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L'ethos social et l'éducation chez le jeune paysan chilien

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Academic year: 2021

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UL

FACULTE DES SCIENCES DE L'EDUCATION

THESE PRESENTEE

A L'ECOLE DES GRADUES DE L'UNIVERSITE LAVAL

POUR L'OBTENTION

DE LA MAITRISE EN SCIENCES DE L'EDUCATION

PAR

SERGIO ARZOLA MEDINA

L'ETHOS SOCIAL ET L'EDUCATION CHEZ

LE JEUNE PAYSAN CHILIEN

Québec, Canada 1971

'h

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Il nous fait plaisir de remercier la Ford Foundation, 1'institute of International Education et l'Université Catholique du Chili de nous avoir fourni, sous forme de bourse, des subventions qui nous ont permis de mener à bon terme cette recherche.

Dans l'élaboration de ce travail, nous avons reçu des directives précieuses de la part de M, Pierre W. Bélanger, professeur à la Faculté des Sciences de l'Education et M. Yvan Labelle, professeur à la Faculté des Sciences Sociales de l'Université Laval. Nous leur exprimons notre gratitude et reconnaissance.

M. Pierre Cardinal, professeur à l'Ecole de Traduction de l'Uni-versité d'Ottawa, nous a apporté son concours à la revision du texte français de notre recherche. Nous remercions sa généreuse collaboration.

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Page

LISTE DE TABLEAUX ET FIGURES ii

INTRODUCTION iii Chapitre

1. LE PROBLEME

1.1 La définition du problême de l'hypothèse

de travail 1 1.2 L'orientation de départ 3

2. L'ANALYSE CONCEPTUELLE

2.1 Le phénomène ou l'objet socialement valorisé 9 2.2 Valeurs sociales et valeurs culturelles 14 2.3 L'éthos social: synthèse fonctionnelle 21 2.4 L'éducation: antithèse fonctionnelle 30 3. L'ANALYSE OPERATOIRE

3.1 La variable dépendante: l'éthos social 43 3.1.1 La définition opératoire des termes

de base 43 3.1.2 La structure opératoire de l'éthos 50

3.2 La variable indépendante: la scolarité 54 4 . L'ANALYSE EXPERIMENTALE

4.1 Présentation descriptive des résultats 58 4.2 Analyse de la relation éducation-éthos 64 Annexes

I. L'ECHANTILLONNAGE 80 II. LES DONNEES DE BASE 84 III. LE QUESTIONNAIRE 116

Notes 106 BIBLIOGRAPHIE 113

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Page

I. Schéma structural de l'éthos 53 II. Modèle expérimental descriptif de la variable

dépen-dante 59 III. Degré de scolarisation 62

IV. Alphabétisme 63 V. Ethos catégorie "A" de scolarisation: distribution

des moyennes 66 VI. Ethos catégorie "B" de scolarisation: distribution

des moyennes 67 VII. Ethos catégorie "C" de scolarisation: distribution

des moyennes 68 VIII. Ethos catégorie "D" de scolarisation: distribution

des moyennes 69 IX. Ordre des variables de l'éthos par catégorie de

scolarisation 70 X. Déviation des moyennes de chaque variable de l'éthos

par catégorie de scolarisation 71 XI. Distribution des moyennes de préférence accordées à

chaque variable de l'éthos par catégorie de

scola-risation 72 XII. Indices des moyennes des variables de l'éthos par

catégories de scolarisation sur base 100 =2.23 72 XIII. Graphique des indices des moyennes par A, B, C, D 73

XIV. Ecart de variation absolue de chaque dimension de

l'éthos de "A" à "D" 74 XV. Graphique des déviations des moyennes par rapport à

H - 2.226 75 Annexe II: Les données de base

Tableaux des fréquences et pourcentages 84 Tableaux des moyennes de préférence des normes

socia-les par catégorie de scolarisation 98

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L'éducation nous semble être un instrument d'action sociale. Par-fois elle est utilisée, consciemment ou inconsciemment, comme étant un système de contrôle social et de domination culturelle, de transmission des valeurs traditionnelles et d'adaptation à la structure sociale. Dans d'autres situations, l'éducation est plutôt un facteur de transformation culturelle et d'accélération du progrès, ou bien elle remplit le rôle d'une relation sociale critique orientée vers une transformation de la société.

Dans les deux cas, on peut affirmer qu'elle a des relations avec les valeurs sociales.

Notre recherche se place dans le sens général de cette affirmation, nous voulons analyser la relation qui pourrait exister entre l'éducation et la structure des valeurs sociales d'un groupe déterminé. Cette ana-lyse a son point de départ dans l'hypothèse que l'éducation est une anti-thèse sociale.

Dans le développement de notre étude, nous distinguerons cinq chapitres.

Dans le premier chapitre, en plus de définir le problème, l'objet de notre étude et de formuler l'hypothèse principale, nous procéderons â la détermination de l'orientation générale et des postulats de base que nous introduirons dans l'analyse théorique.

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rique. En précisant ce que nous entendons par "objet socialement valo-risé" nous ouvrons les perspectives nécessaires pour établir une diffé-rence analytique et opérationnelle entre la consistance fonctionnelle et la consistance culturelle de l'objet socialement valorisé. Ce faisant, nous distinguons les valeurs sociales et les valeurs culturelles. A partir de cette différence, nous déterminons le concept d'éthos social comme étant l'expression de la consistance fonctionnelle des valeurs, c'est-à-dire comme une rencontre entre la subjectivité du groupe et l'ob-jectivité de la réalité sociale. De cette manière, l'éthos sera conçu comme une synthèse fonctionnelle. Cette synthèse est le résultat de la confrontation de la réalité sociale avec son antithèse, l'expérience cons-ciente de cette réalité. L'éducation s'exprimera comme un élément d'expé-rience, et en tant que tel, historique et projective.

Le troisième chapitre est consacré à l'expression opératoire de l'analyse théorique. Pour ce faire nous employons le modèle analytique des impératifs fonctionnels de la société. Nous exprimons les valeurs sociales en terme des normes et des rôles et nous proposons les relations correspondantes entre les variables de l'étude.

Le quatrième chapitre est consacré à l'expérimentation et aux ré-sultats, et par conséquent aux conclusions correspondantes.

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LE PROBLEME

1.1 La définition du problème et l'hypothèse de travail

Nous pouvons trouver tout un courant de recherches qui considèrent l'éducation comme un instrument de préparation aux divers métiers et pro-fessions, mais nous pouvons également trouver d'autres chercheurs qui croient que le champ d'action de l'éducation est plus vaste.

Delcourt nous dit à ce sujet que l'éducation est un "mécanisme de transmission de modèle de vie et de façon de penser", un élément actif de la formation et du développement des valeurs sociales .

Nous pensons que l'éducation, en ce sens, joue un rôle important 2

dans le fonctionnement d'une unité d'action sociale quelconque . Cela dans l'hypothèse que la société globale, en tant que structure fonction-nelle, implique parmi d'autres éléments, une communauté de valeur et de modèle de vie.

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cette structure fonctionnelle. C'est-à-dire qu'elle est une étude des normes d'un groupe social déterminé en rapport avec ces divers niveaux de scolarisation afin de mesurer la signification possible de la scola-rité dans la structure fonctionnelle des valeurs, ou l'éthos social d'un groupe déterminé.

Notre hypothèse de travail est constitué^par l'affirmation que cette présence s'observe dans la corrélation existant entre les niveaux de scolarisation et les structures des valeurs sociales du groupe étudié. Nous affirmons que cette corrélation est d'une telle nature que le phéno-mène éducatif peut être caractérisé comme étant une antithèse fonction-nelle. Nous pouvons définir notre étude comme une "recherche fondamentale de vérification" , malgré le fait du caractère plutôt illustratif de

l'analyse expérimentale.

