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Jugement clinique vs. évaluation actuarielle du risque de récidive criminelle : le cas mystérieux de la dérogation clinique

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Academic year: 2021

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© Julien Fréchette, 2021

Jugement clinique vs. évaluation actuarielle du risque

de récidive criminelle: Le cas mystérieux de la

dérogation clinique

Mémoire

Julien Fréchette

Maîtrise sur mesure

Maître ès arts (M.A.)

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JUGEMENT CLINIQUE VS. ÉVALUATION ACTUARIELLE

DU RISQUE DE RÉCIDIVE CRIMINELLE

Le cas mystérieux de la dérogation clinique

Mémoire

Julien Fréchette

Sous la direction de :

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ii

Résumé

L’évaluation et la gestion du risque de récidive criminelle sont dorénavant des pratiques courantes dans les systèmes correctionnels occidentaux. Au Canada, le modèle de gestion du risque est fermement organisé selon les lignes directrices établies par le modèle de risque-besoins-réceptivité (RBR; Andrews, Bonta & Hoge, 1990). Différents outils ont été conçus afin d’encadrer les praticiens dans l’évaluation des composantes RBR, notamment le Level of Service and Case Management Inventory (LS/CMI; Andrews, Bonta & Wormith, 2004). Cet instrument est basé sur des principes d'évaluation du risque priorisant la méthode actuarielle au jugement clinique. Malgré tout, les concepteurs de l’outil ont autorisé, dans une certaine mesure, un jugement subjectif des évaluateurs pour ajuster le niveau de risque de récidive criminelle dans certaines circonstances. Cette discrétion accordée aux évaluateurs pour ajuster le risque actuariel est appelée dérogation clinique. Bien que la dérogation clinique représente un pouvoir discrétionnaire important au sein de l’appareil pénal, peu d’études ont été menées sur cette pratique. Pour l’instant, la majorité des études réalisées concernent la validité prédictive de celle-ci. Le regard limité des études antérieures sur la validité prédictive ne permet pas de comprendre les mécanismes entourant la dérogation. Ainsi, à la lumière des écrits, bien que la dérogation soit une pratique répandue, celle-ci reste méconnue en termes de prévalence et de contextes d’utilisation. À l’aide d’un échantillon incluant les détenus et les probationnaires québécois évalués à l'aide du LS/CMI entre 2008 et 2011 (n = 19 710), des analyses d’arbres décisionnels ont été réalisées pour identifier les profils de contrevenants faisant l’objet d’une dérogation du niveau de risque. Les résultats suggèrent que le choix de déroger est une décision rarissime, mais qui semble être majoritairement influencé par la nature de la condamnation au moment de l’évaluation LS/CMI et le score actuariel.

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iii

Abstract

Assessing and managing criminal recidivism risk are now common practices in Western corrections. In Canada, the risk management model is firmly established along the guidelines set by the risk-needs-responsivity model (RNR; Andrews, Bonta & Hoge, 1990). Various tools have been designed to guide practitioners in the evaluation of RNR components, including the Level of Service and Case Management Inventory (LS/CMI; Andrews, Bonta & Wormith, 2004). This instrument is based on risk assessment principles prioritizing the actuarial method to clinical judgment. However, the tool's developers allowed, to some extent, a subjective judgment from the assessors to modify the criminal recidivism risk level in certain circumstances. This discretion granted to assessors to adjust actuarial risk is referred to as the clinical override. Although the clinical override represents an important discretion within the criminal justice system, few studies have been conducted on this practice. For the moment, studies carried out address almost exclusively its predictive validity. Indeed, the scope of previous studies limited to the predictive validity does not allow the understanding of mechanisms surrounding the risk-based override. In light of the scientific literature, although the override is a widespread practice, it remains unknown in terms of prevalence and utilization contexts. Using data from a sample of Quebec inmates and probationers assessed featuring the LS/CMI between 2008 and 2011 (n = 19,710), decision tree analyses were conducted to identify profiles of overridden offenders. The results suggest that the decision to override is extremely rare and seems to be mainly influenced by the nature of the index offense and the risk score prior to the override.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Liste des figures, tableaux, illustrations ... vi

Liste des abréviations, sigles, acronymes ... vii

Remerciements ... x

Introduction ... 1

1. Recension des écrits ... 3

1.1 Mise en contexte ... 3

1.1.1 Les premiers pas de l’évaluation: le jugement clinique (1920-1970) ... 3

1.1.2 Le Nothing Works! (1970-1980) ... 7

1.1.3 L’entre-deux (1980-1990) ... 8

1.1.4 La nouvelle pénologie (1990- ) ... 8

1.2 Les méta-analyses sur le débat actuariel versus clinique ... 9

1.2.1 Les limites de l’évaluation du risque purement actuarielle ... 10

1.3 Une alternative mitoyenne ... 12

1.4 La dérogation clinique ... 14

1.4.1 Les recherches examinant la dérogation clinique ... 15

1.5 La problématique ... 19 1.5.1 La présente étude ... 20 2. Méthodologie ... 22 2.1 Participants ... 22 2.2 Procédures ... 23 2.3 Mesures et instruments ... 25

2.3.1 Le Level of Service and Case Management Inventory (LS/CMI) ... 25

2.4 Données manquantes ... 30

2.5 Stratégie analytique ... 31

2.5.1 Modèle conceptuel ... 31

2.5.2 Analyses univariées ... 34

2.5.3 Analyses bivariées ... 34

2.5.4 Les arbres décisionnels ... 35

3. Résultats ... 45

3.1 La prévalence de la dérogation clinique ... 45

3.1.1 Prévalence générale ... 45

3.1.2 Prévalence en vertu du niveau de risque initial ... 47

3.2 Les indicateurs associés à la dérogation clinique ... 48

3.2.1 Les caractéristiques sociodémographiques ... 48

3.2.2 Les caractéristiques criminométriques ... 51

3.2.3 Sommaire des analyses descriptives ... 57

3.3 Les convergences des caractéristiques menant à la dérogation clinique ... 58

3.3.1 Arbres décisionnels selon la présence d’une dérogation clinique au dossier ... 58

3.3.2 Arbres décisionnels selon le sens de la dérogation clinique ... 66

4. Discussion ... 73

4.1 La dérogation clinique : un phénomène fréquent? ... 74

4.1.1 L’outil d’évaluation ... 74

4.1.2 La surreprésentation des dérogations à la hausse ... 75

4.2 Les caractéristiques associées à l’utilisation de la dérogation clinique ... 76

4.2.1 Le score actuariel ... 76

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v

4.2.3 La nature de la condamnation au moment de l’évaluation LS/CMI ... 78

4.2.4 Le type de sentence ... 80

4.3 Les profils des PCODC ... 81

4.4 Les limites de la présente étude ... 84

4.5 Suggestions de recherche futures ... 86

Conclusion ... 88

Bibliographie ... 90

Annexe A <Codification et description des items du LS/CMI> ... 98

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vi

Liste des figures, tableaux, illustrations

Liste des tableaux

Tableau 1. Distribution des études sur la dérogation clinique . . . . . . 16 Tableau 2. Informations descriptives de l’échantillon . . . . . . . 23 Tableau 3. Prévalence de la dérogation clinique auprès d’un échantillon de personnes contrevenantes

québécoises . . . . . . . . . . . 45

Tableau 4. Distribution des PCODC en fonction du niveau de risque initial établi par le LS/CMI . . 47 Tableau 5. Proportion de dérogations cliniques en fonction des caractéristiques sociodémographiques . 49 Tableau 6. Informations sur la condamnation actuelle et l’évaluation et la gestion du risque des PCODC . 52 Tableau 7. Sommaire des analyses exploratoires entre les sections du LS/CMI et la présence d’une dérogation

clinique au dossier . . . . . . . . . . 56

Tableau 8. Sommaire des analyses exploratoires entre les sections du LS/CMI et le sens de la dérogation

