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La promotion de la construction du Nouveau Centre urbain de Villeurbanne à travers l’image et le texte

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1

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août

2012

Diplôme national de master

Domaine - sciences humaines et sociales

Mention – sciences de l’information et des bibliothèques Spécialité – culture de l’écrit et de l’image

La promotion de la construction du Nouveau

Centre urbain de Villeurbanne à travers l’image et

le texte

Maryline Desaintjean

Sous la direction d’Evelyne Cohen

Professeur d’histoire et anthropologie culturelle du XX° siècle – École nationale supérieure des Sciences de l’information et des bibliothèques

(2)
(3)

Remerciements

Mes remerciements vont à Madame Evelyne Cohen, pour ses conseils et pour l’indulgence qu’elle a eue à mon égard.

Je tiens à remercier les Archives Municipales de Villeurbanne, ainsi que les Archives Municipales de Lyon pour l’aide et les renseignements qu’elles m’ont apportés.

Je remercie aussi Monsieur Philippe Rassaert, de la Bibliothèque Municipale de Lyon , pour m’avoir encouragée à m’intéresser aux photographies du fonds Jules Sylvestre, et pour m’avoir orientée sur le thème de la construction du Nouveau Centre urbain de Villeurbanne.

Je salue également

Madame Anne-Sophie Clémençon, historienne des formes urbaines et de l’architecture (ENS de Lyon), qui a eu la gentillesse de me recevoir, et de me renseigner sur certains points.

Monsieur Christian Joschke, enseignant-chercheur à l’Université Lyon 2, qui a bien voulu m’apporter des indications bibliographiques.

Enfin, je remercie Aude, Mara et Mathilde pour leur soutien, et leur aide précieuse et efficace.

(4)

Résumé :

Les années d’entre-deux-guerres sont marquées par un retour de l’intervention publique, amorcée dans les années 1900-1910.

A l’échelle de la ville, les municipalités tentent de maitriser les effets de l’industrialisation, et de l’accroissement de la population en optant pour l’aide au logement, et un premier urbanisme.

C’est dans ce contexte qu’en 1927, à Villeurbanne, le Maire socialiste Lazare Goujon lance la construction d’un nouveau centre urbain afin de répondre au besoin de logements, et au manque de services publics.

Ce centre urbain à l’architecture moderne n’est pas devenu le symbole de Villeurbanne par hasard, car si la municipalité a effectivement été à l’origine de cette aventure urbaine, elle a aussi activement participé à la promotion de ses réalisations.

Or, dans les années 1930, la modernité touche non seulement l’architecture, mais aussi son image, et les médias en général.

Il serait donc intéressant de voir comment l’information à la fois écrite, et visuelle diffusée pendant la construction ou juste au lendemain de son achèvement, a pu contribuer à faire du Nouveau Centre le socle de l’identité villeurbannaise.

Abstract :

The years between the two world wars are marked by a return to public intervention, which had begun in the decade 1900-1910.

At the city's scale, the municipalities tried to control the effects of indutrialization and of the growth of the population by opting for a housing policy and a first attempt at urbanism.

It is in this context that in 1927 the socialist mayor of Villeurbanne Lazare Goujon impulses the construction of a new urban center to answer the need for lodgings and the lack of public services. This urban center with its modern architecture has not become the symbol of Villeurbanne by chance, for if the municipality originated this urban adventure, it also participated in the development of its achievements.

However, in the 1930's, modernity does not concern only architecture, but also its image, and the media in general.

It would therefore be interesting to study how information (whether it is written or visual, published during construction or just afterwards) has contributed to make the New Center the basis of villeurbannaise identity.

Droits d’auteur réservés.

Toute reproduction sans accord exprès de l’auteur à des fins autres que strictement personnelles est prohibée.

(5)

Sommaire

SIGLES ET ABREVIATIONS ... 9

INTRODUCTION ... 11

PARTIE 1 : LA MAISON SYLVESTRE ET LES PHOTOGRAPHIES DU NOUVEAU CENTRE URBAIN DE VILLEURBANNE ... 13

LA GENESE DE LA MAISON SYLVESTRE ... 13

Les débuts d’un photographe : Jules Sylvestre ... 14

Les premières commandes : l’atelier s’agrandit ... 15

Des Successeurs dans la continuité ... 19

UN ATELIER DE PHOTOGRAPHIE INDUSTRIELLE LYONNAISE ... 20

La naissance de la photographie industrielle ... 20

La photographie lyonnaise : une des premières à se développer ... 24

L’atelier de la Maison Sylvestre ... 29

L’HISTOIRE DU FONDS PHOTOGRAPHIQUE JULES SYLVESTRE ... 37

La constitution du fonds et sa conservation ... 37

Description du fonds : un fonds extrêmement varié ... 39

LE CORPUS ETUDIE : LES PHOTOGRAPHIES « SYLVESTRE » DU NOUVEAU CENTRE URBAIN DE VILLEURBANNE ... 42

Photographier la ville au début du XXème siècle... 42

Le contexte de la commande : des réalisations municipales d’envergure... 44

Les photographies Sylvestre, mais pas seulement ... 44

PARTIE 2 : LA MEMOIRE PHOTOGRAPHIQUE DU NOUVEAU CENTRE URBAIN : ENTRE TEMOIGNAGE ET PROMOTION ... 50

CE QUE NOUS DISENT LES PHOTOGRAPHIES : LA CONSTRUCTION DU NOUVEAU CENTRE ... 50

Au premier plan : des édifices, une ville ... 50

Trois « sujets » photographiés, un programme architectural ... 50

Le processus de construction fixé par la photographie... 54

Le « mobilier urbain » : l’image d’un premier urbanisme ... 59

En arrière-plan : un portrait de Villeurbanne dans l’entre-deux-guerres ... 67

Une banlieue industrielle très peuplée ... 67

Entre ville et campagne, une organisation dispersée et anarchique ... 69

Un nouveau centre en rupture ... 71

En filigrane : la promotion d’une idéologie politique et urbaine ... 73

Son expression : la question du financement, le logement social, et les services 73 La contribution du Nouveau Centre aux débats des années 1920-1930 sur l’hygiène et l’habitat ... 81

CE QUE NOUS DIT L’ACTE PHOTOGRAPHIQUE : LE MEDIUM PHOTOGRAPHIQUE COMME VECTEUR PROMOTIONNEL... 88

1. L’anonymat du photographe ... 89

La reconnaissance tardive du photographe au début du XXème siècle ... 89

L’identité du photographe : une quête impossible ... 90

La photographie, seule expression de sa présence ... 91

2. La promotion de l’architecture par l’image ... 93

Dans les années 1920-1930 : la photographie au service des architectes ... 93

Les photographies des plans et perspectives du nouveau centre : valoriser le projet urbain avant sa réalisation ... 96

(6)

3. L’intention du photographe : des choix photographiques ... 96

Une parfaite maitrise des contraintes de prise de vue ... 97

Une certaine mise en scène de la présence humaine sur les photographies ... 106

III. QUAND LA PHOTOGRAPHIE NE NOUS DIT PAS TOUT ... 108

1. Savoir lire entre les lignes de l’image ... 108

Un intérêt mitigé du côté des commerces ... 108

Les immeubles de la rue Michel Servet et l’absence d’un projet initial cohérent : une modernité inachevée ... 110