Le champ de la recherche se circonscrit à l'intérieur d'un groupe social; notre échantillon sera représentatif d'une population bien spéci-fique: le jeune paysannat chilien.

L'échantillon et les données respectives qui servent de base à notre analyse expérimentale sont le fruit d'un travail collectif réalisé par le Service d'étude de l'Institut d'Education Rurale de Santiago-du-Chili. Cette matière constitue le point de départ de notre recherche en même temps que sa limite.

Cette démarche a présenté certaines difficultés, mais en même temps elle nous a permis de développer le sens de la recherche et nous a montré comme l'a dit Carl Rogers "ce qu'est vraiment la méthodologie scientifique:

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un moyen de m'empêcher de me tromper moi-même et de suivre toutes les intentions et toutes les idées subjectives qui me viennent de mes rapports avec mon matériau. C'est dans ce contexte, et peut-être dans ce contexte seulement que l'immense arsenal de l'opérationisme, du positivisme logique, des plans de recherche, des tests de signification", etc., trouvent sa

place" .

Nous pourrons définir notre variable indépendante comme étant: l'éducation exprimée en terme d'années de scolarité. La variable dépen-dante sera la consistance fonctionnelle des valeurs de la société tel qu'elle est conçue par le jeune paysan chilien (éthos social) et exprimée en termes d'interrelation préférentielle des valeurs attachées aux impé-ratifs fonctionnels du groupe social en question. Donc, l'orientation des normes et rôles en tant qu'expression des valeurs.

1.2 Orientation de départ

Nous devons tenir compte du fait que toute théorie se donne une organisation logique inhérente à ses postulats de base. La dite organi-sation définit par anticipation une certaine attitude à l'égard d'un

problème. Ce qui distingue précisément la recherche du cataloguage, c'est l'imposition d'un ordre conceptuel .

Cependant, "la validité scientifique dépend non seulement de la cohérence logique mais aussi fondamentalement de sa vérification continue. La logique est un préalable indispensable au fonctionnement de l'instru-ment, mais n'est qu'une condition interne" . Le véritable système de

référence de la théorie sociologique est l'ensemble de la réalité sociale . C'est â partir de cela que Joseph R. Gittler peut affirmer que la nature

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8 tion des concepts sociologiques .

Ces deux concepts de base nous permettent d'établir une relation entre deux positions fondamentales qui diffèrent quant à leur point de vue respectif sur la logique et sur l'ontologie sociale, attitude qui, au niveau de l'interprétation, conditionnent leur théorie respective sur les valeurs.

Léon Brunschvig les appelle sociologie de progrès et sociologie de l'ordre; Sorokin distingue entre sociologie synthétique et sociologie analytique; Marcel Rioux les qualifie ironiquement de sociologie critique et de sociologie aseptique, définissant ce dernier terme au sens donné par le dictionnaire Larousse: "ensemble des méthodes permettant de pro-téger l'organisme contre tout apport microbien, en particulier d'opérer à l'abri du microbe" : deux positions qui, selon certains, s'opposent et se disqualifient mutuellement. Entre autres, T. Parsons affirme que la synthèse marxiste est une expression utopique et illusoire , ce à quoi N.Y. Novikov répondra que la position parsonnienne est idéaliste et indi-vidualiste .

Lucien Goldman nous fait voir avec justesse qu'un des points cen-traux qui distingue les deux positions est la relation qu'elles

établis-12 sent entre sujet et objet, conscience et réalité, théorie et praxis . Nous ajouterons â cela l'interprétation dialectique des phénomènes sociaux, non seulement en tant qu'expression méthodologique mais aussi comme l'élé-ment constituant de l'origine et du processus créateur des dits phénomènes,

en opposition â une interprétation logique ou formelle, qui fait usage des catégories rationnelles extérieures â la réalité sociale.

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Pour la sociologie critique les valeurs sont dialectiques, de même que la réalité sociale ou historique. La logique qui les régie n'est pas la logique des trois principes classiques de la raison formelle, mais la logique de l'opposition et du dépassement des contraires, logique que

13 Weber et ses disciples rejettent .

D'où le fait que la position assignée aux valeurs dans l'échelle de contrôle social sera distincte pour les deux positions. Pour les uns, elles joueront le rôle de causalité du comportement vis-à-vis de la réa-lité sociale, pour les autres elles seront le reflet de la réaréa-lité socia-le et naîtront de la praxis même

Au-delà de ces interprétations théoriques, on découvre la réalité latino-américaine. Personne n'ose aujourd'hui mettre en doute le fait que, à tort ou à raison, la situation sociale latino-américaine est une situation dans laquelle l'ordre hiérarchique traditionnel fait place à de nouvelles manifestations socio-culturelles de caractère conflictuel. Réalité qui s'explique selon certains par la sensibilisation croissante à la situation de dépendance et d'aliénation de la société latino-améri-caine. Le secteur agraire chilien est un exemple clair de pareils con-textes.

Nous croyons en une interprétation dialectique des valeurs mais nous pensons en même temps que les virtualités que comporte la position parsonnienne donne une certaine flexibilité analytique que nous ne pouvons pas rejeter dogmatiquement.

Ces considérations, sans constituer ni une démonstration ni une justification théorique préalable, nous servent de motivation pour pré-senter sous forme de postulat les affirmations suivantes:

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de l'ontologie sociale en tant qu'éléments d'explication sociologique . C'est-à-dire que nous affirmons le caractère dialectique des valeurs.

2) Nous croyons que cette vision dialectique n'exclut pas une ana-lyse globale des valeurs , et qu'elle implique la reconnaissance de

17 l'union entre jugement de fait et valorisation, entre faits et valeurs

3) Nous pensons que la vision parsonnienne des valeurs, surtout à son niveau analytique, apporte des éléments valables que nous ne pouvons pas rejeter.

4) Nous croyons qu'une étude de l'éthos social semble être possi-ble en employant comme voie d'approche les normes et les rôles sociaux comme systèmes d'expectatives.

5) Nous croyons que, nous fondant sur l'interprétation dialecti-que de l'origine et de la signification des valeurs, nous pourrons par-venir â concevoir l'éthos social comme un choix préférentiel des valeurs conçues socialement en fonction de la praxis collective.

6) Nous pensons que l'éducation, du point de vue fonctionnel, est une antithèse de la réalité sociale. C'est-à-dire qu'elle naît du contexte social en même temps qu'elle s'oppose à cette réalité; elle pos-sède un caractère historique.

7) Nous établirons à partir de maintenant que l'influence de l'édu-cation dans un tel schéma peut se postuler à deux niveaux. Le premier affirme simplement qu'elle influence l'éthos social; le deuxième détermine en outre l'orientation concrète et evaluative de cette influence. Notre

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hypothèse se rapporte au premier niveau. Nous croyons que pour parvenir au deuxième niveau il est nécessaire d'utiliser, au moins partiellement, une méthodologie historico-génétique; une pareille analyse dépasse nos intentions actuelles.

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L'ANALYSE CONCEPTUELLE

Ayant défini comme orientation de départ l'interprétation dialec-tique des valeurs et en même temps l'utilisation des exigences fonction-nelles du système social, nous analyserons dans ce chapitre les concepts centraux de notre recherche.

Dans une première partie, nous analyserons les concepts de valeur comme expression de l'appréciation sociale d'un objet, être ou relation sociale.

L'objet socialement valorisé, nous l'affirmerons dans un deuxième moment, donne naissance à deux classes de structures ou de consistances de valeurs. La première, que nous appellerons consistance fonctionnelle-ment structurée, comprendra les valeurs sociales donnant naissance â

l'éthos social. La seconde, la consistance culturellement structurée, se fonde sur les valeurs culturelles et donne naissance aux concepts comme "vision du monde", configuration.