clinique au dossier . . . . . . . . . . 56

Tableau 9. Aires sous la courbe des arbres décisionnels . . . . . . 65

Liste des figures

Figure 1. Modèle conceptuel de la présente étude . . . . . . . 32

Figure 2. Modèle d’arbre décisionnel . . . . . . . . 38

Figure 3. Fréquences des PCODC en fonction de l’année d’évaluation du contrevenant . . . 46 Figure 4. Distribution des dérogations cliniques selon le score au LS/CMI . . . . 48 Figure 5. Distribution des dérogations cliniques selon le sens ce celle-ci . . . . 54 Figure 6. Arbre décisionnel du modèle sans contraintes utilisant les items individuels du LS/CMI par rapport à la présence d’une dérogation clinique au dossier . . . . . . . 59 Figure 7. Arbre décisionnel du modèle sans contraintes utilisant la version agrégée des items du LS/CMI par rapport à la présence d’une dérogation clinique au dossier . . . . . . 61 Figure 8. Arbre décisionnel du modèle sans score actuariel utilisant les items individuels du LS/CMI par rapport à la présence d’une dérogation clinique au dossier . . . . . . . 63 Figure 9. Arbre décisionnel du modèle sans score actuariel utilisant la version agrégée des items du LS/CMI par rapport à la présence d’une dérogation clinique au dossier . . . . . 64 Figure 10. Arbre décisionnel des modèles sans contraintes et de restriction du risque utilisant les items individuels du LS/CMI par rapport au sens de la dérogation clinique . . . . . 67 Figure 11. Arbre décisionnel des modèles sans contraintes et de restriction du risque utilisant la version agrégée des items du LS/CMI par rapport au sens de la dérogation clinique . . . . . 68 Figure 12. Arbre décisionnel du modèle sans score actuariel utilisant les items individuels du LS/CMI par rapport

au sens de la dérogation clinique . . . . . . . . . 70

Figure 13. Arbre décisionnel du modèle sans score actuariel utilisant la version agrégée des items du LS/CMI

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Liste des abréviations, sigles, acronymes

AACA: Antécédents d’actes criminels pour une agression sexuelle

AACB: Antécédents d’actes criminels pour une agression physique non-sexuelle et autres formes de violence AACC: Autres formes de comportement antisocial

AC: Antécédents criminels AD: Arbre décisionnel

AGR: Version agrégée des items du LS/CMI AOP: Attitudes et/ou orientations procriminelles

AUC: Area Under the Curve (coefficient d’aire sous la courbe) CA: Type de comportement antisocial

CHAID: Chi-square Automatic Interaction Detector CRT: Classification and Regression Tree

ÉE: Éducation ou emploi

ERASOR: Estimate of Risk of Adolescent Sexual Offense Recidivism FC: Famille et couple

FR: Fréquentations

HCR-20: Historical-Clinical-Risk Management-20 ITM: Version individuelle des items du LS/CMI JCS: Jugement clinique structuré

LAR: Loisirs et activités récréatives

LSCQ: Loi sur le système correctionnel du Québec LSI-R: Level of Service-Revised

LSI-OR: Level of Service-Ontario Revised

LS/CMI: Level of Service and Case Management Inventory MAX: Maximum

MIN: Minimum

MnSOST-R: Minnesota Sex Offender Screening Tool–Revised MSPQ: Ministère de la Sécurité publique du Québec

PAD: Problèmes d’alcool ou de drogues

PCODC: Personne(s) contrevenante(s) ayant été l’objet d’une dérogation clinique PPPC: Problèmes personnels ayant un potentiel criminogène

QUEST: Quick Unbiased Efficient Statistical Tree RBR: Risque-besoins-réceptivité

RÉC: Considérations particulières liées à la réceptivité RIS: Risque

ROC: Receiver Operating Characteristic

SAVRY: Structured Assessment of Violence Risk in Youth SCQ: Service correctionnel québécois

SPSS: Statistical Package for the Social Sciences T.S.: Travailleur social

VI: Version des items du LS/CMI

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viii

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ix

< Le crime et la peur du crime, à présent, nous

concernent tous. (Garland, 2007, p.402) >

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Remerciements

J’aimerais tout d’abord remercier mon directeur Dr Patrick Lussier pour son soutien tout au long de cette magnifique expérience qui, manifestement, se poursuivra dans les prochaines années. Sans vos conseils et votre encadrement, je n’aurais jamais pu mener à terme un tel projet en si peu de temps. Vous m’avez écouté tout en faisant des suggestions constructives et utiles à mon développement professionnel. Je n’aurais pas pu demander une direction s’harmonisant plus à mon tempérament et mon besoin d’encadrement. Merci mille fois pour votre temps et votre patience.

Par la suite, j’aimerais remercier Dr Yanick Charrette qui a su m’aider dans ma démarche analytique et avec toute autre question concernant la méthodologie de recherche. Les discussions dans votre bureau sont toujours enrichissantes et divertissantes.

À tous les Héliceurs, les agents d’Overwatch, les colocs en or ainsi que les membres de ma famille, je prends le temps de vous louangez pour votre patience et votre soutien dans les moments plus difficiles. Votre présence a définitivement facilité mon passage aux études supérieures. Je m'estime chanceux de vous avoir dans ma vie.

Toutes mes reconnaissances vont au Centre international de criminologie comparée pour leur aide financière durant la phase de rédaction. Votre support m’aura permis de me concentrer davantage sur mon projet d’étude, et ce, malgré les difficultés qu’ont entraîné les circonstances actuelles.

Finalement, un immense merci au comité pour la révision et les commentaires à l’égard de mon projet. C’est avec sincérité que je vous remercie pour votre temps et votre investissement.

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Introduction

« Les actions et les décisions des divers intervenants impliqués dans la réhabilitation et la réinsertion sociale des personnes contrevenantes s’assujettissent aux plus exigeants standards de rigueur méthodologique, de cohérence et de continuité, de transparence, de justice et d’équité. » (Rapport Corbo, 2001, p.174)

Au Canada, les individus qui ont été condamnés à une peine d’emprisonnement (avec ou sans sursis) ou de probation font systématiquement l’objet d’une évaluation du risque et des besoins qui remplit plusieurs fonctions, notamment la modulation de l’intervention en termes de fréquence et d’intensité. L’intervention fait référence aux différents programmes disponibles et offerts aux individus afin de modifier les besoins criminogènes, et par extension, réduire le risque de récidive post-sentence sachant que ceux-ci seront appelés à réintégrer la société à un moment ou à un autre. Pour ces raisons, s’intéresser à la gestion et à l’évaluation du risque de récidive des personnes contrevenantes au Québec sont des tâches nécessaires. Cette dite évaluation est conforme au modèle risque-besoins-réceptivité (RBR; Andrews, Bonta & Hoge, 1990). Le principe de risque fait référence à l’importance d’harmoniser le niveau de services (par ex., groupe d’aide) offert et dispensé à l’individu selon ses probabilités de récidive. Le principe de besoin fait référence aux éléments problématiques dans la vie du contrevenant qui augmentent son potentiel de récidive (par ex., la consommation répétitive de drogue chez un individu augmente son potentiel de récidive). Cela dit, ce concept fait appel à la pertinence d’évaluer les besoins criminogènes du contrevenant et de les cibler lors de l’intervention afin d’assurer un retour dans la communauté comportant un risque de récidive le plus faible possible. Le principe de réceptivité soulève l’importance d’adapter l’intervention aux points forts, aux caractéristiques biosociales et aux capacités cognitives et motivationnelles de la personne contrevenantes (par ex., trouble mental, déficience intellectuelle). Ces considérations reconnaissent la singularité des personnes contrevenantes et facilitent ainsi leur adhérence au plan d’intervention proposé.