2. Au-delà de la photographie : les failles ... 111

Le crime que j’ai commis ou le stade jamais réalisé ... 111

Une méfiance des habitants à l’égard des logements ... 113

Une reconnaissance tardive dans les guides touristiques ... 116

Un succès politique contesté : l’échec des élections de 1935 ... 121

PARTIE 3 : PROMOTION DU NOUVEAU CENTRE URBAIN PAR LA PRESSE ET LES EVENEMENTS ... 123

I. LA DIFFUSION DE L’INFORMATION DANS LA PRESSE ... 123

1. Les différents rôles joués par la Municipalité villeurbannaise ... 123

L’envoi de documentations ... 123

La commande et l’écriture d’articles ... 128

Le contrôle de son image... 130

La préservation de la mémoire du Nouveau Centre ... 132

2. Les usages de la photographie du Nouveau Centre dans la presse ... 133

La photographie dans la presse, au début du XXème siècle ... 133

L’image du Nouveau Centre très présente dans la presse ... 135

Le rôle de la photographie du Nouveau Centre dans la presse ... 137

3. L’appréhension du Nouveau Centre dans l’écriture ... 150

1) Un regard différent selon le type de presse ... 150

La presse locale : le nouveau centre, un lieu à connaître ... 150

La presse « engagée » : le nouveau centre, un prétexte, un exemple ... 153

La presse architecturale : le nouveau centre, l’image de la modernité ... 154

2) Des stratégies d’écriture variées ... 158

Vulgarisation du discours ... 158

Le voyage ou la ballade dans le nouveau centre ... 159

Une écriture qui s’inspire de la réclame publicitaire ... 160

L’invention d’une légende ... 160

II. LA FIXATION D’UN DISCOURS ET D’UNE IMAGE OFFICIELS DANS LES PUBLICATIONS MUNICIPALES ... 161

Une courte histoire de la presse municipale ... 162

Les brochures et l’affiche ... 163

Le Nouveau Centre : le nouveau symbole identitaire de Villeurbanne ... 163

La promotion passe par la publicité ... 168

La promotion passe par l’évènement : les fêtes inaugurales ... 170

Le nouveau centre : un enjeu politique ... 173

Le Nouveau Centre dans le « Livre d’or » ... 173

Une image touristique du quartier des Gratte-Ciel : les cartes postales ... 180

III. LA RECEPTION ET LE RELAIS DE L’INFORMATION PAR LES PARTICULIERS ET LES PROFESSIONNELS... 185

La manifestation d’un intérêt pour le Nouveau Centre, de la part de particuliers et de professionnels ... 185

(7)

Erreur ! Source du renvoi introuvable.

CONCLUSION ... 189

SOURCES ... 191

BIBLIOGRAPHIE ... 197

TABLE DES ANNEXES ... 201

(8)
(9)

Sigles et abréviations

AMV, Archives Municipales de Villeurbanne AML, Archives Municipales de Lyon

(10)
(11)

Introduction

En 1938, l’ancien maire socialiste de Villeurbanne, Lazare Goujon écrit :

«Le quartier des Gratte-Ciel, […] sera le pilier fondamental de la renaissance de Villeurbanne »1.

En 1931, lorsque la construction du Nouveau Centre urbain démar re, Villeurbanne est une petite cité ouvrière, située au Nord-Est de Lyon, à la naissance de la plaine du Dauphiné. Elle se présente alors sous la forme d’ « une mosaïque de petits quartiers »2

, dépourvue de centralité. C’est pour remédier à cette carence que le maire Lazare Goujon, aurait, selon la légende, dessiner sur une carte de la commune, le Nouveau Centre urbain, en le plaçant au cœur géographique du territoire villeurbannais3

.

Ce programme architectural et urbanistique comprend un Hôtel de ville, construit par l’architecte grand prix de Rome Robert Giroux, un Palais du Travail, et des immeubles de logements, réalisés par Môrice Leroux. Il s’inscrit dans les nombreuses réalisations décidées par la municipalité de 1924 à 1934, afin de doter la commun e des principaux équipements et services qui lui faisaient défaut4.

En ce qui concerne l’édification du Nouveau Centre urbain, il répondait aussi à un désir politique de « différenciation »5 de la commune, qui durant tout le XIXème siècle, et encore au début du XXème, est menacée par le désir d’annexion de sa voisine Lyon. Pour la municipalité, ce projet urbain revêt donc un aspect symbolique fort : affirmer son indépendance sociale et politique.

L’histoire de la construction de ce Nouveau centre a, depuis le cinquantenaire6

de sa construction, fait l’objet de nombreuses publications historiques. Nous avons donc choisi d’orienter notre étude sur un aspect plus spécifique : la manière dont la

1

GOUJON, Lazare, Le Crime que j’ai commis ?, Imp. Nouv. Du Sud-Est, Villeurbanne, 1938, p. 19.

2 M. Gagnaire, Service Commerce Conseil de la Chambre du Commerce et de l’Industrie du Rhône, dans un entretien le 5 avril

2001, d’après CLEMENT, Caroline, Les Gratte-Ciel à Villeurbanne, image illusoire d’un centre mystifié, mémoire de maitrise, Université Lyon 3, 2001, p. 19.

3 FLEURY, Jean, Le Centre neuf de Villeurbanne, A.T.L ., Villeurbanne, 1934 4

A savoir : deux internats primaires ruraux, cinq groupes scolaires, une piscine d’hiver et une piscine d’été, un musée, un stade, un dispensaire d’hygiène sociale, une centrale thermique, un service de la voie publique et des égouts… Pour avoir la liste complète, voir CLEMENCON, Anne-Sophie (dir.), Les Gratte-Ciel de Villeurbanne, les ed. de l’Imprimeur, 2004, p. 90.

5

MEURET, Bernard, Le socialisme municipal Villeurbann e, 1880-1982, PUL, 1982.

6

(12)

Municipalité villeurbannaise a orchestré la promotion de son No uveau Centre. Cette idée nous est venue après avoir consulté un ensemble de photographies qui en retrace la construction.

Il s’agit des photographies réalisées par le studio lyonnais Jules Sylvestre, approximativement entre 1931 et 19367. Cette production est le fruit d’une commande passée par la Municipalité villeurbannaise. Elle appartient au genre de la photographie industrielle. Elle offre à la fois des vues des étapes successives de l’érection des édifices composant le Nouveau Centre, et des images de ces bâtiments juste avant leur mise en service. Dans la mesure où ces clichés étaient soumis aux contraintes de la technique photographique, de l’interprétation du photographe et du statut de commande, il nous a semblé intéressant de nous demander quelle représentation du Nouveau Centre transparaissait à travers eux.

Cette question s’est vue complétée par celle des usages faits à partir de ces photographies. Notre attention s’est alors portée sur les articles parus dans la presse locale, nationale, spécialisée ou générale, entre 1932 et 19368. En effet, celle-ci a beaucoup utilisé la photographie Sylvestre, mais pas seulement, pour illustrer les articles qu’elle a consacrés au Nouveau Centre. Il nous a fallu tenir compte du contexte de l’évolution de la presse dans les années 1930, à savoir son utilisation de plus en plus massive de la photographie, comme réponse à une période de crise.

Cette étude d’un corpus d’articles de presse nous a par la même occasion invité à considérer le rôle joué par le municipalité villeurbannaise dans cet emploi de la photographie dans la presse.

De manière logique, et afin de prolonger cette réflexion sur l’importance de la municipalité villeurbannaise dans la promotion du Nouveau Centre, nous avons finalement orienté notre regard sur les publications faites par la municipalité elle -même.

7 Aucun document ne témoigne de la datation de ces photographies. Ces approximations tiennent à l’état des constructions sur les

photographies.

8

1936 marque le moment où les communistes commencent à dénoncer la construction du Nouveau Centre, comme la raison principale de l’état déplorable des finances municipales de Villeurbanne. Par manque de temps, et parce que notre sujet porte sur la promotion du Nouveau Centre, nous avons préféré concentrer notre analysé sur les années précédant le changement

(13)

Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne

Partie 1 : La Maison Sylvestre et les

photographies du nouveau Centre Urbain de

Villeurbanne

La première source à partir de laquelle nous avons cherché à caractériser le processus de promotion du Nouveau Centre Urbain de Villeurbanne est l’ensemble de photographies qu’a réalisée la Maison Sylvestre, pour le compte de la municipalité villeurbannaise dans les années 1930. Il est donc logique de faire précéder notre analyse des photographies par un rappel de l’histoire de la Maison Sylvestre à la charnière du XIXème et du XXème siècle. Afin de mieux situer cette entreprise dans l’évolution de la photographie dans le temps et dans l’espace, nous ferons un point sur la photographie industrielle, et la photographie lyonnaise. Cette partie sera aussi l’occasion d’expliquer les origines de la création du fonds Jules Sylvestre duquel nous avons extrait notre corpus de photographies sur la construction du Nouveau Centre villeurbannais. Enfin, il nous faudra aussi décrire la nature de la commande faite par la municipalité villeurbannaise à la Maison Sylvestre, et le contexte dans lequel elle a été passée.