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cial pour finalement proposer le concept d'éducation comme antithèse fonc-tionnelle.

Nous terminerons le chapitre avec l'énoncé de notre hypothèse tirée de l'analyse conceptuelle proposée.

2.1 Le phénomène ou l'objet socialement valorisé

La valeur est ou a déjà été l'objet d'études des diverses discipli-nes scientifiques. En philosophie, nous pouvons voir, par exemple déjà chez Cicéron, Platon, Aristote, qu'on trouve des bonceptions qui impliquent une certaine théorie de la valeur. A partir d'eux, elle se clarifie et se détermine peu à peu. Nous trouvons des apports comme celui de

Male-branche qui distingue entre "jugement de perfection et jugement de réalité", Mais c'est à partir de la révolution kantienne que la philosophie produit de véritables systèmes théoriques sur la valeur. Il nous semble que la critique de la raison pure et sa considération de la valeur absolue comme logiquement "inatteignable" et seulement susceptible d'être captée à par-rie des postulats fondamentaux de la raison pratique, rendent possible de tels efforts théoriques. Ainsi par exemple Lotze, Nietzche et Max Scheler. Ce dernier affirmera que la réalité objective de la valeur n'est pas autre chose que la relation réelle entre une nécessité et une chose ou un être, de sorte que seuls les sujets sont valeurs et les objets le seront dans la mesure où on les dit en relation avec eux. Nous pouvons également trouver chez Sartre pour qui les valeurs dépendent et viennent de la liberté hu-maine, pour qui n'existe pas de valeurs données transcendantes, que c'est

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autre chose que le choix permanent de sa propre existence. Nous nous trouvons ici en un pôle suffisamment éloigné des Grecs ou si l'on veut plus précisément de l'idéalisme objectif de Platon.

Fernand Dumont présente une vue semblable dans son article "La référence aux valeurs dans les sciences de l'homme" .

En affirmant que "la place faite aux valeurs, dans la recherche, est très inégale, selon les diverses disciplines", Dumont distingue deux

2

orientations dans l'étude des valeurs . Dans la première, "à la limite, 3 l'univers scientifique procède littéralement de l'univers des valeurs" . C'est ce qui se produirait dans les disciplines comme l'histoire et la psychologie clinique et chez des auteurs comme Weber, Aron, Marrou, Jaspers, et Goldstein.

Dans un second pôle, celui de la micro-économie et celui "d'une certaine linguistique structurale", "l'univers des valeurs procède litté-ralement de l'univers scientifique". Ainsi par exemple, Dumont mentionne Bloomfield, l'école non-mentaliste de Chicago et l'école danoise de

4 Hjelmslev .

La préoccupation des antropologues à ce sujet est toute récente. Les ethnographes du siècle passé ont concentré leurs intérêts sur la col-lecte ou l'élaboration des lois sociologiques générales, "ils considé-raient l'étude des valeurs comme relevant du domaine des idéologies huma-nistes. C'est ainsi que ce groupe de faits culturels fut abandonné aux spéculations de philosophes. Contre cette tendance, Gurvitch et surtout Kroeber, affirment la nécessité pour l'anthropologue d'étudier les valeurs comme faisant partie intégrante de la culture conçue elle-même comme un phénomène donné dans la nature" .

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C'est ainsi qu'en analyse anthropologique, on devrait avant tout induire du comportement les valeurs explicatives de l'action humaine .

Gurvitch nous indique que la tâche du sociologue est de constater le fait que les valeurs expriment une relation aux actes collectifs en vertu desquels ils s'expliquent. Le sociologue devra établir les corré-lations fonctionnelles entre les valeurs et les catégories sociales, étant donné la relation intime qui existe entre la réalité sociale et les cadres de référence logique et estimative. Il ajoute que la relation qui définit la valeur est précisément une détermination dialectique. Nous attribuons à cette affirmation une signification positive dans la

déter-7 mination conceptuelle de notre recherche .

Nous croyons qu'entre le sujet et la nature qui l'entourent il existe une relation de continuité. De cette manière un objet extérieur à moi est aussi réel que la perception ou l'image-guide que j'ai d'une

g

réalité déterminée . Objet et perception de l'objet sont deux éléments qui se justifient mutuellement. L'objet ne se comprend que par sa rela-tion avec le sujet et c'est celui-ci qui, objectivant sa propre existence, découvre en lui ou établit en lui un ordre valoratif. Ainsi l'objet

devient significatif pour un sujet et sera socialement valorisé quand cette signification aura une signification collective.

Mais, étant donné que la valorisation est une relation sujet-objet, qui ne subsiste ni exclusivement dans le premier ni exclusivement dans le second, nous sommes précisément portés à affirmer, c'est-à-dire à établir dialectiquement une thèse: l'objet valorisé existe en présentant la ca-ractéristique d'une "extériorité" à toute conscience individuelle. C'est

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en ce sens que nous donnons raison à Durkheim quand il reconnaît aux va-leurs l'extériorité propre à tous les faits sociaux et en tant que tel un

9

certain pouvoir de coercition externe . C'est par cela même que nous croyons qu'ils ne peuvent être identifiés au terme général de desideratum, qui de plus, le réduirait à une dimension exclusivement psychologique. Ainsi les objets socialement valorisés présenteraient d'un côté le carac-tère de désirabilité et "d'un autre côté ils ont un aspect normatif qui traduit l'action du groupe sur l'individu"

A cette thèse, nous sommes amenés à opposer une antithèse qui joue logiquement le rôle de négation de l'affirmation: à l'extériorité nous opposons l'intériorité, procès d'intériorisation qui donne â l'extériori-sation un sens humain, cessant d'être par le fait même une existence pure-ment extérieure. Cette antithèse se réalise soit au moyen de la concep-tualisation ou, dans le cas présent, au moyen de l'acceptation. Ainsi, "le phénomène de l'acceptation ou de la non acceptation purement psychique à l'origine peut devenir brusquement éthique (social) parce que de l'inté-gration ou de la non intél'inté-gration surgissent maintenant les valeurs et les non valeurs, le choix et les décisions, c'est le résultat de la structure de la vie du moi" .

C'est ainsi que l'acceptation ou la non acceptation conceptuelle affective est une source de valeur et qu'en elle on trouve l'origine d'une nouvelle objectivation.

"L'essentiel c'est le fait que l'acceptation n'est pas un moment final, une conclusion, mais qu'elle devient une voie vers quelque chose de nouveau, d'inattendu, une voie vers les valeurs (...) l'éthos d'une

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société qui accepte l'existence (y compris l'histoire), découvre que 12 cette intégration dans la réalité est également une source de valeur"

Cette nouvelle objectivation est précisément la synthèse dialec-tique, le dépassement de la pure extériorité, "ainsi l'homme se définit par projet. Cet être dépasse continuellement la condition qui lui a été

13 donnée; il révèle et détermine sa situation en la dépassant (...)" „

Cette synthèse est précisément la consistance soit sociale, soit culturelle des valeurs, comme nous le clarifierons au moment approprié.

Nous précisons que nous employons le terme de consistance dans un sens élémentaire. Nous acceptons l'opinion de Duprel qui affirme qu' "il y aurait lieu de donner au mot consistance, en dehors de son acception vulgaire, un sens technique: ce serait la capacité des choses ou des êtres de durer, c'est-à-dire de demeurer dans l'état où ils sont

parve-14 nus (...). La consistance ainsi entendue comporte des degrés"

Nous pouvons alors affirmer que: un objet socialement valorisé est un objet matériel, une relation sociale ou un point d'information auquel, dans une relation dialectique avec un sujet collectif et un con-texte d'objectivation et d'acceptation, est attachée une importance sociale qui a une certaine consistance.