Afin d’accompagner l’évaluateur dans l’évaluation des trois composantes RBR, des chercheurs ont développé des inventaires combinant un outil d’évaluation du risque et des besoins et un outil de gestion et de planification de l’intervention. L’un des inventaires les plus utilisés est le Level of Service and Case

Management Inventory (LS/CMI; Andrews, Bonta & Wormith, 2004). Ces instruments, dont le LS/CMI, sont

basés sur des principes d'évaluation du risque priorisant la méthode actuarielle au jugement clinique. Bien que les concepteurs de certains de ces outils n’avaient pas en tête la réalité québécoise – notamment la présence d’évaluateurs compétents et formés sur l’étiologie du comportement criminel – ces derniers ont toutefois laissé une porte ouverte de sorte que les instruments permettent, dans une certaine mesure, un jugement subjectif des évaluateurs pour ajuster le niveau de risque de récidive criminelle dans certaines

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circonstances qui demeurent floues. Cette discrétion accordée aux évaluateurs pour ajuster le risque actuariel est appelée dérogation clinique et est le sujet du présent projet de recherche.

La présente étude exploratoire auprès d’une cohorte de contrevenants sous la juridiction du service correctionnel québécois (SCQ) a pour objectif d’identifier les profils de personnes contrevenantes ayant été l’objet d’une dérogation clinique (PCODC). La tenue d’une telle recherche comporte d’importants apports à la littérature scientifique en plus d’avoir de possibles retombées positives dans les pratiques des évaluateurs. Pour se faire, des analyses d’arbres décisionnels ont été menées afin de cerner les convergences de caractéristiques sociales, familiales, personnelles et criminelles des détenus et des probationnaires qui sont susceptibles d’entraîner l’utilisation de la dérogation clinique par les évaluateurs.

Parmi les apports dans le domaine, la présente démarche de recherche permet de regrouper au sein d’une seule étude: une synthèse des connaissances actuelles sur la dérogation clinique par l’entremise d’une revue de littérature exhaustive et une étude empirique utilisant une perspective nouvelle d’un phénomène peu connu – en l’occurrence la dérogation clinique. En effet, la présente étude a l’intention d’ajouter aux connaissances existantes sur des volets descriptifs comme la prévalence de la dérogation clinique et les caractéristiques des PCODC.

D’un point de vue strictement sociale et disciplinaire, les profils de PCODC seront utiles pour les évaluateurs. Actuellement, ces derniers ne bénéficient pas de rétroactions par rapport à leurs décisions, notamment celle de déroger un contrevenant de son niveau de risque. En effet, les évaluateurs n’ont pas de retour sur leurs décisions de déroger ou non des résultats de l’évaluation actuarielle. Cela dit, l’élaboration de profils permet de faire émerger des patrons de dérogation, et par extension, d’aider les évaluateurs à cerner leur tendance à déroger. Cette vision de soutien aux évaluateurs se distingue des études antérieures en cherchant à assister les évaluateurs dans leurs pratiques quotidiennes en ciblant les profils de PCODC.

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1. Recension des écrits

1.1 Mise en contexte

1.1.1 Les premiers pas de l’évaluation: le jugement clinique (1920-1970)

Les débuts de l’évaluation sont dominés par les psychiatres1 (de même que leurs prédécesseurs, notamment les aliénistes et les spécialistes de la maladie mentale) et le jugement clinique (Colaizzi, 1983). Ce mode d’évaluation prend souvent la forme d’une discussion entre l’évalué et l’évaluateur et permet à ce dernier de rendre une décision en fonction de ses connaissances, ses perceptions et son expérience professionnelle (Grove & Meehl, 1996; Bonta & Andrews, 2007). À cette époque, l’évaluation portait davantage sur la dangerosité, un terme généralement associé à des comportements violents (Kozol, Boucher & Garofalo, 1972; National Council on Crime and Delinquency, 1963). En effet, alors qu’il s’agissait d’un concept imprécis, certains psychiatres considéraient le risque comme l’expression de conduites dangereuses suggérant des actes imprévisibles et violents commis par ceux qu’on appelait malades mentaux ou aliénés mentaux (Castel, 1983). Ainsi, les psychiatres cherchaient à prédire l’imprédictible comme le soulignent les docteurs Constant, Lunier et Dumesnil (1878) : « inoffensifs aujourd’hui, ils peuvent devenir dangereux demain. » Malgré cette incohérence dans la définition et l’opérationnalisation du concept de dangerosité, les psychiatres reconnaissent la pertinence d’évaluer le risque des aliénés mentaux, et par extension, des personnes contrevenantes potentiellement dangereuses envers autrui.

De façon général, les contrevenants qui étaient considérés dangereux étaient maintenus à l’hôpital pour de très longues durées, et ce même au-delà de la durée de leur sentence (Murrah, 1963) afin de les traiter et protéger la communauté. D’ailleurs, plusieurs États américains ont adopté des lois autorisant l’engagement d’une personne pour une durée indéterminée dans un hôpital psychiatrique pour des fins de traitement, particulièrement pour les psychopathes et les délinquants sexuels (Piperno, 1974). Une pratique relativement répandue était de les libérés lorsqu’ils n’étaient plus jugés dangereux par les psychiatres. Ainsi, l’évaluation de la dangerosité avait des retombées considérables dans la vie des personnes contrevenantes, notamment, en limitant l’importance de la durée de la sentence prononcée par le juge. Ces pratiques concernant l’évaluation du risque resteront intactes durant plusieurs années pour plusieurs raisons. D’une part, l’infime littérature empirique sur le sujet créée par l’absence de suivi post-libératoire gêne l’appréciation ou l’amélioration de l’évaluation clinique des psychiatres. Cela s’explique, notamment, par la tendance de certains hôpitaux psychiatriques de l’époque à être des milieux dont l’accès était restreint aux gens de

1 Afin d’alléger le texte, l’auteur ne fera référence qu’aux psychiatres et à la psychiatrie, mais il est important de noter que d’autres

praticiens provenant d’autres disciplines ont utilisé ce schème de prédiction et ont été l’objet d’une évolution et des critiques semblables.

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l’extérieur. Les pratiques étaient peu balisées par des directives méthodologiques permettant aux psychiatres de pratiquer à leur guise, ce qui a engendré des abus (Nasrallah, 2011). D’autre part, aucune méthode émergente ne menaçait l’évaluation clinique.

Éventuellement, deux initiatives distinctes seront à l’origine d’une révolution dans l’évaluation du risque des personnes contrevenantes. La première datant du début du siècle reconnue pour l’émergence de l’évaluation des personnes contrevenantes via un outil actuariel. Ce mouvement avait débuté aux États-Unis durant les années 1920 (par ex., Warner, 1923; Burgess, 1928). La deuxième mouvance nommée antipsychiatrie par David Cooper (Nasser, 1995) survient plus tard, soit dans les années 1960, mais prendra une ampleur plus importante.

1.1.1.1 L’évaluation actuarielle: une initiative de l’Illinois

L’évaluation actuarielle est - contrairement à l’évaluation clinique (des psychiatres) présentée précédemment - une approche statistique théoriquement exempte de jugement humain. En effet, la méthode actuarielle est basée sur l’utilisation de facteurs empiriquement liés à la récidive criminelle (Meehl, 1954) et d’une table de prédiction permettant de qualifier et de quantifier les probabilités de récidive d’un individu (Bonta & Andrews, 2007). Alors que la majorité des écrits scientifiques attribue l’idée de la conception de l’évaluation actuarielle dans le domaine de la criminologie au sociologue de l’école de Chicago, Ernest W. Burgess, il s’agit plutôt d’une initiative issue de l’Institute of Criminal Law and Criminology de l’Oregon par un directeur de l’époque nommé Sam B. Warner (1923). En effet, c’est en 1923 que ce dernier évoquait la pertinence de circonscrire les facteurs permettant de prédire la réussite ou l’échec de la libération conditionnelle d’une personne contrevenante. En effet, plutôt que d’évaluer la dangerosité, les tenants de l’évaluation actuarielle du début du 20e siècle s’intéressaient à la prédiction du succès de la libération conditionnelle. Bien qu’il semble s’agir d’un schème de prédiction distinct, l’essence est presque identique et vise à anticiper la répétition de comportements criminels et/ou violents. Cela dit, Warner ne mènera pas à terme son initiative, soit le développement d’un outil à usage pratique. D’autres (par ex., Hart, 1923; Witmer, 1927; Borden, 1928) ont suivi ses pas, mais toujours aucun outil permettant une application sur le terrain. Les chercheurs procédaient à des analyses entre des facteurs (par ex., l’âge, le sexe, l’ethnicité) et la réussite de la libération conditionnelle, mais sans jamais proposer de solution tangible comme un outil actuariel.

