cette partie de notre travail sera de définir le nihilisme tout autrement. Il sřagira plutôt de penser le nihilisme comme une mode de fonctionnement du pouvoir. Selon notre interprétation, le nihilisme n'est pas l'« Évènement fatal » de la modernité et il ne sřagit pas non plus de comprendre le déploiement du nihilisme à partir dřun plan axiologique, comme chez Nietzsche, ou bien dans les termes dřune histoire des idées qui suppose une « sécularisation » des schémas théologiques et leur inhérente

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« résorption » dans la modernité, comme chez Weber. Au contraire, il sřagira dřinscrire le nihilisme à lřintérieur dřun projet généalogique où il sřagit de repérer le formatage théologico-moral des mécanismes biopolitiques comme problème tactique dřinvestissement des forces. Le nihilisme joue alors comme agencement qui a pour champ dřapplication les corps et leurs forces, ou encore, comme pratique de qualification dřordre individualisant et subjectivant. Articulation entre pouvoir, forces, tactiques et stratégies, le nihilisme se réactive à partir dřune implantation théologico-politique de lřidée de perfection dans le procès de perfectionnement illimité du corps. Afin dřappuyer notre réflexion, nous présenterons une série de cas de figures tirées du champ neuroscientifique et de la pharmacologie qui montrent lřémergence dřune forme de nihilisme à partir de la problématique dřune technologie biopolitique dřindividualisation du vivant.

Toutefois, notre réflexion sur le nihilisme serait incomplète si elle se résumait à la seule description de ses modalités dřexercice et de ses finalités productives. Cřest ce qui fait quřaprès avoir traité la formation nihiliste du biopouvoir à partir des outils conceptuels foucaldiens, nous poserons la question suivante : peut-on penser des pratiques de résistance en rapport avec un nihilisme qui procède par la mise en place des mécanismes productifs dřindividualisation ? Nous le savons, la résistance chez Foucault nřest pas seulement une résistance au pouvoir, mais aussi et surtout une résistance qui est antérieure ou immanente à lřexercice du pouvoir. Notre problème nřest pas tant de penser une résistance à lřexercice du pouvoir, mais une résistance qui sřarticule à un nihilisme du pouvoir. Ce mot « résistance », qui joue comme lřappel dřun réel distinct de celui du pouvoir, au sens où il nřest pas encore codé ou produit par le pouvoir, a-t-il une valeur pratique ? Si oui, comment ? Nous verrons quřafin dřétablir le rapport du nihilisme à la résistance, il faudra poser que ces notions ont pour champ dřapplication, non pas vraiment lřobjet générique de vie, comme cřest le cas chez Foucault, mais plutôt le champ du vivant particulier. Autrement dit, le nihilisme implique le traitement de deux processus : un processus dřindividualisation et un processus de subjectivation. La rencontre du nihilisme et de la résistance se joue à travers ces deux processus qui sont, selon nous, distincts, mais corrélatifs.