Cette simple constatation nous permet maintenant de clarifier et d'approfondir notre concept d'éthos social en diversifiant au préalable les concepts de valeur sociale et de valeur culturelle.

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2.2 Valeurs sociales et valeurs culturelles

Nous avons affirmé que le phénomène socialement valorisé, soumis à la dialectique de l'acceptation - non acceptation, à la norme de 1*ob-jectivation, et possédant une certaine consistance, se présente à nous comme un acte collectif.

Nous affirmerons maintenant que les valeurs se présentent struc-turées sous forme de deux consistances différentes. Nous appellerons la première consistance fonctionnelle et l'autre consistance culturellement structurée des valeurs.

Nous tenterons de montrer que les différences entre elles sont non seulement théoriques mais aussi empiriques. Ces différences nous permet-tront d'affirmer postérieurement le concept d'éthos social et de le dis-tinguer des concepts culturels se rapprochant de celui de la vision du monde.

L'importance collective accordée à un phénomène social est d'une réalité et d'un niveau différents de ceux des raisons ou des critères pour lesquels on peut lui accorder cette importance. On pourrait étudier les dits critères, les relier entre eux ou les mettre en relation avec l'élé-ment évalué par eux, si tel était le cas. Mais nous pourrions aussi étu-dier la simple constatation de l'importance attribuée à divers objets, relations ou manifestations sociales, les mettre en relation entre eux ou

avec une autre catégorie ou fait social.

Il s'agit de deux perspectives différentes; nous nous orientons précisément vers la seconde.

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Le fait qu'elle soit différente est une conséquence de la diffé-rence des concepts mis en cause: valeurs culturelles - valeurs sociales.

Nous affirmons qu'il existe des faits sociaux valorisés, c'est-à-dire des valorisations sociales et un critère de valorisation qui appar-tient, à notre avis, au domaine culturel.

Si nous qualifions de valeurs sociales l'importance collective accordée socialement à un fait ou â une relation sociale et si nous quali-fions de valeur culturelle le critère de valorisation, nous pouvons logi-quement affirmer que ce sont deux phénomènes différents.

Nous ne nions pas l'existence d'une relation entre eux, nous affir-mons simplement leur différence. Nous pourrions même croire que c'est parce qu'ils sont différents que nous pouvons les relier entre eux. S'il est juste que les valeurs sont dialectiques, nous pourrions postuler une relation d'opposition entre les deux, ce qui éventuellement serait une bonne voie explicative des problèmes d'idéologie culturelle dans les pays où se produit un processus de changement social.

A. Cortén montre qu'un des éléments qui rend le décollage difficile dans une société en voie de développement, c'est l'absence d'une idéologie qui signifie le dépassement de cette opposition .

Nous croyons trouver chez Max Weber des éléments théoriques qui 2

visent à l'établissement de la dite différence .

Selon Weber le luthérien aussi bien que le calviniste reconnaissent une valeur dans le travail humain. Cependant le critère par lequel cette appréciation valorative est accordée, est différente dans l'un et l'autre cas.

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L'éthique luthérienne concrète est conditionnée du point de vue 3

valoratif par le concept de Beruf (besogne) . Le travail doit être jugé, valorisé en vertu de cette notion centrale. Ce concept implique l'accep-tation valorative du travail comme étant l'accepl'accep-tation obéissant aux con-ditions de "l'existence donnée que la Providence a faite à chaque homme

4

une fois pour toute" . Chacun valorisera le travail dans la mesure où il l'accepte passivement, comme étant l'expression des décrets divins . Cela le conduit à une attitude de soumission. Le travail est valorisé en tant qu'expression directe d'un devoir religieux .

Les critères de valorisation du travail dans la position calviniste nous apparaissent comme étant différents. On ne traite pas ici de la foi

7

qui accepte avec résignation mais de la "foi efficace" . L'homme doit rationnaliser le monde comme conséquence de la création et de la

libéra-g

tion par la prédestination . Le travail est valorisé en tant qu'expres-sion de rationnalisation sociale exigé par l'état de libération chrétienne.

En établissant la différence entre le fait valorisé et les critères de valorisation, nous établissons implicitement l'affirmation que les deux phénomènes existent ou se trouvent à des niveaux d'abstraction diffé-rents .

Rappelons à ce sujet l'affirmation aristotélicienne qu'il n'y a pas de science du singulier; mais rappelons aussi qu'à partir du singulier on établit un universel et que la raison quand elle fait la science des objets accepte divers niveaux analytiques d'abstraction.

Si par abstraction nous entendons un processus par lequel à partir du singulier, passant au particulier nous arrivons à l'universel, de

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l'in-dividuel concret au général, de telle manière que l'objet, au plan logi-que, gagne en extension et prédicalité mais pas en compréhension, nous sommes naturellement amenés à affirmer que ce que nous avons appelé va-leurs culturelles est plus abstrait que la valeur sociale. Pour la même

g raison le niveau symbolique qui leur correspond nous paraît différent .

Nous croyons que dans cette situation, la valeur sociale est une expression de la situation sociale conditionnante plus directe que la valeur culturelle.

D'où que l'expérience directe et consciente de la dite réalité est un élément important dans la construction d'un ordre hiérarchique des

va-leurs sociales; et de là aussi l'idée que si l'éducation est un auxiliaire dans la formation de cette conscience de la réalité, elle va être liée à la construction de cette structure des valeurs sociales (éthos).

Il nous semble que S.F. Nadel, quand il dit que la valeur "implique des maximes d'action et non des préférences ad hoc", limite le concept de valeur à sa dimension culturelle

De même C. Kluckhohn quand il définit la valeur comme "conception du désirable" et la value-orientation comme organisation des conceptions sur la nature et l'homme, il nous donne une excellente définition de la valeur comme fait culturel et de la structure culturelle de la vision du monde .

Nous croyons que l'interprétation parsonienne permet également d'é-tablir une distinction similaire. Nous pourrons parvenir â cette conclu-sion au moyen par exemple de la présentation synthétique que fait Guy

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Rocher de la hiérarchie cybernétique des composantes structurales du sys-12

tème social chez T. Parsons .

Sanchez Lopez dans son analyse de l'auteur américain, nous indique la même chose, affirmant que la séparation des aspects culturels et les aspects sociaux n'est pas une classification des phénomènes réels et con-crets empiriquement discontinus. Ce sont des systèmes distincts dans le sens qu'ils abstraient ou sélectionnent deux ensembles d'éléments analy-tiquement distincts des mêmes phénomènes concrets. Ce sont deux modes différents d'abstractions

André Corten ajoute un autre élément important pour établir la différence entre la valeur sociale et la valeur culturelle. Il affirme qu'on peut démontrer empiriquement que la valeur sociale "apparaît

sou-14 vent dans la réalité avant qu'une valeur culturelle ne le justifie" C'est-à-dire que non seulement elles sont différentes mais que "l'objet peut être immédiatement valorisé sans aucune référence préalable à un quelconque critère d'évaluation (valeurs culturelles)" . Accordant la priorité au sens sociologique de la perception immédiate de l'expérience sociale, ce dernier détermine le caractère immédiat de l'expérience valo-rative. Pour cela, il utilise le cadre intuitif de la captation des valeurs proposées par Max Scheler, en s'approchant de la notion de "cathexis" de T. Parsons.