Comme mentionné précédemment, Ernest Burgess est le premier à proposer (1928) et implanter (1936) un prototype d’évaluation actuarielle. Le manque de ressources financières et d’effectifs et la surpopulation carcérale, plus que la remise en question du jugement clinique, sont à l’origine de l’avènement de la méthode actuarielle de Burgess. Effectivement, l’incapacité des comités de libération à prendre des décisions efficaces

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en termes de justesse et de temps a mené le sociologue à se lancer dans la construction d’un outil qui permettrait de prédire le comportement futur à l’aide de formules strictement statistiques et mathématiques. Dans son étude, Burgess (1928) met en relief les deux méthodes, soit l’évaluation clinique et l’évaluation actuarielle. Sa grille actuarielle consistait en l’addition de 21 indicateurs objectifs associés à la réussite de la libération conditionnelle. À l’inverse, le jugement clinique était représenté par trois psychiatres œuvrant dans le milieu correctionnel. L’objectif de la recherche était de comparer la capacité de prédiction par rapport au succès de la libération conditionnelle de 3,000 contrevenants en Illinois. Les conclusions étaient sans équivoque, la méthode actuarielle était plus précise dans la prédiction de l’issue de la libération conditionnelle d’un délinquant que le jugement clinique des psychiatres.

Mis à part les avancés techniques des travaux de Burgess, plusieurs autres chercheurs de l’École de Chicago et du Illinois Department of Corrections se sont intéressés à la question de l’uniformisation de l’évaluation des personnes contrevenantes par l’évaluation actuarielle. Par ailleurs, les Gluecks (1930) proposaient un modèle simplifié (7 items seulement) et pondéré (accorde une valeur différente aux modalités de réponse) de grille actuarielle. Or, peu d’attention leur sera accordée en raison de l’absence d’indicateurs liés à la vie sociale et à la socialisation du contrevenant. Dans un autre ordre d’idées, Charlotte Ruth Klein (1935) s’est intéressée, contrairement à Burgess, à l’évaluation du risque de récidive des femmes contrevenantes, la première à faire ainsi dans le domaine. Pour sa part, Lloyd Ohlin (1951), un professeur de Droit à Harvard a actualisé les travaux de Burgess afin de publier le premier ouvrage sur l’utilisation de la prédiction actuarielle dans un contexte de libération conditionnelle. Il s’agit du premier outil depuis celui de Burgess en 1928 qui sera utilisé dans le système carcéral malgré la tenue de nombreuses études sur le sujet (par ex., Vold, 1931; Tibbitts, 1931; Monachesi, 1932; Van Vechten, 1935; Agrow, 1935; Laune, 1936; Redden, 1942; Weeks, 1943). Ces travaux précurseurs ont contribué à la remise en question de la psychiatrie en tant que science exacte, et par extension, de la primauté de la méthode basée uniquement sur le jugement clinique dans l’évaluation des personnes contrevenantes. Cependant, bien que cette initiative du Illinois Department of Corrections est noble, le mouvement antipsychiatrique entamé vers la fin des années 1960, entre autres par les écrits de David Cooper (1967), est également responsable du déclin du jugement clinique au sein de l’évaluation du risque des personnes judiciarisées.

1.1.1.2 Le mouvement antipsychiatrique

L’antipsychiatrie est une critique reposant sur la remise en question des standards médicaux dans les pratiques psychiatriques (Whitley, 2012). Selon les tenants de l’approche antipsychiatrique, le caractère non-scientifique de plusieurs méthodes d’évaluation et de traitement, notamment les électrochocs, la lobotomie et l’ablation de partie du corps (par ex., l’amputation de parties génitales chez un pédophile) sont à l’origine des

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revendications (Nasrallah, 2011; Staub, 2011). Dans le même ordre d’idées, la scientificité des connaissances en psychiatrie est souvent remise en cause en raison de la composante arbitraire et fortement subjective de l’évaluation clinique des psychiatres, et ce, encore aujourd’hui (Nasrallah, 2011; Staub, 2011; Hilton & Simmons, 2001; Côté, Crocker, Nicholls, & Seto, 2012; McDermott & Thompson, 2006). Selon Carlat (2010), l’absence de biomarqueurs est une source importante de problèmes. Cela peut notamment générer des écarts dans les diagnostics des psychiatres. Kozol (1972) souligne d’ailleurs l’imputabilité des psychiatres et la nécessité que ceux-ci prennent de meilleures décisions quant à la prédiction des comportements humains.

Bien que Cooper soit le premier à utiliser le terme antipsychiatrie, le sociologue Erving Goffman s’est intéressé quelques années auparavant, aux limites de la psychiatrie. Dans son livre Asylums, Goffman (1968) suggérait que l’humiliation subie par les patients et la dépravation de l’identité et de l’estime personnelle génèrent des effets pervers, voire même des comportements déviants comme la délinquance. Malgré sa réticence quant à la tenue d’hôpitaux psychiatriques, Goffman refusait d’appuyer la fermeture de ceux-ci. Cela dit, une des retombées majeures du mouvement antipsychiatrique est un dérivé de cette idée, soit le processus de désinstitutionnalisation. Au Québec, ce processus de réduction des lits en psychiatrie est entamé entre 1962 et 1965 (Lecomte, 1997). Cette tendance s’est produite dans plusieurs pays à travers le monde, notamment aux États-Unis à partir des années 50 (Fagin, 1985). Les effets négatifs de cette pratique étaient et sont toujours nombreux, mais dont les plus importants sont le syndrome de la porte tournante (retour continuel des personnes souffrant de troubles mentaux en détention; Hartford, Davies, Dobson, & coll., 2005) et la loi

de Penrose (une diminution du nombre de lits en milieu hospitalier engendre une augmentation de

l’achalandage dans le système carcéral; Penrose, 1939; Hartvig & Kjelsberg, 2009). Ainsi, l’implantation du processus de désinstitutionnalisation aurait graduellement transféré l’évaluation de la dangerosité (et du risque de récidive) du milieu hospitalier avec une vision clinique vers les établissements de détention. Pour leur part, les établissements de détention misent davantage sur la sécurité du public et l’efficacité (ratio temps/performance) du traitement et de l’évaluation. Ce changement vers le système carcéral a certainement joué un rôle dans le virage vers l’évaluation du risque actuariel. Cela dit, ces constats additionnés aux revendications de la mouvance antipsychiatrique se sont manifestés par des exemples concrets dans le domaine de la criminologie, notamment les cas Baxtsrom2 et Dixon3 (par souci de concision, le cas Dixon ne sera pas développé).

Baxstrom était un patient hospitalisé à la suite de l’évaluation d’un psychiatre suggérant qu’il était dangereux pour lui-même et pour autrui. Une fois sa sentence et son hospitalisation complétées, Baxstrom fut jugé

2 Baxstrom v. Herold, 383 U.S. 107 (1966).

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toujours dangereux, ce qui justifia son maintien en institution. Après plusieurs tentatives de transfert vers un hôpital régulier, Baxstrom a poursuivi le directeur Herold pour l’avoir fait purger le double de sa sentence, et ce, en toute illégalité. Il obtiendra finalement gain de cause et au lendemain de cette décision, plus d’un millier de détenus maintenus incarcérés alors qu’ils étaient considérés comme étant dangereux pour la société sont transférés. Près de la moitié d’entre eux retournent en communauté. À ce moment, les chercheurs Cocozza et Steadman (1974) ont profité de ce contexte pour effectuer une étude empirique sur le danger que représentaient ces individus. Alors que les chercheurs s’attendaient à des taux de récidive excessivement élevés considérant le statut de ces individus, les résultats suggéraient plutôt l’inverse. En effet, sur un suivi de 4 ans en communauté, 20 individus parmi les 98 avaient été arrêtés à nouveau. Au sein des arrestations, seulement 7 individus avaient commis un crime violent, ce qui représentait une faible portion de l’échantillon total (7,1%). Alors que certains chercheurs remettaient en question les résultats de l’étude en raison de l’âge avancé des individus, une recherche similaire (Thornberry & Jacoby, 1979 : 11,1% sont arrêtés pour un nouveau crime violent) est venue réitérer l’incapacité des psychiatres à établir avec confiance la dangerosité, et par extension, les probabilités de récidive violente chez les personnes contrevenantes. Ainsi, les reproches théoriques envers l’évaluation clinique se concrétisent par les résultats de recherches empiriques (Cocozza & Steadman, 1975; Thornberry & Jacoby, 1979).

