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4. Discussion

4.3 Les profils des PCODC

Les résultats des analyses d’aires sous la courbe ROC révèlent que les modèles de la présente étude sont en mesure d’identifier des patrons de PCODC. Ceci est également vrai pour les personnes contrevenantes peu susceptibles d’être l’objet d’une dérogation clinique. En revanche, il semble que les analyses effectuées incluant le sens de la dérogation clinique suggèrent qu’il est difficile de bien identifier les PCODC à la baisse, principalement en raison de la très faible prévalence de ce type de dérogation clinique (1,0%). Ces résultats suggèrent que la dérogation à la baisse survient généralement dans des cas excessivement spécifiques et vraisemblablement uniques sans tendance particulière. Inversement, les résultats des analyses montrent bien que l’identification de caractéristiques associées à la classification des PCODC à la hausse est plus révélatrice. Effectivement, les arbres décisionnels ont permis d’identifier un sous-groupe de personnes contrevenantes dont la prévalence de la dérogation dépasse le seuil de 50%. Ce résultat suggère deux choses. Premièrement, dans des cas relativement précis, le recours à la dérogation est beaucoup plus probable. Deuxièmement, ces résultats suggèrent également la présence d’au moins un profil type de contrevenants susceptible d’être l’objet d’une dérogation clinique à la hausse. Ainsi, les résultats observés ne permettent pas de produire de profils précis de contrevenants (c’est-à-dire, une ou des images d’un candidat type) pour les dérogations à la baisse. Cette idée du candidat type semble plus appropriée pour les cas de dérogation à la hausse. Ainsi, ce qui suit est une présentation des profils des PCODC à la hausse, mais également des contrevenants n’ayant pas fait l’objet d’une dérogation clinique.

Lorsque l’on regarde de plus près les individus ayant été l’objet d’une dérogation à la hausse, un profil relativement clair se distingue. Effectivement, pour leur part, les PCODC à la hausse ont majoritairement un profil de risque de récidive faible selon la section actuarielle de l’outil LS/CMI. De plus, ceux-ci ont été récemment condamnés pour un crime grave (violent ou sexuel). Plus particulièrement, un tiers (29,7%; n = 218) des individus présentant ce profil on fait l’objet d’une dérogation clinique à la hausse. D’ailleurs, la forte majorité d’entre eux (89,4%; n = 195) sont des contrevenants purgeant une peine en communauté. Bien que des profils plus ciblés se présentent (par ex., la présence d’une personnalité contrôlante ou intimidante combiné aux facteurs susmentionnés permet de circonscrire davantage le choix de déroger à la hausse) ceux-ci sont constitués de facteurs à présence variable (notamment : le déni/minimisation et les activités sexuelles inappropriées) selon le modèle analytique retenu. De cette façon seulement la nature de la condamnation actuelle et le score actuariel sont persistants.

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Ceci dit, la présente étude propose que certaines composantes spécifiques relevant du contrevenant puissent influencer les évaluateurs à déroger à la hausse dans certains cas. En effet, étant donné que la dérogation à la hausse semble cibler les probationnaires à faible risque de récidive criminelle ayant été condamnés pour un crime grave contre la personne, il est possible d’émettre l’hypothèse que la dérogation est utilisée dans ce contexte pour assurer une surveillance plus étroite de ces individus dans la communauté, et ce, malgré leur faible risque de récidive. À cet effet, Cohen, Pendergast & VanBenschoten (2016) remarquent que les probationnaires adultes ayant fait l’objet d’une dérogation à la hausse ont plus de contacts avec leur agent de probation que les individus appartenant à leur niveau de risque initial (avant la dérogation). De plus, ceux-ci voient la fréquence et l’intensité de leur programme de traitement augmenter de façon considérable, soit jusqu’à huit fois plus que les gens ayant le même niveau de risque qu’eux. Autrement dit, le profil des PCODC à la hausse dans la recherche actuelle semble refléter la présence d’une relation imparfaite entre la prédiction et la gestion du risque de récidive criminelle des personnes contrevenantes au Québec (et au Canada).