Georges Balandier signale précisément les risques que l'on court en assimilant l'ordre social à l'ordre culturel

On trouve la même insistance chez Maurice Tremblay Jans son article

sur le concept de société globale chez les anthropologues. Il ex i s t <^fAA- -^f<£

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affirme-t-il, des modèles sociaux qui sont différents des modèles cultu-rels. Il ajoute que "c'est peut-être l'apparente indifférenciation de ces deux sortes de modèles normatifs et de contrôle social, dans les so-ciétés de type tribal régies par la coutume, qui a amené les

anthropolo-17 gués à les confondre dans leur notion de culture"

D'où il ajoute l'affirmation suivante que, vu son importance pour nous, nous transcrivons toute entière: "Les schemes normatifs qui régis-sent d'une façon immédiate la structure et le fonctionnement des groupes fonctionnels ne sont pas des modèles culturels car, en tant qu'ils appar-tiennent en propre à ces groupes, ils ne sont ni transmissibles, ni par conséquent partagés entre plusieurs groupes. Ils sont des modèles

exclu-„18 sivement sociaux"

Nous rappelons que la qualité de transmissibilité est une caracté-ristique des phénomènes culturels comme le reconnaissent ceux qui s'inté-ressent à la culture.

Nous donnons également raison à Tremblay, quand il distingue le processus de socialisation de l'inculturation et quand il détermine que s'il est vrai que la première implique une spécialisation et un appren-tissage spécial, la seconde ne l'exige pas, l'éducation "informelle" étant suffisante.

Nous croyons que précisément un de ces apprentissages spéciaux que l'éducation "formelle" doit favoriser dans un processus de socialisation est celui de savoir apprendre.

Exprimé en terme de notre recherche, cela signifierait savoir ap; prendre ce que l'expérience sociale m'enseigne. Savoir prendre consi

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critique de la réalité dans laquelle je suis. Criticité que dans une société évolutive traditionnelle le processus d'inculturation ne peut donner ou pourrait difficilement produire.

La dite distinction confère à l'éducation le devoir ou la tâche d'enseigner "à repenser" la réalité et de se préparer techniquement à sa transformation. Théorie éducative et praxis, unies nécessairement et avec fréquence en opposition aux expressions culturelles traditionnelles.

Concluons sous forme de synthèse: étant donné que nous nous trou-vons devant deux phénomènes qui se distinguent par leur niveau d'abstrac-tion, par leurs divers rapports avec la réalité sociale, par leur qualité de transmissibilité, nous pouvons affirmer que les structures d'ordre et de consistance de ces phénomènes sont également différents. Ayant réser-vé au premier des dits phénomènes le nom de valeur sociale, au second celui de valeur culturelle, nous pouvons affirmer que la consistance struc-turée des valeurs sociales sera différente de la consistance des valeurs culturelles. Nous pouvons définir la première en tant que consistance fonctionnelle comme suit: "Le rapport dans lequel s'exprime l'apprécia-tion qu'accorde (un individu) une collectivité humaine à certains traits de caractère, à certains processus, actions, oeuvres, en fonction de leur capacité de satisfaire les besoins, les nécessités, les désirs ou

aspira-19 tions de l'homme conditionnés par la pratique"

Nous pouvons décrire la seconde en transcrivant textuellement Ethel M. Albert comme il suit: "operationally, a cultural value system is the

inductively based, logically ordered set of criteria of evaluations, cons-tructed from explicit value judgements and inferences from inexplicit,

(27)

value-related behaviors. Theoretically, it is the patterned or structured criteria, explicit and implicit, by reference to which evaluative behavior becomes intelligible."

20 C'est-â-dire "is the system of criteria"

2.3 L'éthos social

L'analyse que nous avons faite jusqu'ici nous fournit les éléments de base pour élaborer le concept définitif d'éthos social.

Nous avons défini la consistance fonctionnelle des valeurs comme un rapport dans lequel s'exprimait l'appréciation qu'accordait une collec-tivité humaine à certains phénomènes sociaux. Au fur et à mesure qu'on établir un "arrangement significatif" entre ces valorisations sociales, nous nous trouverons en présence d'un "pattern". En effet, il semble qu* "il y aurait pattern, quand existe un rapport significatif entre les différentes parties d'un objet considéré comme un tout" .

Nous fondant sur cette considération, nous croyons que l'éthos social est un "pattern" social. En tant que tel, il exprime une certaine structure et organisation des valeurs.

L'usage du terme pattern est étendu et équivoque. Passant en revue des auteurs comme le philosophe Edel, l'ethno-1inguiste Hoijer, le psycho-logue Murphy, les anthropopsycho-logues Washpurn, Ruth Benedict, Sapir, Kluckhohn, etc., M. Rioux en arrive à attribuer six acceptions au terme "pattern".

Voici les acceptions qu'il donne: catégories universelles du com-portement socio-culturel, style de vie, modèles culturels, élément de la

(28)

structure du comportement manifeste, éléments de la structure du compor-tement latent, rapport de dépendance fonctionnelle.

De son point de vue, l'éthos serait l'expression du concept de pattern en son accep; tion de style de vie et constituerait, en tant que

2 tel, 1* "aspect affectif d'un système culturel global" .

On devrait réserver le concept d' "Eidos" pour désigner "l'aspect cognitif de ce même système".

Nous pouvons trouver quelques idées semblables dans l'analyse d'éthos que propose Max Scheler.

Dans son livre Le Formalisme en Ethique et l'éthique matérielle des valeurs, il le définit en disant qu'il est: "La perception-affective (par conséquent de la "connaissance") des valeurs elles-mêmes, ainsi que de la

3 structure de la préférence axiologique, de l'amour et de la haine" . Plus concrètement "la structure - d'expérience - vécue des valeurs et des

4 règles - de - préférence immanentes à cette expérience vécue" .

En tant que "forme - d'expérience vécue des valeurs et de leur hiérarchie" , il insiste sur l'historicité essentielle de l'éthos. Il critique précisément Hartmann d'avoir minimisé la dite nature historique sociale. Il affirmera même que les valeurs perdent "toute actualité dès lors qu'ils ne correspondent plus à la structure sociale et historique où elles avaient d'abord été vécues - par - expérience - vécue" .

M. Scheler distingue précisément ce concept d'éthos de celui de vision du monde. Il réserve à ce dernier le sens de "structure de vivre -d'expérience - vécue de la connaissance - du - monde". Il nous dira

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clairement que "ce qui correspond, sur le plan intellectuel, à l'éthos c'est l'intuition - du - monde (entendons la structure de l'intuition du monde) elle-même (celle qu'a tel homme ou tel peuple, qu'elle soit ou non "savoir" réflexif ..J" .

Si nous reprenons le sens dialectique et fonctionnel des valeurs sociales et que nous y ajoutions les éléments découverts jusqu'à présent,

g nous pouvons déjà déterminer certaines caractéristiques de l'éthos social <

Nous pouvons affirmer qu'à une thèse dialectique donnée, l'exis-tence d'un ordre social déterminé, d'une structure sociale, s'oppose une antithèse. Cette antithèse est l'expérience de l'ordre social, elle-même source de valeurs. Nous disons antithèse dans la mesure où cette expé-rience implique une perception de la réalité sociale, perception qui, en accord avec l'analyse à laquelle nous avons procédé antérieurement, se réalise au plan de l'acceptation créatrice. Ce qui veut dire que non seulement il est le reflet de l'objectivité et de la réalité sociale, mais aussi le reflet de la subjectivité collective et expression par le fait même, de ces attentes.

La conséquence de ce mouvement dialectique sera précisément "la structure - d'expérience - vécue des valeurs et de règle - de - préférence immanentes à cette expérience vécue" .

De ce point de vue, l'éthos social est une synthèse fonctionnelle des valeurs. Synthèse qui implique une structure hiérarchisée de celle-ci et dont l'origine se trouve dans la perception et l'expérience directe de la réalité sociale conditionnante.

(30)

En tant que structure préférentielle, il se présente à nous comme expression de normes d'appréciation mesurées par l'expérience et les in-térêts implicites d'un groupe vis-à-vis la réalité objective, cadre social de cette expérience.