Somme toute, malgré la promotion du jugement clinique et les efforts de protection de cette méthode d’évaluation par les psychiatres, les psychologues et d’autre praticiens, la rencontre des mouvements antipsychiatrique et actuariel a nécessairement influencé la remise en cause du paradigme clinique et aura permis de faire naître une période connue aujourd’hui sous le nom de Nothing Works!.

1.1.2 Le Nothing Works! (1970-1980)

Une volonté de revoir les actions cliniques enclenchée par les écrits précédents culminera dans les années 70. Le Nothing Works! est un mouvement provoqué par les conclusions de l’étude de Robert Martinson (1974) selon lesquelles les programmes de traitements pour les personnes contrevenantes étaient inefficaces pour réduire les taux de récidive. Malgré l’importance de cet article, il serait faux de croire que les résultats d’une seule étude sont à l’origine d’un mouvement d’une telle ampleur. En effet, la crise préalablement décrite culminera plutôt avec la publication de Martinson. De cette façon, alors que cette décennie dans le domaine de la criminologie était marquée par une remise en question des pratiques liées à la prise en charge des contrevenants, Monahan (1981) y voit une opportunité de critiquer le jugement des cliniciens évaluant le risque. Dans la foulée de ce mouvement, Monahan (1981) a constaté à la suite d’analyses sur des recherches antérieures, notamment celles de Cocozza et Steadman (1974) et Thornberry et Jacoby (1979), que les

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cliniciens et les psychiatres utilisant le jugement clinique avaient tendance à surestimer le risque de récidive et à commettre des erreurs de prédictions importantes. Autrement dit, les psychiatres préféraient classer un individu comme récidiviste en cas d’incertitude, ce qui générait de fortes proportions de faux positifs. Dans un objectif de synthèse et d’amélioration des pratiques, Monahan (1981) a proposé six constats sur l’évaluation du risque à la lumière des écrits scientifiques de l’époque. Parmi ceux-ci figuraient la vision limitée à la personnalité du principe de dangerosité4, l’absence de prédicteurs pouvant aider les psychiatres dans leurs évaluations et la rareté des rétroactions quant aux décisions des psychiatres. En d’autres mots, Monahan suggérait un remaniement de l’évaluation en passant par la clarification et l’opérationnalisation du concept de dangerosité, en plus de l’importance de tenir des recherches sur les prédicteurs des comportements criminels futurs.

1.1.3 L’entre-deux (1980-1990)

La décennie des années 80 est une période de transition. Harcourt (2007) décrit la montée progressive vers la prochaine période, le virage actuariel, comme un processus excessivement lent. En raison des résidus du

Nothing Works (1974) et la nécessité de trouver une alternative potentielle à la prison et à la réhabilitation, il

est possible de qualifier les années 80 comme une époque de transition relativement calme comportant des changements progressifs (par ex : l’utilisation de certains outils actuariels).

1.1.4 La nouvelle pénologie (1990- )

Dès les années 90, les services correctionnels nord-américains, ont adopté un modèle d’évaluation et de gestion du risque criminel articulé autour de l’utilisation de la méthode actuarielle (Feeley & Simon, 1992; Quirion & D’Addese, 2011). Ce virage appelé nouvelle pénologie (Feeley & Simon, 1992) s’effectuait dans toutes les sphères de la société, mais trouvait davantage de sens dans le champ pénal. Ce courant de pensée était fondé sur le principe de la société du risque. Selon cette notion largement développée par le sociologue allemand Ulrich Beck (1992), la société occidentale avait subi d’importants changements (par ex., idéologie, composition de la population, etc.) entraînant de nouveaux enjeux, dont la gestion constante des risques. Parmi les risques émergeaient la délinquance et la criminalité. Autrement dit, en vertu des principes de la nouvelle pénologie, la délinquance était un risque inévitable et régulier qui devait être géré par les instances de justice pénale, notamment, par l’utilisation d’une méthode d’évaluation structurée et objective, ce que propose l’évaluation actuarielle. Si l’utilisation d’une telle pratique était possible, c’est notamment en raison

4 Les facteurs pris en considération dans l’évaluation relèvent presque uniquement de la personnalité, et ce, au détriment d’autres

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de l’étude de Monahan et Steadman (1994). Ces derniers feront trois recommandations pour améliorer la qualité de l’évaluation du risque. Premièrement, les facteurs de risque (prédicteurs) doivent informer sur le risque de récidive de façon empirique. Deuxièmement, le type de comportement délinquant prédit doit être spécifié (par ex., récidive sexuelle, violente, générale, non-violente, etc.). Troisièmement, il est pertinent de réévaluer régulièrement l’individu dans l’optique où les probabilités fluctuent. Ces suggestions auront permis d’élargir le bassin de prédicteur de la récidive et d’améliorer la précision de la prédiction actuarielle. Malgré l’arrivée en force de cette technique d’évaluation, il est de mise de se questionner quant à la qualité de celle-ci, plus particulièrement lorsqu’elle est comparée au jugement clinique des évaluateurs. Pour se faire, plusieurs méta-analyses sur le sujet ont été menées.

1.2 Les méta-analyses sur le débat actuariel versus clinique

Tout au long de ces périodes, mais plus précisément à partir de l’avènement de la nouvelle pénologie, des chercheurs se sont questionnés quant aux capacités prédictives de chacune des méthodes d’évaluation au-delà des hypothèses et des suppositions. La meilleure méthode parmi l’évaluation actuarielle et le jugement clinique des évaluateurs sera celle qui produit le moins d’erreurs de prédiction. Pour se faire, plusieurs chercheurs ont mené des méta-analyses. Bien que la qualité d’une méta-analyse est majoritairement déterminée par la qualité des études qui la compose, il s’agit d’une synthèse concise de la littérature scientifique sur un sujet ciblé. Les conclusions d’une méta-analyse sont étoffées.

Meehl (1954) a publié l’un des ouvrages les plus complets concernant ce débat. Bien qu’il ne s’agisse pas théoriquement d’une méta-analyse, il est pertinent de mentionner cet effort de Meehl de passé en revue 20 études comparatives opposant le jugement clinique et le jugement actuariel sur l’un des indicateurs suivants: la récidive, le succès d’un programme ou d’un cheminement scolaire et le rétablissement d’une psychose majeure. Dans l’ensemble des études, sauf une, la méthode actuarielle était supérieure ou égale à la méthode clinique. Meehl (1954) vient alors réitérer les conclusions de Burgess (1928) en déclarant que rien ne laisse croire que l’intuition des évaluateurs, et par extension le jugement clinique, est bénéfique dans l’amélioration de la prédiction. Bien que certains auteurs critiquent les conclusions de cette étude (voir Replies to Commonly

Heard Objections dans Grove & Meehl, 1996), une méta-analyse plus récente sur la littérature empirique

comparant la prédiction du jugement clinique et la méthode actuarielle a été menée par Grove, Zald, Lebow, Snitz et Nelson (2000). Les chercheurs ont combiné 136 études comparatives portant sur les comportements humains dans les domaines d’expertises suivants: l’éducation (n = 18), les finances (n = 5), le psycholégal (n = 10), le médical (n = 51), le clinique (n = 41) et autres (n = 11). Les résultats de l’étude indiquent que la méthode actuarielle est supérieure dans 47% des cas (n = 63), égale dans 47% des cas (n = 65) et inférieure