LA GENESE DE LA MAISON SYLVESTRE

Les photographies que nous avons analysées ont été produites au cours des années 1933-1934 après la reprise de la Maison Sylvestre par Mademoiselle Savoye. Néanmoins, il nous a paru nécessaire de retracer toute l’évolution de cette entreprise de photographie industrielle, dans la mesure où, au moment où la municipalité villeurbannaise a passé commande au studio Sylvestre, la nouvelle directrice n’était autre qu’une ancienne employée du photographe Jules Sylvestre (elle a donc été formée à ses côtés). D’autre part, Jules Sylvestre, bien que parti à la retraite au moment de cette commande, a continué à s’informer de l’activité de son ancienne entreprise. La technique, comme la méthode avec laquelle les photographies du Nouveau Centre ont été prises sont donc étroitement liées à l’évolution même de la carrière du photographe Jules Sylvestre.

(14)

Les débuts d’un photographe : Jules Sylvestre

En France, dès la fin du XIXème siècle, les photographes industriels et de reportage sont nombreux : ils exercent une activité locale importante. D’après Guy Borgé9, il ne nous reste aujourd’hui que peu de documents permettant de retracer leur métier, en raison de la disparition de leurs archives. Il en est de même concernant le photographe Jules Sylvestre. D’après le Registre de l’Etat Civil, Jules Sylvestre est un enfant naturel né en 1859, fils de Louis Faure, employé délégué de l’Hospice de la Charité, âgé de soixante ans au moment de la naissance, et de Froise Sylvestre, simple tailleuse de vingt-deux ans. Une des sources attestant de l’existence de Jules Sylvestre, et indiquant la nature de sa profession est Le livre d’Or des Décorés Lyonnais, paru en 1911 et dédié au Président Fallières. Selon toute vraisemblance, la notice biographique qui est faite de Jules Sylvestre semble quelque peu édulcorée : il est en effet écrit que le jeune homme, après des études à l’école communale,

choisit la profession de photographe où il occupa pendant dix-huit ans le poste d’opérateur à la Faculté de Médecine, attaché au Service des Professeurs Ollier, Etievant et Molière. Il fut aussi attaché au service Anthropométrique pendant quelques années. En 1892, il créa un atelier de photographie qui ne fit que prospérer […].10

Il est pourtant peu probable qu’en 1873 la faculté ait confié à un jeune homme sans qualification le poste d’opérateur, alors que la technique encore en usage à cette époque, celle du collodion humide demande une certaine maitrise qui s’acquiert avec l’expérience. D’ailleurs, il faut rappeler qu’à Paris, ce n’est qu’en 1878 que le spécialiste Albert Londe, aux côtés du Professeur Charcot , devient le premier opérateur titulaire du nouveau service, donnant ainsi naissance à la photographie médicale. C’est pourquoi, il est certainement plus vraisemblable de penser que Jules Sylvestre a commencé comme garçon de laboratoire : on peut supposer qu’il avait la charge d’ouvrir et de fermer les locaux, de préparer les instruments et récipients, de ranger, de nettoyer, d’allumer les poêles…etc. Aucune trace écrite ne nous permet de décrire comment il en est venu à la photographie mais on peut imaginer qu’avec son modique salaire, il s’est offert un appareil photographique, lui permettant de pratiquer en amateur. Par la suite, le Professeur Ollier a pu entrevoir ses épreuves, et lui demander des prises de vues de

9

BORGE, Guy, BORGE Marjorie, « Jules Sylvestre », Prestige de la photographie, N°7, août 1979.

10

Registre de l’Etat civil, acte de naissance n°2506, dans BORGE Guy, BORGE Marjorie, « Jules Sylvestre », Prestige de la

(15)

Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne pièces anatomiques ou de malades. Jules Sylvestre s’est donc formé lui-même, très jeune. On peut aussi rappeler le fait qu’à cette époque, le photographe Antoine Lumière a son studio au 12 rue de la Barre, non loin de la Faculté de Médecine. Peut -être Sylvestre a-t-il rencontré Antoine Lumière, et lui a-t-il demandé des conseils. En 1892, Sylvestre, qui a eu le temps de perfectionner sa maîtrise du nouveau procédé moderne du gélatino-bromure, mis au point en 1878, choisit d’ouvrir son propre atelier photographique dans le quartier moderne de la Rive Gauche du Rhône, au numéro 23 du cours de la Liberté.

Les premières commandes : l’atelier s’agrandit

L’année 1894 marque une date importante dans le travail du photographe, alors âgé de trente-cinq ans : c’est l’année de l’Exposition Internationale dont les installations se font dans l’enceinte du Parc de la Tête d’Or. A Lyon, en raison du nombre encore restreint de photographes industriels, Jules Sylvestre obtient de nombreuses commandes de prises de vue de l’Exposition, afin de décorer d’immenses épreuves les Palais et Stands. C’est aussi cette année-là, sur un hasard de circonstances qu’un événement tragique va faire indirectement le succès du jeune photographe. Sylvestre étant installé à cent mètres de la Préfecture, c’est lui qu’on convoque lorsque le Président Sadi Carnot, venu à Lyon pour inaugurer l’Exposition en mai 1894, est assassiné par l’anarchiste Caserio. Suite à cette opportunité incongrue, Sylvestre, dont les clichés très nets ont d’ailleurs inspiré un peintre et un dessinateur de journal11, acquiert ainsi une notoriété qui lui ouvre les portes de l’édition. Plusieurs éditeurs vont faire appel à lui pour illustrer des ouvrages artistiques de grand luxe, tels que La publication Calavas sur Lyon architecture et

décoration, ou encore L’Art romain dans la Région Lyonnaise.

Très vite, l’installation de Sylvestre au 23 cours de la Liberté ne suffit plus : il souhaite installer de nouveaux studios de prise de vues et de reproductions, de pratiques laboratoires, des ateliers de retouche, de finition, de montage, un lieu pour ses archives… Jules Sylvestre achète donc en 1898 un nouveau local, ayant auparavant appartenu à un fabricant de meubles de style, au 2 rue de Bonnel. Ce nouveau local permet à Sylvestre de profiter d’une lumière avantageuse, en recouvrant une cour

11

En effet c’est à partir de l’un de ses clichés que le peintre Henry Condamin a peint le tableau intitulé Les derniers instants du

Président Carnot : il représente les autorités de la ville et du département entourant le premier personnage de l’Etat. De même, la

photographie de Sylvestre a servi de modèle à la gravure du dess inateur Girrane, publiée dans un supplément illustré du journal Le Progrès.

(16)

intérieure d’une importante verrière. Ces conditions de travail répondent alors parfaitement au type de commandes qu’il reçoit : la prise de vue d’œuvres d’art.

Autour de l’année 1898, Jules Sylvestre est chargé de prendre des p hotographies de toutes les toiles exposées aux Salons des Beaux-Arts. Ces travaux permettent à Jules Sylvestre de se faire connaître dans le milieu des Beaux-Arts. C’est ainsi que Sylvestre obtient une commande importante, celle de reproduire les tableaux du Musée de Lyon. Sylvestre en profite pour éditer des cartes postales à partir de ces photographies.

Par la suite, Sylvestre a développé son affaire, étendant son champ d’activité à la fabrication d’appareils photographiques. Il souhaitait répondre aux désirs de ses clients amateurs en leur vendant un matériel simple, léger, utilisable facilement. De plus, il met au point un obturateur central, pour lequel il dépose un brevet de quinze ans en 1897. Toutefois, il faut relativiser la partie fabrication de l’activité de l’atelier de Sylvestre : d’après Guy Borgé12, une fabrication aussi délicate demande l’effort de plusieurs corps

de métiers. Il est donc plus probable que Sylvestre sous-traitait le petit nombre d’appareils qu’il produisait, dans une usine spécialisée. En 1902, Sylvestre sort deux nouveaux types d’appareils photographiques fournis avec l’obturateur Sylvestre : un Klapp et une Folding.

