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Revue Médicale Suisse–
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25 août 2010actualité, info
courrier
Nous ne sommes pas des Toyota
Merci infiniment d’avoir publié ce très beau texte du Dr Luthy «La vie des autres, le méde- cin et la médecine» (Revue médicale suisse 2010;6:1472).
Cela fait beaucoup de bien d’entendre parler d’humanité de la part de nos confrères univer- sitaires, eux que l’on entend surtout évoquer les «Evidence based medicine».
Ce magnifique texte contient toute une série d’éléments fondamentaux que nos politiciens s’acharnent à détruire. Il met une nouvelle fois en lumière que la médecine n’est pas réduc- tible à des DRG. Car, dans cette nouvelle structure où tout doit être calculé au plus juste, où chaque instant d’un «prestataire de soins»
doit être rentabilisé, où va-t-on bien pouvoir inclure ces moments si précieux passés avec les patients et qui sont souvent bien plus effi- caces que tous les anxiolytiques et anti- dépresseurs ? Dans la tête des politiciens et des assureurs, la médecine peut être résu- mée : «Madame, vous avez une angine, donc sept jours d’amoxicilline». On a le diagnostic, le traitement, cela fait un nombre de points et une valeur finale de tant. Facile, tout ça entre dans les ordinateurs…
Nous ne traitons pas des Toyota Corolla ou des VW Golf qui sont toutes pareilles. Et cela contrarie les assureurs et autres comptables qui ne parviennent pas à mettre les patients dans des cases, ou alors il faut une case par patient, ce qui ne leur convient pas ! Oui, nous traitons des patients et le patient est unique, il a son histoire, son vécu, ses expériences, ses croyances, ses sensibilités, ses antécédents médicaux… et il n’y en a pas deux comme lui.
Et notre devoir de médecin est justement de devoir sans cesse adapter nos connaissances
à ces cas uniques. C’est un travail compliqué qui nous oblige à longueur de journée à jon- gler avec les recommandations et les pos- sibilités d’adaptation. C’est exactement ce travail que l’on veut simplifier avec des organi grammes, des arbres décisionnels, des DRG, pour qu’enfin les patients devien- nent des Toyota et des VW.
Les DRG, les réseaux de soins intégrés et toute la bureautechnocratie que l’on essaye de mettre sur pied sont autant d’entraves à l’exercice d’une médecine de qualité. Ils signent la fin de la médecine individuelle au service du patient (fin du colloque singulier) et ils font entrer la pratique médicale dans le système économique qui a causé la crise économique actuelle : belles statistiques, démonstrations clinquantes de banalités, recher che du profit immédiat avant tout et distribution de bonus à ceux qui font tourner
«le manège» sans scrupule.
Souhaitons que le Dr Luthy arrive à inculquer sa vision du patient aux jeunes confrères qui sont en formation dans son service. C’est le seul espoir de pouvoir encore apporter aux patients une visite supplémentaire ou un signe que l’on s’intéresse à eux, et qu’ainsi on améliore énormément les scores d’adhé- sion aux traitements et de guérison. C’est fina lement ce qu’il y a de plus passionnant dans notre profession.
Dr Jean-Pierre Grillet Président de la Société suisse de dermatologie
et vénéréologie Dermatologie et allergologie FMH 12, ch. de Beau-Soleil, 1206 Genève jeanpierre.grillet@hin.ch
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