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au jugement clinique dans 6% des cas (n = 8). Autrement dit, la méthode actuarielle est supérieure ou égale au jugement des évaluateurs dans 94% (n = 128) des études de la méta-analyse. Toujours selon Grove & coll. (2000), la méthode actuarielle est plus juste sachant que celle-ci est en moyenne 10% plus précise dans sa prédiction du comportement futur. Des résultats semblables ont été observés dans la méta-analyse d’Ægisdóttir, White, Spengler et coll. (2006). En effet, en repassant 56 ans de littérature (1940 à 1996) pour un total de 67 études, les chercheurs ont soulevé à la fois la supériorité prédictive de la méthode actuarielle et l’augmentation de 13% de la justesse de la prédiction de celle-ci par rapport à son opposante. Plus récemment, Hanson & Morton-Bourgon (2009) ont également mené une méta-analyse sur un échantillon composé de 118 études comparatives abordant la prédiction de la récidive chez les délinquants sexuels. Parmi les indicateurs de la récidive (générale, sexuelle et violente), l’évaluation actuarielle était toujours supérieure à l’évaluation clinique dans sa prédiction. La différence la plus marquée concerne la récidive sexuelle (actuarielle: d = 0,67; clinique : d = 0,42). Somme toute, il est possible de constater que la littérature concernant le débat jugement clinique versus méthode actuarielle est unilatérale. En effet, il semble que la majorité des chercheurs reconnait la supériorité de l’évaluation actuarielle en termes de prédiction de la récidive pénale. Ainsi, les méta-analyses traitées précédemment suggèrent l’incapacité prédictive, la subjectivité et la variabilité de la méthode clinique. Cela dit, certaines recherches ont également été consacrées aux limites de l’évaluation actuarielle, et ce, malgré sa supériorité prédictive.

1.2.1 Les limites de l’évaluation du risque purement actuarielle

Tout d’abord, la nature limitée des données officielles pour élaborer les outils actuariels est au cœur des remises en question. Selon Charette (2016) et Lussier et Mathesius (2012), la représentation statistique biaisée de la criminalité crée des corrélations illusoires entre certains indicateurs et la récidive. Autrement dit, puisque les statistiques officielles ne représentent pas l’ensemble de la criminalité, mais plutôt les crimes connus du système de justice, les prédicteurs de la récidive dans les outils actuariels sont de « faux » indicateurs qui ne correspondent qu’aux profils d’individus ayant été appréhendés par les instances judiciaires. Lussier, Bouchard et Beauregard (2011) vont même jusqu’à conclure que les délinquants qui connaissent une réelle carrière criminelle productive et versatile sont complètement différents des délinquants à haut risque selon les outils actuariels de prédiction. En effet, certains délinquants ont la capacité d'éviter le système de justice pénale, parfois pendant longtemps (Charette, 2016). Ainsi, alors que l’évaluation actuarielle cherche à prédire la récidive pénale (ou la réarrestation selon Maltz, 1984), les évaluateurs tentent de prédire la récidive réelle. Cette distinction importante dans l’évènement prédit est possiblement (partiellement) responsable de l’écart entre la précision de la prédiction du jugement clinique et la méthode actuarielle.

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Pour faire suite à ce point, Harcourt (2007) fait appel au Ratchet Effect comme une conséquence négative des données officielles agrégées issues du profilage policier. Ce concept pourrait être défini comme la capacité de l'homme à continuer à s'appuyer sur les connaissances antérieures pour élaborer les connaissances à venir. Plus précisément, dans le système de justice pénale, cela signifie que des recherches antérieures sur les minorités surreprésentées dans la population carcérale ont abouti au développement d’outils actuariels ciblant ces groupes. Peter Verniero (1999, traduction libre), procureur général du New Jersey a déclaré ce qui suit sur la prédiction actuarielle à partir de données biaisées: « dans une large mesure, ces statistiques ont été utilisées pour graisser les rouages d'un cercle vicieux, une prophétie auto-réalisatrice où les forces de l'ordre s'appuient sur les données d'arrestations qu'elles ont elles-mêmes générées. » La population générale des délinquants serait alors moins homogène que ce que la population judiciarisée actuelle nous laisse croire. Pour cette raison, le Ratchet Effect entraîne les groupes profilés dans un cercle vicieux qui se manifeste par le transfert intergénérationnel de la criminalité. Somme toute, il en convient que la prédiction actuarielle génère une tendance vers le profilage en accentuant les associations apparentes entre les traits des groupes profilés et la délinquance.

Dans un autre ordre d’idées, Hart, Michie & Cooke (2007) proposent à partir des résultats de leur étude que la prédiction d’un évènement isolé à partir d’un outil actuariel développé depuis des données agrégées engendre une marge d’erreur importante. En d’autres termes, les chercheurs avancent que la logique inductive des outils actuariels qui utilisent des prédicteurs issus de données agrégées afin de les appliquer à un seul événement engendre des erreurs de prédiction notables (notamment une proportion importante de faux positifs). L’individualisation de données agrégées crée un chevauchement important entre les niveaux de risque de l’outil actuariel, ce qui rend impossible de déterminer avec confiance si l’individu commettra à nouveau un acte délictueux ou non.

Pour sa part, dans son livre écrit il y a 66 ans, Meehl (1954) s’est intéressé aux forces et aux faiblesses des deux méthodes de prédiction (actuarielle et clinique). À un certain moment, l'auteur utilise une métaphore pour exprimer l'une des plus grandes imperfections du modèle de prédiction actuarielle de la récidive. Cette métaphore connue sous le nom de « la jambe cassée » (ou Broken Leg) a été réutilisée par plusieurs chercheurs (par ex., Guay & Parent, 2018; Salzinger, 2005) pour témoigner des situations dans l’évaluation actuarielle qui impliquent une intervention clinique pour ajuster la prédiction. Dans son livre, Meehl propose qu’un instrument actuariel développé afin d’estimer les probabilités qu'une personne assiste à un film au cinéma n’anticipera pas le fait que cette dite personne se casse la jambe le jour même. Cela dit, cette analogie soulève l’incapacité des outils actuariels à s’adapter aux divers imprévus qui peuvent survenir lors de l’évaluation d’une personne contrevenante en raison du nombre prédéfini d’items (et par extension, l’absence

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de flexibilité). Par conséquent, la métaphore de Meehl exprime la conclusion largement répandue dans le domaine de l'évaluation du risque selon laquelle, même si l'évaluation actuarielle est supérieure à l'évaluation clinique en termes de précision de la prédiction, il est pertinent d'utiliser le jugement clinique pour ajuster la prédiction dans des circonstances spécifiques (bref, dans les situations de jambes cassées).

Une étude relativement récente de Kroner, Mills et Reddon (2005) a soulevé une autre limite liée aux items dans l’évaluation actuarielle. Selon les résultats de leur étude, un instrument composé d’items aléatoirement sélectionnés à partir de quatre outils actuariels (notamment le Psychopathic Checklist Revised; Hare, 1991) présente une validité prédictive similaire à celle des instruments d'origine. Cela permet de remettre en question la précision de la mesure du construit sous-jacent, en l’occurrence la récidive. Autrement dit, le lien entre certains indicateurs et la récidive est purement statistique et n’est pas supporté par une théorie basée sur le risque de récidive. Ainsi, il est non-négligeable que ces indicateurs prédisent (dans une certaine mesure) la récidive, mais rien ne permet d’expliquer de telles relations. Cette limite n'est pas sans conséquence pour la prise en charge et la réhabilitation des contrevenants, l’un des objectifs principaux des services correctionnels au Canada et au Québec. Comment est-il possible de réinsérer socialement un délinquant si les facteurs que nous lui reprochons d’accroître son potentiel criminogène ont en réalité peu de lien théorique avec la récidive criminelle?