Nous croyons que c'est ici précisément que nous pouvons faire un usage profitable de certains concepts parsonniens qui feront progresser notre analyse de l'éthos social. Hens Speier nous dit que ce qui est le plus proche du concept d'éthos c'est le concept "d'orientation valorative" de Talcott Parsons. Cela dans la sociologie américaine

Nous tenterons de clarifier le concept d'éthos dans le contexte parsonnien afin d'extraire les aspects qui nous paraissent significatifs pour notre élaboration conceptuelle.

Le premier élément de base que nous découvrons c'est que l'éthos constitue une certaine attitude, une certaine qualification de notre re-gard et de notre orientation vers la réalité . L'éthos définit une cer-taine unité de valeurs, un système de valeurs dominant dans un groupe

12

social . Dans ce système on découvrira une échelle de priorités impli-cites qui exprimera une orientation préférentielle de valeurs.

Tolmann nous parle de la "Matrice modale" comme expression opéra-toire de l'éthos, en le concevant au sens parsonnien, comme un système

13

matrice relativement général de préférence valorative . Clyde Kluckhohn insiste sur le caractère de" structures valoratives de l'éthos

Si auparavant nous affirmions que l'éthos était l'expression di-recte de l'expérience de la réalité, nous découvrons maintenant une autre nuance: il est aussi l'expression de l'orientation valorative du compor-tement.

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Il nous paraît nécessaire d'intercaler cette affirmation dans le contexte général de la théorie parsonnienne. L'éthos serait, en ce sens, expression d'une organisation des valeurs qui orientent l'action. En effet, selon Parsons, pour agir l'acteur doit être motivé. Il se motive dans la mesure où il établit des relations entre ses nécessités et les objets ou relations qui pourraient éventuellement le satisfaire. Ces relations constituent des actions permanentes. Ce sont des options parce que d'une part la motivation existe et que d'autre part il existe la li-berté de choisir entre diverses orientations. Le sujet de l'action (indi-viduel ou collectif) recourt, à ce moment, à des normes et des critères de sélection déterminés par les valeurs communément acceptées.

Ainsi naît une orientation motivationnelle qui suppose une déci-sion evaluative ou sélective quant aux normes valoratives qui président à cette dite orientation. L'éthos nous paraît se placer dans ce contexte sélectif ou évaluatif.

Précisons notre affirmation. Parsons distingue l'orientation -cathétique, l'orientation - cognitive et l'orientation - evaluative.

Le premier mode d'orientation comprend les processus par lesquels un acteur impreigne un objet de signification affective et agit en consé-quence motivé par cette signification. Le second est intégré par le pro-cessus de localisation de l'objet dans le cosmos de l'acteur et de déter-mination de ces fonctions. Cette localisation se réalise selon l'impor-tance de l'objet en fonction de l'intérêt du sujet.

Le troisième mode, l'orientation - evaluative, ou mode d'orienta-tion valorative, faisant entrer en jeu les valeurs, permet d'organiser le

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système d'action. Il implique la sélection d'orientations valoratives possibles.

Ce sont précisément les normes valoratives qui, permettant l'option ou la sélection, se constituent en orientation de l'action. Elles déter-minent l'orientation des valeurs de l'acteur en question . Parsons dis-tingue les normes cognitives, les normes morales et les normes estimatives, Chacun conférera une particularité au mode valoratif d'orientation.

Ainsi le mode cognitif d'orientation valorative sera synonyme d'ac-tion orientée par la validité logique des jugements

Les normes morales en tant qu'elles définissent la responsabilité de l'acteur dans l'action, font que le mode moral d'orientation valora-tive consiste en l'orientation de l'action mesurée par les conséquences de cette action possible .

/HIOTI, les normes d'estimation indiquent si un modèle, un

objet ou une relation sociale, sera significatif ou non pour ce qui est 18

de la satisfaction immédiate de nos besoins . Par conséquent, le mode d'estimation de l'orientation valorative implique l'action orientée par la croyance en l'aptitude des objets et des relations quant à la satisfac-tion de nos besoins sociaux. Dans cette orientasatisfac-tion valorative, étant donné son caractère appréciatif, l'affectivité jour un rôle important.

L'éthos social nous paraît lié à ce dernier mode d'orientation va-lorative. C'est-à-dire qu'il constituera l'organisation hiérarchique des normes d'estimation. Ces normes régissent l'orientation des valeurs en fonction de la satisfaction immédiate des besoins.

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En ce sens nous pourrions ajouter que l'éthos social constitue l'é-lément central qui définit l'action expressive. La prédominance des va-leurs cognitives déterminera l'action intellectuelle et les vava-leurs mora-les celmora-les de l'action morale.

A ces types d'action-intellectuelle, expressive, morale, Parsons ajoute l'action instrumentale. Cette dernière se caractérise par la pré-dominance des intérêts affectifs et des normes d'estimation par rapport à l'objectif à poursuivre, mais les normes cognitives prévalent par rap-19 port au processus et à la détermination des conditions pour y parvenir

Si nous suivons le critère Schelerien, nous dirons qu'à la base de l'action intellectuelle se trouve la vision ou l'intuition du monde, alors qu'à la base de l'action expressive il y aurait l'éthos social, réservant l'idéologie à l'action instrumentale.

Remarquons enfin que l'orientation de l'acteur vers la satisfaction de ses besoins constitue une situation; elle comporte une dimension tempo-relle. Elle confère le caractère d' "expectative", d'objectivation des intérêts du sujet au niveau de l'éthos.

En concrétisant, nous pouvons affirmer que l'éthos se présente même dans la perspective parsonnienne comme une expression hiérarchisée de pré-férences valoratives. Prépré-férences qui sont organisées en fonction de l'estimation que le sujet fait des possibilités de satisfaction que les objets, modèles ou relations sociales peuvent lui donner. Ces modèles, objets ou relations sociales se présentent en tant qu'expression collec-tive, comme une structure des normes et de rôles préférentiels. Ces normes et rôles réfléchissent, à leur tour, l'organisation sociale analytiquement

(34)

configurée en sous-systèmes sociaux. Ces sous-systèmes constituent la réponse organisée aux exigences des impératifs fonctionnels de la société.

C'est-à-dire que l'éthos social parvient à être l'expression de la hiérarchisation des valeurs sociales en tant qu'elles sont liées à la satisfaction immédiate de ces exigences fonctionnelles, dans le contexte évaluatif des préférences estimatives.

Les concepts généraux que Clifford Geertz nous fournit sur l'éthos et la vision du monde, ne sont pas loin de notre perspective de l'éthos

20

et de sa différenciation du concept de vision du monde . Nous pouvons dire la même chose du concept de vision du monde que Werner Sombart nous

- «. 2 1

présente .

Dans son analyse sur l'emploi du concept de vision du monde, L. Goldmann confirme nos affirmations. Il dit appeler "vision du monde une perspective cohérente et unitaire sur les relations de l'homme avec ses

22

semblables, et avec l'univers" . C'est un fait historique et social fondamentalement signe de totalité cohérente sur le plan de la pensée conceptuelle "qui dans certaines conditions s'impose à des hommes se trou-vant dans une situation économique et sociale analogue, c'est-à-dire à

23

certains groupes sociaux" . Cette idée semble être partagée par Lukacs et le courant marxiste.

A partir de Durkheim, Merleau-Ponty, Kluckhonn, Dithey, Seibleman, Sapir, Morris et d'autres, Marcel Rioux analyse le concept de vision du monde. Nous croyons que son affirmation sur la nature historique et totalisant de la vision du monde en même temps qu'elle permet d'établir la différenciation que nous avons faite entre vision du monde et éthos

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social, permet son unification dialectique possible au niveau de

l'idéo-i • 24

logie .