Cette question de l’instrument photographique nous amène à nous demander avec quel appareil le photographe Jules Sylvestre travaillait. Afin d’illustrer les ouvrages d’art dont nous avons parlés plus haut, et dans la mesure où ceux-ci nécessitent des photographies avec un maximum de piqué et de détails dans les demi-teintes, Jules Sylvestre achète une chambre de vo yage carrée 24x30 cm. Elle est aujourd’hui conservée aux Musées Gadagne de Lyon.

12

(17)

Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne

Illustration 1 : Appareil photographique de Jules Sylvestre

Chambre de voyage en acajou, du modèle Globus A.G.Ernemann E.Herbst et Firl. Görlitz, plaques de 30X40 cm

Conservé aux Musées Gadagne.

Concernant la sacoche qui devait servir à la transporter, on peut en avoir une idée, en regardant une des photographies du fonds Jules Sylvestre.

Illustration 2: Projet de pont en place de l'actuel Pont Clémenceau Fonds Jules Sylvestre, BML

(18)

D’après les écrits de Guy Borgé, Sylvestre basait son travail sur une méthode « ultra-rapide » : il usait d’un très grand format, d’un éclairage solaire uniquement, d’amples décentrements, d’un diaphragme fermé à fond, il n’utilisait pas d’obturateur mais un bouchon, il préférait une longue exposition au profit des ombres du sujet, il effectuait un développement individuel de chaque plaque à la lumière rouge, et il affaiblissait au ferricyanure de potassium des parties de clichés surexposés. Il opérait le tirage par contact, et montait ensuite l’épreuve à sec sur un fort carton.

Il semblerait que Jules Sylvestre ait eu un succès assez impo rtant, il était reconnu, et faisait partie des plus grands photographes industriels lyonnais. D’ailleurs, nous avons retrouvé une photographie de son atelier du 2 rue de Bonnel dans le fonds Jules Sylvestre : visiblement, l’affaire Sylvestre était assez importante compte tenu de la taille du magasin. Par ailleurs, Guy Borgé nous indique que la production Sylvestre a reçu une sorte de reconnaissance honorifique en étant cité par l’opticien parisien Krauss, parmi la quarantaine des meilleurs fabricants du moment, aux côtés de Kodak, Lumière (pour son cinématographe), ou encore Mackenstein.

Après quelques années, Jules Sylvestre parvient à diversifier son activité, et à acquérir une clientèle toujours plus nombreuse et demandeuse : il ne tarde pas à s’entourer de collaborateurs, en tout une trentaine de personnes. Parmi ceux-ci, les opérateurs de studio, ou d’extérieur auxquels la maison fournit chambres et pieds sans l’objectif qu’ils doivent acheter eux-mêmes. Le deuxième groupe d’employés correspond aux personnes chargées des taches pratiques en atelier : le chargement des châssis, le développement des plaques, leur tirage, le montage des épreuves, la retouche, le classement des négatifs…Le personnel de Sylvestre reçoit ainsi une formation complète : l’employé commence par être apprenti, il a la charge de préparer le traitement des épreuves, des plaques, puis le tirage. S’il a su faire ses preuves, il atteint le grade d’opérateur, d’abord en reproductions, puis en portrait, et enfin, après dix ans d’expérience, et si le résultat est prometteur, il devient opérateur en extérieur. On peut donc en déduire que le photographe chargé de prendre les photographies du Nouveau Centre Urbain de Villeurbanne maîtrise parfaitement les rouages de la photographie : le type de commande qu’on lui confie atteste de son expérience, et de la confiance que son chef lui accorde. Cette description de la longue formation d’un photographe nous renseigne sur la qualité des photographies, et sur le travail qu’elles ont nécessité.

En formant ainsi ses employés, Sylvestre a aussi indirectement participé à la diffusion du métier de photographe à Lyon, et dans sa région : en effet, Guy Borgé nous indique

(19)

Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne que la haute qualification des employés Sylvestre les a parfois poussés à s’installer à leur propre compte, emportant avec eux une partie de la clientèle de leur ancien employeur, mais surtout un savoir précieux. Ces imprévus ont pu engendrer dans le milieu lyonnais une concurrence rude, et une guerre économique des tarifs qui ont toutefois contribué à l’essor de la photographie.

Des Successeurs dans la continuité

En 1928, Sylvestre, maintenant âgé de près de 70 ans, pense à prendre sa retraite : il cède son affaire à Mademoiselle Savoye, qui choisit de garder le même personnel, de poursuivre avec les mêmes méthodes, pendant encore quinze ans. C’est pourquoi il est pratiquement impossible de distinguer les photographies réalisées sous le patronat de Jules Sylvestre, de celles prises après la reprise de son studio. D’ailleurs, malgré le changement de direction, la clientèle reste fidèle à la Maison Sylvestre. Il se peut aussi que ce passage d’une direction à l’autre se soit fait avec douceur en raison du fait que Jules Sylvestre a conservé son propre appartement sur place, au 2 rue de Bonnel, ga rdant ainsi un œil sur l’entreprise qu’il avait créée.

En 1942, Mademoiselle Savoye disparaît à son tour. L’affaire est reprise par une de ses employées, Mademoiselle Fontanel et par un fabriquant de parapluies M. Principian. Sous l’occupation, le travail continue même si les appareils, les accessoires, les pellicules et les plaques se font rares. La S.A.R.L prend toujours beaucoup de commandes auprès des administrations, de l’édition, des musées, et de ses clients habituels. En 1941, la maison Sylvestre reçoit une commande de la mairie de Lyon qui voudrait des clichés de la venue à Lyon du Maréchal Pétain. En mai 1944, il s’agit cette fois de prendre des vues de combat dans tous les quartiers touchés par les bombardements allemands. A la fin de la guerre, ce sont les Ponts et Chaussées qui demandent à la Maison Sylvestre de photographier les ponts du Rhône et de la Saône qu’ont fait sauter les Allemands en retraite. Elle est aussi chargée de prendre des clichés des opérations de reconstruction : cette commande s’est étendue sur plusieurs années.

(20)

UN ATELIER DE PHOTOGRAPHIE INDUSTRIELLE

LYONNAISE

Si les décennies 1920-1930 marquent généralement en Europe un renouveau de la photographie d’architecture artistique, porté par le modernisme de la photographe allemande Germaine Krull, ou des photographes Hongrois Laszlo Moholy-Nagy et André Kertész, cela n’empêche pas que la photographie telle qu’elle était pratiquée au XIXème siècle trouve encore un écho dans des ateliers comme celui du Lyonnais Jules Sylvestre. Car, comme a pu l’écrire Michel Frizot, « Le « tournant du siècle » n’est pas, en photographie, un moment-charnière ; les ruptures surviendront plus tard, induites par les nouveaux instruments de la fin du XIXème siècle »13. C’est pourquoi, il semble judicieux de donner un aperçu de la photographie industrielle, de ses caractéristiques, pour comprendre à quel héritage se rattache la Maison Sylvestre ; d’autant plus dans la mesure où son activité se déroule à cheval sur deux siècles. Cette contextualisation chronologique se verra enrichie d’un éclairage géographique, afin de mieux cibler l’entreprise Sylvestre au sein de la photographie lyonnaise.