Somme toute, la marge d’erreur élevée dans la prédiction de la récidive (Hart, Michie & Cooke, 2007); la présence de corrélations illusoires entre les caractéristiques des groupes profilés et la délinquance (par ex., Harcourt, 2007); l’inadaptation aux imprévus qui peuvent se produire durant l’évaluation (par ex., Meelh, 1954); et l’utilité limitée du schème actuariel dans l’établissement d’un plan d’intervention (Kroner, Mills & Reddon, 2005) sont des limites non-futiles de l’évaluation purement actuarielle (et statique) qui ouvrent à nouveau la porte à l’utilisation du jugement clinique dans l’évaluation du risque de récidive criminelle des personnes judiciarisées, mais cette fois sous une forme différente.

1.3 Une alternative mitoyenne

Plusieurs chercheurs (notamment : Hart, 1998; Andrews, Bonta & Wormith, 2004) admettent la pertinence de l’utilisation du jugement clinique pour ajuster le niveau de risque issu de la méthode actuarielle dans des circonstances particulières. En effet, certains auteurs (Hanson, 1998; Campbell, 2007; Doren, 2002; Sjöstedt & Långström, 2001) ne recommandent pas l’utilisation d’une évaluation purement actuarielle et statique, mais entrevoient la possibilité d’intégrer les deux méthodes d’évaluation au sein d’un seul et même outil.

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Christopher D. Webster figure parmi les premiers à suggérer de combiner les avancés empiriques sur les prédicteurs actuariels de la récidive au jugement clinique des évaluateurs. Plus spécifiquement, Webster, Harris, Rice, Cormier et Quinsey proposeront en 1994 un aide-mémoire pour structurer le jugement clinique et ainsi compléter les résultats d’un outil actuariel (c’est-à-dire le Violence Risk Appraisal Guide; VRAG, Harris, Rice & Quinsey, 1993). De cette façon, les auteurs ont suggéré une façon d'intégrer les composantes actuarielle et clinique au sein d’une même évaluation. Cette façon d’intégrer les deux méthodes, bien qu’embryonnaire, semble idéale. Néanmoins, cette ouverture vers une perspective mitoyenne dans l’évaluation du risque de récidive comporte des difficultés, notamment en ce qui a trait à l’arrimage des deux méthodes et la lourdeur et la complexité de l’évaluation. D’ailleurs, les auteurs ont plus tard abandonné cette idée d’arrimage des techniques clinique et actuarielle au profit de l’approche basée sur le jugement professionnel, ce qui aura mis la table pour le développement d’outil comme le Historical-Clinical-Risk

Management-20 (HCR-20; Webster, Douglas, Eaves & Hart, 1997).

Des chercheurs sensibles à la rigueur empirique et psychométrique d’outils actuariels, mais également à l’importance d’éléments cliniques vont proposer une alternative plus simple. En effet, Andrews, Bonta et Hoge (1990) vont explicitement reconnaître le jugement clinique des évaluateurs comme un des principes fondamentaux de l’évaluation du risque en milieu correctionnel. Plus particulièrement, le jugement clinique, par l’entremise de ce que les auteurs appellent la dérogation clinique, permet de compléter les facteurs de risque et les besoins empiriquement liés à la récidive criminelle lorsque des conditions spéciales se manifestent. Ces dites conditions pouvant relever du milieu d’évaluation, du contrevenant ou de l’évaluateur sous-tendent la nécessité de revoir le niveau de risque de récidive issu de l’évaluation actuarielle. Cependant, ce compromis dans l’évaluation favorise la logique actuarielle dans les outils, car elle est largement soutenue par des fondements empiriques. Ainsi, les outils inspirés de la logique des auteurs susmentionnés comprennent : (1) une évaluation du risque et des besoins incluant (a) des facteurs statiques5 permettant d’optimiser la prédiction de la récidive criminelle (Dolan & Doyle, 2002); (b) des facteurs dynamiques6 autorisant l’élaboration d’un plan d’intervention (Bonta & Andrews, 2007; Bonta & Wormith, 2007); et (2) une portion de l’outil réservée à la révision d’un cas exceptionnel par l’évaluateur en fonction de ses connaissances et ses expériences professionnelles. Ainsi, à partir de cette alternative mitoyenne (c’est-à-dire la dérogation clinique), Andrews, Bonta et Hoge (1990) proposent de réunir les bienfaits de l’évaluation clinique et actuarielle, et par extension, de donner un second souffle au jugement clinique des évaluateurs.

5 Les facteurs statiques ne sont pas appelés à changer à travers le temps ou à la suite d’une intervention (par ex., l’âge ou les

antécédents judiciaires).

6 Les facteurs dynamiques peuvent théoriquement changer à travers le temps ou à la suite d’une intervention (par ex., l’humeur, les

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1.4 La dérogation clinique

Cette pratique - qui s’avère être le sujet du présent projet de recherche - donne la possibilité à un évaluateur de revoir à la hausse ou à la baisse le niveau de risque d’un contrevenant, préalablement établi par un outil actuariel, en fonction de ses expériences, ses connaissances, son interprétation du cas et/ou d’une circonstance particulière. L’évaluateur peut également, s’il le souhaite, baser sa décision sur toute information qu’il juge pertinente à l’évaluation du risque. Ainsi, rien ne l’oblige à rester dans les frontières de l’outil pour déroger du niveau de risque initial établi par le schème de prédiction actuariel. Par ailleurs, dans la littérature scientifique, plusieurs termes, de prime abord différents, font appel à cette pratique. Alors que la majorité utilise les termes dérogation clinique (par ex., Girard, 1999), d’autres chercheurs y font référence sous le nom de dérogation professionnelle (Hanson, Helmus & Harris, 2015), d’ajustement clinique (Krauss, 2004), d’évaluation/d’approche actuarielle ajustée (Hanson, 1998), de constatations actuarielles ajustées cliniquement (Doren, 2002) et de discrétion professionnelle (Cohen, Pendergast & VanBenschoten, 2016).

Parmi les inventaires permettant d’utiliser le jugement clinique figurent également les outils de jugement clinique structuré (JCS). Ceux-ci sont souvent confondus et amalgamés avec les outils autorisant l’utilisation de la dérogation clinique. Les outils de JCS comportent une liste prédéterminée de facteurs dont la pondération, contrairement à la liste de ceux-ci, n’a pas été spécifiée à l’avance. La hiérarchisation et la pondération des facteurs ainsi que l’établissement du niveau de risque sont donc laissés à la discrétion de l’évaluateur (Hanson & Morton-Bourgon, 2009). Le HCR-20 (Webster, Douglas, Eaves & Hart, 1997) le

Structured Assessment of Violence Risk in Youth (SAVRY; Borum, Bartel & Forth, 2005) et l’Estimate of Risk of Adolescent Sexual Offense Recidivism (ERASOR; Worling & Curwen, 2001) sont des exemples d’outils de

type JCS. Pour leur part, les outils permettant la dérogation clinique, par exemple le LS/CMI (outil utilisé dans la présente étude), offrent le choix à l’évaluateur de modifier – à l’aide de son jugement professionnel - le niveau de risque établi par une équation actuarielle. Ainsi, dans l’ordre des choses, l’évaluateur remplit la grille standardisée, fait la somme des items pour obtenir le score actuariel, transfère le score sur une échelle de risque et peut, s’il le souhaite, modifier les conclusions de l’outil actuariel. Par conséquent, la dérogation clinique a un score/niveau de risque de référence. En effet, contrairement au JCS, la dérogation clinique a accès à une estimation qui permet à l’évaluateur de déterminer si le calcul actuariel est près (ou loin) de sa perception du cas. En d'autres termes, la dérogation clinique est encore plus structurée et encadrée que le JCS, car elle laisse moins place à l'interprétation et à la subjectivité de l’évaluateur. Cela dit, le présent projet ne porte que sur la dérogation clinique, et non sur le JCS.