En résumé, la voie que nous avons parcourue dans l'analyse de notre concept d'éthos social est la suivante: la consistance fonctionnelle des valeurs sociales se présente comme étant l'expression de l'appréciation collective accordée aux phénomènes sociaux. L'organisation de la struc-ture de sa valorisation constitue un pattern. Ce qui caractérise ce pat-tern c'est le fait d'être l'expression et la structure affective des pré-férences valoratives organisées.

Cette structure de préférence valorative n'est rien d'autre que l'expression de la perception-affective des valeurs sociales, fruit de l'expérience de la réalité sociale. C'est-à-dire, qu'elle est l'expres-sion d'une réalité sociale expérimentée par un groupe déterminé. D'autre part, étant donné que le fruit de l'expérience humaine est une synthèse créatrice, elle s'élève au caractère d'expectative par rapport à la réa-lité. L'éthos social n'est donc pas seulement réflexion de la réalité mais aussi modèle d'orientation de l'action. En tant que modèle qui orien-te l'action, il se présenorien-te comme la structure et l'organisation hiérarchi-que de normes d'estimation. Ces normes d'estimation se rapportent à la possibilité de satisfaction immédiate des besoins sociaux. Les besoins fondamentaux de la société peuvent être structurés, pour fins d'analyse, en terme d'impératif ou d'exigence fonctionnel de la société en question. C'est-à-dire, que la structure de normes et de rôles en tant qu'expression de valeurs rendent compte des expectatives et des perceptions de sujets par rapport â cette réalité sociale.

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Nous pouvons par conséquent proposer la définition théorique sui-vante de l'éthos social: Structure de préférence valorative d'une collec-tivité. Comme tel, synthèse fonctionnelle de valeurs sociales qui im-plique une structure organisée et dont l'origine se trouve dans la percep-tion - affective directe de la réalité sociale expérimentée par la collec-tivité. En tant qu'expression sociale elle représentera à la fois les expectatives valoratives implicites de la collectivité et un élément dans l'orientation de l'action. C'est-à-dire, une rencontre entre l'objecti-vité de la réalité et la subjectil'objecti-vité collective.

De notre analyse antérieure et de notre définition théorique nous pouvons extraire la définition opératoire suivante: l'éthos social serait, opératoirement, la hiérarchie des "préférences" axiologiquement normatives. L'expression de l'organisation hiérarchisée des normes d'estimation par rapport aux impératifs fonctionnels d'un groupe social.

2.4 L'éducation: antithèse fonctionnelle

"Nous pensons que l'éducation, du point de vue fonctionnel, est une antithèse de la réalité sociale. C'est-à-dire qu'elle naît du contexte social en même temps qu'elle s'op-pose à cette réalité; elle possède un caractère historique"*

Par le mot éducation nous nous référons au fait socio-culturel ins-titutionnalisé et non à l'éducation diffuse qui se produit au niveau des relations culturelles et qui n'implique pas une spécialisation sociale. C'est-à-dire que sans nier l'analogie essentielle qui existe entre les deux modalités, pour préciser notre affirmation, nous emploierons le terme

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éducation comme expression de l'activité propre de l'institution scolaire qui produit une qualification chez le sujet de l'éducation.

Quand nous affirmions dans notre analyse de l'éthos que l'éducation nous semblait avoir des relations avec la structure fonctionnelle des va-leurs, avec les processus de prise de conscience de la réalité, avec les fonctions de réélaboration de la réalité et de préparation â la transfor-mation sociale, en même temps que nous intégrions notre hypothèse nous

*

proposions un certain concept de l'éducation .

Nous voulons expliciter ce concept. Il ne signifie pas le rejet des autres perspectives sur l'éducation. Il signifie une option opéra-tionnelle qui suppose justement une certaine option théorique.

C'est pour cela que nous n'avons pas l'intention de procéder à une analyse, elle-même, complexe; mais nous désirons seulement montrer de fa-çon synthétique les grandes lignes de notre option par rapport à cette hypothèse.

Ce n'est donc pas la perspective historique qui nous intéresse mais l'explication du postulat que nous avons formulé dans notre orientation de départ.

Il semble bien que nous pourrions parler de l'éducation dans trois sens complémentaires.

On peut la considérer d'abord comme le processus qui conduit à un certain "savoir". Deuxièmement comme le processus qui conduit au "savoir faire". Troisièmement, comme le processus qui conduit au "savoir-quoi-faire".

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Nous disons "savoir" et non seulement "connaître" parce qu'il nous semble que l'éducation n'est pas seulement acquisition, création, commu-nication ou permissibilité intellectuelle de la science. Nous ne pouvons pas réduire la science, ni l'éducation, à un plan intellectuel.

Nous croyons que la science est conscience, et il nous paraît es-sentiel de le souligner. C'est-à-dire, un "savoir" qui pénètre dans l'in-terprétation et qui s'unit à l'action qui transforme et dépasse la circons-tance. La science est ainsi conscience du monde et de soi-même. L'édu-cation s'oriente vers cette conscience du monde et de soi et l'institution scolaire nous semble se justifier en fin de compte par cette orientation. Dans notre perspective nous ne pouvons pas séparer conscience réalité -action. C'est par cela que l'institution scolaire est une unité d'action sur les circonstances. Si nous affirmons que conscience et action sont deux éléments complémentaires qui sont unis dans l'être humain, nous devons également affirmer que la science en tant que conscience de la réalité n'est pas un "faire" extrinsèque à l'homme. Le savoir est le savoir-moi être historique. L'homme n'est pas un être fait, c'est un être qui se fait. L'hominisation n'est que le début de l'humanisation.

D'où notre distinction du début sur le concept d'éducation. Elle peut être considérée comme un "savoir". Savoir général de la culture. Savoir créateur de l'homme "cultivé" traditionnel. Conscience du dépôt créé par l'homme dans leur construction culturelle de la société. Vision de l'école universaliste qui en voulant donner un savoir général ne s'élève pas au-delà des prémices fondamentales de la culture classique. Formation d'une conscience du monde vide de sens projectif et qui s'épuise dans la répétition de ce qui a été fait, dans la connaissance accumulée du savoir des autres.

(39)

Elle peut être considérée comme un "savoir-faire". Professionna-lisation et spéciaProfessionna-lisation technique, élément de mobilité, d'emploi, pers-pective qui offre aux sociologues des possibilités permanentes d'étude. Acquisition du savoir-faire bien. Conscience de la transformation tech-nique et de la capacité pour l'opérer. Conscience, généralement au

service de ceux qui contrôlent le "faire", et qui est plus profitable dans la mesure où elle sait bien faire. Condition indispensable du progrès mais dont l'utilisation partielle, impliquera la conscience des

possibi-lités vide de la conscience libératrice de l'oppression; oppression qui crée la non possession des fruits de la transformation technique. Cons-cience qui s'épuise sans se poser de questions sur le pourquoi de son propre faire.

Finalement "savoir-quoi-faire", conscience du faire qui se pose des questions sur le "quoi" et le "pourquoi". Processus interpersonnel institutionnalisé qui permet le développement de la capacité d'interpré-tation reflexive, capacité de "dévoiler" les signifiés que la réalité met en cause et qui rend possible la praxis transformatrice.

La compréhension dialectique de ces signifiés et la transformation conséquente s'opèrent soit au niveau des critères culturels d'action, soit au niveau de "l'acceptation" valorative des relations ou objets sociaux. C'est-à-dire au niveau des valeurs culturelles et des valeurs sociales.

C'est précisément de cette perspective que naît l'intérêt pour relier l'éducation à l'éthos social, expression, à son tour, aussi bien de la réalité sociale que de l'attitude du sujet face à elle.