Alors que la prédiction du risque vise à quantifier et qualifier les probabilités de récidive criminelle, la gestion du risque vise à organiser la prise en charge du contrevenant afin d’éviter cette récidive (notamment, Heilbrun, 1997). Cependant, il arrive que ces deux objectifs de l’évaluation ne soient pas parfaitement alignés, et ce, d’autant plus lorsque l’outil d’évaluation du risque de récidive est de nature générique, et n’a donc pas été conçu pour prédire ou gérer la récidive de certains sous-groupes spécifiques de contrevenants. Dans de telles conditions, il est possible de conclure que le choix de déroger, plus particulièrement celui de déroger à la hausse est utilisé dans une optique de gestion, et non de prédiction du risque. La dérogation clinique est alors un filet de sûreté permettant aux évaluateurs de moduler l’intervention du contrevenant afin de rétablir cette dissonance entre la prédiction et la gestion du risque de récidive criminelle. Cette dissonance est précisément ce qui explique ce qui semble a priori être un paradoxe dans le profil des PCODC à la hausse, mais qui ne l’est vraisemblablement pas. Si l’on en croit la littérature empirique sur le risque de récidive, une telle utilisation de la dérogation paraît contradictoire. En effet, dans la présente étude et dans d’autres recherches (par ex., Guay & Parent, 2018; Orton, 2014) certains évaluateurs semblent mésuser de certaines caractéristiques sociodémographiques et criminométriques des personnes contrevenantes pour déroger à la hausse le risque de récidive criminelle d’un contrevenant (par ex., la nature de la condamnation au moment de l’évaluation LS/CMI, le score actuariel, l’âge, le niveau de scolarisation, la situation de travail, les antécédents judiciaires, etc.). Plus spécifiquement, les individus ayant des caractéristiques d’un contrevenant à risque sont moins susceptibles de faire l’objet d’une dérogation clinique (et surtout d’une dérogation à la hausse) que les contrevenants à faible risque en vertu des mêmes caractéristiques. Or, compte tenu de l’orientation sous-jacente du choix de déroger, en l’occurrence la présence d’un écart entre la prédiction et la gestion du risque, ce pouvoir discrétionnaire semble être un outil permettant de revoir le niveau de risque d’un contrevenant dans des

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conditions précises dépassant les standards empiriques de la prédiction, surtout en présence d’un outil d’évaluation du risque de récidive générique. Il reste à voir si cette tendance à l’utilisation de la dérogation clinique à la hausse est fondée, malgré la présence de cette dissonance.

Malgré les observations concernant le profil des PCODC à la hausse, il n’en demeure pas moins que 95,9% des contrevenants de l’échantillon n’ont pas fait l’objet d’une dérogation clinique. Ceci peut être expliqué en partie par la nature de l’échantillon composé d’individus ayant reçu une peine provinciale de courte durée. Dans ce contexte, la révision du niveau de risque à la hausse est peut-être implicitement moins indiquée comme le suggère la nature de la peine imposée par le juge. Ce résultat montre clairement que les évaluateurs ont comme consigne de s’en tenir le plus possible aux résultats du volet actuariel du LS/CMI, et par extension, d’y déroger le moins possible. Toutefois, dans le cadre de l’étude actuelle, les informations concernant la nature de la gestion du risque et des mesures prises pour gérer ce risque n’ont pas été l’objet d’une analyse. Bref, les résultats de l’étude n’apportent pas d’éclairage nouveau quant à la nature du lien entre l’évaluation et la gestion du risque et l’importance du jugement professionnel qui coordonne le tout.

Cela dit, les résultats des analyses d’aires sous la courbe ROC suggèrent que les caractéristiques sociodémographiques et criminométriques analysées permettent de classifier presque à perfection certains profils de contrevenants n’ayant pas été l’objet d’une dérogation clinique. Ainsi, les résultats de la présente recherche reflètent davantage le profil personnel et criminel des contrevenants n’ayant pas fait l’objet d’une dérogation clinique que l’inverse. Cela dit, le profil des contrevenants n’ayant pas été l’objet d’une dérogation clinique est simple : il s’agit d’individus ayant un niveau de risque de récidive modéré ou supérieur en vertu de la section actuarielle du LS/CMI. Ceux-ci ont 3,5 fois moins de chance de faire l’objet d’une dérogation clinique, et sont respectivement 1,5 et 7,8 fois moins susceptibles d’être l’objet d’une dérogation à la baisse et à la hausse.

Au-delà des profils, il semble simplement, conformément aux résultats de Quirion et D’Addesse (2011), que l’utilisation rarissime de la dérogation clinique reflète plutôt l’approbation des évaluateurs à l’égard des résultats des outils d’évaluation actuarielle récents, particulièrement auprès des contrevenants ayant un profil plus typique du contrevenant à risque. Par ailleurs, étant donné le niveau de risque de ces contrevenants, la prise en charge est déjà notable. La pertinence de revoir le niveau de risque à la hausse (ou à la baisse) dans une optique de gestion du risque est alors moindre. De plus, plus le score actuariel des contrevenants augmente, moins il y a de dérogations cliniques au dossier. De telles observations soutiennent l’hypothèse antérieure de la présence d’une dissonance entre la prédiction et la gestion du risque, plus spécifiquement pour les individus à faible risque

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de récidive en vertu de l’outil actuariel, ce qui n’est pas le cas pour la majorité des contrevenants n’ayant pas fait l’objet d’une dérogation clinique.

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