En ce qui concerne son utilisation, la dérogation clinique n’est pas recommandée par la majorité des concepteurs d’outils d’évaluation du risque de récidive criminelle (notamment : Andrews, Bonta & Wormith,

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2004). Selon Andrews, Bonta et Wormith (2006), la dérogation clinique doit être justifiée par des arguments étoffés, et par extension, utilisée avec parcimonie. Guay et Parent (2018) mentionnent que, lors de leur formation sur le LS/CMI, les évaluateurs se voient suggérer un taux de PCODC avoisinant les 5% (10% avec la version du LS/CMI pour les jeunes, Carns & Martin, 2011). De plus, en vertu des instructions figurant dans le manuel de l’usager du LS/CMI (Andrews, Bonta & Wormith, 2004), une dérogation à la baisse ne peut pas excéder un niveau de risque alors qu’une dérogation à la hausse est sans limite. Contrairement au LS/CMI, certains outils, notamment le Minnesota Sex Offender Screening Tool-Revised (MnSOST-R; Epperson, Kaul, Huot, Hesselton, Alexander & Goldman, 1998) comportent une liste de circonstances pouvant justifier l’augmentation ou la réduction du niveau de risque de récidive établi par l’évaluation actuarielle. La liste d’Epperson & coll. (1998; 2000) contient huit considérations spéciales autorisant la dérogation à la hausse, alors qu’il existe seulement un prétexte qui permet de déroger à la baisse.

Somme toute, à la lumière des informations précédentes, il est donc possible de considérer la dérogation comme une forme de jugement clinique plus articulée et encadrée en raison des contraintes émises à la fois par les résultats actuariels (le niveau de risque issu de la méthode actuarielle donne un point de référence qui autorise ou consigne certains choix liés à la dérogation) et les suggestions des concepteurs d’outils (par ex., suggestion de 5% de PCODC).

1.4.1 Les recherches examinant la dérogation clinique

Afin de mieux comprendre l’utilisation et l’importance de la dérogation clinique dans la pratique, une revue des études empiriques fut effectuée. Cette recension des études empiriques aura permis d’en déceler 23. Le Tableau 1 contient des informations relatives à la méthodologie et aux résultats des études sur la dérogation clinique. Parmi les études recensées, une seule était de nature qualitative (Quirion & D’Addesse, 2011) et près de la moitié (12/23) avait pour sujet principal la dérogation clinique. Ainsi, il est important de spécifier que certaines de ces études n’ont qu’effleuré le sujet de la dérogation clinique. Cela dit, étant donné le faible nombre d’études sur le sujet, chacune d’entre elles apportant de l’information, quelle qu’en soit la nature, a été traitée ci-dessous.

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Tableau 1. Distribution des études sur la dérogation clinique (k = 23)

CARACTÉRISTIQUES DE L’ÉTUDE FRÉQUENCE (k)

Caractéristiques générales de l’étude

Année de publication Avant 2000 1

2000 et plus 22

Pays d’origine États-Unis 8

Canada 13

Autres 2

Type de publication Article scientifique 14

Thèse/mémoire 5

Autres 4

Sujet principal de l’étude Dérogation clinique 12

Autres 11

L’effet de la dérogation clinique sur la validité prédictive de l’outila

Augmente 2

Réduit 16

Caractéristiques des contrevenants

Groupe d’âgea Adulte 17

Adolescent 5

Sexea Homme 5

Femme 1

Mixte 13

Type de sentencea Détention 2

Communauté 2

Disposition juvénile 5 Mixte (adulte) 11 Caractéristiques méthodologiques de l’étude

Taille de l’échantillona 1 à 500 5

501 à 1 000 3

1 000 à 10 000 7

Plus de 10 000 7

Famille d’instrumenta Échelle Level of

Service Inventory 13

Autres 9

Titre de l’évaluateura Psychologue/T.S. 3

Agent de l’État 9

Juge fédéral 1

Mixte 5

Notes.

a = Il est impossible de classer certaines études puisque l’aspect n’est simplement pas abordé ou précisé T.S.: Travailleur social

D’une étude à l’autre, les taux de dérogations sont appelés à varier de façon considérable. Cela dit, les taux de PCODC pour la clientèle générale de contrevenants adultes (sans déclinaison de sexe ou de type de délit) oscillent entre 6,5% et 16,0% (Brews, 2009; Hogg, 2011; Guay & Parent, 2018; Orton, 2014; Orton, Hogan & Wormith, 2020; Chappell, Maggard & Higgins, 2012; Cohen, Pendergast & VanBenschoten, 2016). Pour leur

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part, les études portant sur les jeunes (Schmidt, Sinclair & Thomasdóttir, 2015; Vaswani & Merone, 2014; Chappell, Maggard & Higgins, 2012; Carns & Martin, 2011; McCafferty, 2014) suggèrent qu’entre 7,0% et 58.7% des cas feraient l’objet d’une dérogation clinique. De cette façon, il semble que les proportions de jeunes ayant fait l’objet d’une dérogation clinique sont plus variables (et potentiellement plus élevées) qu’à l’âge adulte.

En ce qui concerne la nature de la sentence des contrevenants, l’étude de Brews (2009) qui inclut toutes les délinquantes sous la juridiction du Service correctionnel de l'Ontario libérées entre avril 2002 et mars 2003 (n = 2 831) suggère une proportion plus élevée de PCODC chez les contrevenantes purgeant une peine en communauté. Cette observation est également faite dans les recherches de Girard (1999) et Girard et Wormith (2004). En ce qui concerne spécifiquement le sens de la dérogation clinique, les différences sont considérables d’une étude à l’autre. Alors que Gore (2007), Guay et Parent (2018) et Duwe et Rocque (2018) observent entre 30,0% et 40,0% de dérogation à la hausse parmi tous les PCODC, Brews (2009), Hogg (2011), Storey et coll. (2012), Schmidt, Sinclair et Thomasdóttir (2015), Orton (2014), McCafferty (2014) et Cohen, Pendergast et VanBenschoten (2016) suggèrent que plus de la moitié des dérogations sont à la hausse (respectivement, 78,9%, 90,4%, 56,7%. 100%, 94,0%, 98,0%, 98,0%). En ce qui a trait au sexe des contrevenants, les hommes ont davantage fait l’objet de dérogations que les femmes (Chappell, Maggard & Higgins 2012; Cohen, Pendergast & VanBenschoten, 2016), et cette différence est d’autant plus marquée auprès des dérogations à la hausse (Hsu, Caputi & Byrne, 2009). En effet, les hommes ont fait l’objet d’environ 19 dérogations à la hausse pour une seule dérogation à la baisse alors que le ratio pour les femmes est de six pour un (Orton, 2014). En revanche, l’étude de Brews (2009) qui porte uniquement sur les femmes propose des taux de dérogations essentiellement similaires à la clientèle adulte masculine (11,6% des cas).

Bien qu’on assiste à une augmentation considérable de la production d’écrits au sujet de la dérogation clinique depuis le début des années 2010, l’étude de cette pratique et son utilisation sont relativement récentes. En effet, alors que la première étude date de 1999, les suivantes n’ont été publiées qu’à partir de 2004. Cela dit, l’étude de Girard (1999) porte sur le Level of Service Inventory – Ontario Revised (LSI-OR; Andrews, Bonta & Wormith, 1995), un outil d’évaluation nouvellement modifié à l’époque de la publication. Malgré le faible échantillon de PCODC (n = 19; 2,7%), l’auteure observe une amélioration de la validité prédictive de l’outil avec l’utilisation de la dérogation par les évaluateurs. Cette étude, ainsi que celle de Girard et Wormith (2004) sont les seules à arriver à un tel résultat. Ainsi, à partir du même outil d’évaluation, Orton (2014) arrive à des conclusions opposées. L’étude d’Orton (et d’Orton, Hogan & Wormith, 2020) avait pour finalité d’examiner les effets de la dérogation auprès d’un échantillon de contrevenants ontariens (n = 38 689). Orton conclut que la dérogation clinique (AUC = 0,46) a de moins bonnes capacités prédictives que le niveau de risque issu de la

Figure

Tableau 1. Distribution des études sur la dérogation clinique (k = 23)
Tableau 2. Informations descriptives de l’échantillon (n = 15 744)
Figure 1. Modèle conceptuel de la présente étude
Figure 2. Modèle d’arbre décisionnel
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