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On pourrait nous objecter que cette figure dřun nihilisme qui a comme champ dřapplication le vivant nřest pas si éloignée du traitement dřun nihilisme qui serait un attribut intrinsèque des sujets particuliers ou des individus spécifiques, comme le pense par exemple Merquior (1986) à propos de Foucault et Danto (2005) à propos de Nietzsche. À cette objection, il faudra répondre que notre traitement du nihilisme ne vise pas à débusquer les attributs essentiels des êtres pensants et vivants, mais plutôt les mécanismes de production de pouvoir qui qualifient la forme de vie spécifique des individus et des sujets biopolitiques. À notre sens, ces notions de « nihilisme du pouvoir », de « résistance » et de « subjectivité vivante » doivent être réfléchies à partir de leurs propres limites. Cřest à propos de ces dernières que nous retrouverons lřimpensé de lřœuvre de Foucault, évoqué au début de cette introduction. Lřimpensé chez Foucault, cřest non seulement le réel de lřexcès dans lřexercice du pouvoir, mais cřest aussi celui de la désubjectivation comme pratique de résistance au nihilisme du biopouvoir. La désubjectivation est bien distincte dans sa formation et ses effets, du nihilisme du pouvoir individualisant et subjectivant. Dans la dernière partie de la thèse, cette pratique de résistance au nihilisme du biopouvoir portera un nom Ŕ la « déprise de soi ». On pensera sa forme princeps dans la stultitia, dont Foucault emprunte à Sénèque la thématisation. À la différence de Foucault, toutefois, on la posera comme une pratique de désubjectivation de soi qui sřoppose, terme à terme, au souci de soi comme subjectivation de soi par soi qui se réalise à travers un rapport plein. Plus précisément, la stultitia est un état qui ne peut pas réactiver une présence à soi dřun triple point de vue: le stultus ne dispose pas dřune faculté de jugement opératoire, dřune faculté de volition droite, et sa stultitia disqualifie lřusage de sa mémoire. Cřest ainsi que la stultitia est un état de dispersion qualifié en termes «d'absence d'esprit », dans la mesure où le stultus laisse sa vie s'écouler dans l'absence de ces facultés qui procurent un rapport finalisé à soi. La dispersion à travers la stultitia est une forme de perte de soi, précisément dans le sens où elle donne consistance et fait émerger une absence de projet ou absence dřœuvre. Peut-être plus encore que la seule « déprise de soi », la « perte de soi » que nous voyons inscrite dans la stultitia exigerait une analyse plus approfondie. Mais nous avons cru bon dřarrêter le texte même de la thèse à lřanalyse de la déprise de soi comme telle. Cřest la raison pour laquelle cřest seulement en annexe que nous avons placé un

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développement autonome et encore spéculatif sur la « perte de soi », construit à partir dřune lecture de Chestov.

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PARTIE I

La problématique foucaldienne du pouvoir et du pouvoir

disciplinaire en particulier

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CHAPITRE 1

Pôle technologique et pôle gouvernemental : éléments

pour une géologie du pouvoir

La diversité réelle des formes de pouvoir contraignit Foucault à distinguer des types de pouvoir, la modulation de sa problématisation selon les contextes le conduisit à diversifier les métaphores pour les saisir par la pensée. Aborder le traitement du pouvoir chez Foucault dans une perspective généalogique, tout en reconnaissant que celle-ci est aussi celle adoptée par lřauteur, mène ainsi à poser que la notion de pouvoir chez Foucault est clivée et quřelle renvoie à lřexistence de deux pôles, à la fois distincts et complémentaires dans leur conformation et leur finalité, un pôle technologique et un pôle gouvernemental. Le principe de cette distinction ne fait pas lřunanimité chez les commentateurs,2 mais il a bien dřores et déjà été reconnu. Ainsi, T. Lemke oppose ce qu'il appelle « l'hypothèse nietzschéenne du pouvoir comme lutte et guerre » à lřanalyse de la « gouvernementalité ». Cependant, même si lřinterprétation de Lemke est la plus proche de la nôtre, elle est selon nous trop encline à adopter un point de vue « évolutionniste » sur lřœuvre. Lemke nřadopte pas un point de vue généalogique et sa critique nřest pas « interne » à l'œuvre. Ainsi, l'hypothèse nietzschéenne du pouvoir est-elle présentée par lui en termes strictement négatifs, et lřinterprétation laisse

2 S. Legrand, par exemple, oublie de poser lřun des deux termes, le pôle technologique, et ce dernier est tout

simplement absorbé dans lřautre. Legrand assimile le pouvoir chez Foucault au seul pôle gouvernemental, à une relation à lřintérieur de laquelle chacun tente dřagir sur lřaction de lřautre : « La notion de relation de pouvoir, de manière très générale, désigne chez Foucault lřexistence, dans une relation interindividuelle, dřune dissymétrie, actuelle ou virtuelle telle que lřun au moins des relatés puisse par sa conduite déterminer de manière plus ou moins durable la conduite de lřun au moins des autres relatés.[…] Le pouvoir est toujours action sur des dispositions à agir ou des actions possibles, parce que le côté « conduit » ou « agi » est lui-même toujours un sujet dřactions et de conduction. » (Legrand, 2003 : 118-120).

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