La naissance de la photographie industrielle

Au début du XXème siècle, la Maison Sylvestre se réclame de la photographie industrielle telle qu’elle était pratiquée à la fin du siècle précédent. L’expression-même utilisée pour qualifier ce type de photographie nous renseigne sur son origine. En effet, son apparition est contemporaine des transformations urbaines que l’industrialisation a engendré. Ainsi, la photographie industrielle de la fin du XIXème siècle a trouvé son inspiration dans les constructions métalliques des ingénieurs, les pavillons d’exposition, les ponts, les gares, les usines, les grands magasins ; elle doit son origine à cette ère du machinisme industriel qui privilégiait une nouvelle conception de la construction basée sur une armature en fonte et en fer forgé. Les villes s’adressent de plus en plus aux photographes : ceux-là sont chargés d’immortaliser des évènements comme l’édification d’une gare, la construction de serres pour les jardins botaniques ou les museums d’histoire naturelle, l’élévation d’une bibliothèque comme celle de Sainte-Geneviève construite par l’architecte Henri Labrouste en 1851. A Paris, les Frères Brisson deviennent les grands pionniers de la photographie d’architecture des expositions universelles : ils se distinguent avec leurs clichés des pavillons des expositions

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Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne universelles de 1855 et de 1867 qui ont eu lieu à Paris. Comme nous le verrons plus tard, la Maison Sylvestre s’est aussi exercé à ce type d’exercice en prenant des vues des pavillons des expositions internationales qui se sont déroulées à Lyon en 1894 et en 1914.

Ce nouveau type de photographies d’architecture se caractérise par la nouvelle fonction qui lui est assignée : dorénavant, la photographie n’est plus seulement un instrument de connaissance de l’état de l’architecture, mais un témoignage de l’architecture en train de se faire, voire un outil pour les architectes. Dès 1855, deux photographes Anglais C. Thurston Thompson et R. J. Bingham enregistrent les images de la construction du Palais de l’Industrie de Paris. Cette nouvelle pratique entraîne l’émergence d’une nouvelle génération de photographes : Philipp Henry Delamotte, Charles Marville, Edouard Baldus, Auguste-Hippolyte Collard, les frères Brisson, Durandelle et Delmaet. Les deux albums intitulés Travaux de la construction de la

Tour, réalisés par le photographe Louis-Emile Durandelle, assisté d’Albert Chevojon,

sont à ce titre très représentatifs de cette nouvelle pratique qui se base sur le principe de la série. En effet, Durandelle prit des clichés de l’évolution de la construction de la Tour Eiffel, semaine après semaine, du 28 janvier 1887 jusqu ’au 31 mars 1889, jour de l’inauguration. L’objectif recherché est celui de « fixer les aspects successifs du chantier, et de rappeler des réalités temporaires de l’édification »14

. Les qualités esthétiques reflètent cette nouveauté du geste photographique répété : on use d’un plan frontal, on limite les effets, et on renforce la transparence du médium, tout en effaçant la présence du photographe.

Ces clichés d’un genre nouveau interviennent aussi à la fin du chantier : le photographe a alors pour mission la mise en valeur des édifices par une prise de vue à la chambre, une fois leur construction achevée. La photographie industrielle d’architecture présente le plus souvent un cadrage élaboré, parfois une élévation frontale lorsque c’est possible, mais généralement il s’agit d’une vue sur l’angle, dans une perspective modérée qui met l’accent sur les volumes. La principale règle qui dicte ces prises de vue est celle qui consiste à redresser les verticales, c’est-à-dire à rendre les verticales de l’édifice parallèles au plan de la photographie. Cette convention est largement appliquée dans les photographies Sylvestre, comme nous le verrons plus tard. Par ailleurs, la norme pour ces photographies d’architecture consiste à éviter la présence humaine dans le champ photographique, afin de conférer à la photographie une neutralité empreinte

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MONNIER, Gérard, « Architecture et Photographie » dans GERVEREAU Laurent, Dictionnaire mondial des images, Ed. Nouveau Monde, 2006, p.65

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d’intemporalité. C’est pourquoi, les dernières prises de vue sont généralement effectuées avant même la mise en service des bâtiments, tout de suite après la fin des chantiers. Gérard Monnier appelle ce type de démarche « le paradigme de la vision intacte »15. Les photographies des chantiers des Frères Perret, mises au point par le studio de photographie industrielle Chevojon, en sont la meilleure illustration. Encore une fois, les photographies Sylvestre respectent scrupuleusement cette tradition de la photographie industrielle de la fin du XIXème siècle, à l’exception de certains clichés.

Mais ce qui fait encore davantage la spécificité de cette nouvelle photographie industrielle de laquelle découle la pratique de la Maison Sylvestre, c’est cette notion de service qui fonde l’activité des entreprises de photographie industrielle de cette période. La production qui sort de ces ateliers appartient à un nouveau genre, celui du reporta ge d’ingénierie, mis au service des nouveaux protagonistes de la société industrielle que sont la ville, à la fois commanditaire des photographies et de la construction, les ingénieurs ou les architectes eux-mêmes. Ainsi, c’est à la demande du Service des Travaux historiques de la ville de Paris, que le photographe Charles Marville se spécialisa durant le dernier tiers du XIXème siècle dans la photographie des grands chantiers parisiens, lancés par le baron Haussmann sous le Second Empire16. Dans les années 1870, il continue à offrir ses services aux architectes, sur les chantiers de construction et de restauration. Car si la photographie industrielle diffère nettement du pictorialisme photographique, ou de la photographie artistique, pour autant, elle devien t quand même un lieu d’exploration pour le photographe-auteur, un espace d’innovation plastique en termes de représentation. Comme l’écrit Michel Frizot, « le photographe transgresse lentement la vision classique, frontale, fonctionnelle, s’engageant avec toujours plus d’audace dans un dédale de formes et de volumes d’une grande hardiesse géométrique, comme s’il prenait à son compte la hardiesse de l’ingénieur. »17

Cependant, dans la plupart des ateliers de photographie industrielle, le photographe n’est pas reconnu comme auteur, il a davantage un statut d’opérateur, dont la tâche ne se limite pas à prendre des clichés, et à en faire des tirages. En effet, ils sont aussi chargés de reproduire des plans, de fournir des images documentaires des constructions, destinées aux archives de l’architecte, et parfois à la publication. A la fin du XIXème siècle, c’est le studio qui s’occupe des retirages et de l’envoi aux éditeurs, il conserve

16

Il publie en 1865 l’Album du vieux Paris.Les plaques de verre de ses photographies sont conservées à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et concernent les rues et monuments de Paris, commande faite par la v ille de Paris en 1865. Le musée Carnavalet conserve plus de 760 tirages de Charles Marville.

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Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne les négatifs. L’usage qui est fait de ces clichés est spécifique au genre de la photographie industrielle : d’après Gérard Monnier,

ces photographies du chantier sont souvent écartées de la publication ; la pratique semble se limiter à la production et à la conservation d’un document interne à l’entreprise, et sa valeur se confond avec celle qu’on peut accorder à un outil de la mémoire technique […]18

.

Dans le cas des clichés du Nouveau Centre Urbain de Villeurbanne, au contraire, les photographies ont été utilisées par la Municipalité, l’année même de la réalisation de la commande, afin d’illustrer entre autres l’ouvrage Villeurbanne 1924-1934 : Dix

d’administration.19

D’ailleurs, les documents d’archives qui concernent ces photographies ne nous ont pas permis de savoir si les deux architectes qui menèrent les constructions du Nouveau Centre Urbain avaient eu recours à ces clichés. La réalisation de cette commande prend donc un caractère plutôt atypique, qui nous a poussés à nous demander par la suite quel rôle la municipalité avait joué d’une part dans le lancement de la commande, et d’autre part dans les usages qui avaient été faits des photographies, au lendemain de l’achèvement des travaux.

Cette particularité propre à notre corpus est aussi l’occasion de souligner un trait important de la photographie industrielle, celui d’être toujours motivée au départ par une commande, derrière laquelle se cache très souvent un intérêt politique ou commercial sous-jacent. Cela est tout autant valable pour la deuxième moitié du XIXème siècle que pour le XXème siècle. Par exemple, le rôle joué par le Ministère des Travaux Publics, et en particulier les services des Ponts et Chaussées et des mines dans la pérennité de la photographie industrielle au cours du XIXème siècle est remarquable à cet égard : tout comme ils avaient pris l’habitude au cours du XVIIIème siècle de conserver les dessins, lithographies, cartes, maquettes des réalisations qu’ils lançaient, c’est naturellement qu’ils se sont tournés vers la photographie, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, et par la suite, collectant ainsi des albums et vues des photographies témoignant de leur emprise sur le territoire. Le fonds Jules Sylvestre en est d’ailleurs une des illustrations, comme on l’a vu précédemment : les Ponts et Chaussées avaient en effet demandé à la Maison Sylvestre de photographier les étapes de la reconstruction des ponts du Rhône et

18 MONNIER, Gérard, « Architecture et Photographie » dans GERVEREAU Laurent, Dictionnaire mondial des images, Ed.

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de la Saône que les troupes allemandes avaient fait sauter juste avant leur retraite de la ville de Lyon en 1944.