Si auparavant nous affirmions que l'éthos était une synthèse fonc-tionnelle, que la thèse correspondante était l'affirmation de l'existence

(40)

d'un ordre socio-culturel déterminé et que l'antithèse était l'expérience de cette réalité, nous disons maintenant que l'éducation se présente à nous au plan d'une antithèse. Elle est à notre avis un des éléments qui entrent en jeu dans la détermination de la conscience de la réalité, dans l'interprétation des signifiés et de sa transformation.

Il existe logiquement d'autres variables qui se comportant comme antithèse pourraient être mises en relation avec l'éthos et sa structure. Nous ne nions pas ni ne contrôlons leur présence. Affirmant que l'édu-cation est un phénomène significatif dans la construction de l'éthos so-cial nous procédons à l'établissement de la corrélation correspondante.

Finalement, l'affirmation de l'éducation comme un processus qui s'oriente vers le savoir-quoi-faire, recouvre l'affirmation de l'éduca-tion comme instrument idéologique.

Pour nous, l'affirmation du savoir-quoi-faire comme note essentielle du processus éducatif, suppose l'affirmation de l'homme comme un être

"daté", ouvert, sujet d'option. L'option la plus significative est celle qu'il doit faire en choisissant le monde qu'il désire pour soi-même et qui n'est autre option que celle de soi-même. L'éducation apparaîtra comme une réponse et une intégration au moment historique dans lequel se situe

le sujet, non pour qu'il l'accepte ou s'y installe, mais pour qu'il aille au-delà de sa propre situation. Elle se présentera comme exigence de l'existence réelle de ces options ou comme provocatrice des situations qui se conclueront par la création de nouvelles options.

Elle suppose également l'affirmation de l'homme en tant que cons-cience et praxis, en tant que capacité d'aller au-delà du "hic et nunc",

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situation de confrontation avec son histoire et avec les limites qu'elle y trouve. Capacité de donner une signification à son environnement dans

la mesure où non seulement il "l'admire" (au sens grec), mais où il le transforme en le dépassant.

C'est-à-dire un concept d'éducation qui suppose non seulement la connaissance mais la re-connaissance, non seulement la science mais la con-science, non seulement le savoir mais le quoi et le savoir-pourquoi-faire, jugement critique, découverte de la réalité, acceptation dialectique et objectivation sociale qui contribuent à la formation de la structure conceptuelle-affective des valorisations sociales.

Le processus de valorisation sociale, en accord avec nos concepts, nous semble être un processus dialectique. On ne peut pas le comprendre sans prendre position sur la relation conscience-réalité.

On l'a déjà exprimé. Toute valorisation sociale est expression d'une thèse: l'existence objective d'une réalité sociale déterminée et d'une antithèse, l'expérience vécue de cette réalité. En exprimant l'unité théorie-praxis l'antithèse constituera une manifestation de la réalité en même temps qu'elle s'y opposera.

Si on conçoit l'éducation comme étant un des éléments qui unit théorie et praxis, conscience et réalité, en une compréhension transfor-matrice de la réalité socio-culturelle, elle sera logiquement manifesta-tion d'une expérience sociale. C'est-à-dire qu'elle sera une antithèse sociale.

Une pareille idée n'est pas nouvelle, mais on l'a oubliée et seule-ment fait revivre avec le développeseule-ment progressif de la conception

(42)

Avec les réserves du cas, nous ferons quelques citations histori-ques:

En 1797, Pestalozzi affirmait qu'une authentique éducation humaine entre en conflit, dans l'ordre capitaliste, avec les relations matérielles inhumaines entre personnes .

Avant ce dernier, Helvétius affirmait en 1781 que l'art de la for-mation des hommes dans tous les pays est tellement lié au système politi-que politi-que sans un changement dans la constitution du pays une transformation

2 de l'éducation populaire est impossible .

Kant, lui-même, dont les tendances philosophiques sont bien connues, fait des commentaires similaires en exprimant, en 1798, ses doutes sur la capacité du professeur à créer quelque chose de différent de sa propre culture .

Bauer, défenseur de ce qu'on a appelé "communisme critique", conçoit le rôle de l'éducation comme étant un processus qui aide à la révolution mais qui ne s'y substitue pas. C'est ainsi que le 6 de juillet 1845, lors du colloque organisé par l'Association des enseignants de Londres, Bauer exprima l'opinion qu' "on ne peut compter sur l'activité éducative pour produire des résultats sérieux. La classe possédante ne fera jamais de concessions si elle ne se voit obligée par de fortes contraintes physiques". Cependant, il ajouta que "l'activité éducative prépare toujours une

nou-4 velle révolution" .

Le dilemme que certains croient voir entre une théorie qui soutient que l'éducation est la transformation de l'homme en un être nouveau,

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indé-pendant et autonome, capable de créer un monde nouveau à partir de l'édu-cation de soi-même, et l'autre qui affirme que l'édul'édu-cation est la déter-mination sociale exprimée en termes culturels, qu'elle est le processus d'adaptation à la réalité existente, et, qu'à partir d'elle, l'homme peut seulement trouver sa propre réalité sociale, nous semble être un faux dilemme.

Il nous semble qu'à partir d'une affirmation simple, nous pouvons résoudre ce dilemme.

Nous concevons l'éducation comme étant lié au processus de produc-tivité. Le travail éducatif, en tant qu'expression historique, est un pro-cessus qui toujours cherche quelque chose et y conduit. Plus clairement, il est une force de production. Comme nous le disions auparavant, c'est un processus qui peut conduire au "savoir", au "savoir-faire" ou au "sa-voir-quoi et pourquoi faire".

Bourdieu et Passeron ont fait diverses analyses des expressions socio-culturelles de ces forces productives mises au service d'un système de production déterminé .

Toute force productive réalise son existence à l'intérieur de rap-ports de production déterminés. Entre eux, il nous semble y avoir une relation d'affirmations et de négations mutuelles. Relation semblable à celle qui existe entre la superstructure et l'infrastructure sociale, c'est-à-dire, non pas une simple relation de dépendance unilatérale, mais plutôt dialectique. C'est ainsi que, quand les produits de la conscience sociale "entrent en conflit avec les relations existantes, cela se produit seulement parce que les relations sociales existantes sont entrées cn contradiction avec la force productive existante" .

(44)

D'où le double rôle de l'éducation, d'une part elle est conséquence de l'affirmation de la réalité sociale qui cherche à se perpétuer, et de l'autre une négation de l'affirmation d'une telle perpétuation.

Répétons-le, l'éducation nous semble être une force productive, un processus qui "vise à transmettre une certaine compétence, un savoir et

7

un savoir-faire" . Elle est, en tant que pratique éducative, une appro-priation du milieu humain. Selon l'expression de E. Balibar, une relation d'appropriation réelle.

Cette force productive se trouve organisée à l'intérieur d'un rap-port de production, c'est-à-dire dans un système de relation de propriété. Les forces productives reflètent les types de rapport de production dans lesquels elles se trouvent. Mais en même temps ce rapport de production est sa propre limite. De telle façon que "toutes les collisions de l'his-toire tirent leur origine de la contradiction entre les forces productives

g et les systèmes de relation" .

Nous pourrons donc distinguer trois interprétations du sens de l'éducation:

1) L'éducation comme l'expression directe des rapports de produc-tion, c'est-à-dire les forces productives sont sous la dépendance déter-minante du système dominant. L'éducation est une force instrumentalisée d'adaptation aux relations sociales.

2) Les forces productives sont indépendantes des rapports de pro-duction. En ce cas l'éducation a son propre chemin. Elle est créativité de l'homme autonome, de la conscience autonome.

Figure

Tableau II
Tableau III  Degré de scolarisation
Tableau IV
Tableau IX
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