La photographie lyonnaise : une des premières à

se développer

Lorsque Jules Sylvestre ouvrit son premier atelier Cours de la Liberté en 1892, la photographie n’existait que depuis une quarantaine d’années. Malgré tout, Lyon comptait déjà une vingtaine d’ateliers, un chiffre élevé puisqu’au même moment, Paris en recensait 5620.

Il faut dire que la Capitale des Gaules n’est pas très éloignée de Chalon-sur-Saône, la ville près de laquelle la première photographie, ou celle considérée comme telle, fut mise au point, par Joseph-Nicéphore Nièpce, autour de 1826. A cette date, le blo cus continental des guerres napoléoniennes empêchait l’importation de pierres lithographiques bavaroises, essentielles pour la gravure. Nièpce cherchait alors des ersatz qu’il obtint au moyen de plaques en étain sensibilisées au bitume de Judée. Après de nombreuses tentatives, et diverses difficultés, il parvint à prendre une gravure du cardinal d’Ambroise, grâce à la lumière du soleil. Mais les plaques lithographiques sensibilisées au bitume de Judée exigeaient une exposition longue de plusieurs heures, ce qui rendait le procédé inutilisable en imprimerie. C’est ainsi qu’intervint Louis Daguerre, peintre de son état, avec lequel Nièpce s’associa en 1827, afin de perfectionner cette technique, en vue de réduire le temps d’exposition. Fatigué et ruiné, Nièpce mourut en 1833. Daguerre poursuivit ses recherches. Il semblerait qu’elles prirent un nouveau tournant le jour où, par une erreur de manipulation, il se rendit compte que l’iodure d’argent était infiniment plus sensible que le bitume de Judée. Avec cette nouvelle technique, l’image apparaissait alors au bout de quelques minutes seulement. Mais peinant à faire reconnaître son invention, il confia en 1839 le résultat de ses recherches au savant Arago, qui se chargea de promouvoir cette invention révolutionnaire, qui prit par la suite le nom de daguerréotype. L’annonce officielle eut lieu le 19 août 1839 à l’Académie des Sciences de Paris. Au départ, ce fut ses qualités de précision, d’exactitude scientifique, qui intéressèrent l’Académie. Mais très vite, de nombreux peintres portraitistes de Paris se convertirent au nouveau procédé, n’hésitant pas à retoucher au pinceau, à colorier le noir et blanc du tirage pour donner l’illusion du tableau.

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Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne Ainsi, dès le début de la deuxième moitié du XIXème siècle, Lyon n’échappa pas à cette daguerréomanie. Une vingtaine de studios s’installèrent entre Rhône et Saône21

. D’ailleurs, un graveur lyonnais du nom de Philippe-Fortuné Durand, revendiquait dès 1840, sur sa carte de visite, le titre de « la plus ancienne maison photographique française »22. L’histoire de ce photographe lyonnais nous est aujourd’hui connue grâce à sa redécouverte par Guy Borgé, qui, après avoir acheté les archives photographiques de la Maison Sylvestre, a tenté de reconstruire sa biographie, et l’évolution de son entreprise de photographie. Il nous apprend ainsi que Philippe-Fortuné Durand était un graveur médailleur d’origine lyonnaise qui, après s’être formé à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris ouvrit un studio au passage de l’Argue en 1840. Comme depuis 1815, il illustrait au moyen de ses gravures les Guides de Lyon qu’éditait son cousin Joseph Chambet, il se mit alors à remplacer la gravure par la photographie. Par cette nouvelle technique, il pouvait réaliser une vue réaliste du paysage lyonnais, une sorte de canevas auquel il ajoutait au crayon des sujets animés. Il fut ainsi un des premiers à exécuter des daguerréotypes de Lyon non inversés. Par la suite, Durand élargit très vite ses services, donnant des leçons de photographie, fournissant des appare ils, des produits et des plaques aux amateurs.

Ce fut aussi à Lyon, à la même époque, que Thierry, un des clients de Durand, se passionna pour la photographie, et écrivit un ouvrage consacré à cette nouvelle technique, qu’il fit d’ailleurs illustrer par Durand. Finalement, il monta sa propre affaire avec Gilbert Randon, qui n’était autre que le cousin germain du célèbre photographe Nadar. Vers 1860, les célébrités de la capitale, parmi lesquelles l’Empereur lui-même, se rendaient au studio « Thierry de Lyon », qu’il avait alors ouvert à Paris.

Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, on nommait surtout ces photographes des opérateurs, en raison de leurs tâches et de leurs savoirs très techniques. Les sources n’étant pas nombreuses, il est difficile aujourd’hui encore de nommer tous les photographes qui exerçaient au XIXème siècle à Lyon, et encore moins évidemment de préciser l’évolution de leur activité. Néanmoins, une exposition qui a eu lieu en 1990 au Musée Historique de Lyon sur les photographes lyonnais du XIXème siècle, nous a permis de mieux connaître certains : Perraud, spécialisé dans la publicité, Bernabé, auteur des premières photographies judiciaires connues, Dissard, opérateur

21

Ibid.

22

BORGE, Guy, « A la découverte d’un précurseur en photo professionnelle », Le Photographe, n°1224, mai 1971. Une telle affirmation est toutefois à relativiser : cette mention de l’ancienneté de l’atelier Durand était peut -être tout simplement un argument publicitaire, qui, en exagérant la réalité, lui permettait d’attirer le client.

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photographique mais aussi restaurateur de tableaux, Camille Dolard, peintre connu pour ses autoportraits photographiques aux mises en scène variées et exotiques.

Cet engouement pour la photographie se renforça après 1855, lorsqu’un britannique du nom de Scott Archer révolutionna la photographie avec son procédé au collodion humide : cette technique consistait à impressionner une plaque de verre négative sensibilisée juste avant la prise de vue. Non seulement cette technique s’avérait bien plus rapide que celle du daguerréotype, mais elle permettait dorénavant une reproductivité et une grande liberté dans le format. Pourtant à Lyon, le passage de l’ancienne technique à la nouvelle fut difficile du côté des daguerréotypistes attachés à la tradition. Plusieurs studios fermèrent. Certains toutefois, comme Dolard et Durand perdurèrent en s’appropriant le nouveau procédé. Dès 1859, Lyon vit s’installer une cinquantaine de ces partisans de la technique au collodion humide. Mais dans la région lyonnaise comme ailleurs, la concurrence sévissait, entrainant une baisse des prix, qui favorisait la démocratisation du portrait au format carte de visite. Pour se différencier, certains opérateurs ne tardèrent pas à se spécialiser dans certains domaines : le photographe Fatalot reproduisait les tableaux de salons, Froissard photographiait les travaux d’urbanisme du Parc de la Tête d’Or voulus par le Préfet Vaisse… En 1870, les studios de photographie connurent un fort succès dû en partie au contexte de la guerre : les mobilisés se faisaient photographier en tenue militaire avant de partir pour le front. Cette vogue du portrait photographique durant la fin du XIXème siècle s’exprime très bien dans un cliché du fonds Jules Sylvestre. Sur cette image, on reconnait très facilement le photographe-opérateur à droite, une main prête à actionner son ap pareil, le buste penché en avant, concentré par ses réglages. Face à lui, un homme à chapeau se tient assis sur une chaise pliable, l’élément indispensable pour le photographe de rue qui réalise des portraits quasiment instantanés pour des passants désireu x d’accrocher leur portrait au-dessus de leur cheminée. Des badauds assistent à la scène, attirés par la nouveauté de l’invention. Au centre de l’image, un jeune garçon, les mains dans les poches, porte sous le bras une sorte de rideau. A en juger par son vêtement, l’attention qu’il porte au photographe qui a réalisé le cliché, plutôt qu’à celui près de lui, on peut supposer qu’il s’agit de l’assistant de l’opérateur. En arrière-plan de ce petit monde, on aperçoit le chariot du photographe ambulant, sur leq uel une petite pancarte en bois est fixée. Il semble que celle-ci indique au client que le portrait est à trente francs. Au pied de ce transport de fortune, s’entassent un tabouret pliable et un trépied.

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Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne

Illustration 3 : Un photographe ambulant à la fin du XIXème siècle Fonds Jules Sylvestre, BML.

Dans le dernier quart du XIXème siècle, à Lyon, un photographe en particulier se distingua des autres, d’abord parce qu’il était un des derniers à continuer à produire des calotypes alors même que le collodion humide devenait populaire, ensuite parce que son identité nous est encore inconnue, même s’il signait parfois ses épreuves du nom de Domini. La BNF conserve aujourd’hui une centaine de ses négatifs qui illustrent la vie lyonnaise et son évolution urbaine à la fin du XIXème siècle23.

De plus, si Lyon ne fut pas laissée de côté par l’essor de la photographie, et les pratiques sociales qui en découlèrent, la ville devint aussi un lieu d’inventions à la charnière du XIXème et du XXème siècle. En effet, en 1876, Antoine Lumière, photographe portraitiste venu de Besançon, ouvrit un atelier à Lyon, rue de la Barre. Il fut un des premiers à adopter l’éclairage électrique. En outre, Antoine Lumière joua un rôle important dans la diffusion des nouvelles plaques de verres au gélatino -bromure d’argent, qui apparurent à l’aube des années 1880. Il se lança en effet dans leur fabrication. Celle-ci se fit dans une ancienne chapellerie de Montplaisir. Avec la

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Il a notamment couvert l’Exposition de 1872 au Parc de la Tête d’Or, l’éboulement de 1876 à Saint Paul pendant la construction de la gare, les quais du Rhône et de la Saone, l’Ile-Barbe, Vaise, Serein…etc.

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propagation de ces nouvelles plaques vendues prêtes à l’emploi, la photographie industrielle telle que la maison Sylvestre la pratiquait tout au long de la première moitié du XXème siècle, fut grandement facilitée. En effet, les anciennes plaques au collodion humide nécessitaient une émulsion que l’opérateur devait réaliser au préalable, en chambre noire. Par conséquent, la photographie en extérieur, de par ces contraintes, n’était que peu pratiquée : elle imposait que l’on transporte le laboratoire sur une voiture à cheval, ou en bateau. Au contraire, les nouvelles plaques offraient une instantanéité originale. Par la suite, les fils d’Antoine Lumière, qui ne sont autres qu’Auguste et Louis Lumière contribuèrent à l’amélioration de la plaque photographique sèche au gélatino-bromure d’argent, qu’ils commercialisèrent en 1881 sous la marque « Etiquette bleue ». Parmi les 170 brevets déposés par les frères Lumières, essentiellement dans le domaine de la photographie, certains concernèrent le procédé qui permit l’obtention de la couleur sur plaque photographique, qu’ils expérimentèrent en 1895, et qu’ils mirent en vente en 1907.

Enfin, on peut aussi mentionner les noms de Léo et Antonin Boulade, deux grands amateurs de photographie, qui déposèrent plusieurs brevets de fabrication dans le domaine de la photographie, et qui créèrent, comme Antoine Lumière, une usine de fabrication de dispositifs photographiques à Montplaisir. On les connaît notamment pour les nombreuses photographies aériennes qu’ils réalisèrent à bord d’une montgolfière. Cette fabrication locale perdura jusque dans les années 1920, et fut bientôt supplantée par l’industrialisation, puisqu’on peut rappeler qu’en 1924, le premier Leica fit son apparition après la pellicule et les appareils Kodak de Monsieur East mann en Amérique. Malgré ces innovations dans le domaine de la photographie, les nombreux photographes qui exercèrent à Lyon autour des années 1920 sont dans l’ensemble assez conventionnels au niveau de la technique et du rendu photographique. Nous verrons que Jules Sylvestre n’échappa pas à cette règle. Par ailleurs, la plupart opéraient à la lumière du jour, leurs ateliers étant installés le plus souvent au sommet des immeubles, les verrières orientées au nord. L’électricité n’apparut que très progressive ment. Les appareils photographiques alors utilisés étaient de grandes chambres sur pied, munis de plaques de verre. Car, si les appareils à pellicule existaient déjà, seuls les amateurs pouvaient s’en contenter. Néanmoins, deux photographes associés du nom de Théo Blanc et Antoine Demilly sortirent du lot dans les années 1920-1930. En effet, le style de ces photographes lyonnais relevait moins de la photographie industrielle que de la photographie artistique : ils se démarquèrent très vite par leur manière plus libre de

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Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne traiter le sujet, par une technique inspirée de ce qui se faisait alors en Europe, chez les surréalistes, ou les artistes du Bauhaus. Leur originalité leur permit de rivaliser avec la Maison Sylvestre, ou plutôt de proposer à la clientèle une alternative. En effet, l’entreprise Blanc & Demilly s’exerça aussi à produire des clichés du Nouveau Centre urbain de Villeurbanne, mais dans une veine toute différente de celle suivie par l’opérateur de la Maison Sylvestre24

.

L’atelier de la Maison Sylvestre

Avant d’analyser les photographies Sylvestre du Nouveau Centre urbain de Villeurbanne, nous avons tenu à rassembler et à analyser plusieurs sources, en vue de replacer l’activité des opérateurs de la Maison Sylvestre dans le contexte du lieu d’exercice. En 1898, Jules Sylvestre, qui jouit déjà d’une certaine réputation à Lyon, installa son nouvel atelier au 2 rue de Bonnel. Même si les traces qui décrivent le lieu ne sont pas nombreuses, nous avons tenté de partir de celles-ci, tout en les confrontant avec ce que les études historiques nous apprennent de l’atelier d’un photographe du début du XXème siècle.

Ainsi, nous savons que l’atelier Sylvestre était situé à l’angle de la rue de Bonnel et du Quai de la Guillotière, actuel Quai Victor-Augagneur. Il donnait donc sur une rue très fréquentée, aussi bien par les passants que par les automobiles, comme en témoigne la photographie de l’accident de la circulation25

(figure 4). Ce cliché daterait de 1960, il aurait été pris juste avant la destruction de l’immeuble, si l’on en croit les dires de Guy Borgé.26

En fait, c’est un heureux hasard s’il nous est possible de voir à quoi ressemblait l’atelier photographique Sylvestre. Car lorsqu’il apparait sur les clichés du fonds Jules Sylvestre, c’est uniquement en arrière-plan d’une photographie dont le sujet est tout autre. Souvent, il s’agit de photographies prises à la demande d’un nouveau propriétaire d’une automobile, qui souhaite se voir représenter, une main appuyée sur ce nouvel objet de la modernité. La voiture constitue en effet un marqueur social au début du XXème siècle. Le cliché Figure 5 appartient à ce type de portraits mis en scène. Il a été réalisé bien avant la photographie Figure 4 (de 1960). A en juger par le modèle de la voiture, cette

24

Voir partie 1, IV « Les photographies Sylvestre mais pas seulement »

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Les photographies d’accident de la circulation sont très nombreuses dans le fonds Sylvestre. En effet, ces clichés const ituaient des preuves pour la personne qui accusait l’autre d’être en tort. Il arrivait que ces images se retrouvent entre les mains des agents de police, chargés de régler le contentieux.

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image daterait de la décennie 1920, sans certitudes pour autant (en 1930, il n’est pas inconcevable de penser qu’on puisse posséder une voiture datant de 1920).

Illustration 4 : Accident de la circulation (autour de 1960) BML, Fonds Jules Sylvestre

Illustration 5 : Voiture stationnée sur le quai de la Guillotière, au croisement de la rue de Bonnel (après 1920)

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Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne De plus, l’atelier Sylvestre se tenait non loin de la préfecture du Rhône, comme le montre l’arrière-plan de l’image publicitaire publiée dans le journal La Vie Lyonnaise (Figure 6). Il s’agit d’un dessin, certainement réalisé à partir d’une photographie, prise en grand angle.

Illustration 6 : Les Etablissements Sylvestre en 1926

La Vie Lyonnaise

D’après la Figure 4, il semble que l’entreprise Sylvestre occupait une partie voire tout le rez-de-chaussée de l’immeuble, du côté de la Rue de Bonnel, à en juger par l’étendue de ses vitrines. En effet, la devanture à proprement parler ne concerne qu’un tiers du rez-de-chaussée. Le reste semble recouvert de deux vitrines où le photographe pouvait exposer ses meilleures photographies, à savoir des portraits, afin d’assurer sa publicité, et de susciter chez le passant l’envie de se faire photographier. C’est ce que Jean Sagne appelle les « binettes à la vitrine »27. Selon lui, cette exposition était pratiquée par la majorité des photographes. Les vitrines, alors appelées des « montres » se présentaient sous la forme de grands cadres en bois, plaqués contre le mur à l’entrée de l’atelier, dans la rue ; ils contenaient quelques-uns des tirages les plus remarquables, exécutés à l’étage supérieur ; ils étaient protégés par des vitres. Ces images devaient séduire le client, par les effets de lumière, la qualité du rendu, le style de la maison, mais surtout

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par la représentation de personnalités prestigieuses auxquelles les passants s’identifiaient. Cet aménagement de vitrines en extérieur a contribué à la démocratisation de la photographie de portrait à la fin du XIXème siècle, ainsi qu’à son succès dans la première moitié du XXème siècle :

La photographie met à la portée de tous les yeux, sinon de toutes les bourses, la physionomie des illustres contemporains, ce qui n’est pas sans provoquer des situations cocasses ou des réactions intempestives. L’exposition des portraits participe de l’évènement ; des échanges de points de vue ont lieu devant la vitrine.28

En ce qui concerne la maison Sylvestre, on remarque que la présentation de ces vitrines s’est modifiée au cours du temps : au tout début du XXème siècle, il semble que les vitrines n’étaient pas coiffées d’une inscription, comme le prouvent le cliché Figure 5 et le dessin publicitaire Figure 6, alors que par la suite, la façade du studio paraît avoir été rafraichie : des inscriptions ont été rajoutées au-dessus de chacune des vitrines, comme on peut le voir dans les photographies 4 et 7. Ces modifications ont pu intervenir au moment d’un changement de propriétaire, soit lorsque Jules Sylvestre cédait son affaire à Mademoiselle Savoye en 1928, soit au moment où Mademoiselle Fontanel et Monsieur Principian rachètent l’atelier en 1942. Ces écritures en lettres capitales avaient pour fonction de renseigner le passant quant à la nature du service proposé par le studio. Ainsi, la première indiquait qu’il s’agissait d’un studio de « photographie ». Les deux suivantes précisaient le type de photographies exécutées : la photographie d’ « industrie » et celle de « portraits ». Mais désireux de satisfaire tous ses clients, la Maison Sylvestre avait pris soin d’ajouter des points de suspension, n’écartant ainsi aucune possibilité, aucune commande potentielle. D’ailleurs, on voit clairement que chaque centimètre carré de la façade était mis à profit pour assurer le succès commercial de l’entreprise. En effet, l’information publicitaire envahissait aussi une partie du premier étage, l’autre étant dévolue à l’aménagement de ce qui ressemble à une verrière. Cette manière de se signaler dans le paysage urbain n’était pas rare à la fin du XIXème, et surtout au début du XXème siècle : les photographes, étant confrontés à l’impossibilité de modifier très significativement l’apparence de la façade, ils avaient recours à de gigantesques inscriptions29. Quant à la peinture murale, il semblerait qu’elle ait subi des modifications au cours de l’histoire de la Maison Sylvestre : à nouveau, ce type d’inscription est le révélateur du renouvellement constant qui caractérisait la

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SAGNE, Jean, L’atelier du photographe, 1840-1940, Presses de la Renaissance, Paris, 1984, p. 290.

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Partie 1 : La Maison Sylvestre et les photographies du nouveau Centre Urbain de Villeurbanne technique photographique au cours du début du XXème siècle, et celui de la transition que connurent les premiers studios photographiques au moment de ces changements de procédés que nous avons rapidement évoqués dans la partie précédente. Ainsi, le cliché Figure 5 qui montre l’atelier dans les premières décennies du XXème siècle laisse deviner les mots « gravure », « phototypie », « appareils de toutes marques ». A cela, il faut ajouter le texte reproduit en gros caractères sur le dessin publicitaire : « spécialité travaux industriels phototypie travaux pour amateurs objectifs de toutes marques ». Toutefois, il ne faudrait pas considérer cette dernière source avec autant de crédit que la première, car il est fort probable que le dessinateur ait modifié la peintur e murale, pour la rendre plus percutante et plus informative auprès des lecteurs du journal. Quoi qu’il en soit, une idée se détache de ces deux représentations : l’atelier Sylvestre, dès le départ se tourna vers la photographie industrielle, et ce, en se convertissant aux procédés alors en vogue. En effet, dans les premiers temps, la Maison Sylvestre se consacra à la phototypie, qui est un procédé ancien, apparu dès 1855, et diffusé dans la seconde moitié du XIXème siècle. Par la suite, le terme de « phototypie » disparaît de la façade, comme on peut le voir dans la photographie Figure 4, pour laisser la place aux « portraits, agrandissements », à la « reproduction de documents », à la « spécialité de travaux de musée », aux « projections », tout en continuant à se réclamer de la « photographie industrielle », et en perpétuant la vente d’« appareils de toutes marques », et de « fournitures générales ». Cette mutation de l’activité du studio du 2 rue de Bonnel, est parallèle à l’évolution de la Maison Sylvestre, qui change progressivement de propriétaires. Pour autant, si le contenu des inscriptions, tout comme le nom du propriétaire changent, et si les services proposés se diversifient, la Maison Sylvestre, dans son appellation comme dans sa ligne directrice, à savoir la photographie industrielle, perdure et se renouvelle tout en conservant sa réputation, et ses fondements.

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Illustration 7 : Devanture du studio photographique de Jules Sylvestre BML, Fonds Jules Sylvestre

Quoiqu’il en soit, malgré les incertitudes qui demeurent quant aux moments où les photographies Figures 4, 5 et 7 ont été prises, on peut néanmoins dire sans exagérer que le studio de la Maison Sylvestre a toujours gardé la même configuration extérieure, à savoir une devanture, deux vitrines, une verrière, et une peinture murale à l’étage.

Quant à l’intérieur du lieu, il semblerait que la Maison Sylvestre possédait d’une part un espace de vente, autrement dit une boutique où les clients pouvaient se renseigner, acheter du matériel, et d’autre part une « chambre de pose »30. D’après Guy Borgé, l’atelier Sylvestre était aménagé de la sorte: le photographe avait pris soin de recouvrir la cour intérieure de l’immeuble du 2 rue de Bonnel d’une verrière31

. A la fin du XIXème siècle, comme au début du XXème siècle, les photographes privilégiaient le dernier étage des immeubles pour y installer leur atelier, au moyen de larges verrières

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SAGNE, Jean, L’atelier du photographe 1840-1940, Presses de la Renaissance, Paris, 1984, p189. C’est ainsi que Jean Sagne appelle cette partie du studio réservée à la prise de la photographie lorsque celle -ci a lieu en intérieur (le plus souvent, il s’agit d’un portrait).

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Figure

Illustration 2: Projet de pont en place de l'actuel Pont Clémenceau  Fonds Jules Sylvestre, BML
Illustration 3 : Un photographe ambulant à la fin du XIXème siècle  Fonds Jules Sylvestre, BML
Illustration 5 : Voiture stationnée sur le quai de la Guillotière, au croisement de la rue  de Bonnel (après 1920)
Illustration 7 : Devanture du studio photographique de Jules Sylvestre  BML, Fonds Jules Sylvestre
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